Université Sorbonne Nouvelle- Paris 3
L'Albanie,
Histoire de langue(s)
Pour une approche sociodidactique et contextualisée de
l'enseignement-apprentissage du français en université
albanaise
Sous la direction de Valérie Spaëth, Amélie
Gicquel, septembre 2014
4
Résumé
Ce travail intitulé « Albanie, Histoire de
langue(s) » a été réalisé à l'issu de
trois années dans l'enseignement-apprentissage du FLE en contexte
d'apprentissage de niveaux secondaire et universitaire albanais.
Réalisé dans le cadre de l'obtention d'un Master 2 Professionnel
auprès de l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris III, la forme de
ce travail s'est imposée à elle-même pour deux raisons
principales : étant le manque de littérature, nécessaire
pour appréhender le contexte sociodidactique albanais, ainsi que la
nécessité de le considérer en adéquation avec les
représentations des acteurs de différentes échelles de
l'enseignement et de la promotion de la langue et de la culture
françaises.
En m'inscrivant dans la lignée de travaux
engagés par des enseignants-chercheurs tels que Philippe Blanchet,
Didier de Robillard ou encore Marielle Rispail, ces deux facteurs m'ont permise
de procéder à une analyse de données
prélevées directement sur le terrain, en vue de soumettre des
propositions potentiellement à engager dans le domaine de l'enseignement
du français en particulier pour soutenir le développement d'un
plurilinguisme et d'une pluriculturalité observables et effectifs. Cette
recherche est également motivée par l'observation qui a
été faite que ces deux compétences individuelles (et
collectives) sont en péril par l'instrumentalisation qui en ont
été faits dans le cadre de l'éventuelle adhésion de
l'Albanie à l'Union Européenne. En usant de méthodes de
recueil de données qualitatives et quantitatives avec la volonté
de rendre fidèlement les acteurs concernés par notre terrain dans
le contexte dans lequel ils oeuvrent, il nous a été donné
d'observer que les rapports qui s'établissent entre les concepts de
langue, société, et éducation sont
caractérisés par de profondes scissions autant par absence de
consensus du point de vue épistémologique et
méthodologique, que pour des raisons historiques dues à une
période de transition caractéristique des pays de l'ex bloc de
l'Est sur le chemin d'une européanisation qu'il est également
nécessaire de remettre dans son cadre (à savoir que l'Albanie n'a
jamais fait partie de l'URSS ou de la Yougoslavie).
Examiner ce contexte nous aura permis entre autre de mettre en
relief le rôle des enseignants dans ce contexte, autant que de proposer
une illustration de l'Albanie au regard des missions que se fixe l'OIF dans le
cadre de la défense de la diversité des langues et des
cultures.
5
Permbledhje
Ky punim i titulluar « Shqiperia, historia e gjuhes (ve)
» eshte realizuar pergjate tre viteve mesidhenieje te frengjishtes si
gjuhe e huaj (FLE), ne kontekstin e mesimdhenies ne nivel parauniversitar dhe
universitar ne Shqiperi. I realizuar si pjese e nje Masteri profesional te
nivelit te dyte ne Universitetitn Paris III - La Sorbonne Nouvelle, forma e
ketij punimi eshte vetevendosur per dy arsye kryesore duke pasur mungesa
literature qe bashkojne njohurite e nevojshme per te kuptuar kontekstin
didaktik shqiptar, si dhe nevoja per ta shqyrtuar ne perputhje me perfaqesimet
e aktoreve te shkalleve te ndryshme te arsimit dhe promovimit te gjuhes dhe
kultures franceze.
Duke ndjekur linjen e studimeve socio-didaktike te ndermarra
nga kerkuesit akademike si Philippe Blanchet, Didier de Robillard, apo
Marielle Rispail, keto dy faktore me kane lejuar te mbeshtetem mbi nje analize
te dhenash te marra drejtpersedrejti ne terren per te paraqitur propozime, qe
mund te ndermerren ne fushen e mesimdhenies se frengjishtes ne vecanti, per te
mbeshtetur zhvillimin e shumegjuhesise dhe multikulturalizmit te dukshem dhe
efikas, por i kercenuar nga instrumentalizimi qe eshte bere ne kuader te
anetaresimit te mundshem te Shqiperise ne Bashkimin Evropian. Duke perdorur
metoda mbleshjesh te dhenash cilesore dhe sasiore me deshiren per ta bere sa me
te besueshme per aktoret e perfshire ne terren, dhe ne kontekstin ne te cilin
punojne, ka qene e mundur te vezhgohet se marredhenia qe krijohet midis
koncepteve te gjuhes, shoqerise, dhe edukimit eshte e karakterizuar nga ndarje
te thella, si per mungese te konsensusi te pikepamjeve epistomologjike dhe
metodologjike, gjithashtu edhe per arsye historike si pasoje e nje periudhe
tranzicioni karakteristik i vendeve te ish Bllokut Lindor drejt rruges se
europianizimit, i cili ka nevoje gjithashtu te pershatet me kontekstin (duke
ditur qe Shqiperia nuk ka qene kurre pjese e Bashkimit Sovjetik apo
Jugosllavise).
Shqyrtimi i ketij konteksti na ka lejuar midis te tjerash te
veme ne dukje rendesine e mesuesve ne qender te ketij konteksti, si edhe te
japim nje shembull te Shqiperise ndaj misioneve qe ndermerr Organizata
Nderkombetare e Frankofonise ne kuader te mbrojtje se shumellojshmerise se
gjuheve dhe kulturave.
6
« L'ami est un frère sans héritage
à partager »
Proverbe albanais
Remerciements, Faleminderit...
Je remercie ma directrice de mémoire, Madame
Valérie Spaëth pour m'avoir fait confiance dans le choix que j'ai
fait de faire ce mémoire, ce sujet qui m'aura tenue jusqu'au bout. Je
remercie tous les enseignants qui m'auront inspirée et qui font de moi
aujourd'hui une jeune enseignante en devenir.
Je tiens à remercier tous ceux qui ont cru en moi et en
ce projet, qui aura occupé tant de mon temps, à mes amis que je
n'aurai pas eu le temps de « respecter » quand je leur demandais
encore cinq minutes albanaises : à Rudina Hoxha et à tous mes
amis en France qui auront attendu ce dernier été fatidique pour
venir voir l'Albanie.
J'adresse également mes remerciements les plus
chaleureux à l'équipe d'Ecotour Albania, à Roland Palushi
sans qui ce mémoire n'aurait pas vu le jour sous cette forme, à
Gëzim Berisha et à sa rigueur, à Armand Pasho. Oui, vivons
responsable. Je ne peux pas non plus oublier toutes les personnes que j'ai
rencontrées sur mon parcours et qui m'auront aidée à
élaborer ce travail ; à toutes les personnes qui m'auront ouvert
le livre de leur vie pour rendre ce mémoire possible, car oui Professeur
T., l'Albanie est le pays des paradoxes. Les monts et merveilles de la
pensée de Béatrice Lafont m'auront tout autant apporté
sagesse et relativité quand aucune de ces deux valeurs ne me semblaient
perceptibles.
Je ne veux pas non plus oublier l'équipe du service de
coopération culturelle et linguistique de l'Ambassade de France en
Albanie, et en particulier à Marie-Christine Fougerouse. Un remerciement
tout particulier est également adressé à Hasim Braja, qui
est un enseignant admirable et respecté et à toute
l'équipe d'enseignants de l'Alliance Française et du
département de français de l'Université Aleksandër
Xhuvani à Elbasan (Greta, Florjan, Marjana, Besa), ainsi qu'aux
enseignants du lycée bilingue Mahmud & Ali Cungu (Arian, Lumturi,
Hatixhe, Valbona, Alfred). Je n'oublierai jamais ces heures passées avec
mes élèves et en particulier avec cette classe de première
année, cette « viti parë » (première année)
que j'aurai suivie du début à la fin, sans imaginer mon premier
jour que je serai là jusqu'au bout. Ah mais oui !
7
Je lance finalement un soupir à ces montagnes qui auront
vu plus que je ne l'aurais pensé...
8
Sommaire
« PREAMBULE : ASSISE COGNITIVE »
13
INTRODUCTION GENERALE 17
CHAPITRE 1 : APPROCHES NOTIONNELLES ET SOUBASSEMENTS
CONCEPTUELS : POUR
UNE CONTEXTUALISATION DE LA PENSEE
25
I/ De notre intérêt : la langue en action 27
II/ De notre domaine d'études : la place de la langue en
contexte social et
institutionnel 33 III/ Méthodologie et objectifs de la
recherche : du placement humain à l'écriture
40
CHAPITRE 2 : ELEMENTS DE MACROCONTEXTUALISATION
SOCIO-HISTORIQUE 48
I/ L'albanais langue maternelle : histoire et statut 50
II/ Ecole, éducation et pouvoir 62
III/ « Nous voulons être comme le reste de l'Europe
» 73
CHAPITRE 3 : LA FRANCOPHONIE EN ALBANIE
88
I/ La Francophonie : définitions et statut 90
II/ La francophonie en terres albanaises 98
III / Politique d'action extérieure de la France en
Albanie 110
IV/ L'offre en formation initiale en langues
étrangères dans le système
universitaire albanais 114
CHAPITRE 4 - PRATIQUES ET REPRESENTATIONS DIDACTIQUES,
LE FRANÇAIS ET SON
ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE EN ALBANIE
122
I/ Individus en contexte 124
II/ Conditions de formation des représentations relatives
au français 129
III/ Bilan et perspectives de l'étude 139
CONCLUSION GENERALE 153
TABLE DES MATIERES 158
BIBLIOGRAPHIE 162
SITOGRAPHIE 167
TABLE DES ANNEXES
9
Lecture de l'albanais
L'albanais s'écrit avec un alphabet latin normé
depuis 1908, comporte 36 lettres dont 7 voyelles et 39 consonnes. Lors de la
conférence de Manastir, il fut que l'alphabet albanais devrait
être au plus proche de sa phonétique. Les lettres ne changent pas
de prononciation en fonction de leur place dans le mot et sont toutes
prononcées, à l'exception du /ë/ en position
finale. * Voyelles en gras
Majuscule / Minuscule
|
API
|
Prononciation simplifiée indicative
|
Exemple et signification
|
A / a
|
[?]
|
`a', exemple : `chat'
|
Arrë, noix
|
B / b
|
[b]
|
`b', exemple :
`bébé'
|
Birë, fils
|
C / c
|
[t?s]
|
`ts', exemple : `tsar'
|
Copë, morceau
|
Ç / ç
|
[t??]
|
`tch', exemple : tcha-tcha
|
Çfarë, pronom interrogatif
« quoi, qu'est-ce que »
|
D / d
|
[d?]
|
`d', exemple : dame
|
Dru, bois
|
Dh /dh
|
[ð]
|
consonne fricative dentale voisée, exemple : «
there » en anglais
|
Dardhë, poire
|
E / e
|
[?]
|
`é', exemple : né
|
Emër, prénom
|
Ë / ë
|
[?]
|
`eu', exemple : soeur, n'est pas prononcé en
albanais en position finale
|
Rërë, sable
|
F / f
|
[f]
|
`f', exemple : feu
|
Fik, figue
|
G / g
|
[g]
|
`g', exemple : gare
|
Gurë, pierre
|
Gj / gj
|
[?]
|
Consonne occlusive palatale voisée, peu commune mais
présente en italien, par exemple dans le mot «
ghetto »
|
Përgjigje, réponse
|
H / h
|
[h]
|
`h' aspiré (pas autant qu'en anglais), mais marque
plutôt une césure dans la prononciation d'un syntagme, exemple
: des haricots
|
Ha, manger
|
I / i
|
[i]
|
`i', exemple : nid
|
Pi, fumer, boire
|
J / j
|
[j]
|
Consonne spirante palatale voisée, exemple :
yoyo
|
Jugu, Sud
|
K / k
|
[k]
|
`k', exemple : kaki
|
Kur, quand
|
10
L / l
|
[l]
|
`l', exemple : lard
|
Lajmë, information
|
Ll / ll
|
[?]
|
Exemple : « call » en anglais
|
Djell, soleil
|
M / m
|
[m]
|
`m', exemple : maman
|
Macë, chat
|
N / n
|
[n]
|
`n', exemple : nerf
|
Unaze, anneau
|
Nj / nj
|
[?]
|
`gn', exemple : campagne
|
Një, un
|
O / o
|
[?]
|
`o', essentiellement arrondi, mais peut être
influencé par les lettres attenantes, exemple : mot
|
Gocë, fille
|
P / p
|
[p]
|
`p', exemple : pot
|
Piru, fourchette
|
Q / q
|
[c]
|
Consonne occlusive palatale sourde, plus ou moins le `k' de
« kiosque », qui serait une occlusive «
mouillée »
|
Qafë, cou
|
R / r
|
[?]
|
Consonne battue alvéolaire voisée, comme le
« r » en position centrale en espagnol, exemple «
pero » (chien)
|
(i / e) Ri, nouveau / nouvelle
|
Rr / rr
|
[r]
|
`r' roulé
|
Rrush, raisin
|
S / s
|
[s]
|
`s', exemple : soeur
|
Stilolaps, stylo
|
Sh / sh
|
[?]
|
`ch', exemple : chat
|
Shallë, écharpe
|
T / t
|
[t?]
|
`t', exemple : taper
|
Tavolinë, table
|
Th / th
|
[O]
|
Exemple : « thumb » (pouce) en
anglais
|
Thikë, couteau
|
U / u
|
[u]
|
`ou', exemple : mou
|
Ku, où
|
V / v
|
[v]
|
`v', exemple : va
|
Vdes, mourir
|
X / x
|
[daz]
|
`dz', exemple : xylophone
|
Xixë, éclat
|
Xh / xh
|
[da?]
|
Exemple : « jam » (confiture) en
anglais
|
Xhaketë, veste
|
Y / y
|
[y]
|
`u', exemple : mur
|
Yll, étoile
|
Z / z
|
[z]
|
`z', exemple : zèbre
|
Zarzavatë, légume
|
Zh / zh
|
[?]
|
Exemple : genre
|
Zhvilloj, développer
|
11
Glossaire des sigles principaux
AF - Alliance Française
CECR - Cadre Européen Commun de
Référence
CNOUS - Centre National des OEuvres Universitaires
CREFECO - Centre Régional de la Francophonie d'Europe
Centrale et Orientale
DDL - Didactique Des Langues
DFLE - Didactique du Français Langue
Etrangère
ECTS - European Credits Transfer System
FLE - Français Langue Etrangère
FOS - Français sur Objectifs Spécifiques
LE - Langue Etrangère
LLCE - Lettres, Langues et Civilisations Etrangères
LM - Langue Maternelle
LMD - Licence Master Doctorat
MAE - Ministère des Affaires Etrangères
MASH - Ministri i Arsimit Shqiptar (Ministère de
l'Education Albanais)
OCDE - Organisation de coopérations et de
développement économiques
OIF - Organisation Internationale de la Francophonie
PCA & PTA - Parti Communiste Albanais & Parti du
Travail Albanais
PECO - Pays d'Europe Centrale et Orientale
PNUD : Programme des Nations Unies pour le
Développement
SCAC : Service de Coopération et d'Action Culturelle
SHS - Sciences Humaines et Sociales
TLF - Trésor de la Langue Française
UE - Union Européenne
UNESCO - United Nations Educational, Scientific and Culturel
Organization
UNICEF - United Nations Children's Fund
Vlore
Çorovode ·
0
50 km
ALBANIE
MONTÉNÉGRO
B jrarn Cur ·ri
lr ierzë
Lez he Rreshen
Peshkopi
Laç
* * Burrel
Kru jé
ANCIENNE RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE
MACEDOINE
{
GRÈCE
Coifou
~,, iviswon Réograprrque de la direction des
Archives
du Ministère des Atiaires élrangëres
et europeennes ' 2010 ,
Durrës :hijak ·
TIRANA
*Kay*
ë
P *qin
·
Lushnjë
Her
· Eerat
Tepelene
uPermet
Himare
Giirokastr ·
]elvinë
·
· Sarandé
· Masan
*Cerrik
*Kuçove
·
Pogradec
Carte de l'Albanie
12
13
« Préambule : ASSISE COGNITIVE
»
Toute recherche ne peut se déconnecter d'une certaine
trame de fond qui permettrait entre autre d'éviter de se perdre dans des
tribulations où logique barbare est suprématie de
l'ignorance (sans doute au sens albanais du
terme). C'est d'autant plus important lorsque l'on se
prête à ce type d'exercice précis, où l'on retrace
le chemin de de son expérience et de sa réflexion pour obtenir
une certaine forme de validité aux yeux de la communauté
scientifique enseignante (qui se sera évertuée à nous
aviser d'un certain nombre de concepts fondamentaux, en particulier lorsque
l'on en vient à agir auprès de l'humain et de sa conception du
monde). Qu'en est-il donc de ce qu'on pense être (de) la connaissance ?
Jusqu'au jugement évaluateur, le penseur reste longtemps unique
détenteur de sa compréhension d'un environnement donné
dans la mesure où ses propres représentations et conceptions de
son domaine d'action ne sont pas constamment mises à l'épreuve du
jugement des autres. C'est encore plus vrai à propos de contextes tel
que celui de l'Albanie où peu de ressources de référence
et de documentation existent, tel qu'il l'a été mentionné
peu auparavant. A quel point est-on rendu responsable de ce que l'on avance et
peut-on vraiment se tenir responsable de ce qui ne nous appartient pas
fondamentalement ?
Jean-Louis Le Moigne (2012) soulève l'idée
selon laquelle l'être humain ne peut directement accéder à
la réalité, mais ne peut que l'interpréter en appliquant
à son observation du monde, des grilles de lecture basées sur ses
observations, ses représentations étant conçues à
partir de son expérience d'observateur et d'acteur en interaction avec
son environnement. Selon la démarche dans laquelle l'activité de
la recherche s'inscrit, il serait également attendu que cette posture de
réflexion se vérifie par son application concrète.
Mentionnons ce que propose Ricoeur dans un de ses articles « Expliquer et
comprendre, sur quelques connexions remarquables entre la théorie du
texte, la théorie de l'action et la théorie de l'histoire »
: quels fondements épistémologiques, pour quelle épreuve
du réel ?
L'idée ici n'est pas de soulever des questionnements
propres à des concepts fondamentaux, remettant en question
l'élaboration et la consistance même de la philosophie en tant que
discipline indépendante. Cependant, l'on peut rapidement s'interroger
vis à vis de ce qui nous amène à questionner jusqu'au
réel, en particulier quand un sujet, par nature extérieur au
contexte observé, peut prétendre pouvoir intégrer ce
même contexte pour obtenir une réflexion valable et
cohérente ? Prolongeons quelque peu l'idée soulevée en
nous
14
intéressant plus particulièrement à ce
que Paul Valéry a décrit de la manière suivante : «
On a toujours cherché des explications quand c'étaient des
représentations qu'on pouvait seulement essayer d'inventer
»2 et ce que Gaston Bachelard a proposé : « C'est
précisément ce sens du problème qui donne la marque du
véritable esprit scientifique »3. Faudrait-il donc
s'intéresser aux représentations, s'éloigner de la
recherche d'explications formelles pour adopter « le sens du
problème » ? Cela ne semble pas très engageant
jusqu'à ce que l'on comprenne la motivation qui anime les chercheurs
affectionnant ou défendant les épistémologies
constructivistes.
Selon cette perspective, adopter une posture
épistémologique ne reviendrait pas seulement à reprendre
les lignes d'un cadre conceptuel hégémonique et
institutionnellement admis de tous, si on doit en venir à rappeler la
critique presque virulente faite de la méthode cartésienne. Ce
rappel nous permet donc de situer le contexte dans lequel cette théorie
épistémologique s'est édifiée. Les
dénonciations formées par les constructivistes du XXème
siècle dont Piaget4 est devenu la tête de proue
grâce aux travaux de Bachelard5 ramènent à
dénoncer les risques pratiquement toxiques de l'adoption du positivisme
pour la formation de l'esprit humain, si l'on en suit l'oeuvre de Le Moigne,
lorsqu'il qualifie le positivisme de « réductionnisme » (2012
: 108). On ne verrait plus le traitement et la relation de l'objet par et avec
le sujet, de son analyse faite par le second d'une situation donnée
comme une faculté inhérente au sujet producteur de sens, à
l'acteur social en interaction avec son environnement. Peut-on rappeler ici
cette capacité de l'être à réunir des
éléments de connaissance plutôt que de les parceller, les
disséquer pour mieux en comprendre leur fonctionnement ?
De ce fait, la nécessité de reconnaître
le caractère multidimensionnel du réel permettrait d'asseoir une
partie de sa réflexion et de le rendre rationnel, en plus de s'assurer
d'une application sur le réel de ce qui aura mûri à
l'esprit du penseur. Si l'on veut être prudent et se dédouaner de
toute tentative d'empirisme vulgaire et répondre ainsi à la
question éthique de la nécessité de
l'épistémologie, il est attendu de pouvoir démontrer en
quoi l'application d'une méthode choisie est appropriée, puis de
manière plus fondamentale, de présenter en quoi le cadre
construit par le chercheur permet justement de poser les jalons d'une
connaissance produite et expérimentée par le penseur, qui devient
par la suite scripteur de sa réflexion. On s'approche ici de l'effort de
réflexivité entendu par l'adoption d'une méthodologie
constructiviste dans l'appréhension de son domaine d'étude, Le
Moigne en témoigne lorsqu'il reprend la pensée piagétienne
en ces termes :
15
« il devient nécessaire de soumettre à une
critique rétroactive les concepts, méthodes ou principes
utilisés jusque-là de manière à déterminer
leur valeur épistémologique elle-même. En de tels cas, la
critique épistémologique cesse de constituer une simple
réflexion sur la science : elle devient alors instrument du
progrès scientifique en tant qu'organisation intérieure des
fondements et surtout en tant qu'élaborée par ceux-là
même qui utiliseront ces fondements et qui savent donc de quoi ils ont
besoin. » (Piaget (1967) in Le Moigne, 2012 [1995] : 108-9)
Cette citation permet également de soulever la
jonction fondamentale entre épistémologie et méthodologie.
La première ne se réduit pas à une critique passive de
concepts et de notions, mais introduit effectivement la nécessité
d'adjoindre la manière de penser à la manière de faire, ce
qui s'approcherait grandement de la prise de responsabilité
nécessaire de la part du penseur-acteur que de mesurer la
conséquence de ce qu'il avance. La méthode et la réflexion
rétroactive deviennent deux outils déterminants dans l'assise de
la valeur épistémologique d'une réflexion, autant que la
base du progrès scientifique. La recherche ne s'apparentant pas à
l'application d'un cadre méthodologique prémâché
à un contexte situationnel décroché de l'espace-temps, il
semble primordial de savoir effectuer des aller retours entre pratique et
théorie, et avant tout d'apprendre à le faire, pour mieux
construire un cadre en adéquation à son terrain, et être
sûr de ce qu'on avance.
Nous retiendrons finalement la réflexion de Kant
à ce sujet qui propose un essai à propos de la finalité de
la production de la connaissance, ajoutant dans ce sens que l'homme se
rationalise par le fait même qu'émane de sa conscience la
volonté de comprendre le monde, et que la finalité de cette
volonté soit justement de construire des objets de connaissance. Dans
l'introduction à la Critique de la faculté de juger
de Kant, Alexis Philonenko propose que c'est dans la
synthèse des individualités que se construit la logique
universelle (1993 : 19), réintroduisant également l'importance,
voire le caractère inévitable de la communication pour la
construction des savoirs. Le Moigne reprend précisément cette
idée en réintroduisant la valeur et le pouvoir cognitif de
l'homme dans l'élaboration de la connaissance, sans quoi je
présume que l'on se limiterait à des discours sans application ou
accroche sur la réalité ? « Au commencement était
l'action », quoi de mieux pour introduire une étude qui souligne le
lien entre pensée et action des acteurs observés ? Du point de
vue heuristique, la théorie constructiviste s'attarde par ailleurs
à comprendre le mode de construction de la connaissance qui
réside dans l'interaction entre l'objet et le sujet. Se limiter à
une modélisation de l'objet serait, par définition,
réducteur et ne respecterait pas les conceptions constructivistes
soutenant l'idée selon laquelle la connaissance et par extension
l'intelligence se construisent à partir de la réflexion
posée sur les interactions entre le sujet et
16
l'objet. L'effort de réflexivité ne se commande
pas et s'inscrit dans la capacité de l'homme à mobiliser ses
compétences cognitives pour produire cette connaissance dont il a besoin
pour évoluer dans son contexte. Nous pourrions rapidement mentionner le
pluriel de cette assertion et soulever le fait que les individus de notre temps
évoluent au sein de plusieurs contextes, le tout est de connaître
la finalité de ce fait, peut-on en être conscient ? La conscience
même de l'homme ferait de lui un individu doué de pouvoir. Les
facteurs qui influeront sur sa conception du pouvoir et son utilisation
modifieront ensuite l'utilité qu'il aura et qu'il projettera de ce
pouvoir de penser et de faire.
Cette très courte partie retrace grossièrement
ce qui permet au chercheur penseur de se tracer un chemin dans ce qui fait son
pouvoir de réflexion. Ce laïus ne se prétend nullement
exhaustif ou suffisant à l'assise d'une réflexion, mais la mise
en lumière d'une tentative d'ancrage dans ce qui fait la science et le
pouvoir de la pensée d'un individu aura été amorcée
et me semble avoir sa place au sein d'un écrit qui relève d'un
effort de réflexivité. Qu'il puisse se combiner aux espoirs que
je lui porte serait une petite lucarne sur un monde des possibles qui n'a pas
encore conscience de lui-même.
17
Introduction générale
J'ai souvent eu l'occasion de comparer ce travail de
recherche à un véritable chemin de croix. L'étudiant,
soucieux d'être académiquement recevable aux yeux de ses pairs et
de ses enseignants, se doit de porter ce projet sur ses épaules, qui lui
pèse par la quantité de travail qui s'annonce, autant qu'il le
chérit par la profondeur d'esprit que ce travail lui procure. Le chemin
autant que son aboutissement représentent cependant un voyage personnel
et intellectuel sans pareil. Comme Bachelard le dit dans son oeuvre
La Formation de l'esprit scientifique (1938), rien
n'est construit, et si l'on veut trouver la réponse à sa
question, il s'agit de la produire. C'est ce chemin que «
l'apprenti-chercheur »1, est amené à emprunter.
L'activité intellectuelle en construction et en perpétuelle
restructuration, placée ici sous la métaphore d'un cheminement,
devient une confrontation entre soi-même, ses propres
représentations et des théories conceptuelles. C'est
précisément à cet endroit que la connaissance
s'établit. C'est du moins de cette manière que j'ai vécu
cette expérience.
Quel(s) chemin(s) ce travail a-t-il emprunté ?
Commencer par préciser ce qui m'a amenée en Albanie, terrain de
stage à partir duquel j'ai bâti mon travail, me permettra ensuite
de démontrer en quoi la problématique actuelle de mon
mémoire répond à la tournure qu'a prise mon
expérience professionnelle d'une durée de plus de deux ans dans
ce pays des Balkans. La transparence nécessaire à
l'activité même de la recherche et le récit de ce
cheminement me semblent être deux éléments à
développer, pour permettre au lecteur de saisir pleinement quelle
ampleur ce travail a pu prendre. Les questionnements retenus dans ce travail
ainsi que le champ d'étude concerné seront ensuite
présentés, avant d'entrer dans le corps de cette étude
reposant sur une contextualisation de l'enseignement - apprentissage du
français en Albanie, pour une meilleure définition de la
promotion et la diffusion de la langue et de la culture françaises.
Mon premier contact avec ce pays a eu lieu en 2011, et tout
à fait par hasard, puisque l'histoire commence quelques centaines de
kilomètres plus loin. A mi-parcours de mon année de Master 1 en
DFLE à Paris III, je me sentais armée d'outils didactiques
sérieux, mais leur application et leur utilisation me paraissaient
beaucoup plus incertaines. La campagne des stages longs MAE venait de s'ouvrir.
Familière du Moyen-Orient pour y être née et y avoir
1Désignation relativement courante dans des
ouvrages d'épistémologie et de méthodologie que j'ai
consultés, à titre d'exemple : L'entretien
compréhensif de Kaufmann (2011, 3° éd.)
18
grandi jusqu'à l'âge de dix ans, mes choix
s'étaient portés sur la Jordanie, et Barhein, dans la
péninsule arabe et c'est la base militaire d'Amman, capitale de la
Jordanie, qui accepte de me recevoir après étude de ma
candidature.
Cependant, mon maître de stage sur place me contacte
quelques semaines plus tard, pour m'annoncer que je ne pouvais pas être
reçue, ils auraient préféré avoir un stagiaire
homme (pour des raisons clairement transmises). Il ne me restait alors plus
qu'à choisir parmi les stages vacants. Les destinations qui
étaient encore proposées m'étaient toutes presque
inconnues, mais l'Albanie a retenu mon attention, car elle est située
dans une région géographique que je connaissais un peu mieux, par
les voyages que j'avais eu l'occasion d'y effectuer auparavant. Après
quelques échanges avec le CNOUS, je deviens la prochaine stagiaire MAE
à Elbasan, ville de province proche de la capitale du pays, Tirana. Je
suis partie dans ce pays sans rien n'en savoir, lestée par les
idées reçues qualifiant l'Albanie, dont on m'avait
affligée avant mon départ : trafic de drogues, prostitution,
mafia sont quelques-uns de ses domaines d'action (mé)connus. Je refusais
de m'accorder à croire aveuglément les idées qui
circulaient autour de la réputation des Albanais, mais je pressentais
toutefois que ça serait probablement plus compliqué de trouver
ses aises dans un contexte qui était vraisemblablement instable. La
Jordanie se serait inscrite dans un projet en accord avec mes aspirations
professionnelles de l'époque, alors que j'étais pourvue de
notions en arabe après avoir étudié cette langue pendant
mes premières années de scolarité, puis à nouveau
lors de mon assistanat de français aux Etats-Unis. De plus, je me
sentais proche de cette culture qui avait bercé mon enfance.
C'est finalement un coup du sort qui m'a emmenée dans
un autre pays, dont je pense maintenant qu'il est difficile d'en savoir quelque
chose tant que l'on ne l'a pas appréhendé, à ce que les
officiels albanais du tourisme ont appelé « le dernier secret
d'Europe ». Puis j'y suis restée une deuxième année,
en demandant le renouvellement de ma convention de stage, dans la même
ville. Mon adaptation avait été acquise au prix de larges efforts
d'intégration, je trouvais incongru de partir alors que je
commençais seulement à comprendre les rouages de ma situation en
Albanie, Pourquoi semble-t-il si difficile de percer le fonctionnement de son
contexte de stage et plus largement, de la société albanaise ? La
réponse pourrait se situer à l'intérieur même de
celle-ci. Albert Doja, anthropologue albanais reconnu pour ses recherches vis
à vis de la construction culturelle de la personne en Albanie, relate la
difficulté voire l'impossibilité pour l'individu albanais de
s'extraire du cercle familial tant la force de la
19
domination du chef de famille sur son foyer2
endigue toute initiative personnelle (2000). Les recherches de Doja se
concentrent sur les familles du Nord de l'Albanie, mais il précise que
ce phénomène peut également être observable dans les
régions rurales du reste du pays. On trouve ici une piste de
réponse, qui permettrait de s'orienter vis à vis de la
difficulté pour l'individu étranger à accéder
à ce qui anime profondément les Albanais, ici dans leur
rôle d'étudiant, à leurs motivations et leurs
représentations.
Les connaissances que j'ai acquises au fil de mes
études en FLE ne m'autoriseront pas à traiter d'un sujet portant
sur les principes de la construction de l'individu, ou encore moins de la
juger, cette thématique étant plus proche d'études
psychanalytiques que didactiques, bien qu'on m'ait souvent fait la remarque que
j'étais à cheval entre les deux. Cependant, il s'agit bien de
l'individu qui sort de ce cadre familial auquel l'enseignant a affaire dans sa
pratique professionnelle. Il me semble que c'est se placer des oeillères
que d'isoler l'individu sans prendre en compte le contexte dans lequel il
évolue ni les conditions dans lesquelles il est reçu pour
recevoir des connaissances, d'ordres linguistique et langagière en ce
qui nous concerne et ayant à trait à la formation identitaire, la
didactique ayant des allures d'intervention sociale (selon Beacco 2011 : 35),
la justification théorique de ce travail reprendra les concepts auxquels
j'ai associé mon étude. Accéder aux motivations, aux
représentations, au contexte social et par extension, historique, des
Albanais a mobilisé la plus grande partie de mon attention et de mon
énergie. Plus j'avançais, et plus je réalisais que le
problème ne se situait pas uniquement au niveau micro, celui de mes
apprenants et de leur contexte de vie, mais également dans les strates
d'action supérieures, et parfois dans des sphères qui ne
dépendent pas de l'action ou de la volonté des individus
d'aujourd'hui. J'avais le sentiment de devoir résoudre un nombre
toujours plus grand de situations souvent complexes, avant d'être en
mesure de faire ce qui m'avait amenée en Albanie : enseigner et
promouvoir ma langue maternelle et sa culture affiliée à un
public étranger. Outre la remise en question que j'effectuais
vis-à-vis de mes techniques d'enseignement, à mon agir
professoral et à mon utilisation des méthodes imposées, la
question prégnante qui s'est imposée à ma conscience
d'enseignante mais aussi de coordinatrice d'activités culturelles peut
se formuler de cette manière : de quoi s'agit-il lorsqu'on
s'intéresse au contexte d'enseignement - apprentissage du FLE en Albanie
? Ces questions remplaçaient irrésistiblement celles qui devaient
orienter ma conduite didactique, pas tellement par choix, mais parce que mon
rôle d'enseignante et ma place de native en contexte étranger
révélaient des problématiques dépendantes de la
didactique, mais qu'il fallait éclaircir avant de pouvoir faire ce qu'on
attendait de moi. Cette
2 Sa traduction en albanais « vatër »
relate mieux la force du noeud familial dans la société
albanaise.
20
question que je formule reprend les questionnements
lancés par les acteurs locaux de la promotion et de la diffusion du
français en Albanie, et ils n'ont pas toujours de réponse, ou pas
toujours celle qu'ils voudraient bien pouvoir formuler. Nous verrons à
l'issu de ce document s'il est possible que nous en formulions une.
Dans la construction d'un objet scientifique clair et concis,
le problème réside en ce que c'est une question dont la
réponse dépend parfois de diverses disciplines. De plus, lorsque
l'on fait face à un contexte pratiquement inconnu des cercles
intellectuels et scientifiques français ou étrangers, l'apprenti
chercheur a l'impression de devoir tout faire tout seul et la quasi inexistence
de sources et la question de leur viabilité rendent le chemin plus
compliqué, mais tout aussi passionnant. On peut vite se perdre dans des
considérations soit trop larges, soit trop précises qui
pourraient vite biaiser l'analyse faite à partir d'un problème
donné, c'est du moins ce que ma difficulté à réunir
une bibliographie concernant l'enseignement - apprentissage des langues
étrangères en Albanie a pu provoquer parfois. Cette absence
d'informations générales vis à vis du contexte albanais,
excepté le rapport de l'OCDE intitulé « Examen des
politiques nationales d'éducation d'Europe du Sud-Est » (2003,
basé sur des données datant de 19983), peut vite
amener l'apprenti chercheur à se perdre dans une masse d'informations
qui paraît pourtant nécessaire à une bonne
compréhension de cette problématique.
La première partie de l'introduction aura permis de
partager avec le lecteur les raisons pour lesquelles j'ai décidé
de m'intéresser à l'Albanie. Il s'agit également de savoir
se positionner en tant que producteur et scripteur d'une réflexion
personnelle argumentée. Voyons à présent l'objectif de
l'élaboration de ce travail qui prend la forme d'une contextualisation
du champ de l'enseignement / apprentissage du français en Albanie, mis
en relation avec la promotion et la diffusion de la langue et de la culture
françaises. J'ai conscience que je réunis dans cette étude
deux champs disciplinaires porteurs de problématiques bien distinctes,
mais qui se sont révélés interdépendants dans mon
approche professionnelle et c'est entre ces deux rôles que j'ai
incarnés en Albanie, que se situe ma problématique.
Afin de replacer ce travail dans une perspective plus large
de partage des connaissances et des savoirs, un bref rappel des travaux
menés par des spécialistes en didactique en rapport avec mon
travail sera effectué. Ces articles m'ont également aidée
à
3Soit un an après la fin de la guerre civile
qui a profondément affaibli l'Albanie (suite à l'effondrement de
pyramides financières fomentées par le gouvernement de
l'époque).
21
orienter l'étude que j'ai moi-même
effectuée. J'ai pu constater que peu d'études relatives à
l'enseignement - apprentissage du français avaient été
effectuées en Albanie. Beaucoup moins concernent la situation actuelle
et l'avenir de la diffusion de la langue et de la culture françaises
dans ce pays. Un thème assez récurrent a d'ailleurs
été traité : il s'agit de l'application du CECR dans les
programmes et dans les pratiques d'enseignement, cher aux officiels albanais de
l'enseignement et de l'éducation, en partie pour la raison suivante :
celle de pouvoir un jour intégrer l'Union Européenne, l'Albanie
ayant obtenu le statut de candidat à l'adhésion à l'UE en
juin 2014, après avoir répétitivement déposé
des dossiers d'étude de candidature. En ce qui concerne le domaine de
l'enseignement, le gouvernement albanais a premièrement classé le
développement de ce domaine dans ses priorités budgétaires
(Service économique régional Danube-Balkans, 2013 : 2). Ensuite,
le Ministère de l'Education et des Sports albanais (désormais
MASH) a déjà effectué un certain nombre de réformes
relatives aux programmes et au rôle que l'école joue en tant
qu'institution, en particulier pour dépolitiser l'enseignement
après la chute du communisme. Cependant, la révision des
curricula éducatifs et universitaires dans une visée d'alignement
au CECR (Haloçi, 2008 et 2011) semble poindre comme une
nécessité de premier ordre, d'après ces auteurs, tant dans
la nécessité de proposer des formations diplomantes
alignées sur les standards européens (Dh. Hoxha, 2009) que dans
la volonté de promulguer une éducation ouverte visant à
développer les compétences plurilingues (Vishkurti, 2012) et
interculturelles des apprenants et des enseignants albanais (Dh. Hoxha, 2008
& 2011). Un autre thème bien moins prolifique est celui de la
situation de la Francophonie en Albanie, nous citerons alors Andromaqi
Haloçi dans sa communication à la XXIIIème Biennale de la
langue française (2009), et Silvana Vishkurti dans une autre
communication dans un colloque international à Sofia intitulé
« Le français de demain : enjeux éducatifs et professionnels
» (2010), cependant, nous tenterons de dire dans cette étude que
ces deux thèmes de ce qui est vu comme une amélioration de
l'enseignement et son caractère politique sont interdépendants et
nous verrons en quoi il peut être nécessaire que cela soit pris en
compte par les acteurs locaux de l'enseignement du français. Saluons
également au passage l'initiative et la contribution largement reconnus
de Barbara Ben-Nacer et de Julie Favre pour avoir consacré leurs
mémoires de Master DFLE à l'Albanie. La première a
traité des représentations du français dans la
société albanaise et de l'impact que cela peut avoir sur
l'enseignement de la langue, tandis que la deuxième aurait traité
de l'agir professoral d'enseignants albanais et plus particulièrement de
l'impact de techniques d'enseignement recommandées sous le régime
communiste sur les publics apprenants d'aujourd'hui4.
4J'adresse par ailleurs mes plus sincères
remerciements à Barbara qui aura accepté de me laisser
consulter
22
A l'heure où l'acquisition de compétences
plurilingues semble être décrite entre autre, comme une
nécessité pour mieux développer son esprit et la
potentialité des échanges entre les individus (Moore et al.,
2002), veine dans laquelle ce travail s'inscrit, on déplore
simultanément le fait que la francophonie en Albanie soit victime d'un
manque d'intérêt flagrant et grandissant. Afin d'endiguer ce
phénomène, les départements de français des
universités albanaises autant que les sections bilingues de
l'enseignement secondaire et les organismes privés (Alliances
Françaises et associations) se voient devoir simultanément axer
leurs efforts sur l'image qui véhicule autour de la langue et de la
culture françaises, autant que de parvenir à intéresser
les apprenants qui se trouvent à étudier le français,
malheureusement et trop souvent par hasard. Tiraillés entre deux combats
essentiels pour la survie de la présence du français en Albanie ,
cela fait beaucoup de travail pour les seuls individus concernés qui
sont dans la majeure partie des cas, enseignants de la langue française
dans une école publique, ainsi qu'agents promoteurs de la langue et de
la culture française. Alors que les acteurs locaux de la promotion et de
la diffusion de la langue et de la culture française soulignent
l'importance du CECR et son application dans le système éducatif
albanais, il m'a semblé qu'il manquait une base informative qui
permettrait de se constituer un certain nombre de repères, si l'on
s'intéresse au contexte auquel j'ai eu affaire ces deux dernières
années, de la même manière qu'il semble y avoir une
distance entre les actes didactiques, leur répercussion sur les acteurs
concernés, les besoins et la volonté de ces mêmes acteurs,
ce que nous verrons globalement ici. Soucieuse de vouloir joindre mon
expérience personnelle aux connaissances mises à disposition par
les enseignants chercheurs que j'ai cités ci-dessus, j'espère
humblement pouvoir apporter un éclairage particulier et une modeste
contribution quant à la réflexion portée aux politiques
linguistiques et éducatives albanaises et aux changements à
opérer dans l'enseignement - apprentissage des langues
étrangères.
Appuyé de notions conceptuelles constructivistes et
d'une approche qualitative de mon terrain d'étude, ce travail proposera
une analyse des politiques engagées vis-à-vis de la situation du
français en Albanie, centré sur le milieu universitaire albanais.
Je m'interrogerai dans ce travail sur les intentions, les enjeux et les
modalités qui animent le monde albanais de l'enseignement-apprentissage
des langues étrangères et puis plus particulièrement du
français à travers ces questions :
- Quelle est la place du français dans la
société et dans l'enseignement supérieur en Albanie ?
Cette place a-t-elle évoluée, autrement dit : quelle est
l'histoire de cette place
son mémoire. Malgré mes demandes
répétées pour consulter le travail de Mme Favre, je serai
restée sans réponse.
23
accordée au français ?
- Quelles sont les représentations des acteurs de
l'enseignement - apprentissage du français sur leurs pratiques et sur
leur rôle de promoteur de la langue française ?
- Dans quelle mesure la contextualisation de l'enseignement -
apprentissage peut-elle répondre aux besoins d'une meilleure
promotion de la langue française dans le système éducatif
albanais ?
Ce sont autant de questionnements auxquels je
répondrai à partir d'outils propres à la
sociolinguistique, à la didactique, contribuant à une
volonté de mettre en place une étude glottopolitique de la
situation de promotion et de diffusion d'une langue et d'une culture
étrangères, sous l'angle des rapports contextualisés entre
langue et éducation, dans un travail qui comportera trois parties. La
première partie portera sur la conceptualisation de l'objet
d'étude autant que sur les soubassements méthodologiques et
épistémologiques appropriés à ce sujet. La seconde
partie présentera des éléments de contextualisation de
l'histoire de l'Albanie, des Albanais et de l'institution éducative
albanaise permettant d'identifier le rapport des locuteurs albanais à
l'Ecole et à l'Université. La troisième partie
s'intéressera plus particulièrement à l'adaptation des
locuteurs susmentionnés aux changements des politiques linguistiques et
éducatives. Pour cela, l'histoire puis l'état actuel des
relations franco-albanaises sera traité. Puis, un panorama de la place
des langues étrangères et du français, dans l'enseignement
supérieur albanais sera élaboré. L'objectif de la
quatrième partie est finalement de présenter les interventions
des acteurs et des institutions concernées par l'enseignement et la
promotion de la langue française, et dans quelle mesure elles
s'inscrivent dans la volonté qu'ils expriment de procéder
à un changement dans les conceptions du français, de sa culture,
autant que d'inscrire la volonté de ces changements dans un cadre
d'action qui dépasse la seule action didactique dont ils ont
déjà la charge. Cette partie permettra également
d'identifier en quoi les locuteurs albanais se trouvent à un croisement
de leurs pratiques sociales et éducatives, où se forgent leurs
rapports idéologiques et identitaires vis à vis de la langue
étrangère (LE) appréhendée. C'est également
dans cette partie que sera proposée l'analyse de l'enquête
effectuée auprès du public universitaire albanais, pour
déboucher sur une ouverture des perspectives pour une meilleure
promotion de la langue française.
Placée sous la volonté de contextualiser ce
rapport entre langue, éducation et promotion linguistique en Albanie,
cette étude a l'ambition d'éclairer les fondements même de
notre contexte, autant que de proposer des pistes de réflexion vis
à vis du contexte
24
d'enseignement - apprentissage du français en Albanie,
indissociable de celui de la promotion de cette langue. L'étude de ces
deux domaines en interaction, permettrait modestement de donner une meilleure
connaissance du contexte albanais autant qu'elle pourrait participer à
un éclairage particulier vis à vis de la diffusion de la langue
française.
CHAPITRE 1 : Approches notionnelles et
soubassements conceptuels : pour une contextualisation de la
pensée
25
« Pour un esprit scientifique,
toute connaissance est une réponse à
une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance
scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit.
»
Gaston Bachelard
26
Introduction
Cette première partie s'attardera
nécessairement à ce qui a constitué mes premiers pas sur
le chemin de la réflexion. L'idée de ce mémoire n'est pas
de présenter un panorama exhaustif de la problématique de
l'enseignement-apprentissage du français en Albanie car le traitement
complet de cette problématique ne trouverait pas sa place dans un
mémoire d'une telle ampleur, en particulier à cause de la
variabilité contextuelle de chaque ville. Je précise ainsi
dès le début que je tente ici d'établir une base de
compréhension de ce que cette problématique sous-tend, et ainsi
de contribuer à une réflexion qui occupe depuis quelques temps
les réflexions des cercles de l'enseignement et de la promotion
linguistique en Albanie. Cependant, je reprendrai ici Reuter (2008 [1995])
quand il définit l'approche à adopter dans une démarche de
recherche en didactique : penser à tout en même temps fait de
l'objet d'étude de la DDL un possible complexe mais
presque incontournable, ce qui me semble particulièrement
caractériser notre contexte5. En optant pour une approche
employant un croisement de concepts propres à la sociodidactique,
domaine que je présenterai dans dans cette première partie, je
présenterai ici le chemin emprunté qui aura permis de parvenir
à l'élaboration de cette étude, ainsi que ce qui m'a
amené à opter pour cette approche.
Débuter par isoler les notions qui me semblaient les
plus opératoires dans la définition du contexte albanais m'est
apparu comme une base relative, car on peut difficilement isoler les objets
d'études les uns des autres et de les compartimenter en disciplines
distinctes et indépendantes (Ricoeur, 1977 : 126). Cependant, cette base
aura été nécessaire car cela m'aura permis d'identifier
les problématiques sous-jacentes à la thématique que je
souhaite développer ici. Je procèderai donc à la mise en
lumière des définitions opératoires que j'ai
sélectionnées puis à une nécessaire mise en
relation de ces définitions afin de constituer la charpente
théorique de ma réflexion. Il s'agira donc de rendre compte dans
un premier temps des notions et des concepts propres à la langue avant
de les réintégrer dans notre cadre d'étude à savoir
: la didactique des langues (DDL), en regardant ce qui est fait de la langue,
du
5 «[...]la didactique du français doit
(peut) penser la complexité, en tenant compte d'un côté de
l'impossibilité constitutive de la recherche (ou, plus exactement, de
chaque recherche) de tout penser en même temps et sous tous les angles ou
d'entériner ce qui n'est guère qu'un point de départ : la
complexité de l'objet réel; en tenant compte de l'autre
côté de sa spécificité et du fait qu'elle traite des
relations entre des objets et des sujets, indissociablement cognitifs,
affectifs, sociaux, culturels...[...] Cela signifie que la position de
principe, dans notre champ, me paraît plutôt consister en la
volonté de construire les conditions de possibilité pour penser
le complexe plutôt qu'en l'affirmation préalable d'une
impossibilité qui risque de nous `renvoyer` (de nous enfermer) dans
telle ou telle discipline de référence ou, du moins, dans tel ou
tel courant de celle-ci qui, en terme de paradigme, tend à
éliminer la pensée du complexe» (REUTER, 2008 [1995] :
215-216)
27
point de vue idéologique puis didactique dans le cadre
de l'école. Dans la mesure où le terme de sociodidactique ne
semble pas encore provoquer de réel consensus, le choix conscient aura
été opéré de répartir les deux objets
d'intérêt principaux en deux parties distinctes, avant qu'elles ne
se retrouvent dans la troisième partie où il s'agira de
présenter les enjeux et les limites de l'approche employée.
I/ De notre intérêt : la langue en action
1.1. Langue(s), locuteurs et société :
l'utilité de la sociolinguistique
L'étude de la langue en tant que système s'est
longtemps trouvée sous la coupe des spécialistes de la
linguistique, portés par les travaux de Ferdinand de Saussure,
considéré comme le père fondateur de la linguistique
moderne. C'est tard dans le XXème siècle que la langue n'est plus
considérée comme un système isolé. L'attention est
tournée vers ses usages et son évolution, directement
reliés et dépendants du contexte dans laquelle la langue existe.
Les travaux de Labov (1976) permettent d'envisager l'objet langue d'une
manière nouvelle, étudiant « la structure et
l'évolution de la langue (...), mais
considérées au sein du contexte social formé par la
communauté linguistique », conférant à
la langue un caractère dynamique, complexe et surtout une fonction
sociale. Nous rappellerons, par honnêteté intellectuelle,
l'influence du contexte sur la structure systémique de la langue, mais
ce regard ne sera pas retenu dans notre étude dans la mesure où
nous nous intéressons aux facteurs contextuels ayant une influence sur
les pratiques et la formation des représentations d'un groupe de
locuteurs étudié émises à l'égard de l'objet
langue, sans que cette volonté ne retire aucunement
l'intérêt de cet autre genre d'études
sociolinguistiques.
Au niveau macro, la langue est, à travers son
utilisation, observée par les sociolinguistes, pour ce qu'elle permet de
faire et de produire chez les individus, dans leur rôle social. Du
rôle social de la langue, Klinkenberg nous propose que la langue soit un
« soubassement des identités collectives et le ciment du groupe
» (2001: 27), ce qui nous confirme que la langue ne doit pas seulement
être vue comme une construction systémique mais qu'elle a
également une fonction dans l'organisation sociale : celle de
concrétiser les identités et d'avoir le potentiel de les
solidariser.
À ce titre, Patrick Charaudeau (2006) décrit
les fonctions du langage en contexte dans un rapport sur les modalités
d'analyse de la construction de l'identité et de la construction sociale
et culturelle d'un individu. Ces fonctions sont celles de la socialisation, de
la pensée et
28
des valeurs. Dans cette étude, nous nous
intéresserons justement à la troisième dimension selon
laquelle le langage concrétise les valeurs portées par un peuple
et par les individus à travers une langue choisie : « dans la
mesure où les valeurs ont besoin d'être parlées pour
exister et que, ce faisant, les actes de langage qui en sont les porteurs sont
ce qui donne sens à nos actes » (ibid. :
§2). Moscovici (1961) intègre justement les valeurs
développées par un peuple, dans le système de
représentations sociales qui soutient le ciment de la
société.
1.2. Langue et
représentations
Nous accorderons la définition voulue à
l'identification d'une des notions utilisées dans ce travail, à
savoir : qu'est-ce qu'une représentation ? En psychologie sociale,
(autant que dans d'autres disciplines telle que la psychanalyse), Jodelet (1989
in Boyer 1990 : 102) dit qu'une représentation est « une forme de
connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une
visée pratique et concourant à la construction d'une
réalité commune à un ensemble social ». Le traitement
de l'expérience sociale des individus par le langage offre donc un monde
que les sociolinguistes décodent dans le but de comprendre autant ce qui
est fait de la langue, que ce qu'elle véhicule en termes de symboles et
de valeurs.
Jodelet (ibid., 102) précise
à ce titre qu'une représentation est aussi : « une forme de
savoir pratique reliant un sujet à un objet ». La notion
d'idéologie peut toutefois venir influencer la formation de ces «
savoirs pratiques » par une orientation qui conviendrait à
l'État sur le pouvoir qu'il possède sur la nation, comme le dit
Moliner (in Roussiau & Bonardi 2001 : 194) : « tout système
idéologique étant régulé par des fonctionnements
institutionnels parfois rigides prescrit ou interdit, et en tous cas
sélectionne, l'intégration de bon nombre d'informations ».
Cette citation s'applique parfaitement à l'orientation politique
marxiste-léniniste de la deuxième moitié du XXème
siècle en Albanie, ce qui révèle l'idée selon
laquelle la politique communiste aura fait le tri dans les idées
véhiculées, pour ne garder que ce qui est conforme à
l'idéologie politique en place. Vingt années après la
chute du régime, peut-on encore dire que l'idéologie a un impact
sur les représentations sociales ? En théorie oui, si l'on
décide de regarder son terrain d'études en diachronie, bien que
le pluralisme politique ait a priori adouci cette
ex-uniformité psychologique et culturelle (plusieurs idéologies,
naissance de représentations différenciées ?). Nous ferons
ici référence à une théorie qui nous paraît
utile dans cette réflexion à savoir que les
représentations se construisent à partir des idéologies en
circulation (en référence aux travaux de Guenier, 1997). Cette
conception de la langue fait particulièrement écho à notre
contexte, ou plutôt à son passé, dans la mesure où
l'Albanie
29
communiste de 1944 à 1991 a imposé une
conception de la langue idéologiquement et politiquement
orientée, forgeant les représentations identitaires et
linguistiques des Albanais en faveur de ce que Boyer appelle le nationalisme
linguistique : « l'idéologie nationaliste, comme articulation de
représentations, opère une sélection et une
hiérarchisation à partir d'un ensemble de repères
identitaires » (Boyer, 2012 : 4).
Les politiques linguistiques passées auraient alors
affronté la gestion par les locuteurs de leurs pratiques linguistiques,
au profit de la construction identitaire et nationale de ce peuple. La langue
au profit de la nation et par extension de l'État (dans notre contexte)
aura certes permis de faire un grand nombre de découvertes scientifiques
et historiques vis-à-vis du patrimoine et de l'histoire du peuple de ce
pays ; cependant, cela aura également permis d'asseoir la politique
communiste d'Enver Hoxha (Jandot, 2000 : 40). La langue maternelle aura ainsi
occupé une place centrale autodéterminée, tandis que les
langues étrangères (et le rapport à
l'altérité engendré par le contact de locuteurs à
des codes linguistiques « étrangers », décliné
plus loin dans ce travail) n'auront été promulguées que
pour servir le régime politique : « l'idéologie
marxiste-léniniste du parti doit parcourir comme un fil rouge tout le
processus didactique et éducatif de l'école » (Alia, 1988 :
173).
Relier ici le niveau micro de l'observation des pratiques
linguistiques et les représentations qui y sont attachées, au
niveau macro, échelle institutionnelle des décisions et de la
politique permet de se rattacher à la conception de Calvet (2013) quand
il défend la séparation de ces deux niveaux de vie et d'action.
Les représentations sociales sont finalement intéressantes
à observer quand elles sont remises dans leur contexte d'ancrage et
d'objectivisation, à savoir quelles modalités permettent aux
représentations sociales nées dans une dynamique
communicationnelle, de trouver le ciment nécessaire à leur
signification, leur compréhension et leur sédimentation.
Autrement dit, quels facteurs influencent dans notre contexte la naissance et
le partage des représentations à l'égard de la langue
française ? On pourra rappeler ici De Robillard qui précise que :
« un être ne construit pas des représentations concernant ce
qui l'indiffère » (2011 : 24), l'appropriation de
l'expérience empirique par un individu provoquant par conséquent
la naissance de formes détentrices de sens et ré-exploitables
quand acceptées par d'autres. Maurer (2011) attire
particulièrement l'attention sur les représentations
sociales ordinaires, qui sont un tissu de croyances
collectivement partagées en ce qu'elles constituent le matériel
empirique d'une communauté donnée. Ces représentations ont
leur importance en ce qu'elles sont des témoins de la façon dont
les individus vivent leur « univers ». L'étude de ces
représentations permet au chercheur et dans notre cas, de trouver un
ciment à l'élaboration de sa compréhension d'un monde dont
il a une
30
expérience. Cependant, et particulièrement quand
on en vient à l'étude des représentations portées
par un groupe d'individus à l'égard d'un objet circonscrit, les
consciences se raidissent, car les représentations ne sont pas
directement observables, mais relatées à travers le discours et
les attitudes des individus interrogés (Moscovici, 1976 ; Abric, 1994).
Il revient alors au chercheur de savoir situer l'usage qu'il fait des
représentations et de les situer en contexte.
Qu'en est-il aujourd'hui alors que l'Albanie tente de
démocratiser ses manoeuvres pour s'adapter aux standards de l'Union
Européenne ? Quelle est la place accordée aux langues
étrangères maintenant qu'elles ont libre droit de circulation en
Albanie ? Quel est le statut accordé à la langue française
par ses apprenants en contexte universitaire ? Dans le choix qui a
été fait dans ce travail de mieux comprendre la situation
linguistique de cette langue en Albanie, nous accorderons un regard sur cet
élément de la vie des locuteurs observés. C'est ainsi la
place qui sera accordée aux représentations vis-à-vis de
la langue française dans cette étude, et nous tenterons de
vérifier à l'issu de celle-ci qu'elles peuvent être
expliquées à travers les valeurs qui appuient le peuple albanais
dans leurs relations à la société de leur temps.
1.3. Identité et altérité : de
l'expérience des langues et de leur appréhension
Nous pourrions commencer par nous interroger sur
l'appellation en albanais concernant la première langue acquise par un
individu, formant sa capacité au langage, qui est étudié
pour le cas albanais par Rrokaj (2014) sur l'analyse des catalyseurs du
message, donnant un très bon aperçu de ce qui caractérise
les conditions dans lesquelles la communication s'effectue en albanais et
surtout, ce qui la motive6. Deux variantes existent en albanais,
l'une appartenant à un registre plus littéraire tandis que
l'autre est plus courante. La « gjuhë amëtare » mentionne
la langue appartenant à l'indigène, au natif, à celui qui
est originaire d'un pays ou d'une région. La deuxième variante
propose un sens qui peut affilier à la mère, « gjuhë e
nënës » : littéralement la langue de la mère, qui
est par ailleurs plus couramment usitée que la première
appellation. Je laisserai ici une place au débat qui est né de ma
demande d'informations auprès de mes différents interlocuteurs
qui m'auront précisé que « amëtar » et « e
nënës » avaient le même sens, même après que
j'ai essayé de leur présenter la différence dans
l'affiliation accordée : l'une étant celle au sol, tandis que la
deuxième fait référence à la mère.
L'affiliation à la mère et celle à la terre sont-elles
concordantes pour les
6 Il serait intéressant d'observer les
échanges en LE par les albanophones au regard de l'ethnographie de la
communication.
31
Albanais ? Je laisse cette appréciation à des
spécialistes en sémiologie qui pourront pousser cette
étude, mais la remarque reste frappante, et nous nous
intéresserons en chapitre 2.
De l'autre côté, l'appellation accordée
à une « langue étrangère » se traduit par «
gjuhë e huaj » qui ne traduit pas autant le caractère
extérieur que l'adjectif « jashtë » paradoxalement
accordé à ce qui est extérieur à un système
donné, nous donnerons à titre d'exemple : un enseignant vacataire
est qualifié de « jashtëm », extérieur
(ou plus rarement de « përkohshëm »,
temporaire). Alors que la langue française
(pour se concentrer sur cette langue) n'utilise qu'un seul qualificatif pour
définir ce qui est extérieur à un peuple ou une nation, la
langue albanaise en propose deux. L'étranger ou le caractère
étranger d'une personne et de sa langue semblent donc avoir un statut
particulier dans la désignation faite ici en langue albanaise, qui pour
le cas du Nord du pays rejoignent cette règle coutumière
où il est condamné de fermer sa porte à l'ami et à
l'étranger (en référence au Kanun de Dukagjin, code de
lois coutumières à l'oeuvre dans le Nord). Ce n'est pas sans
rappeler que la langue albanaise a elle-même un statut particulier dans
les écoles et dans l'histoire de cette langue. Ainsi, une étude
vis-à-vis du rapport de l'Albanie et des Albanais aux étrangers
permettrait de mieux comprendre le sentiment d'appartenance ethnique, plus que
« nationaliste », et viserait à s'interroger quant à ce
rapport particulier entretenu par les Albanais avec ce qui se situe
au-delà de leurs frontières, ce qui sera effectué en
chapitre 2.
Cette distinction entre langues premièrement et
secondairement acquises reste pertinente dans notre étude dans la mesure
où un apprenant partira de ses acquis linguistiques premiers ou
précédents avant d'aborder une langue étrangère
nouvelle. À travers l'appréhension d'une langue
étrangère, l'apprenant est dans l'expérience de
l'altérité :
« Accéder au `sens étranger' (Besse, 2000)
revient sans doute, à admettre que l'autre / les autres langue(s)
comporte(nt) toujours une part de différence, à laquelle on ne
peut totalement accéder ; ce qui se traduirait alors, d'abord, par une
prise de conscience des conséquences profondes de
l'altérité et de l'irréductibilité de la part
incompréhensible (parfois minime certes, mais toujours présente)
de l'autre et de sa parole ». (Castellotti, 2011 : 130)
Finalement, un code linguistique nouveau, qui va de pair avec
son appréhension et son assimilation dans notre étude, n'occupe
pas une place statique quand on sait « qu'une langue cesse d'être
étrangère au fur et à mesure qu'on avance dans son
apprentissage ! » (Dabène 1990 : 15). De nombreuses études
en didactique et en sciences humaines et sociales (SHS) se concentrent sur la
place accordée à une langue et à son apprentissage dans la
construction identitaire d'un individu plurilingue. Cet aspect bien que
très intéressant à étudier en Albanie par le
rapport unique de ce peuple à l'étranger et à l'Autre sera
survolé à regret dans ce
32
travail et je pense sincèrement que c'est un
thème difficile à aborder de l'extérieur en particulier
quand elle est menée par un sujet étranger à un contexte
donné (que la présence du chercheur soit participante ou non).
Cependant et dans notre contexte où le choix des langues
étrangères proposées dans les écoles de tous
niveaux scolaires est malheureusement obscur et incertain, l'expérience
de l'altérité se trouve lourdement lestée d'a
priori et ceci, avant même que l'apprenant n'ait pu se
forger sa propre expérience, ce que nous verrons à l'issu de
cette étude.
Les biographies langagières de chacun conduisent
à une définition bien personnelle de la façon dont chacune
des deux sont vécues. Cependant, la question de la place de la langue
maternelle sur laquelle un apprenant en LE se reposera plus naturellement pour
construire son expérience d'un code linguistique nouveau est importante
à prendre en compte. Les deux entités linguistiques qui nous
intéressent (LM et LE) ne devraient pas se faire face, comme le
proposent Porcher (2012 : 131), ou Moore qui précise à travers
les mots de Hickel l'idée suivante :
« La notion de langue maternelle commence à
être remise en question pour son inadéquation à s'adapter
à la description des pratiques plurilingues dans les situations de
contacts de langue. En contexte plurilingue en effet, il devient hasardeux de
réussir à identifier ou à caractériser la langue
maternelle des individus, sans enfermer la compétence des locuteurs dans
des catégories préconstruites et étanches, qui ne peuvent
rendre compte de la dynamique et de la fluidité discursive des passages
entre les langues » (Hickel, 2007, §14).
Les langues, comme la sociolinguistique le stipule, vivent en
contact et isoler une langue ne serait pas pertinent pour la raison où
cela ne correspondrait pas à la réalité. Les
sociétés d'aujourd'hui et l'accès à l'information,
et à ce qui dépasse ses frontières (individuelles ou
collectives) s'effaçant de plus en plus, il en irait de même avec
les langues, qui s'influenceraient mutuellement. Ce postulat devra être
vérifié. À nouveau, l'objet langue n'étant pas un
système isolé de son temps et de son contexte, il serait attendu
qu'elle évolue au gré de ces deux facteurs essentiels à
prendre en compte : le temps et l'espace dans lesquels elle existe, à
travers, de manière presque évidente, les locuteurs qui rendent
l'existence à cette langue.
Ce n'est pas sans rappeler que l'on m'avait initialement
orientée vers une étude des représentations des Albanais
vis-à-vis de leur langue maternelle. Cependant, mes lacunes en
compréhension de cette langue m'auront empêchée de pouvoir
aisément suivre cette voie et de l'approfondir bien qu'une introduction
à cet aspect des représentations linguistiques des Albanais sera
abordée. Ce ne sera pas sans mentionner, toutefois, l'importance de
la
33
considération de la langue maternelle dans
l'étude des représentations portées à
l'égard d'une langue étrangère. Cette étude serait
par ailleurs très intéressante si l'on considère que la
langue albanaise n'a obtenu droit de cité dans les écoles
qu'à la toute fin du XIXème siècle. Qu'en est-il cent ans
plus tard ? À ce propos, la linguiste Fatime Neziroski exprime dans un
de ses articles que : « La langue est, après l'échec des
armes7, au coeur de la lutte pour l'affirmation de l'identité
nationale (...). En l'absence d'un État, elle contribue largement
à forger l'unité de la nation albanaise » (2009).
II/ De notre domaine d'études : la place
de la langue en contexte social et institutionnel
2.1. Société et
éducation
L'Université étant le terrain d'études
qui m'aura été donné d'expérimenter en grande
majorité, une importance sera accordée au rôle joué
par cette institution sociale, en fonction de regards variant en niveaux
d'analyse : du point de vue symbolique et historique, en tentant de relier ces
deux points de vue à la société albanaise d'hier et
d'aujourd'hui. A l'heure où l'on examine le choix que l'on porte vers
telle ou telle formation universitaire en fonction des possibilités
professionnelles de demain, on ne peut pas exclure que la définition de
l'Université selon son rôle dans la société pourrait
apporter un éclairage certain sur notre contexte. Par ailleurs,
certaines théories des sciences de l'éducation stipulent que
l'éducation et la politique sont deux domaines relatifs à la vie
sociale qui sont indissociables par leur grande dépendance l'un de
l'autre (Gelpi, 1985 : 164), ce qui permettra à notre étude de
trouver une part de sa consistance et particulièrement dans le sens
où « l'Université est l'instrument d'une adaptation (...) de
la société à ses changements » (Touraine, n.d.).
Dans ce rôle attribué à
l'Université de former les générations futures, il est
donc impossible d'éviter le débat (vraisemblablement
caractéristique de notre époque) qui est celui de la
difficulté des universités à suivre le rythme de
sociétés en changement constant. Cette difficulté
d'adaptation s'expliquerait entre autre par les termes de Touraine dans
l'Encyclopédie Universalis :
« le rôle croissant de la connaissance, la
rapidité des changements économiques et sociaux, l'extension de
toutes les formes de participation et de contrôle social ont
imposé au système
7 En référence à la ligue de
Prizren de 1878, qui se réunit pour tenter d'imposer son
indépendance à l'Empire Ottoman, considérée comme
l'événement majeur du mouvement des Lumières albanais (en
référence aux Lumières français).
34
universitaire des tâches plus diversifiées, si
différentes même les unes des autres qu'on peut se
demander si elles continueront à être remplies
par la même organisation » (Touraine, n.d. §1) Le rôle et
la demande de souplesse demandés par nos sociétés modernes
à l'adresse de nos universités complexifieraient la tâche
idéalement accordée à ces hauts lieux de connaissance et
de production du savoir, qui revêtiraient trop vite les lignes des
entreprises dans lesquelles les étudiants d'aujourd'hui seront
employés au lendemain de leurs formations (Dubois, 1997 : 13). Les
termes de « marchandisation du savoir », « économie
» et « rentabilité de la connaissance » sont tout autant
employés quand il s'agit de tenter d'attirer l'attention sur un
nécessaire redressement de cap du rôle de l'Université
(Lorenz in Charle & Soulié (dir.) 2008 : 34). Une
redéfinition du rôle de l'Université serait à
entrevoir, afin de permettre à cette institution de continuer à
remplir son rôle de formation cognitive, sociale et professionnelle et
l'UNESCO) mettait déjà en garde vis-à-vis de la
nécessaire responsabilité publique de l'Université en ces
termes :
« Si on veut que l'enseignement supérieur
continue d'être reconnu comme une responsabilité publique, il faut
penser à des manières de porter cette responsabilité dans
des sociétés modernes, complexes, afin de s'assurer que l'Europe
continue à encourager et à développer l'université
comme une lieu de réflexion et de discussion, un lieu qui soit assez
proche de la société moderne pour être pertinent et qui
garde toutefois la distance nécessaire en vue d'encourager la
pensée critique nécessaire non seulement pour des remèdes
immédiats mais aussi pour des solutions à long terme ».
(Unesco, 2006 : 7)
L'État a besoin de l'Université pour
accéder à ce qui constitue les valeurs de la
société ; autant que l'Université permet de
préparer les individus de la société et de l'État
de demain, ou du moins en théorie et dans une société qui
s'assurerait d'un minimum de démocratie. Le dialogue entre ces deux
strates de la vie sociale s'établirait par le discours tenu dans les
politiques déterminées pour permettre l'organisation de la vie
des citoyens d'un peuple.
Finalement, on ne pourra ici écarter l'Histoire d'un
peuple pour comprendre les valeurs qui sont diffusées à travers
le rôle projeté à l'éducation, dessinant ainsi les
lignes morales et fondamentales des institutions de l'enseignement
supérieur d'un pays. La place de l'Université dans une
société et les rapports qu'elle entretient avec cette
dernière dépendent de l'histoire accordée et vécue
par cette institution. Chaque pays possède sa propre histoire et culture
éducatives et le rôle symbolique accordé aux institutions
scolaire et universitaire au sein de chaque nation repose sur les relations
entretenues par un nombre important de facteurs et de paramètres, bien
que l'Histoire d'un pays reste encore certainement le paramètre le plus
parlant dans la compréhension des valeurs accordées à ce
lieu de formation des individus
35
(Vial, 1978 : 94).
Il ne s'agit pas uniquement de décider des valeurs
qu'elle incarnera, mais de respecter et d'évaluer à juste titre
la fonction qu'elle peut occuper au sein de la société, afin de
la desservir le mieux possible et de préparer cette dernière par
la formation des individus des générations à venir,
ceux-là mêmes qui vivront au sein de la société de
demain. Nous aurons retenu une idée mentionnée par une
étudiante canadienne qui propose dans un travail comparatiste de
théories de l'éducation que :
« chaque société a une conception de
l'homme idéal qu'elle veut appliquer et transmettre aux nouvelles
générations. Son maintien et son changement tout à la fois
en dépendent. Plutôt stable mais jamais complètement
figé, cet idéal représente un horizon vers lequel tend la
conscience collective, cette espèce d'âme quasi éternelle
qui relie entre eux les individus d'une même société »
(Bédard, 2010, introduction, §1).
À ce titre, le gouvernement albanais, en
réponse aux déficiences de l'enseignement supérieur et de
la recherche a lancé un vaste programme de réforme dont le plan a
été révélé succinctement début
juillet 2014. La nécessité de répondre à
l'incapacité des universités albanaises de répondre aux
besoins de la société actuelle est porteuse d'un «
zéro pointé » accordé par Ermal Bubullima (2014),
spécialiste albanais des droits de l'Homme (formé en France !),
dans son article à propos des universités albanaises
qualifiées d'incapables quand il s'agit de répondre aux besoins
de la société, entre autre à cause d'une absence de
gestion centrale « prenant en compte les besoins et capacités du
pays ». A nouveau, le rôle de l'Université et les programmes
proposés par les établissements de l'enseignement
supérieur dut être redéfini après que l'école
ait « lutté contre tout ce qui est étranger à
l'idéologie marxiste-léniniste et contre les anciennes
mentalités (Alia, 1988 : 170), pour adopter une organisation
fidèle aux critères de l'Union Européenne, d'après
le discours tenu par Madame la Ministre de l'Education et des Sports lors de la
conférence tenue à Tirana dans le cadre de la présentation
du rapport final sur la réforme de l'enseignement supérieur et de
la recherche scientifique (Nikolla, 2014).
L'Albanie étant à l'heure de vouloir s'ouvrir
sur l'UE, c'est au regard et à partir de l'analyse des politiques
linguistiques et éducatives que l'on pourrait alors comprendre en quoi
ce pays tente de s'adapter à une fédération d'Etats
souverains vieille de plusieurs décennies, alors que l'Albanie n'avait
encore jamais connue son indépendance. Une incursion plus profonde au
sein des politiques linguistiques et éducatives et de leur implantation
dans les Universités constituera une part du deuxième chapitre de
cette étude. Cependant, nous pouvons dès à présent
établir le cadre qui permet de comprendre comment ces politiques
36
fonctionnent.
2.2. Politiques linguistiques
2.2.1. Politique, aménagement et
planification linguistique :
Nous commencerons avec une définition simple mais
utile des différentes composantes de ce que les politiques linguistiques
concluent, et des différentes étapes qui constituent leur mise en
place. Ces définitions semblent particulièrement importantes
à rappeler tant elles font l'objet de divergences idéologiques
qui amèneraient à brouiller la réflexion que l'on
souhaiterait poser ici (Eloy, 1997 : 7).
4 Politique linguistique : Une politique linguistique est
avant tout une politique, c'est-à-
dire que cela nécessite que l'on se tienne à un
certain nombre de principes fondamentaux pour faire preuve de cohérence
et de continuité dans les décisions définies et les
actions entreprises. Calvet dit que « une politique linguistique est un
ensemble de choix concernant les rapports entre langue(s) et vie sociale »
(CALVET, 79% ). Les politiques linguistiques déterminent ainsi les
actions à entreprendre non pas concernant les formes linguistiques, mais
vis-à-vis de la place et des fonctions accordées aux langues en
présence au sein d'un territoire donné. Il est important de
préciser que les agents collaborant à ce niveau ne sont pas
seulement issus du domaine de la politique, mais peuvent appartenir aux cercles
d'association ou d'organismes privés. Porcher (2012 [2000] : 6) formule
la nécessité de poursuivre des actions linguistiques
organisées qui répondraient à l'intérêt
collectif d'une société. On pense pour notre contexte aux
Alliances Françaises, bien qu'elles soient placées sous la
tutelle du SCAC de l'Ambassade de France de l'Albanie et qu'elles
dépendent financièrement de celle-ci, nous pourrons dire
concernant notre cas qu'elles disposent d'une marge de manoeuvre assez
libre.
4 Planification linguistique : seul l'État
possède le pouvoir d'élaborer cette étape dans la
mesure où cette instance reste l'institution
régulant les individus d'une société donnée.
Blanchet (2009 : 129) déterminera également que la planification
linguistique peut également dépendre de politiques non
linguistiques (économiques, éducatives, juridiques, etc.). Les
actions déterminées à partir de cette planification sont
finalement les oeuvres de l'Etat que l'on observe concrètement dans la
société.
4 Aménagement linguistique : plusieurs
définitions ont été trouvées mais c'est
37
précisément sur ce point que les divergences
idéologiques peuvent brouiller la compréhension de cette
étape pourtant fondamentale. Selon Corbeil (1986 : 20), cette
étape permettrait d'identifier « la valeur symbolique de la langue
> projetée par les institutions qui ont la charge de cette
étape. C'est finalement la conception de Chaudenson qui aura
été retenue et qui propose que l'aménagement linguistique
concerne « la mise en oeuvre concrète, nécessairement
différenciée et adaptée, des actions définies dans
le cadre de la politique et programmées dans celui de la planification
> (cité par Véronique, 1998 : 109), ce qui rejoint la
définition de l'action linguistique in vitro
de Calvet, où la sphère décisionnelle macro
permettrait une identification et une organisation des actions à
entreprendre (à travers la planification) pour rejoindre des objectifs
de régulation linguistiques globaux.
Calvet fait toutefois une distinction entre les actions de
gestion in vivo et in vitro
du plurilinguisme et de la régulation de plusieurs langues
sur un territoire donné. L'une fait référence à des
actions entreprises par les locuteurs pour répondre à des
problèmes de communication auxquels ils font face quotidiennement.
L'autre se réfère aux décisions prises par les politiciens
à partir d'analyses effectuées par des spécialistes de ce
domaine. Ces types de gestion peuvent parfois entrer en conflit quand les
décisions prises par le niveau macro ne correspondent pas aux pratiques
ou aux besoins des locuteurs. Cela peut également être rendu
encore plus compliqué quand l'Etat d'un pays donné adopte des
décisions qui proviennent d'institutions supranationales englobant
plusieurs entités identitaires différentes, ayant chacune une
façon de gérer leurs langues en présence et que des
consensus globalisants demandent à revoir une organisation qui peut
difficilement convenir à chacune des communautés identitaires et
linguistiques. C'est normalement à cet endroit que les politiques
linguistiques et éducatives doivent être élaborées
et appliquées. C'est précisément à ce niveau que
naissent les incohérences de la gestion des langues
étrangères enseignées en Albanie, ce que nous verrons dans
le deuxième chapitre. Les politiques linguistiques concernant les
langues étrangères enseignées dans les écoles sont
beaucoup plus problématiques et occupent l'esprit des
décisionnaires politiques autant que les enseignants, dont les postes
commencent à être menacés par un manque d'apprenants, en
particulier pour la langue française.
38
2.2.2. Élaboration d'une politique
linguistique
Une politique linguistique est avant tout
multidimensionnelle. Il est important de ne pas se limiter à la
considération de caractéristiques restrictives ou arrangeantes,
mais de procéder à un repérage d'un certain nombre de
facteurs déterminant la situation linguistique
appréhendée. Cela permet d'introduire l'idée selon
laquelle une politique linguistique doit se tenir à une ligne de
conduite, mais qu'elle doit également savoir s'adapter en fonction de
l'évolution du contexte (de la même manière que la
sociolinguistique détermine qu'une langue et son contexte ne sont pas
des constructions systémiques figées, mais complexes et
changeantes). La définition d'une politique linguistique est donc un
travail de longue haleine et nécessite des efforts constants
d'observation, d'évaluation et d'adaptation.
Finalement, la langue ne doit pas être dissociée
de la culture qu'elle véhicule ! Qui dit langue dit
nécessairement culture et Porcher (2012 : 8) remarque que l'aspect de
promotion d'une langue est trop souvent, et de manière
préjudiciable, réduit à son aspect linguistique. Lorsque
la promotion d'une culture fait également partie des actions entreprises
par les décisionnaires des politiques linguistiques, c'est relativement
(trop) souvent que seule la culture classique soit promue. Inévitable,
il ne s'agit pas d'éradiquer le passé culturel d'un peuple, en
particulier pour la France, dont le passé historique et culturel
classique est majoritairement reconnu et diffusé à
l'étranger. Le statut de la norme et des variantes et leur
définition amène un débat où il est difficile de
trouver un consensus. Cependant, Porcher (2012 : 128) précise que les
deux semblent nécessaires à promouvoir pour assurer une forme de
cohérence aux yeux de communautés étrangères,
amenées à juger cette dernière, comment est-il possible de
l'oublier ?.
Une politique linguistique doit nécessairement passer
aussi à travers d'autres réseaux de communication pour être
effective, tels que les médias, la culture, le monde professionnel,
étudiant, et touristique (et pédagogique pour les voyages
d'étude) pour permettre une promotion diversifiée et
représentative de la langue-culture cible dans ses variantes et
diversités.
Une politique linguistique doit finalement se baser sur un
contexte : « Une langue étrangère que l'on chercherait
à imposer selon des principes et des normes étrangères
à la culture indigène de l'apprenant, n'a aucune chance
d'être intériorisée, acquise donc, pour ce dernier. »
(Porcher, 2012 : 128). Par définition, il s'agirait de respecter la
culture de l'Autre et dans le cas du FLE, de respecter la culture des
apprenants avant de vouloir imposer celle que l'on essaie de faire
intégrer. Cela signifie donc que les politiques linguistiques doivent
être pour rappel, adaptées au contexte rencontré, mais
surtout que les définitions de ces dernières se
39
fassent à partir d'une étude fidèle du
contexte dans lequel la promotion et la diffusion d'une langue donnée
sont opérés.
2.2.3. Promotion et diffusion du français,
l'histoire du rayonnement culturel du
français, puis de la
Francophonie
Ce thème pourrait noircir un grand nombre de pages si
l'on veut passer par le rayonnement culturel et intellectuel d'intellectuels de
la Renaissance, puis de la colonisation et de l'exportation d'un modèle
français dans le monde professionnel qui aura servi d'exemple avant de
s'éteindre au profit de figures anglo-saxonnes. Une rétrospective
de la politique linguistique extérieure française pourrait
être proposée, nous retiendrons finalement l'argument selon lequel
le français souffre aujourd'hui de l'image de suffisance dont cette
langue est aujourd'hui tributaire (Porcher, 2012 : 24).
Le français aura longtemps été promu pour
les valeurs élitistes qui incombent à la nation où elle
est parlée. Longtemps donc, la France a représenté la
destination des élites intellectuelles et sociales, sans oublier que la
langue française était langue de diplomatie, ce qui ne manque pas
d'être largement répandu en Albanie.
L'image d'arrogance qui est véhiculée autour de
la France et de sa culture aura ainsi appuyé le rejet qui peut
être fait d'une langue cible d'apprentissage, et pour notre contexte la
première représentation qui justifie son rejet par les apprenants
albanais est que ça serait une langue qui se parle avec le fond de la
gorge ou uvulaire (représentation que nous francophones avons à
propos de l'arabe par exemple), en référence à
l'importance que les enseignants albanais mettent sur la prononciation du /r/
en français, difficile pour les albanophones car absente de la
phonologie de leur LM. Du point de vue de l'appréhension de la culture,
Porcher précise que si le public apprenant que l'on est amené
à fréquenter ne comprend pas que les « habitus » (selon
la définition de Bourdieu) de la culture cible ne sont ni meilleurs ni
pires que ceux de sa propre culture, l'apprenant opèrera un rejet de
cette langue par protection de ses acquis et de ses traits identitaires et
d'appartenance culturelle, voire nationale. Les projets de redéfinition
de la diffusion et de la promotion de la langue française auront
mobilisé les acteurs décisionnels de ces dernières. Un
consensus serait nécessaire, cependant, il est toujours difficile de se
battre contre ses propres représentations. Rappelons Jodelet qui
définit qu'une représentation est une forme de savoir pratique
permettant d'appréhender son environnement, et que remettre en cause sa
grille de lecture pour comprendre et interagir avec son environnement peut se
révéler une action difficile à entreprendre.
40
III/ Méthodologie et objectifs de la
recherche : du placement humain à l'écriture
3.1. De l'utilité de la contextualisation
: définition, méthodologie et posture
Avant de parler du concept même de «
contextualisation », il sera nécessaire de poser les termes de ce
qui constitue un terrain et de ce qui le détermine. On commencera par
dire que c'est une question qui est ici sans réponse universelle. On
peut déjà mentionner qu'il ne s'agit pas de déterminer des
frontières géographiques comme seules indicateurs
méthodologiques, mais de savoir délimiter un espace temporel,
social et institutionnel. « Le terrain n'est pas une chose, ce n'est pas
un lieu, ni une catégorie sociale, un groupe ethnique ou une institution
(...) c'est d'abord un ensemble de relations personnelles où
`on apprend des choses' » (Agier in Blanchet 2011 : 18). Au
sein de ce terrain, le chercheur devra pouvoir dire et présenter quel
est le phénomène qu'il aura cherché à comprendre.
À ce phénomène sont associés un certain nombre
d'acteurs humains et de facteurs pour ce qui relève des interactions
entre ces acteurs. L'identification de cet ensemble d'aspects constitue le
terrain d'observation, et d'action dans le cadre des recherches action.
Une fois le terrain délimité, il s'agit ensuite
« de le faire parler ». Le chercheur mobilisera alors un certain
nombre de techniques de prélèvement de données, en accord
avec son contexte toujours, qui constituera son corpus. C'est finalement le
corpus, réel constitutif de la base à partir de laquelle une
recherche se fonde que le terrain prend tout son sens, en ce que le corpus
d'observables (utile dans la partie ethnographique d'une recherche
contextualisée) doit être significatif avant d'être
représentatif. Une recherche en SHS peut être menée sur de
toutes petites communautés humaines, le nombre ne fait pas la
qualité selon Blanchet, tant que cette communauté est pertinente
et que l'analyse faite à partir d'un phénomène qui a lieu
dans cette communauté est significatif et peut permettre de produire de
la connaissance.
Finalement la significativité d'un corpus se mesure
par la présence de constructions interprétatives du monde social
par ses acteurs, autrement dit les acteurs observés produisent des
interprétations de leur expérience empirique au sein d'un
contexte donné, et le chercheur s'est donné pour tâche de
comprendre à travers une réflexion argumentée et
construite, de donner sens à ces activités humaines. On dit
finalement que le terrain est étudié dans sa totalité
quand le chercheur a épuisé le nombre de significations et ses
variations au sein de son terrain, ou plus simplement que plus aucune variante
n'est observable pour le moment. La notion de variabilité et de
variation dans les observables, telles qu'elles sont déterminées
par
41
Dabène & Rispail (2008), amèneront
l'hétérogénéité à la fois
caractéristique d'un contexte sociologique, L'Albanie est un pays en
voie de transition, mais dont l'histoire est toujours prégnante dans le
conscient collectif de ce peuple, il s'agira au moins de rendre les
différentes phases par lesquelles ce pays est passé pour
comprendre comment les individus invoquent telle ou telle partie de leur
histoire. Le deuxième chapitre en fera l'état et le
quatrième en proposera l'analyse.
Dans la mesure ensuite où la sociodidactique appelle
à l'utilisation d'outils d'analyse propres à la fois à la
DDL autant qu'à la sociolinguistique, il s'agira d'interpréter la
connaissance produite à partir du travail effectué comme
appartenant au contexte donné. L'effort d'universalisation favorable
à la constitution de théories socio-langagières plus
« globales » peut être effectué, mais je doute que cela
soit opérable dans un travail de cette ampleur modeste, et en
particulier quand mon étude est avant tout empiriste. Un certain nombre
de sources empruntées à l'élaboration de l'architecture
réflexive de cette étude pourrait montrer dans une moindre mesure
que le contexte d'enseignement-apprentissage des LE en Albanie ferait
écho à d'autres contextes, par le passé communiste de ce
pays. Cependant, et j'intègrerai ici la citation qui aura motivée
un grand nombre de mes décisions : « parce qu'un Albanais est avant
tout Albanais... et ceci est la première clé qui permette de
comprendre ce pays et ces gens » (Jandot, 2000 : 15).
Cependant, ce contexte albanais n'est pas seulement un
satellite perdu dans un univers de contextes et la scientificité des
connaissances produites ne doit pas être remise en cause au risque de se
lancer dans une expérience empirique vulgaire et surtout sans fondement
intellectuel. Nous verrons à partir d'ici que le travail de
contextualisation trouve toute sa consistance quand ce n'est pas finalement, le
terrain, qui est bien défini, mais plutôt quand le chercheur a
bien saisi les modalités de sa présence et de son action au sein
de celui-ci. Les connaissances produites sont considérées comme
scientifiques quand :
- Il est possible d'effectuer une analyse à partir
des données identifiées et rendues dans la retranscription des
données observées par le chercheur ;
- Une cohérence interne à la constitution de la
réflexion et des méthodes employées par le chercheur est
présente dans la pensée autant que dans le travail (ce qui
revient à mentionner la nécessaire responsabilité
éthique du chercheur) ;
- Une cohérence externe est établie
c'est-à-dire que le fruit des réflexions produites par
le chercheur peuvent se confronter, se recouper avec d'autres études
relatives au terrain, au contexte identifié ou plus large (national,
international selon l'étude) ;
- Les informations relevées et analysées sont
acceptables et discutables par des acteurs un
42
tant soit peu connaisseurs du terrain examiné.
Ces efforts d'autoréflexivité nécessaire
à l'acceptation d'un travail de recherche peuvent se retrouver dans
l'analyse des données prélevées sur le terrain.
Le nécessaire positionnement constructiviste,
autorisant l'approche adoptée dans cette recherche, permet de conclure
sur l'idée que le chercheur donne avant tout état d'une «
métaphore », illustratrice de sa propre appropriation de la
réalité. Il peut également être difficile dans une
approche telle que celle-ci de dissocier recueil de données et analyse
pour lieu de production de sens. La clarté d'une méthode
opposée à ce qui vient d'être mentionné offrirait un
tableau idéal dans un travail de ce type où l'on cherche
également à s'assurer de la bonne application d'un certain nombre
de concepts méthodologiques (dans la structuration de la pensée
autant que dans le rendu écrit de celle-ci), mais il doit être
reconnu qu'il est parfois difficile de revenir sur une hypothèse que
l'on aura formulée au début de son observation, et qui se sera
révélée infondée, mais sans laquelle une
hypothèse concomitante n'aurait pas vu le jour. Autrement dit, la
description peut parfois se laisser envahir par l'analyse et il conviendra au
chercheur de savoir distinguer ces moments de (dé)route pour mieux
rendre compte de son travail.
Finalement et particulièrement pour mon contexte, dans
la mesure où la production de connaissances invoque un parti-pris (qu'on
le veuille ou non), par le fait même que le chercheur s'inscrit dans une
historicité à laquelle il ne peut échapper, peut-on poser
la question selon laquelle ce type de travail aurait une dimension politique ?
C'est du moins ce que De Robillard (ibid.) et
Spaëth (2014) mentionnent quand on se conforte dans l'idée que le
chercheur se positionne dans son contexte et que sa participation (en
particulier en DDL ou le chercheur aura souvent été acteur sur le
terrain avant de se transformer en scripteur d'une réflexion) ne peut
qu'invoquer des conséquences sur le terrain ainsi que tous ses
constituants : acteurs et domaines sociaux dans lesquels les actions du
chercheur aura évolué et interagi. Cela retire-t-il de la
vérité au contexte observé parce qu'un agent y aura mis
les pieds ? Retirez le chercheur, installez des procédés
d'enregistrement vidéographique et sonore et le premier zoo humain aura
été inauguré.
Comment ai-je procédé à mon recueil de
données ? Je me suis permis de faire le choix de présenter les
méthodes qualitatives employées dans la partie de ce travail
relevant de l'analyse des données, désireuse de présenter
mes objectifs dans un premier temps plutôt que procéder à
un résumé de techniques de relevé de données. Je
préciserai en dernière instance que la nécessaire approche
historique d'un contexte donné permet deux choses essentielles :
- Reconnaître l'historicité de l'autre, en lui
rendant son altérité et la consistance de ses
43
représentations
- De rendre l'action de l'agent acteur chercheur inscrite
dans un continuum où encore une fois, son action aura forcément
entrepris des conséquences sur le terrain donné et sur ses
caractéristiques d'action et de manoeuvre.
3.2. La sociodidactique : un pari fou
?
Nous en viendrons à introduire le domaine de
sociodidactique qui permettra de mieux saisir pour quelles raisons travailler
sur ce champ de la pensée et de la relation de l'individu à la
société est utile dans notre approche de ce contexte.
Permettez-moi de commencer par une définition pour permettre à
ceux qui seraient encore peu convaincus de l'utilité de cette
démarche en amorçant ma réflexion avec les termes suivants
:
« La sociodidactique étudie l'apprentissage des
langues en lien avec les savoirs sociaux et leurs contextes sociolinguistiques.
Elle étudie les situations d'enseignement sans les isoler de leur
environnement : contacts de langues et de cultures, statuts des langues et
politiques linguistiques. Le corpus de la sociodidactique est donc pluriel et
multi-situé. » (Dinvaut, 2012 : 26)
Un des objectifs que se fixe cette méthode est donc de
rendre du sens à des éléments inférant dans le
contexte d'enseignement-apprentissage, sans pour autant que les études
purement didactiques (limitées souvent au seul domaine de l'enseignement
et de ce qui peut avoir à trait à l'action rendue des enseignants
et/ou des apprenants dans un contexte d'appréhension d'un code
linguistique donné) ne soient laissées pour compte, sans aucune
reconnaissance. L'approche d'étude de cette discipline vise à
regarder les pratiques linguistiques considérées dans leurs
contextes de production (historique, social, culturel, humain...), là
même où ces pratiques ont lieu et peuvent être
observées. Cette approche amène ainsi à
s'intéresser à l'expérience vécue, les pratiques
sociales, les discours, les récits, les archives, les imaginaires, les
idées des locuteurs observés ou des agents informateurs comme
Kaufmann (2011) le propose. C'est à travers l'analyse de ces
éléments de vie que l'on est amené à produire une
connaissance relative à la place des représentations dans la
communication et la société.
La recherche menée dans ce domaine vise à
identifier dans un premier temps les points de contact entre ressources
langagières (langues, styles, discours, interactions, moyens de
communication, emblèmes culturels, identitaires, politiques...), les
contextes dans lesquels ces ressources ont été observées /
prélevées, ainsi que les significations qui y sont
accordées. Ces recueils de données, loin des simples descriptions
par la scientificité dont le chercheur doit faire preuve pour s'inscrire
dans une volonté de contribuer à l'élaboration de
théories socio-
44
langagières, permettent de mieux circonscrire les
représentations langagières et sociales.
Basée sur la sociolinguistique et sur les outils
d'observation et d'analyse de cette discipline, la sociodidactique est en
quelque sorte, une discipline qui permet de comprendre à qui
l'enseignant a affaire et de comprendre de quelle manière son action
s'inscrit dans un continuum dont les modalités de définition
opératoire à large échelle semble très souvent
échapper aux enseignants de Français Langue Etrangère :
celui de la diffusion de la langue française et de son
enseignement-apprentissage, en particulier en Albanie où les
représentations personnelles des individus sont mieux reçues que
celles qui sont véhiculées à travers le rôle de
l'enseignant. Alors que de notre temps, les modalités d'interaction
entre humains, groupes, communautés (de quelque échelle ce soit)
sont de plus en plus regardées à la loupe et passées au
crible, c'est précisément au tournant du XXIème
siècle que les chercheurs se doivent de responsabiliser les informations
rendues en les replaçant dans leur contexte d'observation, leur terrain
d'études. A l'heure encore où les frontières se dissipent
pour ceux qui s'en donnent les, tandis que d'autres de ces frontières
ressurgissent des territoires pour s'ériger en garde-fou des valeurs et
principes de nations que l'on aura tenté d'effacer au profit de
très différentes finalités, rendre la
spécificité de chacun semble rester le meilleur moyen pour
conserver la particularité de nos différents peuples, tout en
permettant une meilleure communication pour un meilleur avenir : ensemble.
La sociodidactique puise finalement une de ses
caractéristiques, étant celle de la description dans
l'ethnographie, tant il est nécessaire de se baser sur une certaine base
de connaissances relativement comprise et rendue identifiable pour enfin
pouvoir établir une analyse. Les descriptions ne font pas l'apanage des
devoirs analytiques et les défenseurs de la sociodidactique clament
répétitivement l'ouverture des théories
épistémologiques dites empirico-inductives qui pourra en effrayer
plus d'un, mais qui ouvre également la voie à l'ouverture des
possibilités. La prise en compte nécessaire de facteurs
contextuels divers et de critères d'analyse de diverses disciplines dans
une recherche de ce type propose donc des écrits larges, mais relatant
une réalité hors de portée de chacun par contrainte
géographique, mais saisissable tant que l'honnêteté du
chercheur aura été élaborée.
3.3. Glottopolitique : avenir ou mirage ? Limites de
la recherche pour lieu de
conclusion rétrospective
Les politiques linguistiques concernent autant les actions
sur la langue (quand il s'agit de légiférer sur les statuts des
langues véhiculées sur un territoire donné), que sur la
parole (quand il s'agit de déterminer les emplois de telle ou telle
langue), ou sur le discours (quand il
45
s'agit d'examiner le contenu produit dans une langue
donnée et de vérifier son acceptabilité). Dans notre
contexte, il s'agirait plutôt de vérifier le premier aspect
mentionné, à savoir les actions sur la langue et de
vérifier le statut accordé à la langue
française.
La glottopolitique s'intéresse plus
particulièrement à l'action de la société
vis-à-vis d'une langue, revêtant ainsi une forme d'expression et
d'action politique pour réguler l'usage, le statut ou la forme de cette
langue. Ce terme n'est pas né d'une volonté de remplacer les
concepts de politique ou de planification linguistique dont la
définition reste encore à voir selon la conception
idéologique et épistémologique des penseurs
référés à ce genre de décisions, mais
plutôt d'examiner une situation donnée sous un angle
différent, à savoir : à partir du niveau micro. Ce terme
sera plutôt né d'une nécessité d'observer les
conséquences relatives à la coexistence de langues ou de voir
comment les locuteurs d'une communauté donnée s'arrangent de
décisions issues des niveaux d'échelle supérieurs.
Blanchet (2013 : 75) donne l'exemple de territoires bi ou plurilingues,
où locuteurs sont amenés à déterminer les contextes
d'usage de telle ou telle langue. Rappelons que ce type de décisions
n'émane pas de manière automatique de la conscience des
locuteurs, mais parfois de besoins répondant à des
nécessités de reconnaissance identitaire ou culturelle
(Marcellesi & Guespin 1986 : 6).
L'insertion du terme suit à la prise de conscience
selon laquelle il devient nécessaire de se baser sur des besoins et des
expériences vécus par les locuteurs afin de pouvoir
vérifier la teneur des politiques linguistiques
déterminées et parfois déjà engagées. Cette
nécessité s'est révélée lorsqu'il a
été question de vérifier des théories parfois
usées à tort et contraires à la façon dont les
locuteurs vivaient l'usage, la connaissance d'une langue faisant partie de leur
répertoire. Revenons momentanément sur nos pas. Nous avons
précisé que ce sont particulièrement les travaux de Labov
dans les années 1970 qui ont permis de considérer l'objet
`langue' d'une façon différente, rendant ainsi son dynamisme et
sa complexité à la structure systémique que les linguistes
du XIXème et du XXème siècles auront
étudiée. Replacer le locuteur dans le contexte où la
langue est employée et mesurer les concepts théoriques en
fonction de la façon dont les contextes sont vécus, autrement dit
de légitimer le caractère « glottopolitique » des
actions sur le langage est une conception de la gestion des langues et des
pratiques née dans les années 1980. Blanchet affirmera ensuite
que c'est dans les années 1990 que cette prise de conscience
émergea tant la détermination de politiques linguistiques
devenait une nécessité et qu'il revenait aux politiques,
précisément, de pouvoir contribuer à l'élaboration
de décisions adaptées à la façon dont les langues
sont employées et dans quels contextes. Y aurait-il eu une progression
dans la façon de considérer le rapport de l'homme à la
société, à travers son principal moyen de communication :
la langue ?
46
Les années à venir pourraient faire
espérer que l'on continue à écouter les besoins des
locuteurs pour permettre de mieux élaborer des décisions à
caractère politique et social dans le rapport des êtres humains
entre eux, mais aussi avec la classe politique et dirigeante d'une
communauté, d'un territoire, d'un pays. On ne pourra pas faire
l'économie de spécifier que plusieurs conceptions des actions
glottopolitiques existent, en fonction de la conception du rôle qu'a
l'Etat sur les pratiques des locuteurs. Il ne s'agira pas ici de rentrer dans
une considération telle que celle-ci mais plutôt de mettre
à jour les pratiques langagières engagées par les
locuteurs d'une communauté donnée, en vue de contribuer (comme
précisé un certain nombre de fois déjà) à la
connaissance du terrain abordé et par conséquent de participer
à l'élaboration de décisions à caractère
humain, avant d'être social et politique.
La place toute relative de l'apprenti chercheur vient
à se poser la question quant à la réelle contribution
qu'il peut apporter dans un domaine de la vie sociale, en particulier quand il
n'en est pas originaire et que son passage n'est que temporaire. C'est ici que
nous retiendrons l'idée de l'autoréflexivité
développée par Robillard (2011) quand il remet la place du
chercheur au centre de son activité de recherche et de production de
connaissance, et avec et pour les acteurs auquel il s'adresse selon Moore &
Castellotti. Selon lui, produire une connaissance revient à comprendre
son environnement ; se comprendre soi-même ; et comprendre sa relation
avec les autres. Tandis que l'action de comprendre, qui est revenue
déjà dans les trois aspects de l'activité de la recherche
sous-tend lui-même ces quatre autres aspects : identifier des
phénomènes observés ; les classer dans des
catégories définies dans le but de les identifier ; leur
attribuer des relations ; et des valeurs.
La limite même de ce type de méthodologie est
relatif au fait qu'on est précisément des êtres de
connaissance, à savoir que nous vivons pour connaître et
comprendre, et on ne produit de connaissance qu'en construisant des
représentations (Giordan, in Blanchet 2011 : 11). Blanchet attire
également une attention toute particulière sur la limite
très fine entre ce qui constitue une croyance et une
vérité, qui peut, quand on ne contextualise pas soi-même sa
démarche de production de connaissance, arriver à des conclusions
dangereuses.
Au profit du partage des connaissances plutôt
qu'à l'uniformisation de l'approche scientifique, ces dernières
lignes auront permis de dire en quoi la connaissance produite par un acteur de
terrain est à la fois nécessaire et sensible. On ne m'en voudra
pas de tenter de dire qu'il y a des concepts qui échappent à la
science, mais que ce n'est pas pour autant qu'on doit s'interdire d'en parler,
tant qu'on est en mesure de pouvoir dire que la connaissance produite
appartient au contexte dans lequel elle a été puisée et
que les représentations de chacun auront portées le fruit d'une
réflexion... humaine. On retiendra finalement que le
47
chercheur, souvent participant sur le terrain, ne peut se
constituer révélateur de Vérité, mais
éclaireur vis-à-vis d'un contexte (encore une fois) souvent
méconnu ou mal compris.
Conclusion
La première partie aura donc permis de
révéler les concepts théoriques et les notions qui
s'attachent au contexte albanais étudié. Une fois ce travail
effectué, il s'agira ensuite de voir comment ces notions
développées dans la partie précédente s'adaptent
à notre contexte à travers une présentation
d'éléments de connaissances vis-à-vis de notre contexte
présent. Nous avons vu que la langue solidarise les identités et
permet de créer un lien des individus à la société.
S'intéresser, s'intégrer au contexte dans lequel ces
éléments de relation entre les deux groupes observés
s'opèrent, est une démarche qui permet au chercheur de rendre
visible et d'accorder du sens aux représentations des individus
concernés par un phénomène identifié.
Cependant, nous avons vu que les représentations ont
une histoire, elles n'apparaissent et ne subsistent dans le discours (entre
autre) que par l'expérience des locuteurs d'un contexte donné. Il
semblerait alors cohérent de relater le contexte dans lequel ces
représentations naissent et perdurent, particulièrement selon un
regard diachronique afin de ne pas se limiter à des
considérations qui ne prévaudraient que sur une durée de
temps limitée et peu représentative de l'histoire d'une
communauté (ici, linguistique).
Selon la volonté de contextualiser la relation des
locuteurs à la société à travers l'usage d'une
langue précise, le français, cette partie s'attardera justement
à présenter des éléments de connaissance historique
relatifs aux relations institutionnalisées ou vécues (gestion
in vitro vs. in vivo, cf.
infra) d'un Etat, d'une nation (macro et micro)
à un élément étranger, ici : la langue et la
culture françaises. Nous verrons donc plus simplement de quelle
manière les étapes historiques de l'Albanie pourraient avoir un
impact sur la situation sociolinguistique et ensuite sociodidactique
d'aujourd'hui.
Chapitre 2 : Eléments de
macrocontextualisation socio-historique
48
« Elle attirera les voyageurs, les touristes,
Les artistes du monde entier, Les amis de la liberté viendront à
elle en pèlerinage ; Triste pays de l'injustice et de la souffrance
Pendant des siècles, Elle deviendra la terre promise de l'optimisme.
»
Justin Godard, L'Albanie, 1922
49
Introduction
La contextualisation est donc constituée en partie
d'une observation des relations entre les individus et les
procédés actifs dans une classe et dans l'environnement auxquels
les apprenants sont exposés en dehors de leur vie scolaire. Cependant,
ce n'est pas seulement un effort de réflexivité responsable
émanant de la part de l'enseignant dans sa pratique didactique, mais
aussi une approche argumentée qui tend à « insister
davantage sur le processus [...] que sur un `donné', qui ne serait qu'un
simple décor» (Blanchet, 2009 : 3). Nous nous attarderons donc dans
cette partie à présenter les premiers éléments
macro définissant le terrain étudié. Considérer ce
pays et ses locuteurs comme unilingues et monoculturels ne permettrait pas de
traiter ce terrain de manière adaptée et plus encore, et
empêcherait de faire apparaître un certain nombre de facteurs
à prendre en compte dans la compréhension des pratiques
sociolinguistiques et sociodidactiques des individus de ce pays. C'est selon
cette composante socio-historique que nous nous attarderons à identifier
les liens entre langues, société et enseignement, pensant que
cela introduit une meilleure compréhension du contexte autant que des
individus.
Après une première présentation
historique de la langue albanaise et du rapport de ce peuple à celle-ci
à travers le temps, nous nous attarderons sur un regard visant à
intégrer le rôle de l'Ecole dans la définition de
l'identité albanaise. Nous partirons de l'idée que l'Ecole en
tant qu'institution est un des lieux où les identités se forment
et se construisent (comme il a été proposé dans la
première partie). Nous tenterons donc de comprendre quelle est la place
accordée à l'institution éducative et aux langues
maternelle et étrangères en Albanie à travers une
présentation diachronique des places que ces institutions ont
occupées, Nous ferons ensuite un premier point sur le rapport des
individus à la langue et à la société.
50
I/ L'albanais langue maternelle : histoire et
statut 1.1. Formation du peuple et de la langue
1.1.1. Origines, formation de la langue et
discours écrit
L'Albanie se dit « Shqipëria », un Albanais
étant « shqiptar » et parlant « shqip ». C'est
d'après les études de Ptolémée, géographe
grec du IIème siècle ap. JC, à propos d'une tribu qu'il
appelle les Albanoï (du latin alba, « blanc
»8), que l'Albanie reçoit son nom latinisé, on
trouve cependant mention de ce nom dans les textes occidentaux à partir
du XIIème siècle. Du point de vue linguistique, l'albanais est
une langue indo-européenne qui forme un groupe structuro-linguistique
indépendant9, bien que l'on puisse dire d'ores et
déjà que cette langue n'a pas échappé aux
influences étrangères, à savoir les langues
étrangères ayant laissé quelques-uns de leurs attributs
à l'albanais ont toutes circulé sur le territoire albanais : le
turc dans le lexique, en particulier dans des allocutions à
fonction phatique (shyqyr : « enfin », dans
le sens « finalement ! » / tamam : pour
donner son approbation, « ok ») et dans la suffixation de certains
verbes ; on trouve aussi des racines slaves dans certains suffixes
empruntés, latines dans l'assimilation lexicale (Serbat, 2000 :
71), et grecques dans l'assimilation de certains mots encore.
Les origines et l'ascendance de cette langue sont des
questions qui ne sont pas encore élucidées au vu des
connaissances actuelles. Certaines hypothèses ont proposé
l'affiliation de l'albanais à un groupe de langues, toutes
éteintes au courant de l'Antiquité, appelé « groupe
thraco-illyrien », à savoir que le peuple albanais descendrait de
la civilisation illyrienne, selon la majorité des études
menées dans ce domaine. Cet argument a été affirmé
par Leibniz (1705), Ange Masci (1808) et Conrad Malte-Brun (1829) pour les
oeuvres de référence. Diverses autres hypothèses disent
que les Albanais descendraient plus anciennement des Pélasges (Effendi
in Yélen, 1989 : 129), ou des Etrusques (thèse
particulièrement défendue par l'ex-dictateur Enver Hoxha à
des fins politiques, Cabanes & Cabanes 1999 : 189), ou seraient
affiliés aux Thraces. L'hypothèse selon laquelle les Albanais
descendraient des Illyriens est partiellement vérifiée par le
fait que ce peuple antique a occupé une aire géographique allant
du Nord de l'actuelle Croatie jusqu'au Nord de la Grèce. Cependant,
aucune parenté (exceptés les emprunts qui ont été
effectués au fil de l'Histoire et des contacts entre ces langues)
n'existe entre l'albanais, le serbo-croate (dont les locuteurs occupent aussi
aujourd'hui cette aire géographique) et le grec.
8 Cette tribu était installée dans la
région calcaire de Kruja.
9 Voir infra pour alphabet albanais et mode de
prononciation
51
Du point de vue de la littérature concernant et
produite en albanais, nous savons que la première allocution en langue
albanaise est une formule de baptême datant de 1462 rédigée
par l'archevêque de Durrës Pal Engjëlli. Le premier ouvrage
rédigé en albanais date du siècle suivant, de 1555,
étant un missel publié en Italie par Gjon Buzuku. Bien qu'elle ne
soit pas encore « normée », la langue albanaise existe et se
fraie un chemin dans les ouvrages religieux d'à travers l'Europe. Des
voyageurs européens, les intellectuels émigrés ou
intégrés à la hiérarchie ottomane à
Constantinople, et diverses communautés religieuses font vivre la langue
albanaise et ses locuteurs à travers des écrits
littéraires, monographiques, scientifiques (en particulier
géologiques)10.
La classe intellectuelle albanaise reprend cette
volonté de normer la langue albanaise à partir du XIXème
siècle. L'intellectuel et traducteur Kostandin Kristofëridhi
traduit le Nouveau Testament d'abord en guègue (1872), dialecte du Nord
de l'Albanie puis en tosque (1879), et écrit une grammaire de l'albanais
en 1882, en langue grecque. Ces deux traductions sont considérées
comme ayant permis de trouver un compromis entre les deux dialectes et ayant
donné naissance à la langue nationale dite « standard »
(bien que majoritairement inspirée du tosque, par le pouvoir d'Enver
Hoxha, natif de Gjirokastra au Sud du pays). La littérature en langue
albanaise apparaît de façon assez tardive si l'on considère
que ce peuple est vieux de plusieurs siècles, sans compter que le choix
de la transcription écrite de cette langue est également
officialisé très tard, comparé aux origines anciennes de
ce peuple (1908, Congrès de Manastir, actuellement Bitola en
Macédoine). Avant cette période, on employait tantôt les
alphabets latin, grec ou arabe (anciennement utilisé par les Ottomans),
en fonction de la langue qui introduisait les Albanais à la
littéracie, puisqu'aucune école en langue albanaise n'a
existé avant la fin du XIXème siècle (Clayer, 1999). La
tardive alphabétisation de ce peuple dans sa langue maternelle aura
également retardé la possibilité d'inscrire dans une
langue propre ce qui appartient au passé de cette civilisation. Comptons
également que la première école en langue albanaise
s'ouvrit le 7 mars 1887 dans la ville de Korça au Sud-Est. Quelques
rares écoles de différents niveaux d'éducation eurent
été créées dans le passé (principalement au
XVIIème siècle). Comptons par exemple l'Académie de
Voskopoja ouverte en 1750 pour proposer des cours de philologie grecque, mais
cette ville subît trois incendies ravageurs auxquels l'Académie ne
survécut pas.
Il existe donc très peu de documentation ancienne sur
ce peuple qui peine même à asseoir la légitimité de
son existence et de sa culture. Les premières fouilles
archéologiques entreprises sur le sol albanais datent du XIXème
siècle (surtout 1861) sur le site d'Apollonia
10 Voir la bibliographie en annexe « Amis de
l'Albanie »
52
d'Illyrie, tandis que les recherches les plus approfondies
datent de 1924, sous la direction de l'archéologue français
Léon Rey. Le site de Butrint (que Racine mentionne dans son oeuvre
Andromaque) sera lui mis au jour en 1928 par
l'italien Luigi Maria Ugolini.
1.1.2. Variétés et statut de
l'albanais et langues minoritaires en présence
Du point de vue officiel, deux dialectes principaux sont en
présence : le guègue (au Nord) et le tosque (au Sud), avec pour
frontière naturelle le fleuve Shkumbini, scindant le pays en deux
moitiés grossièrement égales. Le dialecte officiel de la
République d'Albanie est le tosque, mais la loi stipule que c'est «
l'albanais » qui doit être enseigné dans les écoles
d'après l'article 6 de la loi no 7952 du 21 juin 1995, sans distinction
dialectale, laissant présager une relative liberté quant au
dialecte enseigné dans les écoles, sans que je n'aie pu le
vérifier moi-même. Ces deux dialectes sont différents dans
la syntaxe (comme par exemple la forme de l'infinitif qui n'existe pas en
tosque et qui existe en guègue), dans la substitution de certaines
consonnes au profit d'une prononciation différence (le /r/ du tosque est
nasalisé par les locuteurs du guègue, ex. :
Shqipëri « Albanie » en tosque,
Shqipni en guègue). Cependant, le tosque reste
encore largement usité entre deux Albanais originaires de deux villes
différentes et amène des difficultés de
compréhension relatives à des variations dans la
phonétique et le lexique (ex. pour le mot « fille »
`gocë' à Elbasan, `vajzë' à Tirana, `çupë'
au Sud du pays et `çikë' au Nord, encore que cet exemple ne soit
pas illustratif des difficultés de compréhension entre deux
Albanais originaires de deux villes différentes quand ces mots sont
connus de l'ensemble du pays). La problématique des dialectes semble se
révéler depuis la chute du communisme, quand la norme avait
été imposée à travers le pays, avec la
possibilité pour chacun d'affirmer son identité, les
revendications de pouvoir parler son dialecte se font plus présentes
jusqu'à poser un problème sur un albanais normé, quand
Marashi (2009 : 62) dit que 4 millions sur 6 albanophones des Balkans ne
parlent pas le « standard ». Mais cela doit-il révéler
des albanais dialectisés ou des dialectes à part entière ?
Je n'ai pas les moyens de répondre à cette question, bien que je
me la pose. On retiendra que la facilité d'un Albanais à adapter
son langage à celui d'un autre dépend d'autres facteurs (niveau
d'éducation et fréquence d'exposition au dialecte dit `standard')
; on peut donc noter que certains dialectes sont effectivement difficiles voire
impossibles à comprendre à partir de sa seule connaissance de
l'Albanais standard quand son interlocuteur ne fait pas d'effort de
communication.
On peut observer sur la carte présente en annexe
(« dialectes albanais dans les Balkans ») que les dialectes albanais
dépassent les frontières géopolitiques de l'Albanie. On
parle différents dialectes albanais au Sud de l'Italie et en Sicile
(communauté arbëresh
53
déplacée au XV et XVIème siècles),
au Nord de la Grèce (régions de la Laberi, de la
Çamëri) et au Sud de la Grèce (les Arvanites), mais
également en Bulgarie et en Ukraine (après les exodes religieuses
du XVème et XVIIème siècles correspondant à la mort
du dernier opposant à l'invasion ottomane et à la vague de
conversion massive à l'Islam, imposée par Constantinople).
L'ensemble des minorités indiquées dans ce paragraphe ont fui
l'Albanie suite à un conflit religieux et politique, ce qui est
intéressant est que certaines de ces minorités continuent
à entretenir et à transmettre le patrimoine albanais de leurs
origines.
Les peuples minoritaires en présence sur le territoire
albanais et disposant de leur propre langue sont les Aroumains (appelés
aussi « Çoban » peuple thraco-roumain, 8,260 citoyens au
recensement 2011); les Macédoniens (5,000 cit.) ; les Grecs (24,200
cit.) ; les Monténégrins dans le Nord (360 cit.); plusieurs
communautés rroms (8,300 cit. toutes ethnies confondues) et une autre de
descendance égyptienne (3,300 cit.)11. Bien que l'Albanie ait
signé la convention de protection des minorités nationales de
l'UNESCO en 1991, il existe aujourd'hui encore peu d'institutions effectives
qui permettent la protection et l'égalité de ces peuples et de
leurs langues. Seuls les Aroumains du Sud-Est du pays commencent à
revendiquer leur identité et à exiger une représentation
officielle et des écoles dans leur langue, et les Grecs sont les seuls
à disposer d'écoles dans leur langue maternelle par le soutien
qu'ils disposent d'Athènes (Leclerc, 2012).
L'albanais est une langue officielle en Albanie, au Kosovo, en
Macédoine et bénéficie du statut de langue minoritaire
protégée en Italie. Cependant, la reconnaissance de cette langue
et l'offre de son enseignement dans les écoles des pays voisins, dont
ceux qui sont mentionnés, pose problème, cette proposition
n'étant que pas ou peu approuvée par les Ministères de
l'Education concernés, c'est le cas de la Macédoine, dont le
gouvernement a rejeté la proposition en 2010 d'enseigner l'albanais
dès la première année de scolarisation. La
difficulté pour les Albanais de voir leur langue acceptée,
enseignée et représentée tiendrait au fait que le pays a
des difficultés à occuper un espace qui corresponde à
l'aire linguistique sur laquelle la langue et les traditions ethniques
albanaises s'étendent.
1.1.3. Histoire intérieure et
extérieure de l'Albanie
Un rapide coup d'oeil à la chronologie des
présences étrangères sur le sol albanais12 et
des événements les plus marquants du XXème siècle
permet de se rendre compte des tensions
11 Les résultats de ce recensement ont par
contre été fortement contestés, voir Manjani (2012)
12 Inspirée de Jandot (2000 [1994]) &
Universalis « Chronologie Albanie 1990 - 2008). Une chronologie plus
complète est disponible en annexe.
54
que la définition des frontières
géopolitiques et linguistiques de l'Albanie allant jusqu'à la fin
du XXème siècle. On remarquera que ces tensions n'ont pas
seulement été provoquées par la gestion
étrangère mais aussi albanaise :
- IIème millénaire av JC :
apparition des Illyriens structurés en une trentaine de
tribus
- VIIème siècle av JC :
apparition de colonies grecques
- IIIème et IIème siècles av JC :
conquête puis occupation romaine
- 395 ap JC : division de l'Empire romain,
l'Illyricum est remis aux autorités de
Constantinople
- IVème et VIème siècles :
différentes vagues d'invasion dans les Balkans
- VIème siècle : l'Illyricum
divisé en plusieurs provinces puis envahies par les Antes, les
Huns, les Lombards et surtout les Slaves13
- 1190 : constitution d'une
principauté d'Albanie avec Kruja pour capitale (au Nord de Tirana)
- XIIIème siècle : cet espace
devient un champ de batailles et se voit occupé
par différentes puissances (Bulgares, Serbes, Epirotes,
Vénitiens, Angevins) sans qu'aucune d'entre elles ne parvienne à
unir le peuple albanais sous un même étendard, qui vient à
se diviser en clans antagonistes
- 1385 : l'Empire Ottoman envahit la majeure
partie de l'Albanie
- 1468 : mort de Skanderbeg, seul chef militaire
qui soit jamais parvenu à repousser
l'invasion ottomane, il faut attendre la création des
forces armées antifascistes d'Enver Hoxha en 1940 pour que l'Albanie
parvienne à se libérer seule de ses envahisseurs
- 1506 : l'Albanie est entièrement
conquise par les Ottomans, indépendance en 1912
- Fin du XIXème siècle : la
conscience d'appartenance nationale tente d'être
réveillée
par les intellectuels de la « Renaissance albanaise
», en même temps que le pouvoir de l'Empire Ottoman commence
à décliner et que les pays voisins gagnent peu à peu leur
indépendance
- 1878 : la ligue de Prizren réunit
près de 80 intellectuels tentant de s'insurger contre
la définition déclarée « arbitraire » des
frontières géographiques de l'Albanie (traités de San
Stefano et de Berlin).
- 1891 : la ligue de Prizren est dissolue par
les forces armées ottomanes
- 1912 : Ismail Qemal Bej déclare
l'indépendance de l'Albanie et devient chef du
gouvernement provisoire. Capitale à Vlora.
13 « Ces invasions ont-elles ou pas
étouffé l'ancien peuplement illyrien ? Là est le
problème de l'ethnogenèse albanaise. » Note de l'auteur p.
23 du livre
55
- 1913 : indépendance de l'Albanie
reconnue par les Etats d'Occident lors de la
Conférence, dite « secrète », des
Ambassadeurs à Londres : aucun représentant albanais n'y est
convié. Le pays est morcelé et des territoires albanais sont
attribués aux pays voisins14. Démission d'Ismail Qemal
Bej motivée par l'absence de soutien des Grandes Puissances (hormis de
la France par l'Ambassadeur français sur place, Paul Cambon).
- 1914 : l'Albanie est dépourvue de
chef politique, les Grandes Puissances lancent un appel à qui veut
gouverner l'Albanie. Le prince allemand William de Wied obtient le trône,
qu'il rend 5 mois plus tard, obligé de fuir car peu
apprécié (il n'apprend pas la langue albanaise et impose ses
coutumes d'origine). Pouvoir transmis à la Commission Internationale
créée par les Grandes Puissances.
- 1916 : un bastion de l'armée
française s'installe dans la région de Korça et aide
ses habitants à constituer une République indépendante
(jusqu'en 1919, après démobilisation de cette armée et
sous la pression grecque voisine). Création en 1916 du lycée
français de Korça.
- 1920 : l'Italie obtient un mandat de gestion
exclusive sur le territoire albanais.
- 1925 : présidence puis monarchie
autoproclamée d'Ahmet Zogu. Le traité de Tirana
(1927) laisse le pouvoir économique et militaire aux
Italiens.
- 1939 : la Seconde Guerre Mondiale
éclate, l'Italie envahit l'Albanie, le roi Zog Ier est forcé
de fuir, en Espagne, puis trouve refuge en France. Il y meurt en 1961, sa
dépouille est rapatriée en 2012. Le lycée français
de Korça est fermé par les Italiens, les enseignants
français renvoyés en France.
- 1941 : création du Parti Communiste
Albanais, ensuite Parti du Travail, par Enver Hoxha.
- 1944 : les forces armées
organisées par Enver Hoxha font fuir les Allemands. L'Albanie a
repris ses terres, elle devient le seul pays à ne s'être
reposée sur aucune aide étrangère pour parvenir à
se libérer.
- 1946 : Création de la
République populaire d'Albanie, présidence d'Enver Hoxha
pour sept quinquennats consécutifs (interdiction du multipartisme et
pas d'opposant autorisé).
- 1978 : après des périodes
d'amitié avec la Yougoslavie, l'URSS et la Chine, Enver
Hoxha décrète le repli de l'Albanie sur elle-même, qui
n'a plus aucun contact avec l'extérieur.
- 1985 : Enver Hoxha décède,
Ramiz Alia désigné successeur.
- 1995 : 25% de la population albanaise active
a quitté le pays, légalement ou
clandestinement (Ditter & Gedeshi, 1997 : 9).
14 Voir annexe 4 pour une carte des aspirations
européennes sur les pays des Balkans, en 1913.
56
Le manque d'informations vis-à-vis de ce peuple a
été source de nombreux débats, jusqu'à encourager
la justification d'invasions étrangères sur le territoire
albanais (ou c'est le cas au Kosovo), ou aura permis d'asseoir le pouvoir
d'Enver Hoxha lors de l'institution de son régime dictatorial (ce qui
sera discuté un peu plus tard), rendant l'étranger responsable
des peines souffertes par l'Albanie et son peuple, jusqu'à se replier
sur elle-même et l'originalité de son pouvoir. Nous voyons
déjà un peu que l'Albanie a autrefois entretenu des rapports
privilégiés avec la France, étant une destination
intellectuelle et universitaire d'exception ; cette idée sera
développée et approfondie en chapitre 3. Cette tradition changea
au cours du temps, en particulier après la chute du communisme où
des milliers d'Albanais fuirent vers les pays voisins : Italie et Grèce,
créant ainsi un lien privilégié avec ces deux pays. Les
différents problèmes relatifs à la gestion politique de ce
pays auront entraîné une forte migration des Albanais que ce soit
vers les pays voisins ou des zones rurales vers les villes, la section suivante
nous inviterait alors à penser que l'Albanie, bien qu'elle ait subi
certaines parties de son histoire, entretiendrait des relations
particulières avec la scène étrangère.
1.2. Frontières de l'albanais, langue et
territoire
Pour commencer, l'albanais n'est pas seulement parlé
aux seins de ses frontières géopolitiques, mais l'aire
linguistique albanaise est étendue à travers les Balkans. Une
grande partie de la diaspora albanaise est également installée en
Europe occidentale et aux Etats Unis (après la Première Guerre
Mondiale et grâce à l'action du président américain
Woodrow Wilson), cette large diaspora empêche par ailleurs de
connaître avec exactitude le nombre d'Albanais dans le monde (comptons
plus de 3 millions d'Albanais en Albanie, selon une estimation de 2014 et 7
millions à l'étranger, sans compter la diaspora kosovare aussi
albanophone). Ce tableau nous le démontre de manière assez
remarquable, par la grande différence qui existe entre les sources
officielles provenant du Ministère des Affaires Etrangères
albanais et celles qui sont issues des recensements officiels des pays
concernés. Notons, et en respect d'une remarque qui m'a souvent
été soumise à la mention de cette étude, qu'aucun
chiffre ne peut non plus fixer le nombre d'immigrés clandestins.
57
|
|
Chiffres à partir des recensements
des
|
|
Chiffres approximatifs du Ministère
des
|
pays concernés et pourcentage de la
|
|
Affaires Etrangères albanais (MPJ,
2014)
|
population totale du pays de
résidence
|
|
|
(Albanian diaspora, 2014)
|
|
|
Nombre de
|
|
Nombre de
|
|
Pays
|
|
Pays
|
|
|
|
ressortissants
|
|
citoyens
|
|
|
|
|
1 616 869
|
1
|
Grèce
|
600 000
|
Kosovo (2011)
|
|
|
|
|
|
(92.93%)
|
|
|
|
|
509 083
|
2
|
Italie
|
500 000
|
Macédoine (2002)
|
|
|
|
|
|
(25.17%)
|
3
|
Etats Unis
|
150 000
|
Italie (2013)
|
497 761 (0.83%)
|
4
|
Royaume Uni
|
50 000
|
Grèce (2011)
|
480 824 (4.45%)
|
5
|
Canada
|
20 000
|
Etats Unis (2006-11)
|
172 149 (0.06%)
|
6
|
Allemagne
|
15 000
|
Suisse (2000)
|
94 937 (1.32%)
|
7
|
Belgique
|
5 000
|
Canada (2011)
|
31 030 (0.09%)
|
8
|
Turquie
|
5 000
|
Monténégro (2011)
|
30 439 (4.91%)
|
9
|
Autriche
|
4 000
|
Royaume Uni (2011)
|
28 820 (0.05%)
|
10
|
Suisse
|
1 500
|
Autriche (2001)
|
28 212 (0.35%)
|
Population totale à l'intérieur de
l'Albanie :
|
environ 3,5 millions toutes citoyennetés confondues,
dont 82% de citoyens Albanais.
|
|
Tableau 1 - Diaspora albanaise dans le
monde
En ce qui concerne la France, les chiffres officiels de
l'INSEE du recensement de 2011 ne proposent pas l'entrée «
nationalité albanaise » dans la catégorie des citoyens
étrangers résidant sur le sol français. Par
déduction, ils se trouveraient réunis avec d'autres sous
l'entrée « autres nationalités d'Europe » au nombre de
45 040 individus (origines, sexe et âge confondus). De l'autre
côté, l'Institut des Statistiques de la République
d'Albanie (INSTAT) possède des données concernant le nombre de
citoyens albanais rentrés en Albanie, selon l'année de retour et
le pays précédemment habité. Nous ne sommes donc pas en
mesure de dire combien d'Albanais vivent en France d'après des sources
officielles. On notera cependant que plus de 90% des Albanais qui ont choisi la
France comme pays d'accueil en 1996 se sont tourné vers cette
destination car ils y avaient déjà effectué un stage de
spécialisation
58
scientifique dans les années 198015, et nous
apprendrons plus bas que ceux qui avaient le droit de sortir du pays sous le
régime communiste étaient de hauts fonctionnaires de l'Etat,
appartenant à l'élite du pays.
Une remarque devra pourtant être
spécifiée : le sujet politique et diplomatique vis-à-vis
du non-respect des frontières ethniques albanaises reste encore un sujet
important de divergence entre les gouvernements des Balkans, ce qui laisserait
imaginer la raison pour laquelle le Ministère des Affaires
Etrangères ne diffuse pas le nombre de citoyens albanais de
nationalité étrangère au Monténégro, en
Macédoine et en Grèce, dans un certain sens (concernant la
région de la Çamëria que les deux pays se disputent depuis
de nombreuses années), bien que le rattachement des Albanais de cette
région soit encore un sujet brûlant dans les esprits (ce qui a
motivé par exemple la formation d'un parti politique à forte
orientation nationaliste : l'Alliance Rouge et Noire, Aleanca Kuq e
Zi).
Les frontières entre langue et territoire sont
rarement nettes, mais dans notre cas, elles sont rendues presque inexistantes
par cette diaspora importante, par l'assimilation au fil des années
d'Albanais dans leur pays d'accueil, et quand même la revendication de la
suprématie d'une nation étrangère peut remettre en cause
la possibilité de mentionner ou de faire reconnaître son
appartenance ethnique. Vu de l'intérieur et au cours de mes
expériences d'observatrice directe, l'Albanie reste la patrie à
laquelle les citoyens Albanais des Balkans se sentent appartenir. Je peux
mentionner ici l'affichage évident de leur appartenance ethnique par les
drapeaux albanais qui flottent sur les maisons, à l'entrée des
villages dans les régions ethniques albanaises des pays voisins, ou par
des tatouages de l'aigle bicéphale, emblème officiel du drapeau
et symbole du pays, et autres accessoires divers. La mention de cette
idée n'a pas été soumise à des citoyens albanais
vivant à l'étranger et il m'a aussi été
donné de rencontrer certains Albanais se dire appartenir à un
autre pays, donc les remarques effectuées ici ne doivent pas être
considérées au sens absolu. Il s'agit plutôt de pistes
orientées de réflexion qui peuvent potentiellement aider à
comprendre notre contexte et le rapport des Albanais à leur langue et
aux langues étrangères.
4 Pour quelle définition de l'albanité
?
On remarque d'ailleurs que les associations culturelles
permettant aux Albanais expatriés de se réunir autour de leur
lien de parenté sont nombreuses et développent des calendriers de
promotion culturelle parfois relatifs mais ces associations existent (pour
la
15 D'après une enquête
réalisée en 1996 sur un échantillon de 678 Albanais
installés à l'étranger après la chute du communisme
en 1991.
59
France :
http://association-albania.com/?lang=fr)
avec une raison d'être avant tout sociale, pour s'entraider au
début de l'installation et se retrouver autour d'une même origine
(De Rapper, n.d. : 20 ; Kosta, 2004).
Il est difficile d'établir une définition de ce
concept relatif à l'identité albanaise, de ce qui fait qu'un
individu est Albanais ou non (d'après plusieurs remarques de ce type qui
m'ont été faites), autant que l'albanité en tant que
concept et l'albanologie en tant que discipline existent... Le peuple albanais
cultive une certaine unité nationale et ethnique, on peut le voir par
une tendance nette à se rapprocher des communautés
déjà installées à l'étranger, bien que cette
tendance semble s'amoindrir depuis quelques années, ou bien à
préférer les unions matrimoniales endogames, plutôt que
mixtes (ibid. : 16).
1.3. La langue albanaise dans le
discours
Remarquer qu'un lien fort unirait le peuple albanais à
sa langue natale pourrait permettre de pousser la réflexion
jusqu'à l'importance de la place accordée et des
représentations portées à cette langue dans le discours en
circulation. Nous commencerons à la fin du XIXème siècle
car c'est à cette époque qu'il est considéré que la
langue commença à prendre une place importante pour la
définition de l'identité albanaise. Les auteurs de la «
Renaissance albanaise » de la fin du XIXème siècle
replaceront la langue dans sa fonction de rassemblement national et utilisent
la littérature aussi bien écrite qu'orale pour tenter d'unir les
Albanais autour de la volonté de s'affranchir de l'emprise ottomane
vieille de cinq siècles. Des écrivains comme les frères
Frashëri, Pashko Vasa ou Luigji Gurakuqi usaient de leur intellect pour
« donner corps à l'histoire de cette nation albanaise et à
l'identité de ce peuple oublié, et d'imposer "preuves
scientifiques et historiques" à l'appui, la spécificité
albanaise » (Sherifi, 1995 : 164), jusqu'à soulever les rangs
albanais aux sons d'une Marseillaise adaptée à la situation
albanaise16. D'autres, comme Apollinaire mentionne que : « les
Albanais seuls ont le sentiment de la nationalité, tous les autres
peuples de l'empire ne connaissent d'autres groupements que celui de la
religion », on apprendra qu'Apollinaire était un ami fervent de
Faik Konica (ou Konitza selon les sources), délégué
officiel de l'Albanie à Washington D.C.
Ces auteurs et leur mouvement furent particulièrement
importants dans l'assise et la revendication de l'identité albanaise, en
référence à la constitution de la Ligue de Prizren en 1878
par ceux-là mêmes qu'on appelait les Lumières albanaises,
et par le rôle de cette assemblée dans le processus
d'indépendance de l'Albanie de l'Empire Ottoman, bien que
16 « Aux armes, Albanais, formez vos bataillons, / Marchez,
marchez, qu'aucun ennemi ne viole nos frontières ».
60
d'autres sources disent parfois que c'est à cause de
cette ligue que l'Albanie fut le dernier pays à obtenir son
indépendance (les Ottomans n'ayant pas apprécié de voir
cette rébellion se former). La littérature albanaise à
travers le temps n'a pas tari d'éloges à l'adresse de la
mère patrie, jusqu'à l'importance évoquée ici de
remiser une quelconque autre appartenance identitaire ou culturelle : « Ne
regardez ni églises ni mosquées, / La religion de l'Albanais est
l'Albanité » (vers du poète Pashko Vasa, O moj
Shqypni17, 1879), mentionnant clairement la
nécessité de reléguer l'appartenance religieuse des
Albanais au second plan. Cette forte renonciation à des traditions
religieuses (remise en question aujourd'hui mais encore présente dans le
discours) soulève également l'importance accordée au
soutien à la nation pour la constitution de l'identité albanaise
qu'un certain nombre de sociologues tentent de mettre en avant pour combattre
l'idée reçue selon laquelle les Albanais sont tous des Musulmans
(Wilmart : 2008 : 72 ; Neziroski : 2009). Pour éclaircir ce
dernier point d'appartenance religieuse qui fait débat vis-à-vis
de l'Albanie, j'orienterai le lecteur vers l'article d'Hélène
Rigal (2003) qui est selon moi, une des seules à analyser de
manière réaliste la situation de l'Islam en Albanie. Dix ans
après la publication de cet article, le paysage albanais change et les
marques d'appartenance religieuse se font plus présentes, les tendances
religieuses extrémistes gagnent du terrain, tuant petit à petit
ce qui aura permis à l'Albanie de rester unie malgré tout.
Cependant, ce sentiment d'appartenance à une langue
fait de plus en plus surface dans le discours. Nous retiendrons
également qu'un nombre récemment grandissant de revendications
d'appartenance patriotique et linguistique trouvent leur place :
- dans les discours politiques (avec la création d'un
nouveau parti politique `l'Alliance Rouge et Noire' en 2012 à forte
orientation patriotique) ;
- publicitaires (référence au slogan « Fol
Shqip »18 (Infoarkiv, 2013) une campagne de promotion
téléphonique de l'opérateur Albafone en Macédoine
et à beaucoup de spots publicitaires montrant des Albanais à
l'étranger) ;
- mais aussi artistiques (la chanson « Fol Shqip »
d'Artiola et Poni, 2013, dont le texte rappelle l'importance de ne jamais
oublier « la langue de la mère »).
Vis-à-vis de la protection de la nation, de la culture
maternelle et par extension de la langue, nous pourrions mentionner Porcher qui
mentionne un fait important et adéquat à la considération
de notre terrain d'études qui est la remontée de sentiments
d'appartenance
17 Traduction de l'auteur « Oh mon Albanie
»
18 Traduction de l'auteur : « Parle albanais
»
61
nationale ou ethnique de nos jours, comme une
conséquence d'un refoulement, d'un déni de reconnaissance
dû à l'histoire de grandes puissances et qui auraient pour
conséquence aujourd'hui de faire revivre ces nations autrefois
oubliées :
« La naissance nouvelle d'Etats qui avaient
été éradiqués, en apparence, a
proliféré dans la dernière décennie. (...)
L'émergence des régions, des pays, des villes, comme
entités singulières, s'accroît chaque jour. Il y aurait,
à cet égard, à réinterpréter les politiques
linguistiques dans la lignée historique, où l'on verrait,
à coup sûr, des résurgences de temps longs, d'anciennes
frontières que les esprits rapides ou flapis avaient
considérées comme définitivement caduques ? Le
patrimoine a reconquis ses composantes locales, déterminé la
géographie, les appartenances historiques, culturelles et linguistiques.
» (Porcher, 2012 : 15)
Je tiens à préciser que le terme «
nationalisme » cher à la qualification des esprits balkaniques
depuis plusieurs décennies, ne sera pas employé dans ce travail
car à mon sens, non adapté. Je laisserai le soin aux sociologues
de terrain d'analyser ce qui constitue le nationalisme albanais, en attirant
primairement l'attention du lecteur de ce travail, que le renfermement de
l'Albanie sur elle-même tout au long de son histoire n'aura pas
constitué une volonté de ce peuple de faire prévaloir les
valeurs de la nation au détriment de celles d'autres populations (selon
la définition de P. Simon, n.d.), mais que le
développement d'une protection presque viscérale des valeurs de
ce peuple aura permis de préserver un patrimoine bimillénaire de
traditions qui aura à la fois fourni le sédiment de base à
l'instauration d'une dictature communiste, autant qu'à la sauvegarde
d'une culture encore largement méconnue dans les champs de
l'archéologie et de l'histoire des civilisations (Cabanes, 2004).
Cette première incursion de description historique
aura permis de poser les premiers éléments de connaissance
vis-à-vis de la situation linguistique des Albanais en Albanie et
ailleurs. Selon l'idée où l'école est une des institutions
à travers laquelle les valeurs d'une société sont
transmises aux générations futures, nous nous attarderons
à voir dans quelle mesure l'école a joué un rôle
dans la formation des représentations sociales et sociolinguistiques des
apprenants albanais.
62
II/ Ecole, éducation et pouvoir
Porcher (2012 : 130) nous dit que « la transformation
nécessaire des capitaux culturels ne peut s'accomplir qu'en s'appuyant
sur ceux qui existent d'emblée, reçus par héritage, et par
lesquels, méthodologiquement (pédagogiquement), il est
indispensable de passer pour conduire avec succès un apprentissage
nouveau. » C'est donc d'après l'idée qu'il existe une
transmission de valeurs culturelles et morales aux futures
générations d'un peuple que nous présenterons la
manière dont l'école albanaise s'est construite19.
Identifier les moyens qui auront permis l'élaboration de cette
institution sociale amorcera une meilleure compréhension des
représentations sociolinguistiques de nos locuteurs observés
vis-à-vis de leur langue maternelle et des langues
étrangères.
2.1. Prémices de l'élévation de
la société albanaise socialiste
Selon Gouysse (2008 : 98), dans son oeuvre à propos de
la façon dont les socialismes nationalistes (ou totalitarismes
soviétiques) d'Europe de l'Est se sont construits et ont perduré,
l'Albanie aurait difficilement pu échapper à son destin. Le
communisme a su s'y installer car les représentants du Parti
d'aujourd'hui étaient aussi les libérateurs d'hier (en
référence aux forces armées montées par Enver Hoxha
et qui libérèrent le pays des Allemands sans l'aide de l'Europe).
Rien ni personne n'avait réussi à réunir énergies
et moyens suffisants pour libérer ce territoire du joug étranger,
cela ne s'était pas produit depuis de nombreuses décennies.
L'Albanie totalitaire s'est construite à partir de l'usure de ce peuple,
et de tout ce qui l'identifie à cette époque : absence de
reconnaissance identitaire et humaine, sociale et historique, et que la
souveraineté de ce peuple n'a jamais été reconnue
officiellement.
Enver Hoxha, camarade et « oncle » du peuple (selon
la terminologie utilisée dans les textes datant de la période
communiste) fut rapidement élevé à un rang où la
scène politique était à portée de mains. En 1946,
il devient président de l'Albanie et occupera sept quinquennats
consécutifs, mais dès le début, il diffuse ses
idées catégoriquement opposées à l'Occident, au
capitalisme et à l'impérialisme, lors de la création des
forces armées antifascistes, qui auront repoussé à elles
seules l'armée italienne et allemande. Le régime totalitaire dura
pendant près de la moitié d'un siècle. Peu à peu,
tout ce qui pouvait faire de l'ombre au socialisme révolutionnaire
d'Enver Hoxha fut interdit, proscrit et banni : les hôtels de tourisme
ouverts aux étrangers n'ont pas de balcon pour ne pas qu'ils se
dévoilent aux yeux des Albanais, les rares étrangers que l'on
admet sur le sol après examen méticuleux de la
19 Pour une présentation de l'organisation de
l'Ecole de l'Albanie socialiste, voir annexe IV.
63
raison de leur présence sont
irrémédiablement accompagnés de chauffeurs et
d'interprètes ; les lieux de culte sont soit rasés, soit
vidés de toute représentation religieuse et transformés en
gymnases ou en entrepôts de denrées alimentaires ou de
matériel militaire ; les particularités sont gommées,
lissées et emprisonnées quand on ne se plie pas à la
doctrine directement issue de Moscou et du camarade Enver Hoxha (à
l'exception des minorités qui obtinrent le droit d'être
scolarisés dans leur langue). Sous le régime communiste, 1
Albanais sur 10 connait les prisons politiques et les camps de travail
forcé.
Enver Hoxha réveille la conscience meurtrie de ses
concitoyens pour les réunir sous le flambeau du renouveau et pour leur
engagement fidélisé à renforts de discours interminables
et répétitifs à propos du bien-fondé du
rassemblement autour d'un même objectif : le développement «
révolutionnaire » (ce terme sera trop souvent apparu au cours de
mes lectures pour que j'en épargne mon lecteur) de l'Albanie au profit
d'une nouvelle société, aux antipodes de ce qu'on aura
forcé à faire vivre aux Albanais. L'oeuvre de Jandot,
citée maintes fois, éclairera le lecteur désireux de
comprendre l'enracinement du communisme en Albanie. Cette idéologie est
si fidèlement appliquée et adaptée aux besoins de la
société albanaise de l'époque que les pouvoirs
soviétiques et communistes d'Asie ne trouvent rien à y redire
(ibid. 131). Tito, Khrouchtchev et Mao-Tsédong sont tour à tour
dénoncés de traitres à la pensée stalinienne et de
révisionniste, et l'Albanie leur tourne successivement le dos jusqu'en
1978 (quand la Chine décide d'interrompre ses aides financières)
où elle se retrouve seule, les frontières sont fermées,
l'Albanie n'a presque plus aucun contact avec l'extérieur. Les seuls
Albanais qui sont autorisés à traverser la frontière sont
les plus fidèles au régime que l'on envoie à
l'étranger suivre des « stages de spécialisation
scientifique ».
Lorsque le peuple est convaincu du bienfondé des
principes proposés par le gouvernement, le terrain est prêt
à être aménagé. Comme cela a été
mentionné auparavant, il s'agit de redonner la certitude au peuple qu'il
est souverain et que plus jamais l'Albanie ne revivra de temps difficiles si
l'on accepte de suivre scrupuleusement les préceptes promulgués.
L'Albanie est prête à tourner la page et à voir
apparaître une nouvelle version d'elle-même, à condition que
tout se fasse selon les enseignements d'Enver Hoxha et du camarade Staline,
lui-même basé sur Engels et Marx. Pour diffuser le modèle
du nouvel Albanais, et surtout pour que ce modèle se reproduise et
perdure, l'Ecole devient l'institution par laquelle les messages provenant d'en
haut sont diffusés et doivent être assimilés. Deux
tâches primordiales sont alors fixées par le Parti concernant la
forme que revêtira l'école albanaise : la formation des
enseignants et leur rôle dans la société ainsi que celle
des élèves.
64
2.2. L'école au service de la
société socialiste
Avant la Première Guerre Mondiale, presque seules les
écoles religieuses étaient opératoires en Albanie,
l'école publique n'étant que trop peu fréquentée ou
même accessible. L'encart républicain puis monarchique du
régime d'Ahmet Zogu dans les années 1920 a bien rendu
l'éducation obligatoire, mais le manque de personnel et de structures
rendit cette loi presque inapplicable (25% d'enfants scolarisés pour 643
écoles).
Depuis toujours, il fallait ensuite partir à
l'étranger pour poursuivre ses études supérieures : en
Autriche, en Turquie, en France ou en Italie, en fonction de la langue et de
l'alphabet appris par les élèves albanais. Le gouvernement
albanais a tout à faire ou presque. Cette révolution culturelle
s'élabora en plusieurs étapes. Pour chacune d'entre elles, les
réformes les plus significatives sont retenues ici.
2.2.1. La première étape (1944-48)
: jeter les bases de l'institution scolaire, popularisation de
l'éducation et détermination des moyens à mettre en
oeuvre
En 1946, l'Albanie observe un taux d'analphabétisme
proche de 90% dont 82% d'hommes et 98% de femmes (Temo 1984 : 4). Lors du
Vème Plénum du Parti Communiste d'Albanie à Berat de 1946,
le Parti du Travail albanais pose les bases de ce que l'Ecole albanaise
deviendra, avec une priorité : celle de remédier à
l'analphabétisme presque total de la population, et lancer le
développement et l'industrialisation d'un pays presque
entièrement dépourvu d'infrastructures de toutes sortes. On
planifie donc les nécessités suivantes : - système
d'enseignement entièrement démocratisé et
popularisé
- enseignement primaire gratuit et progressivement rendu
obligatoire, pour tous sans distinction de genre ou d'origine ethnique et
sociale
- possibilité d'éducation en langue maternelle
pour les minorités nationales
- mise à contribution de la population pour occuper
les postes d'enseignants et création d'un Institut pédagogique de
deux ans (1946) à l'adresse des enseignants volontaires ou mis à
contribution
- rédaction de manuels scolaires et mise à
disposition de matériel (enseignants et élèves) -
construction d'établissements scolaires dans chaque village et ville
- structure pédagogique et didactique fondée sur
les principes du marxisme-léninisme
On peut voir ici que les préceptes du marxisme sont
largement appliqués au sein des rôles projetés à
propos de la nouvelle école albanaise. L'idée selon laquelle la
connaissance peut amener à influer sur la lutte des classes, concept
central dans l'idéologie marxiste, chacun se voit offrir l'accès
au savoir, pour participer à la construction de la société
de
65
demain, participer à l'histoire pour s'engager dans une
lutte et renverser le cours des phénomènes sociaux « subis
» (ou vécus) par l'Albanie jusqu'à sa libération.
Placée au centre de la réalisation d'un objectif unique, l'Ecole
fédère et veut rendre à la société son
caractère dynamique (à travers la volonté du
gouvernement), autant qu'elle effacera les individus et leurs
particularités au profit du développement matériel du
pays.
2.2.2. Deuxième étape (1948-55) :
débuts de la politisation et de l'idéologisation de
l'éducation
Maintenant que le côté matériel est
assuré, il faut davantage s'attarder à ce qui se passe entre les
murs des classes. L'Ecole est démocratisée et le concept de
l'utilité de l'éducation est idéologisé au profit
de la bonne assimilation des préceptes du gouvernement. L'école
devient le moyen qui permet de mettre en oeuvre le modèle
éducatif communiste, directement inspiré de l'école
soviétique (Çajupi, 2012 : 14) :
- les « masses travailleuses » de tout âge
doivent fréquenter l'école pour recevoir au minimum
formées à un niveau d'éducation primaire.
- Enseignement primaire de sept ans, à partir de
l'âge de 6 ans est rendu obligatoire avec plus de 193.000
élèves albanais inscrits dans plus de 2.500 écoles
primaires, 15 écoles professionnelles inférieures, 24
écoles secondaires.
- le marxisme-léninisme est ajouté aux
programmes et est étudié de manière obligatoire à
tous les niveaux d'éducation et dans toutes les branches.
2.2.3. Troisième étape (1956-65) :
début de la construction socialiste de l'Albanie
L'école devient le lieu où l'on prépare
les nouvelles générations au maintien de l'Albanie socialiste. Le
chantier est énorme mais en 1956, le Parti du Travail Albanais (PTA)
remarque que le sens de la vapeur est inversé : toute la population
jeune ou adulte (jusqu'à l'âge de 40 ans) a appris à lire,
et à écrire et a reçu un emploi (ibid. 19). Cette
démarche est à la base de ce qui permettra d'organiser « les
esprits en mythe globalisant, [celui de] `la nouvelle société'
» (Jandot 2000 : 201). « L'enseignement est devenu en Albanie le
véritable apanage du peuple, un puissant moyen de développement
des valeurs spirituelles et intellectuelles de l'homme, une arme servant
à faire avancer l'économie, la science et la culture, à
assurer le progrès et l'épanouissement » (Temo, 1984 :
8).
- Université de Tirana créée en 1957
ouverte à tous et non élitiste (peu de concours d'entrée
mais conformité idéologique vérifiée)
66
- Lien étroit effectué entre ce qui est
enseigné à l'école et l'application des apprentissages
dans le cercle familial et en faveur de la construction socialiste de l'Albanie
: liaison de l'enseignement avec le travail de production, «
l'école n'est pas seulement un lieu où l'on s'instruit, mais
aussi un secteur où l'on travaille » (Temo, 1984 : 7).
- 1963 : loi sur la réorganisation du système
d'enseignement en RPA
- éducation primaire allongée d'un an / 4
années d'enseignement secondaire rendu obligatoire
- enseignement supérieur élargi, et accessible
à tous les élèves ayant terminé leurs études
secondaires et ayant accompli un an de travail « à la production
» durant lequel ils se préparent à soutenir leur
diplôme de fin d'études secondaires.
- on ouvre des structures extrascolaires à l'adresse
des jeunes Albanais pour renforcer leur formation idéologique en dehors
de leurs heures d'école : les Pionniers, responsables de montrer
l'exemple à travers des activités organisées pour eux
à la gloire du Parti.
2.2.4. Quatrième étape (1966 -
1970) : renforcement idéologique de l'école
L'école est devenue à cette étape un
organe sur lequel le gouvernement se repose pour influer sur la formation
idéologique et sociale des nouvelles générations, qui
reçoivent indirectement la responsabilité de la
pérennité du Parti et de l'Etat. Afin de s'assurer du bon
fonctionnement de cette institution, elle est continuellement
évaluée et contrôlée pour mieux doser les effets de
l'idéologie diffusée. A travers la jeunesse, on s'assure
également que les plus vieux respectent l'idéologie du
gouvernement, on met les enfants à contribution pour vérifier que
tout est aux normes au sein de l'espace familial, ou on les envoie effectuer
des travaux d'intérêt public tel que réguler la circulation
routière. Les enfants sont mis dans une situation de modèle, de
ce que le nouvel Albanais devrait incarner en termes de valeurs, toujours pour
la patrie, et le développement et la protection d'une Albanie qui
revient aux Albanais. On étudie de près les oeuvres du Parti et
les écrits publiés d'Enver Hoxha, qui sont d'ailleurs traduits et
publiés dans plusieurs langues (russe, chinois, anglais,
française, italien) pour répandre la position idéologique
de l'Albanie, conforme selon les voeux d'Enver Hoxha au
marxisme-léninisme, mais aussi pour donner l'idée au peuple qu'on
suit et qu'on regarde l'Albanie pour les efforts exemplaires qu'elle a
accompli.
67
La relation étroite, presque exclusive20,
entre les enseignants et les élèves permet de combattre la «
bureaucratie pédagogique » avec pour but de toujours mieux
s'insérer dans la pensée de l'apprenant et de contrôler sa
conformité avec les lignes idéologiques et politiques du Parti.
Durant cette étape, on vérifie et on réforme
continuellement l'organisation et les principes de l'école, la structure
scolaire est repensée (c.f. annexe 2) et
unique à l'exception du choix possible entre une éducation dite
`régulière' ou professionnelle, bien que cette dernière
soit de moins en moins fréquentée tant l'éducation
générale est également axée sur les concepts de
production et de rendu matériel. Pour s'assurer de la
fidélité des enseignants à l'idéologie du
gouvernement, on les place sur un piédestal : devenir enseignant est un
signe de réussite sociale et de reconnaissance. Ce sont d'ailleurs les
meilleurs élèves qui accèdent à des études
en didactique, après qu'ils aient prouvé leur
fidélité au Parti en s'y engageant et en oeuvrant au sein de la
vie du PTA. L'éducation est rendue accessible à tous, les
internats et cités universitaires sont construits, un système de
bourses universitaires est instauré, ce qui permet de définir les
données suivantes, prouvant un niveau d'éducation haut et
relativement élevé. On n'apprend pas ce qu'on veut, mais les
Albanais n'ont pas beaucoup d'autres choix que d'aller à l'école,
ou c'est le dur travail de la terre qui attend les jeunes. On les incite alors
à redoubler d'efforts pour prouver la fidélité des
familles au PTA (et s'éviter les problèmes de la
Sigurimi, la police secrète), mais aussi pour
permettre aux jeunes d'avoir un avenir meilleur.
Année scolaire
|
Nombre d'écoles supérieures
|
Enseignement supérieur
|
Enseignement pour
travailleurs
|
Total
|
Femmes
|
Enseignants
|
1939
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
1950
|
1
|
0.1
|
0.2
|
0.3
|
-
|
13
|
1960
|
6
|
3.5
|
3.2
|
6.7
|
16.6
|
288
|
1970
|
5
|
10.7
|
14.8
|
25.5
|
32.5
|
926
|
1983
|
8
|
14.5
|
4.9
|
19.4
|
46.4
|
1360
|
|
Tableau 2 - Effectifs enseignants et
estudiantins dans les universités de la République Socialiste
d'Albanie de 1939 à 1983 (en milliers) -
Temo, 1984 : 18
20 Le film « Slogans » (Gjergj Xhuvani,
2001), réalisé à partir du recueil de nouvelles
Slogans de pierre d'Ylljet Alliçka (2009 [1999], éd.
Pyramidion) est un témoignage fidèle de scènes de classes
et du pouvoir du Parti sur les enseignants, et à travers eux sur les
élèves.
68
2.3. Du statut des langues
étrangères
Alors que le régime communiste appuyait l'orientation
pédagogique en accord avec ses croyances idéologiques et
politiques, l'accent était porté à une étude
scrupuleuse de ce qui permettait le développement des infrastructures
industrielles et matérielles de l'Albanie. En contexte de fermeture de
plus en plus absolue, l'apprentissage des langues étrangères
était restreint et servait particulièrement la formation de
traducteurs qui accompagnaient ou surveillaient les rares étrangers en
présence sur le territoire albanais, ou qui traduisaient les textes
étrangers, sur lesquels la propagande gouvernementale se basait pour
construire son discours antinationaliste. Une autre part de ces
étudiants intégrait le corps enseignant de langues
étrangères. Le but visé à l'apprentissage d'une
langue étrangère était d'avoir un nouveau moyen de
surveiller la formation identitaire des jeunes apprenants albanais, car les
manuels de langues étrangères, produits par le Comité
Central de l'Enseignement du gouvernement et édités en Albanie,
permettaient la diffusion de l'idéologie du PTA et de dénigrer la
personne de l'étranger.
D'après ce point, nous pouvons dire que
l'apprentissage des langues étrangères n'était pas permis
pour la formation à l'interculturel aujourd'hui prônée par
les textes supranationaux tels que le CECR, mais servait l'objectif du
gouvernement à centrer la société sur elle-même et
sur les besoins du pays, effaçant l'existence de l'individu. Comme nous
le dit l'un de nos informateurs à la question de là où on
pouvait apprendre des langues étrangères à l'époque
communiste, il nous répond que
29. 01-H - Qu'est-ce qu'on faisait ? On lisait un texte, on
apprenait les mots nouveaux. Voilà, on expliquait les mots.
Voilà, mais après, on ne pouvait pas construire une phrase exacte
! A propos du texte, tu pouvais répondre très bien. A propos des
personnages...
« Qu'est-ce que Monsieur Dupont fait ? » «
Monsieur Dupont monte dans sa voiture. »
« Est-ce qu'il a des enfants ? » « Oui, il a deux
enfants »
« Comment il s'appelle ? » « Il s'appelle...
»
Mais après, au moment où on se mettait en face
d'un Français, c'était autre chose. On ne pouvait pas !
C'était interdit. Ne pas parler à un étranger.
CF ANNEXE 9, 01-H
69
Le développement d'une compétence de
communication n'était pas visé à travers les
méthodes d'enseignement datant de la période communiste.
Cependant, le monde étranger intrigue, certainement parce qu'il permet
de s'évader d'une réalité difficile. Les livres
étrangers circulent en cachette, on apprend les langues
étrangères en camp de travail, entre prisonniers politiques. Dans
les écoles où on apprend le français, on utilise
Cours de langue et de civilisation française à
l'usage des étrangers de Mauger (années 1950 pour
les quatre volumes).
A l'exception du russe dont l'enseignement est motivé
par le rapprochement politique de l'Albanie avec l'URSS et les
idéologies marxiste-léniniste et stalinienne conjointement
défendues, d'autres langues sont enseignées, comme l'anglais ou
l'italien. Le français semble avoir un statut particulier, pour des
raisons que nous synthétisons ici. Nous avons vu
précédemment que le mouvement de la Renaissance albanaise s'est
directement appuyé sur les philosophes français et leurs messages
de liberté, et de rationalisation de l'ordre social21.
Cependant, l'inspiration de la France ne s'arrête pas là, car le
dictateur albanais lui-même continua de placer la France à un
statut particulier : « J'admirais la France et son peuple pour ce qui
appartenait d'eux à l'histoire, mais j'admirais et respectais aussi ses
gens pour leur fierté de leurs prédécesseurs, pour leur
sensibilité au destin de leur pays» (1988, préface). Sous
son régime, les seuls romans étrangers admis en Albanie sont ceux
de Balzac, Hugo, Zola, Barbusse et quelques oeuvres des Lumières
français (Rama, L. 2005 : 294). Ce seront d'autres, interdits et
imprégnés du plaisir troublant de l'interdit, tel que Camus, qui
seront lus en secret, au risque de finir en prison, où d'autres auront
également appris à parler une langue étrangère pour
s'évader au moins mentalement (BDIC, enregistrement Pjetër Arbnori
à propos de son apprentissage de ces langues dans la prison de Burrel,
groupe de `Mémoire grise à l'Est', 1993).
Selon l'idéologie marxiste et selon les propres mots
de Karl Marx (lui-même plurilingue) : « une langue
étrangère est une arme dans la lutte de la vie ». Dans les
aspirations de Hoxha pour la construction de la société albanaise
de demain, ce précepte marxiste correspond tout à fait à
l'attitude qu'om souhaite que les Albanais adoptent. On rappelle à titre
d'exemple, Mustafaj (1992, 114), quand il dit à propos de ses
21 Ce n'est pas, soit dit en passant un fait
isolé, quand de nombreuses révolutions philosophiques, sociales
et politiques étrangères s'inspirèrent des concepts des
Lumières.
70
études que le Marxisme et les questions de
linguistique (Staline, 1950) était un livre central et
assidument étudié par les étudiants de la Faculté
des Langues Etrangères de Tirana. L'analyse à visée
scientifique des faits de sociaux prônée par l'école
albanaise amènera à considérer la langue comme un
système élaboré, que l'on étudie du point de sa vue
de sa structure externe, autant que de son pouvoir, car comme Goethe humaniste
et scientifique allemand, contemporain de Marx le pensait : « qui ne
connait pas de langues étrangères ne connait pas sa langue
maternelle ». Tout tourne autour du statut de la langue albanaise au sein
de la société dans laquelle cette langue est parlée, et
à présent enseignée après tant d'années
d'occupation.
Dans les écoles et pour notre étude, lorsque
l'on regarde les programmes de formation du niveau primaire et secondaire, on
s'aperçoit que l'apprentissage des langues étrangères est
présent et obligatoire à partir de la cinquième
année, ou à l'âge de 10 ans (équivalent du CM2 en
France). Dans chaque école, des classes expérimentales
permettaient de tester de nouvelles méthodes d'enseignement, toujours
dans l'idée d'améliorer les contenus et techniques didactiques ;
certaines écoles proposaient donc un enseignement des langues
étrangères dès la deuxième classe
(équivalent du CE1 en France), ces classes auraient-elles
été instituées selon l'idée que l'apprentissage des
langues étrangères bénéficiaient à
l'élaboration d'une compétence particulière ?
L'état de nos recherches actuelles ne nous permet pas de le
déterminer. Concernant la place de l'enseignement des langues
étrangères dans les programmes scolaires, on peut dire que
l'apprentissage des langues étrangères est intégré
dans un module intitulé « matières du cycle social
humanitaire » qui comprend également l'apprentissage de la langue
et de la littérature albanaises, l'histoire, l'éducation morale
et politique, pour 45% du volume horaire de la semaine scolaire des
élèves albanais. Finalement, on sait que les langues
enseignées en Albanie sont l'anglais, le français, le russe et
l'italien. Il existait finalement une école spécialisée
dans l'apprentissage des langues étrangères, à Tirana.
Dans cette école, l'apprentissage de l'une de ces langues se trouvait
aux côtés du marxisme-léninisme, de l'histoire et de la
géographie pour un total de 1827 heures sur les quatre années de
formation secondaire.
71
L'apprentissage des langues étrangères au niveau
universitaire était finalement grandement valorisé selon les
représentations sociales de chacun, comme nous l'affirme un enseignant
de français lors d'un entretien22, où il
précise qu'à l'époque du communisme, le français
était certes la première ou deuxième langue obligatoire
enseignée et apprise dans les écoles, mais que les apprenants
n'avaient pas le choix de la langue étrangère
étudiée. Cependant, il continue à dire qu'au niveau
universitaire, quand on disait qu'on avait été accepté en
licence de français, c'était quelque chose de valorisé.
Voyons le discours tenu à ce propos :
H - « Les langues étrangères ne sont plus
vues comme un ornement ». CF ANNEXE 9 01-H
11. A - Et tu as continué au lycée
des langues ?
12. G - Oui, à l'époque, les langues
étrangères étaient à la mode, et pour entrer dans
la section bilingue français / albanais, il y avait un concours
très difficile ! Pour 120 candidats pendant mon année, il n'y
avait que 30 places. J'ai fini à la troisième place, mais je
considère que j'étais le premier. Les deux premières
places avaient été remportées par deux filles, mais elles
avaient eu des cours privés avec BT, et elle connaissait les questions
du concours. Donc j'ai remporté la première place des gens qui
ont étudié honnêtement.
[...]
22. Et vos parents étaient favorables
à ce que vous appreniez le français ?
23. G - Ah oui, ils pensaient que ça nous donnerait du
travail. Maintenant, ils pensent qu'ils ont fait une erreur. A l'époque,
les entreprises étrangères commençaient à arriver,
on pensait qu'en apprenant les langues étrangères, on pourrait
trouver du travail plus facilement. Même aujourd'hui, mais c'est
différent.
24. E- Moi, tu imagines, j'avais 14 ans quand je suis partie
de ma ville, j'étais petite et j'ai changé de ville pour
apprendre le français, c'est que mes parents pensaient vraiment qu'on
pouvait trouver du travail.
25. Et pourquoi vos parents vous ont-ils
orienté vers le français ?
26. G & E - c'était mieux d'apprendre le
français, parce que ce n'est pas facile comme langue, ça donnait
plus de prestige que l'anglais et l'italien. Le français, c'était
un plus. En plus, c'est impossible d'apprendre cette langue en étant
autodidacte, pas comme l'anglais et l'italien.
[ ...]
37. Quelle est ton opinion pour les langues
étrangères ?
38. G - parler français, c'est valorisant. [...]
42. G - A mon époque, quand on rencontrait quelqu'un
qui parlait français, c'était * sifflement d'admiration *.
Cf ANNEXE 12, 04GE
|
18. Et dis moi, le petit ED, quelle était
son opinion pour le français ?
19. ED - Le français... Ce n'est pas que j'avais une
opinion, c'était une langue étrangère, voilà...
Je l'ai apprise, et du coup, après, même le lycée, j'ai
été au lycée des langues étrangères, parce
qu'à cette époque, ce lycée, c'était le top, il y
avait un concours à passer. Ce n'est pas tout le monde qui y allait. Au
début, on était que 12 ou 13 élèves à avoir
passé le concours. Ensuite, il y a eu d'autres élèves qui
sont arrivés, mais au début, on était peu.
CF ANNEXE 15 07-ED
22 Non enregistré par demande
spécifiée de sa part.
72
Cependant, les études dans des disciplines plus
techniques, plus concrètes ou matérielles restaient les plus
courantes et les plus développées et observées de
près par les officiels du gouvernement. On voit à travers des
chiffres de 1989 de l'UNESCO qu'entre 1983 et 1989, seules deux thèses
de doctorat ont été soutenues dans le domaine des langues
étrangères, contre 17 en physique, 16 en chimie et 11 en
mécanique appliquée, selon un projet visant à
améliorer le niveau de recherche scientifique et celui de l'enseignement
et de ses méthodes en association avec le Programme des Nations Unies
pour le Développement (PNUD).
Alors que l'école était un relai précieux
pour l'endoctrinement des nouvelles générations aux
idéologies en place, on réalise qu'avec la chute progressive du
régime, ce qui avait été imposé jusque lors est
doucement remis en question, de manière cachée, souvent, car on
ne se défait pas d'un fonctionnement totalitaire et restrictif du jour
au lendemain, mais les consciences s'éveillent, à nouveau. Le
régime communiste bat de l'aile depuis la disparition du camarade Enver
Hoxha en 1985, on sent que les choses changent. Le gouvernement qui lui
succède avec Ramiz Alia à sa tête s'engage alors à
amorcer une campagne de rappel de tout ce qu'Enver Hoxha a fait, de toutes les
avancées dans la vie sociale et nationale de l'Albanie. Ce sont
d'ailleurs les sources qui datent d'après 1985 qui sont les plus
aisées à trouver et à consulter, car après la mort
du dernier stalinien d'Europe, l'Albanie tente de se justifier vis-à-vis
de la conduite qu'elle a tenue jusqu'à présent et lance de
grandes campagnes d'édition des oeuvres d'Enver Hoxha, en langues
étrangères, que l'on trouve encore facilement aujourd'hui.
Peu de données sont disponibles à propos de
l'enseignement des langues étrangères pendant le communisme, et
cette partie ne se constitue pas analyse d'un temps passé, mais
tentative de synthèse d'un contexte socio-historique à prendre en
compte, en particulier lorsque l'on s'intéresse aux politiques
linguistiques d'aujourd'hui. L'hypothèse selon laquelle il y aurait une
continuité dans les lignes de conduite et de gestion politique
vis-à-vis des langues en circulation sur un territoire donné, on
est donc amené à reprendre certains événements (ou
du moins les plus marquants) dans cette perspective. Lorsque le régime
communiste tombe, en particulier grâce aux importantes manifestations
estudiantines de 1991, les politiques
73
linguistiques et éducatives en cours depuis quarante
ans furent et durent être changées, réformées,
créées pour se détacher de la tradition idéologique
instaurée en Albanie, au profit d'une standardisation sur des
critères européens, et ceci avec l'aide de nombreuses instances
étrangères et supra-gouvernementales (ONU, Conseil de l'Europe,
FMI). C'est ce que nous allons examinerdans la partie suivante.
III/ « Nous voulons être comme le reste de
l'Europe »23
La dernière apparition publique d'Enver Hoxha date de
novembre 1984 lors duquel on comprend que le numéro 1 du pays
disparaîtra bientôt, car il montre des signes de faiblesse et de
maladie. Il meurt un an après (Schreiber, 1985 : 925), et le
régime ne dure pas plus de six années au-delà de ça
tout au long desquelles on sent que la main de fer qui tenait les Albanais se
détend, ce qui a motivé les étudiants à se
révolter en 1991. Les années après la chute du communiste
sont difficiles, le pays passe d'un fonctionnement autocentré à
ce que le Parti Démocratique créé par Sali Berisha
appellera plus tard le « changement » (`ndryshimi'
en albanais)24. L'Albanie peine à se
démocratiser, les conflits de 1997 (guerre civile à la suite de
l'effondrement de sociétés d'investissement à structure
pyramidale) et de 1999 (conflits armés au Kosovo) mettent le pays dans
une situation de déséquilibre qui repoussent ou remettent en
question les efforts d'amélioration, de démocratisation. En 1995,
le FMI attribua toutefois à l'Albanie la reconnaissance qu'elle fut le
pays des Balkans qui aura connu la meilleure croissance depuis que le
communisme est tombé, bien que e nombreux efforts semblent encore
nécessaires si l'on observe le nombre de fois où l'UE a
rejeté la possibilité d'accorder à l'Albanie son statut de
candidat pour le motif précis que ce pays était en bonne voie
mais qu'il devait encore procéder à des améliorations et
réformes.
23 En référence au chapitre p. 159 de
l'essai de Besnik Musatafaj, Entre crimes et mirages : l'Albanie
(1992), lui-même en référence à un slogan
pendant les manifestations de 1991 : « E duam Shqipërinë si
Evropa ! » : « Nous voulons l'Albanie comme l'Europe ».
24 Lors des élections législatives de
2013, le PD porté par Sali Berisha qui briguait un troisième
mandat consécutif au poste de Premier Ministre affichait le slogan
«Ne jemi ndryshimi përpara » (nous sommes le changement
en premier), en rappel aux réformes passées sous le gouvernement
de cet homme politique au lendemain des événements de 1991, puis
de 2005 à 2013.
74
3.1. L'Université en pleine révolution
: pour quelle utilité projetée de l'enseignement supérieur
?
L'Europe est vue comme une fenêtre sur des jours
meilleurs, bien qu'il semblerait qu'elle a aussi déçu (je
laisserai l'appréciation de ce commentaire aux concernés, me
basant sur le chapitre de Mustafaj qui relate lui-même ce fait à
partir des événements post-1991 dans son essai). Nous garderons
à l'esprit que cette volonté d'intégrer l'UE semble se
traduire par les efforts législatifs menés par le gouvernement de
ce pays de voir son système politique autocentré mué en un
régime démocratique. Du point de vue de l'enseignement, l'Albanie
se rend vite compte que le changement est urgent et le gouvernement s'attarde
à ce domaine dès 1992. Voici une synthèse des
réformes les plus significatives dans le domaine de l'éducation
d'après UNESCO, 2011) :
1992 : les cours à caractère
idéologique et l'éducation militaire sont retirés des
programmes de formation ; tentatives d'introduction de méthodes
d'enseignement dites « interactives » ; on repense également
le système de formation des enseignants pour leur permettre d'avoir une
marge de manoeuvre plus libre.
1995 : un prêt de 30 millions de
dollars est accordé à l'Albanie pour pouvoir procéder
à la construction ou à la réhabilitation de ses
bâtiments scolaires, et à la réforme de ses contenus
scolaires ; la jeunesse d'avoir accès à une éducation qui
lui permette de construire la société démocratique de
demain et développer une économie de marché libre ; on
repense les écoles professionnelles et on autorise l'ouverture
d'écoles privées ; on propose la création de conseils
scolaires permettant un relai entre l'école et les parents.
1997 : on réduit le nombre
d'années d'études universitaires d'une année, on obtient
une licence en quatre années et un master sur deux années
supplémentaires ; l'Albanie signe la Convention de Lisbonne qui
prévoit la reconnaissance de certains diplômes émis en
Europe et au sein des pays signataires.
1999 : plus grande liberté
décisionnelle et administrative des universités, élection
libre de ses administrateurs, sans contrôle de l'Etat.
2000 : certains pouvoirs du gouvernement sont
délégués à des commissions locales, dites «
Bureaux de l'enseignement ».
2002 : restructuration du Ministère de
l'Education et des Sciences pour permettre une meilleure définition des
politiques éducatives ; on crée un département
d'inspection du Ministère pour contrôler et protéger le
personnel administratif des changements fréquents de
75
Ministres et de ce qui est appelé « les purges
politiques » (chaque parti politique préférant nommer du
personnel de son propre camp).
2003 : on nomme le personnel administratif
sur la base du mérite et de la concurrence ; on accorde plus de droits
aux commissions de l'éducation locales ; on détache le Centre de
Formation des Enseignants pour rendre cette institution indépendante de
l'Institut des Curricula et des Standards ; l'Albanie signe la Charte de
Bologne.
2004 : décision gouvernementale de se
rapprocher des standards européens en matière d'enseignement et
de plan de formation avec l'adoption du système LMD ; le domaine de
l'éducation est à nouveau désigné comme une
priorité gouvernementale, par le Conseil des Ministres.
2005 : projet avec le PNUD d'introduire les TIC
à l'école.
2006 : on accepte de revoir les
modalités d'admission à l'université et la suppression du
concours d'entrée ; un prêt de 75 millions de dollars est
accordé à l'Albanie pour assurer l'équité et
l'excellence dans le domaine de l'éducation ; création d'un
conseil supérieur pour l'enseignement et les sciences.
2008 : une loi est portée visant
à interdire toute discrimination sur le genre à l'accès
à l'éducation ; une autre loi vise à aligner les standards
de formation doctorale sur les lignes conduites par le Processus de Bologne ;
l'école de huit ans est allongée d'une année
supplémentaire, et la formation secondaire se déroule sur trois
années (au lieu de quatre), réforme accomplie dans tout le pays
en 2012.
2010 : les commissions locales de
l'éducation deviennent responsables de la rédaction et des
conditions de passation des examens prévus à la fin de la
neuvième année d'école (équivalent du Brevet des
Collèges français).
2012 : le gouvernement rend obligatoire de
passer une épreuve en langues étrangères au
baccalauréat aux côtés de la langue albanaise et des
mathématiques, le choix de la langue est libre
(`matura' en albanais). Cette réforme fait
débat car le niveau évalué est A2 (idem aux
épreuves de la matura de fin de
collège, équivalent Brevet).
2014 : une large enquête sur la
situation de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique
est entreprise, le rapport est édité en avril et le rapport de
réformes à entreprendre dévoilé en août.
76
Les contenus pédagogiques et scientifiques sont petit
à petit repensés pour s'accorder à des standards
européens avec la volonté de correspondre à un
modèle de réussite et ultimement d'ouvrir les étudiants
albanais à la scène internationale qui leur aura
été fermée ou trop restreinte depuis toujours. La
standardisation des programmes et des plans de formation par la signature de la
Convention de Lisbonne (1997) puis de la Charte de Bologne (2003) a permis
d'aider à une redéfinition des principes éducatifs
dictés par les institutions albanaises, permettant également une
meilleure lecture des compétences élaborées par un
étudiant au cours de son cursus éducatif par des institutions
scolaires étrangères (pour le cas du deuxième texte).
L'Albanie a également multiplié ses projets de coopération
et de réforme de son système d'enseignement supérieur pour
tirer des conclusions sur les actions à entreprendre. Les principes
éducatifs suivent des lignes normées et permettant de
développer l'esprit des jeunes, mais aussi d'assurer l'économie
et la société dans laquelle les adultes de demain grandiront, en
théorie.
En juillet 2014, soit la même année que
l'élaboration et la rédaction de ce travail, le Premier Ministre
albanais Edi Rama décide de revoir les fondements de l'éducation
et la structure organisationnelle et pédagogiques de l'enseignement
supérieur et déploie son grand projet de réforme à
travers un discours intitulé : « Reforma në Arsimin e
Lartë, fund arsimit si një mall që blihet » (la
réforme sur l'enseignement supérieur, la fin de
l'éducation comme une marchandise qui s'achète),
semblant orienter la caractéristique principale de cette réforme
sur le fait que l'on peut monnayer son diplôme et ses examens. Cependant,
cette réforme table sur d'autres problèmes relatifs à la
situation actuelle de l'éducation en Albanie. Selon Çajupi
(2012), 30% des écoles privées pré-universitaires ne
disposeraient pas de l'accréditation du gouvernement albanais et
fonctionnent sans être évaluées. L'Université en
tant qu'institution n'a pas bonne presse ni grande évaluation de la part
de chacun, et le discours tenu par Edi Rama dans sa présentation du
projet de réforme de l'enseignement supérieur par le gouvernement
est direct, il s'attaque (à tort ou à raison) à tous les
fronts : celui de la famille, de l'école et de chacun de ses
occupants.
3.2. L'Université albanaise sur les bancs
d'essai
Le projet de réforme a été initié
à la volonté du Premier Ministre Edi Rama dès son
accès au poste en juin 2013. Plusieurs scandales avaient
déjà éclaté quant à la remise en question de
la transparence de certaines institutions et de la crédibilité de
certaines de leurs pratiques (scandale de l'Université Cristal à
titre d'exemple). Selon la perspective de rejoindre
77
l'Union Européenne dans les années à
venir, il semblerait, si l'on en croit le discours tenu à propos du
système de l'enseignement supérieur et de quelques-unes de mes
expériences, qu'une réforme voire une refonte de tout le domaine
est nécessaire. Cette nouvelle réforme dont le contenu a
été rendu public en juillet 2014 vise à corriger les
points suivants.
4 Une surpopulation des universités albanaises
: raisons et initiatives
Le nombre d'étudiants a explosé depuis la fin du
régime communiste : près de 20.000 en 1983, pour plus de 63.000
en 2004 et 160.000 en 2011, pour une population totale de 3.162.000 habitants
en Albanie, ce qui représente 5% de la population. Comme le
déplorent les enseignants de l'enseignement universitaire public, ces
apprenants sont très souvent dans une salle de classe parce qu'ils ne
veulent que le diplôme, ce que le rapport effectué confirme en
rappelant au passage deux autres facteurs de cette surpopulation des
universités albanaises : la trop grande offre de formation :
- plus de 1500 programmes de formation pour le pays
- près de 60 institutions de l'enseignement
supérieur (49 privées et 15 publiques), soit
20 universités par tranche d'un million d'habitants, ou 8 fois plus
qu'au Royaume Uni.
Il est également reconnu que le niveau de performance
des étudiants albanais a grandement chuté, en partie à
cause de la facilité d'accéder à des cursus de formation
dans des structures privées, qui auront été le sujet d'un
grand nombre de scandales impliquant corruption et manque de
crédibilité des plans de formation, et des modes de gestion. La
réforme de 2014 voulant privilégier le principe de
l'égalité des chances, de la libre concurrence et l'accès
à tous sur la base du mérite, vise à fermer
progressivement un certain nombre d'établissements publics et
privés dès la rentrée 2014-15, en vue de leur permettre
d'améliorer la qualité des enseignements dédiés aux
apprenants. Cette initiative fait débat dans le sens où les
étudiants ne sont pas les seuls à blâmer dans ce
processus.
Jusqu'en 2006, on entrait dans la filière de son choix
après le passage d'une épreuve d'entrée. Puis, avec la
signature de la Charte de Bologne, l'accès à l'université
est rendu possible dès que l'on obtient son bac, avec une note minimale
de 5/10. Ensuite, le nombre de points obtenus aux épreuves du BAC est
multiplié par le taux de réussite du lycée dans lequel
l'élève était inscrit. L'étudiant remplit un
formulaire, le A1, où il inscrit un nombre maximum de 10 choix de
disciplines et des universités dans lesquelles il souhaiterait
étudier. En fonction du classement national de la totalité des
lycéens du pays, du nombre de places par classe en Licence 1 et du
nombre de points obtenu par l'étudiant, il sera admis dans son choix nr
1 à 10. Si le nombre de ses points n'était pas suffisant pour
intégrer ses 10 premiers choix, il remplira
78
le formulaire A2 (permettant une rentrée scolaire en
novembre, soit un mois après tout le monde), ou encore le A3
(rentrée en décembre). Quand on a son BAC, et qu'on a le courage
de remplir trois formulaires, de regarder les listes d'admission dans un
maximum de trente disciplines et dans des universités
différentes, on est pratiquement sûr d'être admis à
l'université, tant qu'on a envie de se lancer dans cette
épreuve.
Certains départements désertés par les
apprenants soit par manque d'intérêt, soit par manque de
sérieux et que pour survivre en tant qu'unité d'enseignement, on
ferme les yeux sur les absences et les incompétences de son public
d'apprenant (quand certaines disciplines attirent plus d'étudiants
moyens que bons), soit aussi parce que trop de formations existent pour que
chacune d'entre elle gagne des étudiants sérieux et
intéressés, certaines disciplines sont alors ornées de
représentations négatives. Pour contrôler la qualité
des apprenants acceptés à l'université (!!), les quotas
seront revus à la baisse pour l'enseignement public et les tarifs
appliqués à l'entrée dans l'enseignement supérieur
revus à la hausse (ce qui ne respecte que partiellement la
volonté de permettre aux étudiants méritants
d'accéder à l'enseignement supérieur).
Le gouvernement, après analyse quantitative des
données relatives aux institutions de l'enseignement supérieur
statue que 1560 formations à travers le pays existent pour 60
institutions, ce qui ferait une moyenne de 26 diplômes différents
proposés pour chaque institution albanaise. D'un point de vue global, le
rapport soumet le commentaire selon lequel la trop grande offre de formation
met en péril la possibilité d'une concurrence juste et
équitable ou même la possibilité d'orienter les
étudiants vers des filières qui leur correspondent et qui offrent
des débouchées sur le marché du travail. A ce titre, un
questionnaire que j'aurais fait circuler dans une de mes classes aura
démontré que 76% de mes apprenants n'ont pas choisi le
français comme premier choix d'études supérieures (voir
annexe 17).
4 Une ingérence presque
totale
Le texte de réforme dit à plusieurs reprises que
le gouvernement ne possède actuellement aucune ligne politique
vis-à-vis de l'enseignement supérieur. Les textes
légiférant actuellement le domaine de l'enseignement
supérieur ne concorderaient pas avec les statuts des universités,
et la trop importante littérature judiciaire rendrait actuellement
impossible la création de standards de qualité et
d'évaluation. De
79
manière générale, le gouvernement,
à travers ce rapport, dit ne pas posséder d'organe institutionnel
qui serait en mesure d'effectuer une analyse à échelle nationale
de la qualité des institutions et des savoirs qui y sont
dispensés. L'une des seules instances gouvernementales à
être directement visée est le Conseil des Ministres et selon cette
remarque, il semblerait que le rapport tente de dire qu'il y a conflit
d'intérêt entre différents organes gouvernementaux
gérant différents aspects de la vie des Albanais. La structure
organisationnelle est également trop feuilletée, le pouvoir trop
fragmenté entre différentes instances et l'occupation de
plusieurs postes par une seule et même personne ne rendrait encore une
fois, pas cet organe fonctionnel, productif et actif.
4 Qu'est-ce qu'on apprend dans les
universités albanaises ?
Le manque de lisibilité et d'orientation,
l'incompréhensibilité des critères d'admission dans
l'enseignement supérieur et la baisse du niveau des étudiants
albanais sont autant de critères qui amènent à se poser de
sérieuses questions sur le contenu de la formation, et la
réceptivité de ces contenus de la part des apprenants.
J'ajouterai à cela que j'ai moi-même vu des apprenants en langue
française passer d'année en année et obtenir leur «
bachelor » ou licence sans savoir se présenter en langue-cible et
me proposer des travaux à la maison directement tirés
d'encyclopédies publiques et gratuites. Ces travaux
réalisés à la maison (dont les mini-thèses de fin
de licence, obligatoires pour l'obtention de son diplôme) nourrissent le
désespoir des enseignants qui auront essayé d'inculquer quelques
choses à ces apprenants, mais à nouveau, l'opacité de
certains fonctionnements institutionnels découragerait n'importe qui,
à commencer par moi-même, non native et résidente
temporaire, de vouloir dénoncer quelque manoeuvre frauduleuse ou
contraire à l'éthique de la recherche et du travail
universitaire.
La presque inexistence d'écoles post-secondaires
professionnelles (1% des plans de formation actuels pou 0.1% de la population
estudiantine totale) forme finalement de grands nombres de spécialistes
techniques ou scientifiques, sans que la main d'oeuvre qualifiée
n'existe sur le marché du travail.
80
4 Corruption
Pour justifier le point selon lequel on est vite
découragé par une tentative de dénonciation d'un
système qui ne dessert personne, j'évoquerai ma présence
à un comité de sélection d'enseignants vacataires pour le
département de français, à savoir que ces enseignants sont
principalement destinés à enseigner le français en tant
que deuxième langue étrangère dans des départements
et disciplines non linguistiques. Je formule le regret d'avoir vu des
enseignants incapables de répondre à des questions
décidées conjointement avec les autres membres du comité
de sélection, et surtout de voir des enseignants dont les
compétences linguistiques sont proches du C1 se voir refusés le
poste.
Dans le cadre de notre étude, nous pouvons dire que
cela a un impact direct sur l'état de la francophonie en Albanie et sur
les représentations qui véhiculent à propos de cette
langue quand l'enseignant, non locuteur de la langue cible, ne comprend pas ce
qu'il dit et que ses pratiques de classe et son professionnalisme peuvent par
conséquent être remis en cause (lecture orale pendant toute la
leçon et méthode grammaire-traduction pour les moins fragiles).
Ce genre de pratiques n'affecte pas seulement les départements de
français, mais toutes les langues étrangères
(d'après des témoignages d'observateurs qui m'ont dit avoir
repris leurs enseignants sur leur emploi de certains mots ou ne même pas
comprendre ce qu'ils disent quand leurs compétences sont
supérieures à celles de l'enseignant) et toutes les disciplines,
où il suffit juste de payer (Rakipi, 2012 : 14). L'accès aux
classes où, potentiellement, l'enseignant n'était pas
compétent en langue-cible m'a été refusé.
Finalement, une étude intéressante pourrait
nuancer cette remarque quant à la présence de la corruption dans
le domaine de l'enseignement. Une étude menée par le National
Democratic Institute for International Affairs en 2005, basée sur un
sondage public montre que 36% des Albanais interrogés considèrent
que les enseignants sont corrompus tandis que 61% pensent qu'ils ne le sont
pas, ou peu. Le schéma établi montre d'ailleurs que c'est dans le
seul domaine de l'enseignement que le nombre d'interrogés se prononcent
plus favorablement pour l'honnêteté des acteurs de la profession
visée (aux côtés des politiciens, des professions de la
Justice, de la médecine, de l'administration publique, de la Police et
du management qui sont
81
vus comme plus corrompus qu'honnêtes) plutôt qu'en
faveur de leur corruption. Les conditions de réalisation d'enquête
ne sont clairement explicitées dans ce rapport.
4 Et les enseignants, qu'enseignent-ils
?
Force est de constater qu'il existe aussi des enseignants dont
les compétences dépassent largement les capacités
d'assimilation des apprenants albanais, en particulier ceux qui n'ont pas
choisi leur domaine d'études ou même la ville dans laquelle ils
ont été acceptés. Mais ces enseignants sont
également peu nombreux puisqu'un large pourcentage des enseignants en
exercice d'aujourd'hui n'a pas de diplôme ou de formation certifiant une
formation initiale dans l'enseignement (Gjonça, 2014 : 16). Ici, il faut
mettre un bémol, car les débouchées des filières
linguistiques vers le marché du travail étant très
restreintes (enseignement, traduction-interprétariat, ou secteur du
tourisme depuis tout récemment), les enseignants d'aujourd'hui n'ont
parfois pas toujours choisi comme choix professionnel d'enseigner. Moyennant
7000 euros, on trouve un poste d'enseignant dans une école rurale
albanaise.
Ensuite, la grande offre en termes de formation universitaire
amène également les institutions à recruter du personnel
non qualifié (ibid. 16). Les plans de
formation étant très diversifiés et non
standardisés sur le plan national amène les enseignants à
promulguer des savoirs dont ils n'ont parfois acquis aucune connaissance au
préalable ou durant leur parcours de formation initiale ou continue. Je
donnerais par exemple un des enseignements proposés dans un
département de français d'une université albanaise
intitulé « le français du droit », quand très
peu d'universités proposent d'initiation au Français sur
Objectifs Spécifiques aux futurs enseignants. Ces enseignants n'ont
aucune connaissance dans le domaine de la justice, l'offre de formation
continue est encore très peu développée et dépend
surtout de programmes de formation étrangers (le CREFECO pour le
français), ce qui laisse à supposer que les enseignants doivent
fournir de gros efforts quant à la recherche préalable à
la rédaction d'un curriculum de cours, à supposer qu'une instance
ou qu'un responsable soit en mesure de juger si le contenu de ce curriculum est
contextualisé et réalisable,
82
examen inexistant d'après le rapport d'analyse dont il
est question. Effort difficile à engager quand on connait la
réceptivité réduite de son public.
4 Enseignement et financement :
Le travail d'enseignant n'est pas recherché en partie
à cause de la faible rémunération de cette profession
(environ 300 euros par mois). La rémunération des enseignants et
celle des chercheurs n'étant pas non plus attrayante (une moyenne de 70
euros par mois supplémentaires pour un docteur ès sciences),
quand il est même possible de mener ses deux occupations de front quand
aucun texte de loi ne permet de conjuguer les deux occupations, les deux
statuts étant légiférés par deux textes de loi
distincts (ibid. 19) ou de pouvoir même mener
une recherche doctorale (les candidats kosovars étant
considérés prioritaires par rapport à des candidats de
villes voisines de la capitale).
L'Etat regrette actuellement que le budget attribué au
domaine de l'enseignement ne dépasse pas les 0.6% du PIB national, quand
les sommes allouées par les autres pays européens avoisinent
plutôt les 6-8%. L'Albanie doit revoir le fonctionnement d'un certain
nombre de ses domaines socio-économiques, et cela est difficile quand on
dispose d'une économie encore fébrile et instable, en particulier
dans un contexte économique international en crise. C'est pour cette
raison que l'Etat prévoit de créer une agence indépendante
de l'Etat, l'AKF (Agjensia Kombetare të Financimit,
Agence Nationale du Financement) qui versera les fonds
nécessaires aux universités en fonction d'un certain nombre de
critères de qualité, et plus si les départements de ces
universités dispensent des enseignements considérés comme
prioritaires par l'Etat. Les fonds attribués à l'AKF proviendront
du MASH, à savoir que les institutions privées devraient voir
leurs fonds réduits ou même supprimés par rapport à
ceux des institutions publiques (ibid. 35). A
côté de cette décision, les universités gagneront un
statut d'organisation à but non lucratif et le financement de leurs
activités pourra provenir d'activités organisées par leurs
soins.
Une grande indépendance est donc demandée de la
part des institutions de l'enseignement supérieur et de la recherche
scientifique, avec une préférence pour les écoles
publiques en ce qui concerne le financement de l'Etat. Un tarif unique comme
83
frais d'admission sera fixé par les institutions et
vérifié par une agence responsable de contrôler les
conditions d'accès à l'enseignement supérieur (AKAU,
Agjensia Kombetare e Aplikimit Universitar, l'Agence
Nationale de l'Application Universitaire), et les meilleurs étudiants
recevront une bourse du gouvernement. A titre indicatif, le prix des frais
d'admission à l'université pour un niveau licence devrait
augmenter de 20 à 28% (pour un prix atteignant 180 à 220 euros)
et pour un master, il s'agirait de payer en moyenne 1000 euros pour un Master
en LE, 1500 pour un Master en ingénierie et 1700 pour un Master dans les
professions de la santé (infirmerie, pharmacie, médecine), soit
une augmentation de 300% du prix, d'après les chiffres officiels
transmis par le gouvernement pour l'année scolaire 2014-15.
4 L'Université albanaise et l'Europe
:
Avec la signature de la Convention de Lisbonne en 1997 et du
Processus de Bologne en 2003, l'Albanie avait déjà aligné
son mode de fonctionnement à des standards européens, avec
l'adoption du système des ECTS aura été
intégré au moyen d'évaluation des niveaux de formation, le
système LMD a été adopté, l'adoption du CECR dans
l'évaluation du niveau de langue et différents projets comme
TEMPUS auront permis de bénéficier de l'expérience
étrangère et européenne pour standardiser les programmes
de formation et offrir une meilleure lisibilité des contenus. Ce
système risque d'être changé à nouveau,
d'après la réforme de 2014 et adopter des plans de formation
prévus sur cinq années sans diplôme intermédiaire,
et le rapport ne précise pas s'il sera possible pour les
étudiants de se réorienter ou de changer de spécialisation
si le désir ou le besoin s'en ressent (voir annexe 7).
3.3. Un bilan temporaire mitigé mais
encourageant
Nous retenons donc que pour ce faire, une
réorganisation des moyens de financement du domaine de l'enseignement
supérieur et de la recherche d'après des lignes de conduite
permettant une certaine durabilité des mesures entreprises, la
standardisation des programmes de formation, la création de
critères d'évaluation et de qualité des institutions, un
meilleur contrôle des pratiques observées et un encouragement
à la transparence de la part des acteurs de l'enseignement
supérieur sont autant de lignes d'action que le gouvernement
84
albanais veut créer et appliquer. Cependant, le
rôle qu'incarne l'opposition politique à contrecarrer
systématiquement toutes les réflexions entreprises par le parti
au pouvoir freine considérablement la possibilité de
procéder aux réformes nécessaires (de la même
manière que le Parti Socialiste aujourd'hui au pouvoir faisait quand le
Parti Démocratique occupait le poste au mandat précédent,
c'est donc assez compliqué).
Silova (2010 : 200) dit que l'orientation de l'Albanie vers
l'Europe aura permis de proposer un chemin, des lignes de conduite vers le
processus de réforme et de développement, mais que l'utilisation
des « indicateurs de réforme basés sur des standards
étrangers » a été fomenté par les officiels
albanais au sein de l'imaginaire collectif pour inciter les Albanais à
aller dans le sens des réformes entreprises, qu'elle convienne au
contexte concerné ou non. La réforme doit-elle passer par
l'occidentalisation, c'est encore un autre débat qui occuperait
lui-même beaucoup de pages et d'esprits. Le gouvernement albanais, par sa
grande reconnaissance des textes normatifs proposés par
différentes instances européennes. On voit à travers le
dernier point que l'Etat tente de réformer l'Université, en
procédant par une analyse de terrain de l'éducation universitaire
en Albanie, du rôle et de la place des agents concernés dans ce
domaine ainsi que le fonctionnement de l'institution éducative en tant
que système social, en faisant particulièrement attention
à la qualité des enseignements qui y sont dispensés. Cette
analyse devrait laisser place à une série de réformes qui
s'étendra jusqu'en 2022 selon le calendrier du rapport diffusé en
août 2014 par le gouvernement, ce qui laisse momentanément
quelques considérations vis-à-vis de la situation actuelle en
suspens.
Les commentaires et observations aujourd'hui relatées
ne sauraient donc durer dans le temps. On voit également à
travers la lecture de ce rapport que la ratification du Processus de Bologne et
la signature de la Convention de Lisbonne ont été deux
engagements de la part de l'Albanie pour s'aider se à sortir d'un
système de pensée et de fonctionnement centré sur le
pouvoir de l'Etat, avec encore une fois, la volonté, de changer pour
s'adapter à une société et à un fonctionnement
idéologique et politique tendant vers la démocratie, bien que ce
type de changement demande de nombreuses années avant d'être
pleinement implanté dans la vie sociale d'un pays. La
nécessité d'ouvrir la scène éducative et
estudiantine au reste de l'Europe s'est vue entamée par l'association de
différentes institutions albanaises à d'autres
universités
85
d'Europe, l'adhésion à l'Agence Universitaire de
la Francophonie pour la Faculté des Langues Etrangères de Tirana,
d'adhérer à des projets vastes tel que le projet Tempus
(piloté par le Conseil de l'Europe) et la possibilité pour
quelques étudiants de partir avec le programme Erasmus Mundus, depuis
quelques années (13 départs pour tout le pays en 2012). Mais ces
initiatives restent très rares, et ne durent pas toujours dans le temps
(en particulier des partenariats d'échanges d'étudiants et
d'enseignants entre trois universités publiques albanaises et
l'Université de Saint-Etienne pour le FLE).
Tous ces facteurs sont finalement caractéristiques des
sociétés en cours de démocratisation et de
développement, comme l'Albanie l'est actuellement. D'après le
contenu exposé dans cette partie, il apparaît que c'est à
toutes les échelles de la société que des efforts de
réformes doivent être effectués et qu'isoler un seul de ces
dysfonctionnements temporaires ne reviendrait pas à rendre la situation
telle qu'elle semble être. C'est là toute l'utilité des
analyses contextuelles qui sauront mettre en évidence les
caractéristiques de chacun.
L'effort porté par les communications transmises lors
du Ier Congrès du Département de Français de la
Faculté des Langues Etrangères de Tirana, intitulé «
Vers un meilleur futur de la Francophonie » tenu en mars 2014 irait dans
le sens de cette volonté. Il en va de se questionner vis-à-vis de
la place des langues étrangères dans le paysage universitaire
albanais d'aujourd'hui et de la place de ces dernières autant sur le
plan identitaire que social et professionnel. C'est ici toute la question
soulevée par des instances telles que le CIEP et le Conseil de l'Europe
(Pilhion, 2008), ou par un nombre important de recherches effectuées
à propos de la gestion du plurilinguisme, de son adaptation dans les
systèmes éducatifs d'à travers l'Europe et d'autres
continents.
Conclusion
L'objectif de cette partie était d'apporter un
éclairage macrocontextuel alternant regards diachronique / synchronique
par volonté de concision et d'éclairages particuliers sur un
certain nombre d'événements forts dans l'Histoire de l'Albanie
et
86
des Albanais qui ont potentiellement un effet sur la formation
des représentations en cours à propos de l'apprentissage de la
langue maternelle et des langues étrangères. J'ai tenté
dans une première partie de présenter la situation
sociolinguistique des Albanais au regard de leur accès à leur
langue et de la place de celle-ci au sein même de leurs frontières
autant qu'à l'extérieur. Nous retiendrons que le statut de
l'albanais n'est donc pas toujours officiel, très souvent restreint au
domaine de la famille quand l'alphabétisation dans cette langue n'est
pas politiquement admise et que les efforts de reconnaissance de l'Autre
doivent dépasser le seul cercle de la politique et des lois pour
être conclus, quand on prend en compte les vagues de protestation pour
une reconnaissance des minorités albanaises dans les pays voisins.
Dans un second temps, j'aurais amorcé la façon
dont ce peuple a eu accès à son patrimoine de manière
institutionnalisée, mais que cela ne s'est pas produit de manière
à permettre à chacun de se construire individuellement du point
de vue identitaire et culturel. Les travaux de fonds et de forme des dirigeants
de l'époque communiste auront permis de jeter les bases de l'Ecole en
tant qu'institution jusque lors inexistante, mais qui n'a pas su être
réformée jusqu'aujourd'hui où le domaine de
l'éducation et de l'enseignement est clairement pointé du doigt
pour son incapacité à former les jeunes à la
société de demain. La question est encore en plus épineuse
si on considère que l'Albanie se construit simultanément du point
de vue social et institutionnel en même temps qu'elle se prépare
à offrir une image d'elle-même du point de vue international et
européen, au sens de l'institution. L'Albanie a donc une situation
intérieure tendue autant qu'une situation extérieure très
contraignante, en particulier quand les doutes émis à
l'égard de sa stabilité et de son niveau de développement
sont à l'origine du refus de son intégration dans l'UE.
Très sensible à l'image qu'elle donne, cela produit un certain
nombre de failles du point de vue identitaire et culturel dans lesquelles
n'importe quelle réprimande s'engouffre, jusqu'à élever
l'approbation étrangère au rang de « réussite sociale
», dans le conscient collectif (Syziu, 2013, §6). L'Albanie se
développe en même temps qu'elle s'adapte rendant la question de
son évolution plus sensible que la simple notion de progrès,
nécessaire à sa population, étant l'une des plus pauvres
d'Europe.
87
Dans la mesure où l'Ecole est une institution qui forme
les citoyens d'une société, on peut se dire que le rôle de
l'Ecole est important et que les valeurs qui doivent y être transmises
soient réfléchies et adaptées aux moyens humains et
matériels mis à disposition des enseignants et des
établissements scolaires et universitaires. C'est d'ailleurs
précisément ici que l'Etat a un rôle à jouer et que
l'on ne peut dépolitiser le rôle de l'Ecole, encore moins de la
langue et de la culture si l'on considère que ces deux objets permettant
la vie en société sont teintés d'idéologie, formant
irrémédiablement la relation d'un individu à son contexte
(Spaëth, 2014).
Chapitre 3 : La Francophonie en Albanie
88
« La poire mûrit en regardant l'autre
poire ».
Proverbe albanais
89
Introduction
Nous avons vu dans la partie précédente que les
structures organisationnelle et éducative de l'enseignement
supérieur albanais ont subi de profonds changements nécessaires
dans un premier temps à la démocratisation du pays, puis que ces
réformes étaient couplées à cette première
intention et directement orientées pour favoriser l'adhésion
à l'Union Européenne. Nous avons également vu qu'un
certain nombre de changements était encore nécessaire pour
permettre à l'institution éducative et universitaire d'être
effective. Du point de vue des langues, l'offre linguistique proposée
dans les écoles primaires et secondaires n'est pas toujours à
considérer comme une « offre » quand le choix de
l'étude de la première langue étrangère n'est pas
libre mais arbitraire, à supposer que l'enseignant soit formé
dans la langue étrangère cible, rigidité d'offre qui sera
par ailleurs renforcée dès la rentrée 2014-15 quand le
gouvernement annonce réduire les effectifs d'enseignants de langues de
350 personnes (en particulier le français et l'italien). La
difficulté de trouver un emploi, les représentations
négatives qui circulent autour de l'Ecole en tant qu'institution, pour
l'utilité qu'elle devrait avoir mais dont les fonctions ne sont pas
remplies à cause d'un nombre important de dysfonctionnements, et le
manque de valorisation du métier d'enseignant représentent autant
de facteurs qui rendent difficiles la concrétisation des tâches
didactiques et le rôle social des enseignants. En partant du postulat que
le développement du plurilinguisme chez les individus d'aujourd'hui est
une nécessité pour s'ouvrir au monde extérieur
(énoncé déjà par le Conseil de l'Europe dans
Legendre, 1998), il est intéressant de voir comment les langues
étrangères sont inscrites par les Etats dans leurs institutions
scolaire et universitaire. La qualité de l'enseignement des langues
étrangères et une définition élaborée des
politiques linguistiques et éducatives par les gouvernements
concernés (Coste et al. 2009 [1997]) pourraient permettre cette
ouverture à l'Autre déclinée dans les textes officiels
promulgués en Europe et que l'Albanie a officiellement ratifiés.
Cependant, cette ouverture à l'Autre semble compromise ou être
portée sur le développement d'une vision tout autre de
l'utilité des langues étrangères, si l'image
diffusée à propos de ces dernières par le gouvernement
d'un pays est celle d'instruments, d'outils, désincarnés de leurs
valeurs, ce qui jure par ailleurs avec l'idée que les langues sont
porteuses de valeurs, comme mentionné par Charandeau 2006 (voir supra,
chapitre 1). Canut & Duchêne (2011) précisent en dernier lieu
de leur publication qu'il est nécessaire de se dissocier de toute vision
romantique pour pouvoir considérer la question concernant les concepts
qui découlent
90
du paradigme « langue, pouvoir et
inégalités sociales », et l'on admettra qu'il y a des
clarifications à effectuer vis-à-vis de la posture à
adopter quant à l'utilité d'une langue, ou tout du moins à
celle qu'on veut bien lui donner. J'ai fait le choix de ne pas prendre position
mais de relever les débats qui s'attachent à cette
nécessité.
Pour quelle définition du plurilinguisme effectif comme
passeport à la scène extérieure, de la
nécessité d'assimiler un code linguistique étranger, et
comment le ranger à côté de son premier code linguistique,
celui qui forme précisément à la capacité de
langage. J'ajouterai à cette remarque une autre que l'on m'a souvent
faite, et que je rapporterai de manière neutre car pas en mesure de la
juger, à savoir que de plus en plus, « les jeunes Albanais ne
savent pas parler leur propre langue ». Il s'agit évidemment d'une
prise de parti clairement subjective et aucune donnée ne saurait
justifier cela. On retiendra dans ce cas-là que les Albanais en
général déplorent profondément les
compétences des jeunes vis-à-vis de leur langue maternelle
même. A ce propos, il faut savoir que l'albanais est une langue qui se
transcrit de la même manière qu'on la prononce et que l'on peut
imaginer que la grammaire de cette langue (bien que difficile pour un
étranger) ne devrait pas poser de difficulté majeure à un
locuteur natif25. Ce constat semble à première vue
encore plus alarmant.
Le français est une langue en perte de vitesse et pas
seulement en Albanie, ce qui constitue l'une des priorités d'instances
telles que l'Organisation Internationale de la Francophonie pour ne
nécessiter que la plus grande, positionnée comme en
sérieuse concurrence avec l'anglais, langue du business, de
l'économie, des finances, des échanges de capitaux monnayables.
Nous verrons de quelle manière le français s'ancre dans le
paysage albanais, du point de vue institutionnel, puis didactique en voyant ces
points de contact entre ressources langagières et contextes dans
lesquels ces ressources sont observées et les significations qui lui
sont accordées, tel que cela a été annoncé en
chapitre 1 (voir supra p. 44).
I/ La Francophonie : définitions et statut
1.1. Pour quelle F/francophonie ?
Il convient de faire une rapide précision quant
à ce terme. On désigne la francophonie comme étant la
communauté des locuteurs de la langue française à travers
le monde, sans distinction d'origines, que le français soit la
première langue acquise par ceux-ci ou qu'elle ait
25 Voir Domi (1966 : 19-32) pour une
présentation de la structure grammaticale de l'albanais moderne.
91
été assimilée ultérieurement. La
première désignation est apparue pour la première fois au
XIXème siècle par Onesime Reclus. D'après lui, « la
langue fait le peuple » (1917 : 114-6), et c'est à travers
l'ancrage d'une langue sur un territoire, sa « coagulation », que le
peuple développe ses valeurs et « se subordonnent » à
celle-ci. La Francophonie désigne quant à elle, l'ensemble
supranational surtout incarné par l'OIF (Organisation Internationale de
la Francophonie) de réseaux institutionnels, organisant les relations de
natures diverses, entre les Etats membres de cet ensemble. Cependant l'OIF est
récente comparée à la volonté de réunir les
individus sous la connaissance et le partage de cette langue.
C'est à partir de 1926 que la langue française
réunit des professions d'abord littéraires (création de
l'Association des Ecrivains de Langue Française), puis politiques dans
les années 1950. C'est d'ailleurs à cette période que ceux
qu'on appelle « les pères de la Francophonie » proposent la
création d'une instance intergouvernementale réunissant les pays
où la langue française est pratiquée, sous l'impulsion de
Léopold Sédar Senghor et Habib Bourguiba. En 1970, l'Agence de
Coopération Culturelle et Technique voit le jour à Niamey au
Niger et prévoit de permettre la coopération entre pays où
la langue française y est vivante. L'ACCT est devenue plus tard l'OIF.
Son action s'étend aujourd'hui dans divers domaines (sports,
littérature, l'enseignement, éducation universitaire et recherche
scientifique avec l'AUF, différentes professions, et politique) pour
permettre la solidarisation des Etats et des peuples officiellement membres de
son réseau francophone sous l'adoption et le respect de valeurs
universelles (comme le prévoit le préambule de la Charte de la
Francophonie, 2005), en respect de la diversité linguistique et
culturelle. En ces termes, l'OIF, d'après son site Internet officiel,
prévoit de permettre :
- « l'instauration et le développement de la
démocratie
- la prévention, la gestion et le règlement des
conflits, et le soutien à l'État de droit et aux droits de
l'Homme
- l'intensification du dialogue des cultures et des
civilisations
- le rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle
- le renforcement de leur solidarité par des actions de
coopération multilatérale en vue
de favoriser l'essor de leurs économies
- la promotion de l'éducation et de la formation
».
Ces objectifs se concrétisent à travers les
missions suivantes, prévues dans un cadre stratégique :
- « Promouvoir la langue française et la
diversité culturelle et linguistique
92
- Promouvoir la paix, la démocratie et les droits de
l'Homme
- Appuyer l'éducation, la formation, l'enseignement
supérieur et la recherche - Développer la coopération au
service du développement durable ».
L'OIF institutionnelle prévoit à travers ces
termes de promouvoir le développement et la protection des Etats membres
qui ont adhéré à cette large fédération
d'Etats où la langue française est observée et
pratiquée, au nombre aujourd'hui de 57 pays membres et de 20 autres
observateurs. La langue française à travers l'expansion coloniale
de la France ces derniers siècles a permis de donner naissance à
cet ensemble d'espaces officiellement francophones ou non (d'après le
statut de la langue française dans ces pays).
C'est précisément à cet endroit que
naît la critique de l'intégration de nouveaux membres et de la
place accordée à la francophonie, qu'est-ce qui fait qu'un pays
est francophone ? Son Etat, son passé, son peuple et son goût
avéré pour la langue française ? La Bulgarie n'a pas le
passé de colonisé du Sénégal, mais on dit encore
« merci » (en bulgare dans le texte). Le bien-fondé de
l'institutionnalisation de la francophonie, plus ancienne que sa petite soeur
au F majuscule que l'on voit pourtant beaucoup plus que l'autre qui s'avance en
termes de connaissances linguistiques et culturelles et auxquels s'adjoignent
les francophiles. C'est dans ce sens que s'érige Provenzano en
qualifiant la Francophonie de « projet d'expansion » (2006 : 96).
L'espace sur lequel l'OIF existe, à travers l'adhésion de pays
à tradition plus ou moins forte ou connue du large public, est
également sujet à débat.
Il est reconnu que ce n'est pas l'adhésion à
cette organisation qui rend un pays francophone ou non (exemple des Etats-Unis
ou plus complexe, de l'Algérie). La notion d'espace est donc assez
diffuse quand il s'agit de déterminer qui est francophone ou non,
dépassant des réalités culturelles et sociales pourtant
bien réelles et observables. On pourra dire pourtant que les Etats qui
ont été acceptés au sein de cette organisation se
réunissent tout du moins autour des valeurs, des objectifs et des
missions prônées et statuées dans des textes constitutifs
et lors des sommets de ce réseau fédérateur. Cependant,
dans la mesure où l'OIF est une organisation supranationale (sans
compter ses bureaux de représentations décentralisés et
dotés d'une autonomie relative), il faut également savoir se
tourner vers des données quantitatives qui sauront faire parler les
nations plus que les accords de coopération politique, et
économique, pour définir correctement la notion de «
francophonie », car rappelons-le, ce sont les locuteurs qui construisent
l'utilité qu'ils ont d'une langue, qu'elle soit premièrement ou
ultérieurement acquise. La grille d'analyse des situations linguistiques
de Chaudenson & Rakotomalala (2004) et ses travaux sur les moyens d'analyse
des situations
93
sociolinguistiques nationales permet justement de prendre en
compte deux paramètres complémentaires pour obtenir un
résultat d'analyse plus contrasté, mais plus à même
de permettre une réflexion plus proche de la réalité
sociale, politique et culturelle d'une communauté linguistique et de ses
pratiques. La seule prise en compte des initiatives politiques et politiciennes
(telles qu'elles sont décrites dans le statut d'adhésion à
l'OIF) ne prennent pas en compte les `représentations' des locuteurs
pour déterminer si la francophonie y est installée, au même
titre que leurs pratiques pour pouvoir mesurer l'avenir que la connaissance et
la pratique de cette langue se forgent en fonction des locuteurs et de leurs
choix et besoins sociolinguistiques (Porcher, 2012). L'OIF accorde
effectivement un regard aux aspects suivants :
- Du point de vue linguistique (statut du français,
nombre de locuteurs, présence de structures planifiant la promotion et
la diffusion du français)
- Du point de vue pédagogique
- Du point de vue culturel
- En termes de communication
- Des points de vue économique, politique et juridique
- Du point de vue associatif
- Au plan international et multilatéral.
On peut imaginer que la mise en place de structures oeuvrant
pour l'un ou l'autre de ces aspects visera l'adresse et l'utilité que
les locuteurs peuvent avoir d'une langue, cependant, la charte de l'OIF ne
prévoit d'accorder un regard à la façon dont les locuteurs
d'un pays concerné vivent la langue française, à travers
leurs pratiques, leurs représentations et leurs discours, ce qui laisse
penser qu'il manque un maillon à la chaîne de l'observation des
pratiques réelles des citoyens de ces Etats membres. C'est en cela que
l'Observatoire de la langue française devenu Observatoire du
français et des langues nationales, dirigé par Chaudenson,
émet des données intéressantes sur la situation des pays
membres de l'OIF.
Alors qu'on s'intéresse aux effets que peuvent avoir le
développement de compétences plurilingues et pluriculturelles et
sur la façon dont il est géré par les acteurs
concernés aux effets du développement de compétences
plurilingues, et en particulier pour le français, nous regarderons
premièrement dans quelle mesure l'Albanie peut être Francophone,
avant de regarder sa francophonie dans un second temps.
94
1.2. Zoom sur les Balkans : pour quelle francophonie
?
A partir des années 1990, l'OIF commence à
ouvrir ses portes et à introduire les ex pays du bloc communiste
d'Europe de l'Est. Les réticences émises quant à
l'admission de ces nouveaux pays ont nourri le débat de la question de
l'identité de l'OIF et des principes fondamentaux qui soutiennent son
existence. Les souteneurs de l'argument de la suprématie linguistique
sur un territoire ont alors vu l'attention se déporter des anciennes
colonies françaises vers une région où le français
n'a jamais été langue officielle. Le recentrement de la question
de l'appartenance à la Francophonie sur des justifications linguistiques
désarme cyniquement les défenseurs de la diversité
culturelle. A partir de 2002 avec la Déclaration de Beyrouth et plus
encore en 2006 avec le XIème Sommet de la Francophonie organisé
à Bucarest, les représentants de l'OIF ont clairement
tenté de définir la tournure que prenait la définition de
la F/francophonie : en quoi l'installation de la Francophonie institutionnelle
est-elle justifiée quand on n'observe pas de massifs pourcentages de
locuteurs francophones, en Europe de l'Est (quand ils ne dépassent pas
28% de la population totale, seul cas de la Roumanie) ?
Le simple fait de réunir les membres de l'OIF dans un
de ces pays tentera de soutenir la volonté avancée par Abou Diouf
de voir tout le sens des missions de l'OIF se concrétiser dans des
régions comme celles-ci, ayant vécu avec des oeillères sur
la diversité du monde tout au long d'un large pan du XXème
siècle. A travers son discours tenu lors du XIème Sommet de la
Francophonie en 2006, le Secrétaire Général de la
Francophonie propose que la seule connaissance du français ne doit plus
être le seul critère d'admissibilité, la diversité
linguistique et culturelle étant une nécessité pour
permettre le dialogue entre les peuples, et lance que l'OIF soutient la
diversité culturelle avec le français en partage : « Soyez
fiers d'être francophones. Vous avez tant de choses à nous offrir.
Tant de choses à apporter à cette Europe forte et riche de sa
diversité dont nous avons besoin » (2006 : §4). . La
francophonie ne se replie plus sur son passé de colonisatrice, mais
s'étend à des zones où la langue française, pour ce
qu'elle a souvent permis par le passé, peut prendre un nouveau sens en
ce début de XXIème siècle où les frontières
linguistiques et culturelles sont de plus en plus fines. Le français,
langue de démocratie à travers le monde, peut incarner un
rôle qu'on ne sait donner à personne depuis que les Grandes
Puissances ont disloqué les territoires ethniques balkaniques. La langue
française pourrait rendre ses particularités à chacun pour
ce qu'il incarne fondamentalement, autant qu'elle fédère par les
valeurs qu'elle incarne, toujours d'après le discours d'Abou Diouf.
Cependant, cette synergie identitaire fait débat et amène
à se poser la question si les aspirations de la Francophonie ne
relèverait pas plutôt d'une utopie
95
(Marie : 2009), autant que la perte de vitesse de la
francophonie provoque des inquiétudes (dans le débat contre
l'hégémonie de l'anglais), ou de nécessaires
questionnements pour une meilleure définition du concept même de
la pluriculturalité.
Comme une entière conférence a été
consacrée à la méthodologie de l'appréhension et de
la compréhension des situations linguistiques dans l'espace francophone
(OIF, 2008), au sens entendu par Chaudenson pour la majeure partie, on
rappellera ici l'importance distinction qui doit être faite entre les
raisons pour lesquelles la francophonie s'installa dans différentes
zones du monde :
- français langue d'occupation violant la
pérennité de codes linguistiques plus anciennement ancrés
sur leurs territoires respectifs (du seul point de vue de la langue),
- le français langue d'apprentissage dans les
zones où le français est appris comme une langue
étrangère
- et certainement encore d'autres classifications qui offrent
un rayon large de
représentations propres à chacun et difficile
à modéliser, mais qui peut certainement très bien
s'adjoindre aux quatre sens donnés à la francophonie par Deniau
(1983 in Marie 2009) à savoir les sens linguistique,
géographique, mystique et spirituel, ou encore institutionnel.
Faut-il trouver un consensus sur ce que la francophonie fait
résonner en chacun des peuples, des locuteurs de l'espace francophone
pour que la définition de ce concept ne marginalise personne quand les
valeurs accordées à la langue française font
elles-mêmes débat (Dumont, 1990) ? Et si la francophonie
permettait à chacun de catalyser une identité en mouvement, au
sens où les grands textes défenseurs du plurilinguisme le
prévoient ?
1.3. Origines de la Francophonie en
Albanie
Du point de vue extérieur, l'Albanie fait tantôt
partie de l'Europe de l'Est par opposition au bloc occidental où
l'Europe politique dotée d'anciennes traditions démocratiques est
née, tantôt à l'Europe centrale et orientale (PECO) pour
réunir les différentes instances de cette région du monde
sous un assemblement téméraire et pourtant nécessaire (en
référence aux tensions ethniques et politiques dans les Balkans
principalement depuis la fin du XIXème siècle), tantôt
à l'Europe du Sud par les pays d'Europe de l'Est. Nous
préfèrerons l'appellation « Europe orientale », dans le
sens où assimiler l'Albanie à l'Europe de l'Est fait moyennement
sens tant par sa position géographique que par le fait qu'elle n'a pas
été géopolitiquement absorbée par l'URSS, et que
l'Europe du Sud est également
96
moyennement identifiable ; bien que soumettre l'Albanie
à l'Orient ne joue pas en sa faveur, en rappel des frissons que
provoquent la proximité musulmane d'une Europe à tradition
chrétienne. La géographie, en fonction de son
instrumentalisation, détermine différentes appartenances
(Chanoir, 2009). Pays majoritairement musulman d'après des
données quantitatives qui ne reflètent pas la
réalité vécue des Albanais mais dont on aura mal à
défaire les cordages, et par son ancienne annexion sous l'Empire Ottoman
rendu maître de l'orientisme, la figure d'une société
patriarcale telle qu'elle est décrite par Doja (2000) et certaines
pratiques observables en Albanie que l'on accorde volontairement à cet
Orient modélisé de l'extérieur parachèveront la
classification rédhibitoire de l'Albanie dans la moitié du monde
où le soleil apparaît plus tôt qu'ailleurs. Ce
déterminisme primaire entérine toute possibilité de
dialogue intéressé et intéressant, mais il fait
l'état des idées reçues dont l'Albanie, à titre
d'exemple, est tributaire encore en plus quand un phénomène de
« déni des cultures » est observé par ce sociologue
français qui déclare la multiculturalité comme
incontournable de nos jours (Lagrange, 2014). Doit-on rappeler que
l'installation de pareil régime totalitaire par Enver Hoxha fut
motivée par la ferme intention de se dissocier enfin de cet Orient qui
aura envahi les rues (par l'architecture souvent rasées), les croyances
(par les vagues d'islamisation imposées dont les conséquences
auront été supprimées dès 1967 et l'interdiction de
cultiver un culte religieux), le vocabulaire et les valeurs des Albanais ? A ce
sujet, l'oeuvre Problèmes de la formation du peuple
albanais, de sa langue et de sa culture: choix de documents
(1985) composé de contributions de plusieurs intellectuels
albanais de référence (sous le régime communiste) propose
un grand nombre d'informations à ce sujet, à condition qu'on
sache dissocier l'information du cadre idéologisé dans lequel
elle inscrit.
Plus officiellement, c'est précisément dans le
cadre de la redéfinition des missions de l'OIF que la progressive
admission de l'Albanie au sein de cet ensemble a été
proposée :
- Au VIIème Sommet de l'OIF à Hanoi (1997),
l'Albanie est invitée pour la première fois en
tant qu'observatrice des activités tenues lors de cette
réunion particulière où l'attention est portée sur
la prévention des conflits entre les Etats membres. La volonté
des représentants des pays à ce Sommet est clairement de
s'adjoindre aux efforts de paix déjà entrepris par la
communauté internationale. Rappelons que la même année, la
guerre civile éclate dans ce pays.
- Au VIIIème Sommet à Moncton (Canada, 1999) :
la Francophonie s'apprête à asseoir ses objectifs politiques au
service de la communication multi et pluriculturelle. L'Albanie obtient le
titre de membre associé en même temps que la Macédoine, ce
qui est
97
officiellement vu comme un succès dans la constitution
d'un espace francophone dans l'ex bloc de l'Est et officieusement pointé
du doigt par ses opposants.
- Au XIème Sommet à Bucarest (Roumanie, 2006) :
l'Albanie obtient le titre de membre de plein droit au sein de l'OIF, en
même temps que la Grèce, la Macédoine et la
principauté d'Andorre. Lors de ce même sommet, les membres de
l'OIF ratifient la Charte de l'UNESCO visant à protéger la
diversité culturelle et linguistique au sein des pays membres de
l'OIF.
C'est lors de ce dernier sommet que l'on rigidifie l'admission
de nouveaux membres : elle se fera désormais à partir du vote
unanime de la Conférence des Etats et des gouvernements ayant le
français comme langue de partage. C'est précisément dans
le cadre de la politisation de l'OIF et de la définition de ses
objectifs en termes de défense de la paix et de la protection des droits
fondamentaux des citoyens des Etats membres que l'Albanie est admise au sein de
ce grand ensemble. L'admission d'un nouveau membre dans l'OIF doit cependant
toujours se faire d'après la promotion de la langue française si
elle n'est pas déjà langue (co-)officielle de l'Etat
concerné.
La francophonie en terre est vue comme une tentative
stratégique de se rapprocher de l'UE et de l'OTAN, ouvrant une voie
royale sur la scène politique et économique internationale
(Leclerc, 2014 §7.1 ; Perrot, 2009), ce qui inviterait à
réfléchir plus concrètement aux raisons qui invitent
l'Albanie à se rapprocher de l'OIF. Nous laisserons momentanément
la francophonie institutionnalisée et ses soubassements conceptuels pour
justement revenir à ce qui peut justifier en partie cette question, en
s'intéressant à la présence linguistique française
en Albanie. On peut se rappeler du français, langue des élites
ottomanes, à travers la stratégie de la France de s'imposer dans
cette région (Popescu, 2004 : 24) quand un certain nombre d'Albanais ont
intégré la haute administration de l'Empire, ou bien quand la
France et sa culture permettaient de se battre, parfois au sens propre, contre
des influences étrangères près de soixante ans avant la
création de l'OIF (Robert, 1998). C'est grandement attachée
à la France que l'Albanie a vécu la première moitié
du XXème siècle. Voyons donc quel oiseau a pris le
français au sein de ses frontières d'origine pour l'emporter dans
le pays des aigles et de quelle manière cette langue y fit son nid.
98
II/ La francophonie en terres albanaises 2.1.
Les Albanais, têtes de Turcs
Déterminer l'espace géographique qu'a
occupé l'Albanie permet primairement de répondre à la
question de l'origine de la francophonie dans cette région. Au
même titre qu'un grand nombre de régions des Balkans autrefois
annexées par l'Empire Ottoman, au sein duquel le français
était langue d'élite et d'exception (Besse, 2007 ; Aksoy, 2007 ;
Thobie, 2007). L'Albanie vit quelques-uns de ses citoyens intégrer les
hautes écoles de l'Empire puis la haute administration de la Sublime
Porte, avant de revenir défendre la cause de l'Albanie quand
l'opportunité se présentait (en réaction à la
présence ottomane ou par voie d'élection politique).
Dans la synthèse sur la complexité d'identifier
le sentiment d'appartenance nationale albanais et au sein de quelles
frontières géopolitiques (voir supra, chapitre 2)
, on aura déjà eu le temps d'apprendre que ce sont
des valeurs attribuées à l'Histoire de la France plus qu'à
celle de la Francophonie qui auront permis à l'albanais et au
français et à leurs valeurs respectives, de rayonner, comme
ça a pu être le cas dans un grand nombre de pays (les valeurs
démocratiques attribuées à la France ont contribué
à la naissance de certaines révolutions sociales en
Amérique du Sud notamment). Ces intellectuels ont ensuite presque tous
eu l'occasion de côtoyer personnellement la France et ses sphères
intellectuelles, avaient lié des amitiés avec d'éminents
personnages des mondes de l'intellect philosophique, scientifique ou politique
(Faik Konitza et Apollinaire, Fan Noli et son travail pour l'intégration
de l'Albanie dans la SDN, Ismail Qemal et sa participation à la
Conférence de Paris, le roi Zog et sa francophilie qui lui offriront le
droit d'asile...). Ces représentations auront d'ailleurs perduré
plus tard et au-delà des valeurs attribuées aux philosophes des
Lumières qui auront inspiré les intellectuels albanais de la fin
du XIXème siècle puisqu'Enver Hoxha lui-même a
été vecteur de transmission de ces valeurs à travers sa
propre expérience du monde français et francophone. Après
l'obtention de son baccalauréat auprès du lycée
français de Korça, ses études supérieures
amorcées à la Faculté de Médecine de Montpellier et
à la Sorbonne en droit, ses quelques années rue Monsieur le
Prince à Paris, et un emploi de courte durée à Bruxelles,
il revient en Albanie au début des années 1940, armé
d'enseignements directement tirés des discours de Léon Blum dans
ses réunions du Front populaire des années 1930 à Paris
(pratiquement au sens propre puisqu'il s'apprête à créer
des forces armées qui lutteront contre l'occupation italienne).
L'apprentissage du français intégra ensuite l'offre linguistique
proposée au sein des écoles de l'Albanie communiste avec cette
petite lucarne sur le monde francophone que l'utilisation des Cours
de Mauger et de la lecture d'oeuvres littéraires
99
autorisées ou non ont pu proposer, et ce que ça
a pu répandre en lumière et en oxygène auxiliaire de
survie mentale et intellectuelle.
Le rayonnement de ces personnalités dans l'Histoire
albanaise (bien qu'elle eut été instrumentalisée au profit
de l'instauration du régime communiste) aura contribué à
orienter les représentations du peuple albanais concernant les valeurs
transmises à travers la langue française. Seulement une
francophonie plénipotentiaire reste encore un horizon d'avenir lointain
aux yeux d'une communauté de locuteurs francophones toujours plus
restreinte (Kumbaro, 2009)26. Proposons alors un panorama de la
présence du français avant de pouvoir déterminer la
situation linguistique de l'Albanie vis-à-vis du français.
2.2. Facteurs de promotion et de diffusion du
français en Albanie
La présence de la France est reconnue comme
étant ancienne et productive, en particulier depuis ces dernières
années où, à travers le Ministère des Affaires
Etrangères et la délégation diplomatique française
sur place, a soutenu l'Albanie dans ses démarches de
développement (France Diplomatie, 2014). Cependant, les liens d'union
entre ces deux pays ne reposent pas uniquement sur l'accompagnement
proposé par la France dans les démarches de l'Albanie pour
intégrer l'Union Européenne, bien que cela devrait être
encourageant au regard de l'Albanie.
2.2.1. Facteurs historiques et
culturels
Les premiers contacts entre la France et l'Albanie remontent
au XIème siècle quand les Normands envahissent près de la
moitié de l'Europe. La bataille pour l'occupation de l'Albanie entre les
Normands et les Vénitiens fera changer l'étendard qui flotte
au-dessus des villes de la côte albanaise un certain nombre de fois
jusqu'en 1272 où le roi Charles Ier de Naples propose l'autonomie de la
ville de Durrës, sous le royaume d'Anjou. En 1285, il meurt et les grandes
familles albanaises n'admettent plus aucune suprématie française
sur leurs terres. On attend ensuite le XIVème siècle pour revoir
une famille française avoir un pied de l'autre côté de
l'Adriatique. Tanush Topia, Comte de Durrës, rencontre
Hélène d'Anjou, fille de Robert Ier Roi de Naples, de Sicile et
d'Albanie alors qu'elle se destinait à rejoindre son futur époux
de naissance française en Grèce. Lors d'une escale à
Durrës, elle rencontre le comte
26 Cette ancienne enseignante de français
auprès de la Faculté des Langues Etrangères de Tirana est
aujourd'hui Ministre de la Culture et intervient dans un grand nombre de
colloques et de conférences oeuvrant pour la défense de la langue
française en territoire albanais et pour la promotion de la culture
francophone.
100
Topia, tombe amoureuse et rompt ses engagements
précédents. Ce couple donnera naissance à Charles d'Anjou
que la bonne fortune écartera d'un voyage de ses parents vers la maison
du Roi Robert Ier duquel ils ne reviendront pas, assassinés par ce
dernier qui n'a pas supporté l'injure faite à ses engagements. En
réponse de ça, Charles qui n'est autre qu'un descendant du
frère de Saint Louis, ne reconnaîtra pas les revendications de sa
famille maternelle sur le comté de Durrës.
La France a également souvent soutenu les
prétentions à l'indépendance de l'Albanie au fil des
siècles. Ali Pasha de Tepelena, installé à Janina
(Ioannina en Grèce) aura entretenu des relations diplomatiques avec
l'Empire de Napoléon Bonaparte à travers François
Poucqueville, reconnu consul de France à Janina. A cette époque,
la place accordée aux pouvoirs français n'est pas moindre, bien
que le pouvoir d'Ali Pasha ne soit pas apprécié par tous
(Bonaparte compris). Un bastion albanais rejoint l'armée de Bonaparte en
1807 pour servir l'Empereur et aider à la libération de plusieurs
villes albanaises tombées aux mains des Russes. Cependant, Bonaparte
n'honore pas cette démarche et garde ses nouvelles possessions de la Mer
Ionienne. En 1814, il abdique, attribuant ses terres aux Anglais. En 1822, Ali
Pasha tombe, il est décapité, Poucqueville, avec qui il aura
entretenu de belles périodes d'amitié rentre en France.
Toutefois, ses recherches ont contribué à la constitution d'une
certaine ethnographie albanaise. Elles seront rejointes 60 ans plus tard entre
autres par celles du sénateur d'Estournelle, envoyé par la France
en Albanie pour aider à déterminer les frontières avec le
Monténégro. En 1920, de retour de mission et en conférence
devant la Société de Géographie en Sorbonne, il
déclare :
« L'Albanie serait aujourd'hui une nation peut-être
aussi respectée, aussi éclairée et rayonnante que la
Suisse car elle a un climat, un sol et des habitants excellents... Je souhaite
que la Société des Nations s'intéresse au sort de
l'Albanie pour qu'elle fasse comprendre ce qu'on pourrait faire de l'Albanie,
pour l'Albanie, par l'Albanie, il faut que l'Albanie soit heureuse, libre,
prospère, pour que nous vivions en paix » (cité par L. Rama,
2005 : 182).
C'est pourtant dans les régions les plus
inhospitalières du point de vue du relief, en voyage dans les villages
de Vermosh et de Hani i Hotit, là même où le Kanun de
Dukagjin (loi coutumière du Nord qui dit depuis de longs siècles
que l'Albanais doit avoir un respect inconditionnel pour l'ami et pour
l'étranger), que le sénateur d'Estournelle base ses propos. Ami
Boué, géographe et ethnologue français, autant que
Marguerite Youcenar auront pu témoigner de l'extrême
hospitalité et bravoure des habitants des montagnes albanaises.
Au XIXème siècle, et peu de temps après
que la Première Guerre Mondiale éclate, le Commandant Sarrail
détache un bastion français dans le Sud-Est de l'Albanie alors
que la ville
101
de Korça est occupée par les forces grecques. Le
16 novembre, le Capitaine Henri Descoins à la tête de ces soldats,
repousse la Grèce derrière ses frontières. Les Albanais
dressent les Français en héros, leur demandant de les aider
à se constituer indépendants. En une année, les hommes de
Descoins auront aidé Themistokli Gërmenji, à la tête
du conseil de gestion de la région de Korça, à
établir un certain nombre de lois permettant d'améliorer la vie
des Albanais sur place. Cela ne manque pas d'étonner les Grandes
Puissances qui demandent des comptes à la France. Le Commandant Sarrail
laisse faire momentanément, avec la justification que la position est
stratégique, jusqu'en 1918 où le protocole qui aura fait
naître la République indépendante de Korça est
abrogé. En mai 1920, on demande la démobilisation de
l'armée française de Korça et la signature d'un protocole
de paix (protocole de Kapshticë) entre la Grèce et l'Albanie qui
permet d'attendre des frontières entre les deux pays soient
définies. Cependant, Gërmenji ne verra pas plus loin que cette
année-là, jugé et condamné à mort (le
dossier traitant de ce jugement est classé secret défense dans
les archives du Ministère de la Défense à Vincennes
jusqu'en 2017, date à laquelle ce dossier sera ensuite accessible). Les
soldats français ne se doutaient certainement pas que le lycée
créé en collaboration avec des enseignants albanais en octobre
1917 allait durer jusqu'en 1939 avec M. Xavier de Courville (ancien directeur
de théâtre de marionnettes parisien) à sa direction, et
qu'il formerait quelques-unes des figures politiques et littéraires
albanaises les plus importantes du XXème siècle, dont les
dirigeants du PCA. Cet épisode bref mais profond aura
décerné le surnom de « Petite Paris » à la ville
de Korça pour ses avenues propres pavées et bordées
d'arbres. La région protège toujours son patrimoine
français pour les 640 tombes françaises qui sont restées
à Korça, et celle du médecin de l'armée à
Voskopoja, mort d'une fièvre alors qu'il était parti y soigner
des habitants.
Des figures littéraires telles que celles de Ronsard,
Lamartine, Hugo, Loti, Dumas ou Apollinaire auront décrit leur
admiration pour le peuple albanais décrivant tantôt des chants
à la gloire de Skanderbeg, des hymnes au respect de ce peuple pour sa
bravoure au combat ou sa passion de la liberté, allant jusqu'à
romancer la fin d'Ali Pasha de Tepelena dans le Comte de Monte
Cristo, ou pleurer une amour perdue dans les rues de
Thessalonique ou de Londres. Finalement, au nom de l'admiration pour la France,
Said Toptani, étudiant en philologie à la Sorbonne sera
monté au sommet du Panthéon, faisant flotter le drapeau
français sur Paris un jour de février 1848 quand toute la ville
s'insurgeait contre le règne de Louis-Philippe. Et ce grand geste pour
la patrie de l'un est rendu à la patrie de l'autre sous les mots de
Lamartine quand il dit que « la chose immuable sans égal chez les
Albanais est la passion de la liberté et
102
de la gloire » (in L. Rama27, 2005 : 61). Les
expertises d'Albert Kahn en 191328 (photographe et voyageur) et de
Léon Rey en 1924 (archéologue) auront rendu une partie de leur
Histoire aux Albanais en ayant créé les seules photographies de
l'Albanie du début du XXème siècle pour le premier, et en
mettant à jouer la cité antique d'Apollonia pour le second.
Le roi Zog a également cultivé une francophilie
certaine, bien que principalement tourné vers l'Italie par
proximité géographique de son pays avec le pays du Duce à
l'époque, et aura même trouvé refuge en France de 1939
(quand les Italiens envahissent l'Albanie) à 1961, date de son
décès en région parisienne. La famille royale albanaise
garde un lien certain pour la francophonie, bien que les descendants d'Ahmet
Zogu ont grandi en Afrique du Sud. Le Prince Leka II marié à une
française d'origine albanaise, est l'héritier légitime du
trône albanais, pour l'instant, conseiller permanent à la
Présidence d'Albanie. Du point de vue politique formel, l'Albanie se
sera fermée à l'extérieur pendant de nombreuses
années mais les représentations qui circulent à propos de
la France et de son peuple (par la classe politique albanaise) restent
valorisantes et se détachent du reste du monde impérialiste
débéqueté par Enver Hoxha quand il dit en première
page de son autobiographie publiée post mortem
: « J'admirais la France et son peuple pour ce qui
appartenait d'eux : l'histoire, mais j'admirais et respectais aussi ses gens
pour leur fierté de leurs prédécesseurs, pour leur
sensibilité au destin de leur pays » (1988 : 7). Après les
années 1990, l'Albanie a soif d'autre chose, voyons comment les pays
d'Europe et la France répondent à ce besoin exprimé.
2.2.2. Facteurs politiques et
économiques
La France est la première à réinstaller
son équipe diplomatique en Albanie au lendemain de la Seconde Guerre
Mondiale. L'ensemble des traités et conventions bilatéraux
signés entre ces deux pays vont ensuite dans le sens du
développement de l'Albanie, que ce soit dans le domaine de la Justice,
de l'Education, ou plus largement en faveur de l'amélioration des
conditions de vie des Albanais et de la préservation de leur voix dans
les processus démocratiques (d'après les archives du MAE
français, voir bibliographie France Diplomatie, 2014). On voit
apparaître de plus en plus de grandes multi succursales françaises
en Albanie mais le Ministère des Affaires Etrangères (MAE)
reconnaît que la France est relativement peu engagée
économiquement, à hauteur de 86 millions d'euros d'importation
27 Luan Rama a été ambassadeur de
l'Albanie (1997-2001),a représenté l'Albanie au Conseil permanent
de l'OIF diplomate pour la culture albanaise (1997-2002) et a été
nommé expert à la Délégation Permanente de
l'Albanie auprès de l'UNESCO (2002-5).
28 Le Musée Albert Kahn à Boulogne
Billancourt présente une grande partie de son oeuvre en exposition
permanente.
103
de produits albanais (textile, alimentaire, industrie et
métallurgie) tandis que les exportations vers l'Albanie
représentent 37 millions d'euros (aéronautique, automobile,
produits informatiques et pharmaceutiques). Les gros contrats de la France sur
le marché de l'Albanie se situent précisément dans ces
domaines et leur concrétisation s'inscrit dans le temps et la
durée, avec des projets de formation (dans l'aéronautique avec la
formation de pilotes dans l'Armée de l'Air et la présence
permanente d'un coopérant technique français), ou de
développement du pays (confection des passeports albanais dont le
contrat a été renouvelé jusqu'en 2024, construction d'une
centrale hydraulique). En 2012 encore, Ubifrance a organisé une
journée dédiée à l'Albanie pour permettre de
développer de nouveaux partenariats et échanges commerciaux et
économiques.
La toute récente création de la Chambre du
Commerce et de l'Industrie France-Albanie en 2011, dont l'initiative a
été soutenue par l'Ambassade de France permet d'informer, de
mettre en relation et d'assister les initiatives d'investissements entre les
deux pays. On voit apparaître de plus en plus de grandes multi
succursales françaises en Albanie mais le Ministère des Affaires
Etrangères (MAE) reconnaît que la France est relativement peu
engagée économiquement, à hauteur de 86 millions d'euros
d'importation de produits albanais (textile, alimentaire, industrie et
métallurgie) tandis que les exportations vers l'Albanie
représentent 37 millions d'euros (aéronautique, automobile,
produits informatiques et pharmaceutiques). Les gros contrats de la France sur
le marché de l'Albanie se situent précisément dans ces
domaines et leur concrétisation s'inscrit dans le temps et la
durée, avec des projets de formation (dans l'aéronautique avec la
formation de pilotes dans l'Armée de l'Air avec la présence
permanente d'un coopérant technique français), ou de
développement du pays (confection des passeports albanais dont le
contrat a été renouvelé jusqu'en 2024, construction d'une
centrale hydraulique). En 2012 à Paris, la société
Ubifrance, spécialisée dans l'export et l'installation de
sociétés française à l'étranger, a
organisé une journée dédiée à l'Albanie pour
permettre de développer de nouveaux partenariats et échanges
commerciaux et économiques.
Les visites officielles bilatérales sont finalement de
plus en plus nombreuses et saluent les initiatives de différents
Ministères des deux pays pour différentes raisons, que cela
motive le jumelage entre des institutions de nature similaire, les stages
d'observation et de formation. On saluera finalement les efforts de politiciens
et diplomates albanais et leur présence lors de trois journées de
sensibilisation à la langue française et à son
utilité pour inscrire l'Albanie sur la scène de la diplomatie
internationale. Ce projet mené en octobre 2013 a justement
été financé par l'OIF.
104
2.2.3. Facteurs linguistiques et
éducatifs29
4 Réseau de l'enseignement public et
privé :
Les chiffres 2010 de l'Observatoire de la Langue
Française prétendent que 10% de la population albanaise est
francophone, soit 317 000 personnes (incluant les francophones partiels) pour
une population totale de 3.2 millions30. Notons que ce chiffre est
encourageant considérant la moyenne d'Europe centrale et orientale qui
se situe autour de 5% (avec les exceptions sur 12 pays, de la Moldavie et de la
Roumanie qui dépassent les 20%). Le Bureau International de l'Edition
Française d'après une prospection auprès de l'Ambassade de
France et l'Association des Professeurs de Français en Albanie proposent
les chiffres suivants respectivement pour l'année 2007 et 2012 :
|
BIEF, chiffres 2007)=
(BIEF, 2008)
|
APFA (2012)
|
Apprenants de français,
total estimé
|
77100
|
138310
|
Primaire
|
50000
|
89603
|
Secondaire
|
25000
|
48707
|
Supérieur (français langue d'apprentissage)
|
600
|
n.c.
|
Supérieur (français langue étrangère)
- chiffre MASH 2014
|
25000
|
n.c.
|
CCF & Alliances Françaises
|
1500
|
n.c.
|
Locuteurs de français sur la population totale
|
10%
|
|
Professeurs de français
|
500
|
500
|
Tableau 3 - Nombres d'apprenants de la langue
française en Albanie
La différence entre les chiffres communiqués par
les deux instances est énorme, ce qui amènerait à
réfléchir à ce qui constitue ou non un locuteur de
français d'après les
29 Pour une carte qui reprenne la situation
géographique des différents institutions mentionnées,
consulter Annexe 7
30 Ces données sont antérieures
à 2010 et certainement à 2006, en absence de nouvelles
données communiquées.
105
personnes responsables de communiquer les chiffres
nécessaires à l'Ambassade de France en Albanie et à
l'APFA, mais nous ne sommes pas en mesure de pouvoir fournir une explication.
Comme il l'a été mentionné dans la deuxième partie
de ce travail, les apprenants ne choisissent pas toujours leurs langues
étrangères à l'école. Lorsque l'on observe les
chiffres de l'APFA (annexe 6), on peut voir que le saut entre le nombre
d'apprenants Français 1ère langue en Xème
année de lycée professionnel : 5093 et la classe de XIème
année : 439 montre une perte de plus de 90% des élèves
choisissant le français 1ère langue dans les
lycées professionnels, l'intérêt ou l'offre proposée
par ces écoles ne répond pas à une promotion
adaptée du français.
Rappelons également que l'enseignement professionnel
n'est pas valorisé et représente aux yeux des
élèves des « sections garage sans avenir », pour
preuve, la grande majorité des étudiants de première
année de Français à l'Université d'Elbasan
sortaient des lycées professionnels (couture, menuiserie,
électricité) et avaient été admis en
français à cause de leurs notes basses aux épreuves du
baccalauréat et du mauvais pourcentage de réussite de leurs
établissements. Ce taux est encore plus alarmant quand on
considère que moins d'1% des apprenants ayant choisi le français
comme langue première ou seconde au lycée poursuivent leur
apprentissage de cette langue dans l'enseignement supérieur.
Le français est ensuite enseigné de
manière renforcée dans les 7 sections bilingues de l'Albanie (5
sections bilingues d'enseignement général et 2 sections bilingues
d'enseignement professionnel en hôtellerie-restauration soutenues par
l'OIF), officialisées progressivement depuis 2005 par la signature d'un
Traité avec la France. Ces sections bilingues existaient pourtant
auparavant et ont été partiellement initiées par les
efforts de l'association NECAL (Nouer des Echanges Culturels avec l'Albanie),
et financées par les services de coopération linguistique de
l'Ambassade de France en Albanie. Un nombre approximatif de 350 apprenants
fréquentent ces sections bilingues (MAE, 2014), à savoir que ce
chiffre est délicat à prendre en compte depuis quelques
années où ces classes ne sont plus (assidûment)
fréquentées, provoquant la mort lente de ces sections
initialement créées dans le but d'attirer les bons
élèves et leur proposer un tremplin vers les universités
et écoles de l'enseignement supérieur français. Ces
sections bilingues sont peu à peu désertées à cause
du manque d'intérêt pour la langue française qui se
généralise en Albanie, du manque de formation adaptée du
personnel enseignant, du manque de valorisation salariale et statutaire de la
spécificité de leur profession, et du manque de financement en
dehors de celui de l'Ambassade de France (Xega, 2004), quand d'après
l'ancien directeur de l'Alliance Française de Korça dans cet
article, toutes les autres sections diffusant et enseignant deux langues
dont
106
l'albanais sont aussi financées par des ONG, provoquant
l'intérêt particulier de personnes civiles ne dépendant pas
exclusivement du domaine de la politique, de la diplomatie et de la
coopération. Cependant l'implantation mal pensée de ces sections
dans des établissements linguistiques ne permettra pas la
visibilité méritée de ces sections d'enseignement
spécialisé. A la rentrée scolaire 2008, le gouvernement
albanais a également supprimé l'année zéro
prévue à l'usage des lycéens se préparant à
entrer dans ces sections pour mettre le nombre d'années de formation de
ces élèves au même rang que tous les autres (formation
à orientation générale ou professionnelle). Les derniers
lycéens qui auront bénéficié de cette année
zéro sont sortis du lycée en 2012. On déplore ce fait car
cette année permettait de se former intensivement au français
avant d'être en mesure de suivre les enseignements de DNL en langue
d'apprentissage étrangère ; cela servait également
à repérer quels élèves avaient les
compétences pour continuer leur formation dans ces sections. Ensuite, si
l'on observe la potentialité de ces sections de l'enseignement
secondaire pour l'accession à l'enseignement supérieur, envoyer
son enfant dans une section bilingue peut augmenter ses chances
d'intégrer une bonne filière universitaire, quand les
résultats et le taux de réussite aux épreuves de la
matura (BAC albanais) sont souvent meilleurs dans ces
sections que dans les autres établissements de l'enseignement secondaire
public albanais. C'est ici que l'on peut amorcer l'idée qu'il est
entendu pour un albanais de parler une langue étrangère, à
tel point que depuis de très récentes années, se
spécialiser dans l'apprentissage d'une ou de plusieurs d'entre elles ne
constituent pas une orientation d'avenir pour les familles autant que pour les
élèves, jusqu'à émettre des regrets
vis-à-vis de son choix d'étude, tout aussi enrichissant
puisse-t-il avoir été. Les enseignants ne voient pas toujours
l'intérêt de suivre cette voie quand leurs étudiants n'ont
pas reçu une certaine formation préalable...
10. H - « Va dans une école et demande à un
prof de français de donner leur avis vis à vis de la promotion et
de la diffusion des langues, ils diront que c'est à cause de la
politique. Mais demande-leur ensuite s'ils préfèrent si leur
enfant étudie le français ou la médecine. Ils vont tous
répondre
médecine ! » CF ANNEXE 9 ? 01-H
|
27. G - Mais le marché des langues est complètement
détruit aujourd'hui. On prend les
traducteurs dans des entreprises sans tester leurs
connaissances linguistiques. Les postes d'enseignants étaient de plus en
plus rares, donc le nombre de gens qui se prétendaient traducteurs a
augmenté. C'est une question de business, c'était mal
payé, donc les gens n'y mettaient pas du leur. Les traductions
étaient mal faites pour faire de la pression.
CF ANNEXE 12 04-GE
|
11. Eh alors, prof, à ton avis, qu'est-ce
qu'on apporte à nos étudiants de
langues étrangères ?
12. F - Rien en grande partie, j'imagine une ouverture
d'esprit pour ceux qui s'intéressent un tant soit peu à ce qui
se passe en classe. Ca peut leur permettre de s'identifier, tu vois «
où est-
107
ce que je suis dans cette gamme d'informations que je
reçois ? Est-ce que ça m'aide à connaître l'autre et
moi-même ? »
CF ANNEXE 13 ? 05-F
Je n'ai pas intégré les classes que me mentionne
H en 10 (cf p 105) car le contact avec la direction de ces
établissements s'était révélé peu cordial
lors d'autres expériences de prospection, et que la nécessaire
bonne connaissance préalable de son interlocuteur permet d'avoir des
informations personnelles honnêtes (par opposition à «
fabriquées ») et que le temps ne me permettait pas d'engager de
telles relations avec les enseignants et les apprenants de ces classes.
Cependant, l'expérience me montra à travers des cours
particuliers que j'ai adonnés à quelques élèves de
ces classes que les élèves prouvant un bon niveau de
français ne se situent effectivement pas dans les filières
linguistiques mais dans les classes générales. Cette information
est confirmée par un autre enseignant de français auprès
de qui je me suis entretenue31, qui diversifie son activité
avec des cours privés adressés à des enfants de plus en
plus jeunes (d'après le relevé de l'âge de ses apprenants),
qu'il s'agisse d'une initiation précoce au français autant
qu'à des cours de renforcement linguistique, ou quand l'école
dans laquelle son apprenant est scolarisé ne propose pas d'enseignement
du français. Autre parallèle de poids dans le cadre de la
compréhension de la formation des représentations linguistiques
des locuteurs albanais, les cours privés de langue sont souvent investis
par les enseignants des élèves dans le cadre scolaire, ce qui
n'offre pas une grande variation à la langue et la culture, autant
qu'à la méthodologie mises à disposition de l'apprenant
(quand déjà même un enseignant de langue reste le
même tout au long de l'éducation d'un élève et de sa
classe).
Pour finir sur ce point, nous rajouterons qu'il y a de la
demande pour le français, mais pas là où on le penserait
et on ne voit pas apparaître ces étudiants et ces
élèves dans les activités culturelles organisées
par les instances francophones officielles d'Albanie, quand leurs professeurs
particuliers sont eux-mêmes connaisseurs du planning culturel de ces
institutions. La langue française dans l'enseignement public n'est pas
très populaire et ne semble pas engager l'affection de ses apprenants
s'il y a un taux de déperdition aussi important, à supposer que
les représentations concernant la langue française soient
appuyées par les initiatives du MASH pour répondre aux demandes
de son public d'élèves scolarisés, autant que selon la
nécessité de répondre aux critères de l'OIF en ce
qu'un Etat membre doit promouvoir et diffuser le français dans son
pays.
31 Entretien non enregistré à la demande
de l'informateur.
108
Au niveau universitaire, on relèvera l'existence de
l'Institut Français de Gestion (IFG) créé avec le concours
de différentes instances institutionnelles dont l'Ambassade de France en
Albanie et l'Université Bordeaux IV Montesquieu, qui forme des
étudiants dans le domaine de l'administration et de la gestion,
proposant également des programmes d'échanges avec des
écoles en France. Dans l'autre sens, comptons que 600 albanais sont
étudiants en France en 2014 classant ce pays comme sixième
destination estudiantine derrière l'Italie, la Grèce, les
Etats-Unis, la Turquie et l'Allemagne. A ce titre, l'Ambassade de France offre
l'opportunité de remporter une trentaine de bourses pour les
étudiants en doctorat et en filière scientifique.
4 Réseau de l'enseignement privé et
associatif :
Sachons que 4 Alliances Françaises et leurs 4 antennes
(avec la possibilité d'ouverture de deux nouvelles AF à venir) se
partagent les 1500 élèves proposés dans le tableau
quantitatif proposé ci-dessus (supra p. 104).
A cela doit être rajoutée la toute fraîche création
d'une Ecole Française de Tirana créée en 2011 (EFT) et
homologuée par l'Agence pour l'Enseignement Français à
l'Etranger (AEFE) en 2013, qui a accueilli une trentaine d'élèves
à la rentrée 2013. L'EFT est également dotée de son
magazine rédigé sur le concours des enseignants et des
élèves de l'école, et a organisé dès sa
première année un nombre remarquable d'activités dans le
cadre du Printemps de la Francophonie, et des activités
pédagogiques en extérieur de l'école (classe verte sur le
site archéologique d'Apollonia). Rappelons que cette école a
été créée d'après un projet de
l'Association des Amis du Lycée français de
Korça ! Le nombre cependant tout relatif
d'élèves pour cette école est expliqué par la
très faible présence de ressortissants français en
Albanie, au nombre de 172 en 2011. Ce chiffre bien que très restreint
est en augmentation de 20% chaque année (Sénat, 2007). L'EFT
propose finalement un accord avec l'Alliance Française de Tirana avec un
prix mensuel préférentiel pour suivre des cours de
français à 280 euros / mois, quand le salaire moyen en Albanie
tourne autour de 260 euros / mois, chiffre de l'Ambassade d'Albanie en France
(2014), laissant comprendre que l'inscription d'un enfant albanais a un
coût très important pour un foyer albanais moyen.
La coopération universitaire et scientifique est
finalement le plan sur lequel le MAE consacre la majorité de ses efforts
en termes de coopération avec l'Albanie, d'après les informations
transmises sur le site Internet du Ministère (2014). Une présence
française est observée depuis longtemps dans les écoles
albanaises, dont les postes étaient occupées par des volontaires
retraités de l'Education Nationale française avant que des
stagiaires soient envoyés dans ces écoles (parfois au nombre de
deux, comme à Tirana jusque récemment), ou
109
quand un détaché de l'Ambassade de France en
Albanie officiait sur les plans éducatifs, associatifs et culturels
à Korça jusqu'en 2002. Depuis 2005, quatre stagiaires comme je
l'ai été, sont envoyés dans cinq villes du pays pour
dispenser un enseignement du FLE au sein des départements universitaires
de français et des sections bilingues de ces mêmes villes. Ces
stagiaires sont aujourd'hui d'importants relais de la promotion du
français en ce qu'ils en sont presque les seuls responsables en
collaboration étroite et indispensable avec les Alliances
Françaises et les directoires des écoles concernées de
l'organisation d'activités linguistiques et culturelles tout au long de
l'année (selon la convention de stage en vigueur), cependant une (trop)
grande latitude d'organisation leur est accordée, provoquant une
variation importante dans l'implication de ces dernières sur le plan de
la promotion linguistique et culturelle. A ce titre, des émissions de
radio locales ont été montées, des pages Internet sur des
réseaux sociaux et des journaux à tirage national ont
été créés, des activités extrascolaires et
des échanges de spectacles entre étudiants de différentes
villes ont été mis en place (simulation globale sur terrain,
pièces de théâtre et projets de présentation
à thèmes sur la France), sans oublier une médiatisation
importante pour la majorité des activités mises en place :
affichages publics, presse écrite, émissions et journaux
télévisés. On regrettera toutefois que certains projets
aient été récupérés par les pouvoirs locaux,
quand l'initiative et la réalisation avaient été
conçues pour promouvoir le français et participer au
développement de la ville d'accueil (tableau d'indication des sites
culturels et touristiques de la ville d'Elbasan).
4 Albanie / France :
Nous remarquons donc que du point de vue officiel, les
relations entre ces deux pays ne sont pas bilatérales mais que la nature
de leurs échanges promeut en particulier le développement
économique, l'accompagnement et le soutien de la France dans des projets
visant à proposer des structures tutorielles pour élaborer la
société albanaise de demain. L'Ambassade d'Albanie en France
n'est pas très expansive sur son site Internet quant aux projets qu'elle
développe sur le sol français, et on sait trop bien que l'Albanie
n'est pas très présente (pour ne pas dire absente) des
scènes médiatiques françaises ; les inondations noyant une
grande partie des Balkans auront été largement suivies sur les
chaînes de télévision française, quand au même
moment, des tremblements de terre de magnitude 7 sur l'échelle de
Riechter secouaient le pays entier, et il n'en fut fait aucune mention...
C'est là que le monde de l'intellect héberge ou
permet la publication d'oeuvres de grands écrivains albanais tels
qu'Ismail Kadaré, installé en France depuis la chute du
communisme, Bessa Myftiu installée en Suisse et que quelques oeuvres de
Fatos Kongoli sont
110
également disponibles dans les librairies
françaises ouvertes sur la littérature étrangère.
Cependant, écrire dans la langue de l'Autre peut aussi revêtir des
aspects duels tout aussi bien que complémentaires, comme Gazmend
Kapllani le décrit à propos de sa « rencontre » avec la
langue grecque (Dorkofikis, 2013).Sur le plan universitaire, il est possible de
s'initier à l'albanais à l'INALCO, et des ressources
bibliographiques concernant l'Albanie sont préservées dans sa
bibliothèque (BULAC), autant qu'à la bibliothèque Mazarine
à Paris ou dans les archives de la BNF. L'Albanie est donc
présente en France, mais pour celui qui veut s'y intéresser,
n'étant pas en évidence.
III / Politique d'action extérieure de la
France en Albanie 3.1. La France et de la Francophonie en
Albanie
Des accords entre les deux pays ont été
signés pendant la période du régime communiste mais
permettaient une meilleure coopération politique plutôt que
linguistique et culturelle. De manière plus globale, l'action
extérieure de la France se traduit surtout par des initiatives
privées et publiques et se concrétise grâce à la
présence et aux actions organisées par les instances suivantes et
leurs représentants sur place :
L'Ambassade de France en Albanie,
installée à Tirana depuis 1922 avec une fermeture pendant la
Seconde Guerre Mondiale, n'aura pas permis une présence continue de
diplomates français sur le territoire albanais, dans la nouvelle
capitale de l'Albanie à l'époque, mais elle est présente
depuis le début du XIXème siècle avec des consuls
français placés au Sud du pays. La mission principale de
l'Ambassade est d'appliquer la politique extérieure de la France sur
place en Albanie. Le service du SCAC (Service de Coopération et d'Action
Culturelle) est précisément chargé de prospecter le
terrain albanais et de mettre en place des activités de promotion
linguistique et culturelle. Le nombre et la diversité des
activités organisées ces cinq dernières années sont
notables. Ces événements organisés sont souvent en dehors
des attentes d'un public albanais peu connaisseur de ce que la culture
française peut avoir de classique (musique classique majoritairement),
autant que d'original (spectacle de rue, musique et théâtre
expérimental). Nous noterons deux événements majeurs qui
ont pourtant un impact tout relatif avec la participation de l'Ambassade au
Salon du Livre de Tirana, la création en 2011 d'un Salon de
l'Enseignement Supérieur visant à promouvoir des institutions de
l'enseignement supérieur français aux lycéens albanais, la
présence de ces écoles étant sur concours libre, laissant
majoritairement à des écoles privées, et les bourses
étant en fait des
111
crédits (proposés par des banques
françaises présentes sur place). Le SCAC emploie des
attachés de coopération culturelle, linguistique,
institutionnelle avec la présence d'un chargé de mission
culturelle employé sous un programme de Volontariat International de
l'OIF, ainsi qu'un attaché à la défense. La Belgique n'a
pas d'ambassade en Albanie mais un consulat honoraire dans une ville à
proximité de la capitale (Durrës) et l'Ambassade de Suisse
participe aux activités de la Francophonie, mais ses activités
consulaires ont été attribuées à l'Ambassade de
Suisse au Kosovo.
Campus France - Albanie : installé au
sein de l'Alliance Française de Tirana depuis 2005, cette institution
est responsable d'orienter et d'aider les élèves albanais
désireux de poursuivre des études supérieures en France. A
travers Campus France, l'Albanie s'est ouverte à l'Office
Méditerranéen de la Jeunesse qui propose des bourses de
mobilité et propose une aide à l'insertion professionnelle pour
les jeunes de 16 pays de la zone Méditerranée. Les horaires
d'ouverture (deux heures deux fois par semaine) sont restrictifs du point de
vue de l'accessibilité à cet espace censé accompagner les
jeunes Albanais dans leur éventuelle formation dans l'enseignement
supérieur en France. Finalement, la presque inexistence de bourses et la
grande difficulté d'obtenir un visa sont pratiquement légendaires
et décourageantes (même pour les candidats avec un bon dossier,
expérience personnelle).
Jusque 2005, seul l'Institut de Culture Italien de Tirana
proposait un centre ouvert sur une culture et une langue
étrangère. Au nombre de quatre Alliances
Françaises et de quatre antennes, avec le projet de
créer deux autres AF dans les villes de Fier à l'Ouest et de
Saranda au Sud, le réseau des AF est étendu en Albanie,
présent dans pratiquement l'ensemble des plus grandes villes du pays. Le
réseau des AF est placé sous la tutelle de la Fondation Alliance
Française depuis 2007, les activités qu'elles organisent et les
financements attribués sont quant à eux placés sous
l'égide du SCAC et du MAE français. Pour la partie enseignement,
des partenariats ont d'ailleurs été proposés entre les
départements de français des différentes villes et les AF
pour permettre aux étudiants des départements de français
de renforcer leurs connaissances en langue, à prix
préférentiel. Les Alliances Françaises n'ayant pas
toujours leurs locaux propres, les cours ont souvent lieu dans ces
universités et sont assurés par les mêmes enseignants de
l'université. Les activités culturelles organisées par
leurs soins sont souvent concentrées en mars pendant la semaine de la
Francophonie (en dehors de la ville de Tirana qui finance un certain nombre
d'événements culturels dans l'année). Pour le reste du
pays, les activités organisées dépendent grandement de la
disponibilité des stagiaires et de leurs engagements vis-à-vis de
cet aspect de leurs activités. Finalement, le projet d'ouvrir des
112
classes de sensibilisation au français en
périscolaire a eu un franc succès à l'Alliance
Française de Tirana, celle d'Elbasan devrait suivre le pas d'ici peu de
temps.
L'Agence Universitaire pour la Francophonie (AUF)
a également une représentation à Tirana à
travers la salle numérique mise à disposition des
étudiants et des enseignants chercheurs. Avec pour mission de fournir un
accès à l'information et à la formation aux TICE à
l'adresse de ce public (en accord avec les missions fixées par l'OIF),
le Campus Numérique de l'AUF à Tirana est un pôle
d'accès à des ressources en rapport à son domaine
d'études et ses ambitions de formation universitaire à travers
une offre de différentes formations à distance et des ressources
bibliographiques. A l'heure actuelle, l'Université de Tirana et
l'Université Polytechnique de Tirana sont les deux seules membres de
l'AUF, permettant ainsi à leurs étudiants de participer à
des programmes d'échange et de mobilité internationale, et aux
enseignants de français de bénéficier de programmes de
formation et de participer à des conférences universitaires dans
différentes universités du monde de l'AUF.
L'Association des Professeurs de Français
d'Albanie (APFA) : membre de la Fédération
Internationale des Professeurs de Français, cette association semble
avoir milité seule pour la promotion du français et
l'enseignement de cette langue dans les écoles albanaises avant les
années 2000. Depuis l'accession de sa nouvelle directrice, Lindita
Trashani, cette association semble regagner en énergie et a
organisé plusieurs événements en association avec les
autres instances associatives ou institutionnelles du pays.
Le CREFECO (Centre Régional Francophone pour
l'Europe Centrale et Orientale) a pour mission d'améliorer la
formation proposée dans le domaine de l'enseignement du français
en proposant régulièrement des stages de formation à
l'adresse des enseignants de français de l'Europe Centrale et Orientale.
Ce centre créé en 1994 par l'OIF et installé à
Sofia en Bulgarie, est largement reconnu en Albanie pour les formations qu'il
organise, particulièrement contextualisées car le contenu de ces
formations est discuté avec les Ministères de l'Education des
pays membres. La participation d'une représentante du CREFECO lors du
1er Congrès du Département de français de
l'Université de Tirana fut d'ailleurs particulièrement
saluée, quand son discours attirait l'attention des acteurs de la
francophonie à ne pas relâcher leurs efforts pour continuer
à promouvoir cette langue de partage.
L'Albanie est ensuite dotée d'un grand nombre de
centres linguistiques privés. Toutes ne proposent pas
des cours de langues en français et ces écoles sont absentes des
activités organisées dans le cadre du Printemps de la
Francophonie mais toutes font la promotion de leurs préparations
à différents diplômes de langues françaises (TCF,
DELF/DALF & TEFAQ pour
113
le Canada). L'émigration vers le Canada étant
relativement importante, les Albanais sont plus facilement disposés
à envisager un déplacement vers l'Amérique du Nord que
vers la France.
3.2. Ressources matérielles mises à
disposition des Albanais francophones en Albanie
Ces récentes années, de plus nombreux efforts
ont été réalisés dans ce sens de mettre à
disposition du matériel en langue française, cependant ces
efforts ne vivent pas toujours les effets attendus. Les AF ne sont pas toutes
dotées de médiathèques et les bibliothèques sont
souvent installées dans des salles dépourvues de permanence, ce
qui empêche l'accès aux ressources existantes. Dans ce sens, le
chargé de mission culturelle de l'Alliance Française de Tirana,
en coopération étroite avec le SCAC de l'Ambassade a permis la
création d'une plateforme Culturethèque Albanie
(troisième pays au monde à avoir le privilège
après la Chine et le Maroc), plateforme en ligne de consultation de
différents supports numériques et interactifs, proposé
à tous et inclus dans les frais d'inscription aux cours des AF.
Lancée en mars 2013, il est désormais possible d'avoir
accès à cette plateforme à partir de son
téléphone portable, ce qui est d'autant plus accessible et
possible pour les jeunes Albanais qui n'échappent pas aux Smartphone et
à une couverture Internet large. L'Ambassade de France a
également grandement incité les AF à s'abonner à
quelques magazines et / ou journaux, permettant de pouvoir alimenter la
littérature disponible dans les locaux des AF. Cependant, l'organisation
spatiale des locaux des AF ne permet pas toujours aux apprenants de pouvoir
consulter librement ces ouvrages.
La chaîne télévisée TV5
Monde est accessible gratuitement mais son rayon de transmission est
très restreint, ou la qualité de réception n'étant
pas toujours optimale. Cependant, cela reste une chaîne
télévisée, suivie de son site Internet proposant des
sources très intéressantes exploitables par les enseignants dans
leurs classes. La nécessité fréquente d'avoir accès
à Internet pour pouvoir exploiter pleinement les fiches
pédagogiques de TV5 Monde rendent la majorité de ses ressources
inaccessibles, mais néanmoins réalisables.
Le SCAC de l'Ambassade de France en collaboration avec celui
de l'Ambassade de France en Macédoine, l'Institut Français de
Skopje et l'Université de Montpellier III ont créé et mis
en place un plan de formation visant à sensibiliser les enseignants
d'Albanie et de Macédoine à l'usage des TICE et à
promouvoir leur utilisation en contexte didactique. En 2011, la plateforme
numérique Almaktice (Fischer & Olivry, 2012) est
lancée, après avoir réuni les enseignants de
français des deux pays pour qu'ils mettent en commun les ressources
qu'ils utilisent.
114
Les programmes de mobilité ont
été créés et mis à disposition des
étudiants albanais, cependant, un nombre encore trop restreint
d'étudiants peuvent bénéficier de ces programmes. En ce
qui concerne le programme Erasmus Mundus, l'année la plus importante en
termes d'obtention d'une bourse fut 2007 avec 26 étudiants de Master
ayant obtenu une bourse pour étudier à l'étranger quand en
2013, seuls 10 étudiants partirent. Pour les recherches doctorales, 4
bourses de ce programme furent attribuées à des doctorants
albanais (Conseil de l'Europe, 2013). Peu d'Universités disposent de
partenariats effectifs avec des universités étrangères ou
les universités albanaises ne sont pas en mesure de pouvoir rendre la
même somme d'efforts que ceux produits par leurs confrères, en
particulier à cause de l'impossibilité encore actuelle de pouvoir
concilier son métier d'enseignant et de chercheur pour les
universitaires. Ainsi, pour pouvoir partir à l'étranger, on se
repose encore beaucoup sur des programmes humanitaires ou impliquant que
l'étudiant ne dépense que le minimum des frais
nécessaires. Pour la langue française, nous pouvons saluer le
Lion's Club qui a reçu des étudiants albanais dans ses
différents centres en France chaque année, grâce à
l'appui de Mme Basin-Gourgon, présidente de l'association NECAL et
fervente défenseure de la francophonie en Albanie.
IV/ L'offre en formation initiale en langues
étrangères dans le système universitaire albanais
4.1. Données générales,
formation et marché du travail
Il est admis de pouvoir entrer dans une filière
linguistique à l'université sans avoir étudié la
langue au préalable. Certains étudiants sont donc au niveau 0 en
L1, ce qui ne permet pas de considérer tous ces francophones en contexte
universitaire comme des francophiles avérés dès le
début de leur formation universitaire, si l'on se place du point de
l'intérêt porté à la langue, ou comme envisageant
une orientation professionnelle où il est entendu que le français
leur permettra d'avoir un emploi qui leur donne « facilement » un
emploi si on rejoint la visée utilitariste de l'Ecole. Voyons à
présent la représentativité du français à
l'Université de Tirana et à l'Université d'Elbasan, quand
ce sont des acteurs de ces deux établissements que j'ai pu rencontrer et
interroger dans le cadre de mon étude (n'étant pas aux faits des
villes de Korça et Shkodra, je ne préfère pas
m'entreprendre sur des analyses qui pourraient être erronées).
Pour note de lecture, les chiffres verts indiquent ceux qui sont
supérieur à la moyenne, les rouges représentent les
chiffres inférieurs.
115
Ville et université
|
Diplôme L3
|
Année
|
TOTAL sur quatre années
|
Année la plus importante en
nombre d'étudiants
|
Année la moins importante en
nombre d'étudiants
|
Variation max. / moyenne
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
Université d'Elbasan, Faculté SHS
|
Français
|
24
|
48
|
28
|
39
|
24
|
163
|
2006 - 48
|
2005 &
2009 - 24
|
24 - 32
|
|
Anglais
|
57
|
94
|
76
|
52
|
35
|
314
|
2006 - 94
|
1998 &
1999 - 18
|
76 - 62
|
Allemand
|
16
|
28
|
41
|
20
|
10
|
115
|
2007 - 41
|
2000 &
2008 - 10
|
31 - 23
|
Italien
|
22
|
70
|
60
|
61
|
25
|
238
|
2007 - 70
|
2005 - 22 (année de creation)
|
52 - 47
|
Université de Tirana,
Faculté
des LE
|
Français
|
47
|
60
|
87
|
62
|
22
|
278
|
2002 - 94
|
2009 - 22
|
72 - 55
|
|
Anglais
|
98
|
96
|
162
|
156
|
143
|
655
|
2007 - 162
|
1997 - 66
|
96 - 131
|
Italien
|
53
|
62
|
52
|
124
|
34
|
325
|
2008 - 124
|
1998 - 18
|
106 - 65
|
Allemand
|
62
|
51
|
56
|
64
|
21
|
254
|
2008 - 64
|
1997 - 12
|
52 - 50
|
Turc
|
10
|
15
|
7
|
10
|
0
|
42
|
2006 - 15
|
2003 - 4
|
11 - 8
|
Grec
|
14
|
19
|
36
|
37
|
0
|
106
|
2008 - 37
|
2003 - 8
|
29 - 21
|
Russe et langues slaves
|
7
|
13
|
11
|
13
|
0
|
44
|
2002 - 22
|
1998 - 2
|
20 - 8
|
Tableau 4 - Nombre d'étudiants
diplômés au niveau BAC + 3 par année, par langue et
par université (2005-2009) - Source : INSTAT, 2012
Nous pouvons voir d'après ces données que le
nombre d'étudiants oscillent considérablement d'une année
à l'autre, et ceci peu importe la langue étrangère
étudiée. La variation maximum indique également pour
certaines langues que les besoins en enseignants oscillent
considérablement d'une année à l'autre, provoquant des
déséquilibres concernant le recrutement d'enseignants, leur
éventuelle titularisation, et l'instabilité, la
précarité caractérisant cet emploi. De
l'intérêt porté par les étudiants aux
filières linguistiques universitaires évoquées dans ce
tableau, nous voyons que l'anglais obtient la première place si l'on
regarde le nombre d'étudiants diplômés, suivi par
l'italien. Le français obtient la troisième
116
place, suivi de près par l'allemand dans les deux
universités. Concernant les langues turque, grecque et russe, le nombre
réduit d'étudiants doit s'explique par le fait que ce sont des
langues qui ne sont pas ou peu enseignées au secondaire ; elles ont
également des alphabets différents, ce qui peut
éventuellement faire naître des représentations comme quoi
ce sont des langues difficiles. Notons tout de même qu'un nombre
important d'Albanais vivent en Grèce (comme vu en chapitre 2), ce qui
amène à considérer l'apprentissage de cette langue lorsque
l'on y vit plutôt que de suivre une formation universitaire. On remarque
également qu'en 2009, des données sont inférieures
à la moyenne, peu importe la langue, ce qui semblerait indiquer un
désintérêt généralisé des LE. C'est
d'ailleurs dans cette colonne que l'on voit apparaître des données
nulles pour trois langues, ce qui correspond à une absence de
transmission de données de la part de l'institution car après
croisement des informations avec un étudiant concerné par ces
données, il s'est révélé qu'il y avait bien des
étudiants en L3 dans ces trois filières.
Depuis la ratification par l'Albanie de la Charte de Bologne
et jusqu'à ce que la réforme prévue en 2014 change la
structure de l'enseignement supérieur, une licence universitaire
s'effectue en trois ans, sur le système européen LMD (Licence
Master Doctorat) divisés en six semestres. A l'issu de la licence, un
étudiant doit soutenir un mini-mémoire sur le thème de son
choix, relatif au domaine qu'il aura étudié. Au niveau du Master,
et pour les étudiants qui se destinent à l'enseignement, un
master scientifique s'effectue en deux années et le master professionnel
en un an. Puis, à partir de 2012, le master professionnel s'effectue en
un an et demi impliquant la nécessité de faire une année
de stage non rémunéré par la suite, et d'obtenir
obligatoirement un diplôme de connaissance de l'anglais (niveau B2),
quelle que soit la langue étrangère de spécialité
ou la deuxième langue étudiée lors de son cursus
universitaire. La réforme de 2012 passée en cours d'année
et à effet immédiat de prouver son niveau B2 en anglais a
provoqué un certain nombre de protestations rapidement
étouffé quand les étudiants ont été
menacés de représailles et de poursuites. Basé sur le
modèle universitaire italien concernant la nécessité de
soutenir un mémoire en fin de licence, la structure universitaire
albanaise impose un certain nombre de contraintes aux étudiants en
langues étrangères, qui confortent le gouvernement dans ses
volontés de s'aligner sur des standards qui sont difficilement
réalisables ou en accord avec la réalité sociale albanaise
(en référence au stage long non rémunéré),
ni à leurs compétences quand il leur est demandé en cours
d'année de passer un test certificateur en anglais, quand la plupart
d'entre eux choisissent l'italien comme deuxième langue obligatoire.
Cette nouvelle loi peut prétendre à promouvoir le plurilinguisme,
sauf quand on remarque des dysfonctionnements tels que le fait
117
que certains étudiants n'ont pas étudié
l'anglais depuis la fin de leurs études secondaires, ou que le
diplôme qu'il faut passer est un diplôme de connaissance de langue
proposé par une université privée américaine.
L'offre de formation au niveau Master n'offre pas une grande
égalité dans le sens où seule la Faculté des
Langues Etrangères de Tirana forme les enseignants qui se destinent
à opérer au niveau secondaire, laissant les universités de
province former les futurs enseignants du niveau primaire (et collège,
ces deux niveaux étant réunis en Albanie), comme c'était
le cas déjà sous le régime communiste avec les instituts
pédagogiques qui formaient les enseignants du niveau primaire et
collège, tandis qu'à Tirana, on pouvait suivre une formation
permettant d'enseigner aux niveaux supérieur, comme c'est le cas pour
nos informateurs qui ont reçu une formation sous le temps du communisme.
Etre autorisé à se déplacer pour étudier
succédait à une étude de dossier minutieuse et profonde de
l'adéquation du candidat avec l'idéologie du PTA et de sa bonne
conduite. Les enseignants ayant reçu leur formation initiale sous le
régime communiste devait donc faire preuve d'exemplarité.
On trouve également des Masters en communication et en
tourisme, ouverts aux étudiants de LE, ainsi que des Masters en
traduction et interprétariat. Le manque de valorisation attribué
au travail d'enseignant attire souvent les étudiants dont les
compétences linguistiques sont les plus faibles vers l'enseignement.
Cependant, le peu de formations professionnalisantes, sans compter le
coût important qu'engage le rapprochement d'un étudiant de son
lieu de formation peut également inciter plus volontairement les
étudiants à se diriger vers les seuls Masters proposés
dans la ville où ils ont déjà effectué leur premier
cursus universitaire. On n'oublie pas les tarifs importants d'admission en
Master qui s'apprêtent à être appliqués
prochainement. Les réalités économiques restreignent donc
les possibilités de formation professionnelle, quand l'université
est conçue aujourd'hui comme la fabrique des futurs professionnels,
destituant cette place aux instituts de formation spécialisée.
Sans devoir se spécialiser en français, on
remarque que le français n'est pas présent dans de nombreuses
universités albanaises, même en tant que deuxième langue
d'apprentissage. Dans le domaine de l'enseignement supérieur public,
seules trois universités disposent d'un département de
français : Elbasan, Tirana et Shkodra. Les autres universités ne
déclarent pas disposer d'un tel département, laissant penser
qu'il n'existe pas d'enseignement du français en tant que
deuxième langue dans la majorité des universités publiques
albanaises, ce qui réduit le champ de diffusion de cette langue
étrangère au profit de l'anglais et de l'italien, largement connu
des Albanais par leur précoce exposition de cette langue à
118
travers les médias, en particulier les dessins
animés pour les enfants. Cependant, cette tendance pourrait bien changer
quand les programmes télévisuels pour la jeunesse sont maintenant
doublés en albanais et que les séries (« telenovelas »)
d'Amérique du Sud ont récemment intégré les
programmes de plusieurs chaînes nationales. Les Albanais reconnaissent
eux-mêmes que leurs enfants parlent de moins en moins italien, quand
c'est presque considéré comme une évidence par les plus
âgés. Le bilinguisme précoce des jeunes Albanais, est donc
remis en question par l'évolution des médias albanais et de leur
développement pour promouvoir la langue albanaise.
Concernant la lecture de ce tableau et l'intérêt
porté aux langues étrangères, nous préciserons
quelques informations. Du point de vue du domaine de l'enseignement et des
étudiants qui se destinent à cette formation professionnelle, et
pour pallier au manque d'enseignants formés en français en
particulier pour les zones rurales reculées, certaines
universités ont pris l'initiative de créer des diplômes
spécifiques qui proposent de former les étudiants en
français et en albanais. A l'issu de cette formation, les
étudiants provenant de zones rurales reculées doivent
s'être dotés d'un bagage minimum en français et en
grammaire albanaise pour pouvoir l'enseigner, ces données sont absentes
de ce tableau, autant que le nombre d'étudiants entrant en L1,
permettant de constater quel taux de déperdition est observé pour
le français et les autres langues étrangères
proposées, car ce chiffre n'a pu être trouvé. Finalement,
de nouvelles disciplines alliant l'apprentissage d'un domaine non linguistique
à celui d'une langue étrangère (informatique et anglais,
ou techniques de communication et anglais, plus rarement l'allemand, mais cela
existe). Cependant, aucune discipline scientifique ne se couple actuellement
avec le français au niveau Licence.
4.2. Regards vers l'Ouest, de la théorie en
pratique
Les universités de l'ex bloc de l'Est ont relativement
rapidement essayé d'adopter des mesures permettant d'aligner leurs
institutions sur des standards européens, quand certaines
hypothèses soutiennent que c'est dans le cadre d'une stratégie de
rapprochement économique et politique de ces pays avec l'UE. La
signature de la Charte de Bologne32 a réorganisé
dès 2006 le fonctionnement des universités dans leurs dimensions
structurelles, curriculaires, pédagogiques et socio-éducatives,
autant que l'adoption de ce texte et sa mise en pratique a tenté de
démocratiser l'accès à l'université et a
contribué à dépolitiser ses
32 Il était initialement question de traiter de
la Charte de Bologne en chapitre 2 mais cela a été mis de
côté par l'annonce d'une nouvelle réforme remettant
fondamentalement en question l'application de certains principes de ce premier
texte
119
contenus et sa hiérarchie. Cela n'aura pas
été complètement achevé que huit années plus
tard, le gouvernement déplore officiellement des manoeuvres
frauduleuses, illégales et contraires aux principes fondamentaux de
l'éducation.
L'alignement des enseignants de LE et de français pour
notre contexte, sur les principes du CECR que l'on retrouve dans les articles
de recherche dont il a été fait mention en introduction de cette
étude renforce l'idée selon laquelle le standard européen
et globalisé a été adopté et intégré
aux curricula universitaires et aux programmes de formation. Cependant, cette
volonté d'ajustement théorique n'aura pas pu être
appliquée à la pratique dans toutes les institutions, souvent par
manque de financement : voyons certaines méthodes anciennes encore
employées dans les départements de français, à
Elbasan, Le Nouveau Sans Frontières 1 & 2,
respectivement 1998 & 199133. Pour les
autres matières, axées sur un point de connaissance non
linguistiques (culture, littérature, histoire, droit, etc.), les
enseignants disent se constituer leurs propres supports de cours, incluant
l'utilisation de méthodes anciennes (comme le « Mauger
»), en particulier quand le
contenu culturel est accessible aux étudiants en difficulté de
compréhension et de production linguistique (orale comme écrite),
par sa présentation sous une méthodologie traditionnelle, plus
familière des apprenants en particulier quand ils viennent des zones
rurales où les écoles sont rarement équipées du
matériel adéquat pour l'utilisation d'une méthode
récente (en particulier pour celles où la compréhension
orale est sur un CD-ROM). Il m'est souvent arrivé que des enseignants me
demandent de leur trouver des méthodes qui leur permettent de
réunir le contenu de leurs programmes dans des livres « tous faits
». Quand aucune librairie ne propose de méthode auxiliaire, et que
l'achat sur Internet n'est pas encore popularisé, on peut tout à
fait comprendre qu'il soit difficile de trouver ces méthodes, il y a
donc une réelle demande pour une littérature
méthodologique neuve et / ou innovante (en référence
à la date des méthodes utilisées et des
méthodologies qui y sont prescrites), ou de l'équipement des
écoles avec le matériel au moins de base, pour travailler sur
toutes les compétences. Cependant, nous savons qu'en
réalité, la revendication des quatre compétences ne fait
appel à un travail effectif sur ces dernières, en particulier
quand on en vient à la production orale. Nous verrons ceci dans le
chapitre prochain.
33 Quand j'ai voulu proposer une nouvelle
méthode, j'ai rencontré la reluctance de ma hiérarchie
à l'époque sous prétexte qu'il n'y a pas de librairie
francophone, quand les apprenants utilisent des photocopies de
méthodes.
120
Conclusion
La Francophonie déclare viser la promotion et la
défense de valeurs fondamentales inhérentes aux êtres
humains et à leurs droits, sans considération de leur origine ou
leur première langue tant que les échanges entre
représentants de cultures diverses peuvent s'effectuer à travers
la pratique de la langue française. Les initiatives de l'OIF ne furent
pas toujours observées et commentées de la même
manière par chacun, la francophones ne se rejoignant pas toujours sur un
consensus identitaire ou définitoire, ce qui nous permettrait de nous
questionner à savoir : est-il possible d'avoir une identité
à la fois fondamentalement plurielle et constituée d'un noyau
commun pour être reconnue et partagée par tous ?
Le débat est compliqué par le fait que la
francophonie a la France pour capitale (quand ce n'est pas réduit
à la seule ville de Paris), alors que l'histoire montre à elle
toute seule qu'il n'y a plus un seul français, mais plusieurs
variétés de langues françaises, que ces
variétés ne sont seulement parlées en France, qu'elles
disposent elles aussi de statuts de norme, et que les Français
eux-mêmes ne valorisent pas tous la pluriculturalité, le
plurilinguisme. On revient toujours à la question de la langue de la
France comme langue de suprématie telle qu'elle est décrite par
Leperlier (2010) et nous préférerons son point de vue analytique
sur ce qui motive les Français à considérer la
Francophonie comme ayant un effet centripète plutôt que sur des
analyses déconstruisant ce que l'OIF se force à élaborer
de manière honorable pour ce qu'on en voit de l'extérieur.
Quoiqu'il en soit, les débats tentant de déterminer une
identité francophone ne sont pas prêts de prendre fin pour la
raison que le fantôme de la colonisation plane encore au-dessus des
consciences, qu'elle est loin d'être affaire close et que dans ce
contexte précis, il est difficile d'admettre la francophonie de peuples
qui n'auront pas vus les Français d'aussi près ou pas aussi
majoritairement. Si l'on considère les objectifs que se fixe l'OIF
à savoir la cohésion entre les peuples, on admettra qu'elle peut
desservir l'Albanie dans son accès à la démocratie et
à l'élaboration d'un partage et d'un dialogue entre cultures.
L'Albanie pays uniculturel ? Cette question a
été abordée en deuxième partie et il a
été remarqué que le grand attachement des Albanais
à leurs valeurs et à leurs traditions rend ce peuple très
volontaire quant à la défense et la valorisation de son
patrimoine maternel (combien de peuples d'Europe peuvent encore se targuer
d'avoir réussi à transmettre les chants, les danses et les textes
propres à la culture ancienne du pays concerné aux
générations plus jeunes) ; cependant les différentes
vagues de colonisation du territoire auront modelé ce peuple et sa
capacité à regarder vers l'extérieur.
121
Quelle forme la diffusion du français doit-elle prendre
? Chaudenson nous propose que la mondialisation des images est dangereuse, ce
qui explique d'après lui cette fuite vers l'anglais, car la lecture de
la culture anglophone et majoritairement américaine à travers les
médias et la musique semble offrir une image unie et identifiable.
L'Albanie dans sa volonté de reconnaissance peut légitimement se
lancer dans une voie qui pourrait lui permettre d'infiltrer cet amalgame
d'individus internationaux qui parviennent à circuler et à
communiquer aux quatre coins du monde, en particulier lorsque l'on observe une
diaspora aussi étendue. Mon avis m'amènerait à me dire que
le français langue internationale, au même titre que l'anglais,
n'est pas engagé sur cette voie, et Porcher le souligne pareillement
(2012 : 10) en même temps qu'il avance un élément : «
qui suarait priver ses enfants, c'est à dire finalement, à les
amputer d'une compétence linguistique aujourd'hui banale ? » C'est
précisément à cet endroit que la francophonie peut
opérer et avancer les valeurs qu'elle dit protéger. Cela dit, ce
n'est pas envisageable sans l'aide des politiques nationales, plus proches des
sociétés concernées, des institutions et à cette
instance charnière, celle des enseignants.
De la même manière que la citation de Porcher
introduisait l'idée d'une transmission des capitaux sociaux et culturels
entre deux générations, nous nous attarder dans la
dernière partie à ce qui permettrait de comprendre l'action des
enseignants et des apprenants albanais vis-à-vis de leur apprentissage
du français. Où les enseignants se situent-ils dans ce
schéma, malgré le fait que l'on déplore que certaines
pratiques n'ayant rien à faire avec l'apprentissage d'une langue soient
aussi facilement observables en contexte scolaire et universitaire ? C'est
l'idée de la prochaine partie qui s'apprête à être
traitée avant de pouvoir réfléchir à une
modélisation des politiques linguistiques et éducatives à
profiler en Albanie, favorisant une réduction de la fracture sociale en
action depuis de nombreuses années.
Chapitre 4 - Pratiques et
représentations didactiques, le français et son
enseignement-apprentissage en Albanie
122
« Deviens qui tu es. »
Goethe
123
Introduction
« Aussi pour apprendre l'élève doit-il
sublimer l'inconfort des incertitudes liées à
l'incomplétude de son savoir en acceptant de se risquer dans la
recherche des moyens de cette maîtrise. Ce risque est à la fois le
fondement et la condition du fonctionnement du processus enseignement /
apprentissage » (Anderson, 1999 : 26).
L'acte d'apprentissage est défini ici comme une
situation dans laquelle l'apprenant doit apprendre à se guider dans
l'inconnu et à accepter l'inconfort de cette situation temporaire. Il
est induit que cet apprentissage s'effectue en compagnie plus ou moins
marquée de son enseignant, selon les méthodologies prescrites et
employées ; les facteurs modelant les conditions dans lesquelles
l'enseignement / apprentissage s'opère déterminent
également quel accompagnement peut être envisagé. De la
même manière que chaque peuple a son histoire sociale, culturelle,
identitaire et qu'elle forge une société de
génération en génération, il m'avait semblé
important de tenir compte des informations exposées jusqu'ici pour deux
raisons : ces raisons reviennent régulièrement dans le discours
tenu par les acteurs à différentes échelles d'action de
l'enseignement-apprentissage des langues étrangères, mais aussi
parce qu'il m'a semblé inévitable de prendre en compte l'histoire
des situations et des acteurs observés, responsables de ces actions, en
particulier si l'on considère que rendre l'historicité d'un
terrain observé réintègre ses acteurs dans leur
expérience au monde, d'après Dondeyne (1956 : 5-25) dans sa
définition de l'historicité dans la philosophie contemporaine.
Cela est d'autant plus inévitable lorsque ce monde dont il est question
est au centre de la relation des individus à la société
à travers la langue, au même titre que l'appréhension d'un
code linguistique nouveau.
Plus simplement et afin d'introduire les rapports
d'expérience des acteurs observés et l'analyse de cette
expérience, il convient d'attribuer ces dernières pages à
ce qui permet de placer les acteurs dans le contexte dans lequel ils sont
amenés à agir. A une époque où le
développement de compétences transversales entre
différents répertoires linguistiques et culturels sont
définis comme permettant entre autre, la possibilité d'une
compréhension mutuelle entre cultures et peuples, nous verrons de quelle
manière cette nécessité trouve son écho chez les
enseignants de français et les apprenants. L'échelle macro des
décisions politiques et éducatives modelant en partie les
interactions à l'oeuvre et observables au niveau micro, il s'agit
maintenant de s'intéresser aux actions engendrées par les acteurs
qui nous intéressent ici et de voir si ces actions trouvent elles aussi
écho dans la vision projetée
124
des décideurs d'une nation et d'un pays tel que
l'Albanie. En fonction de ça, nous verrons s'il est possible d'envisager
une (re)définition des politiques éducatives et linguistiques
à l'oeuvre dans les universités albanaises.
I/ Individus en contexte
1.1. Circonscription et approche tenue à
l'égard du terrain
La sociolinguistique étant une discipline qui a permis
la formation de la sociodidactique, c'est à l'éclairage des
outils qu'elle préconise que nous investirons le domaine micro des
représentations et des locuteurs. C'est donc en usant de méthodes
de recueil de données tels que le récit de vie (Bertaux, 2010),
l'entretien compréhensif (Kaufmann, 2011) ou l'observation directe
(Fournier & Arborio, 2010) que les analyses qui s'apprêtent à
être proposées ont été formulées.
Le cadre de mon enquête m'a permis d'observer en
particulier le département de français de l'Université
Aleksandër Xhuvani d'Elbasan, au sein duquel j'ai moi-même
opéré. Cependant, j'ai aussi pris la liberté de croiser
les données que j'y ai recueilli avec des informations
prélevées auprès d'anciens étudiants d'une autre
université, afin de me constituer un sens plus critique des conclusions
que je souhaite apporter à cette étude, en particulier
grâce au regard distancié de ces derniers. L'intention est
d'observer ce qui peut influer l'agir des enseignants de français,
autant que les représentations de départ des apprenants pour
cette langue, et de sonder de quelle manière les représentations
de chacun peuvent influer sur les politiques linguistiques et éducatives
à engager.
Ma première intention était de focaliser mon
enquête de terrain sur les étudiants, intéressée par
la toute dernière échelle dans la pyramide (verticale, nous
l'avons vu en chapitre 2) de décision et de planification des politiques
engagées, pour observer les représentations formées par
ces derniers en fonction des facteurs et des modalités d'exposition
à la langue et à la culture françaises. Cependant, au
moment de mener cette enquête, j'ai été confrontée
à deux difficultés principales : je ne pouvais évidemment
plus avoir accès à certaines scènes didactiques qui ont eu
lieu lors de mon expérience en tant qu'enseignante, et qu'il est aussi
pratiquement impossible de recréer les conditions nécessaires
à l'obtention de prises de position et d'actions spontanées de la
part des enseignants autant que des apprenants, puis de les enregistrer. Le
corpus d'enquête que mon expérience m'a constitué pouvait
bien être observable dans les classes des autres, où
l'accès
125
m'a été rendu difficile, par méfiance
gênée de mes interlocuteurs, en particulier quand la nouvelle de
mon retour et de mon étude s'est répandue. J'ai finalement
basé le contenu de mon analyse sur l'utilisation du récit de vie
et de l'entretien compréhensif pour avoir accès à une
forme de discours qui appartient à l'informateur, mais
révélateur d'une réalité majoritairement
partagée. Mon rôle était ensuite de recadrer le contenu
obtenu sur un terrain reflétant une réalité
communément partagée, avec la charge de pouvoir rendre des
commentaires placés théoriquement, réfléchis
scientifiquement et ancrés dans la pratique.
Les conditions dans lesquelles ces deux méthodes de
recueil de données doivent être optimales pour pouvoir avoir
accès à ce dont on a besoin, que l'on connait par
expérience mais auquel on n'a pas accès « sur demande
». Une autre difficulté a été celle de la langue
d'entretien. Mes compétences en albanais étant assez restreintes,
je ne pouvais pas avoir accès aux informations voulues dans la langue de
mes informateurs quand leurs connaissances en français étaient
insuffisantes pour pouvoir répondre aux prérogatives de mon
enquête et des thèmes que je souhaitais développer. Je ne
voulais pas avoir accès à un intervenant tiers qui aurait pu me
soutenir dans les conditions techniques de prélèvement
d'informations techniquement et traduire les échanges produits, car la
méfiance qui peut s'établir dans ce type de situations aurait
faussé les informations recueillies. Enfin, quand les compétences
linguistiques de mes informateurs étaient suffisantes pour pouvoir me
répondre en français, la présence d'un enregistreur audio
a souvent produit les effets attendus par la présence de cet objet :
l'informateur confronté à son moi dans les scènes de sa
vie qu'il expose et l'inévitable tentative de ce dernier à
vouloir protéger sa face (au sens bourdieusien), sa vérité
et sa consistance, incarne un rôle qui ne lui ressemble pas en d'autres
situations. Les recueils de données les plus utiles ont
été ceux où je prenais des notes au fil des questions
posées à mes interlocuteurs, et sur la durée quand la
situation de l'interview coulait doucement vers une situation d'aise et de
confiance émise à l'égard de celui qui
prélève ces données souvent personnelles, presque
informelle quand c'était des sujets que j'avais déjà
abordé dans un autre cadre qu'académique ou officiel. Il a
finalement été intéressant d'avoir accès à
des informations recueillies en anglais, étant l'autre langue me
permettant d'avoir accès aux représentations des apprenants
albanais vis-à-vis des langues étrangères. Avoir
accès aux représentations des locuteurs albanais anglophones
m'aura permis d'avoir un regard distancié de leur part à propos
de la langue française quand mes autres informateurs ont
déjà été exposés à la langue
française de manière intensive (en contexte scolaire surtout).
Finalement, les difficultés présentées ci-dessus m'ont
amenée à m'orienter vers les enseignants et leurs récits
vis-à-vis de l'enseignement-apprentissage du français car
leurs
126
compétences linguistiques me permettaient plus
aisément d'avoir accès aux informations nécessaires.
En croisant ces données avec celles d'étudiants,
on obtient un panorama en plusieurs dimensions d'une réalité
communément partagée. Je tenterai de défendre en quoi la
prise en compte de ces deux types d'informations peut défendre une
position équitable et respectueuse des différents partis
concernés par le contexte de l'enseignement-apprentissage du
français. Je tenterai d'abord de présenter en quoi
s'intéresser à ces deux classes d'acteurs peut permettre de
comprendre la teneur des décisions engagées, des actions
planifiées et des retours évalués par les apprenants sur
les interactions observées en classe et en contexte extrascolaire dans
le cadre du réseau associatif privé (Alliance Française)
et lors de l'organisation d'activités culturelles, toujours dans le
cadre d'activités commandées par les institutions avant de ne
l'être par les individus (Printemps de la Francophonie).
J'ai finalement observé certains de mes
étudiants qui m'ont ouvertement reproché d'être partie
comme si je les avais abandonnés. Je ne tiens pas à analyser
moi-même cette situation parce que je ne suis pas sûre de le faire
correctement, cependant, j'ai été étonnée de voir
autant de rancoeur, caractéristique, je pense, de ce que je
m'apprête à exposer.
1.2. Acteurs de l'enseignement-apprentissage du
français
Dans l'attitude adoptée par les étudiants vis
à vis de leurs études supérieures, couplée à
la course au diplôme observée dans leur seul intérêt
de décrocher le papier qui leur ouvre supposément un accès
au marché du travail plus valorisant que s'ils se limitaient au BAC,
n'ont pas toujours des compétences vérifiées en langue. Ce
n'est donc pas la langue en elle-même qui attire des étudiants que
l'on garde pour garder certaines filières ouvertes, mais le potentiel
d'obtenir un diplôme sans difficulté, ce que les enseignants
reconnaissent observer et partagent avec moi sans difficulté. Le Premier
Ministre a lui-même intitulé son discours du 7 juillet 2014 tenu
à l'annonce de la publication de la réforme sur l'enseignement
supérieur de 2014 : « la fin de l'enseignement comme une
marchandise qui s'achète » axant l'entièreté de son
discours et l'attention de ses interlocuteurs sur un seul des points qui
nécessitent d'être contrôlés par l'Etat : le
monnayage de ses droits de passage. Les autres étudiants qui trouvent un
intérêt à leurs études ou qui développent un
certain goût pour le français dans notre cas, sont rapidement
découragés de voir que ceux qui ne font aucun effort passer sans
difficulté d'une classe à l'autre. Concernant le public que l'on
peut observer dans un même département, on trouvera :
127
- des enseignants qui sont impliqués dans
l'enseignement pour avoir une prise politique directe sur les étudiants.
Quand il est reconnu nécessaire de se rapprocher d'un mouvement
politique pour obtenir un emploi, et plus favorablement le parti au pouvoir, il
est attendu de ces mêmes personnes qu'ils rallient leurs étudiants
à ces partis politiques pour gagner des électeurs
(expérience personnelle de juin 2013 où une enseignante a
imposé à mes apprenants de sortir de mon cours pour assister au
discours que Sali Berisha, ex Premier Ministre au pouvoir était venu
faire dans notre université ; mes apprenants n'auront pas eu le choix
que d'accéder à sa demande car cette enseignante est connue pour
son manque d'honnêteté académique et assister à une
conférence pendant 1 heure tout au plus assure la moyenne) ;
- d'autres enseignants qui ont développé un
réel intérêt pour la langue et le savoir
qu'ils enseignent et qui tentent d'intéresser leurs apprenants au
contenu développé dans leurs cours ;
- des étudiants qui choisissent leurs filières
et qui y sont acceptés grâce à leurs
bons résultats ;
- d'autres étudiants qui obtiennent une place au
même titre que ces derniers et qui obtiennent leurs laissez-passer
moyennant quelques services rendus aux enseignants, ou achetant
impunément leurs notes ;
- des institutions de l'enseignement supérieur
saturées de pratiques qui n'ont aucun rapport avec l'acte d'apprendre
ou d'enseigner, ou tout du moins, pas des contenus académiques et
formateurs du point de vue identitaire, professionnel et social.
Ces faits ne peuvent pas toujours être prouvés
par des données quantitatives ou des discours rapportés de la
part d'informateurs qui n'ont pas toujours envie de prendre part à la
dénonciation de ces pratiques. L'annonce de la réforme de 2014
aura également fait exploser quelques scandales révélant
des noms de Ministres qui auront eux-mêmes étudié dans des
institutions de l'enseignement supérieur que le gouvernement a
décidé de fermer ou de partiellement suspendre quand il a
été reconnu que les pratiques opérées au sein de
ces institutions n'étaient pas légales. On compterait parmi eux
la Ministre de l'Education Nationale. Pour affirmer donc au moins le fait que
les étudiants passent d'une année à l'autre sans avoir
acquis de réelles connaissances linguistiques, je noterai le souvenir
des corrections d'examens où à l'issu de 200 heures
d'enseignement du français, près de 50% des étudiants ne
sont pas capables de conjuguer le verbe « avoir » au présent
de l'indicatif. En deuxième année de licence, il est prévu
selon les curricula universitaires qu'ils étudient des oeuvres
128
littéraires en langue cible. Comme il l'a
été précisé précédemment, il n'en va
pas de la seule responsabilité de la classe enseignante d'adopter un
regard responsable vis-à-vis de leur rôle au sein de l'institution
universitaire et sociale, en particulier quand un si grand nombre de jeunes
fréquentent et traversent l'université pour atteindre ultimement
le marché du travail. La pression sociale et familiale amène des
jeunes sans réel intérêt pour l'institution scolaire
à traverser les niveaux scolaires et universitaires sans obstacle
d'ordre académique ou structurel.
C'est un véritable jeu d'équilibriste qu'il faut
apprendre à développer avant d'amener chacun à devoir
amorcer le débat qu'implique la dénonciation de certaines
pratiques frauduleuses. Cependant, pour amorcer des réformes qui auront
un impact réel sur les politiques éducatives et linguistiques, il
semble réaliste de devoir prendre en considération ce qui se
passe réellement dans les institutions qui font l'objet de tant de
dénonciations, la réforme de l'enseignement de 2014
prévoit d'ailleurs de fermer près d'un tiers des institutions
albanaises de l'enseignement supérieur, car non conformes ou non
agrémentées par le MASH. Ne prétendant pas à un
diplôme en sciences de l'éducation, mais bien en didactique du
français et des langues étrangères, j'aurai utilisé
ce panorama interdisciplinaire pour deux motifs. Premièrement, une
contextualisation me semble plus représentative d'une
réalité souvent rarement considérée dans les
travaux relevant des conditions qui forgent l'habilité des apprenants
à recevoir une formation éducative, mais aussi parce qu'il me
permet de mieux saisir dans quel contexte des politiques relatives aux langues
doivent être mises en place de manière éthique et
responsable, et respectueuse de l'histoire de chacun.
Finalement, d'après le discours tenu par les
enseignants rencontrés, et d'après les recherches majoritairement
axées sur l'application des conseils tenus dans ce texte,
élevés au rang de préceptes de référence, on
soutiendra l'argument suivant. Le CECR étant devenu le moyen
d'échelonner sa pratique par rapport aux normes internationalement
reconnues, il s'agit dans la conscience de ces enseignants d'avoir et
d'utiliser la méthode qui convient au discours tenu, en théorie,
et de correspondre à cette approbation étrangère, signe de
réussite sociale. Cette précipitation sur les quatre
compétences proposées par le CECR peut se révéler
faussée ou chargée de représentations qui ne proposent pas
de rappel sur le fond de cette catégorisation des compétences des
apprenants en LE, proposée en 2001 pour la publication du CECR, mais en
gestation intellectuelle depuis plus longtemps. Dans cette situation
précise, nous pouvons rappeler Rosen (2005 : 120) qui propose que
l'obstacle que représente
129
ce bloc ne rend pas et efface même ses
particularités à chacune des compétences visées, et
homogénéise les compétences de l'apprenant sans prendre en
compte sa compétence à communiquer, car exclue en théorie
des quatre compétences majeures : production / compréhension,
orale / écrite.
Cet alignement sur des standards supranationaux va de pair
avec cette
européanisation que les politiques tentent de mettre en
place pour permettre aux différents organes institutionnels de leur pays
de ressembler à ceux de leurs voisins de l'UE. De la même
manière qu'on tente de se défaire d'un système communiste
et aller de l'avant, on perçoit une certaine réticence à
aller vers un système qui ne relève plus de sa seule
compétence et qu'on n'arrive pas totalement à intégrer
dans sa pratique didactique car pas introduit de manière ciblée
et justifiée, et peu contextualisé aux situations dans lesquelles
il est attendu que des textes tel que le processus de Bologne modifie
foncièrement les attitudes (Nouvelle Europe, 2008).
II/ Conditions de formation des
représentations relatives au français 2.1. La course au
diplôme et les langues :
Revoyons rapidement ce qui permet à un étudiant
albanais d'intégrer une formation universitaire. L'admission des
étudiants à l'université est donc basé sur un
calcul complexe de points prenant plusieurs paramètres dont la
majorité est externe aux capacités de l'apprenant lui-même.
Ce système opaque ne permet pas toujours aux étudiants
mêmes de comprendre quels critères de sélection les ont
intégrés dans telle ou telle filière. Par une tentative
apparente de volonté objective, mathématique et impersonnelle de
la part du gouvernement albanais de réguler l'accès aux
différentes formations universitaires proposées, il ressort
d'après les étudiants et de leurs représentations
générales qu'ils ne savent pas ce qu'ils feront de leur vie
professionnelle, ou ce qu'il sera admis qu'ils en fassent, d'autant plus
d'après un gouvernement pour lequel ils ont peu d'affect. On soumet sa
demande d'admission dans telle ou telle filière universitaire en
remplissant un formulaire de 10 choix maximum, et concernant le domaine des
langues étrangères, il est admis dans les représentations
collectives des Albanais, qu'ils ont « un don » pour les apprendre.
D'après eux, cela tient de la phonologie fine de leur langue et de leur
capacité à bien prononcer les phonèmes étrangers.
L'ancien Premier Ministre Berisha lança sans hésitation la
possibilité que le chinois devienne une langue étrangère
obligatoire dans les écoles albanaises, pour permettre à son pays
de
130
s'orienter vers l'avenir (Janina et al. 2012), d'après
la recommandation d'un de ses amis que les Albanais représentaient le
peuple qui était le plus apte à apprendre le chinois... Cette
possibilité fut remise en cause quand les enseignants de la
Faculté des LE de Tirana releva un point : il n'y a pas à cette
heure d'enseignement philologique du chinois à cette heure et former
assez d'enseignants dans cette langue prendrait plusieurs années. Comme
Porcher nous l'indique, la formation universitaire n'est plus un espace, mais
une voie que l'on occupe, dans ce type de cas. Pour les enseignants, cela
semble plus complexe puisque c'est la position que le fameux « papier
» ou « titre » procure qui les intéresse.
23.
Est-ce que tu saurais me dire s'il y a une classe
intellectuelle albanaise ? Les profs d'université, est-ce qu'ils sont
aussi connus pour la recherche, leurs travaux ?
24. F- Oui, à Tirana. Mais il n'y a pas de diffusion
des idées, d'esprit académique. Même le peu d'écrits
qu'on trouve de la part des profs, c'est politisé, c'est pour se rendre
visible sans pour autant que le contenu de ces articles soit même valable
! C'est une course au titre constante, à la reconnaissance
extérieure, les gens se montrent, mais ils ne brillent pas par la
qualité de leurs réflexions, c'est plutôt pour le nombre de
fois où on a vu leur nom. Et une fois que les profs ont un bon poste, on
n'arrive plus à les détrôner.
CF ANNEXE 13, 05-F
Pour notre cadre estudiantin, les langues
étrangères étant réduites à leur simple
appareil que la facilité de les assimiler par les étudiants, ils
les placent généralement en toute fin de liste dans le cas
où on n'aurait pas été admis dans une formation qui
permette réellement d'obtenir un travail (toujours d'après leurs
représentations). Il est entendu d'après eux qu'ils arriveront
bien à en assimiler quelques notions à l'issu de quoi cela sera
suffisant pour assurer un emploi d'enseignant. Le français n'appelant
pas à un avenir prometteur car peu connu et apprécié des
jeunes Albanais, quand ils ne savent pas ce que le français peut
permettre d'obtenir en termes d'avenir financier (contrairement à
l'anglais et son rattachement au monde des flux d'argent et de capitaux), les
étudiants qui s'engagent dans une formation professionnelle pour
enseigner cette langue réduisent également leur champ
d'assimilation à ce qu'ils croient nécessaire de transmettre en
termes de quantité de savoirs : peu, puisque les Albanais «
n'apprennent pas le français » et on ne peut rien faire avec cette
langue. C'est d'après une surestimation de leurs capacités en
termes d'apprentissage linguistique et où l'aspect culturel est
complètement évincé de la formation qu'un étudiant
en français s'apprête à recevoir, mais aussi d'un
état de faits sans équivoque que l'on délaisse
l'intérêt que l'on pourrait porter à cette langue, mais
aussi qu'on le transmet. A cela s'ajoute l'impression que c'est une langue
belle mais difficile, quand on ne choisit pas l'anglais parce
131
que c'est la langue du commerce, on se déporte vers le
français avec curiosité sans savoir ce sur quoi l'apprentissage
de cette langue débouchera.
Quels facteurs aiguillent finalement la formation de
représentations des locuteurs albanais ?
2.2. Le purisme linguistique et le traitement de
l'erreur :
Pour cette partie, nous ferons partiellement un détour
par la façon dont
l'enseignement-apprentissage du français est
opéré dans les niveaux inférieurs, car c'est
précisément dans ce cadre-là que j'ai eu l'occasion
d'accéder à une observation participante ou non au sein de
situations didactiques. Comme mentionné précédemment, le
purisme linguistique émis à l'égard des langues
étrangères autant que de la langue maternelle est prégnant
et laisse croire à un cloisonnement entre codes linguistiques,
réalisé par les informateurs qui s'expriment ici. En écho
à ce regret de voir la langue albanaise « malmenée »
par ses locuteurs, on retiendra les termes suivants.
107.
Mais quand tu regardes la télévision en
Albanie, c'est ce que me disait EB hier soir : « Moi, zysh, je comprends
pas, parce que quand tu regardes la télévision, il y a des
Albanais qui mettent des mots en italien, comme ça, complètement
par hasard dans leurs phrases, pour se donner un style, un genre
»...
108. Oui, c'est vrai, on utilise beaucoup des mots des autres
langues. Mais ce n'est pas bien, ça parce que les jeunes, les enfants,
ils écoutent ça, et ils n'apprennent pas bien leur langue
maternelle.
109. Mais une langue, ça évolue
?
110. Oui, ça évolue, la langue, mais pas
prendre des mots de l'italien. Ca, c'est pas évolution.
111. Tu penses que c'est une espèce de
trahison à la langue, que c'est ne pas respecter la langue ?
112. Ils ne savent pas respecter la langue, ici.
113. Pourquoi ?
114. Parce que même quand j'ai fait mon stage, j'ai
fait une petite dictée à la sixième classe, et
c'était bizarre, beaucoup de fautes en albanais, beaucoup,
beaucoup...
115. Ah tu as fait une dictée en albanais
?
116. Ils ne savaient pas écrire en albanais.
CF ANNEXE 10, 02-I
L'enseignement des LE en Albanie a longtemps été
imprégné de purisme et de respect pour une langue statuée
comme « standard », dans le sens où on n'apprenait pas la
langue pour la parler, comme nous le dit l'un de nos informateurs. On apprenait
à comprendre et à répondre, pas à communiquer. Les
enseignants interrogés ont pratiquement tous suivi des stages de
formation continue visant à compléter leurs compétences
professionnelles quand
132
certains aspects des tâches didactiques n'ont pas
été abordés lors de leur formation initiale, les pratiques
observées restent traditionnelles. Ces stages sont souvent
organisés par des organismes non-albanais (Ambassade de France comme
avec le projet ALMKATICE, ou avec le CREFECO), et visent à
présenter de nouvelles méthodologies aux enseignants pour
s'adapter aux standards que le gouvernement veut injecter dans le
système éducatif à travers ses institutions. Cependant,
lors d'observations de classe de différents niveaux, il a
été remarqué que les enseignants restaient proches de
méthodologies traditionnelles basées sur le modèle de la
question / réponse, récompense, que la méthode
utilisée soit moderne ou non. On retrouve d'ailleurs cette protection
puriste dans les représentations des Albanais par rapport au
français et à son apprentissage quand ils disent que la grammaire
est difficile, mais que c'est une jolie langue. Cependant, lors de
séances de classe où la méthodologie empruntée est
plus détendue, les apprenants n'ont plus aucune discipline, assimilant
la leçon à un jeu et n'obtempèrent plus du tout aux
sollicitations de l'enseignant.
Les enseignants sont donc partagés entre le recours
à des méthodologies plus récentes et permettre à
leurs apprenants d'avoir l'expérience de l'Autre qui ne leur
était pas donné de vivre sous le régime communiste, ou
adopter une posture plus rigoureuse et s'assurer de ne pas avoir à
dépenser une énergie folle sur le maintien de la discipline.
Quant aux apprenants, et concernant ce point de l'attitude de l'enseignant, ils
trouvent les enseignants de français trop dur de la même
manière qu'ils évaluent positivement un enseignant leur
enseignement de la grammaire est rigoureux, ce qui ramène
l'apprentissage de la langue française aux aspects systémiques et
régulés de celle-ci. L'apprentissage du lexique se faisait par
listes qu'il fallait apprendre par coeur et l'évaluation était
difficile comme nous l'indique cette personne, mais mené par une
enseignante remarquable :
12.
Tu avais étudié le français
avant ?
13. R- J'avais fait des cours privés. Je n'avais pas
étudié à l'école, mais ma mère était
fixée pour apprendre beaucoup de langues. J'ai étudié
seulement l'anglais à l'école primaire. Et HD a fait un
très très bon travail, c'est vrai qu'elle nous terrorisait tout
le temps, mais elle a fait le meilleur travail. C'est vrai qu'elle nous
obligeait d'apprendre le vocabulaire par coeur.
14. Tous les jours, elle vous donnait des mots de
vocabulaire à apprendre ?
15. R- Oui, oui. Et en même temps, on devait respecter
l'ordre des mots ! Oui ! Elle me sortait tous les jours au tableau. Même
si je mettais un mot moins, par exemple 30 mots, han ! « Tu as
oublié un seul mot ! ».
16. Elle vous donnait 30 mots de vocabulaire
à apprendre ?
17. R- Oui !
18. Trente mots ? Par jour ??
19. R- Tu connais le Nouveau Sans Frontières ? Le
livre...
20. Oui, oui, je connais.
21.
133
R- Tu sais les tableaux ?
22. Oui.
23. R- Tu sais les vocabulaires ? Avec beaucoup de mots ? Des
petits mots, mais il y a beaucoup de mots. Difficiles, pour les
véhicules, et caetera, pour ce type de choses. Et on devait tout
apprendre, même les parties de la, les pièces de la voiture. On
devait tout apprendre. Mais personne n'apprenait, hein !
24. Et vous avez travaillé avec le Nouveau
Sans Frontières 1 ? 2 ?
25. R- 3 ! Et puis à la fin, à la
quatrième année, c'était un type... je n'ai pas compris
comment il s'appelle, seulement des textes.
26. D'accord... C'était des textes, des
dialogues par exemple ?
27. R- Oui même des dialogues, plutôt des textes
qui n'étaient pas agréables.
28. Pourquoi ?
29. R- C'était seulement pour pratiquer la langue.
30. D'accord.
31. R- Mais euh, elle a fait vraiment un très bon
travail même avec la grammaire.
32. Mais c'est vrai que c'est une prof qui est
très bien préparée, super bien préparée,
j'aime beaucoup beaucoup zysh XhD.
33. R- Oui. La grammaire qu'elle nous apprenait,
c'était parfait. Oui.
CF ANNEXE 11, 03-R
9. Avec quelle méthode as-tu appris le
français ?
10. G - Avec Mauger, c'était une bonne méthode,
on apprenait beaucoup de lexique et de grammaire. Puis avec le Nouveau Sans
Frontières.
CF ANNEXE 04-GE
Cette méthode traditionnelle qui s'apparente à
de la grammaire-traduction ne se retrouve pas seulement chez les enseignants
qui ont reçu leur formation initiale sous le communisme mais
également chez les plus jeunes. Il m'a été donné
d'enseigner sporadiquement dans les collèges, au niveau
3ème français, soit en 9ème classe
albanaise. Le nombre d'heures d'apprentissage du français étant
assez réduit dans certains établissements, j'intervenais parfois
durant la seule heure d'enseignement hebdomadaire de cette classe quand le
français était enseigné en deuxième langue
étrangère. Pour ne pas interférer avec la
nécessité pour l'enseignant de réaliser son programme, je
prévoyais de petites activités d'animation qui ne devaient pas
durer plus de 10 minutes à la fin du cours, que j'avais rarement le
temps de réaliser. De mon point de vue, il était parfois
étrange de demander au public d'apprenants de l'enseignant
référant de passer à une attitude docile vis-à-vis
de l'enseignant qui posait des questions et qui attendait des réponses,
à une activité de fin de classe plus interactive. Cela perturbait
ce public d'apprenant qui ne savait pas comment réagir à mes
sollicitations et qui cherchait constamment l'approbation de l'enseignant pour
y
134
répondre, quand ce n'est pas l'enseignant qui accordait
la parole aux apprenants qu'elle désignait elle-même, aux
questions que je posais moi.
La langue française est donc limitée à la
méthodologie à travers laquelle cette langue est proposée.
Ici, il s'agit de capter le sens d'un corpus pour l'apprenant et de
vérifier sa bonne réception concernant l'enseignant. Cette
méthodologie n'est ni bonne ni mauvaise, et la qualifier de «
dépassée » n'est pas non plus approprié, quand il a
été parfois observé que les apprenants étaient plus
réceptifs à ce type de méthodologie qu'à une autre.
Cependant, on remarquera que son recours jurait avec l'usage de méthodes
parfois plus modernes et la présence d'activités invitant
l'apprenant à prendre part dans le savoir construit dans et pour la
classe. Ces activités étaient rapidement parcourues ou me
revenaient lors de mes heures d'intervention au lycée bilingue, à
la demande des enseignants avec qui je partageais la réalisation du
programme. Cependant, la difficulté pour l'apprenant de comprendre par
quel moyen l'enseignant passe pour présenter un savoir donné peut
parfois amener à reconsidérer les conditions dans lesquelles une
consigne pouvait être émise. En cas de « mauvaise »
réception d'une consigne ou d'un discours tenu par l'enseignant, ou en
cas de faute produite par l'apprenant systématiquement jugée
comme une erreur et suivie de sévères réprimandes dans
certains cas (j'ai assisté à un grand nombre de
réprobations émises par l'enseignant à l'adresse de
l'entièreté de son public pendant lesquelles j'étais la
spectatrice d'honneur par le sourire satisfait que l'enseignant m'adressait
quand je pouvais reprendre le fil de mon cours), l'apprenant est directement
touché dans sa personnalité individuelle, extirpé de son
rôle d'acteur du savoir pour être réduit à sa plus
simple identité.
Ces scènes didactiques et leur interprétation
nous permettent de situer la difficulté relatives aux enseignants de
présenter un savoir donné dans des conditions identifiables par
tous et sujettes à réaction de la part des apprenants, qui
émettent alors une incompréhension quant aux conditions
d'appropriation de cette langue et de sa culture (quand il s'agit des
activités visant à présenter la culture française).
Dans la sévère évaluation des enseignants vis-à-vis
des productions en langue de leurs apprenants (écrite ou orale), la
faute considérée comme un manquement de respect à la norme
laisse penser qu'une seule variété du français existe et
vaut d'exister. Le cas de la correction du /r/ particulièrement
gênante était la source des plus grandes frustrations des
apprenants quand le /r/ français n'existe pas en albanais et qu'aucun
phonème ne s'y assimile.
135
2.3. La sublimation du natif et sa place en contexte
étranger albanais :
Dans le cas de situations où j'étais en position
d'observation active et participante, la méthodologie que je souhaitais
instaurer ne passait pas auprès de mon public, et n'était pas
toujours reconnue de mes collègues enseignants dans les situations dans
lesquelles leur présence était obligatoire par ordre de la
hiérarchie, ce qui m'amène à relater un autre aspect du
contexte d'enseignement-apprentissage du français. Que cela ait
été à l'université ou au lycée, une
admiration pour le locuteur natif (de France) confortait la norme standard
défendue par les enseignants. Cependant, l'imposer la et la standardiser
dans une classe de langue étrangère peut obstruer le
développement d'une compétence de communication chez l'apprenant.
Cette pratique réduit, inhibe ou annihile la construction de
l'identité de l'apprenant en tant qu'acteur social, acteur de son
apprentissage tel qu'il est prévalu dans Byram, Zarate & Neuner
(1997 : 8), et tel que l'on peut s'attendre que cela se produise dans d'autres
contextes, en particulier quand les cultures de l'Ouest européen sont
parfois aux antipodes de la culture et du fonctionnement social albanais. La
compétence à être compris, la même qui est
développée en classe à travers la méthodologie
traditionnelle utilisée par la majorité des enseignants, devient
l'objectif principal des apprenants en LE. Si leur cursus scolaire tel qu'il a
été défini par l'institution fréquentée
(sans unification du point de vue national, nous l'avons vu au chapitre 2) ou
si leur expérience personnelle avec les langues ne les amène pas
à développer leurs compétences socioculturelles, ce n'est
pas en classe que cela sera proposé et la seule compétence
linguistique semble suffire à l'évaluation de la bonne
assimilation de ce qui est plus que jamais un code simplifié, mais
opératoire.
Cette aura attribuée au détenteur exclusif de la
langue française, le natif dont la langue maternelle est cette langue
qu'il faut assimiler (que l'apprenant l'ait désiré ou non) peut
aisément détrôner la place de l'enseignant albanais quand
il est question d'observer ses attitudes et réactions vis-à-vis
du contexte didactique (ou autre !) albanais. Cette place peut amener
l'instauration d'un climat et de conditions d'observation interculturelle si le
natif sait se placer correctement au regard de ses apprenants. Cependant, cette
sublimation attribue un peu trop de valeurs à l'enseignant natif, en
particulier quand il est incapable de communiquer dans la langue maternelle des
apprenants. Les Albanais excusent l'étranger quand il ne parle pas la
langue albanaise, et il n'est pas rare que l'étranger parle albanais
quand il le peut et que son interlocuteur lui réponde dans une autre
langue, situant ce sentiment d'insécurité linguistique propre
à la majorité de ce peuple. Cependant, il est intéressant
d'observer que cette excuse gênée laisse place à une
réprobation au bout d'un moment, quand cette langue n'a pas
été assimilée. Cette dernière remarque nous
amène à replacer la question de la
136
préservation du patrimoine culturel et linguistique
albanais au centre des interactions entre Albanais et étrangers (vu en
chapitre 2).
Avant que ce jugement ne soit émis, l'enseignant natif
se trouve régulièrement dans des situations cocasses quand il
transmet par exemple des consignes ou qu'il fait un rappel à la
discipline, que personne du public apprenant ne comprend mais que tout le monde
acquiesce ; cette réaction étant motivée par une habitude
de respecter l'ordre en particulier quand il provient d'une instance
jugée supérieure par une communauté donnée. De la
même manière que certains résultats du questionnaire
distribué lors de ma deuxième année d'enseignement en
Albanie sont à prendre avec beaucoup de distance, quand mes apprenants
disaient en albanais qu'ils avaient menti pour ne pas me vexer,
vis-à-vis de la place de leur choix d'étudier le français
sur ce formulaire de 10 choix.
2.4. Compétences linguistiques et construction
identitaire
Finalement, la présence et l'activité d'un natif
au sein de l'espace classe de LE est vu comme un signe de réussite et
d'exemplarité, mais qui n'incitera les apprenants à s'exprimer
dans la LC que quand ils auront dépassé ce sentiment
d'insécurité linguistique, créé par une trop grande
admiration de celui qui détient la langue, le natif, et qu'ils se seront
constitué ce rôle d'acteur de leur apprentissage et qu'ils s'en
seront investis :
« l'insécurité linguistique [est] la prise
de conscience, par les locuteurs, d'une distance entre leur idiolecte (ou leur
sociolecte) et une langue qu'ils reconnaissent comme légitime parce
qu'elle est celle de la classe dominante, ou celle d'autres communautés
où l'on parle un français « pur », non abâtardi
par les interférences avec un autre idiome, ou encore celle de locuteurs
fictifs détenteurs de LA norme véhiculée par l'institution
scolaire. » Francard (1993 : 13 cité par Bulot & Blanchet,
2011)
Dans notre cas, les effets sont doubles car l'apprenant en
situation d'insécurité linguistique porte un jugement à la
fois sur lui-même quand il croit constater que ses compétences ne
sont pas bonnes, et sur l'autre, le natif, qui devient le détenteur
exclusif de ce que l'apprenant ne pourra jamais acquérir. J'émets
ici l'hypothèse selon laquelle cela amènerait à retrancher
l'apprenant sur son domaine connu : sa langue et la culture qu'elle
véhicule, ce qui ne fait qu'amoindrir les possibilités de
développer des compétences transculturelles et de se constituer
un sens objectif de l'altérité comme cela était
proposé par Moore dans le chapitre 1, à savoir évaluer
l'Autre sans émettre de catégorisation ou de jugement
supérieur ou inférieur.
137
Le sentiment d'échec vis-à-vis de sa
réussite dans une institution sociale parachève cette
insécurité linguistique qui contamine les compétences
sociales de l'apprenant et sa capacité à estimer et juger sa
place et son rôle dans un ensemble qui dépasse sa seule personne.
Ce sentiment d'insécurité linguistique chez les apprenants est
particulièrement stigmatisé par les enseignants lors de leurs
réactions rarement constructives ou interactives à la faute, en
particulier quand ces réactions dépassent la simple correction ou
le guidage de l'enseignant dans la compréhension du
phénomène par l'apprenant.
2.5. De l'utilisation de la méthode en
classe
Finalement, le livre de LE, placé comme objet central
et de référence dans une classe de LE est censé incarner
la totalité des savoirs à acquérir. Lorsque l'enseignement
proposé par un enseignant à travers la demande transmise par
l'institution ne trouve pas d'équivalent sur papier, il est
demandé que l'enseignant constitue à l'usage de son public une
brochure de textes, complète et exhaustive de tout ce qui doit
être vu pendant le cours. Ces mêmes enseignants, rarement
formés dans la constitution et la didactisation de matériel qui
desservirait leur enseignement particulier, trouve des dizaines de textes
formulant des connaissances à assimiler sans qu'ils ne soient
didactisés. Le savoir linguistique est réduit à sa seule
propriété systémique, et rarement relié au tout
dans lequel il s'inscrit nécessairement ; expliquons : la connaissance
à acquérir est présentée sans que les sous
catégories de cette connaissance ne soient déclinées pour
faciliter l'appropriation du savoir et ne favorisant pas la composition de
techniques et de compétences métalinguistiques et
méta-cognitives. Le système est entier et linéaire sans
écart possible tant la structure est rigidifiée et proposant peu
de transversalité entre les différents savoirs à
appréhender pour s'approprier les différentes composantes d'une
langue étrangère et apprendre à communiquer à
travers elle. Cet extrait aurait très bien pu convenir à la
section précédente mais nous l'avons disposée ici en
particulier pour la place centrale accordée au dictionnaire dans cette
scène rapportée par l'un de nos informateurs. L'utilisation de
moyens transversaux n'est pas non plus encouragé et éloigne les
apprenants de leurs réelles capacités à comprendre une
langue à travers leurs connaissances antérieurement acquises,
comme pour ceux qui ont vécu en Grèce et en ItaIie et qui peuvent
utiliser ces deux langues pour approcher la langue française :
51. Et alors petit à petit, au fil de ta
première année, comment tu voyais l'école ? Et comment tu
voyais le français, en fait ?
52. Ah c'est... Ouais j'ai beaucoup aimé et ça
m'a beaucoup aidé la Grèce. La méthode qu'ils utilisaient
en Grèce, c'était mieux. Ca m'a beaucoup aidé, aussi la
langue.
53.
138
La méthode qu'ils utilisaient en
Grèce, et ils faisaient comment en Grèce ?
54. Bah, c'est pas comme ici en Albanie, par exemple. Nous,
on n'apprenait pas par coeur, là. Les profs nous expliquaient et on
apprenait l'essentiel. Et tu vois, moi, en Grèce, même si je ne
lisais pas à la maison, je pouvais faire un examen et avoir une bonne
note. Mais j'étais attentif, pendant les cours, en classe, voilà.
Je ne sais pas, ils avaient une autre manière didactique, c'était
différent. Ca m'a beaucoup aidé, je pense.
55. Tu penses que la méthode qu'on a
utilisée en Grèce pour enseigner le français et l'anglais,
tu l'as prise et tu l'as utilisée ici.
56. Oui, c'est ça et je l'ai utilisée ici.
57. Et les profs en Albanie, alors, ils font
comment pour enseigner les langues étrangères ?
58. Les profs se basent beaucoup sur le livre, c'est vrai !
Mais il y a aussi des bons profs qui donnent des choses extra, en dehors du
livre. Mais ça, au lycée, j'ai pas eu de problèmes par
rapport à l'apprentissage, mais dans l'évaluation. Elle me
mettait jamais 10. Elle ne voulait pas accepter que j'étais le
meilleur.
59. Pourquoi, d'après toi
?
60. Parce qu'il y avait aussi 5 autres filles dans ma classe
et on était en concurrence. Moi, contre 5 filles. Et... Chaque fois,
elle nous disait, elle nous donnait des devoirs, donc elle nous disait «
Trouvez les nouveaux mots du texte ». Moi, je ne travaillais jamais avec
le dictionnaire. Et quand j'allais à l'école, dans la classe, les
filles elles avaient dans le cahier écrit. Moi, sans cahier, sans rien.
Et elle me dit « mais pourquoi tu n'as pas fait ? » « Vous
pouvez me demander, je vais vous répondre ! Si je ne vous réponds
pas, vous me mettez 4 ! » Et il y avait un mot d'origine grecque en plus !
Et c'était le mot « xénophobe » en plus, ou je ne sais
pas. Quelque chose à faire avec cela, tu vois ? Et elle m'a dit «
Qu'est-ce que ça veut dire ça ? » Mais j'avais pas
écrit et elle pensait que je n'allais pas répondre ! Elle ne
savait pas que je parlais grec, que j'avais vécu en Grèce ! Et je
lui dit ça, ça, ça, je lui donne la définition, et
elle me dit « Non, ce n'est pas ça ! Tu n'as pas trouvé.
» Je lui dit « Ah ok, vous pouvez chercher dans le dictionnaire !
» Même les filles, elles étaient contre moi, parce qu'elles
n'avaient pas trouvé ce mot, parce que, je ne sais pas, je pense que
c'était dans un autre texte qu'elle a lu. (rires) Et ensuite dans
l'autre séance, on se réunit avec l'autre groupe, parce qu'on
était séparé en deux groupes. Et la prof a pris le
dictionnaire et en lisant, sa couleur de peau a changé, elle
était toute rouge. Et après elle a dit, pas à moi, aux
filles, il a raison (rires).
CF ANNEXE 10, 02-I
De l'appréhension de connaissances civilisationnelles,
elles ne sont pas jugées primordiales par les apprenants, en particulier
quand ils ont été acceptés en français à
l'université sans n'avoir au préalable de réels
intérêts pour cette langue. Au cours d'un cours qu'il m'a
été donné d'enseigner en première année de
français, intitulé « Français du quotidien »,
j'ai décidé avec accord de ma hiérarchie, de
présenter le quotidien de la France plutôt que de me
référer aux variations de la langue française tant le
niveau de langue de mes apprenants était minime, je ne voulais pas
interférer avec le contenu de mon cours « Langue Pratique 1 »
qui devait les former au développement d'une compétence de
communication en LC. J'ai fait face à un désintérêt
explicitement prononcé de la part de mes apprenants qui ne
reconnaissaient pas la France qu'ils pensent exister à travers l'usage
d'une méthode communicative axée sur la civilisation
française. Les représentations que les apprenants se sont
constitués avant leur formation universitaire philologique dans une
langue donnée sont
139
figées et les bousculer revient à
déséquilibrer leurs références et leur grille de
lecture d'un peuple donné et de ce qu'il en sait, sans que l'enseignant
n'arrive à remplacer ce système de lecture par un autre.
III/ Bilan et perspectives de l'étude
3.1. La langue en débat, un combat
multifactoriel
Ce qui semble être une difficulté pour les
enseignants de passer au-delà de ce qu'ils auront parfois toujours connu
(méthodologie traditionnelle) et de proposer toutes sortes d'astuces
pour permettre à l'apprenant de véritablement sonder et se
constituer un sens personnel des connaissances abordées en classe ne
tient pas au seul fait des enseignants. Les méthodes récentes
sont souvent difficiles à exploiter dans leur globalité dans les
établissements albanais car proposant souvent d'utiliser Internet ou du
matériel autre que le seul livre. Les orientations
méthodologiques et les innovations proposées par ces
méthodes ne sont donc pas toujours exploitables et ne trouvent pas
toujours d'écho en contexte, ce qui peut potentiellement creuser le
sentiment d'injustice caractéristique de tout ce qui remet un apprenant
albanais dans sa situation jugée « inférieure ». En
dehors même des espaces institutionnels, les apprenants n'ont pas tous
accès à Internet et il est souvent difficile, voire rare d'avoir
accès à un dictionnaire uni ou bilingue. La constitution de
savoirs en dehors de l'espace classe devient par la même voie presque
impossible. Par expérience, mes apprenants ne faisaient que les quelques
exercices de grammaire que je leur donnais, quand je n'étais normalement
pas en charge de cet aspect de leur apprentissage, car rempli par un autre
enseignant dans un cours prévu à cet effet. Tout ce qui relevait
d'une certaine constitution de lexique et de recherches d'informations dans le
cadre d'exposés oraux, écrits, de constitutions de projets
était presque toujours voué à l'échec. Les besoins
matériels et pédagogiques sont certains et ne relèvent pas
seulement des compétences des enseignants ou des apprenants.
On ne peut pas non plus viser la seule absence de pratique
orale en classe de langue étrangère comme responsable de
l'incapacité des apprenants albanais à communiquer en LC, car
quand bien même ce type d'activité est proposé en classe,
il ne reçoit pas toujours le succès ou le résultat
escompté quand parfois durant toute leur scolarité, les
apprenants n'ont jamais été confronté à une
situation où il leur est proposé de prendre la parole et de
formuler un discours en LC avec consigne ouverte (d'après mes
observations en classes de collège). L'accent mis sur la règle et
le nombre important d'apprenants par classe (étant un autre
140
facteur influençant la capacité de l'enseignant
à permettre à chacun de prendre la parole) restent deux obstacles
majeurs. L'un relevant de la culture éducative de l'Albanie et de son
histoire, le deuxième étant relatif à des questions
politiques et économiques (sans compter l'instabilité du nombre
d'apprenants d'année en année, compliquant la tâche de
composer des équipes pédagogiques stables et véritablement
expérimentées), il n'empêche que cela a un effet direct sur
la nature des activités proposées dans les classes de langues
étrangères albanaises.
Jusque récemment, c'est seulement en première
année de licence qu'une plage horaire spécifique était
aménagée pour permettre la pratique orale des étudiants
lors de leurs études linguistiques ; les cours de « langue pratique
» ont ensuite été proposés en deuxième
année, mais sur un nombre d'heures relativement réduit (3 heures
au premier semestre puis 2 au second). Les autres enseignements proposés
étant axés sur l'étude de la langue en tant que
système, peu de temps est aménagé pour permettre aux
apprenants d'apprendre à s'approprier la langue et la parler. Les
curricula en perpétuelle révision tentent à nouveau de
s'adapter à des standards qui dépassent la seule
réalité nationale, et ne trouvent pas d'effet en contexte quand
la question de l'appropriation d'un code linguistique nouveau est réduit
à son seul aspect grammatical et lexical, sans réelle
possibilité d'utiliser ces outils (même temporaires dans la
logique que les connaissances linguistiques ne sont pas figées mais en
constante évolution !) pour permettre de produire quelque chose qui
provienne véritablement de l'apprenant.
3.2. Perspectives d'action
Séparés entre tradition et modernisme,
préservation de ce qui aura tenu l'Albanie jusque récemment et
réforme pour pouvoir prétendre à vivre comme les autres,
la question de la culture étrangère et de son appréhension
en contexte éducatif n'est pas aussi simple qu'elle n'y paraît.
Que faut-il faire pour développer un attrait pour ce monde francophone
qui peut très bien avoir sa place au même titre que d'autres
langues étrangères si l'on se limite au seul aspect de l'offre
linguistique, et que d'autres cultures si l'on considère la propension
réelle des Albanais à développer un intérêt
pour ce qui se passe au-delà de leurs frontières, mais pas en
contexte institutionnel, ou du moins pas en contexte de spécialisation
linguistique ?
Je tenterai de contribuer à la réflexion qui se
pose dans les termes de l'éducation et des langues
étrangères grâce à mon expérience de deux ans
en tant qu'enseignante et coordinatrice des activités culturelles, ainsi
que de longs mois au plus proche de ces acteurs
141
que j'aurai appris à appréhender. Je
m'intéresserai à ce qui peut permettre aux acteurs de
l'enseignement-apprentissage du français en Albanie de répondre
à cette question, en particulier quand je m'oppose fermement à
tout type d'interventionnisme dans des contextes que l'on peut parfois
connaître sur le bout des doigts, mais dont on restera toujours un peu
étranger.
3.2.1. A partir d'une expérience
personnelle : le théâtre, prolongements sur une possible
décentration de l'apprentissage conscient vers le recours à
l'action
Cette approche souvent qualifiée de (( ludique )) est
toutefois délicate à mettre en exergue, elle sera donc
employée ici à titre illustratif, mais aussi pour introduire
l'hypothèse selon laquelle une décentration de l'apprentissage
conscient vers un recours à l'action pourrait potentiellement être
une alternative à l'apprentissage que l'on observe aujourd'hui. Le
recours à des activités théâtrales peut toutefois
représenter une pente glissante, ce n'est donc pas le
théâtre en lui-même mais l'usage qui en est fait qui peut
être bénéfique à l'apprentissage d'une LE.
(( Faire )) peut sembler plus intéressant que (( dire
)) selon certaines approches méthodologiques. Cependant, ce (( faire ))
en LC peut parfois ne pas atteindre l'objectif d'atteindre l'introduction de
compétences extralinguistiques en contexte d'apprentissage linguistique,
en particulier pour les apprenants qui ne savent pas ce qu'ils font à
l'université ou dans une filière précise, et qui (( font
)) pour démontrer de leur bonne foi à leurs enseignants. A ce
titre, j'ai le triste souvenir qu'un participant m'a rapporté qu'une des
participantes à mon deuxième projet scénique ait
demandé discrètement quel était le sujet de la
pièce de théâtre quand les étapes de
compréhension de l'histoire avaient été effectuées.
Par peur du natif, par peur de décevoir et de ne pas provoquer en soi ce
sentiment de réussite sociale, cette apprenante m'avait répondu
(( oui )) quand j'avais voulu m'assurer de la bonne compréhension de
l'histoire et du travail qui s'annonçait. Dans ces cas-là, la
preuve de docilité émise à l'égard de l'enseignant
se traduit par l'attente d'une bonne note. D'où l'importance de
travailler sur l'élaboration de compétences métacognitives
avant d'accéder à l'enseignement supérieur.
Mon recours au théâtre a été
motivé par ma connaissance des activités théâtrales,
et par la forte demande exprimée par les étudiants des niveaux
supérieurs quand ils relataient que c'était presque devenu une
tradition dans ma ville d'affectation, ayant eu la chance de faire une
pièce de théâtre avec les différentes stagiaires
françaises chaque année. Dans le souci de m'inscrire dans une
continuité d'action et m'insérer dans l'histoire du contexte que
j'intégrais alors, j'ai accédé à cette demande avec
enthousiasme. Cependant, le niveau de
142
connaissance du français s'étant grandement
dégradé, je devais trouver une pièce accessible à
des débutants en français. La première activité
théâtrale réalisée a impliqué la
participation de l'ensemble de mes apprenants, et pour des soucis
d'organisation et de délégation des tâches, les
étudiants de Master de français avaient été mis
à contribution pour gérer des petits groupes de mes apprenants,
me permettant de travailler sur plusieurs fronts. J'avais aussi voulu
intégrer ce projet à l'évaluation du cours dont j'avais la
charge, ce qui ne put être possible et fermement condamné par ma
responsable car ce n'était pas dans le programme initial, et que selon
ses arguments, mes apprenants n'apprenaient pas la langue dans ce contexte. Ce
projet fut mené à bien dans des conditions difficiles par le
nombre de participants et par ma confrontation à l'élément
présenté ci-dessus, à savoir que la participation à
ce projet semblait traduire l'obtention de la moyenne pour mon cours, par mes
apprenants. Ceci dit, puisque ce projet a été mené dans le
cadre du Printemps de la Francophonie, la pièce choisie orientant
l'intérêt du public non francophone sur le comique de situation
plutôt que sur le contenu du texte aura été reçu
avec succès, de la part des spectateurs, autant que de mes apprenants
qui m'ont demandé l'année suivante d'avoir la même
expérience, quite à rejouer la même pièce. En effet,
l'année précédente, le projet de réunir les
pièces de théâtre des quatre villes principales de
l'Albanie sous une forme de festival interscolaire à la demande de la
stagiaire de Shkodra et de moi-même n'a pu être abouti
entièrement quand un accident de car scolaire impliquant la mort d'une
vingtaine d'étudiants de mon université d'affectation gela tous
les déplacements estudiantins prévus.
Pour les apprenants les plus consciencieux, découvrir
le mot à travers le geste aura été une expérience
importante dans leur parcours d'apprenant. Cette approche est d'ailleurs
prévalue de manière intéressante par Dinvaut (2012) qui
propose de penser de concert l'ergologie, la sociodidactique et la
sociolinguistique. A travers son article, elle expose l'avantage que peut
proposer la décentration de l'apprentissage conscient vers le recours
à l'action, face à laquelle tout le monde est a
priori égal ou au moins porté. Précisons
primairement que l'ergologie propose une étude et une analyse
physiologique de l'activité musculaire. Avoir recours au geste et
à l'action ne nécessite pas forcément de transformer sa
salle de classe en gymnase équipé, l'usage d'objets clés
tels que des balles en mousse ou même une boule de papier utilisée
parfois pour symboliser le passage de la parole, rend l'égalité
des savoirs concrète et surtout l'égalité entre
apprenants, qu'il est important d'introduire en Albanie quand les
différentes sociales sont aussi marquées (en particulier du point
de vue des origines natales et ethniques).
Pour notre cas, il ne s'agit pas pour l'enseignant de devenir
un spécialiste du
143
mouvement, mais qu'il permettre à l'apprenant de donner
du sens à des actions qui lui appartiennent et de pouvoir les verbaliser
pour se sentir pleinement investi de sa tâche d'apprentissage. Ouvrir
l'activité au groupe serait particulièrement un point à
développer en Albanie et de permettre aux individus de se rassembler
autour d'une tâche réalisée communément, de
confronter les mots aux perceptions émanant de sens différents de
l'individu. L'élaboration d'un discours en LC est par ailleurs
désinhibé dans le cas où l'activité soit
réalisée par un enseignant qui saura se placer au regard des
échanges produits entre apprenants et à sa propre adresse. Ce
type d'activités peut être d'autant plus intéressant quand
le sens manque aux apprentissages, qu'ils ne sont plus situés dans des
objectifs ou macro-tâches, en particulier quand l'intérêt
d'apprendre une LE en Albanie aujourd'hui, n'est plus de se limiter à la
seule activité de traduire un texte autorisé par la censure, mais
bien de pouvoir communiquer et de savoir lier le geste au mot. Dans ce
cadre-là, le théâtre peut se révéler un
déclencheur bénéfique à la conscientisation de
l'apprenant vis-à-vis de sa place, de son rôle et de ce qu'il peut
apporter au groupe classe, autant qu'aux communautés qu'ils
fréquentent en dehors du contexte institutionnel quand ce type
d'activité laisse la place à une représentation
publique.
3.2.2. Limites de l'approche
Ce type d'exercice peut se révéler
périlleux également pour la raison que le besoin de pouvoir
sauvegarder son identité fondamentale exprimé par l'apprenant
albanais, en particulier celui qui se positionne comme protecteur de son
patrimoine originel avant d'admettre l'appréhension d'un code
linguistique étranger. Dans le cadre des activités que je
proposais et qui visaient à inviter les apprenants à se
concentrer leurs compétences de construction de sens ou de techniques
méta et translinguistiques, les échanges étaient
immédiatement effectués par mes apprenants en LM. Mes
compétences toutes relatives en albanais ne me permettaient alors pas de
gérer les discours tenus, je demandais alors de passer en LC, à
la fois pour que je comprenne, et que j'assure le rôle de tuteur et de
régulateur attendu et nécessaire dans ce type d'interactions,
mais aussi et surtout pour que mon public s'exprime en LC, ce qui devait
évidemment rester l'objectif premier d'un séminaire
intitulé « langue pratique » (gjuhë
praktike, en albanais). Le type d'activités proposé
était souvent le type de débat que l'on lance en classe de langue
visant à prendre position quant à un sujet de
société, ou à la perception que l'on a d'un
phénomène.
Repasser en LC est devenu de plus en plus difficile au fur et
à mesure que ce type d'activité était proposé en
classe, le regard de mes apprenants devenu réprobateur traduisait
144
une incompréhension et une frustration que je ne leur
laisse pas la possibilité de réaliser ce que je leur demandais de
faire, et surtout dans la langue qui leur semblait naturel d'employer. A la fin
de l'année, ils m'ont avoué avoir aimé mon cours parce
qu'il était devenu le seul espace d'expression qui leur était
offert, et ils regrettaient de ne pas mieux avoir appris la langue pour pouvoir
en dire encore plus. Cependant, sur le moment même, ce type de situation
répétitivement rencontré a laissé place à un
désintérêt croissant vis-à-vis de la LC quand mes
apprenants réalisaient que je leur proposais de répondre à
l'assouvissement d'un besoin d'identifier leur compréhension intuitive
d'un savoir ou d'un discours, et de procéder à un positionnement
évalué de leur perception d'eux-mêmes vis-à-vis de
cette culture. Ils ne tenaient par contre pas en compte que cela devait
être fait en LC.
3.2.3. Pistes sociodidactiques
Ce dernier point m'invite finalement à aborder la
finalité de cette étude, à savoir la conception de la
composante culturelle, en accord avec une contextualisation des facteurs qui
influencent les actions et interactions didactiques en contexte universitaire
d'enseignement-apprentissage du français. L'appréhension de
l'aspect culturel dans ce contexte est tantôt considéré
comme un aspect dissocié du discours et des mots produits en LC (et
c'est malheureusement traité de cette manière dans la plupart des
méthodes de FLE et de ces « pages culture » proposées
en fin de chapitre ou d'unité), tantôt comme partie
intégrante ou même tributaire de la langue (selon une vision plus
sociale de la langue, chère aux défenseurs des approches
interculturelles). Il est intéressant de s'interroger vis-à-vis
de ce qui pourrait optimiser l'introduction de cette composante des
enseignements de classes de langue quand ce public apprenant qui n'accorde pas
tant d'importance au monde francophone victime des a priori
qui lui sont attachés, quand ce même public n'a
d'yeux que pour la structure systémique de cette langue (sans pourtant
l'assimiler et c'est justement ce qui rend cette question intéressante).
Doit-on rappeler que cette langue, le français, est dotée d'une
structure morphosyntaxique particulièrement épineuse au regard
d'autres langues plus accessibles comme l'anglais, doté d'une
morphosyntaxe plus simple, ou l'italien, que mes apprenants connaissaient le
plus souvent par imprégnation précoce ? Le français n'est
clairement pas en prime position dans l'affect des apprenants, mais que les
activités réalisées en LC peuvent remporter un franc
succès, en particulier quand elles leur permettent de vivre en tant
qu'individu, ce qui n'est pas possible en dehors de l'école quand cette
volonté d'uniformité caractéristique des temps communistes
est encore prégnante. Concernant la langue française, il s'est
révélé que le gouvernement semble se baser sur cette
représentation quand il avise
145
dans les nouveaux curricula que le français et
l'italien ne seront plus privilégiés pendant l'enseignement
primaire et secondaire et ceci dès la rentrée 2014-15, pour la
raison que l'anglais est la première langue de tout le monde (Hoxhaj,
2014 : § 3) et que l'apprentissage de la deuxième langue
étrangère sera remplacé par des cours d'éducation
physique selon la volonté du Premier Ministre de lutter contre
l'obésité. Les parents, s'ils en effectuent la demande peuvent
toutefois requérir auprès du directorat de l'école que
l'enseignement de cette seconde langue étrangère soit
préservé. Cette décision jure par ailleurs avec le
récent intérêt des Albanais pour l'allemand (Laci, 2008)
avec la création de sections bilingues allemand-albanais. Selon les
propos de l'auteur, le Ministre de l'Education de l'époque affirmait que
« en ouvrant une section bilingue germano-albanaise dans le lycée
« Sami Frasheri » [de Tirana], je pense que nous avons tendu la main
à un pays majeur du continent et c'est de bonne augure pour un pays
comme le nôtre qui s'efforce de développer sa démocratie et
son économie et de devenir membre à part entière de la
famille euroatlantique », affirmant clairement la vision de l'Etat quant
aux langues étrangères, comme étant des outils permettant
un rapprochement à l'Europe, et en particulier à l'Allemagne qui
est largement appréciée par les Albanais pour le nombre
d'immigrants qui y vivent et pour l'image qu'elle véhicule.
Autant que l'Etat a besoin de l'Ecole pour transmettre les
valeurs qui semblent définir une société et
l'identité nationale du peuple dont un gouvernement a la charge, il n'en
semble pas moins que la communication entre ces deux instances n'est pas
optimale, sans quoi on ne ferait pas face à autant de réprobation
émise de la part des Albanais et sur l'observation qui est faite de la
société albanaise et de son rapport à la classe politique
de voir se constituer deux mondes parallèles tant les décisions
gouvernementales n'ont pas d'ancrage sur le peuple et que le peuple n'en a pas
non plus sur le gouvernement.
Les propos tenus par ces derniers et leurs
représentations collectives vis-à-vis de l'avenir sont sans
appel. Ces apprenants, futurs acteurs de la société albanaise,
font état d'une incapacité à rétablir une certaine
stabilité sociale et identitaire par cette définition
socio-historique réalisée en diachronie (d'après la
présence prégnante des éléments proposés en
chapitre 2 dans les discours des Albanais à l'égard de la
situation actuelle de leur pays), et où la réalité
économique et politique du pays ne permet pas de disposer d'un large
choix, d'une liberté, quant à ce qu'on a envie de devenir et de
faire. L'Union Européenne fait espérer des jours meilleurs, et le
discours tenu par les Albanais laisse transparaître que cette instance
doit « faire du ménage dans le gouvernement albanais »,
attribuant à l'UE la responsabilité de la sommation de la classe
gouvernante albanaise qui ne répond souvent qu'à ses propres
146
intérêts. Ce grand espoir projeté dans
l'UE côtoie la désillusion des Albanais quand cette instance aux
allures libératrices fait miroiter des futurs inatteignables depuis la
chute du communisme en 1991, toujours d'après le discours qui est tenu
par les acteurs qui nous intéressent.
La façon dont les cultures étrangères sont
présentées au public albanais doit être
pesée par l'enseignant, encore plus quand il est tenu
porteur des cultures et des représentations que son public d'apprenant
s'en fait. Compte tenu des informations dont je dispose et de mon
expérience qui aura été présentée dans les
grandes lignes par manque de matériel plus illustrateur du point de vue
officiel et académique, je contribuerai aux réflexions qui se
posent vis-à-vis des plans d'action engagés pour promouvoir la
langue française et sa culture. Premièrement, on peut avoir envie
d'indiquer que certains axes méthodologiques tels que les suivants,
propres à des méthodologies axées sur l'individu peuvent
potentiellement modifier et contribuer à une représentation plus
juste de ce que l'apprentissage des langues peut permettre de faire et de
s'approprier.
- Les échelles d'action de l'enseignement-apprentissage
des langues étrangères (mais pas
seulement) devraient s'intéresser aux besoins
exprimés par les apprenants, autant qu'aux enseignants qui doivent
prendre en considération l'aspect transitoire des connaissances acquises
progressivement par leurs publics apprenant. Pour illustration, la langue
anglaise est la première langue enseignée dans les écoles
parce que l'offre linguistique proposée aux niveaux primaire et
secondaire ne laisse pas de choix ou que l'on ne demande pas aux apprenants ce
qu'ils veulent étudier, par la décision de l'école, un
apprenant sera dans la classe qui apprend le français ou l'anglais, sans
sondage des demandes des apprenants, ce qui n'amène pas les apprenants
à se constituer leurs propres représentations mais à se
conforter à celles qui sont véhiculées par les instances
supérieures. Il se peut dans d'autres cas que les locuteurs d'une LE ne
tiennent pas compte des représentations qu'on leur impose, mais ils ne
développeront pas forcément un goût pour la LE qu'ils se
voient apprendre ;
- Les langues ne doivent plus être
présentées comme des systèmes dotés de
règles figées et faire appel à la langue maternelle des
apprenants n'est pas toujours transgressif, mais un moyen de rejoindre un sens
qu'un apprenant veut pouvoir transmettre. Pour illustration : les
représentations des Albanais quand ils se figurent qu'un enseignant est
bon quand il enseigne bien la grammaire, et ce recours à l'apprentissage
par coeur et décontextualisé de listes de vocabulaire importante
;
147
- Replacer les langues étrangères dans le
contexte socio-culturel et géographique dans lequel elles s'inscrivent
nécessairement, sans quoi la sémiologie n'aurait pas de raison
d'être et ne provoquerait aucun intérêt ;
- Faire appel à un potentiel rarement exploité,
étant le répertoire linguistique de son public d'apprenants
pour apprendre à construire du sens, en particulier quand il est
déjà plurilingue et cesser de réprimander aussi froidement
l'usage de la langue maternelle comme étant une faiblesse. Pour
illustration la réprimande sévère dont l'apprenant est
gratifié quand il change de code linguistique sans que l'enseignant ne
soit toujours capable d'identifier la raison qui l'a amené à
faire ce choix ;
- Que les enseignants sachent développer une distance
par rapport à leurs représentations personnelles et permettre aux
apprenants de se constituer les leurs, ou autrement dit une définition
de l'enseignant régulateur de la circulation des savoirs et tuteur dans
leur constitution plutôt que d'imposer un plaquage linéaire des
connaissances à acquérir en un temps donné. A travers son
agir professoral, singulièrement inspiré du caractère de
la personne qui endosse le rôle d'enseignant et ceci en Albanie plus que
dans nos sociétés d'Europe occidentale où la figure de
l'enseignant a longtemps été respectée et obligée
à respecter selon les préceptes du régime communiste,
l'enseignant aurait tout à gagner en sachant développer une
distance entre ce qui l'inspire personnellement (du point de vue de l'individu)
et ce qui peut être potentiellement développé en classe.
Pour illustration : les accolades et autres signes d'affection sont très
courants, ce qui n'est pas une mauvaise chose, mais qui ne doit pas remplacer
la capacité de l'enseignant à permettre à l'apprenant de
se former ses propres jugements plutôt qu'à effectuer un transfert
sur la personnalité de l'individu qui incarne le vecteur de savoirs, ce
qui ne fait que contribuer à une uniformisation des
personnalités, en accord avec un enseignant qui peut en une seule
séance, témoigner de beaucoup et de différentes
émotions ;
- Développer les approches interculturelles
plutôt que les plaquages d'informations et de connaissances à
assimiler, en particulier quand l'intérêt des Albanais est
fortement orienté vers l'extérieur, mais que la conduite
didactique des enseignants à l'égard de leurs publics n'invite
pas à la constitution d'un sens élaboré (au sens
construit) de la curiosité intellectuelle et altéritaire ;
- Utiliser les TIC quand ils permettent de creuser un savoir
appréhendé, mais pas en tant que tel, comme symbole
d'évolution et de réussite. C'est particulièrement notable
en contexte universitaire, au contraire du réseau de l'enseignement
privé et associatif où les méthodologies visent à
encourager l'apprenant dans sa propre constitution du savoir
148
(selon l'idée que les TIC peuvent d'accorder une
certaine autonomie à l'apprenant et à défocaliser
l'attention sur la personne de l'enseignant).
Cependant, il doit être remarqué que ce sont des
indications qui prévalent et qui font sens lorsqu'on a reçu une
éducation où on a initié dès le plus jeune
âge qui invite plus aisément l'apprenant et l'individu en devenir
à se constituer une place dans une classe, lieu majeur des
apprentissages. Dans la mesure où les enseignants albanais sont
foncièrement mieux connaisseurs de ce qui définit
fondamentalement les contextes dans lesquels ils oeuvrent, il serait
intéressant d'ouvrir leurs compétences à une
nécessaire réflexivité sur ce qui motive leurs prises de
décisions didactiques, ayant une nécessaire conséquence
sur les représentations sociales de leurs apprenants si l'on s'en
réfère aux théories relatives à cette étude
et au contexte albanais, présentées en chapitre 1. On
regretterait de devoir admettre que les représentations vis-à-vis
des langues étrangères n'ont plus de place dans un système
où tout est pensé pour correspondre à un modèle
extérieur. De la même manière qu'on déplore que les
étudiants accordent aussi peu d'importance aux contenus des cours, et
qu'ils se constituent des représentations aussi peu valorisantes quant
à l'école et l'université, et que les formations
proposées aux enseignants les amenant à revoir les
méthodologies qu'ils empruntent et leur approche quant à un objet
de connaissance, et à les orienter dans leurs pratiques
professionnelles, n'ont que si peu de répercussion dans la façon
dont les apprenants considèrent leur formation scolaire et
universitaire.
C'est donc plutôt selon cet angle de vue que je
proposerai les points suivants, largement inspiré d'une
modélisation proposée par Beacco (2011 : 36) dans sa conception
de l'influence des savoirs, et plus précisément dans sa
proposition de soutenir la didactique des langues et des cultures comme le
domaine d'émergence des connaissances savantes, car il semblerait bien
que c'est à partir de ce qui se passe dans une classe que l'on peut
obtenir un aperçu de la société au sein de laquelle on
s'adresse et on intervient plus ou moins directement.
149
Tableau 5 - « La tectonique des savoirs en
didactique des langues et des cultures », JC Beacco (2011 :
36)
Selon l'hypothèse qu'un enseignant configure les
savoirs en fonction de la méthodologie à laquelle il s'attache,
l'on pourrait aisément vouloir s'orienter vers cette
réflexivité didactique et épistémologique qui
pourrait précisément permettre aux enseignants de se positionner
de manière idéale par rapport au rôle qui s'attache
à leur profession, autant qu'au fait qu'ils appartiennent à la
même macrosociété que les apprenants auxquels ils ont
affaire. Cela souligne d'ores et déjà l'importance de voir
poindre une volonté de redéfinition de la promotion linguistique
de la part des enseignants locaux plutôt que par une tierce instance,
étrangère au contexte dont on parle. Le manque de cohésion
entre ces derniers, à l'oeuvre par l'inactivité de l'APFA jusque
très récemment et par la distance établie entre les
différentes instances françaises et albanaises et la
réalité contextuelle, n'aura pas soutenu les diverses intentions
émanant presque uniquement du cercle enseignant de Tirana, ou que la
sphère intellectuelle et plus encore, la sphère exécutive
albanaise est presque hors d'atteintes lorsqu'on n'a pas les relations
nécessaires, ce qui amène précisément les
enseignants à cumuler les emplois (école, vacataire à
l'université, Alliance Française, cours privés) pour
étendre leur champ d'action et faire survivre l'apprentissage d'une
langue pour laquelle ils ont un intérêt et des connaissances
presque exemplaires, dans le cas des enseignants investis
150
de leur profession. Voyons donc dans quelles directions cette
réflexivité peut aller et ce qu'elle peut apporter à notre
contexte.
- Il s'agirait de s'attarder plus en profondeur sur
l'interlangue, lieu de création des représentations que la
sociodidactique prend en partie comme référence de
réflexion pour réfléchir aux actions didactiques à
entreprendre. De la même manière que Blanchet et Beacco le
définissent, il s'agit d'une zone transitoire mais en perpétuelle
évolution où l'apprenant peut être amené à
introspecter le mode de constitutions de ses savoirs et d'en comprendre la
teneur (Chardenet, 2011-a : 80-1).
- Réfléchir à la place de la
différence dans la société albanaise pour mieux cerner
la problématique relative à ce qui dépasse le
périmètre du confort et du connu qu'il est difficile de
dépasser, et par extension rendre effective la volonté
didactique, la sublimer pour rendre l'aspect social du rôle de
l'apprenant en tant qu'acteur de ses apprentissages.
- Rendre le savoir coopératif et utiliser les
potentialités de chacun pour créer et révéler
le savoir que l'enseignant veut que son public découvre et
s'approprie.
- Redéfinir les modalités d'évaluation
de la connaissance et de l'arbitrage que l'apprenant effectue
automatiquement à propos de son cheminement vers l'accession à un
capital linguistique qu'il devrait jauger lui-même. De Robillard (2011)
propose que le pivot du métier d'enseignant est de comprendre comment
est reçu un discours didactique. En particulier en situation de
transfert de personnalité, si l'enseignant incite ses apprenants
à assimiler des connaissances linguistiques en les apprenant par coeur,
ce dernier réinvestira le mot dans le contexte dans lequel il a
été observé, c'est-à-dire dénué de
son contexte d'usage, bien qu'il soit probablement capable de dire ce qu'il
signifie.
- Dans la volonté toute récente des
universités albanaises de développer des programmes
d'enseignement et de formation à distance, il serait intéressant
de réfléchir à la diffusion et à la promotion de la
langue albanaise par les institutions, autant que de réfléchir
aux représentations des Albanais vis-à-vis de leur langue
maternelle et de son apprentissage scolaire. Les plans de formation à
distance permettraient-ils de proposer un point de réunion à la
diaspora albanaise et particulièrement à des jeunes en devenir
identitaire et professionnel, éparpillés sur plusieurs continents
? Ce n'est pas l'objet de cette étude mais la volonté de
standardisation de l'enseignement supérieur à l'intérieur
des frontières du pays, autant qu'en dehors de celles-ci au profit d'une
reconnaissance normée et lisible du système éducatif par
des instances supranationales, pourrait potentiellement desservir l'appel
à la reconnaissance identitaire des individus de cette nation.
151
Autrement dit, ce qui amène les apprenants à
faire le choix d'accorder de l'intérêt à une LE peut
être primairement basé sur les représentations ordinaires
qui sont véhiculées autour de la France ou du fait de parler
français. Cependant, j'avancerai que ce qui amènera l'apprenant
à prolonger son intérêt et le nourrir
d'éléments nouveaux doit se retrouver dans ce que l'apprenant
peut faire de lui-même et de sa place dans les communautés
didactique et sociale, et des besoins qu'il exprime pour parachever et remplir
ce besoin.
Conclusion
Je suis partie du postulat que la conception de la langue par
les Albanais relève de la détermination d'une situation
socio-historique complexe, mais potentiellement lisible lorsqu'on est en
possession des clés de lecture nécessaires. D'autre part, j'ai
pris le parti de m'inscrire dans les propos tenus par Blanchet & Rispail
dans leur définition de la sociodidactique comme étant une
discipline qui permettrait de réfléchir la DDL de manière
adaptée au contexte social concerné par une situation
d'enseignement-apprentissage, et responsable du point de vue des
démarches didactiques nécessairement placées et
subjectives à engager. Nous dirons que la formulation de pistes
sociodidactiques ne doit pas se concentrer sur la façon dont les langues
sont enseignées, mais conçues dans un cadre plus global,
impliquant la cristallisation de données exposées en diachronie
pour mieux saisir les enjeux à l'oeuvre en synchronie.
L'implication de multiples instances, qu'elles soient humaines
ou réunies sous la coupe d'institutions elles-mêmes dotées
de leurs enjeux propres complexifient la possibilité de s'entendre sur
des actions à mener. On peut imaginer à ce stade de la
réflexion, comme cela a été esquissé en chapitre 2
qu'une certaine réflexivité didactique doit être produite
par les enseignants pour adopter des méthodologies adaptées aux
besoins des apprenants (en langue, autant que du point de vue identitaire),
mais aussi que ces méthodologies doivent être
considérées par les apprenants comme leur permettant de se
développer un réel sens de l'altérité, contribuant
ainsi à un rééquilibrage de l'image qu'ils portent
à leur langue, à leur nation et à leur histoire, car les
représentations portées à l'égard d'une langue,
quand elles mettent un apprenant en situation d'infériorité aussi
importante, semblent s'établir sur des bases personnelles fragiles et
provoquant l'écroulement de ce qui a bien pu s'empiler jusque
152
lors. Le développement de compétences permettant
un sens certain du développement de l'individu est à envisager et
ceci bien avant que l'apprenant ne franchisse les portes de
l'université.
Ce n'est finalement pas seulement la technique professorale
des enseignants locaux qui doit être remise en cause, les
méthodologies prescrites ou les plans d'action bilatéraux qui
permettront une définition et une planification appropriées des
politiques linguistiques et éducatives à engager à
l'égard de l'enseignement-apprentissage des langues
étrangères et plus particulièrement du français.
C'est par un recentrement sur les valeurs qui motivent et engagent les
individus dans leurs interactions sociales, ainsi que sur les motivations
profondes des apprenants que le sens peut être réattribué
au développement de compétences visant à laisser
s'installer en soi un code qui ne nous appartenait pas naturellement, quand
Anderson (1999 : 30) nous dit que l'épistémologie est « un
ensemble d'orientations, d'attitudes, d'objets et de méthodes qu'une
communauté de chercheurs à une époque donnée
considère comme valable ». Ces savoirs relevant de ce qui peut
constituer la réalité d'une communauté d'individus peut
pouvoir contribuer à l'élaboration de savoirs savants. Le test en
pratique de ces pistes reste encore à effectuer pour permettre une
réelle contribution au domaine qui nous intéresse ici. Cette
réflexion amorcée sert alors de base et une fois posée
à distance, peut éclairer la nature des politiques linguistiques
et éducatives à engager.
On observe toutes ces scènes pendant la dernière
étape scolaire des apprenants, ou celle qui les oriente vers leur vie
d'adulte et leur activité professionnelle. Observer le niveau des
apprenants universitaires d'aujourd'hui permet précisément
d'avoir une vue et une réflexion amorcée sur ce que les
méthodologies employées au préalable ont pour
conséquence. On ne s'éloigne pas de ce que Bachelard attend et
entend quand il lance « la réalisation du rationnel » ou d'une
scientifisation de la preuve. Le paradoxe de l'inévitable
subjectivité contre la nécessité de s'en écarter
pour adopter un cadre de réflexion commun et adoptable par chacun
formule les premières questions auxquelles il serait intéressant
de répondre pour construire ce cadre épistémologique, et
par conséquent, pratique, pour les enseignants. C'est donc bel et bien
sur un aller et retour entre terrain et théories que la création
d'un savoir commun peut s'effectuer.
153
Conclusion générale
A mi-chemin entre mes conclusions actuelles et le monde des
possibles qu'offre l'Albanie, je proposerai finalement les
problématiques qui auront été soulevées ici et les
autres questions qui se sont ouvertes tout au long de mon cheminement dans ce
pays.
Cette étude ne se prétend nullement exhaustive
de la situation de l'enseignement-apprentissage du français en contexte
universitaire albanais, mais offre un panorama en plusieurs dimensions par ce
qu'il adopte différents angles de vue pour rendre la lumière sur
un contexte particulier. Alterner entre regard en hauteur pour prendre la loupe
chère à Chaudenson et voir comment cela se passe dans le
détail ; prendre la ligne du temps pour voir si elle a un effet de
miroir sur la situation d'aujourd'hui aura été autant de jeux de
lumière qui permettent de mieux comprendre ce contexte. En adoptant
quelques-unes des approches préconisées par les défenseurs
d'une didactique responsable et respectueuse, j'ai ainsi voulu rendre ce pays
tel que je l'ai reçu. Après avoir initialement pensé
à prospecter les étudiants, je me serai finalement
attardée aux enseignants, plus accessibles et occupant une place
centrale dans ce noeud de contacts et de carrefours que forment les acteurs de
la francophonie en Albanie. A mi-chemin, j'aurai constaté que
présenter les conditions dans lesquelles les représentations
vis-à-vis d'une langue étrangère se forment pouvaient
rendre l'état d'une très bonne introduction à ce terrain,
plutôt que de m'engager dans quelque chose que j'aurai pu survoler et ne
pas considérer dans toute sa complexité.
De la manière que je viens de le présenter, se
limiter aux représentations ne serait pas non plus fidèle en
particulier quand il est si difficile d'accéder aux
représentations des acteurs concernés par notre contexte et que
se limiter à leurs paroles ne viendraient pas à
représenter objectivement la place qui est faite par les individus aux
langues étrangères et au français et à travers ces
langues, à la société dans laquelle ils évoluent et
à eux-mêmes. Chaudenson & Rakotomalala (2004), Porcher (2012
[2000]) et Blanchet & Chardenet (2011) rappellent chacun la
nécessité de ne pas se limiter aux pratiques langagières
des locuteurs d'une communauté donnée pour comprendre la place
qui est accordée à un code linguistique, mais également au
contexte qui encadre et régule ces pratiques. Il est donc induit que les
politiques linguistiques sachent prendre en compte la question dite «
spontanée, sauvage » de Chaudenson (1991 : 6) des pratiques
langagières du point de vue national.
154
J'ai également décidé de ne pas me
limiter à une analyse des interactions didactiques bien que cette
approche aurait pu être tout aussi intéressante. Je crois pouvoir
dire avec l'aval de mes collègues que si on se limitait aux seules
compétences langagières des acteurs observés, la stagiaire
que j'ai été ne serait pas restée deux ans et n'aurait pas
effectué un autre stage sur ce terrain précis, en particulier ici
et sans doute plus qu'ailleurs, ça ne dépend pas de la seule
personne mais d'un enchevêtrement de relations intersubjectives qu'il est
parfois difficile de percer mais nécessaire à introduire pour
tenir précisément les tenants et aboutissants de ce contexte.
D'autant plus que dans la mesure où la littérature en langue
française à propos de ce contexte n'est pas proliférante
ou pas toujours de confiance, j'ai pris le parti de me lancer dans un travail
où j'avais parfois toutes les connaissances mais qu'il me manquait un
fil conducteur pour les assembler. Mes lectures au cours de ces trois
dernières années sont ici, et elles ne le sont pas toutes, car
comme précisé dans l'introduction, un travail exhaustif sur la
problématique qui m'a animée tout au long de ce travail
occuperait un plus grand nombre de pages. Puis-je remercier le lecteur à
cette étape ? Cette étude peut plaire autant qu'elle peut
déplaire, mais la connaissance se construit justement dans la
confrontation à l'inconnu et de là naît une
réflexion argumentée. Un grand nombre de questions subsistent
encore et mériteraient d'être observées.
Cette obsession du « comprendre » m'aura
emmenée sur un chemin complémentaire aux études qui
permettraient d'étudier le public apprenant albanais en situation
d'apprentissage, en même temps que le pendule albanais m'aura aussi
absorbée (Peteuil, 2012). Certaines réflexions avancées
dans ce travail où la subjectivité est souvent apparue
malgré elle, croyez-le bien, doivent être
considérées au plan intellectuel et d'intérêt humain
et ne se constituent pas vérité absolue simplement parce que
cette vérité n'existe pas et encore en plus quand les efforts qui
font sens aux hommes sont ceux qui proviennent d'eux-mêmes.
Ce jeu entre connaissance du terrain, des acteurs et des
problématiques sous-jacentes aux pratiques observées m'aura faite
balancer entre le savoir et le vouloir pour donner cette étude. En
partant de l'hypothèse que les Albanais étaient situés
à un carrefour entre leurs pratiques sociales et éducatives, je
me suis permise de considérer la problématique de
l'enseignement-apprentissage du FLE sous un autre angle. Considérer les
rapports entre langue et société m'aura permis d'identifier
l'idéologie qui circule à propos des langues en Albanie et m'aura
amenée à proposer une définition de l'identité
culturelle et linguistique des Albanais qui permet cependant de mieux
comprendre le plurilinguisme effectif en Albanie, bien que la définition
qui se pose aujourd'hui nécessitera certainement un ajustement dans les
années à venir tant les langues ont été
instrumentalisées au profit d'assouvissements
155
communs (je l'entends) mais distendus de leur contexte.
Précisons que les instances privées ou parfois mêmes
individuelles en rentabilisant un capital humain, celui de pouvoir communiquer
(à travers des pratiques qui n'ont rien de linguistiques) ont
procédé à la même ablation d'une compétence
pourtant riche.
Le plurilinguisme existe en Albanie bien qu'il a
été banalisé de manière assez vulgaire, au profit
de la constitution d'une image qui est censée plaire à l'Europe.
Comme l'un de mes informateurs me l'avait initialement conseillé, ce
n'est pas dans un département de français que l'on trouve les
bons francophones mais dans certaines classes du secondaire et dans les bons
lycées généraux. Ne me focalisant pas sur la francophonie
ou francophilie initialement existantes, mais ayant réalisé qu'un
intérêt pour les langues étrangères était
bien présent, je ne voyais pas personnellement l'intérêt de
rendre un hommage à ces locuteurs et à leurs bonnes
compétences, toutes aussi louables soient-elles. Par ailleurs, une
étude portant sur cette autre communauté de locuteurs serait
intéressante en ce qu'elle pourrait directement contribuer à
celle-ci, à travers la révélation de ce qui constitue des
représentations positives par les Albanais à propos de la langue
française. On observe finalement les mêmes problématiques
relatives au domaine social qu'au domaine éducatif : appropriation du
pouvoir sans légitimité reconnue, symbolique de la violence et de
l'annexion de capitaux privés dans le seul but de se placer dans une
société qui survit sur le respect de ses moeurs et traditions
ancestrales. Vous m'excuserez le parallèle, mais ça fait pourtant
parfaitement écho à notre contexte. Une campagne de
sensibilisation proposée par le Ministère de l'Intérieur
à propos de la sécurité routière montre
parfaitement ce jeu de violence symbolique à l'oeuvre (McCanna, 2014),
tout en respect des valeurs qui tiennent les Albanais de manière
unanime. Nous avons finalement vu que la langue française occupait une
place particulière en Albanie, car les valeurs qui sont
attribuées à sa culture ont soutenu l'élévation de
ce peuple autant que cette langue continue à le faire. Les
réformes prévues par le gouvernement albanais pourraient bien
mettre à mal la seule protection d'un plurilinguisme pourtant effectif,
officialisé par l'acceptation de l'Albanie de s'adjoindre à cet
ensemble de la Francophonie qui défend pourtant les valeurs auxquelles
le peuple albanais aspire. Se reposer sur des représentations et des
paroles qui ont parfois été émises dans des conditions peu
propices à l'aisance peut paraître rebutant. Deux points seront
alors rappelés : rappelons que les paroles sont perméables et
instables autant en durée de vie qu'en consistance, mais elles restent
encore le moyen d'avoir accès aux liens qui unissent la partie au tout,
l'individu à sa communauté, l'acteur à son
environnement.
156
Le thème de la fracture m'aura occupé l'esprit
pendant toute l'élaboration de mon étude. Inspiré par ma
directrice de mémoire dès le début de ma réflexion,
c'est pourtant la première fois qu'il apparaît. Il me semble
très caractéristique de ce qui sous-tend la nature des
problématiques à l'oeuvre en Albanie de nos jours. Cependant, ce
terme me semblait effrayant et peut-être annonceur d'un non-retour, ce
qui ne caractérise pas la volonté tenue des Albanais de rester
fidèle à ce qui les aura accompagné. Cette
fidélité prend parfois des tournures étonnantes pour
l'occidentale que je suis, mais elle est à l'oeuvre. Vivre la
différence et la diversité pour se construire sont
précisément des compétences qu'il faut mettre à
l'oeuvre pour réaliser ce type d'étude contextualisée, car
s'inspirer d'un seul regard ou d'un seul angle de vue, ne rend pas à
nouveau les particularités d'un contexte qui est pourtant doté de
toute son unité.
Dondeyne (1956 : 8) nous dit que : « la liberté
est ce pouvoir que nous avons de nous mettre à distance du passé,
pour le faire apparaître tel qu'il fut, ce qui ultérieurement,
nous permettra de prendre position à son égard soit pour le
réassumer, soit pour le récuser ». Selon ce philosophe,
l'idéalisme de la signification et le positivisme peuvent lisser
certains aspects d'une situation, ce qui serait dangereux car pas
approprié et peu de responsable, de décrire et d'expliquer dans
le seul but de vouloir justifier l'injustifiable. Cependant, l'effort de
vouloir ancrer l'être humain dans sa continuité le replace dans sa
situation actuelle sociale et historique. Sans compter que ce type
d'écrit dans sa structure et son contenu informatif permet de rendre son
relief à la partie. Cette conception de la liberté rend la
nécessité d'user de procédés, si ce n'est d'adopter
des structures glottopolitiques pour permettre de faire ressortir les besoins
d'aujourd'hui et de forger la vie de demain.
Est-ce le temps tout relatif qui s'est écoulé
depuis la fin du communisme qui n'amène pas les acteurs décrits
ici à poser une réflexion sur le passé de leur peuple ? Ou
serait-ce par une présence encore palpable des habitus propres au
régime communiste ? Est-ce aussi parce que l'avenir est incertain quand
beaucoup déplorent encore les temps communistes parce qu'à cette
époque, tous avaient un travail ? Depuis 1945 où la
nécessité d'être uniformisé répondait au
besoin d'élever le pays à un autre rang que celui qu'il a connu,
et le pays aura connu un développement et une croissance uniques. La
chasse à ce qu'il ne va pas et ce qu'il faut changer a
profondément altéré la société albanaise et
en particulier depuis la chute du communisme, comme cela a été
mentionné d'après Mustafaj quand il qualifie les actions
menées par les acteurs sociaux de cette période de chasseurs aux
sorcières. La question n'est
157
pas fermée parce qu'il y a encore de nombreux
éléments révélateurs de ce contexte à
révéler, pleines de leurs paradoxes et portant entières
leur consistance.
158
Table des matières
RESUME 4
REMERCIEMENTS, FALEMINDERIT... 7
SOMMAIRE 8
LECTURE DE L'ALBANAIS 9
GLOSSAIRE DES SIGLES PRINCIPAUX 11
« PREAMBULE : ASSISE COGNITIVE »
13
INTRODUCTION GENERALE 17
CHAPITRE 1 : APPROCHES NOTIONNELLES ET SOUBASSEMENTS
CONCEPTUELS : POUR
UNE CONTEXTUALISATION DE LA PENSEE
25
Introduction 26
I/ De notre intérêt : la langue en action 27
1.1. Langue(s), locuteurs et société :
l'utilité de la sociolinguistique 27
1.2. Langue et représentations 28
1.3. Identité et altérité : de
l'expérience des langues et de leur appréhension 30 II/ De
notre domaine d'études : la place de la langue en contexte social et
institutionnel 33
2.1. Société et éducation
33
2.2. Politiques linguistiques 36
2.2.1. Politique, aménagement et planification
linguistique : 36
2.2.2. Élaboration d'une politique
linguistique 38
2.2.3. Promotion et diffusion du français,
l'histoire du rayonnement culturel du français, puis de
la Francophonie 39
III/ Méthodologie et objectifs de la recherche : du
placement humain à l'écriture 40
3.1. De l'utilité de la contextualisation :
définition, méthodologie et posture 40
3.2. La sociodidactique : un pari fou ?
43
Conclusion 47
CHAPITRE 2 : ELEMENTS DE MACROCONTEXTUALISATION
SOCIO-HISTORIQUE 48
Introduction 49
I/ L'albanais langue maternelle : histoire et statut 50
1.1. Formation du peuple et de la langue
50
1.1.1. Origines, formation de la langue et discours
écrit 50
1.1.2. Variétés et statut de l'albanais
et langues minoritaires en présence 52
1.1.3. Histoire intérieure et
extérieure de l'Albanie 53
1.2. Frontières de l'albanais, langue et
territoire 56
1.3. La langue albanaise dans le discours
59
II/ Ecole, éducation et pouvoir 62
159
2.1. Prémices de l'élévation de
la société albanaise socialiste 62
2.2. L'école au service de la
société socialiste 64
2.2.1. La première étape (1944-48) :
jeter les bases de l'institution scolaire, popularisation de
l'éducation et détermination des moyens
à mettre en oeuvre 64 2.2.2. Deuxième étape (1948-55) :
débuts de la politisation et de l'idéologisation de
l'éducation 65
2.2.3. Troisième étape (1956-65) :
début de la construction socialiste de l'Albanie 65
2.2.4. Quatrième étape (1966 - 1970) :
renforcement idéologique de l'école 66
2.3. Du statut des langues étrangères
68
III/ « Nous voulons être comme le reste de l'Europe
» 73
3.1. L'Université en pleine révolution
: pour quelle utilité projetée de l'enseignement
supérieur ? 74
3.2. L'Université albanaise sur les bancs
d'essai 76
3.3. Un bilan temporaire mitigé mais
encourageant 83
Conclusion 85
CHAPITRE 3 : LA FRANCOPHONIE EN ALBANIE
88
Introduction 89
I/ La Francophonie : définitions et statut 90
1.1. Pour quelle F/francophonie ? 90
1.2. Zoom sur les Balkans : pour quelle francophonie
? 94
1.3. Origines de la Francophonie en Albanie
95
II/ La francophonie en terres albanaises 98
2.1. Les Albanais, têtes de Turcs
98
2.2. Facteurs de promotion et de diffusion du
français en Albanie 99
2.2.1. Facteurs historiques et culturels
99
2.2.2. Facteurs politiques et économiques
102
2.2.3. Facteurs linguistiques et éducatifs
104
III / Politique d'action extérieure de la France en
Albanie 110
3.1. La France et de la Francophonie en Albanie
110
3.2. Ressources matérielles mises à
disposition des Albanais francophones en Albanie 113
IV/ L'offre en formation initiale en langues
étrangères dans le système universitaire albanais 114
4.1. Données générales,
formation et marché du travail 114
4.2. Regards vers l'Ouest, de la théorie en
pratique 118
Conclusion 120
CHAPITRE 4 - PRATIQUES ET REPRESENTATIONS DIDACTIQUES,
LE FRANÇAIS ET SON
ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE EN ALBANIE
122
Introduction 123
I/ Individus en contexte 124
1.1. Circonscription et approche tenue à
l'égard du terrain 124
1.2. Acteurs de l'enseignement-apprentissage du
français 126
II/ Conditions de formation des représentations relatives
au français 129
2.1. La course au diplôme et les langues :
129
2.2. Le purisme linguistique et le traitement de
l'erreur : 131
2.3. La sublimation du natif et sa place en contexte
étranger albanais : 135
2.4. Compétences linguistiques et construction
identitaire 136
2.5. De l'utilisation de la méthode en classe
137
III/ Bilan et perspectives de l'étude 139
3.1. La langue en débat, un combat
multifactoriel 139
3.2. Perspectives d'action 140
3.2.1. A partir d'une expérience personnelle :
le théâtre, prolongements sur une possible
160
décentration de l'apprentissage conscient
vers le recours à l'action 141
3.2.2. Limites de l'approche 143
3.2.3. Pistes sociodidactiques
144
Conclusion 151
CONCLUSION GENERALE 153
TABLE DES MATIERES 158
LISTE DES TABLEAUX 161
BIBLIOGRAPHIE 162
SITOGRAPHIE 167
TABLE DES ANNEXES I
161
Liste des Tableaux
TABLEAU 1 - DIASPORA ALBANAISE DANS LE MONDE
57
TABLEAU 2 - EFFECTIFS ENSEIGNANTS ET ESTUDIANTINS DANS
LES UNIVERSITES DE LA REPUBLIQUE
SOCIALISTE D'ALBANIE DE 1939 A 1983 (EN MILLIERS) -
67
TABLEAU 3 - NOMBRES D'APPRENANTS DE LA LANGUE
FRANÇAISE EN ALBANIE 104
TABLEAU 4 - NOMBRE D'ETUDIANTS DIPLOMES AU NIVEAU BAC
+ 3 PAR ANNEE, PAR LANGUE ET PAR
UNIVERSITE (2005-2009) - SOURCE : INSTAT, 2012
115
TABLEAU 5 - « LA TECTONIQUE DES SAVOIRS EN
DIDACTIQUE DES LANGUES ET DES CULTURES », 149
162
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consulté le9 août 2014
V
Véronique, D. (1998). Les politiques linguistiques,
mythes et réalités, sous la dir. de Caroline Juillard, Louis-Jean
Calvet. Langage et Société,
85(1), 107-111. URL =
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Vial J. (1978) Notes de synthèse : Histoire de
l'éducation et de la pédagogie. In: Revue
française de pédagogie. Volume 42, 1978. pp. 93-105. url :
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Consulté le 23/06/2014
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177
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albanais: enjeux et perspectives. In Actes du 1er Congrès
International hispano-albanais : département philologique international,
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Université de Tirana, Albanie: Université du Roi Juan Carlos.
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W/X
Wilmart, M. (2008), « Indifférence,
tolérance et albanité », Le Courrier des pays de l'Est 3/
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Consulté le 12/08/2014
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sections d'excellence, conduites dans des conditions difficiles.
Association pour le développement de l'enseignement
bi-plurilingue. URL =
http://www.adeb.asso.fr/albanie.ph,
consulté le 16/02/2014
I
Table des Annexes
ANNEXE 1 - BIBLIOGRAPHIE AMIS DE L'ALBANIE II
ANNEXE 2 - DIALECTES ALBANAIS DANS LES BALKANS ET AIRE
GEOGRAPHIQUE DES TERRITOIRES
ILLYRIENS III
ANNEXE 3 - CHRONOLOGIE GENERALE DE L'ALBANIE IV
ANNEXE 4 - ASPIRATIONS EUROPEENNES DES BALKANS EN 1912 IX
ANNEXE 5 - STRUCTURE ET ORGANISATION DE L'ECOLE EN REPUBLIQUE
SOCIALISTE D'ALBANIE X
ANNEXE 6 - STRUCTURE PROPOSEE POUR L'ORGANISATION DES
PROGRAMMES DANS LES INSTITUTIONS
DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ALBANAIS XI
ANNEXE 7 - GEOGRAPHIE DE LA FRANCOPHONIE EN ALBANIE XII
ANNEXE 8 - CHIFFRES DE L'APFA (2013) XII
ANNEXE 9- INTERVIEW INFORMATEUR 01-H XIV
ANNEXE 10 - INTERVIEW INFORMATEUR 02-I XXII
ANNEXE 11 - INTERVIEW INFORMATEUR 03-R XXXI
ANNEXE 12 - INTERVIEW INFORMATEURS 04-G & E XXXVIII
ANNEXE 13 - INTERVIEW INFORMATEUR 05-F XLI
ANNEXE 14 - INTERVIEW INFORMATEUR 06-R & FJ XLV
ANNEXE 15 - INTERVIEW INFORMATEUR 07-ED XLVIII
ANNEXE 16 - QUESTIONNAIRE DE DEBUT D'ANNEE LIV
ANNEXE 17 - RESULTATS DU QUESTIONNAIRE SUR UNE CLASSE DE 28
ELEVES LV
II
Annexe 1 - Bibliographie amis de l'Albanie
A partir de la lecture de « Pont entre deux rives, Albanie -
France », essai de Luan Rama, ed. SDE (2005), 527 p.
Apollinaire, G. (1916). « L'Albanais » in
Le Poète assassiné. Gallimard, Paris.
En référence à son ami Faik Konica (intellectuel et
politicien albanais).
Boué, A. (1840) Recueil d'itinéraires
ou la Turquie d'Europe. Arthus Bertrand, Paris. (ouvrage de
géologie, rapportant également l'histoire de l'Albanie et de
larges descriptions ethnographiques). Disponible sur :
https://archive.org/details/laturquiedeurop02bougoog
Byron, L. (1812-18) Le Pèlerinage de Childe
Harold. (deux premiers chants). Première publication
française (1828, Delangle frères).
Delavardin, J. (1576) Histoire de Georges Castriot,
surnommé Scanderberg, roy d'Albanie. Paris, G.
Chaudière.
Hugo, V. (1829) Les Orientales.
Paris (en hommage au guerrier Botzaris qui a combattu aux
côtés de l'armée grecque pour l'indépendance du
pays.
Lamartine, A. (1853-4). Histoire de la Turquie.
Paris. (Il y décrit les soldats albanais,
passionnés de liberté et de gloire)
Pouqueville, F. (1805), Voyage en Morée,
à Constantinople, en Albanie et dans plusieurs autres parties de
l'Empire ottoman pendant les années 1798, 1799, 1800 et 1801.
Gabon (Paris), en trois volumes, disponible à la BNF,
n° : FRBNF31143911, Consul de France dans une province albanaise du Nord
de la Grèce, à Janina.
Starova, L. (1998) Faik Konitza et Guillaume
Apollinaire : une amitié européenne. L'Esprit des
Péninsules, Paris.
Yourcenar, M. (1938) « Le lait de la mort » in
Nouvelles Orientales. Gallimard, Paris. (en
référence à la légende de Rozafa au Nord du pays,
après que l'auteure a traversé le pays).
III
Annexe 2 - Dialectes albanais dans les Balkans et aire
géographique des territoires
illyriens
Platon, A. (2014, August 17). Liguistic map of Albanian
languages. Retrieved from
http://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Languages_of_Albania&oldid=621603397
Aire géographique des Illyriens en Europe. (n.d.).
Retrieved from
http://www.fjala.info/2014/iliret_epirotet_thesalia_dhe_viset_tjera_pellazge.jpg
IV
Annexe 3 - Chronologie générale de
l'Albanie
Sélectionnée à partir de :
- l'oeuvre de Gérard Jandot (2000 [1994]),
L'Albanie d'Enver Hoxha, L'Harmattan, 384 p. -
Universalis, « ALBANIE - Chronologie (1990-2008) »,
Encyclopædia Universalis [en
ligne], consulté le 28 juin 2014. URL :
http://www.universalis.fr/encyclopedie/albanie-
actualite-1990-2008/
IIème millénaire av JC
|
Les Illyriens s'établissent dans les Balkans
|
Début IVè siècle av JC
|
Développement d'agglomérations fortifiées en
Illyrie
|
229-168 av JC
|
Guerres illyro-romaines
|
148 av JC
|
Pays illyriens partagés entre l'Illyricum au Nord et la
Macédoine au Sud
|
10 ap JC
|
L'Illyricum est partagé en deux provinces
|
529-568
|
Invasions successives en Illyrie
|
1043
|
Mention des Albanoi par Michel
Attaliate (haut fonctionnaire byzantin dont l'oeuvre L'Histoire
fournit de nombreux renseignements vis-à-vis de la
situation politique, économique et religieuse de l'époque).
|
1190
|
Création de la principauté d'Arbanie, capitale :
Kruja
|
1216-
1272-
1385
|
L'Albanie passe sous le despotat d'Epire / puis sous la
souveraineté de Charles Ier d'Anjou, roi de Sicile et d'Albanie / et
enfin sous la suzeraineté directe du Sultan
|
1443
|
Reprise de Kruja par Skanderbeg
|
1444
|
Assemblée à Lezha de seigneurs albanais
|
1444-
1450
|
Victoires successives de Skanderbeg contre les Ottomans
|
1468
|
Mort naturelle de Skanderbeg
|
1479
|
Espace albanais divisé entre les Vénitiens et les
Turcs
|
1506
|
Domination ottomane sur toute la région,
concédée à des pachas locaux
|
1555
|
Premier ouvrage rédigé en albanais par Gjon
Buzuku
|
1854
|
Création de la première Association
culture albanaise à Budapest avec le projet de
créer des écoles albanaises 4 échec
|
1864
|
Tentative de création d'une association culturelle
albanaise à Constantinople pour asseoir l'identité albanaise dans
l'Empire Ottoman et relever le statut de l'albanais de dialecte à langue
4 échec.
|
1872
|
Première traduction du Nouveau Testament en albanais par
Kostandin Kristoferidhi
|
1877-78
|
Crise balkanique, traité de San Stefano puis de Berlin
|
1878 (juin)
|
Création de la ligue de Prizren
|
1881
|
Dissolution de la ligue par les troupes turques
|
1887
|
Ouverture à Korça de la première
école en langue albanaise
|
1899
|
Sami Frashëri publie L'Albanie, son
passé, son présent, son avenir
|
1908
|
Congrès de Manastir, création d'un alphabet
adapté à la langue albanaise
|
1912
|
Déclaration de l'indépendance de l'Albanie à
Vlora par Ismail Qemal Bej, qui forme
|
V
(nov.)
|
un gouvernement provisoire.
|
1912 (déc.)
|
Conférence de Londres reconnaît
l'indépendance de l'Albanie, mais attribue des territoires albanais aux
pays voisins. Se sentant sous soutien des grandes puissances, Ismail Qemal Bej
démissionne et part vivre à Nice.
|
1914 (mars)
|
Désignation du prince allemand de Wied à la
tête du gouvernement albanais, capitale à Durrës
|
1914 (sept.)
|
William de Wied fuit l'Albanie. Créations de trois
provinces indépendantes autoproclamées.
|
1914-18
|
L'Albanie est occupée par les forces alliées
|
1918
|
Conférence de paix à Paris à laquelle Ismail
Qemal Bej est élu et envoyé par les Albanais des Etats Unis
(fédération Vatra) pour
représenter l'Albanie. Un an plus tard, il est assassiné en
Italie à quelques heures de tenir une conférence en faveur du
respect des frontières albanaises.
|
1919
|
L'Italie obtient un mandat sur l'Albanie
|
1920 (février)
|
Assemblée nationale à Lushnja, nomination d'un
haut conseil de régence. Capitale à Tirana
|
1920 (déc.)
|
Entrée de l'Albanie à la SDN grâce à
Fan Noli, désigné dirigeant de la diaspora albanaise après
la création de la fédération Vatra
(Association de protection des droits des Albanais aux Etats
Unis)
|
1921 (nov.)
|
L'Italie reçoit le soin exclusif de maintenir
l'intégrité territoriale du pays
|
1924
|
Episode démocratique avec Fan Noli, évêque
orthodoxe, délégué albanais à la SDN
|
1925 (janv.)
|
Proclamation de la République albanaise
avec Ahmet Zogu à la présidence. La constitution
est calquée sur celle des Etats Unis
|
1927
|
Zog signe un pacte d'assistance mutuelle offensive et
défensive avec l'Italie pour 5 ans, traité de Tirana
|
1928 (août- sept.)
|
Nouvelle constitution, abolition du sénat, proclamation de
la royauté, Zog roi d'Albanie
|
1934
|
Zog doit céder devant la pression économique et
militaire italienne, l'Albanie redevient un espace économique italien
|
1939 (mars)
|
Débarquement italien en Albanie, occupation du pays en 6
jours
|
1939 (avril)
|
L'ambassadeur italien à Tirana est nommé
vice-roi
|
1939 (juin)
|
L'Albanie devient « monarchie constitutionnelle
héréditaire au sein de la Maison de Savoie »
|
1941 (oct.)
|
Manifestation à Tirana. Enver Hoxha passe dans la
clandestinité
|
1941 (nov.)
|
Création du Parti Communiste albanais avec Enver Hoxha
à la tête du comité central provisoire
|
1943
|
Première conférence nationale du PCA à
Labinot
|
1943 (sept.)
|
Les Allemands proclament l'indépendance de la
Grande Albanie (incluant l'Epire et le Kosovo)
|
1944 (mai)
|
Création du Comité antifasciste de
Libération nationale, Enver Hoxha en prend la tête
|
1944 (oct.)
|
Gouvernement démocratique de l'Albanie dirigée par
Enver Hoxha. Les « Conseils de libération nationale »
deviennent organes exclusifs du pouvoir
|
1944 (nov.)
|
Les derniers Allemands quittent le pays
|
VI
1945
|
Staline reconnaît le gouvernement communiste albanais
|
1946
|
L'Albanie République populaire, Enver Hoxha chef du
gouvernement pendant 7 quinquennats (jusqu'en 1985, sa mort)
|
1946 (nov.)
|
Convention économique albano-yougoslave
|
1947 (juillet)
|
Début des relations étroites avec Moscou
|
1947 (déc.)
|
Traité d'amitié et de coopération
albano-bulgare
|
1948 (mai / juin)
|
Tito accusé de « nationalisme » par Moscou /
communiqué officiel du PC albanais contre le PC yougoslave
|
1948
|
Rupture des relations diplomatiques entre Tirana et Belgrade,
exécution de Koçi Xoxe (ministre de la Défense albanais
qui entretenait des relations amicales avec Tito)
|
1955
|
L'Albanie admise à l'ONU
|
1956
|
Rapprochement Tirana-Pékin
|
1957
|
Début de la rupture Hoxha-Khrouchtchev
|
1960
|
A la seconde conférence de Moscou, Hoxha dénonce le
révisionnisme du PC de l'URSS
|
1961 (avril)
|
Accord commercial albano-chinois, début de l'aide
chinoise, économique et technique
|
1961 (déc.)
|
Rupture des relations diplomatiques entre Moscou et Tirana
jusqu'en 1990.
|
1964
|
Dénonciation de l'attitude chinoise, « erronée
» par trop « d'attentisme »
|
1967 (février)
|
Lancement de la révolutionnarisation,
et ouverture de la lutte contre les religions
|
1967 (oct.)
|
Les intellectuels et les scientifiques sont mobilisés pour
coopérer à l'élaboration de
matériaux confortant les positions politiques
du Parti. Les écrivains sont mis à contribution (dont Kadare)
|
1968
|
Projet de révolutionnarisation
de l'enseignement
|
1969
|
Adoption de la réforme de l'éducation nationale,
mélange de marxisme-léninisme et d'albanisation
(appui sur le patriotisme albanais)
|
1971
|
Violente dénonciation de la visite de Nixon en Chine,
début tangible du différend entre Tirana et Pékin
|
1973
|
Accentuation de l'image de la citadelle isolée
dans les discours et dans la littérature (Kadare :
La Citadelle, 1970)
|
1974
|
Les écrivains et les artistes oeuvrent pour
l'éducation communiste (Kadare, Le grand
hiver, 1974)
|
1976
|
Discours très vif contre Mao-Tsédong,
qualifié d'opportuniste et de
balliste (nationaliste)
|
1977
|
Début de l'isolement politique : dénonciation de
l'impérialisme, du révisionnisme, de
l'opportunisme...
|
1978
|
Décision chinoise : rappel des experts, fin de l'aide
à l'Albanie
|
1981
|
Echec perceptible de la nouvelle politique agricole
|
1981
|
Exclusion de Mehmet Shehu, remplacé par Ramiz Alia,
renforcement du Parti et de la Sigurimi,
réaffirmation de la pureté politique,
de la volonté d'exemplarité, et de l'appui sur l'espace
albanais
|
1982 (janv.)
|
Accentuation de l'effort de défense (édification de
blockhaus)
|
1982
|
Crise de subsistance au sortir de l'hiver
|
VII
(avril)
|
|
1983 (février à avril)
|
Nouvelle crise de subsistance, carences en approvisionnement
alimentaires et en bois de chauffage (transports mal organisés)
|
1984 (mars)
|
Nouvelles difficultés alimentaires
|
1984 (mai)
|
Reprise des relations amicales avec la Grèce, et projet de
réouverture de la frontière
|
1985 (avril)
|
Mort d'Enver Hoxha. Ramiz Alia est désigné
successeur.
|
1990 (juillet)
|
les milliers d'Albanais qui avaient trouvé refuge dans
l'enceinte des ambassades étrangères sont autorisés
à quitter le pays / reprise des relations diplomatiques avec l'URSS
rompues depuis 1961
|
1990 (déc.)
|
manifestations d'étudiants à Tirana, ils
réclament des réformes / Ramiz Alia autorise la création
d'autres formations politiques / création du Parti Démocratique
albanais / déstalinisation décrétée par le
gouvernement
|
1991 (février)
|
dizaines de milliers de manifestants renversent la statue d'Enver
Hoxha sur la place Skanderbeg à Tirana
|
1991 (mars)
|
premières élections multipartites depuis 1945
confirment la majorité du Parti du Travail Albanais / reprise des
relations diplomatiques avec les Etats Unis rompues depuis 1939.
|
1991 (juin)
|
Le Parti du Travail se transforme en Parti Socialiste
|
1991 (août)
|
l'Italie renvoie deux cargos chargés de milliers
d'albanais. En un an, 20.000 Albanais ont déjà réussi
à débarquer en Italie.
|
1992 (février)
|
émeutes de la faim, port de Durrës fermé par
la police pour essayer de contenir l'afflux de candidats à l'exil vers
l'extérieur du pays
|
1993 (juin)
|
le gouvernement grec renvoit 23.000 travailleurs albanais
à la frontière suite à une tension entre les deux pays.
|
1995
|
l'Albanie est considérée par le FMI comme l'ancien
pays communiste d'Europe où la transition libérale est la plus
rapide. Taux de chômage cependant élevé (20%) / l'Albanie
devient membre à part entière du Conseil de l'Europe.
|
1996
|
élections législatives albanaises
controversées, le Conseil de l'Europe demande la suspension de toute
relation entre l'UE et l'Albanie jusqu'à l'organisation de nouvelles
élections démocratiques
|
1997 (janv.)
|
faillite de sociétés d'usure à structure
pyramidale qui provoque la ruine de nombreux petits épargnants,
président Berisha mis en cause
|
1997 (mars)
|
Berisha réélu à la présidence /
développement des violences au Sud du pays qui se propagent dans tout le
pays / évacuation des Occidentaux / mesures d'apaisement peu fructueuses
et tentative de collaboration avec les délégués de
quatorze villes rebelles du Sud / l'OSCE envoie 5000 soldats sous commandement
italien pour assurer la sécurité du pays
|
1997 (avril)
|
intervention de l'ONU, 1600 morts déplorés par ce
qui est devenu une guerre civile / mise en place de convois alimentaires
|
1997 (juillet)
|
élections législatives majoritairement
remportées par le Parti Socialiste, Berisha démissionne par refus
de collaborer avec l'opposition, Rexhep Mejdani nommé président
et Fatos Nano Premier Ministre (démission deux semaines plus tard)
|
1997 (ov.)
|
élection de la nouvelle Constitution
présentée par le gouvernement socialiste avec 50% de
participation aux suffrages (appel au boycottage du référendum
par le PD de l'ancien président Berisha) / sommet organisé
à Héraklion où plusieurs chefs
|
VIII
|
d'Etats des Balkans s'engagent à respecter
l'inviolabilité des frontières, l'intégrité
territoriale des Etats et le règlement pacifique des
différends.
|
1997 à
|
instabilité au poste de Premier Ministre, dont le mandat
de quatre ans n'est jamais
|
2005
|
accompli
|
|
Le FMI déplore les événements politiques et
observe un développement de la corruption qui entrave le redressement de
l'économie. Le pays subsiste
|
1998
|
principalement grâce aux transferts de capitaux en
provenance de la diaspora et de l'économie parallèle.
|
1999
|
Guerre au Kosovo, des milliers de réfugiés arrivent
en Albanie
|
2001
|
rétablissement des relations diplomatiques avec la
Yougoslavie rompues en 1999.
|
2003
|
négociations entre l'Albanie et l'UE en vue de la
conclusion d'un accord d'association et de stabilisation, première
étape du processus d'adhésion.
|
|
Sali Berisha (Parti Démocratique) devient Premier Ministre
de l'Albanie (deux
|
2005 -
|
mandats de 4 ans consécutifs), succédant à
Fatos Nano, ancien dirigeant de l'ère
|
2013
|
communiste.
|
2006
|
signature entre l'Albanie et l'UE d'un accord de stabilisation et
d'association, prélude à une éventuelle adhésion du
pays à l'UE
|
2007
|
George W Bush devient le premier président
américain à effectuer une visite officielle en Albanie (plusieurs
routes porteront son nom)
|
2008
|
signature des 26 pays membres de l'OTAN pour permettre
l'adhésion de l'Albanie effective en 2009.
|
|
Edi Rama (Parti Socialiste) remporte les élections
législatives et devient Premier
|
|
Ministre de l'Albanie, Ilir Meta (Lëvizja Socialiste
për Integrim : Mouvement
|
2013
|
Socialiste pour l'Intégration)
à la tête de l'Assemblée. Un gouvernement majoritairement
de gauche gouverne l'Albanie pour la première fois depuis 2005.
|
2014
|
L'Albanie reçoit le statut de candidat à
l'adhésion à l'UE, c'est sa quatrième
|
(juin)
|
demande officielle.
|
IX
Annexe 4 - Aspirations européennes des Balkans
en 1912
Weinreb, T. (1914). Aspirations irrédentistes dans les
Balkans 1914. Retrieved from
http://fr.wikipedia.org/wiki/Albanie#mediaviewer/Fichier:Territorial_aspirations_of_t
he_Balkan_states,_1912.jpg
X
Annexe 5 - Structure et organisation de l'école en
République Socialiste d'Albanie
Âge
|
Niveau de formation
|
Classe
|
Niveau de formation
|
Classe
|
|
|
|
Spécialisation postuniversitaire
|
Durée de formation variant de 1 à 3
ans, formation continue pour les cadres supérieurs. Auprès
des écoles supérieures ou instituts de recherche.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
23
|
Enseignement supérieur
|
Formation initiale
dit `régulière'
|
5èmeannée
|
Formation initiale `pour travailleurs' (pour ouvriers et
paysans)
|
5èmeannée
|
|
|
22
|
4ème année
|
4ème année
|
|
|
21
|
3ème année
|
3ème année
|
|
|
20
|
2ème année
|
2ème année
|
|
|
19
|
1ère année
|
1ère année
|
|
|
18
|
Enseignement
|
Général
|
Stage de travail en production obligatoire pour rentrer
dans l'enseignement supérieur
|
Professionnel
(écoles pédagogiques, techniques ; domaines
de l'agriculture, de l'économie, des arts...)
|
Année de spécialisation pour ouvriers
et coopérateurs
|
|
17
|
Classe XII
|
Classe XII
|
secondaire obligatoire :
|
16
|
Classe XI
|
Classe XI
|
général ou professionnel
|
15
|
Classe X
|
Classe X
|
Ecoles inférieures de formation
technico-
|
2ème année
|
14
|
Classe IX
|
Classe IX
|
professionnelle : de 1 à deux ans
|
1ère
année
|
13
|
Enseignement général de huit ans
obligatoire
|
Cycle 2
|
Classe VIII
|
|
|
12
|
Classe VII
|
|
|
11
|
Classe VI
|
|
|
10
|
Classe V
|
|
|
9
|
Cycle 1
|
Classe IV
|
|
|
8
|
Classe III
|
|
|
7
|
Classe II
|
|
|
6
|
Classe I
|
|
|
3 - 5
|
Enseignement préscolaire
|
non obligatoire en maison ou jardin d'enfants
|
|
|
XI
Annexe 6 - Structure proposée pour l'organisation des
programmes dans les institutions de l'enseignement supérieur albanais
Issu du rapport d'observation 2014 en vue de la réforme de
l'enseignement supérieur albanais, p. 44, source :
http://www.arsimi.gov.al/files/userfiles/reformaalksh/Raport
Ministria Arsimit.p df
Annexe 7 - Géographie de la Francophonie en
Albanie
· Pogradec
· Gramsh
· Kuçave
· Berat
KOSOVO
Bajram Curri
Fierzë Krumë ·
· Shkodër
· · · · Puke
- Kukës
Koplik
ALBANIE
MONTÉNÉGRO
· Rreshen
Peshkopi
a
· LA Krujë ·
· Shijak
Durrës° · 1111
TIRANA
· ·Libraz
Kavajë
· Prgin Elbasan
· Cërrik · · ·
ANCIENNE RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE
DE MACÉDOINE
Lezhë
· Burrel
· Bulgizé
· Orikum Himarë
Korçë ·
Çorovodë · ·S
Ersekë
·
.Permet
Gj irokastër ·
Biis~t
Tepelenë
GRÈCE
`~Q ·
·Delvi
5D km
CDC Carto 11-06-2012
·
Lushnjë
Fier ·
·
· Patos · Ballsh
Vlorë.
Légende (2014)
· - section bilingue
· - département de françai<
universitaire Spécifique â Tirana :
· - Alliance Française - lycée
privé franco-
- Antenne AF albanais Ernest Koliqi
- AF ou antenne â venir - école
homologuée
- NECAL, camps d'été française
(EFT)
- Ambassade de France
s- présence stagiaire / VI
français
- siège APFA
XIII
Annexe 8 - Chiffres de l'APFA (2013)
Classe et
équivalent français
|
Nb élèves :
français 1ère
LE
|
Zones rurales
|
Nb d'élèves :
français 2ème
LE
|
Zones rurales
|
III / CE2
|
4143
|
1962
|
|
|
IV / CM1
|
4380
|
2096
|
|
|
V / CM2
|
4308
|
2010
|
|
|
VI / 6ème
|
5471
|
3512
|
7943
|
432
|
VII / 5ème
|
5160
|
3444
|
7620
|
1609
|
VIII / 4ème
|
5246
|
3374
|
7306
|
1469
|
IX / 3ème
|
6136
|
3894
|
6635
|
1453
|
Situation du français dans l'enseignement
primaire en Albanie
Classe et
équivalent français
|
Nb élèves :
français 1ère LE
|
Zones rurales
|
Nb d'élèves :
français 2ème LE
|
Zones rurales
|
X / 2nde
|
4620
|
1910
|
3844
|
991
|
XI / 1ère
|
4695
|
2104
|
4020
|
835
|
XII / Tle
|
4723
|
2253
|
2854
|
665
|
Situation du français dans l'enseignement
secondaire général en Albanie
Classe et
équivalent français
|
Nb élèves :
français 1ère LE
|
Zones rurales
|
Nb d'élèves :
français 2ème LE
|
Zones rurales
|
X / 2nde
|
5093
|
0
|
1255
|
0
|
XI / 1ère
|
439
|
0
|
879
|
70
|
XII / Tle
|
426
|
0
|
686
|
0
|
XIII (dernière classe à la fin de l'année
scolaire 2012-3)
|
390
|
0
|
412
|
0
|
Situation du français dans l'enseignement
secondaire professionnel en Albanie
XIV
Annexe 9- Interview informateur 01-H
Note de lecture : 1 personne interviewée. Les
questions posées par l'enquêteur sont en italique et les
réponses formulées par l'informateur en caractères
standards.
Profil de l'informateur :
Profession : enseignant masculin
Lieu d'activité : enseignement public universitaire et
réseau associatif
Expérience à l'étranger : en France, M1 DFLE
avec bourse
Formation initiale : sous le communisme
Contexte d'entretien : j'étais initialement
partie de l'hypothèse qu'il y avait une baisse d'intérêt
pour les langues étrangères avant de déporter mon
attention sur ce qui est fait des langues étrangères et la
conséquence de la vision projetée sur les langues
étrangères par les institutions albanaises et la
conséquence de ces représentations sur celles des locuteurs.
Cet entretien a été retenu parce qu'il est le
plus représentatif vis-à-vis de la place des langues
étrangères sous le communisme.
Interviewer : Amélie Gicquel
Prise de notes avant enregistrement :
1. « A l'époque, la seule école des langues
étrangères était à Tirana. »
2. « Seuls les enfants des familles aisées
avaient accès à cette école, cela signifie que leurs
parents devaient occuper des postes importants ».
3. « Les langues étrangères ne sont plus
vues comme un ornement ».
4. « Il faut voir les disciplines universitaires selon
le travail qu'elles offrent ensuite. Et l'anglais domine parce que c'est une
langue qui est largement demandée par les entreprises albanaises
».
5. « Après la chute du communisme, les profs
étaient très mal payés. Pour subvenir aux besoins de leur
famille, les hommes changeaient de travail. Ca a provoqué une
dévalorisation de la profession d'enseignant, il n'y avait plus aucun
intérêt à devenir prof ».
6. « Connaître une langue n'est pas une profession
».
7. « On trouve dans les lycées
généraux des élèves qui sont meilleurs qu'au
lycée des langues ».
8. « Maintenant, on peut trouver des jeunes qui parlent
très bien français ».
9. « En tant que profs, on attend des jeunes qui sont
motivés, mais ils ne sont pas bêtes ! Ils savent que leurs
connaissances linguistiques et langagières, bonnes ou mauvaises, ne leur
donneront aucun avenir, alors pourquoi se fatiguer ? »
10. « Va dans une école et demande à un
prof de français de donner leur avis vis à vis de la promotion et
de la diffusion des langues, ils diront que c'est à cause de la
politique. Mais demande-leur ensuite s'ils préfèrent si leur
enfant étudie le français ou la médecine. Ils vont tous
répondre médecine ! »
11. « S'il y avait plus de postes d'enseignants, il y
aura un plus grand intérêt ».
12.
XV
« Objectivement, on apprend le français pour avoir
un travail, lequel ? Ca peut être prof, interprète, dans une
association, dans une entreprise. Mais il y a très peu de travail dans
ces domaines là avec la langue française. »
13. « Les étudiants étudient le
français pour avoir un diplôme, c'est tout ».
14. « Il y a peu de demandes pour le français
pour des raisons économiques ».
15. « L'Italie, c'est différent, parce que c'est
comme un second pays, surtout pour des raisons d'émigration.
Après, le nombre de demandes d'études pour l'Italie a
certainement dégringolé depuis la libre circulation. Avant, on
demandait à aller étudier en Italie pour émigrer, et on
allait en cours que les deux premiers jours. Maintenant, on peut
légalement rester 3 mois en Italie sans papier particulier. »
16. « Quelle différence entre l'Italie et la
France, il y a plus de familles en Italie. Pour quelles raisons les
étudiants choisissent telle ou telle université ? Raisons
économiques et proximité familiale, que ça soit en Albanie
ou à l'étranger ».
17. « L'Albanie, c'est un petit pays. C'est
l'économie du marché qui dicte le choix de ses études
supérieures maintenant ».
Entretien enregistré :
18. Et où est-ce que tu pouvais apprendre le
français tout seul à l'époque ?
19. Je ne sais pas. Ils lisaient des livres en cachette. De
toute façon, ce n'était pas la langue parlée qu'on
apprenait. C'était la langue des livres...
20. Oui j'ai entendu une interview d'Edi Rama sur
France Inter et il parle très bien français ! Très bon
francophone.
21. Ah oui oui, il parle très bien italien, anglais,
français. Comme personne, il est super.
22. Comme linguiste ?
23. Non non, mais même comme artiste, c'est la personne
qui parle le mieux.
24. Le meilleur orateur ?
25. Le meilleur orateur. Donc c'est vraiment quelqu'un.
Après, au niveau... En tant que Premier Ministre, moi je ne sais pas.
26. C'est une autre question.
27. On va voir.
28. Mais justement, dans cette interview
où Edi Rama passe sur France Inter, il disait qu'il avait appris le
français en lisant.
29. Tout le monde faisait ça. A l'école aussi !
Qu'est-ce qu'on faisait ? On lisait un texte, on apprenait les mots nouveaux.
Voilà, on expliquait les mots. Voilà, mais après, on ne
pouvait pas construire une phrase exacte ! A propos du texte, tu pouvais
répondre très bien. A propos des personnages...
« Qu'est-ce que Monsieur Dupont fait ? » «
Monsieur Dupont monte dans sa voiture. »
« Est-ce qu'il a des enfants ? » « Oui, il a deux
enfants »
« Comment il s'appelle ? » « Il s'appelle...
»
XVI
Mais après, au moment où on se mettait en face
d'un Français, c'était autre chose. On ne pouvait pas !
C'était interdit. Ne pas parler à un étranger.
30. Ouais, j'ai lu un livre là dessus. Des
Français qui vivaient en Albanie en 1976 et qui étaient
constamment suivis par la police secrète, pas du tout
discrète.
31. En plus, c'est une période, vraiment, de
transition. On ne peut pas vraiment créer d'idée...
32. Oui, c'est ce que je pense aussi, ce qui me
provoque certaines difficultés.
33. On peut faire des hypothèses, mais on ne peut
pas... Je pense que c'est instable.
34. Après, j'avais aussi une
hypothèse, c'était qu'avant, on apprenait une langue
étrangère... après la chute du communisme, je veux dire.
On apprenait une langue étrangère pour se donner la chance
d'aller à l'étranger, ou de se permettre de rêver qu'on
irait à l'étranger. Alors que maintenant, est-ce qu'on n'en est
pas à un moment donné où les Albanais se disent «
Développons un peu l'Albanie ». « Permettons à nos
enfants d'étudier des sciences comme l'économie, comme la
médecine, comme le droit. Laissons les développer notre pays
plutôt de laisser fuir nos jeunes. »
35. Non, je ne pense pas. Nos jeunes n'étudient pas
l'économie pour changer l'économie, mais parce que c'est ce
qu'ils veulent faire. Tu vois, tu as mon exemple. Mon fils pouvait très
bien venir faire des études de français à Elbasan.
Pourquoi il n'est pas venu ? Là, il avait toutes les facilités !
J'étais là, je pouvais l'aider, je pouvais lui faire ses devoirs,
ses essais. Lui mettre des 10 partout. Pourquoi il fait ça ? Il est
à Tirana et il fait de l'économie parce que je pense qu'il a de
l'avenir et lui, il pense que c'est la profession qu'il veut faire.
36. Ouais, mais prof, tu ne serais pas un cas
particulier ? Tu as eu la chance de faire des hautes études, tu es quand
même intéressé par un certain niveau intellectuel, je veux
dire. La classe à laquelle tu appartiens est finalement assez
réduite en Albanie, non ?
37. Même les plus...
38. Les plus modestes ?
39. Les meilleurs étudiants ne viennent pas des
familles aisées.
40. Non, c'est vrai, mais je ne pensais pas
à l'argent, je pensais plutôt au niveau
intellectuel.
41. Etre intellectuel, c'est un peu par hasard. Tout
commence... Parce que moi, je suis intellectuel de l'époque d'Enver
Hoxha. Il fallait être brave à l'âge de 14 - 18 ans. C'est
là. Si tu ne travailles pas à cet âge-là, tu ne
pouvais pas devenir intellectuel, parce qu'à partir de la moyenne, on
choisissait d'abord si on voulait faire des études supérieures ou
pas.
42. Des études à
l'université, je comprends bien ?
43. Oui.
44. Mais alors juste une question, un
détail... L'école était obligatoire jusqu'à la fin
du lycée ?
45. Non, c'est l'école de huit ans qui était
obligatoire. Et la plupart des gens allaient au lycée. Pour pouvoir
aller à l'université, il fallait avoir une bonne moyenne.
XVII
Mais c'était à l'âge de l'adolescence. Pas
tout le monde, pour des raisons de famille, des raisons psychologiques,
voilà... Mais si tu ne pouvais pas faire des études
supérieures, tu allais travailler dans une fabrique, dans une usine, ou
ailleurs. Un hasard. Parce que par hasard, moi j'étais appliqué,
psychologiquement, j'étais capable de faire des études et
d'apprendre bien. Dans une famille, s'il y avait plusieurs enfants qui avaient
fait des études supérieures... donc si mon frère avait
fait ingénieur, moi, je n'avais pas le droit de faire des études,
d'avoir une bourse d'études.
46. C'est le gouvernement qui décidait de
ça ?
47. Oui oui ! Enfin, ce n'était pas une loi
écrite comme ça, mais si pour devenir médecin, à
l'Université de Tirana, il y avait 5 places, admettons. Il y avait 10
demandes, alors, si moi j'avais un frère qui avait fait des
études, moi j'aurais été le premier exclu. Parce que les
autres n'avaient pas cette situation. Il y avait ceux qui n'avaient pas une
bonne biographie. Mon frère, ou mon père avait fait 5 ans de
prison, alors moi, j'aurais été exclu. Donc, la différence
que j'ai avec un autre...
48. / L'interviewé répond au
téléphone/
49. ...Donc voilà. Le désir, la capacité
de transmettre aux enfants la volonté d'aller à l'école
est la même. Si j'envoie mon fils à Tirana, il fera la même
chose avec ses enfants. Donc, il ne faut pas être intellectuel pour
comprendre que c'est mieux de devenir ingénieur...
50. Non, c'est sûr ! Certes
!
51. C'est mieux que de devenir prof de français dans
un village. Mais je dis prof de français, mais prof d'autre chose...
52. Ou prof de quoique ce soit... Moi je ne
décroche pas, quand même... Je garde toutefois l'idée qu'il
y a un désintérêt grandissant pour les langues
étrangères.
53. Non. Tu me dis les langues étrangères...
?
54. C'est ce que tu disais avant, un «
ornement ». Celui qui allait à l'Université des
Facultés Etrangères, c'était un ornement.
55. Il y a 20 ans, celui qui est allé à
l'étranger, c'était un extraterrestre. Même s'il y allait
deux jours. Les chauffeurs des camions, parce qu'il faisait l'import / export
des produits albanais, ils avaient plus de prestige que les professeurs, parce
qu'il allait à l'étranger ! Le fait d'aller à
l'étranger, c'était quelque chose, donc c'était pareil
pour les langues étrangères. Ca n'existe plus. Quelquefois,
ça prend des connotations négatives. « Lui, il est
allé en Grèce... » La Grèce, tout le monde va en
Grèce. Donc personne ne peut se vanter, même si tu es avec des
villageois... « Bah, je suis allé à Paris pendant trois
mois... » Aujourd'hui, passer un séjour à l'étranger,
ce n'est pas quelque chose d'exceptionnel. Maintenant, parler une langue
étrangère, c'est quelque chose de très normal. Est-ce que
tu sais combien de centres de langues il y a à Elbasan ?
56. Non, mais je me suis posé la question
!
57. On ne peut pas les compter. Enormément. Tout le
monde prend des cours privés. Qu'est-ce que ça montre ? Qu'il y a
une baisse d'intérêt pour les langues étrangères ?
Non. Tout le monde apprend les langues étrangères dans des
cours
XVIII
privés, pas à l'école ! A partir de la
quatrième classe, à partir de 10 ans. Moi, mes enfants, ils ont
fait 5 ans d'anglais, 3 ans de français. Mais tout le monde fait
ça, pas que moi ! Parce que les gens savent aujourd'hui qu'une langue
étrangère est indispensable. Je ne dis pas que le français
est indispensable... une langue étrangère ! Parce que pour
travailler, il faut une langue étrangère, les annonces qui
proposent du français disent qu'il faut telle ou telle langue.
L'ordinateur, tel programme va être en langue étrangère.
58. Donc, moi, je suis contre. J'entends des choses parfois,
je ne peux pas parler, mais souvent, je suis contre tout le monde, mais je ne
dis rien. J'entends que les jeunes d'aujourd'hui, ils n'apprennent pas.
59. C'est ce que j'entends !
60. Pour moi, c'est le contraire.
61. Ils apprennent
différemment...
62. Le meilleur à mon époque, il est moins bon
que le meilleur d'aujourd'hui. ***
63. Oui, c'est ce que tu me disais tout à
l'heure. A l'époque, les élèves étaient
limités à des livres, à des textes, alors qu'aujourd'hui,
ils ont la liberté de se renseigner par eux-mêmes. Il n'y avait
pas de possibilité d'accès à des supports qui auraient
permis aux élèves de l'époque d'en apprendre
plus.
64. Non. A l'époque, on travaillait avec Mauger, qui
était déjà désuet. Maintenant, on trouve des livres
albanais, où les gens ne s'appellent pas Pierre et Paul, mais Sokol,
Arben, etc. Donc, une langue française pour les Albanais. Donc
voilà, je ne sais pas... Moi, je ne comprends pas. Personne n'apprend
les langues étrangères à l'école, en Albanie. Et
ça, je ne comprends pas, vraiment. Donc c'est, c'est nul.
65. Est-ce que ce n'est pas parce qu'aujourd'hui,
on sait tous, plus ou moins, que les profs de langues étrangères
dans les écoles sont mauvais ?
66. Bah c'est pour beaucoup de raisons, pas uniquement... A
cause du nombre d'élèves dans les classes, les méthodes
qui ne sont pas appropriées...
67. Oui, non, c'est sûr qu'on ne peut pas
rejeter toute la faute sur les enseignants !
68. S'il y a un peuple qui veut s'ouvrir sur
l'étranger, c'est le peuple albanais ! C'est normal, le peuple le plus
isolé a le plus grand désir de s'ouvrir ! Et alors ? Pour aller
vers l'étranger, il faut une langue étrangère. Et les
langues étrangères pour les Albanais le français,
l'anglais, l'italien... Le grec, bon, pas besoin de l'apprendre parce qu'on va
travailler, on ne va pas faire des études, déjà, il y a
une communauté albanaise en Grèce qui est importante.
69. / L'interviewé répond au
téléphone/
70. ... Donc voilà, c'est facile, mais c'est difficile
en même temps ! Et puis si tu vas imposer le français dans une
école où les gens ne sont pas du tout intéressés,
ça ne sert à rien, donc on fait le français dans cette
école-là. C'est ça la politique, on fait le
français, mais ils n'ont pas réfléchi à quoi
ça sert le français. Par contre, si on associe deux langues,
qu'à côté de l'anglais, on fait du français,
ça, c'est de la politique, tu vois ? Parce que, qu'est-ce qu'ils vont
faire ? Tu sais ce que les gens ont fait ? Je te montre aussi une chose,
ça peut être intéressant. Ils changent d'école parce
qu'il n'y a pas l'anglais. Voilà, mécontents de ce seul fait, ils
vont dans une autre école. La
XIX
politique doit aider, doit suivre l'intérêt des
gens, un peu. Mais pas imposer, parce que ça va entraîner de la
résistance. On se disputait, moitié anglais, moitié
français. Mais c'était fou, ce n'était pas juste, parce
que tout le monde voulait apprendre l'anglais. Quand je dis moitié,
moitié, c'est que sur 6 classes en première, par exemple, il y
avait 3 qui faisaient le français et 3 qui faisaient l'anglais, pour
garder un équilibre entre les langues et ce n'est pas juste. Ceux qui
faisaient anglais étaient contents et ceux qui faisaient
français, ils étaient mécontents.
71. C'était complètement
arbitraire.
72. Arbitraire, parce que ça allait contre le
désir. Alors une bonne politique, c'est quoi, c'est faire 3 heures
anglais et 2 heures en français. Ceux qui étaient en
première année, peut-être, ils savaient qu'ils allaient
faire un peu plus dans les autres années. On peut résoudre la
politique, les institutions peuvent résoudre le problème. Mais
pour ça, il faut connaître la réalité !
73. Et tu penses qu'ils ne connaissent pas la
réalité, en fait ?
74. Ils ne sont pas sincères. Nous avons toujours eu
des gouvernements et des politiques qui ne sont pas sincères. Tu sais la
dernière, donc la phrase qu'on répète souvent ? « On
a de très bonnes lois qu'on ne respecte pas ».
75. C'est quelque chose que tu entends
?
76. Tout le temps ! C'est un leitmotiv. Pourquoi ? Parce
qu'au moment où ils ont fait la loi, ils n'étaient pas
sincères. Ils ont fait une loi qu'on ne pouvait pas appliquer. Tu sais ?
Ils ont dit pour avoir un Master, il faut avoir le B2. Tous les
étudiants, pour avoir le Master, il faut qu'il ait un niveau...
même pour avoir accès à un Master, il faut le niveau B2 en
anglais.
77. N'importe quel Master ?
78. N'importe quel Master. Obligatoire. Pour avoir un
doctorat, il faut avoir . Qu'est-ce que ça veut dire ? Qui est celui qui
a dit ça ? Est-ce qu'il est sincère ? Est-ce que c'est vrai,
est-ce que c'est juste ? C'est ça qui manque. Parce que moi, je peux
dire, en tant que prof, parce que moi, je sais quelle est la meilleure chose
à faire. Donc si je dis « demain, je veux que vous lisiez tous les
romans de Balzac. » 100 romans. Ce n'est pas faisable ! Même si je
dis « vous allez lire un roman par semaine ». Je ne le dis pas parce
que je sais qu'ils ne le font pas, et ils ne sont pas capables. Alors, c'est
mieux pour le moment de faire une loi qui soit applicable. Ils ne sont pas
sincères !
79. Mais alors, en fait, j'ai pensé
à quelque chose entre temps. Tu me dis qu'il y a cette loi qui exige des
étudiants d'avoir un niveau 82 en Master. Mais quand tu regardes les
lois européennes, les élèves à la sortie du
lycée, normalement, doivent avoir le niveau 82 en langues
étrangères.
80. Oui, mais c'est pareil en Albanie.
81. Eh bien, est-ce que ce n'est pas une
volonté des politiques d'essayer de se mettre à niveau des lois
européennes ?
82. Oui, sûrement. Mais regarde, l'examen pour les
langues étrangères cette année au BAC, ça sera de
niveau A2.
83. Oui, j'ai entendu, A. me l'a
dit.
84.
XX
Mais quoi ? Les programmes institutionnels, faits par les
grands-pères de la méthodologie et de la didactique albanaises
demandent un niveau B2 au lycée. Qu'est-ce qui a changé d'une
année à une autre ? Parce qu'ils ne sont pas sincères par
rapport à la réalité. Ce n'est pas possible. On ne peut
pas demander à nos étudiants de faire des choses qu'ils ne
peuvent pas ou qu'ils ne savent pas faire. Tu sais comment le problème
des langues étrangères à l'école a
été divisé, à Elbasan ? Je te raconte. Tu sais que
le boulevard coupe Elbasan en deux ?
85. Oui, oui.
86. Toutes les écoles qui se trouvent au Nord du
boulevard font anglais, et toutes les écoles qui se trouvent au Sud du
boulevard font du français.
87. C'est vérifié, ça
?
88. Non, mais à 80% ça peut se vérifier.
Ca a été fait comme ça. Une décision,
voilà... On n'a jamais eu de politiques, voilà... Même
à l'époque du communisme, le français était appris
comme première ou deuxième langue, ça ne correspondait pas
vraiment au désir de tout le monde d'apprendre le français.
C'était une obligation. Si tu veux voir vraiment l'intérêt
pour le français, il faut regarder le système privé.
Combien il y a d'élèves qui apprennent le français
à Elbasan, à l'Alliance ? Je te le dis, je connais. L'allemand :
40, grand maximum ; français : 70 ; italien : pareil, comme le
français, même un peu moins, peut-être, anglais, 10 fois
plus. Parce que moi, je connais les centres de langues. Il y en a une
quinzaine, à Elbasan. Parce que c'est aussi politique, l'ambassade
demande auprès du Ministère que le français soit la langue
apprise dans les écoles. Mais pareil font les Allemands, et pareil font
les Italiens.
89. C'est au meilleur offrant.
90. Oui.
91. C'est naturel, c'est humain. Dans l'importe
quelle situation, tu as plusieurs offres, tu vas prendre ce qui te rapporte le
plus. C'est un jeu d'influence.
92. Le système scolaire ne montre pas vraiment, la
réalité, le désir.
93. Parce que donc je suis divisée entre
deux choses. Soit je parle des stratégies et des identités
plurilingues en Albanie...
94. Mais tu as raison, c'est intéressant cette
idée de fragmentation, il faut bien le... Mais quand tu regardes
l'histoire des langues étrangères en Albanie, c'est un peu comme
ça. /L'interviewé mime avec ses mains des blocs
distincts les uns des autres/. Français, anglais,
italien... Ne parle pas de l'italien, personne ne l'apprend à
l'école ! On apprend très peu l'italien à l'école,
tu sais ? Voilà, donc c'est vraiment fragmenté. Donc le russe
disparaît, ensuite c'est l'anglais qui sort. C'est l'italien qui est la
langue la plus parlée, mais qu'on n'apprend le moins à
l'école. Il n'y a pas de suivi. Il y a toujours des blocs, des
étapes. Et dans ce sens, on peut peut-être parler après de
transition, donc d'une étape à une autre.
95. Non, moi, je ne pensais pas au niveau
historique, mais plutôt en synchronie. C'est à dire entre le
niveau micro et le niveau macro, et puis vous entre les
deux...
96. Oui, mais d'où vient cette fracture ? Ca vient
aussi un peu de l'histoire. Comment on a traité les langues
étrangères, avant...
97.
XXI
Mais c'était ça mon sujet au
début, tu te rappelles, la première fois que je t'en ai
parlé. Le rapport de l'Albanie aux langues
étrangères.
98. Si la langue étrangère est une nourriture,
donc on va donner au peuple ce qu'il a envie de manger. Tu vois, c'est
ça qui crée la fracture. Ils nous imposent de manger du pain, et
moi je veux manger des chocolats. C'est ça ! Parce qu'il y a A. qui va
voir le Ministre, ils boivent un verre. Le Ministère va dire oui.
Ensuite, il y a l'Allemand qui va arriver avec des bouteilles de schnaps, le
Ministre va dire : « l'allemand aussi ». Après, il y a
l'Italien avec du Limonccello, et le Ministre va dire « on apprend
l'italien ».
99. Mais c'est aussi pour ça que j'ai
abandonné mon idée de politiques linguistiques. Pour tout, les
choses se décident...
100. Nous ne sommes pas un pays normal.
101. Vous n'êtes pas un pays normal
?
102. Non.
103. Mais moi j'aime bien l'Albanie I
(rires)
104. Oui, mais ça c'est une chose. L'autre jour, il y
a un étudiant de deuxième année, il se plaignait de MS
parce qu'il n'arrivait pas à avoir le code, tu sais le code pour voir
les notes. Il s'était énervé : « MS ne me les donne
pas à chaque fois, j'ai le droit de faire ça. » Je lui ai
dit « Tranquillise toi, nous ne sommes pas dans un pays normal. Je
t'explique, si on était dans un pays normal, tu ne serais pas devant moi
en ce moment, parce que tu ne mérites pas de passer en deuxième
année. Donc tu n'aurais pas besoin du code pour aller chez MS. Donc,
tranquille ! » (rires). On ne peut pas raisonner.
105. Mais qu'est-ce que je fais là ? Je te
jure I Moi ce pays me fascine.
106. Mais oui, nous sommes le pays le plus heureux !
107. Ouais, oh le peuple le plus heureux, je ne
sais pas...
108. Eh le peuple le plus heureux, je ne sais pas. Mais nos
étudiants sont les plus heureux du monde.
XXII
Annexe 10 - Interview informateur 02-I
Interviewer : Amélie Gicquel
Note de lecture : Une personne interviewée. Les
questions posées par l'enquêteur sont en italique et les
réponses en caractères standards. Certains extraits ont
été retirés de l'interview reportée ici car pas en
aucune adéquation avec le thème traité.
Profil de l'informateur :
Profession : masculin, ancien
étudiant au moment de l'entretien, Master en enseignement du
français terminé non obtenu, pas de projet de passer le niveau B2
en anglais et le stage obligatoire
Expérience à l'étranger :
migration vers la Grèce pendant l'adolescence / en France,
stage FLE en université française grâce à un
programme d'échange d'étudiant Formation initiale :
post-communisme
1. Voilà. Alors, pour commencer, je
voudrais savoir quelles langues tu parles ?
2. Ok, je parle français, grec, italien, espagnol,
anglais, allemand, portugais.
3. Est-ce que tu peux me dire comment est-ce que
tu appris chacune de ces langues ?
4. Oui bien sûr. Alors la première langue que
j'ai apprise, c'est l'italien. J'avais 6 ans et je l'ai apprise par la
télé, en regardant des dessins animés, parce que quand
j'étais petit, on avait beaucoup de chaînes italiennes et elles
n'étaient pas en sous-titres albanais, toutes les séries et tous
les films ! Et en demandant des mots que je ne connaissais pas à ma
mère, parce qu'elle parlait elle-même aussi italien, parce qu'elle
avait appris de la même façon. L'italien, c'est donc la
première langue que j'ai apprise.
5. Mais tu parles aussi italien avec ta
mère, ou quand tu étais petit, vous parliez italien
?
6. Oui, un peu. Un peu, mais tu vois on regardait des films
et on comprenait tout. Et après à l'école, j'ai
commencé un peu l'anglais. J'étais en quatrième, euh, en
cinquième classe. Après, je suis parti en Grèce.
7. Et alors l'anglais, tu en avais combien
d'heures par semaine ?
8. Pas beaucoup, trois ou quatre heures. Mais le prof, il
était un peu différent des autres, parce qu'il nous expliquait
les mots nouveaux, euh, les nouveaux mots, il ne les écrivait pas, mais
il dessinait le mot. Et donc on lui disait qu'est-ce que c'était.
9. Pourquoi tu es parti en Grèce
?
10. Emigration avec ma famille, parce que ma tante aussi,
elle vivait en Grèce, elle est mariée avec un Grec. Je ne savais
pas du tout le grec, tu vois ? Je suis parti en août et en septembre, je
me suis inscrit en sixième. En un mois, j'ai appris le grec.
11. Est-ce qu'il y avait d'autres Albanais dans
l'école où tu étais ?
12.
XXIII
Dans l'école, oui, il y avait aussi des Albanais qui ne
voulaient pas parler albanais. Ils se considéraient comme des Grecs, je
ne sais pas pourquoi. Mais dans mon quartier, j'avais un ami d'Himara. Il
était un an plus grand que moi. Mais c'est très bien
allé... Tous les cours c'était en grec, voilà.
13. Tu continuais à parler albanais avec
ta famille ?
14. Oui, bien sûr.
15. Mais tu ne parlais pas albanais en dehors
?
16. Rarement... Quand il y avait des Albanais, avec ma
soeur.
17. Mais avec les autres Albanais, non. Il y en a
qui refusaient complètement de parler albanais...
18. Oui ! Parce qu'une minorité, qui s'appelle de
l'Epire, du Nord de la Grèce, mais il y a des Albanais qui se
considèrent Grecs. Je ne sais pas pas, pour les papiers peut-être.
Les Grecs, ils n'aiment pas beaucoup les Albanais.
L...]
19. Donc tu as aussi appris le français en
Grèce ?
20. Oui, mais je n'apprenais pas beaucoup.
21. Pourquoi ?
22. Je n'étais pas motivé parce qu'avec mes
amis, on se moquait des mots en français.
23. Et comment tu voyais le français
à cette époque ?
24. L'évaluation à l'école,
c'était de 0 à 20. Et en français, j'avais 15 ! Non ! 14.
Sur 20. Mais en anglais, j'avais plus. Ouais, j'avais 16 ou 17.
25. Et tu étais plus motivé
à apprendre l'anglais ?
26. Non, même pas l'anglais ! En Grèce, je
n'apprenais pas du tout. Dès que je terminais l'école, j'allais
chez moi. Je n'ouvrais pas les livres. Le matin, je changeais les livres pour
les cours de la journée.
27. Et pourquoi tu n'étais pas
motivé ? Tu sais le dire ?
28. Parce que j'avais beaucoup d'amis, on faisait n'importe
quoi. En plus, j'avais 13 ans, 14 ans, tu vois ? On voulait jouer, on voulait
faire n'importe quoi !
29. Hum, hum. Tu rentrais en Albanie quelques
fois sur tes quelques années en Grèce ?
30. Oui, on rentrait, on rentrait... Mais. Ca me manquait,
parce qu'en Grèce, quand je suis allé la première fois,
ils étaient très méchants avec moi et ma soeur. Comme on
était des Albanais, on s'est disputé avec beaucoup de Grecs. Le
temps qu'on s'adapte, qu'ils nous acceptent. Après, on a appris la
langue, et on n'a pas eu de problèmes.
31. Tu t'es senti accepté à partir
du moment où tu as commencé à communiquer en
grec.
32. Oui.
33.
XXIV
Suffisamment bien ?
34. Mais même en Grèce j'avais des
problèmes dans la classe. Parce qu'il y avait beaucoup de filles, des
filles surtout. Des garçons qui nous disaient chaque jour « vous
êtes des esclaves, vous êtes nuls, on vous nourrit, si on
n'était pas là, vous seriez morts ! ». Et je les tapais.
Mais taper, vraiment ! Il y avait aussi des psychologues à
l'école et une fois, je me souviens... Parce qu'en Grèce, des
fois, ils font des élections, pour le président de l'école
et tout ça. Pour les étudiants, voilà. Et en maths, une
fois, j'ai eu une meilleure note qu'un Grec. Et lui, il a fait n'importe quoi !
« Pourquoi le prof... ». Il a fait des grèves, il a tout fait
contre moi. « Le prof a mis une meilleure note à l'Albanais. »
Ah, c'était comme ça. Au début, c'était difficile
pour moi, mais après j'ai connu mon ami albanais, et plus personne ne me
disait plus rien.
35. (rires).
36. Oh ouais... Oui, mais il fallait se battre chaque jour !
En plus, je me suis inscrit en boxe, parce que je ne les supportais plus.
Chaque jour, la même chose. Seulement « vous êtes ça,
vous êtes ça ». Après, ils ne disaient plus rien.
37. J'imagine ! Donc quand ta famille t'a dit
« On rentre à la maison, on rentre en Albanie », d'un
côté, tu te sentais bien, c'est ce que tu
disais...
38. D'un côté oui, mais de l'autre
côté, j'avais mes amis là, j'étais habitué
à la vie en Grèce, à Athènes. Et on est
rentré, mais ici ça s'est passé pire qu'en Grèce,
quand je suis rentré à l'école. J'avais des
difficultés à parler en albanais, à m'exprimer, parce
qu'imagine, quatre ans, en Grèce ! Les connards, ici à
l'école, à la place de m'aider, ils se moquaient de moi. Parce
que je m'habillais différemment, j'avais un sac à dos, mais ici,
il y avait tout changé ! C'était pas comme j'avais laissé,
le temps avant que je parte. Ils étaient très sérieux, ils
s'habillaient avec des vêtements sérieux, des chemises, sans sac,
tout ça... Avec un petit dossier ou ils laissaient les livres sous le
banc. Ils ne prenaient pas avec eux. Moi, je m'habillais avec des
vêtements de sport, c'était différent. Et je me sentais...
Je me sentais mal, un peu, tu vois ? Je me sentais un étranger dans mon
pays, voilà. Et ça m'a beaucoup influencé sur mon
caractère. Pendant le cours, je savais la réponse, mais je ne
répondais pas, parce que j'avais de la honte à parler. Je parlais
avec l'accent grec... Mais quand c'était l'examen, je parlais beaucoup !
Le prof, il était surpris. Il disait « Il parle jamais, mais quand
il écrit, c'est le meilleur ! ». Mais après ça a
changé... Et en plus quand je me suis inscrit, j'ai perdu un an. Je
devais m'inscrire ici en première année de lycée, mais je
me suis inscrit ici en huitième, parce que de mon temps, l'école
primaire, c'était 8 ans et 4 ans pour le lycée. Après,
j'ai choisi d'étudier le français, parce que.
39. Qu'est-ce qui a fait que tu t'es inscrit dans
le lycée des langues ? C'est toi qui as choisi ? Ce sont tes parents
?
40. Les deux, moi et mes parents aussi, on a
décidé ça.
41. Qu'est-ce qui vous a fait décider
ça ?
42. Parce que moi l'italien, déjà, je parlais.
L'anglais un petit peu, je parlais aussi. Le grec, oui ! Et le français,
comme j'avais fait en Grèce, j'avais quelques connaissances. Et j'ai dit
en plus... Oui, j'avais des cousins en France, d'espérer, tu vois ?
Qu'ils m'aident après.
43. Et à aucun moment donné la
question d'aller dans un lycée général s'est posée
?
44.
XXV
Non ça a été le lycée des
langues.
45. Tes deux parents étaient d'accord
?
46. Oui.
47. Et toi aussi ? Donc tout le monde
était content.
48. Oui !
49. Donc tu as commencé au lycée
des langues. Comment tu voyais ça, toi, aussi ? Tu avais
déjà toutes ces langues que tu connaissais bien ou très
bien, et apprendre encore en plus le français, tu le sentais comment ?
Rappelle-toi ton premier jour au lycée I Comment tu te sentais ?
C'était quoi le premier jour ?
50. Ah, j'étais stressé, beaucoup,
j'étais timide. Parce que la première fois au lycée, tu
vois ? Il y avait aussi les quatrième années, les plus grands
là, je les regardais.
51. Et alors petit à petit, au fil de ta
première année, comment tu voyais l'école ? Et comment tu
voyais le français, en fait ?
52. Ah c'est... Ouais j'ai beaucoup aimé et ça
m'a beaucoup aidé la Grèce. La méthode qu'ils utilisaient
en Grèce, c'était mieux. Ca m'a beaucoup aidé, aussi la
langue.
53. La méthode qu'ils utilisaient en
Grèce, et ils faisaient comment en Grèce ?
54. Bah, c'est pas comme ici en Albanie, par exemple. Nous,
on n'apprenait pas par coeur, là. Les profs nous expliquaient et on
apprenait l'essentiel. Et tu vois, moi, en Grèce, même si je ne
lisais pas à la maison, je pouvais faire un examen et avoir une bonne
note. Mais j'étais attentif, pendant les cours, en classe, voilà.
Je ne sais pas, ils avaient une autre manière didactique, c'était
différent. Ca m'a beaucoup aidé, je pense.
55. Tu penses que la méthode qu'on a
utilisée en Grèce pour enseigner le français et l'anglais,
tu l'as prise et tu l'as utilisée ici.
56. Oui, c'est ça et je l'ai utilisée ici.
57. Et les profs en Albanie, alors, ils font
comment pour enseigner les langues étrangères ?
58. Les profs se basent beaucoup sur le livre, c'est vrai !
Mais il y a aussi des bons profs qui donnent des choses extra, en dehors du
livre. Mais ça, au lycée, j'ai pas eu de problèmes par
rapport à l'apprentissage, mais dans l'évaluation. Elle me
mettait jamais 10. Elle ne voulait pas accepter que j'étais le
meilleur.
59. Pourquoi, d'après toi
?
60. Parce qu'il y avait aussi 5 autres filles dans ma classe
et on était en concurrence. Moi, contre 5 filles. Et... Chaque fois,
elle nous disait, elle nous donnait des devoirs, donc elle nous disait «
Trouvez les nouveaux mots du texte ». Moi, je ne travaillais jamais avec
le dictionnaire. Et quand j'allais à l'école, dans la classe, les
filles elles avaient dans le cahier écrit. Moi, sans cahier, sans rien.
Et elle me dit « mais pourquoi tu n'as pas fait ? » « Vous
pouvez me demander, je vais vous répondre ! Si je ne vous réponds
pas, vous me mettez 4 ! » Et il y avait un mot d'origine grecque en plus !
Et c'était le mot « xénophobe » en plus, ou je ne sais
pas. Quelque chose à faire avec cela, tu vois ? Et elle m'a dit «
Qu'est-ce que ça veut dire ça ? » Mais j'avais pas
écrit et elle pensait que je n'allais pas répondre !
XXVI
Elle ne savait pas que je parlais grec, que j'avais
vécu en Grèce ! Et je lui dit ça, ça, ça, je
lui donne la définition, et elle me dit « Non, ce n'est pas
ça ! Tu n'as pas trouvé. » Je lui dit « Ah ok, vous
pouvez chercher dans le dictionnaire ! » Même les filles, elles
étaient contre moi, parce qu'elles n'avaient pas trouvé ce mot,
parce que, je ne sais pas, je pense que c'était dans un autre texte
qu'elle a lu. (rires) Et ensuite dans l'autre
séance, on se réunit avec l'autre groupe, parce qu'on
était séparé en deux groupes. Et la prof a pris le
dictionnaire et en lisant, sa couleur de peau a changé, elle
était toute rouge. Et après elle a dit, pas à moi, aux
filles, il a raison (rires).
61. Et à partir de ce jour-là, elle a
changé, elle a porté un autre regard sur toi ?
62. Non, elle m'a toujours mis 8, pendant trois ans, plus que
ça.
63. Et finalement, tu penses que tu as appris le
français par l'école, ou par un autre moyen ? Ou les deux
?
64. Les deux, mais à part l'école, j'ai appris
surtout sur la grammaire et sur les choses comme ça, sur la syntaxe, la
structure des phrases. Mais par Internet j'ai appris le reste. Donc à
l'école, j'ai appris 30%, sur Internet, 70%.
65. Qu'est-ce qui t'a amené à faire
ces efforts-là ? Qu'est-ce qui t'a amené à apprendre plus
sur la langue française ? Est-ce qu'il y a quelque chose en particulier
?
66. Bah, je sais pas, d'un coup, j'ai beaucoup aimé la
langue française et je voulais apprendre plus de choses sur la France,
pas seulement la langue. Parce que quand on apprend la langue, on n'apprend pas
seulement la langue, mais on apprend sur la culture, l'histoire du pays, sur
les peuples. Tout. Internet, c'était le moyen, donc, où il y a
les nouveautés récentes, sur ce qui se passe en France.
67. A l'école, tu avais le sentiment
qu'ils n'abordaient pas du tout cet aspect-là ?
68. Non. Même on avait des méthodes très
anciennes, des années 80 : Le Nouveau Sans Frontières.
69. Et tu avais une stagiaire au lycée
?
70. Non, pas de stagiaire. Mais à chaque fois qu'il y
avait un français, ou des activités francophones, on était
toujours présent. Seulement quand il y avait Mélanie, je me
souviens.
71. Mais ça, tu étais à
l'université ?
72. Non. J'étais au lycée. Seulement, on a...
Elle faisait une soirée, on prenait un café et elle parlait des
livres, je ne sais plus quoi... Mais même là quand je suis
allé, il y avait un garçon de ma classe et les autres,
c'était des étudiants. On est allé là, et tous on
parlait et moi j'étais le dernier. Seulement j'écoutais,
j'écoutais, j'écoutais et à la fin, quand je parlais, elle
restait comme ça : « Oooh ! ». Elle ne s'attendait pas
à ça.
73. Et il y avait beaucoup de gens qui venaient
à ces réunions ?
74. Oui, à ce temps-là, il y en avait. On
était 12, 15 !
75. Et tout le monde participait, tout le monde
parlait ?
76.
XXVII
Oui, tout le monde ! Et je me souviens bien, le thème
qu'on discutait « Est-ce que les livres électroniques vont
remplacer les livres en papier ? » Et tout le monde participait.
77. Et après, c'était naturel de
continuer le français à l'université, est-ce que
c'était une suite logique ? Ou est-ce qu'à un moment
donné, tu as eu envie de faire autre chose ?
78. Ouais, non, c'est que moi qui a choisi le français
comme premier choix.
79. Tu voulais continuer le français
?
80. Oui.
81. Pourquoi ?
82. Pour aller en France !
83. Et tu pensais que faire une licence de
français à l'université, ça t'aurait permis,
ça t'aurait aidé pour aller en France ?
84. Oui, bien sûr.
85. Dans quelle mesure ? Comment tu imaginais
ça ?
86. Je sais pas... Regarder, voir Paris, d'autres villes, les
Français, connaître du monde.
87. Tu pensais que toi, tu serais parti comme
ça en France, ou ?
88. Bah comme ça, non, mais je sais que, je croyais
que je pouvais y aller...
89. D'accord, est-ce qu'à
l'université, comment ça s'est passé ensuite
?
90. A l'université, c'était différent.
C'était mieux, je pense.
91. Pourquoi ?
92. Parce qu'on avait toutes les matières en
français. Grammaire, phonétique, histoire de France, beaucoup de
matières, culture, tout.
93. Et le niveau dans la classe, il était
comment, à ton époque, comment est-ce que tu trouvais les autres
étudiants ?
94. En général, nous, on était six, on
parlait plus, le reste, il dormait.
95. Et est-ce qu'il y a des gens comme ça
qui sont passés d'une année à l'autre sans parler un mot,
sans comprendre ?
96. Bien sûr ! Ils ont même un Master maintenant
!
97. Et qu'est-ce que tu penses de ça ?
Là, c'est le moment de te lâcher !
98. C'est pas bien, parce que ces gens-là, ils peuvent
trouver un travail avant moi. Et qu'ils sont pas du tout capables de faire le
travail.
99. Qu'est-ce que tu penses qu'il faudrait faire
pour changer ça ?
100. Je pense qu'il faut être, qu'il faut pas... Parce
que même les professeurs ils ne sont pas libres de les faire passer
d'une année à l'autre. Ils ont peur que le français
disparaisse, comme branche. Ca, c'est pas mieux comme raison, d'avoir 10
étudiants, que de faire passer 30 ou 40 qui sont nuls, ils ont aucune
valeur. Il y
XXVIII
a beaucoup d'étudiants qui ne viennent pas du tout en
cours, et ils ont le diplôme à la fin.
101. Et pourquoi tu penses que les profs font
ça, malheureusement, d'année en année ?
102. Bah, je t'ai dit, ils ont peur qu'ils restent sans
travail, ils veulent continuer leur travail. Moi, je ne peux rien faire, je
n'ai pas le pouvoir de changer quelque chose. Je ne sais pas pourquoi ils ne
donnent pas d'importance au français, ils donnent plus d'importance
à l'anglais.
103. Pourquoi tu penses que c'est important de
parler français ?
104. C'est important parce que c'est une langue qu'on utilise
beaucoup dans le monde.
L...]
105. Est-ce que tu parles français avec
d'autres gens ici en Albanie ?
106. Bah je parlais avec un ami à moi, il est de
Cerrik. Mais il m'a abandonné, il avait des problèmes avec sa
famille, on ne se parle plus. On ne se parle plus, donc... Des fois, avec EB,
mais pas beaucoup. Mais ils veulent pas, ils disent « On est en Albanie,
pourquoi parler français ? »
107. Mais quand tu regardes la
télévision en Albanie, c'est ce que me disait EB hier soir :
« Moi, zysh, je comprends pas, parce que quand tu regardes la
télévision, il y a des Albanais qui mettent des mots en italien,
comme ça, complètement par hasard dans leurs phrases, pour se
donner un style, un genre »...
108. Oui, c'est vrai, on utilise beaucoup des mots des autres
langues. Mais ce n'est pas bien, ça parce que les jeunes, les enfants,
ils écoutent ça, et ils n'apprennent pas bien leur langue
maternelle.
109. Mais une langue, ça évolue
?
110. Oui, ça évolue, la langue, mais pas
prendre des mots de l'italien. Ca, c'est pas évolution.
111. Tu penses que c'est une espèce de
trahison à la langue, que c'est ne pas respecter la langue
?
112. Ils ne savent pas respecter la langue, ici.
113. Pourquoi ?
114. Parce que même quand j'ai fait mon stage, j'ai
fait une petite dictée à la sixième classe, et
c'était bizarre, beaucoup de fautes en albanais, beaucoup,
beaucoup...
115. Ah tu as fait une dictée en albanais
?
116. Ils ne savaient pas écrire en albanais.
117. Je trouve pourtant que l'albanais, c'est une
langue qui est très facile à écrire.
118. C'est très facile, parce que c'est comme on
l'écrit, on le lit, voilà. Mais il y a d'autres raisons, je
pense. Parce que les familles, quand j'ai fait mon stage, aucun parent n'est
venu se renseigner pour son enfant, comment il va avec ses études, avec
la langue, comment il avance. Et comme ils le savent déjà, les
enfants, que
XXIX
leurs parents ne vont jamais venir, ils s'en fouttent, ils
sèchent, ils n'apprennent pas, ils disent « nan, je m'en fous
». En plus, ils ont une mentalité un peu, je sais pas. Ils ne
pensent pas à ce qu'ils vont devenir, leur futur, mais je pense que
c'est la famille, en plus le pays. Les hommes politiques ici, ils sont tous des
voleurs. C'est très dur. Il y a d'autres facteurs, je pense, qui
influencent sur l'enseignement. Parce que la langue, on peut l'apprendre
facilement, c'est facile. Même la grammaire, oui, c'est difficile, mais
ton cerveau, il est fait pour apprendre. Mais je te dis, c'est la
génération d'aujourd'hui (rires). Mais
c'est la technologie, aussi, je pense.
119. Et qu'est-ce qu'elle fait la technologie
?
120. Bah tu vois, tous les enfants, ils ont un I-Phone
maintenant. Et les dessins animés aussi, maintenant, ils sont tous en
albanais, doublés. Et dans mon temps, à la fin, il y avait un
message. Mais maintenant, je regarde, c'est nul, il n'y a rien à
apprendre. Il y a seulement pour rigoler, ils veulent que rigoler. Ils ne
veulent pas apprendre. Et pour les langues, ils ne sont pas motivés
à l'école. Et le français, c'est difficile.
Premièrement, je pense, pour la prononciation, les nasales et tout
ça. Mais, malgré ça, je pense que ce n'est pas une langue
à détester, à ne pas apprendre. Mais. Je pense qu'il faut
étudier une autre langue. Moi, par exemple, comme deuxième
langue, j'ai pris allemand, parce que je connaissais déjà
l'anglais. Au lycée et à l'université, ça fait 7
ans. L'espagnol, je l'ai appris aussi à la télé, en
regardant les téléfilms mexicains. Le portugais, je te dis, parce
que je joue à un jeu. Je ne le parle pas très bien, mais pour
l'écrire, je parle avec eux, ce n'est pas un problème.
121. La musique française, est-ce qu'on
entend de la musique française, en Albanie ?
122. Non ! (rires). Quelques chansons, comme Garou, comme
Lara Fabian, Céline Dion. Stromae, un petit peu, mais on ne
l'écoute pas, parce que c'est en français et parce que c'est le
rythme, la musique, c'est pour ça, Stromae. Et en ce qui concerne
l'apprentissage des langues étrangères, quand il y a un
étranger, ils sont timides, ils ne veulent pas parler avec eux. Parce
qu'à chaque fois qu'il y a des étrangers, des amis à moi,
ils me disent « Oh, il y a un étranger ». Ils ne vont pas lui
demander s'il sait parler, je ne sais pas pourquoi. Et c'est peut-être
pour ça que ça ne les intéresse pas d'apprendre la langue.
Mais moi, je suis un cas particulier, parce que j'ai vécu en
Grèce, déjà. Moi j'aime beaucoup la langue grecque, parce
que ça m'a beaucoup aidé. Mais ici, si tu dis à un
Albanais, « Je vais t'apprendre le grec, gratuit, tu ne vas rien payer
». Ils ne veulent pas.
123. Pourquoi ?
124. Parce qu'ils disent « Oh, je déteste les
Grecs ! ». Voilà.
125. Est-ce qu'il y a une montée
d'identité nationale ?
126. Oui, ça aussi, mais... Apprendre une langue,
ça ne veut pas dire trahir ton pays. Parce que tu vois, moi, j'ai
passé mon adolescence, c'est à dire le moment où un enfant
crée son caractère, et tout, en Grèce, c'était
différent ! Et l'Albanie est trop petite dans le monde, il y a beaucoup
d'autres pays dans le monde qu'il faut aller visiter, des choses qu'il faut
voir, regarder... En plus, c'est une facilité pour entrer en contact
avec d'autres pays, avec d'autres gens. Je ne sais pas pourquoi ils ne sont pas
motivés. Quand on a fait une matière, traduction, je pense, il y
a un prof qui nous a dit « les langues sont comme des armes pour
XXX
l'être humain ». Ca aide beaucoup comme un as
caché dans sa manche. Peut-être pour le moment, je n'ai pas
trouvé un travail, mais, ça sera plus facile pour moi que pour un
autre qui ne parle pas la langue. Par exemple, si je vais dans un autre pays,
ça sera plus facile pour moi, que pour un autre. Et si tu connais la
culture, c'est un plus, pas seulement, la langue, tu vois ? Quand je parle
français, c'est mieux pour moi de parler français chaque jour,
que de parler en albanais.
XXXI
Annexe 11 - Interview informateur 03-R
Interviewer : Amélie Gicquel
Note de lecture : 1 personne interviewée. Les
questions posées par l'enquêteur sont en italique et les
réponses en caractères standards. Certains extraits ont
été retirés de l'interview reportée ici car pas en
aucune adéquation avec le thème traité. Cet entretien a
failli ne pas être retenu parce que l'informateur a été
très impressionnée par la présence de l'enregistreur, qui
l'ont amenée à formuler des réponses contradictoires au
sein du même entretien. Il a finalement été gardé
à titre d'illustration de la bonne volonté dont ont fait part
certains informateurs au sujet de l'image que les étrangers peuvent
avoir de l'Albanais, et certains aspects d'un discours qui revenait
régulièrement, comme au sujet des représentations
vis-à-vis de la facilité pour les Albanais d'apprendre les
langues étrangères.
Profil de l'informateur :
Profession : féminin, ancienne
étudiante au moment de l'entretien, Master en enseignement du
français terminé non obtenu, pas de projet de passer le niveau B2
en anglais et le stage obligatoire / travail dans plusieurs centres d'appel en
français Expérience de vie à l'étranger
: aucune / expérience touristique deux semaines en
France
Formation initiale : post-communisme
1. Alors, DA, elle a fait un Master de
français ?
2. Oui.
3. Et elle avait des 8 et des 9
?
4. Oui, un peu.
5. Et comment elle avait des 8 et des 9
?
6. Elle en avait un peu, des 10, des 7.
7. Oui.
8. Parce qu'elle a eu des connaissances avec le staff
pédagogique, d'abord, et le staff l'accueillait beaucoup, parce qu'ils
connaissaient le père de DA, il est directeur. Puis, moi je l'aidais,
pour faire les examens. Ca veut dire que je lui racontais toutes les questions,
des, des réponses ou je prenais la feuille de papier et je faisais
l'examen.
9. Vous étiez combien dans votre classe de
promotion ?
10. En première année, on était 74. Le
premier groupe était celui qui avait déjà
étudié, par exemple, au lycée. Le premier groupe,
c'était le meilleur entre guillemets, et puis, l'autre groupe,
c'était avec des débutants. Et puis elle est entrée dans
le groupe des débutants. Mais c'était bien parce que d'abord, la
première année, ils ont fait un très bon travail. Dans le
sens que, ils étaient, le staff était heureux parce qu'ils
étaient le plus grand nombre des étudiants de toutes les autres
années et de cette manière, ils ont profité pour les faire
entrer, quelques fois même ils les ont obligés, psychologiquement,
de prendre des cours,
XXXII
des faire des cours à l'Alliance Française,
même quand les étudiants ne voulaient pas, parce que de cette
manière, ils étaient sûrs qu'ils pourraient passer dans les
examens.
L...]
11. Oui. Et alors avant ça, tu me disais.
Donc je t'expliquais ce que je voulais faire pour mon mémoire. Je
voulais, je veux faire une étude du plurilinguisme en Albanie, c'est
à dire, ces Albanais, qui parlent plusieurs langues
étrangères et qui... Je pense I Qui n'apprennent pas toujours ces
langues étrangères à l'école... Les
Albanais ne peuvent jamais apprendre les langues étrangères,
chaque type de langue étrangère à l'école. Les
raisons pourquoi, c'est les professeurs ne font pas un bon travail, dans le
sens que, quelquefois ils n'ont pas les bonnes capacités, soit à
l'école primaire, soit au lycée, soit à
l'université. Même quand ils ont des capacités, ils ne
veulent pas parce qu'ils veulent avoir des cours privés avec les
étudiants. Pour cette raison, c'est une manière pour les obliger
d'aller faire des cours avec les professeurs. Même quand ils font la plus
petite partie. La plus petite partie des professeurs qui travaillent vraiment
bien, ils, euh... Le problème, c'est qu'ils expliquent beaucoup, mais
quelquefois, c'est la négligence des enfants. Mais quand même,
euh, une langue étrangère ne peut pas être apprise
très très très bien à l'école. Une exception
fait le lycée des langues étrangères. Si un
étudiant veut apprendre très bien la langue, c'est au
lycée des langues étrangères, non au lycée
général. Seulement au lycée, moi par exemple, je prends
mon cas, parce qu'il te suffit seulement un cas, euh... Même un seul cas
te suffit pour faire, euh, pour avoir une conclusion. Moi j'ai fait des cours
avec prof HD, qui était la meilleure, la plus préparée de
tous.
12. Tu avais étudié le
français avant ?
13. J'avais fait des cours privés. Je n'avais pas
étudié à l'école, mais ma mère était
fixée pour apprendre beaucoup de langues. J'ai étudié
seulement l'anglais à l'école primaire. Et HD a fait un
très très bon travail, c'est vrai qu'elle nous terrorisait tout
le temps, mais elle a fait le meilleur travail. C'est vrai qu'elle nous
obligeait d'apprendre le vocabulaire par coeur.
14. Tous les jours, elle vous donnait des mots de
vocabulaire à apprendre ?
15. Oui, oui. Et en même temps, on devait respecter
l'ordre des mots ! Oui ! Elle me sortait tous les jours au tableau. Même
si je mettais un mot moins, par exemple 30 mots, han ! « Tu as
oublié un seul mot ! ».
16. Elle vous donnait 30 mots de vocabulaire
à apprendre ?
17. Oui !
18. Trente mots ? Par jour ??
19. Tu connais le Nouveau Sans Frontières ? Le
livre...
20. Oui, oui, je connais.
21. Tu sais les tableaux ?
22. Oui.
23. Tu sais les vocabulaires ? Avec beaucoup de mots ? Des
petits mots, mais il y a beaucoup de mots. Difficiles, pour les
véhicules, et caetera, pour ce type de
XXXIII
choses. Et on devait tout apprendre, même les parties de
la, les pièces de la voiture. On devait tout apprendre. Mais personne
n'apprenait, hein !
24. Et vous avez travaillé avec le Nouveau
Sans Frontières 1 ? 2 ?
25. 3 ! Et puis à la fin, à la quatrième
année, c'était un type... je n'ai pas compris comment il
s'appelle, seulement des textes.
26. D'accord... C'était des textes, des
dialogues par exemple ?
27. Oui même des dialogues, plutôt des textes qui
n'étaient pas agréables.
28. Pourquoi ?
29. C'était seulement pour pratiquer la langue.
30. D'accord.
31. Mais euh, elle a fait vraiment un très bon travail
même avec la grammaire.
32. Mais c'est vrai que c'est une prof qui est
très bien préparée, super bien préparée,
j'aime beaucoup beaucoup zysh XhD.
33. Oui. La grammaire qu'elle nous apprenait, c'était
parfait. Oui.
34. D'accord. Tu penses vraiment qu'il y a que au
lycée des langues étrangères que tu peux vraiment bien
apprendre une langue ?
35. Il y a même des exceptions, par exemple, il y a
même ici, aux lycées généraux, des bons profs ou des
familles qui sont très intéressées pour emporter les
enfants aux cours privés, pour apprendre, et caetera. Mais, parce que
moi aussi j'ai eu des cas, des étudiantes qui sont venues avec moi pour
faire des cours sur la langue française aux lycées
généraux et elles étaient très
préparées. Mais ce que je veux dire, c'est que les Albanais en
général ont ce type de don naturel pour les langues
étrangères parce que c'est l'alphabet qui les aide. Puisqu'on a
36 lettres, on a la possibilité de s'adapter directement aux
phonèmes, la phonétique et tout ça. Parce que vous, en
français, en italien, et caetera, et caetera, vous avez pas les
mêmes, vous n'avez le /c/, mais vous n'avez pas les lettres, quelques
lettres comme nous, des lettres doubles, par exemple... /sh/, /dh/, oui. D + H,
S + H. Ca nous donne la possibilité d'articuler plus facilement.
36. C'est vrai, c'est vrai.
37. Pour cette raison. Imagine que la plus grande partie des
Albanais, presque 90% connaissent la langue italienne.
38. Tu es sûre de ce nombre ? 90%
?
39. Oui ! Par la télévision, seulement par la
télévision. Par exemple, moi je l'ai apprise par la
télévision. Directement, par la... Quand j'étais petite,
presque 10 ans, je regardais les films, comment s'appelle. Non seulement les
chaînes télévisées d'Italie. Mais je regardais aussi
les telenovelas, je sais pas, « soap operas ». Elles sont très
répandues dans toute l'Albanie. J'étais petite et quand euh... je
regardais presque une heure et puis plus tard, je regardais deux ou trois
heures et d'autres émissions télévisées. C'est
comme ça que je l'ai apprise. Seulement, seulement par la
télévision. Oui. Eh, c'est comme ça. Même la plupart
des Albanais apprennent l'italien. Seulement de cette manière.
40.
XXXIV
Mais il y a quand même des étudiants
qui apprennent des langues étrangères à l'école
!
41. Oui, à l'école, mais ce n'est pas le
meilleur résultat pour avoir, euh... Non, c'est pas. Ce n'est pas
à cause de ces choses que je t'ai dites. Parce que les professeurs... Il
y a trois ou quatre types de catégories...
42. Alors dis-moi les catégories
!
43. La première, c'est qu'ils ne sont pas
préparés. Ils ont pris les diplômes et ils ont
acheté les diplômes ou ils ont des personnes qu'ils connaissent,
ils ont eu le travail grâce à ces personnes-là. [...] Il y
a beaucoup d'étudiants dans la langue française, qui sont
complètement sans travail. Qui ne sont jamais allés en France,
même seulement pour plaisir. Et qui ont participé même
pendant les activités francophones ! Alors pourquoi je ne dois pas
apprendre si je ne suis pas motivé ? Pour moi, c'est mieux : acheter un
diplôme d'une autre branche, et je sais que demain, je vais avoir, un
type de poste de travail plutôt qu'étudier pendant beaucoup
d'années, beaucoup de jours, comme moi, sans dormir ! Et où je
suis ? Sans travail dans ma profession.
44. Oui, dans ta discipline.
45. Oui, dans ma discipline. A quoi ça sert ? Parce
que pour les autres étudiants étrangers, ça peut
être un peu difficile d'apprendre les langues étrangères.
Mais nous, les Albanais, on n'a pas ce type de problème. Pour nous,
c'est seulement la motivation, parce que nous, on arrive à apprendre
très vite les langues, en général.
46. Mais pourquoi, à ton avis ? Quelle
motivation, en fait ? Qu'est-ce qui motive les Albanais à apprendre les
langues étrangères ? Vous avez un système phonologique qui
c'est vrai, vous permet d'adopter rapidement la phonologie et la
phonétique de telle ou telle langue étrangère. Je pense
aussi que vous avez une grammaire qui est très difficile. Ca peut
peut-être vous... Je pense peut-être, je ne sais pas... Les
grammaires des langues étrangères sont plus
simples...
47. Oui, parce que le problème, quand on compare notre
grammaire avec la grammaire anglaise, ça nous paraît
complètement facile. La grammaire française est très
difficile, mais puisque nous connaissons la grammaire italienne, qui est
presque la même que la grammaire française. Je ne peux pas dire
100%, mais... Ca nous aide ! Ca nous aide beaucoup, ça nous aide
beaucoup. Et en plus, il y a toujours le rêve européen, de rentrer
dans l'Union Européenne, pour apprendre beaucoup de langues
étrangères, pour cette raison qu'on aime ça.
48. Et tu penses que si le peuple albanais
apprend plus de langues étrangères ou mieux les langues
étrangères, tu penses que ça peut donner une bonne image
à l'Union Européenne ? Pour accepter l'Albanie, des choses comme
ça ?
49. Peut-être, mais c'est...
50. Dis moi ce que tu en penses, en fait, je ne
sais pas...
51. Non, ce n'est pas seulement ça. Si on fait une
comparaison, par exemple, avec d'autres pays, par exemple, qui n'apprennent pas
des langues étrangères. Par exemple, euh...
52. Comme la France !
53.
XXXV
Oui, comme la France, comme l'Italie et caetera, et caetera.
Et imagine, ça n'influence pas. Je suis certaine que sans, ou même
avec l'Union Européenne, les Albanais vont continuer à apprendre
les langues étrangères.
54. Pourquoi, alors ?
55. Parce que d'abord, c'est un don naturel, c'est un don
naturel. Ils sont, euh...
56. Vous êtes génétiquement
programmés à (rires) ...
57. Ils sont très capables à écouter,
à articuler, et à prendre l'information.
58. Est-ce que tu penses qu'il y a des Albanais
qui refusent d'apprendre des langues étrangères
?
59. Oui, ça se donne par la famille aussi. La raison,
le résultat qui montre que les Albanais apprennent beaucoup de langues
étrangères, ou qu'ils parlent au moins une langue
étrangère, c'est, euh, les call centers, ils sont répandus
dans toute la ville. Surtout à Tirana. Imagine 183 call centers.
60. 183 call centers ?
61. Et imagine, le nombre de jeunes qui travaillent.
Même des nombres de gens qui ne sont pas déclarés, il y a
au moins 1 million de jeunes qui parlent une langue étrangère. La
langue étrangère la plus répandue, c'est l'italien, et
puis c'est l'anglais, l'espagnol, surtout l'espagnol. Parce que c'est aussi
l'espagnol est très répandu, surtout à Tirana, dans la
capitale. C'est très très répandu.
62. 1 million de jeunes, mais tu as trouvé
ça où, ce chiffre ?
63. Oui, parce que 6,000 jeunes sont employés dans les
trois call centers les plus connus de Tirana. Seulement dans trois.
64. 6,000 jeunes ?
65. Oui, imagine combien d'autres jeunes avec tous les autres
call centers qu'il y a à Tirana, qui ne sont même pas
déclarés. Et fais le calcul, ça c'est seulement pour la
capitale. Fais le calcul, à Shkodra, Elbasan, des centres d'appel, des
call centers, à Vlora, à Durrës, et caetera, et caetera.
Combien de jeunes savent ou connaissent une langue étrangère ?
Peut-être non parfaitement, ça n'a pas d'importance.
66. Non, bien sûr.
67. Ca n'a pas d'importance. Et puis, imagine les
années précédentes, tous se sont contentés d'une
seule langue étrangère, l'italien. Maintenant, presque tous les
jeunes arrivent à communiquer en italien, et maintenant ils disent
« ah, c'est complètement nul ! » c'est très facile pour
l'apprendre. Même l'anglais ça doit être très facile.
A Tirana, la plupart des gens parlent même l'anglais. L'anglais a
commencé à se ...
68. Se répandre ?
69. Oui, à se répandre, comme l'italien. Non
à 100%, mais ça a commencé. Il y a beaucoup de gens qui
parlent l'anglais. Ca, c'est vrai. Tu imagines, pour le français, c'est
un peu difficile. Pour le français, c'est difficile. Pour l'espagnol,
c'est facile. Après l'anglais, c'est l'espagnol. Ce sont les trois
langues les plus répandues.
70. Et pourtant, on n'apprend pas l'espagnol dans
les universités.
71.
XXXVI
On n'apprend pas, mais grâce à la
télévision. Parce qu'il y a beaucoup de ressemblance avec
l'italien. Moi-même, j'ai appris quelques mots en espagnol. Ils ont
commencé même à faire des cours. Mais moi par exemple je
veux faire des cours privés pour apprendre l'espagnol, parce que c'est
très facile pour l'apprendre.
72. Quand on connaît l'italien et le
français, franchement, l'espagnol n'est vraiment pas
loin.
73. C'est presque la même chose par rapport à
l'italien. Et en plus les Albanais aiment beaucoup l'espagnol et l'Espagne,
parce que c'est un pays très chaud, des jeunes.
74. Avec un style de vie qui est très
similaire à l'Albanie. C'est la Méditerranée, c'est tout
ça.
75. Nous, on aime beaucoup l'Italie. On aime beaucoup
l'Espagne, ce type de... La Grèce ! Il y a beaucoup
d'émigrés. A part le fait qu'on a des problèmes
politiques, et caetera, et caetera. Mais en général, on n'a pas
de problèmes. Il y a beaucoup de jeunes et de gens qui connaissent la
langue et la Grèce.
76. Moi j'ai vu qu'il y avait aussi une
série turque à propos d'un sultan, Mehmet II, ou je ne sais plus
comment il s'appelait. Tu connais ça, c'est quoi ? Tu sais ce que c'est,
c'est une série...
77. Oui, il y a quelques années, il y avait beaucoup
de séries avec la langue turque. Nous, on aime aussi beaucoup la
Turquie, puisqu'on a été envahi pendant cinq cent années,
on connaît même beaucoup de mots qui sont utilisés
même aujourd'hui, et c'est normal.
78. « Tamam », « shyqyr
»...
79. Oui, et c'est normal et nous, on aime parce qu'aussi les
Turcs nous aiment. Quand les Albanais vont en Turquie, ils adorent les
Albanais, ils les accueillent très bien. Mais pour nous, c'est un peu
plus difficile d'assimiler la langue turque que l'espagnol ou l'italien. C'est
un peu plus difficile. A part qu'on connaît quelques mots, et caetera, et
caetera, mais ça ne suffit pas pour communiquer bien, comme en italien
ou en espagnol, et caetera.
80. Et on voit le turc à la
télé ?
81. Oui beaucoup parce qu'ils ont les mêmes coutumes,
les mêmes traditions que nous. La manière comme ils mangent, la
manière comme ils se comportent, les jugements, euh...
82. Certaines traditions ?
83. Oui, certaines traditions.
84. Oui, vous avez été sous
l'influence ottomane pendant cinq siècles, vous avez forcément
été influencés par les Ottomans. Et il y a beaucoup
d'Albanais qui émigrent, et ça, je ne sais pas du tout, il y a
beaucoup d'Albanais qui émigrent vers la Turquie par exemple
?
85. Beaucoup d'étudiants plutôt, beaucoup
d'étudiants, qui, que, vont en Turquie pour étudier. Il y a
plutôt des jeunes. Moi je connais des jeunes qui sont allés en
Turquie, pour étudier.
86.
XXXVII
Ils sont restés là bas ou ils sont
revenus ?
87. Non, ils sont même restés là bas. Ils
aiment la Turquie, parce que je t'ai dit que les Turcs se comportent même
très bien avec les Albanais.
88. Il y a toujours eu une bonne relation
finalement entre l'Albanie et la Turquie ?
89. Oui, il y a une très bonne relation. Ce n'est pas
qu'il y a un grand nombre des Albanais qui vivent là bas, comme en
Italie et en Grèce. Ca veut dire aussi de la manière dont un pays
te crée les conditions pour te sentir bien, par exemple, nous on sent
que l'Italie, ce n'est pas que l'Italie a la meilleure opinion pour nous. Mais
quand même, ils sont habitués avec nous, nous sommes voisins.
Même les Grecs, il y a des Grecs qui sont habitués avec nous.
Ainsi, ça dépend. Mais la France, c'est plus difficile. Ainsi que
d'autres pays, l'Angleterre.
90. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu veux
rajouter ? Spontanément ? Qu'est-ce que tu penses de la langue
française, toi ? Oublie que tu as une zysh française en face de
toi, qu'est-ce que tu penses ?
91. Moi, j'ai toujours dit que j'adore le français,
mais je n'aime pas la France. Je l'ai toujours dit. J'adore le français,
comme langue, je l'aime beaucoup. J'ai beaucoup de, je ne veux pas dire comme
les autres étudiants « oh pourquoi j'ai appris la langue
française », pas du tout. Ca m'a servie dans mon travail que je
fais, au centre d'appel. Je suis certaine que ça va me servir dans un
futur, parce que, à part les autres choses, les obstacles que les autres
peuvent te faire, qui est un bon étudiant sera toujours un bon
étudiant. Peut-être il ne va prendre les mérites
maintenant, mais dans quelques années, oui. Moi je vais continuer
à investir, pour la langue française, encore pour les
années prochaines, même comme langue. Mais je n'aime pas du tout
le fait que les Français ne sont presque rien. Je veux dire par «
rien » qu'ils ne font rien pour investir pour la Francophonie, pour la
langue française. Et ici la situation, ici à Elbasan, est...
dramatique ! Parce que je pense que la langue française est dans son
déchet total.
92. Dans sa déchéance totale ?
Parce que « déchet », c'est « ordure », c'est les
poubelles (rires)
93. Non non, dans sa, oui, quand on, euh...
94. Dans sa chute ?
95. Dans son échec, c'est vraiment, c'est
désolé. C'est vraiment grave la situation. Ou il faut prendre, il
faut prendre des mesures et on inverse comme ça la situation, sinon le
français va se disparaître, petit à petit et c'est vraiment
dommage parce que les profs albanais n'ont pas l'influence maximale envers les
étudiants, parce que les étudiants savent, ils n'arrivent pas
entre guillemets à respecter le rôle ou l'image du prof albanais,
« ah c'est un prof albanais qui s'en fiche du français » et
caetera. Quand ils sont en face d'une stagiaire française, à ce
moment-là, ils ont plus de respect, parce qu'ils pensent « ah,
ça vient de France », et caetera et caetera « peut-être
ça va me donner la possibilité d'apprendre plus vite le
français, on va communiquer »...
XXXVIII
Annexe 12 - Interview informateurs 04-G & E Interviewer
: Amélie Gicquel
Note de lecture : 2 personnes sinterviewées
indiquées par une lettre les désignant en début de prise
de parole. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique
et les réponses en caractères standards. Certains extraits ont
été retirés de l'interview reportée ici car pas en
aucune adéquation avec le thème traité.
Profil de l'informateur G :
Profession : masculin dans le
domaine du tourisme, Master en communication et en tourisme obtenu
Expérience de vie à
l'étranger : aucune / quelques séjours touristiques
à l'étranger Formation initiale :
post-communisme
Profil de l'informateur E :
Profession : féminin, Master en
communication et en tourisme obtenu, différents emplois dans
l'enseignement et les centres d'appel
Expérience de vie à
l'étranger : aucune / quelques séjours touristiques
à l'étranger Formation initiale :
post-communisme
Informations relevées à partir de notes,
désir exprimé de ne pas être enregistré.
1. La première fois que tu as entendu la
langue française ?
2. G - ma grande soeur apprenait le français à
l'école, et elle révisait avec une camarade de classe.
3. Quand as-tu commencé à apprendre
le français ?
4. G - En 5ème classe, obligatoire en deuxième
langue dans son école (en 1997, j'avais 10 ans, c'était pendant
la guerre civile).
A été aux classes d'été
organisées par l'association NECAL.
A suivi des cours privés.
5. Quelle est ta première langue
?
6. G - Anglais en 3ème classe.
7. Quelle était ton opinion pour le
français avant de commencer, ou au début de ton apprentissage ?
A-t-elle changé ?
8. G - C'était « la langue des dames », et
quand j'ai appris que c'était aussi la langue de la justice, j'ai
changé d'avis et j'ai commencé à aimer cette langue. On
disait que c'était une langue difficile par rapport à l'anglais,
mais ça restait à la mode.
9. Avec quelle méthode as-tu appris le
français ?
10. G - Avec Mauger, c'était une bonne méthode,
on apprenait beaucoup de lexique et de grammaire. Puis avec le Nouveau Sans
Frontières.
11. Et tu as continué au lycée des
langues ?
12. G - Oui, à l'époque, les langues
étrangères étaient à la mode, et pour entrer dans
la section bilingue français / albanais, il y avait un concours
très difficile ! Pour
XXXIX
120 candidats pendant mon année, il n'y avait que 30
places. J'ai fini à la troisième place, mais je considère
que j'étais le premier. Les deux premières places avaient
été remportées par deux filles, mais elles avaient eu des
cours privés avec BT, et elle connaissait les questions du concours.
Donc j'ai remporté la première place des gens qui ont
étudié honnêtement.
L...]
13. Et ensuite, tu as continué tes
études de français à l'université
?
14. Oui, c'était naturel pour moi. J'aimais vraiment
la langue et la culture françaises.
15. C'est quoi un prof pour toi
?
16. G - quelqu'un qui te cultive. Un prof, c'est quelqu'un
qui cultive des générations.
17. E - quelqu'un qui prend toutes ses
responsabilités.
18. Et tu penses que ça a changé
?
19. G - Oui, à l'époque, c'était mieux.
Les profs étaient mieux. Mais c'est aussi à cause des enfants, on
ne peut pas rejeter toute la faute sur les enseignants.
20. Et pourquoi penses-tu que le français
n'est pas très populaire ?
21. G - L'Albanie n'a pas d'intérêt politique,
ou géopolitique. Ce n'est plus qu'une question d'économie
aujourd'hui. Et puis, c'est aussi le problème des bourses, l'ambassade
n'en accorde presque pas et ce sont seulement les profs ou leurs amis qui les
obtiennent. A notre époque, à l'université à
Tirana, il y avait un échange entre deux étudiants de
l'université de Montpellier et de Tirana. Maintenant, c'est avec
l'université de Clermont-Ferrand.
22. Et vos parents étaient favorables
à ce que vous appreniez le français ?
23. G - Ah oui, ils pensaient que ça nous donnerait du
travail. Maintenant, ils pensent qu'ils ont fait une erreur. A l'époque,
les entreprises étrangères commençaient à arriver,
on pensait qu'en apprenant les langues étrangères, on pourrait
trouver du travail plus facilement. Même aujourd'hui, mais c'est
différent.
24. E- Moi, tu imagines, j'avais 14 ans quand je suis partie
de ma ville, j'étais petite et j'ai changé de ville pour
apprendre le français, c'est que mes parents pensaient vraiment qu'on
pouvait trouver du travail.
25. Et pourquoi vos parents vous ont-ils
orienté vers le français ?
26. G + E - c'était mieux d'apprendre le
français, parce que ce n'est pas facile comme langue, ça donnait
plus de prestige que l'anglais et l'italien. Le français, c'était
un plus. En plus, c'est impossible d'apprendre cette langue en étant
autodidacte, pas comme l'anglais et l'italien.
27. G - Mais le marché des langues est
complètement détruit aujourd'hui. On prend les traducteurs dans
des entreprises sans tester leurs connaissances linguistiques. Les postes
d'enseignants étaient de plus en plus rares, donc le nombre de gens qui
se prétendaient traducteurs a augmenté. C'est une question de
business, c'était mal payé, donc les gens n'y mettaient pas du
leur. Les traductions étaient mal faites pour faire de la pression.
28. Est-ce que vous feriez le même choix
aujourd'hui que vous avez fait à l'époque ?
29.
XL
G + E - Non, je pense que j'étudierais les langues
étrangères parallèlement à une autre discipline.
30. G - Si quelqu'un est intelligent, il apprendra une langue
étrangère.
31. Tu penses qu'apprendre une langue
étrangère, c'est une preuve d'intelligence ?
32. G - Bien sûr !
33. Et parler français, c'est quoi alors
?
34. G - Parler français, c'est penser français.
Une langue, c'est une manière de penser, une manière de se
comporter.
35. Et quand tu parles français, tu penses
que tu es le même G ou est-ce que tu sens que tu es différent
?
36. G - Et bien le G qui parle une langue
étrangère ne va pas être différent, mais il ne va
pas se comporter de la même manière, je ne vais pas faire les
mêmes blagues que je fais à un Albanais ou à un Italien.
37. Quelle est ton opinion pour les langues
étrangères ?
38. G - parler français, c'est valorisant.
39. Et selon vous, quelles sont les images qui
circulent en Albanie autour de la langue française ?
40. G - quelqu'un qui n'aura jamais vu le français de
près ou de loin va avoir tous les arguments pour dire que ça ne
vaut pas le coup d'apprendre le français : « c'est difficile,
l'accent est impossible, c'est grave ». Quelqu'un qui connaît la
langue et la culture françaises, c'est une distinction, cette personne
aura une pensée et un comportement différent, ça se verra
par sa fierté apparente. Quelqu'un qui est cultivé a appris le
français. Il y a des gens qui ont appris le français juste pour
pouvoir lire les livres d'auteurs français en langue cible plutôt
que dans leur langue maternelle.
41. E - Moi, quand j'étais enseignante, je sais que
mes étudiants étaient issus de familles aisées,
c'était des familles qui avaient envie que leurs enfants se
distinguent.
42. G - A mon époque, quand on rencontrait quelqu'un
qui parlait français, c'était * sifflement d'admiration *.
43. Est-ce que le français c'est une
langue visible en Albanie ?
44. E - le français est une langue visible, mais ce
n'est pas évident, il faut aller la chercher un peu.
XLI
Annexe 13 - Interview informateur 05-F
Interviewer : Amélie Gicquel
Note de lecture : 1 personne interviewée. Les
questions posées par l'enquêteur sont en italique et les
réponses en caractères standards.
Profil de l'informateur :
Profession : enseignant masculin
Lieu d'activité : enseignement public universitaire et
réseau associatif
Expérience à l'étranger : en France, M1 DFLE
avec bourse
Formation initiale : post communisme
Informations relevées à partir de notes,
désir exprimé de ne pas être enregistré.
1. J'ai le sentiment que l'Albanie vit
actuellement un repli sur elle-même. J'ai formulé cette
hypothèse selon laquelle les Albanais seraient dans cette période
où ils auraient besoin de revoir leurs valeurs, d'asseoir les principes
qui déterminent les caractéristiques de leur peuple du point de
vue symbolique. Est-ce que tu trouves cette hypothèse justifiée
?
2. Absolument ! Enver Hoxha est mort en 1985 et c'est
quelques années plus tard que le régime communiste est
tombé. Dans les années 90, il y a eu cette ouverture fulgurante
sur l'extérieur, sur les autres cultures et sur cet Autre que les
Albanais ne connaissaient pas pour avoir vécu enfermés au sein de
leurs frontières pendant près de la moitié d'un
siècle. Ca a donné lieu à de massives vagues
d'émigration. Maintenant, on est sur une période qui nous
amène à réfléchir à ce qui constitue notre
peuple : le drapeau, les frontières, la politique, la cuisine, les
individus, le patrimoine et bien sûr, la langue ! Appartenances
symboliques, nationales, valeurs... Je pense qu'en se valorisant
soi-même, on va vers l'Autre pour partager ce qu'on a, avec l'Autre.
Disons voilà, que la tendance jusque maintenant a été de
regarder vers l'extérieur, ça nous a empêché de nous
connaître. Et puis on ne veut pas seulement reconnaître et
identifier nos valeurs, mais aussi nos défauts. Nous sommes dans cette
période où nous nous devons d'accepter ce qui nous
définit, à identifier une Albanie typique. Pendant le communisme,
on a lissé les aspérités de nos principes. Et même
du point de vue de cette culture balkanique à laquelle nous appartenons,
on nous a incité, forcé à tout nous approprier, alors
qu'il faut savoir admettre que tout ne nous appartient pas. Permettez-nous
d'avoir des couleurs, des nuances.
3. Est-ce que les profs jouent un rôle dans
cette redéfinition des valeurs ?
4. Eh bien, il y a une différence nette entre les
profs de l'ancienne génération et les nouveaux. Les
diplômés des années 70 / 80 sont les garants d'une certaine
culture francophone, mais elle était valorisée à
l'époque, ce n'est pas que les vieux profs sont meilleurs ou
différents. C'est juste qu'ils ont suivi leur cursus dans cette
atmosphère certes dictatoriale, mais qui cultivait un respect de la
culture française, tandis qu'aujourd'hui, la France, on ne la voit
pas.
5.
XLII
Je me pose aussi la question à savoir s'il
n'y a pas un décalage entre la méthodologie utilisée par
les anciens profs et celle à laquelle on essaie de former les nouveaux
profs. Donc une méthodo très traditionnelle versus ce qui est
prôné aujourd'hui dans pratiquement n'importe quel texte
didactique, l'actionnel, l'approche communicative. Est-ce que les profs s'y
retrouvent entre ce qu'ils ont connu, ce qu'on leur a demandé de faire
et ce qu'on essaie de leur expliquer aujourd'hui ? Sans parler même des
besoins des apprenants dans tout ça, en matière de connaissances
linguistiques, leurs profils d'apprentissage et leurs capacités
d'assimilation...
6. C'est clair qu'il y a beaucoup à faire en
matière de méthodologie. Je peux te dire que oui, on subit des
changements de méthodologie presque drastiques. La méthodologie
change mais on a mal perçu son application. On essayait d'aller vers le
résultat sans vouloir s'intéresser au chemin, je veux dire qu'il
y a une certaine forme de négligence quant à la route à
emprunter, on ne voit que la destination. Alors qu'avant, on accordait une trop
grande importance à la méthodologie, et le résultat
était important, bien sûr, mais les professeurs devaient avant
tout s'assurer que leurs pratiques étaient conformes à
l'idéologie du Parti. Maintenant, il y a cette vision binaire de (( tu
sais ou tu ne sais pas », il n'y a pas d'évaluation des
compétences, soit tu es dans le bon, soit tu ne l'es pas.
7. J'avais également cette
hypothèse selon laquelle les Albanais accordaient une importance toute
particulière à leur participation à une certaine forme de
micro-histoire. Comme si leur engagement dans un projet ne serait scellé
que s'ils acquièrent l'assurance de l'obtention d'une certaine
notoriété locale.
8. Oui, c'est vrai, mais je dirais en particulier pour les
étudiants qui ne sont pas originaires de la ville dans laquelle ils
étudient, c'est à dire pour les étudiants des villages et
des villes à l'entour. Si tu fais référence aux
pièces de théâtre qui ont souvent été
organisées par les différentes stagiaires FLE, c'est vrai
qu'à travers leur engagement dans telle ou telle pièce, il y a
une certaine forme d'audace aussi, tu vois, c'est (( je veux exister, j'ai des
choses à donner, je veux m'identifier, j'ai des valeurs, voir
jusqu'où je peux aller » ! C'est l'objectif qu'ils se fixent en
participant à une pièce, ils ne le voient pas en premier lieu
comme la possibilité de s'ouvrir à une expérience
scénique, dramatique. C'est d'abord l'individu qui s'engage et ensuite
c'est l'apprenant, mais bon, dans notre université, l'apprenant n'existe
pas vraiment...
9. Donc tu dirais qu'ils utilisent le
théâtre ou la langue étrangère pour s'inscrire dans
cette expérience qu'on leur propose ?
10. Bah je dirais qu'ils font ça pour être
proche de la prof, pour être à côté d'elle, tu vois ?
Pour créer l'image du département de français, se
distinguer, c'est aussi une certaine forme d'intelligence, hein ! Pour essayer,
pour voir jusqu'où ils peuvent aller, et oui, pour entrer dans un
historique. Mais est-ce que tu as remarqué que ce ne sont jamais les
meilleurs étudiants qui participent aux activités de la
Francophonie, ce sont souvent ceux qui ont des lacunes en français, ou
bien ceux qui ne sont pas originaires de la ville où ils
étudient...
11. Eh alors, prof, à ton avis, qu'est-ce
qu'on apporte à nos étudiants de langues étrangères
?
12. Rien en grande partie, j'imagine une ouverture d'esprit
pour ceux qui s'intéressent un tant soit peu à ce qui se passe en
classe. Ca peut leur permettre
XLIII
de s'identifier, tu vois « oÙ est-ce que je suis
dans cette gamme d'informations que je reçois ? Est-ce que ça
m'aide à connaître l'autre et moi-même ? »
13. Moi j'ai le sentiment que nos
étudiants ont de grandes capacités mais qu'on ne leur même
jamais dit qu'ils étaient capables de grandes choses, comme des
coquilles vides qui ne demandent qu'à apprendre, mais qui ne savent
même pas comment s'y prendre...
14. La plupart ne savent même pas pourquoi ils sont
à l'université, on ne leur a même pas expliqué
qu'une formation universitaire serait intéressante, qu'elle leur serait
bénéfique du point de vue personnel, et intellectuel. On leur a
seulement dit qu'il fallait avoir le papier à la fin. Donc ils entrent
à l'université, ils savent qu'ils auront leurs années, et
ils attendent. Tu vois, je pense à cette étudiante, Xh. en
deuxième année, c'est une question de maturité,
d'éducation, tu penses, mais non ! Elle est fille de prêtre, donc
tu peux penser que son éducation religieuse aurait pu la former à
un certain nombre de valeurs, peu importe la religion, j'en sais rien, la
tolérance, l'ouverture sur l'autre. Et bien non, elle dit qu'elle n'aime
pas le français, comme ça, sans argument, c'est tout. Je lui ai
demandé de ne plus dire un truc aussi idiot, elle n'aime pas le
français, d'accord, mais si tu ne sais même pas dire pourquoi tu
n'aimes pas quelque chose, ne parle pas ! L'incapacité de nos
étudiants à s'approprier une langue étrangère ne
tient pas seulement des compétences langagières, mais aussi de
leur développement personnel et intellectuel. Et les étudiants
qu'on a ici dans notre ville, ce sont des étudiants qui viennent des
provinces, l'université est censée te permettre un certain
développement mental, cognitif, mais ils ne sont pas dans cette
recherche, ils sont dans la recherche d'un exemple. Mais je crois que c'est
aussi quelque chose qui est spécifique à tous ceux qui sont
nés après la chute du communisme. On cherche la
sécurité, on ne cherche pas le développement de soi.
Regarde les enseignants vacataires, ou les jeunes profs dans les écoles
de niveau inférieur... Ils deviennent profs, ils signent leur contrat
à durée indéterminée et c'est fini, ils sont
tranquilles, ils ont un poste et un salaire fixe, ça s'arrête
là. On est dans une recherche de confort, en fait.
15. J'ai aussi cette hypothèse selon
laquelle les étudiants ne s'intéresseraient plus à telle
ou telle langue pour le bagage péri et paralinguistique qu'elle
entraîne automatiquement avec elle, mais juste pour s'approprier tel ou
tel code linguistique qui permettrait à ces étudiants d'obtenir
quelque chose, un travail, étudier à l'étranger... Je ne
vois pas de passion pour une langue, ou même d'intérêt tout
court, en réalité. Ils sont fixés sur la grammaire et sur
les QCM quand on voit même la façon dont les profs évaluent
leurs élèves.
16. Nos étudiants ne lisent pas. Lire amène
à s'essayer à interpréter, à analyser, ou
même la lecture, le loisir, ils ne voient pas ça. Tu regardes les
jeunes femmes, elles ne vont pas lire de magazines, ou même sur Internet,
leurs intérêts personnels, ce que tu veux, le maquillage, conseils
beauté, hygiène, sexo, n'importe, ça leur passe au dessus
de la tête ! Il y a un manque de curiosité total, c'est
télé, café, facebook.
17. Oui, mais ils ont des cours de
littérature, non ?
18. Ok, cette année, ils ont étudié
Albert Camus. Ils ne parlent que de ça, mais ils aiment Camus parce que
le prof l'aime, pas parce qu'ils aiment tel ou tel livre. Ils aiment quelque
chose parce que l'autre l'aime aussi, ils le font sans le sentir. Il y a une
volonté de conformisme, de conformité, de s'accorder à
l'autre. Et moi je
XLIV
regrette autre chose, c'est qu'il n'y a aucun relais, aucun
transfert d'informations. Regarde les étudiants qui font des
séjours en France avec le Lion's Club, on en a plusieurs ici, mais ils
sont incapables de dire ce qu'ils y ont vécu, ce qu'ils ont vu, ou
même pourquoi ça vaut le coup d'y aller. Regarde maintenant, il y
a des étudiants de troisième année qui veulent aller en
France, ils ne savent pas pourquoi ils veulent y aller, c'est juste pour dire
qu'eux aussi l'ont fait, ou pour être comme l'autre.
19. J'ai une autre question qui m'amène
à te demander si toi, en tant que prof, tu te sens libre dans tes
pratiques d'enseignement ? Est-ce que vous recevez des directives de la part du
rectorat, du ministère quant à ce que vous devez faire, ou la
manière dont vous devez le faire ?
20. Bon, il y a les programmes, bien sûr. Mais quant
à la manière de le faire, non, pas vraiment ! Même pas du
tout, en fait ! On donne nos programmes en début d'année vis
à vis de ce qu'on va traiter en classe, mais la méthodologie que
je vais employer, non, pas de contrôle, rien.
21. Et si tu avais des propositions pour conduire
à un changement des perceptions tenues à l'égard des
langues étrangères, une proposition, une remarque
spontanée, qu'est-ce que ça serait ?
22. Moi je pense qu'il faudrait centraliser tous ces
départements de langues étrangères, n'avoir qu'une seule
université qui propose telle ou telle langue. Je pense aussi qu'il
faudrait proposer des spécialisations aux étudiants dès
leur troisième année de licence. Ca leur permettrait de faire des
choix, plutôt que de se retrouver forcés à s'orienter vers
telle ou telle filière. On aurait des étudiants de meilleure
qualité, ça créerait une concurrence, la volonté de
se battre un minimum pour obtenir telle ou telle branche dans le
département au sein duquel tu étudies. Je pense aussi qu'il
faudrait réintégrer le concours à l'entrée à
l'université.
23. Est-ce que tu saurais me dire s'il y a une
classe intellectuelle albanaise ? Les profs d'université, est-ce qu'ils
sont aussi connus pour la recherche, leurs travaux ?
24. Oui, à Tirana. Mais il n'y a pas de diffusion des
idées, d'esprit académique. Même le peu d'écrits
qu'on trouve de la part des profs, c'est politisé, c'est pour se rendre
visible sans pour autant que le contenu de ces articles soit même valable
! C'est une course au titre constante, à la reconnaissance
extérieure, les gens se montrent, mais ils ne brillent pas par la
qualité de leurs réflexions, c'est plutôt pour le nombre de
fois où on a vu leur nom. Et une fois que les profs ont un bon poste, on
n'arrive plus à les détrôner. Regarde Marushi, c'est le
directeur de l'Albanologie depuis 8 ans, mais est-ce qu'on entend parler de lui
ou de ce que cet institut fait ? Non. On n'encourage pas non plus les profs
à diffuser leurs idées ou même à continuer à
se former. On n'entend jamais parler de possibilités d'aller à
l'étranger, de faire des stages ou peu importe. Ce sont toujours les
mêmes qui en bénéficient. Moi, j'ai eu de la chance, mais
j'espère que la chance va continuer. Et puis, le changement est long,
c'est un je m'en foutisme complet ! Regarde, il s'est passé exactement
la même chose à Elbasan et à Prishtine, et on a deux
réactions différentes. Les recteurs des universités de ces
deux villes ont été accusés et déclarés
coupables de corruption. Ils n'ont pas voulu quitter leur poste. Les
étudiants au Kosovo se sont soulevés, tu as entendu, il y a eu de
grosses manifestations ! A Elbasan, le recteur est toujours dans son bureau, et
tout le monde s'en fiche, c'est grave !
XLV
Annexe 14 - Interview informateur 06-R & Fj
Interviewer : Amélie Gicquel
Traduction de « Zysh » (prononcer /zuch/),
cela peut être équivalent à « Madame » que l'on
adresse à son enseignante lorsque c'est une femme.
Note de lecture : 2 personness interviewées
indiquées par une lettre les désignant en début de prise
de parole. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique
et les réponses en caractères standards. Cet entretien n'est pas
très pertinent dans notre étude mais il a été
proposé pour illustrer les représentations qui circulent
vis-à-vis du français au sein des apprenants de cette langue
étrangère.
Profil de l'informateur R & Fj : Profession :
étudiants masculins Expérience à l'étranger :
expérience en Italie pour F (parent immigré) / aucune pour R
Formation initiale : post communisme
1. Est-ce que le gouvernement fait de la
publicité pour les langues étrangères ?
2. R - On le voit à travers les cours à
l'école, mais pas plus.
3. Fj - C'est ça, on ne sait pas ce que le
gouvernement fait pour les langues étrangères, mais je me dis
qu'il ne fait rien, on ne voit rien à la télé pour
ça.
4. Toi, F, quand est-ce que tu as commencé
le français ?
5. Fj - A la cinquième classe.
6. Et c'était obligatoire ou c'est toi qui
a choisi ?
7. Fj - Non, c'était obligatoire. Les deux autres
classes faisaient anglais, et nous, français.
8. Et qu'est-ce que tu pensais du français
au début, quand tu as commencé en cinquième classe
?
9. Fj - Je n'aimais pas le français mais
j'étais un bon étudiant. Ca semblait comme une langue bizarre,
une langue qui vient de la gorge. Mais après, j'ai commencé
à aimer et à parler. Après au lycée, j'ai
participé aux activités de la Francophonie : des pièces de
théâtre, et plein d'autres choses.
10. Et pourquoi est-ce que tu as
décidé d'étudier le français à
l'université ?
11. Fj - Au lycée, je n'étudiais pas beaucoup,
mais c'est en français que j'avais les meilleurs résultats. Je
savais écrire, parler, je me suis dit « Pourquoi pas ! ».
J'avais quelque chose dans la tête avec le français, donc j'ai dit
« Pourquoi pas ».
12. Et au lycée, est-ce que tu as
réfléchi à la profession que tu voulais faire avant de
choisir tes études universitaires ?
13. Fj - Non. Seulement pour apprendre à parler. Si un
jour je vais en France, pourquoi pas ?
14.
XLVI
Et est-ce que tu as pris des cours privés
en français ?
15. Fj - Non. Je n'avais pas le désir de parler bien
la langue, je n'avais pas la volonté d'étudier beaucoup. Avec les
profs de français, j'avais de bonnes relations. Je n'étais pas le
meilleur, mais les profs m'aimaient bien.
16. Et toi, R, tu as commencé le
français quand ?
17. R - J'ai commencé en première année
du lycée. Avant de commencer à étudier la langue
française, ma soeur qui avait fini le lycée, quatre années
avant que je n'y entre, m'avait dit que la langue française est
très difficile. Je me suis toujours rappelé de ça,
toujours. Mais au moment où on a commencé en classe avec les
phonèmes...
/ L'informateur me montre un papier où il
a noté : -ei- = e / -eau- = o / -au- = o /
... j'ai aimé. J'écoutais bien la zysh quand
elle expliquait, quand elle parlait, quand elle lisait, et après j'ai
aimé la langue. A la fin du premier trimestre, il y avait eu les
élections législatives et le gouvernement est passé de
socialiste à démocrate. Le directeur de l'école a
changé parce que l'ancien était avec le parti socialiste. Le
nouveau directeur était aussi mon prof de français en classe. Il
n'expliquait pas, il n'était pas sérieux. Je me rappelle un jour,
j'étais allé au tableau pour faire un exercice, et il m'a dit
« Ne bouge pas, on ne danse pas en classe ». A partir de ce jour, la
langue française, pour moi, c'était fini. Je ne faisais plus
rien. J'allais seulement en classe pour être présent, et ne pas me
faire virer de l'école. C'est cinq ans après que j'ai
recommencé mes études, parce que tu te rappelles zysh, j'ai fait
trois ans de lycée, ensuite je n'ai rien fait pendant deux ans.
18. Oui, oui.
19. R - Après, en deuxième année, j'ai
fait un cours privé ici à l'Alliance Française d'Elbasan,
et peu à peu, j'ai appris un peu plus.
20. Et pourquoi est-ce que tu as choisi le
français pour l'université ?
21. R - Au début, la langue me plaisait beaucoup. Et
le français à Elbasan était mon premier choix sur le
formulaire.
22. Mais moi, j'aimerais savoir... Au début du
lycée, tu aimais le français, ensuite tu as arrêté
d'étudier et finalement, tu choisis le français à
l'université... Pourquoi ?
23. R - Pour moi, le problème n'était pas la
langue, c'était ce prof que je n'aimais pas, pas la langue ! Et puis
dès le début, je comprenais bien la langue en classe. Quand tu
commences et que tu comprends, tu as envie d'en savoir plus, c'est pour
ça !
24. Et vous deux, est-ce que vous parlez italien
?
25. Fj - Moi oui.
26. R - Moi, quelques mots.
27. Alors Fj, est-ce que l'italien t'aide parfois
à apprendre ou comprendre des mots en français ?
28. Fj - Euh, quelquefois...
29. Et est-ce que tu penses en italien parfois
pour utiliser le français ?
30. Fj - Rarement...
31.
XLVII
D'après vous, quelle est l'opinion
générale qui circule en Albanie, à propos du
français ?
32. R - Si je peux utiliser mon exemple, les gens autour de
moi me demandent souvent pourquoi j'ai choisi d'étudier le
français à l'université, ils me disent que c'est
très difficile, les homonymes, les voyelles, la diction, c'est bizarre !
Pour ceux qui ne connaissent pas du tout la langue, ils n'aiment pas
ça.
33. Fj - Moi je pense que le français a toute sa place
en Albanie. C'est la deuxième langue internationale. En Albanie, la
moitié des jeunes apprennent l'anglais, les autres apprennent le
français. Et on peut étudier le français jusqu'à
l'université, ce n'est pas le cas de toutes les langues que tu peux
apprendre ici en Albanie. Tu trouves facilement des cours privés, c'est
ça...
34. Est-ce que tu te sens différent quand
tu parles français ? Est-ce que tu as l'impression qu'il y a une
différence entre le Fatjon albanais et le Fatjon qui parle
français ?
35. Fj - Oui. Les gens sont surpris quand ils m'entendent
parler français. J'aime parler français.
36. Et comment tu te sens quand tu parles
français ? Tu te sens différent ou non ?
37. Fj - Non. Je suis le même. Mais c'est pour moi une
fierté de parler français, je sais que je peux faire CA.
Même en Italie, j'ai parlé français. Mon oncle a
habité en France, maintenant, il est en Italie avec mon père. Mon
oncle travaillait avec les chevaux et il parlait français. Et le soir,
quand on dînait, on parlait français.
38. Et ici en Albanie, ça ne te
dérange pas de parler français dans la rue, dehors, comme
ça ? Tout à l'heure, tu m'as répondu au
téléphone par exemple, tu étais à
l'extérieur...
39. Fj - Ah non, absolument pas ! Tout à l'heure,
j'étais à la maison avec mon oncle et ma soeur, et ils me
regardaient bizarrement parce que je parlais avec toi au
téléphone. Et je les ai regardés et j'ai dit (( Eh, c'est
ma zysh, laissez-moi tranquille ! ».
40. Est-ce qu'il y a quelque chose que vous
voulez rajouter spontanément, quelque chose que vous voulez
préciser par rapport à votre histoire, votre expérience
?
41. Fj - Oj zysh ! J'aime la France, vive la France, allez
les Bleus !
42. R - Moi zysh, mon opinion est que les jeunes doivent
apprendre et parler la langue française, italienne, anglaise... C'est
mieux pour eux. Quand tu connais une langue, tu ne perds rien.
43. Fj - Pour tous les jeunes aujourd'hui, moi je dis : ((
Apprenez la langue française, c'est beau, il y a beaucoup de choses
à découvrir ».
44. R - Une expression de Napoléon Bonaparte dit
qu'avec les hommes, il faut parler albanais, mais avec les femmes, parlez
français.
45. Fj - Parce que le français est la langue des
amoureux, la langue des dames.
XLVIII
Annexe 15 - Interview informateur 07-ED
Interviewer : Amélie Gicquel
Traduction de « Zysh » (prononcer /zuch/),
cela peut être équivalent à « Madame » que l'on
adresse à son enseignante lorsque c'est une femme.
Note de lecture : 1 personnes interviewée. Les
questions posées par l'enquêteur sont en italique et les
réponses en caractères standards. Certains extraits n'ont pas
été conservé car pas en adéquation avec le
thème de l'interview. Cet entretien a été conservé
dans le corpus d'enquête car très représentatif de
l'exposition des Albanais aux langues étrangères sous la
période du communisme et juste après, en particulier pour
l'apprentissage précoce par imprégnation.
Profil de l'informateur ED :
Profession : ancien étudiant de journalisme puis de
français, master dans l'enseignement pour les niveaux primaire /
collège, emploi actuel dans le tourisme et dans les centres d'appel
Expérience à l'étranger : stage de
théâtre en France
Formation initiale : post communisme
1. Tu parlais de l'influence de l'Italie... Les
voisins, qui...
2. Concernant... A l'époque communiste, les gens
étaient plus sociaux, si je peux dire... Dans le sens qu'ils
n'étaient pas individuels. Ils allaient dans la coopérative,
travailler, ils étaient ensemble...
3. L'esprit même d'un régime
communiste, en fait !
4. Bah voilà, chaque après midi, ils faisaient
des spectacles, machin, tout ça. Enfin des films, dans des villages et
dans des trucs comme ça. Et la télé, ce n'était pas
ouvert toute la journée. Enfin, il y avait le soir à partir de
18h jusqu'à 20h, par exemple. Et tout le monde... Est-ce que tu connais
« Sanremo » ? / l'équivalent des Victoires de la
Musique en Italie /. Ici, chez nous, on a ça, c'est «
le Festival de la Radio - Télévision Albanaise ». Donc tous
les chanteurs, ils chantaient live, bien sûr, avec l'orchestre et tout
ça. Trois jours, quatre jours, c'était trois jours de spectacle
et ensuite la finale. D'ailleurs, on a gardé cette tradition que le
gagnant que de cette compétition serait le représentant de
l'Albanie pour l'Eurovision. Et tu imagines, la télé, ce
n'était pas tout le monde. Celui qui avait une télé
à cette époque, il aura été obligé d'obtenir
un permis auprès du conseil, du Parti, et tout ça ! Et celui qui
avait la télé...
5. C'était la star du village
!
6. Pas seulement la star, mais tout le monde venait,
/ rires / Mais oui, c'est vrai ! Moi, je me rappelle
des choses parce que mon oncle avait la télé.
7. Tu es né en quelle année
?
8.
XLIX
1986. Je n'ai pas vécu longtemps sous le communisme,
mais j'ai des souvenirs. J'avais 4, 5 ans, mais je m'en rappelle un peu...
Quand il y avait un film, un spectacle, tout le monde, hop ! Mais enfin, quand
il y avait un spectacle ou quelque chose d'exceptionnel, ils venaient le soir.
Après ça a changé, enfin, la télé... 1991,
92, ceux qui avaient de l'argent pouvaient acheter une télé. Ca
s'est libéré, la télé en couleurs, tout ça,
ça a changé. Après, la télévision albanaise
n'avait pas, des programmes, elle n'avait pas grand chose à donner... Tu
vois ? Et toujours, c'était limité, elle transmettait à
10h, 11h, elle donnait ce qu'elle avait à donner, hein... Quelques
informations, un truc, enfin voilà. Ce n'est pas comme aujourd'hui ou
c'est une réelle industrie. Et du coup, une fois ouvert ça, il y
avait des chaînes italiennes qui entraient en Italie, enfin qui
étaient captées par l'Italie. Et si tu vois, toi, toute, la
majeure partie des jeunes de mon âge qui avaient la télé,
ils savent tous parler italien. Pourquoi ? Parce que par exemple, si tu vas
voir au Kosovo, ou la Macédoine... Enfin la Macédoine, je peux
dire que c'est italien. Mais Kosovo, par contre, anglais. Anglais, pourquoi ?
Parce que c'était ex-Yougoslavie, et il y avait l'influence, tout
ça. Parce qu'ils étaient ouverts même pour voyager, mais
s'ils avaient aussi un régime communiste, c'était moins strict
qu'en Albanie. Même les groupes de musique, tout ça ! Donc
voilà, l'influence, c'était l'Italie. Il y avait même cette
chaîne « Telenova », qui rentrait. Les dessins animés,
euh, et même « Itali 1 », une autre chaîne italienne,
« Rai 1 ». Les jeunes regardaient ça, et du coup, ils ont
appris la langue. Enfin je te dis ça, pour te dire comment ça
influence les gens, la télé, enfin l'audiovisuel. Ca, c'est
très important. Ca, c'était l'époque de l'italien.
Maintenant, si tu vois les filles, ou les jeunes, ceux qui regardent les
dessins animés en italien... ils comprennent l'italien, ils comprennent
très bien. Mais, maintenant c'est l'espagnol ! Mais pas seulement les
filles, même si tu es un petit garçon et que ta mère
regarde une telenovela, tu t'habitues et tu comprends !
9. D'autant plus que maintenant, tout est
sous-titré, c'est très facile de suivre l'émission et
d'aller voir l'équivalent en langue étrangère ou vice
versa !
10. Oui, c'est sous-titré, c'est très facile !
Donc voilà, tu as l'espagnol. Après, autre autre chose, avec la
globalisation, tu as la délocalisation des entreprises, pour
accroître leurs revenus, vont envoyer certains de leurs services à
l'étranger. Mais même à l'époque, quand tu regardes
le boulevard principal de Tirana, c'est grâce à l'Italie, un
peu... Là où il y a les ministères jusqu'au carrefour
Mère Tereza.
11. /... / ? l'informateur répond à
un appel.
L...]
L'informateur parle ensuite de différentes
choses, qui n'ont pas attrait à mon enquête.
12. Comment tu as commencé le
français, toi ?
13. A l'école.
14. Oui, mais en quelle classe ?
15. En cinquième classe.
16. Et c'était obligatoire ?
17.
L
Non, non, pas de choix, français, c'est tout. Enfin, le
français, c'était plus épanoui à l'époque
/ rires /, non... répandu.
18. Et dis moi, le petit ED, quelle était
son opinion pour le français ?
19. Le français... Ce n'est pas que j'avais une
opinion, c'était une langue étrangère, voilà... Je
l'ai apprise, et du coup, après, même le lycée, j'ai
été au lycée des langues étrangères, parce
qu'à cette époque, ce lycée, c'était le top, il y
avait un concours à passer. Ce n'est pas tout le monde qui y allait. Au
début, on était que 12 ou 13 élèves à avoir
passé le concours. Ensuite, il y a eu d'autres élèves qui
sont arrivés, mais au début, on était peu.
20. Et pourquoi est-ce que tu as choisi de faire
le lycée des langues étrangères ?
21. Bah, ce n'est pas que j'avais trop le choix, ou que je
pouvais choisir. Enfin, mes parents, langues étrangères ? Langues
étrangères. Voilà, ok. Ecoute, Elbasan a la tradition de
faire sortir des profs, avec l'école pédagogique de 1909, et du
coup, c'était ça. Cette école était la seule
école qui avait un internat. Les élèves venaient de tous
les coins du pays pour étudier là bas. Et dans cet internat,
l'école des langues étrangères ainsi que l'école de
la musique avaient quelques chambres dans cet internat. Les écoles
professionnelles aussi avaient des internats. Une fois l'école
pédagogique finie, tu pouvais tout de suite travailler comme prof. Ca a
changé ces dernières années parce que tout le monde va
à l'université. Mais à l'époque, c'était
comme ça. Il y avait de grands besoins en prof. Donc les gens venaient
là bas pour trouver un travail. C'est vrai que ce n'est pas trop trop
payé, mais c'est un salaire fixe, et que tu as pour toute ta vie. Et
puis tu travailles 6 heures, et voilà, ça va... Donc ce sont mes
parents, voilà, qui ont dit, bon... Ce n'est pas qu'on était
très ouverts à dire « je vais faire ça », ou
« je vais faire telle profession quand je serais grand »
/ rires /.
22. Et après à l'université
?
23. A l'université, j'ai fait, comment dire ?
Journalisme. Parce que c'est à cette époque que cette branche
s'est ouverte.
24. A Elbasan, ou à Tirana
?
25. A Elbasan, à Elbasan. Et à cette
époque, il y avait encore les concours pour entrer à
l'université. Donc j'ai passé ce concours, et je l'ai
gagné, d'ailleurs ! Mais je n'ai pas continué le journalisme.
26. Pourquoi ?
27. Bah parce qu'on peut devenir journaliste sans avoir fait
l'université. Après, je voulais bien, là, à ce
moment là. Ce que je voulais, en effet, c'était voilà...
avocat ou un truc comme ça. Je voulais aider les autres, ou
connaître les lois, et tout ça. Mais à Elbasan, il n'y
avait pas cette filière. A Tirana, seulement, et je ne pouvais pas, avec
les dépenses et tout ça. A Elbasan, j'avais la maison et tout
ça, il n'y avait pas de dépenses. Eh j'ai continué le
français. Je ne voulais pas me fatiguer, si je peux dire comme ça
/ rires /. On venait du lycée des langues
étrangères, c'était plus simple. Je regrette, mais bon.
28. C'est vrai, tu as des regrets par rapport
à ça ?
29. Je regrette dans le sens que... Non, ce n'est pas que
j'ai des regrets parce que j'ai appris le français, non pas du tout.
J'ai des regrets parce que je n'ai pas continué à apprendre
l'allemand / rires /. Parce qu'on avait l'allemand
comme deuxième
LI
langue. Parce que le prof... L'allemand que je sais pour le
moment, je peux communiquer un peu... Demander du pain / rires
/. Ca, c'est grâce à ma prof.
30. Et après ta licence, qu'est-ce que tu as
fait ?
31. Eh le master de français, pour professeur à
Elbasan.
32. Et tu as cherché du travail comme prof
?
33. A vrai dire, non.
34. Tu as essayé ?
35. Bah j'ai envoyé les documents au directoire. Mais
si tu connais personne... C'est un peu ça. Mais je n'ai pas voulu
travailler comme prof, dans le sens que... Bah, ce n'est pas quelque chose de
mauvais, le professeur, mais ça dépend quelle sorte de
professeur. Et où tu vas travailler comme professeur ! Ce que j'ai eu
peur, c'est de trouver un travail dans un village. Et après, c'est fini
la vie, hein ! Tu peux vivre en pleine harmonie avec la nature /
rires /.
36. Moi ça me fait rêver
!
37. Bah, ça dépend ! Si je trouve du travail
comme prof dans mon village. Bah, pas de dépenses, il y a tout à
disposition, bio, les fruits, tout ça, tout ça, tout ça.
Se marier, faire 5 ou 6 enfants / rires /. Mais je ne
voulais pas ça. C'est pour ça que je ne voulais pas faire prof.
J'ai vu mes parents, ils ont fait le prof, voilà, ils ont fait leur vie
tranquille. Ce n'est pas qu'ils ont eu des problèmes.
38. Bah, je vois, il y a des gens à qui
ça convient, et puis d'autres qui ont des ambitions différentes
!
39. Bah ce n'est pas une question que ça te convient
ou pas, c'est qu'une fois que tu es mis dans cette pâte, tu ne peux pas
en sortir. Bien sûr, ça dépend du type de personnes. Et
voilà mon histoire avec le français.
40. Mais tu m'as dit quelque chose tout à
l'heure et tu ne m'as pas répondue... Je t'ai demandé si tu avais
encore des contacts avec les français, et tu m'as répondu que tu
avais grandi. Mais tu ne m'en as pas dit plus...
41. Bah, c'est quelque chose qui a plusieurs explications...
Il y a beaucoup de choses à dire là dedans.
42. Tu sais, s'il y a quoique ce soit que tu ne
veux pas que j'enregistre ou si à la fin, il y a quelque chose que tu ne
veux pas que je garde, dis le moi, et je le ferai.
43. Non, non, ça va, tu peux le garder. Quand je serai
député ou premier ministre, tu vas me demander de l'argent ! Tu
vas venir me voir et tu vas me dire que tu vas sortir ça ! /
rires /. « Quoi ? Fais le sortir, tu vas voir ! » Hop !
/ rires /. Bon, bref. Non, ça, c'est autre
chose. Je ne sais pas si ce que je t'ai dit t'aide à orienter ton
étude sur la façon dont ils apprennent les langues
étrangères.
44. Bah écoute, après plusieurs
entretiens, après avoir réfléchi à la question, je
sais que les Albanais n'apprennent pas les langues étrangères
à l'école, mais dans des cours privés. Et c'est vrai que
c'est une question intéressante ! Et il y a plusieurs raisons qui
expliquent ça. Lesquelles ? Soit les élèves se trouvent
avoir un enseignant qui ne parle pas la langue, qui n'est pas plus
intéressé que ça par les résultats de ses
étudiants.
45.
LII
Oui, je pense que ça dépend de la
génération. Il y a une génération qui est
très bonne en langues étrangères, et l'année qui
suit, ils sont nuls. Ca a à faire avec ça aussi /
l'informateur parle des élèves, non des enseignants
/.
46. Il y a aussi le fait que ceux qui sont
intéressés par les langues étrangères vont faire
des cours privés pour apprendre plus, pour apprendre mieux. Pour aller
plus loin que le programme. Et j'ai observé que c'est devenu une
pratique commune, « je veux apprendre telle ou telle langue, je prends des
cours privés ».
47. Ca, je pense que c'est une bonne chose, parce que de
cette manière, tu n'apprends pas ce que tu n'as pas envie apprendre.
Parce qu'à mon époque, il n'y avait pas l'anglais. Si j'avais eu
le choix d'apprendre l'anglais, j'aurais fait de l'anglais, hein !
48. Ouais, mais est-ce que tu ne dis pas
ça maintenant que l'anglais est devenu la langue internationale ? Tu ne
le savais peut-être pas quand tu étais petit...
49. Non, non, du tout. Enfin, il y a plusieurs choses. Tous
nos chefs d'état ont fait des études en France. La France,
voilà, wow, la langue, l'aristocratie, littérature, romanciers,
révolution, tout ça ! Enfin, peut-être que ça a
changé en dedans, parce que vous y vivez, mais de l'extérieur.
Dans les livres d'école, tout ça, c'est déjà servi,
on ne peut pas l'enlever, on ne peut pas le faire changer. Je pense aussi que
les jeunes ne sont pas franchement intéressés pour apprendre les
langues.
50. C'est l'impression que j'ai
aussi...
51. Tiens, je vais te donner l'exemple de mon petit cousin.
Il est en 5ème ou 6ème classe. Il apprend l'anglais, le
français et l'allemand.
52. C'est lui qui a choisi ?
53. Eh bien c'est dans le programme. Il n'aime pas le
français. Parce qu'il aime l'allemand. Pourquoi ? Bon, l'anglais, les
parents l'ont emmené dans des cours, tout ça. Ah, il est un peu
paresseux, c'est pas qu'il... Il est intelligent, il apprend les choses. Mais
il est un peu paresseux, Internet tout ça, ça le rend mou. Ils
l'ont emmené dans des cours d'anglais et tout ça. Mais ils ont vu
que c'était du gaspillage de l'argent avec lui, pour l'anglais. Il aime
l'allemand ! Pourquoi il aime l'allemand ? Pourquoi ? Parce qu'il aime la prof
de l'allemand ! Pourquoi ? Parce qu'il a répondu une fois, il a
répondu une autre fois, enfin, quelque truc, par hasard il savait. Et du
coup, la prof s'est intéressée à lui. Elle a cru qu'il
apprenait, et c'est devenu une référence pour elle ! Comme chaque
prof, dans chaque cours, ils ont besoin de quelque référence qui
fait croire au prof qu'il comprend ce que le prof explique / rires /. Il bouge
la tête, ok, ok, ok. Tandis que la prof de français, celle qui
était avant... Parce qu'ils sont beaucoup dans la classe, plus de 20,
pas loin de 30. Et pour un prof, c'est vraiment dur de les contrôler,
hein ! Elle mettait des notes comme ça. L'autre qui est venue, elle a
regardé les notes de sa prédécesseur, et du coup, elle a
vu qu'il ne participait pas, elle a adopté la même attitude que la
prof qui était là avant. Mon cousin, ça l'a fait pas aimer
le français, tu vois ? C'est un peu l'effet « hallo », en
anglais, tu sais ? C'est à dire que tu peux avoir un élève
qui est sérieux, mais tu ne l'estimes pas. Tu vas être
influencé par les notes que les autres profs ont mis, ou bien avoir tes
préférences et ne pas faire attention aux bons
élèves. Enfin, les sciences humaines, c'est difficile. Il n'y a
plus 2 + 2, ça fait 4. C'est fini. Je pense aussi que les dirigeants des
Alliances Françaises ont une influence. Ce sont toujours les mêmes
directeurs depuis
LIII
plusieurs années... C'est un peu dommage dans le sens que,
voilà... Ca fait 15 ans que tu as ce poste et tu ne vois personne qui
pourrait prendre ta place.
54. C'est ça, c'est que personne n'a envie de
s'en occuper...
55. Ils ont tous déjà fait ce qu'ils avaient
à faire. Mais personne n'est intéressé pour prendre la
relève, même s'il y a plein de choses, plein de nouveautés
à faire.
56. Il n'y a pas cette volonté
de...
57. Oui les profs ne font pas d'efforts pour faire aimer la
langue. Et les élèves aussi, s'ils s'organisent entre eux.
58. Oui et les élèves, mais bon, si
les élèves s'organisent, c'est qu'il y a toujours un prof quelque
part qui va s'occuper d'eux.
59. Oui, bien sûr, un prof va toujours fait attention
à ça. Mais en fait, ce sont les parents qui veulent que leurs
enfants apprennent des langues étrangères. Ils les envoient dans
des cours privés, ils ne laissent pas au hasard.
LIV
Annexe 16 - Questionnaire de début
d'année
Traduction en français d'un questionnaire
distribué à deux classes de français en contexte
universitaire. Résultats exploitables seulement pour une seule classe.
Questionnaire original en albanais.
Introduction au questionnaire :
Je vous demanderai de bien vouloir remplir ce questionnaire de
début d'année. Il est anonyme. Cette enquête est
menée dans le cadre d'une recherche très sérieuse
effectuée en France. Nous certifions que le résultat de ces
recherches ne sera jamais communiqué aux enseignants du
département de français, nous vous demanderons donc de
répondre librement, même si une des réponses que vous
fournirez n'atteste pas d'un réel engouement à l'apprentissage de
la langue française.
Je vous remercie d'avance.
1. Sexe :
Masculin Féminin
2. Situation de famille :
célibataire marié fiancé
3. Avez-vous des enfants ? Combien ?
Oui Non
4. Vivez vous avec ... ?
vos parents de la famille en colocation à l'internat
5. Emploi éventuel :
où ?
nombre d'heures par semaine :
6. Dans votre lycée d'origine ...
j'ai décidé d'apprendre le français parce
que j'avais le choix j'ai appris le français et je n'avais pas le choix
avec une autre langue étrangère je n'ai pas appris le
français
7. Notes au BAC :
moyenne générale : note en français (si
étudié) :
8. Quelles sont vos motivations à l'apprentissage du
français ? Est-ce par Goût pour la langue
D'après les recommandations de la famille, d'un proche
En fonction de l'avenir envisagé
9. Avez-vous déjà obtenu un diplôme en
français (exemple : DELF, DALF, TCF)
Oui. Lequel Non.
Je ne sais pas
Annexe 17 - Résultats du questionnaire sur une
classe de 28 élèves
Résultats du questionnaire de début
d'année
|
Etudiants de deuxième année
|
|
|
|
|
|
|
|
|
1, Genre
|
Masculin
|
Féminin
|
Total
|
|
|
|
|
|
9
|
19
|
28
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
2, Situation de famille
|
Célibataire
|
Marié
|
Fiancé
|
Divorcé
|
Abstention
|
23
|
2
|
2
|
|
|
|
|
|
|
|
|
3, Avez-vous des enfants ?
|
Non
|
Oui
|
Combien ?
|
Abstention
|
|
|
10
|
|
|
20
|
|
|
|
4, Avez qui vivez-vous ?
|
Avec les parents
|
Avec la famille
|
Avec des amis
|
A l'internat
|
Abstention
|
13
|
3
|
5
|
3
|
2
|
5, Dans quelle ville vivez vous ?
|
|
Elbasan
|
9
|
|
|
|
|
|
|
Tirana
|
2
|
|
|
|
|
|
|
Divjake
|
2
|
|
|
|
|
|
|
Gramsh
|
2
|
|
|
|
|
|
|
Prrenjas
|
2
|
|
|
|
|
|
|
Gjyrale
|
1
|
|
|
|
|
|
|
Pogradec
|
1
|
|
|
|
|
|
|
Berat
|
3
|
|
|
|
|
|
|
Librazhd
|
3
|
|
|
|
|
|
|
Abstention
|
2
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
6, Travaillez-vous ?
|
Non
|
Oui
|
|
Abstention
|
Si oui, volume hebdomadaire ?
|
|
|
20
|
4
|
|
2
|
20h
|
3
|
|
|
|
|
|
|
8h
|
1
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
7, Au lycée,,,
|
|
|
|
|
J'ai appris
|
le français
|
enseignées
et j'ai choisi
par mon
|
entre plusieurs lycée
|
|
langues
|
Valeur A
|
21
|
J'ai appris
|
le français
|
parce que je
|
n'avais pas
|
le
|
choix
|
Valeur B
|
4
|
|
Je n'ai
|
pas appris le
|
français
|
|
|
Valeur C
|
2
|
|
|
|
|
|
|
|
|
8, Note aux
|
examens du
|
BAC sur 10
|
|
|
Note à l'examen
|
de français
|
sur 10
|
|
Moyenne
|
Ecart-type
|
|
|
|
Moyenne
|
Ecart-type
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
9, Pourquoi
|
étudiez vous
|
|
le français
?
|
|
|
Par goût pour
|
la langue
|
|
|
|
|
Valeur A
|
17
|
|
D'après les recommandations
|
de la famille
|
ou des amis
|
|
|
Valeur B
|
1
|
Pour avoir un
|
diplôme
|
|
|
|
|
Valeur C
|
6
|
|
|
|
|
|
|
Vide
|
3
|
|
|
|
|
|
|
|
|
10, Détenez-vous un diplôme en langue
française (type
|
Oui
|
Non
|
|
DELF, DALF, TCF) ?
|
|
26
|
|
|
LV
11, Pourquoi étudiez-vous à Elbasan, si vous
n'êtes pas originaire de cette ville ?
Données générales
|
N°1
|
9
|
N°2
|
4
|
N°3
|
4
|
N°4
|
2
|
N°5
|
2
|
N°6
|
|
N°7
|
|
N°8
|
1
|
N°9
|
|
N°10
|
|
Abstention
|
5
|
Filles
|
N°1
|
9
|
N°2
|
2
|
N°3
|
3
|
N°4
|
|
N°5
|
|
N°6
|
|
N°7
|
|
N°8
|
|
N°9
|
|
N°10
|
|
Abstention
|
4
|
Abstention
N°10
N°6
N°7
N°9
N°4
N°5
N°8
N°1
N°2
N°3
Garçons
2
2
2
1
1
12, A quelle position se trouvait l'étude du
français à Elbasan dans votre liste de choix d'entrée
à l'université (sur une liste de dix choix obligatoires) ?
LVI
|