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L'Albanie, histoire de langue(s) : pour une approche sociodidactique de l'enseignement apprentissage du français en contexte universitaire albanais


par Amélie GICQUEL
Université Paris 3 La Sorbonne Nouvelle - Master 2 professionnel Sciences du Langage mention Didactique du Français et des Langues Etrangères 2014
  

Disponible en mode multipage

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Université Sorbonne Nouvelle- Paris 3

L'Albanie,

Histoire de langue(s)

Pour une approche sociodidactique et contextualisée de l'enseignement-apprentissage du français en université albanaise

Sous la direction de Valérie Spaëth, Amélie Gicquel, septembre 2014

4

Résumé

Ce travail intitulé « Albanie, Histoire de langue(s) » a été réalisé à l'issu de trois années dans l'enseignement-apprentissage du FLE en contexte d'apprentissage de niveaux secondaire et universitaire albanais. Réalisé dans le cadre de l'obtention d'un Master 2 Professionnel auprès de l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris III, la forme de ce travail s'est imposée à elle-même pour deux raisons principales : étant le manque de littérature, nécessaire pour appréhender le contexte sociodidactique albanais, ainsi que la nécessité de le considérer en adéquation avec les représentations des acteurs de différentes échelles de l'enseignement et de la promotion de la langue et de la culture françaises.

En m'inscrivant dans la lignée de travaux engagés par des enseignants-chercheurs tels que Philippe Blanchet, Didier de Robillard ou encore Marielle Rispail, ces deux facteurs m'ont permise de procéder à une analyse de données prélevées directement sur le terrain, en vue de soumettre des propositions potentiellement à engager dans le domaine de l'enseignement du français en particulier pour soutenir le développement d'un plurilinguisme et d'une pluriculturalité observables et effectifs. Cette recherche est également motivée par l'observation qui a été faite que ces deux compétences individuelles (et collectives) sont en péril par l'instrumentalisation qui en ont été faits dans le cadre de l'éventuelle adhésion de l'Albanie à l'Union Européenne. En usant de méthodes de recueil de données qualitatives et quantitatives avec la volonté de rendre fidèlement les acteurs concernés par notre terrain dans le contexte dans lequel ils oeuvrent, il nous a été donné d'observer que les rapports qui s'établissent entre les concepts de langue, société, et éducation sont caractérisés par de profondes scissions autant par absence de consensus du point de vue épistémologique et méthodologique, que pour des raisons historiques dues à une période de transition caractéristique des pays de l'ex bloc de l'Est sur le chemin d'une européanisation qu'il est également nécessaire de remettre dans son cadre (à savoir que l'Albanie n'a jamais fait partie de l'URSS ou de la Yougoslavie).

Examiner ce contexte nous aura permis entre autre de mettre en relief le rôle des enseignants dans ce contexte, autant que de proposer une illustration de l'Albanie au regard des missions que se fixe l'OIF dans le cadre de la défense de la diversité des langues et des cultures.

5

Permbledhje

Ky punim i titulluar « Shqiperia, historia e gjuhes (ve) » eshte realizuar pergjate tre viteve mesidhenieje te frengjishtes si gjuhe e huaj (FLE), ne kontekstin e mesimdhenies ne nivel parauniversitar dhe universitar ne Shqiperi. I realizuar si pjese e nje Masteri profesional te nivelit te dyte ne Universitetitn Paris III - La Sorbonne Nouvelle, forma e ketij punimi eshte vetevendosur per dy arsye kryesore duke pasur mungesa literature qe bashkojne njohurite e nevojshme per te kuptuar kontekstin didaktik shqiptar, si dhe nevoja per ta shqyrtuar ne perputhje me perfaqesimet e aktoreve te shkalleve te ndryshme te arsimit dhe promovimit te gjuhes dhe kultures franceze.

Duke ndjekur linjen e studimeve socio-didaktike te ndermarra nga kerkuesit
akademike si Philippe Blanchet, Didier de Robillard, apo Marielle Rispail, keto dy faktore me kane lejuar te mbeshtetem mbi nje analize te dhenash te marra drejtpersedrejti ne terren per te paraqitur propozime, qe mund te ndermerren ne fushen e mesimdhenies se frengjishtes ne vecanti, per te mbeshtetur zhvillimin e shumegjuhesise dhe multikulturalizmit te dukshem dhe efikas, por i kercenuar nga instrumentalizimi qe eshte bere ne kuader te anetaresimit te mundshem te Shqiperise ne Bashkimin Evropian. Duke perdorur metoda mbleshjesh te dhenash cilesore dhe sasiore me deshiren per ta bere sa me te besueshme per aktoret e perfshire ne terren, dhe ne kontekstin ne te cilin punojne, ka qene e mundur te vezhgohet se marredhenia qe krijohet midis koncepteve te gjuhes, shoqerise, dhe edukimit eshte e karakterizuar nga ndarje te thella, si per mungese te konsensusi te pikepamjeve epistomologjike dhe metodologjike, gjithashtu edhe per arsye historike si pasoje e nje periudhe tranzicioni karakteristik i vendeve te ish Bllokut Lindor drejt rruges se europianizimit, i cili ka nevoje gjithashtu te pershatet me kontekstin (duke ditur qe Shqiperia nuk ka qene kurre pjese e Bashkimit Sovjetik apo Jugosllavise).

Shqyrtimi i ketij konteksti na ka lejuar midis te tjerash te veme ne dukje rendesine e mesuesve ne qender te ketij konteksti, si edhe te japim nje shembull te Shqiperise ndaj misioneve qe ndermerr Organizata Nderkombetare e Frankofonise ne kuader te mbrojtje se shumellojshmerise se gjuheve dhe kulturave.

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« L'ami est un frère sans héritage à partager »

Proverbe albanais

Remerciements, Faleminderit...

Je remercie ma directrice de mémoire, Madame Valérie Spaëth pour m'avoir fait confiance dans le choix que j'ai fait de faire ce mémoire, ce sujet qui m'aura tenue jusqu'au bout. Je remercie tous les enseignants qui m'auront inspirée et qui font de moi aujourd'hui une jeune enseignante en devenir.

Je tiens à remercier tous ceux qui ont cru en moi et en ce projet, qui aura occupé tant de mon temps, à mes amis que je n'aurai pas eu le temps de « respecter » quand je leur demandais encore cinq minutes albanaises : à Rudina Hoxha et à tous mes amis en France qui auront attendu ce dernier été fatidique pour venir voir l'Albanie.

J'adresse également mes remerciements les plus chaleureux à l'équipe d'Ecotour Albania, à Roland Palushi sans qui ce mémoire n'aurait pas vu le jour sous cette forme, à Gëzim Berisha et à sa rigueur, à Armand Pasho. Oui, vivons responsable. Je ne peux pas non plus oublier toutes les personnes que j'ai rencontrées sur mon parcours et qui m'auront aidée à élaborer ce travail ; à toutes les personnes qui m'auront ouvert le livre de leur vie pour rendre ce mémoire possible, car oui Professeur T., l'Albanie est le pays des paradoxes. Les monts et merveilles de la pensée de Béatrice Lafont m'auront tout autant apporté sagesse et relativité quand aucune de ces deux valeurs ne me semblaient perceptibles.

Je ne veux pas non plus oublier l'équipe du service de coopération culturelle et linguistique de l'Ambassade de France en Albanie, et en particulier à Marie-Christine Fougerouse. Un remerciement tout particulier est également adressé à Hasim Braja, qui est un enseignant admirable et respecté et à toute l'équipe d'enseignants de l'Alliance Française et du département de français de l'Université Aleksandër Xhuvani à Elbasan (Greta, Florjan, Marjana, Besa), ainsi qu'aux enseignants du lycée bilingue Mahmud & Ali Cungu (Arian, Lumturi, Hatixhe, Valbona, Alfred). Je n'oublierai jamais ces heures passées avec mes élèves et en particulier avec cette classe de première année, cette « viti parë » (première année) que j'aurai suivie du début à la fin, sans imaginer mon premier jour que je serai là jusqu'au bout. Ah mais oui !

7

Je lance finalement un soupir à ces montagnes qui auront vu plus que je ne l'aurais pensé...

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Sommaire

« PREAMBULE : ASSISE COGNITIVE » 13

INTRODUCTION GENERALE 17

CHAPITRE 1 : APPROCHES NOTIONNELLES ET SOUBASSEMENTS CONCEPTUELS : POUR

UNE CONTEXTUALISATION DE LA PENSEE 25

I/ De notre intérêt : la langue en action 27

II/ De notre domaine d'études : la place de la langue en contexte social et

institutionnel 33
III/ Méthodologie et objectifs de la recherche : du placement humain à l'écriture

40

CHAPITRE 2 : ELEMENTS DE MACROCONTEXTUALISATION SOCIO-HISTORIQUE 48

I/ L'albanais langue maternelle : histoire et statut 50

II/ Ecole, éducation et pouvoir 62

III/ « Nous voulons être comme le reste de l'Europe » 73

CHAPITRE 3 : LA FRANCOPHONIE EN ALBANIE 88

I/ La Francophonie : définitions et statut 90

II/ La francophonie en terres albanaises 98

III / Politique d'action extérieure de la France en Albanie 110

IV/ L'offre en formation initiale en langues étrangères dans le système

universitaire albanais 114

CHAPITRE 4 - PRATIQUES ET REPRESENTATIONS DIDACTIQUES, LE FRANÇAIS ET SON

ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE EN ALBANIE 122

I/ Individus en contexte 124

II/ Conditions de formation des représentations relatives au français 129

III/ Bilan et perspectives de l'étude 139

CONCLUSION GENERALE 153

TABLE DES MATIERES 158

BIBLIOGRAPHIE 162

SITOGRAPHIE 167

TABLE DES ANNEXES

9

Lecture de l'albanais

L'albanais s'écrit avec un alphabet latin normé depuis 1908, comporte 36 lettres dont 7 voyelles et 39 consonnes. Lors de la conférence de Manastir, il fut que l'alphabet albanais devrait être au plus proche de sa phonétique. Les lettres ne changent pas de prononciation en fonction de leur place dans le mot et sont toutes prononcées, à l'exception du /ë/ en position

finale. * Voyelles en gras

Majuscule /
Minuscule

API

Prononciation simplifiée indicative

Exemple et
signification

A / a

[?]

`a', exemple : `chat'

Arrë, noix

B / b

[b]

`b', exemple : `bébé'

Birë, fils

C / c

[t?s]

`ts', exemple : `tsar'

Copë, morceau

Ç / ç

[t??]

`tch', exemple : tcha-tcha

Çfarë, pronom
interrogatif « quoi,
qu'est-ce que »

D / d

[d?]

`d', exemple : dame

Dru, bois

Dh /dh

[ð]

consonne fricative dentale voisée,
exemple : « there » en anglais

Dardhë, poire

E / e

[?]

`é', exemple : né

Emër, prénom

Ë / ë

[?]

`eu', exemple : soeur, n'est pas prononcé en albanais en position finale

Rërë, sable

F / f

[f]

`f', exemple : feu

Fik, figue

G / g

[g]

`g', exemple : gare

Gurë, pierre

Gj / gj

[?]

Consonne occlusive palatale voisée, peu
commune mais présente en italien, par
exemple dans le mot « ghetto »

Përgjigje, réponse

H / h

[h]

`h' aspiré (pas autant qu'en anglais), mais
marque plutôt une césure dans la
prononciation d'un syntagme, exemple :
des haricots

Ha, manger

I / i

[i]

`i', exemple : nid

Pi, fumer, boire

J / j

[j]

Consonne spirante palatale voisée,
exemple : yoyo

Jugu, Sud

K / k

[k]

`k', exemple : kaki

Kur, quand

10

L / l

 

[l]

`l', exemple : lard

Lajmë, information

Ll / ll

[?]

Exemple : « call » en anglais

Djell, soleil

M / m

[m]

`m', exemple : maman

Macë, chat

N / n

[n]

`n', exemple : nerf

Unaze, anneau

Nj / nj

[?]

`gn', exemple : campagne

Një, un

O / o

[?]

`o', essentiellement arrondi, mais peut
être influencé par les lettres attenantes,
exemple : mot

Gocë, fille

P / p

[p]

`p', exemple : pot

Piru, fourchette

Q / q

[c]

Consonne occlusive palatale sourde, plus
ou moins le `k' de « kiosque », qui serait
une occlusive « mouillée »

Qafë, cou

R / r

[?]

Consonne battue alvéolaire voisée,
comme le « r » en position centrale en
espagnol, exemple « pero » (chien)

(i / e) Ri, nouveau /
nouvelle

Rr / rr

[r]

`r' roulé

Rrush, raisin

S / s

[s]

`s', exemple : soeur

Stilolaps, stylo

Sh / sh

[?]

`ch', exemple : chat

Shallë, écharpe

T / t

[t?]

`t', exemple : taper

Tavolinë, table

Th / th

[O]

Exemple : « thumb » (pouce) en anglais

Thikë, couteau

U / u

[u]

`ou', exemple : mou

Ku, où

V / v

[v]

`v', exemple : va

Vdes, mourir

X / x

[daz]

`dz', exemple : xylophone

Xixë, éclat

Xh / xh

[da?]

Exemple : « jam » (confiture) en anglais

Xhaketë, veste

Y / y

[y]

`u', exemple : mur

Yll, étoile

Z / z

[z]

`z', exemple : zèbre

Zarzavatë, légume

Zh / zh

[?]

Exemple : genre

Zhvilloj, développer

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Glossaire des sigles principaux

AF - Alliance Française

CECR - Cadre Européen Commun de Référence

CNOUS - Centre National des OEuvres Universitaires

CREFECO - Centre Régional de la Francophonie d'Europe Centrale et Orientale

DDL - Didactique Des Langues

DFLE - Didactique du Français Langue Etrangère

ECTS - European Credits Transfer System

FLE - Français Langue Etrangère

FOS - Français sur Objectifs Spécifiques

LE - Langue Etrangère

LLCE - Lettres, Langues et Civilisations Etrangères

LM - Langue Maternelle

LMD - Licence Master Doctorat

MAE - Ministère des Affaires Etrangères

MASH - Ministri i Arsimit Shqiptar (Ministère de l'Education Albanais)

OCDE - Organisation de coopérations et de développement économiques

OIF - Organisation Internationale de la Francophonie

PCA & PTA - Parti Communiste Albanais & Parti du Travail Albanais

PECO - Pays d'Europe Centrale et Orientale

PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement

SCAC : Service de Coopération et d'Action Culturelle

SHS - Sciences Humaines et Sociales

TLF - Trésor de la Langue Française

UE - Union Européenne

UNESCO - United Nations Educational, Scientific and Culturel Organization

UNICEF - United Nations Children's Fund

Vlore

Çorovode
·

0

50 km

ALBANIE

MONTÉNÉGRO

B jrarn Cur
·
ri

lr ierzë

Lez he Rreshen

Peshkopi

Laç

* * Burrel

Kru jé

ANCIENNE RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE

MACEDOINE

{

GRÈCE

Coifou

~,, iviswon Réograprrque de la direction des Archives

du Ministère des Atiaires élrangëres et europeennes ' 2010 ,

Durrës :hijak
· TIRANA

*Kay*

ë

P *qin


·

Lushnjë

Her

· Eerat

Tepelene

uPermet

Himare

Giirokastr
·

]elvinë


·

· Sarandé

· Masan

*Cerrik

*Kuçove


·

Pogradec

Carte de l'Albanie

12

13

« Préambule : ASSISE COGNITIVE »

Toute recherche ne peut se déconnecter d'une certaine trame de fond qui permettrait entre autre d'éviter de se perdre dans des tribulations où logique barbare est suprématie de l'ignorance (sans doute au sens albanais du terme). C'est d'autant plus important lorsque l'on se prête à ce type d'exercice précis, où l'on retrace le chemin de de son expérience et de sa réflexion pour obtenir une certaine forme de validité aux yeux de la communauté scientifique enseignante (qui se sera évertuée à nous aviser d'un certain nombre de concepts fondamentaux, en particulier lorsque l'on en vient à agir auprès de l'humain et de sa conception du monde). Qu'en est-il donc de ce qu'on pense être (de) la connaissance ? Jusqu'au jugement évaluateur, le penseur reste longtemps unique détenteur de sa compréhension d'un environnement donné dans la mesure où ses propres représentations et conceptions de son domaine d'action ne sont pas constamment mises à l'épreuve du jugement des autres. C'est encore plus vrai à propos de contextes tel que celui de l'Albanie où peu de ressources de référence et de documentation existent, tel qu'il l'a été mentionné peu auparavant. A quel point est-on rendu responsable de ce que l'on avance et peut-on vraiment se tenir responsable de ce qui ne nous appartient pas fondamentalement ?

Jean-Louis Le Moigne (2012) soulève l'idée selon laquelle l'être humain ne peut directement accéder à la réalité, mais ne peut que l'interpréter en appliquant à son observation du monde, des grilles de lecture basées sur ses observations, ses représentations étant conçues à partir de son expérience d'observateur et d'acteur en interaction avec son environnement. Selon la démarche dans laquelle l'activité de la recherche s'inscrit, il serait également attendu que cette posture de réflexion se vérifie par son application concrète. Mentionnons ce que propose Ricoeur dans un de ses articles « Expliquer et comprendre, sur quelques connexions remarquables entre la théorie du texte, la théorie de l'action et la théorie de l'histoire » : quels fondements épistémologiques, pour quelle épreuve du réel ?

L'idée ici n'est pas de soulever des questionnements propres à des concepts fondamentaux, remettant en question l'élaboration et la consistance même de la philosophie en tant que discipline indépendante. Cependant, l'on peut rapidement s'interroger vis à vis de ce qui nous amène à questionner jusqu'au réel, en particulier quand un sujet, par nature extérieur au contexte observé, peut prétendre pouvoir intégrer ce même contexte pour obtenir une réflexion valable et cohérente ? Prolongeons quelque peu l'idée soulevée en nous

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intéressant plus particulièrement à ce que Paul Valéry a décrit de la manière suivante : « On a toujours cherché des explications quand c'étaient des représentations qu'on pouvait seulement essayer d'inventer »2 et ce que Gaston Bachelard a proposé : « C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique »3. Faudrait-il donc s'intéresser aux représentations, s'éloigner de la recherche d'explications formelles pour adopter « le sens du problème » ? Cela ne semble pas très engageant jusqu'à ce que l'on comprenne la motivation qui anime les chercheurs affectionnant ou défendant les épistémologies constructivistes.

Selon cette perspective, adopter une posture épistémologique ne reviendrait pas seulement à reprendre les lignes d'un cadre conceptuel hégémonique et institutionnellement admis de tous, si on doit en venir à rappeler la critique presque virulente faite de la méthode cartésienne. Ce rappel nous permet donc de situer le contexte dans lequel cette théorie épistémologique s'est édifiée. Les dénonciations formées par les constructivistes du XXème siècle dont Piaget4 est devenu la tête de proue grâce aux travaux de Bachelard5 ramènent à dénoncer les risques pratiquement toxiques de l'adoption du positivisme pour la formation de l'esprit humain, si l'on en suit l'oeuvre de Le Moigne, lorsqu'il qualifie le positivisme de « réductionnisme » (2012 : 108). On ne verrait plus le traitement et la relation de l'objet par et avec le sujet, de son analyse faite par le second d'une situation donnée comme une faculté inhérente au sujet producteur de sens, à l'acteur social en interaction avec son environnement. Peut-on rappeler ici cette capacité de l'être à réunir des éléments de connaissance plutôt que de les parceller, les disséquer pour mieux en comprendre leur fonctionnement ?

De ce fait, la nécessité de reconnaître le caractère multidimensionnel du réel permettrait d'asseoir une partie de sa réflexion et de le rendre rationnel, en plus de s'assurer d'une application sur le réel de ce qui aura mûri à l'esprit du penseur. Si l'on veut être prudent et se dédouaner de toute tentative d'empirisme vulgaire et répondre ainsi à la question éthique de la nécessité de l'épistémologie, il est attendu de pouvoir démontrer en quoi l'application d'une méthode choisie est appropriée, puis de manière plus fondamentale, de présenter en quoi le cadre construit par le chercheur permet justement de poser les jalons d'une connaissance produite et expérimentée par le penseur, qui devient par la suite scripteur de sa réflexion. On s'approche ici de l'effort de réflexivité entendu par l'adoption d'une méthodologie constructiviste dans l'appréhension de son domaine d'étude, Le Moigne en témoigne lorsqu'il reprend la pensée piagétienne en ces termes :

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« il devient nécessaire de soumettre à une critique rétroactive les concepts, méthodes ou principes utilisés jusque-là de manière à déterminer leur valeur épistémologique elle-même. En de tels cas, la critique épistémologique cesse de constituer une simple réflexion sur la science : elle devient alors instrument du progrès scientifique en tant qu'organisation intérieure des fondements et surtout en tant qu'élaborée par ceux-là même qui utiliseront ces fondements et qui savent donc de quoi ils ont besoin. » (Piaget (1967) in Le Moigne, 2012 [1995] : 108-9)

Cette citation permet également de soulever la jonction fondamentale entre épistémologie et méthodologie. La première ne se réduit pas à une critique passive de concepts et de notions, mais introduit effectivement la nécessité d'adjoindre la manière de penser à la manière de faire, ce qui s'approcherait grandement de la prise de responsabilité nécessaire de la part du penseur-acteur que de mesurer la conséquence de ce qu'il avance. La méthode et la réflexion rétroactive deviennent deux outils déterminants dans l'assise de la valeur épistémologique d'une réflexion, autant que la base du progrès scientifique. La recherche ne s'apparentant pas à l'application d'un cadre méthodologique prémâché à un contexte situationnel décroché de l'espace-temps, il semble primordial de savoir effectuer des aller retours entre pratique et théorie, et avant tout d'apprendre à le faire, pour mieux construire un cadre en adéquation à son terrain, et être sûr de ce qu'on avance.

Nous retiendrons finalement la réflexion de Kant à ce sujet qui propose un essai à propos de la finalité de la production de la connaissance, ajoutant dans ce sens que l'homme se rationalise par le fait même qu'émane de sa conscience la volonté de comprendre le monde, et que la finalité de cette volonté soit justement de construire des objets de connaissance. Dans l'introduction à la Critique de la faculté de juger de Kant, Alexis Philonenko propose que c'est dans la synthèse des individualités que se construit la logique universelle (1993 : 19), réintroduisant également l'importance, voire le caractère inévitable de la communication pour la construction des savoirs. Le Moigne reprend précisément cette idée en réintroduisant la valeur et le pouvoir cognitif de l'homme dans l'élaboration de la connaissance, sans quoi je présume que l'on se limiterait à des discours sans application ou accroche sur la réalité ? « Au commencement était l'action », quoi de mieux pour introduire une étude qui souligne le lien entre pensée et action des acteurs observés ? Du point de vue heuristique, la théorie constructiviste s'attarde par ailleurs à comprendre le mode de construction de la connaissance qui réside dans l'interaction entre l'objet et le sujet. Se limiter à une modélisation de l'objet serait, par définition, réducteur et ne respecterait pas les conceptions constructivistes soutenant l'idée selon laquelle la connaissance et par extension l'intelligence se construisent à partir de la réflexion posée sur les interactions entre le sujet et

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l'objet. L'effort de réflexivité ne se commande pas et s'inscrit dans la capacité de l'homme à mobiliser ses compétences cognitives pour produire cette connaissance dont il a besoin pour évoluer dans son contexte. Nous pourrions rapidement mentionner le pluriel de cette assertion et soulever le fait que les individus de notre temps évoluent au sein de plusieurs contextes, le tout est de connaître la finalité de ce fait, peut-on en être conscient ? La conscience même de l'homme ferait de lui un individu doué de pouvoir. Les facteurs qui influeront sur sa conception du pouvoir et son utilisation modifieront ensuite l'utilité qu'il aura et qu'il projettera de ce pouvoir de penser et de faire.

Cette très courte partie retrace grossièrement ce qui permet au chercheur penseur de se tracer un chemin dans ce qui fait son pouvoir de réflexion. Ce laïus ne se prétend nullement exhaustif ou suffisant à l'assise d'une réflexion, mais la mise en lumière d'une tentative d'ancrage dans ce qui fait la science et le pouvoir de la pensée d'un individu aura été amorcée et me semble avoir sa place au sein d'un écrit qui relève d'un effort de réflexivité. Qu'il puisse se combiner aux espoirs que je lui porte serait une petite lucarne sur un monde des possibles qui n'a pas encore conscience de lui-même.

17

Introduction générale

J'ai souvent eu l'occasion de comparer ce travail de recherche à un véritable chemin de croix. L'étudiant, soucieux d'être académiquement recevable aux yeux de ses pairs et de ses enseignants, se doit de porter ce projet sur ses épaules, qui lui pèse par la quantité de travail qui s'annonce, autant qu'il le chérit par la profondeur d'esprit que ce travail lui procure. Le chemin autant que son aboutissement représentent cependant un voyage personnel et intellectuel sans pareil. Comme Bachelard le dit dans son oeuvre La Formation de l'esprit scientifique (1938), rien n'est construit, et si l'on veut trouver la réponse à sa question, il s'agit de la produire. C'est ce chemin que « l'apprenti-chercheur »1, est amené à emprunter. L'activité intellectuelle en construction et en perpétuelle restructuration, placée ici sous la métaphore d'un cheminement, devient une confrontation entre soi-même, ses propres représentations et des théories conceptuelles. C'est précisément à cet endroit que la connaissance s'établit. C'est du moins de cette manière que j'ai vécu cette expérience.

Quel(s) chemin(s) ce travail a-t-il emprunté ? Commencer par préciser ce qui m'a amenée en Albanie, terrain de stage à partir duquel j'ai bâti mon travail, me permettra ensuite de démontrer en quoi la problématique actuelle de mon mémoire répond à la tournure qu'a prise mon expérience professionnelle d'une durée de plus de deux ans dans ce pays des Balkans. La transparence nécessaire à l'activité même de la recherche et le récit de ce cheminement me semblent être deux éléments à développer, pour permettre au lecteur de saisir pleinement quelle ampleur ce travail a pu prendre. Les questionnements retenus dans ce travail ainsi que le champ d'étude concerné seront ensuite présentés, avant d'entrer dans le corps de cette étude reposant sur une contextualisation de l'enseignement - apprentissage du français en Albanie, pour une meilleure définition de la promotion et la diffusion de la langue et de la culture françaises.

Mon premier contact avec ce pays a eu lieu en 2011, et tout à fait par hasard, puisque l'histoire commence quelques centaines de kilomètres plus loin. A mi-parcours de mon année de Master 1 en DFLE à Paris III, je me sentais armée d'outils didactiques sérieux, mais leur application et leur utilisation me paraissaient beaucoup plus incertaines. La campagne des stages longs MAE venait de s'ouvrir. Familière du Moyen-Orient pour y être née et y avoir

1Désignation relativement courante dans des ouvrages d'épistémologie et de méthodologie que j'ai consultés, à titre d'exemple : L'entretien compréhensif de Kaufmann (2011, 3° éd.)

18

grandi jusqu'à l'âge de dix ans, mes choix s'étaient portés sur la Jordanie, et Barhein, dans la péninsule arabe et c'est la base militaire d'Amman, capitale de la Jordanie, qui accepte de me recevoir après étude de ma candidature.

Cependant, mon maître de stage sur place me contacte quelques semaines plus tard, pour m'annoncer que je ne pouvais pas être reçue, ils auraient préféré avoir un stagiaire homme (pour des raisons clairement transmises). Il ne me restait alors plus qu'à choisir parmi les stages vacants. Les destinations qui étaient encore proposées m'étaient toutes presque inconnues, mais l'Albanie a retenu mon attention, car elle est située dans une région géographique que je connaissais un peu mieux, par les voyages que j'avais eu l'occasion d'y effectuer auparavant. Après quelques échanges avec le CNOUS, je deviens la prochaine stagiaire MAE à Elbasan, ville de province proche de la capitale du pays, Tirana. Je suis partie dans ce pays sans rien n'en savoir, lestée par les idées reçues qualifiant l'Albanie, dont on m'avait affligée avant mon départ : trafic de drogues, prostitution, mafia sont quelques-uns de ses domaines d'action (mé)connus. Je refusais de m'accorder à croire aveuglément les idées qui circulaient autour de la réputation des Albanais, mais je pressentais toutefois que ça serait probablement plus compliqué de trouver ses aises dans un contexte qui était vraisemblablement instable. La Jordanie se serait inscrite dans un projet en accord avec mes aspirations professionnelles de l'époque, alors que j'étais pourvue de notions en arabe après avoir étudié cette langue pendant mes premières années de scolarité, puis à nouveau lors de mon assistanat de français aux Etats-Unis. De plus, je me sentais proche de cette culture qui avait bercé mon enfance.

C'est finalement un coup du sort qui m'a emmenée dans un autre pays, dont je pense maintenant qu'il est difficile d'en savoir quelque chose tant que l'on ne l'a pas appréhendé, à ce que les officiels albanais du tourisme ont appelé « le dernier secret d'Europe ». Puis j'y suis restée une deuxième année, en demandant le renouvellement de ma convention de stage, dans la même ville. Mon adaptation avait été acquise au prix de larges efforts d'intégration, je trouvais incongru de partir alors que je commençais seulement à comprendre les rouages de ma situation en Albanie, Pourquoi semble-t-il si difficile de percer le fonctionnement de son contexte de stage et plus largement, de la société albanaise ? La réponse pourrait se situer à l'intérieur même de celle-ci. Albert Doja, anthropologue albanais reconnu pour ses recherches vis à vis de la construction culturelle de la personne en Albanie, relate la difficulté voire l'impossibilité pour l'individu albanais de s'extraire du cercle familial tant la force de la

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domination du chef de famille sur son foyer2 endigue toute initiative personnelle (2000). Les recherches de Doja se concentrent sur les familles du Nord de l'Albanie, mais il précise que ce phénomène peut également être observable dans les régions rurales du reste du pays. On trouve ici une piste de réponse, qui permettrait de s'orienter vis à vis de la difficulté pour l'individu étranger à accéder à ce qui anime profondément les Albanais, ici dans leur rôle d'étudiant, à leurs motivations et leurs représentations.

Les connaissances que j'ai acquises au fil de mes études en FLE ne m'autoriseront pas à traiter d'un sujet portant sur les principes de la construction de l'individu, ou encore moins de la juger, cette thématique étant plus proche d'études psychanalytiques que didactiques, bien qu'on m'ait souvent fait la remarque que j'étais à cheval entre les deux. Cependant, il s'agit bien de l'individu qui sort de ce cadre familial auquel l'enseignant a affaire dans sa pratique professionnelle. Il me semble que c'est se placer des oeillères que d'isoler l'individu sans prendre en compte le contexte dans lequel il évolue ni les conditions dans lesquelles il est reçu pour recevoir des connaissances, d'ordres linguistique et langagière en ce qui nous concerne et ayant à trait à la formation identitaire, la didactique ayant des allures d'intervention sociale (selon Beacco 2011 : 35), la justification théorique de ce travail reprendra les concepts auxquels j'ai associé mon étude. Accéder aux motivations, aux représentations, au contexte social et par extension, historique, des Albanais a mobilisé la plus grande partie de mon attention et de mon énergie. Plus j'avançais, et plus je réalisais que le problème ne se situait pas uniquement au niveau micro, celui de mes apprenants et de leur contexte de vie, mais également dans les strates d'action supérieures, et parfois dans des sphères qui ne dépendent pas de l'action ou de la volonté des individus d'aujourd'hui. J'avais le sentiment de devoir résoudre un nombre toujours plus grand de situations souvent complexes, avant d'être en mesure de faire ce qui m'avait amenée en Albanie : enseigner et promouvoir ma langue maternelle et sa culture affiliée à un public étranger. Outre la remise en question que j'effectuais vis-à-vis de mes techniques d'enseignement, à mon agir professoral et à mon utilisation des méthodes imposées, la question prégnante qui s'est imposée à ma conscience d'enseignante mais aussi de coordinatrice d'activités culturelles peut se formuler de cette manière : de quoi s'agit-il lorsqu'on s'intéresse au contexte d'enseignement - apprentissage du FLE en Albanie ? Ces questions remplaçaient irrésistiblement celles qui devaient orienter ma conduite didactique, pas tellement par choix, mais parce que mon rôle d'enseignante et ma place de native en contexte étranger révélaient des problématiques dépendantes de la didactique, mais qu'il fallait éclaircir avant de pouvoir faire ce qu'on attendait de moi. Cette

2 Sa traduction en albanais « vatër » relate mieux la force du noeud familial dans la société albanaise.

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question que je formule reprend les questionnements lancés par les acteurs locaux de la promotion et de la diffusion du français en Albanie, et ils n'ont pas toujours de réponse, ou pas toujours celle qu'ils voudraient bien pouvoir formuler. Nous verrons à l'issu de ce document s'il est possible que nous en formulions une.

Dans la construction d'un objet scientifique clair et concis, le problème réside en ce que c'est une question dont la réponse dépend parfois de diverses disciplines. De plus, lorsque l'on fait face à un contexte pratiquement inconnu des cercles intellectuels et scientifiques français ou étrangers, l'apprenti chercheur a l'impression de devoir tout faire tout seul et la quasi inexistence de sources et la question de leur viabilité rendent le chemin plus compliqué, mais tout aussi passionnant. On peut vite se perdre dans des considérations soit trop larges, soit trop précises qui pourraient vite biaiser l'analyse faite à partir d'un problème donné, c'est du moins ce que ma difficulté à réunir une bibliographie concernant l'enseignement - apprentissage des langues étrangères en Albanie a pu provoquer parfois. Cette absence d'informations générales vis à vis du contexte albanais, excepté le rapport de l'OCDE intitulé « Examen des politiques nationales d'éducation d'Europe du Sud-Est » (2003, basé sur des données datant de 19983), peut vite amener l'apprenti chercheur à se perdre dans une masse d'informations qui paraît pourtant nécessaire à une bonne compréhension de cette problématique.

La première partie de l'introduction aura permis de partager avec le lecteur les raisons pour lesquelles j'ai décidé de m'intéresser à l'Albanie. Il s'agit également de savoir se positionner en tant que producteur et scripteur d'une réflexion personnelle argumentée. Voyons à présent l'objectif de l'élaboration de ce travail qui prend la forme d'une contextualisation du champ de l'enseignement / apprentissage du français en Albanie, mis en relation avec la promotion et la diffusion de la langue et de la culture françaises. J'ai conscience que je réunis dans cette étude deux champs disciplinaires porteurs de problématiques bien distinctes, mais qui se sont révélés interdépendants dans mon approche professionnelle et c'est entre ces deux rôles que j'ai incarnés en Albanie, que se situe ma problématique.

Afin de replacer ce travail dans une perspective plus large de partage des connaissances et des savoirs, un bref rappel des travaux menés par des spécialistes en didactique en rapport avec mon travail sera effectué. Ces articles m'ont également aidée à

3Soit un an après la fin de la guerre civile qui a profondément affaibli l'Albanie (suite à l'effondrement de pyramides financières fomentées par le gouvernement de l'époque).

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orienter l'étude que j'ai moi-même effectuée. J'ai pu constater que peu d'études relatives à l'enseignement - apprentissage du français avaient été effectuées en Albanie. Beaucoup moins concernent la situation actuelle et l'avenir de la diffusion de la langue et de la culture françaises dans ce pays. Un thème assez récurrent a d'ailleurs été traité : il s'agit de l'application du CECR dans les programmes et dans les pratiques d'enseignement, cher aux officiels albanais de l'enseignement et de l'éducation, en partie pour la raison suivante : celle de pouvoir un jour intégrer l'Union Européenne, l'Albanie ayant obtenu le statut de candidat à l'adhésion à l'UE en juin 2014, après avoir répétitivement déposé des dossiers d'étude de candidature. En ce qui concerne le domaine de l'enseignement, le gouvernement albanais a premièrement classé le développement de ce domaine dans ses priorités budgétaires (Service économique régional Danube-Balkans, 2013 : 2). Ensuite, le Ministère de l'Education et des Sports albanais (désormais MASH) a déjà effectué un certain nombre de réformes relatives aux programmes et au rôle que l'école joue en tant qu'institution, en particulier pour dépolitiser l'enseignement après la chute du communisme. Cependant, la révision des curricula éducatifs et universitaires dans une visée d'alignement au CECR (Haloçi, 2008 et 2011) semble poindre comme une nécessité de premier ordre, d'après ces auteurs, tant dans la nécessité de proposer des formations diplomantes alignées sur les standards européens (Dh. Hoxha, 2009) que dans la volonté de promulguer une éducation ouverte visant à développer les compétences plurilingues (Vishkurti, 2012) et interculturelles des apprenants et des enseignants albanais (Dh. Hoxha, 2008 & 2011). Un autre thème bien moins prolifique est celui de la situation de la Francophonie en Albanie, nous citerons alors Andromaqi Haloçi dans sa communication à la XXIIIème Biennale de la langue française (2009), et Silvana Vishkurti dans une autre communication dans un colloque international à Sofia intitulé « Le français de demain : enjeux éducatifs et professionnels » (2010), cependant, nous tenterons de dire dans cette étude que ces deux thèmes de ce qui est vu comme une amélioration de l'enseignement et son caractère politique sont interdépendants et nous verrons en quoi il peut être nécessaire que cela soit pris en compte par les acteurs locaux de l'enseignement du français. Saluons également au passage l'initiative et la contribution largement reconnus de Barbara Ben-Nacer et de Julie Favre pour avoir consacré leurs mémoires de Master DFLE à l'Albanie. La première a traité des représentations du français dans la société albanaise et de l'impact que cela peut avoir sur l'enseignement de la langue, tandis que la deuxième aurait traité de l'agir professoral d'enseignants albanais et plus particulièrement de l'impact de techniques d'enseignement recommandées sous le régime communiste sur les publics apprenants d'aujourd'hui4.

4J'adresse par ailleurs mes plus sincères remerciements à Barbara qui aura accepté de me laisser consulter

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A l'heure où l'acquisition de compétences plurilingues semble être décrite entre autre, comme une nécessité pour mieux développer son esprit et la potentialité des échanges entre les individus (Moore et al., 2002), veine dans laquelle ce travail s'inscrit, on déplore simultanément le fait que la francophonie en Albanie soit victime d'un manque d'intérêt flagrant et grandissant. Afin d'endiguer ce phénomène, les départements de français des universités albanaises autant que les sections bilingues de l'enseignement secondaire et les organismes privés (Alliances Françaises et associations) se voient devoir simultanément axer leurs efforts sur l'image qui véhicule autour de la langue et de la culture françaises, autant que de parvenir à intéresser les apprenants qui se trouvent à étudier le français, malheureusement et trop souvent par hasard. Tiraillés entre deux combats essentiels pour la survie de la présence du français en Albanie , cela fait beaucoup de travail pour les seuls individus concernés qui sont dans la majeure partie des cas, enseignants de la langue française dans une école publique, ainsi qu'agents promoteurs de la langue et de la culture française. Alors que les acteurs locaux de la promotion et de la diffusion de la langue et de la culture française soulignent l'importance du CECR et son application dans le système éducatif albanais, il m'a semblé qu'il manquait une base informative qui permettrait de se constituer un certain nombre de repères, si l'on s'intéresse au contexte auquel j'ai eu affaire ces deux dernières années, de la même manière qu'il semble y avoir une distance entre les actes didactiques, leur répercussion sur les acteurs concernés, les besoins et la volonté de ces mêmes acteurs, ce que nous verrons globalement ici. Soucieuse de vouloir joindre mon expérience personnelle aux connaissances mises à disposition par les enseignants chercheurs que j'ai cités ci-dessus, j'espère humblement pouvoir apporter un éclairage particulier et une modeste contribution quant à la réflexion portée aux politiques linguistiques et éducatives albanaises et aux changements à opérer dans l'enseignement - apprentissage des langues étrangères.

Appuyé de notions conceptuelles constructivistes et d'une approche qualitative de mon terrain d'étude, ce travail proposera une analyse des politiques engagées vis-à-vis de la situation du français en Albanie, centré sur le milieu universitaire albanais. Je m'interrogerai dans ce travail sur les intentions, les enjeux et les modalités qui animent le monde albanais de l'enseignement-apprentissage des langues étrangères et puis plus particulièrement du français à travers ces questions :

- Quelle est la place du français dans la société et dans l'enseignement supérieur en
Albanie ? Cette place a-t-elle évoluée, autrement dit : quelle est l'histoire de cette place

son mémoire. Malgré mes demandes répétées pour consulter le travail de Mme Favre, je serai restée sans réponse.

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accordée au français ?

- Quelles sont les représentations des acteurs de l'enseignement - apprentissage du
français sur leurs pratiques et sur leur rôle de promoteur de la langue française ?

- Dans quelle mesure la contextualisation de l'enseignement - apprentissage peut-elle
répondre aux besoins d'une meilleure promotion de la langue française dans le système éducatif albanais ?

Ce sont autant de questionnements auxquels je répondrai à partir d'outils propres à la sociolinguistique, à la didactique, contribuant à une volonté de mettre en place une étude glottopolitique de la situation de promotion et de diffusion d'une langue et d'une culture étrangères, sous l'angle des rapports contextualisés entre langue et éducation, dans un travail qui comportera trois parties. La première partie portera sur la conceptualisation de l'objet d'étude autant que sur les soubassements méthodologiques et épistémologiques appropriés à ce sujet. La seconde partie présentera des éléments de contextualisation de l'histoire de l'Albanie, des Albanais et de l'institution éducative albanaise permettant d'identifier le rapport des locuteurs albanais à l'Ecole et à l'Université. La troisième partie s'intéressera plus particulièrement à l'adaptation des locuteurs susmentionnés aux changements des politiques linguistiques et éducatives. Pour cela, l'histoire puis l'état actuel des relations franco-albanaises sera traité. Puis, un panorama de la place des langues étrangères et du français, dans l'enseignement supérieur albanais sera élaboré. L'objectif de la quatrième partie est finalement de présenter les interventions des acteurs et des institutions concernées par l'enseignement et la promotion de la langue française, et dans quelle mesure elles s'inscrivent dans la volonté qu'ils expriment de procéder à un changement dans les conceptions du français, de sa culture, autant que d'inscrire la volonté de ces changements dans un cadre d'action qui dépasse la seule action didactique dont ils ont déjà la charge. Cette partie permettra également d'identifier en quoi les locuteurs albanais se trouvent à un croisement de leurs pratiques sociales et éducatives, où se forgent leurs rapports idéologiques et identitaires vis à vis de la langue étrangère (LE) appréhendée. C'est également dans cette partie que sera proposée l'analyse de l'enquête effectuée auprès du public universitaire albanais, pour déboucher sur une ouverture des perspectives pour une meilleure promotion de la langue française.

Placée sous la volonté de contextualiser ce rapport entre langue, éducation et promotion linguistique en Albanie, cette étude a l'ambition d'éclairer les fondements même de notre contexte, autant que de proposer des pistes de réflexion vis à vis du contexte

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d'enseignement - apprentissage du français en Albanie, indissociable de celui de la promotion de cette langue. L'étude de ces deux domaines en interaction, permettrait modestement de donner une meilleure connaissance du contexte albanais autant qu'elle pourrait participer à un éclairage particulier vis à vis de la diffusion de la langue française.

CHAPITRE 1 : Approches notionnelles et soubassements conceptuels : pour une contextualisation de la pensée

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« Pour un esprit scientifique,

toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit. »

Gaston Bachelard

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Introduction

Cette première partie s'attardera nécessairement à ce qui a constitué mes premiers pas sur le chemin de la réflexion. L'idée de ce mémoire n'est pas de présenter un panorama exhaustif de la problématique de l'enseignement-apprentissage du français en Albanie car le traitement complet de cette problématique ne trouverait pas sa place dans un mémoire d'une telle ampleur, en particulier à cause de la variabilité contextuelle de chaque ville. Je précise ainsi dès le début que je tente ici d'établir une base de compréhension de ce que cette problématique sous-tend, et ainsi de contribuer à une réflexion qui occupe depuis quelques temps les réflexions des cercles de l'enseignement et de la promotion linguistique en Albanie. Cependant, je reprendrai ici Reuter (2008 [1995]) quand il définit l'approche à adopter dans une démarche de recherche en didactique : penser à tout en même temps fait de l'objet d'étude de la DDL un possible complexe mais presque incontournable, ce qui me semble particulièrement caractériser notre contexte5. En optant pour une approche employant un croisement de concepts propres à la sociodidactique, domaine que je présenterai dans dans cette première partie, je présenterai ici le chemin emprunté qui aura permis de parvenir à l'élaboration de cette étude, ainsi que ce qui m'a amené à opter pour cette approche.

Débuter par isoler les notions qui me semblaient les plus opératoires dans la définition du contexte albanais m'est apparu comme une base relative, car on peut difficilement isoler les objets d'études les uns des autres et de les compartimenter en disciplines distinctes et indépendantes (Ricoeur, 1977 : 126). Cependant, cette base aura été nécessaire car cela m'aura permis d'identifier les problématiques sous-jacentes à la thématique que je souhaite développer ici. Je procèderai donc à la mise en lumière des définitions opératoires que j'ai sélectionnées puis à une nécessaire mise en relation de ces définitions afin de constituer la charpente théorique de ma réflexion. Il s'agira donc de rendre compte dans un premier temps des notions et des concepts propres à la langue avant de les réintégrer dans notre cadre d'étude à savoir : la didactique des langues (DDL), en regardant ce qui est fait de la langue, du

5 «[...]la didactique du français doit (peut) penser la complexité, en tenant compte d'un côté de l'impossibilité constitutive de la recherche (ou, plus exactement, de chaque recherche) de tout penser en même temps et sous tous les angles ou d'entériner ce qui n'est guère qu'un point de départ : la complexité de l'objet réel; en tenant compte de l'autre côté de sa spécificité et du fait qu'elle traite des relations entre des objets et des sujets, indissociablement cognitifs, affectifs, sociaux, culturels...[...] Cela signifie que la position de principe, dans notre champ, me paraît plutôt consister en la volonté de construire les conditions de possibilité pour penser le complexe plutôt qu'en l'affirmation préalable d'une impossibilité qui risque de nous `renvoyer` (de nous enfermer) dans telle ou telle discipline de référence ou, du moins, dans tel ou tel courant de celle-ci qui, en terme de paradigme, tend à éliminer la pensée du complexe» (REUTER, 2008 [1995] : 215-216)

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point de vue idéologique puis didactique dans le cadre de l'école. Dans la mesure où le terme de sociodidactique ne semble pas encore provoquer de réel consensus, le choix conscient aura été opéré de répartir les deux objets d'intérêt principaux en deux parties distinctes, avant qu'elles ne se retrouvent dans la troisième partie où il s'agira de présenter les enjeux et les limites de l'approche employée.

I/ De notre intérêt : la langue en action

1.1. Langue(s), locuteurs et société : l'utilité de la sociolinguistique

L'étude de la langue en tant que système s'est longtemps trouvée sous la coupe des spécialistes de la linguistique, portés par les travaux de Ferdinand de Saussure, considéré comme le père fondateur de la linguistique moderne. C'est tard dans le XXème siècle que la langue n'est plus considérée comme un système isolé. L'attention est tournée vers ses usages et son évolution, directement reliés et dépendants du contexte dans laquelle la langue existe. Les travaux de Labov (1976) permettent d'envisager l'objet langue d'une manière nouvelle, étudiant « la structure et l'évolution de la langue (...), mais considérées au sein du contexte social formé par la communauté linguistique », conférant à la langue un caractère dynamique, complexe et surtout une fonction sociale. Nous rappellerons, par honnêteté intellectuelle, l'influence du contexte sur la structure systémique de la langue, mais ce regard ne sera pas retenu dans notre étude dans la mesure où nous nous intéressons aux facteurs contextuels ayant une influence sur les pratiques et la formation des représentations d'un groupe de locuteurs étudié émises à l'égard de l'objet langue, sans que cette volonté ne retire aucunement l'intérêt de cet autre genre d'études sociolinguistiques.

Au niveau macro, la langue est, à travers son utilisation, observée par les sociolinguistes, pour ce qu'elle permet de faire et de produire chez les individus, dans leur rôle social. Du rôle social de la langue, Klinkenberg nous propose que la langue soit un « soubassement des identités collectives et le ciment du groupe » (2001: 27), ce qui nous confirme que la langue ne doit pas seulement être vue comme une construction systémique mais qu'elle a également une fonction dans l'organisation sociale : celle de concrétiser les identités et d'avoir le potentiel de les solidariser.

À ce titre, Patrick Charaudeau (2006) décrit les fonctions du langage en contexte dans un rapport sur les modalités d'analyse de la construction de l'identité et de la construction sociale et culturelle d'un individu. Ces fonctions sont celles de la socialisation, de la pensée et

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des valeurs. Dans cette étude, nous nous intéresserons justement à la troisième dimension selon laquelle le langage concrétise les valeurs portées par un peuple et par les individus à travers une langue choisie : « dans la mesure où les valeurs ont besoin d'être parlées pour exister et que, ce faisant, les actes de langage qui en sont les porteurs sont ce qui donne sens à nos actes » (ibid. : §2). Moscovici (1961) intègre justement les valeurs développées par un peuple, dans le système de représentations sociales qui soutient le ciment de la société.

1.2. Langue et représentations

Nous accorderons la définition voulue à l'identification d'une des notions utilisées dans ce travail, à savoir : qu'est-ce qu'une représentation ? En psychologie sociale, (autant que dans d'autres disciplines telle que la psychanalyse), Jodelet (1989 in Boyer 1990 : 102) dit qu'une représentation est « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social ». Le traitement de l'expérience sociale des individus par le langage offre donc un monde que les sociolinguistes décodent dans le but de comprendre autant ce qui est fait de la langue, que ce qu'elle véhicule en termes de symboles et de valeurs.

Jodelet (ibid., 102) précise à ce titre qu'une représentation est aussi : « une forme de savoir pratique reliant un sujet à un objet ». La notion d'idéologie peut toutefois venir influencer la formation de ces « savoirs pratiques » par une orientation qui conviendrait à l'État sur le pouvoir qu'il possède sur la nation, comme le dit Moliner (in Roussiau & Bonardi 2001 : 194) : « tout système idéologique étant régulé par des fonctionnements institutionnels parfois rigides prescrit ou interdit, et en tous cas sélectionne, l'intégration de bon nombre d'informations ». Cette citation s'applique parfaitement à l'orientation politique marxiste-léniniste de la deuxième moitié du XXème siècle en Albanie, ce qui révèle l'idée selon laquelle la politique communiste aura fait le tri dans les idées véhiculées, pour ne garder que ce qui est conforme à l'idéologie politique en place. Vingt années après la chute du régime, peut-on encore dire que l'idéologie a un impact sur les représentations sociales ? En théorie oui, si l'on décide de regarder son terrain d'études en diachronie, bien que le pluralisme politique ait a priori adouci cette ex-uniformité psychologique et culturelle (plusieurs idéologies, naissance de représentations différenciées ?). Nous ferons ici référence à une théorie qui nous paraît utile dans cette réflexion à savoir que les représentations se construisent à partir des idéologies en circulation (en référence aux travaux de Guenier, 1997). Cette conception de la langue fait particulièrement écho à notre contexte, ou plutôt à son passé, dans la mesure où l'Albanie

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communiste de 1944 à 1991 a imposé une conception de la langue idéologiquement et politiquement orientée, forgeant les représentations identitaires et linguistiques des Albanais en faveur de ce que Boyer appelle le nationalisme linguistique : « l'idéologie nationaliste, comme articulation de représentations, opère une sélection et une hiérarchisation à partir d'un ensemble de repères identitaires » (Boyer, 2012 : 4).

Les politiques linguistiques passées auraient alors affronté la gestion par les locuteurs de leurs pratiques linguistiques, au profit de la construction identitaire et nationale de ce peuple. La langue au profit de la nation et par extension de l'État (dans notre contexte) aura certes permis de faire un grand nombre de découvertes scientifiques et historiques vis-à-vis du patrimoine et de l'histoire du peuple de ce pays ; cependant, cela aura également permis d'asseoir la politique communiste d'Enver Hoxha (Jandot, 2000 : 40). La langue maternelle aura ainsi occupé une place centrale autodéterminée, tandis que les langues étrangères (et le rapport à l'altérité engendré par le contact de locuteurs à des codes linguistiques « étrangers », décliné plus loin dans ce travail) n'auront été promulguées que pour servir le régime politique : « l'idéologie marxiste-léniniste du parti doit parcourir comme un fil rouge tout le processus didactique et éducatif de l'école » (Alia, 1988 : 173).

Relier ici le niveau micro de l'observation des pratiques linguistiques et les représentations qui y sont attachées, au niveau macro, échelle institutionnelle des décisions et de la politique permet de se rattacher à la conception de Calvet (2013) quand il défend la séparation de ces deux niveaux de vie et d'action. Les représentations sociales sont finalement intéressantes à observer quand elles sont remises dans leur contexte d'ancrage et d'objectivisation, à savoir quelles modalités permettent aux représentations sociales nées dans une dynamique communicationnelle, de trouver le ciment nécessaire à leur signification, leur compréhension et leur sédimentation. Autrement dit, quels facteurs influencent dans notre contexte la naissance et le partage des représentations à l'égard de la langue française ? On pourra rappeler ici De Robillard qui précise que : « un être ne construit pas des représentations concernant ce qui l'indiffère » (2011 : 24), l'appropriation de l'expérience empirique par un individu provoquant par conséquent la naissance de formes détentrices de sens et ré-exploitables quand acceptées par d'autres. Maurer (2011) attire particulièrement l'attention sur les représentations sociales ordinaires, qui sont un tissu de croyances collectivement partagées en ce qu'elles constituent le matériel empirique d'une communauté donnée. Ces représentations ont leur importance en ce qu'elles sont des témoins de la façon dont les individus vivent leur « univers ». L'étude de ces représentations permet au chercheur et dans notre cas, de trouver un ciment à l'élaboration de sa compréhension d'un monde dont il a une

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expérience. Cependant, et particulièrement quand on en vient à l'étude des représentations portées par un groupe d'individus à l'égard d'un objet circonscrit, les consciences se raidissent, car les représentations ne sont pas directement observables, mais relatées à travers le discours et les attitudes des individus interrogés (Moscovici, 1976 ; Abric, 1994). Il revient alors au chercheur de savoir situer l'usage qu'il fait des représentations et de les situer en contexte.

Qu'en est-il aujourd'hui alors que l'Albanie tente de démocratiser ses manoeuvres pour s'adapter aux standards de l'Union Européenne ? Quelle est la place accordée aux langues étrangères maintenant qu'elles ont libre droit de circulation en Albanie ? Quel est le statut accordé à la langue française par ses apprenants en contexte universitaire ? Dans le choix qui a été fait dans ce travail de mieux comprendre la situation linguistique de cette langue en Albanie, nous accorderons un regard sur cet élément de la vie des locuteurs observés. C'est ainsi la place qui sera accordée aux représentations vis-à-vis de la langue française dans cette étude, et nous tenterons de vérifier à l'issu de celle-ci qu'elles peuvent être expliquées à travers les valeurs qui appuient le peuple albanais dans leurs relations à la société de leur temps.

1.3. Identité et altérité : de l'expérience des langues et de leur appréhension

Nous pourrions commencer par nous interroger sur l'appellation en albanais concernant la première langue acquise par un individu, formant sa capacité au langage, qui est étudié pour le cas albanais par Rrokaj (2014) sur l'analyse des catalyseurs du message, donnant un très bon aperçu de ce qui caractérise les conditions dans lesquelles la communication s'effectue en albanais et surtout, ce qui la motive6. Deux variantes existent en albanais, l'une appartenant à un registre plus littéraire tandis que l'autre est plus courante. La « gjuhë amëtare » mentionne la langue appartenant à l'indigène, au natif, à celui qui est originaire d'un pays ou d'une région. La deuxième variante propose un sens qui peut affilier à la mère, « gjuhë e nënës » : littéralement la langue de la mère, qui est par ailleurs plus couramment usitée que la première appellation. Je laisserai ici une place au débat qui est né de ma demande d'informations auprès de mes différents interlocuteurs qui m'auront précisé que « amëtar » et « e nënës » avaient le même sens, même après que j'ai essayé de leur présenter la différence dans l'affiliation accordée : l'une étant celle au sol, tandis que la deuxième fait référence à la mère. L'affiliation à la mère et celle à la terre sont-elles concordantes pour les

6 Il serait intéressant d'observer les échanges en LE par les albanophones au regard de l'ethnographie de la communication.

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Albanais ? Je laisse cette appréciation à des spécialistes en sémiologie qui pourront pousser cette étude, mais la remarque reste frappante, et nous nous intéresserons en chapitre 2.

De l'autre côté, l'appellation accordée à une « langue étrangère » se traduit par « gjuhë e huaj » qui ne traduit pas autant le caractère extérieur que l'adjectif « jashtë » paradoxalement accordé à ce qui est extérieur à un système donné, nous donnerons à titre d'exemple : un enseignant vacataire est qualifié de « jashtëm », extérieur (ou plus rarement de « përkohshëm », temporaire). Alors que la langue française (pour se concentrer sur cette langue) n'utilise qu'un seul qualificatif pour définir ce qui est extérieur à un peuple ou une nation, la langue albanaise en propose deux. L'étranger ou le caractère étranger d'une personne et de sa langue semblent donc avoir un statut particulier dans la désignation faite ici en langue albanaise, qui pour le cas du Nord du pays rejoignent cette règle coutumière où il est condamné de fermer sa porte à l'ami et à l'étranger (en référence au Kanun de Dukagjin, code de lois coutumières à l'oeuvre dans le Nord). Ce n'est pas sans rappeler que la langue albanaise a elle-même un statut particulier dans les écoles et dans l'histoire de cette langue. Ainsi, une étude vis-à-vis du rapport de l'Albanie et des Albanais aux étrangers permettrait de mieux comprendre le sentiment d'appartenance ethnique, plus que « nationaliste », et viserait à s'interroger quant à ce rapport particulier entretenu par les Albanais avec ce qui se situe au-delà de leurs frontières, ce qui sera effectué en chapitre 2.

Cette distinction entre langues premièrement et secondairement acquises reste pertinente dans notre étude dans la mesure où un apprenant partira de ses acquis linguistiques premiers ou précédents avant d'aborder une langue étrangère nouvelle. À travers l'appréhension d'une langue étrangère, l'apprenant est dans l'expérience de l'altérité :

« Accéder au `sens étranger' (Besse, 2000) revient sans doute, à admettre que l'autre / les autres langue(s) comporte(nt) toujours une part de différence, à laquelle on ne peut totalement accéder ; ce qui se traduirait alors, d'abord, par une prise de conscience des conséquences profondes de l'altérité et de l'irréductibilité de la part incompréhensible (parfois minime certes, mais toujours présente) de l'autre et de sa parole ». (Castellotti, 2011 : 130)

Finalement, un code linguistique nouveau, qui va de pair avec son appréhension et son assimilation dans notre étude, n'occupe pas une place statique quand on sait « qu'une langue cesse d'être étrangère au fur et à mesure qu'on avance dans son apprentissage ! » (Dabène 1990 : 15). De nombreuses études en didactique et en sciences humaines et sociales (SHS) se concentrent sur la place accordée à une langue et à son apprentissage dans la construction identitaire d'un individu plurilingue. Cet aspect bien que très intéressant à étudier en Albanie par le rapport unique de ce peuple à l'étranger et à l'Autre sera survolé à regret dans ce

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travail et je pense sincèrement que c'est un thème difficile à aborder de l'extérieur en particulier quand elle est menée par un sujet étranger à un contexte donné (que la présence du chercheur soit participante ou non). Cependant et dans notre contexte où le choix des langues étrangères proposées dans les écoles de tous niveaux scolaires est malheureusement obscur et incertain, l'expérience de l'altérité se trouve lourdement lestée d'a priori et ceci, avant même que l'apprenant n'ait pu se forger sa propre expérience, ce que nous verrons à l'issu de cette étude.

Les biographies langagières de chacun conduisent à une définition bien personnelle de la façon dont chacune des deux sont vécues. Cependant, la question de la place de la langue maternelle sur laquelle un apprenant en LE se reposera plus naturellement pour construire son expérience d'un code linguistique nouveau est importante à prendre en compte. Les deux entités linguistiques qui nous intéressent (LM et LE) ne devraient pas se faire face, comme le proposent Porcher (2012 : 131), ou Moore qui précise à travers les mots de Hickel l'idée suivante :

« La notion de langue maternelle commence à être remise en question pour son inadéquation à s'adapter à la description des pratiques plurilingues dans les situations de contacts de langue. En contexte plurilingue en effet, il devient hasardeux de réussir à identifier ou à caractériser la langue maternelle des individus, sans enfermer la compétence des locuteurs dans des catégories préconstruites et étanches, qui ne peuvent rendre compte de la dynamique et de la fluidité discursive des passages entre les langues » (Hickel, 2007, §14).

Les langues, comme la sociolinguistique le stipule, vivent en contact et isoler une langue ne serait pas pertinent pour la raison où cela ne correspondrait pas à la réalité. Les sociétés d'aujourd'hui et l'accès à l'information, et à ce qui dépasse ses frontières (individuelles ou collectives) s'effaçant de plus en plus, il en irait de même avec les langues, qui s'influenceraient mutuellement. Ce postulat devra être vérifié. À nouveau, l'objet langue n'étant pas un système isolé de son temps et de son contexte, il serait attendu qu'elle évolue au gré de ces deux facteurs essentiels à prendre en compte : le temps et l'espace dans lesquels elle existe, à travers, de manière presque évidente, les locuteurs qui rendent l'existence à cette langue.

Ce n'est pas sans rappeler que l'on m'avait initialement orientée vers une étude des représentations des Albanais vis-à-vis de leur langue maternelle. Cependant, mes lacunes en compréhension de cette langue m'auront empêchée de pouvoir aisément suivre cette voie et de l'approfondir bien qu'une introduction à cet aspect des représentations linguistiques des Albanais sera abordée. Ce ne sera pas sans mentionner, toutefois, l'importance de la

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considération de la langue maternelle dans l'étude des représentations portées à l'égard d'une langue étrangère. Cette étude serait par ailleurs très intéressante si l'on considère que la langue albanaise n'a obtenu droit de cité dans les écoles qu'à la toute fin du XIXème siècle. Qu'en est-il cent ans plus tard ? À ce propos, la linguiste Fatime Neziroski exprime dans un de ses articles que : « La langue est, après l'échec des armes7, au coeur de la lutte pour l'affirmation de l'identité nationale (...). En l'absence d'un État, elle contribue largement à forger l'unité de la nation albanaise » (2009).

II/ De notre domaine d'études : la place de la langue en contexte social et institutionnel

2.1. Société et éducation

L'Université étant le terrain d'études qui m'aura été donné d'expérimenter en grande majorité, une importance sera accordée au rôle joué par cette institution sociale, en fonction de regards variant en niveaux d'analyse : du point de vue symbolique et historique, en tentant de relier ces deux points de vue à la société albanaise d'hier et d'aujourd'hui. A l'heure où l'on examine le choix que l'on porte vers telle ou telle formation universitaire en fonction des possibilités professionnelles de demain, on ne peut pas exclure que la définition de l'Université selon son rôle dans la société pourrait apporter un éclairage certain sur notre contexte. Par ailleurs, certaines théories des sciences de l'éducation stipulent que l'éducation et la politique sont deux domaines relatifs à la vie sociale qui sont indissociables par leur grande dépendance l'un de l'autre (Gelpi, 1985 : 164), ce qui permettra à notre étude de trouver une part de sa consistance et particulièrement dans le sens où « l'Université est l'instrument d'une adaptation (...) de la société à ses changements » (Touraine, n.d.).

Dans ce rôle attribué à l'Université de former les générations futures, il est donc impossible d'éviter le débat (vraisemblablement caractéristique de notre époque) qui est celui de la difficulté des universités à suivre le rythme de sociétés en changement constant. Cette difficulté d'adaptation s'expliquerait entre autre par les termes de Touraine dans l'Encyclopédie Universalis :

« le rôle croissant de la connaissance, la rapidité des changements économiques et sociaux, l'extension de toutes les formes de participation et de contrôle social ont imposé au système

7 En référence à la ligue de Prizren de 1878, qui se réunit pour tenter d'imposer son indépendance à l'Empire Ottoman, considérée comme l'événement majeur du mouvement des Lumières albanais (en référence aux Lumières français).

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universitaire des tâches plus diversifiées, si différentes même les unes des autres qu'on peut se

demander si elles continueront à être remplies par la même organisation » (Touraine, n.d. §1) Le rôle et la demande de souplesse demandés par nos sociétés modernes à l'adresse de nos universités complexifieraient la tâche idéalement accordée à ces hauts lieux de connaissance et de production du savoir, qui revêtiraient trop vite les lignes des entreprises dans lesquelles les étudiants d'aujourd'hui seront employés au lendemain de leurs formations (Dubois, 1997 : 13). Les termes de « marchandisation du savoir », « économie » et « rentabilité de la connaissance » sont tout autant employés quand il s'agit de tenter d'attirer l'attention sur un nécessaire redressement de cap du rôle de l'Université (Lorenz in Charle & Soulié (dir.) 2008 : 34). Une redéfinition du rôle de l'Université serait à entrevoir, afin de permettre à cette institution de continuer à remplir son rôle de formation cognitive, sociale et professionnelle et l'UNESCO) mettait déjà en garde vis-à-vis de la nécessaire responsabilité publique de l'Université en ces termes :

« Si on veut que l'enseignement supérieur continue d'être reconnu comme une responsabilité publique, il faut penser à des manières de porter cette responsabilité dans des sociétés modernes, complexes, afin de s'assurer que l'Europe continue à encourager et à développer l'université comme une lieu de réflexion et de discussion, un lieu qui soit assez proche de la société moderne pour être pertinent et qui garde toutefois la distance nécessaire en vue d'encourager la pensée critique nécessaire non seulement pour des remèdes immédiats mais aussi pour des solutions à long terme ». (Unesco, 2006 : 7)

L'État a besoin de l'Université pour accéder à ce qui constitue les valeurs de la société ; autant que l'Université permet de préparer les individus de la société et de l'État de demain, ou du moins en théorie et dans une société qui s'assurerait d'un minimum de démocratie. Le dialogue entre ces deux strates de la vie sociale s'établirait par le discours tenu dans les politiques déterminées pour permettre l'organisation de la vie des citoyens d'un peuple.

Finalement, on ne pourra ici écarter l'Histoire d'un peuple pour comprendre les valeurs qui sont diffusées à travers le rôle projeté à l'éducation, dessinant ainsi les lignes morales et fondamentales des institutions de l'enseignement supérieur d'un pays. La place de l'Université dans une société et les rapports qu'elle entretient avec cette dernière dépendent de l'histoire accordée et vécue par cette institution. Chaque pays possède sa propre histoire et culture éducatives et le rôle symbolique accordé aux institutions scolaire et universitaire au sein de chaque nation repose sur les relations entretenues par un nombre important de facteurs et de paramètres, bien que l'Histoire d'un pays reste encore certainement le paramètre le plus parlant dans la compréhension des valeurs accordées à ce lieu de formation des individus

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(Vial, 1978 : 94).

Il ne s'agit pas uniquement de décider des valeurs qu'elle incarnera, mais de respecter et d'évaluer à juste titre la fonction qu'elle peut occuper au sein de la société, afin de la desservir le mieux possible et de préparer cette dernière par la formation des individus des générations à venir, ceux-là mêmes qui vivront au sein de la société de demain. Nous aurons retenu une idée mentionnée par une étudiante canadienne qui propose dans un travail comparatiste de théories de l'éducation que :

« chaque société a une conception de l'homme idéal qu'elle veut appliquer et transmettre aux nouvelles générations. Son maintien et son changement tout à la fois en dépendent. Plutôt stable mais jamais complètement figé, cet idéal représente un horizon vers lequel tend la conscience collective, cette espèce d'âme quasi éternelle qui relie entre eux les individus d'une même société » (Bédard, 2010, introduction, §1).

À ce titre, le gouvernement albanais, en réponse aux déficiences de l'enseignement supérieur et de la recherche a lancé un vaste programme de réforme dont le plan a été révélé succinctement début juillet 2014. La nécessité de répondre à l'incapacité des universités albanaises de répondre aux besoins de la société actuelle est porteuse d'un « zéro pointé » accordé par Ermal Bubullima (2014), spécialiste albanais des droits de l'Homme (formé en France !), dans son article à propos des universités albanaises qualifiées d'incapables quand il s'agit de répondre aux besoins de la société, entre autre à cause d'une absence de gestion centrale « prenant en compte les besoins et capacités du pays ». A nouveau, le rôle de l'Université et les programmes proposés par les établissements de l'enseignement supérieur dut être redéfini après que l'école ait « lutté contre tout ce qui est étranger à l'idéologie marxiste-léniniste et contre les anciennes mentalités (Alia, 1988 : 170), pour adopter une organisation fidèle aux critères de l'Union Européenne, d'après le discours tenu par Madame la Ministre de l'Education et des Sports lors de la conférence tenue à Tirana dans le cadre de la présentation du rapport final sur la réforme de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique (Nikolla, 2014).

L'Albanie étant à l'heure de vouloir s'ouvrir sur l'UE, c'est au regard et à partir de l'analyse des politiques linguistiques et éducatives que l'on pourrait alors comprendre en quoi ce pays tente de s'adapter à une fédération d'Etats souverains vieille de plusieurs décennies, alors que l'Albanie n'avait encore jamais connue son indépendance. Une incursion plus profonde au sein des politiques linguistiques et éducatives et de leur implantation dans les Universités constituera une part du deuxième chapitre de cette étude. Cependant, nous pouvons dès à présent établir le cadre qui permet de comprendre comment ces politiques

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fonctionnent.

2.2. Politiques linguistiques

2.2.1. Politique, aménagement et planification linguistique :

Nous commencerons avec une définition simple mais utile des différentes composantes de ce que les politiques linguistiques concluent, et des différentes étapes qui constituent leur mise en place. Ces définitions semblent particulièrement importantes à rappeler tant elles font l'objet de divergences idéologiques qui amèneraient à brouiller la réflexion que l'on souhaiterait poser ici (Eloy, 1997 : 7).

4 Politique linguistique : Une politique linguistique est avant tout une politique, c'est-à-

dire que cela nécessite que l'on se tienne à un certain nombre de principes fondamentaux pour faire preuve de cohérence et de continuité dans les décisions définies et les actions entreprises. Calvet dit que « une politique linguistique est un ensemble de choix concernant les rapports entre langue(s) et vie sociale » (CALVET, 79% ). Les politiques linguistiques déterminent ainsi les actions à entreprendre non pas concernant les formes linguistiques, mais vis-à-vis de la place et des fonctions accordées aux langues en présence au sein d'un territoire donné. Il est important de préciser que les agents collaborant à ce niveau ne sont pas seulement issus du domaine de la politique, mais peuvent appartenir aux cercles d'association ou d'organismes privés. Porcher (2012 [2000] : 6) formule la nécessité de poursuivre des actions linguistiques organisées qui répondraient à l'intérêt collectif d'une société. On pense pour notre contexte aux Alliances Françaises, bien qu'elles soient placées sous la tutelle du SCAC de l'Ambassade de France de l'Albanie et qu'elles dépendent financièrement de celle-ci, nous pourrons dire concernant notre cas qu'elles disposent d'une marge de manoeuvre assez libre.

4 Planification linguistique : seul l'État possède le pouvoir d'élaborer cette étape dans la

mesure où cette instance reste l'institution régulant les individus d'une société donnée. Blanchet (2009 : 129) déterminera également que la planification linguistique peut également dépendre de politiques non linguistiques (économiques, éducatives, juridiques, etc.). Les actions déterminées à partir de cette planification sont finalement les oeuvres de l'Etat que l'on observe concrètement dans la société.

4 Aménagement linguistique : plusieurs définitions ont été trouvées mais c'est

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précisément sur ce point que les divergences idéologiques peuvent brouiller la compréhension de cette étape pourtant fondamentale. Selon Corbeil (1986 : 20), cette étape permettrait d'identifier « la valeur symbolique de la langue > projetée par les institutions qui ont la charge de cette étape. C'est finalement la conception de Chaudenson qui aura été retenue et qui propose que l'aménagement linguistique concerne « la mise en oeuvre concrète, nécessairement différenciée et adaptée, des actions définies dans le cadre de la politique et programmées dans celui de la planification > (cité par Véronique, 1998 : 109), ce qui rejoint la définition de l'action linguistique in vitro de Calvet, où la sphère décisionnelle macro permettrait une identification et une organisation des actions à entreprendre (à travers la planification) pour rejoindre des objectifs de régulation linguistiques globaux.

Calvet fait toutefois une distinction entre les actions de gestion in vivo et in vitro du plurilinguisme et de la régulation de plusieurs langues sur un territoire donné. L'une fait référence à des actions entreprises par les locuteurs pour répondre à des problèmes de communication auxquels ils font face quotidiennement. L'autre se réfère aux décisions prises par les politiciens à partir d'analyses effectuées par des spécialistes de ce domaine. Ces types de gestion peuvent parfois entrer en conflit quand les décisions prises par le niveau macro ne correspondent pas aux pratiques ou aux besoins des locuteurs. Cela peut également être rendu encore plus compliqué quand l'Etat d'un pays donné adopte des décisions qui proviennent d'institutions supranationales englobant plusieurs entités identitaires différentes, ayant chacune une façon de gérer leurs langues en présence et que des consensus globalisants demandent à revoir une organisation qui peut difficilement convenir à chacune des communautés identitaires et linguistiques. C'est normalement à cet endroit que les politiques linguistiques et éducatives doivent être élaborées et appliquées. C'est précisément à ce niveau que naissent les incohérences de la gestion des langues étrangères enseignées en Albanie, ce que nous verrons dans le deuxième chapitre. Les politiques linguistiques concernant les langues étrangères enseignées dans les écoles sont beaucoup plus problématiques et occupent l'esprit des décisionnaires politiques autant que les enseignants, dont les postes commencent à être menacés par un manque d'apprenants, en particulier pour la langue française.

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2.2.2. Élaboration d'une politique linguistique

Une politique linguistique est avant tout multidimensionnelle. Il est important de ne pas se limiter à la considération de caractéristiques restrictives ou arrangeantes, mais de procéder à un repérage d'un certain nombre de facteurs déterminant la situation linguistique appréhendée. Cela permet d'introduire l'idée selon laquelle une politique linguistique doit se tenir à une ligne de conduite, mais qu'elle doit également savoir s'adapter en fonction de l'évolution du contexte (de la même manière que la sociolinguistique détermine qu'une langue et son contexte ne sont pas des constructions systémiques figées, mais complexes et changeantes). La définition d'une politique linguistique est donc un travail de longue haleine et nécessite des efforts constants d'observation, d'évaluation et d'adaptation.

Finalement, la langue ne doit pas être dissociée de la culture qu'elle véhicule ! Qui dit langue dit nécessairement culture et Porcher (2012 : 8) remarque que l'aspect de promotion d'une langue est trop souvent, et de manière préjudiciable, réduit à son aspect linguistique. Lorsque la promotion d'une culture fait également partie des actions entreprises par les décisionnaires des politiques linguistiques, c'est relativement (trop) souvent que seule la culture classique soit promue. Inévitable, il ne s'agit pas d'éradiquer le passé culturel d'un peuple, en particulier pour la France, dont le passé historique et culturel classique est majoritairement reconnu et diffusé à l'étranger. Le statut de la norme et des variantes et leur définition amène un débat où il est difficile de trouver un consensus. Cependant, Porcher (2012 : 128) précise que les deux semblent nécessaires à promouvoir pour assurer une forme de cohérence aux yeux de communautés étrangères, amenées à juger cette dernière, comment est-il possible de l'oublier ?.

Une politique linguistique doit nécessairement passer aussi à travers d'autres réseaux de communication pour être effective, tels que les médias, la culture, le monde professionnel, étudiant, et touristique (et pédagogique pour les voyages d'étude) pour permettre une promotion diversifiée et représentative de la langue-culture cible dans ses variantes et diversités.

Une politique linguistique doit finalement se baser sur un contexte : « Une langue étrangère que l'on chercherait à imposer selon des principes et des normes étrangères à la culture indigène de l'apprenant, n'a aucune chance d'être intériorisée, acquise donc, pour ce dernier. » (Porcher, 2012 : 128). Par définition, il s'agirait de respecter la culture de l'Autre et dans le cas du FLE, de respecter la culture des apprenants avant de vouloir imposer celle que l'on essaie de faire intégrer. Cela signifie donc que les politiques linguistiques doivent être pour rappel, adaptées au contexte rencontré, mais surtout que les définitions de ces dernières se

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fassent à partir d'une étude fidèle du contexte dans lequel la promotion et la diffusion d'une langue donnée sont opérés.

2.2.3. Promotion et diffusion du français, l'histoire du rayonnement culturel du

français, puis de la Francophonie

Ce thème pourrait noircir un grand nombre de pages si l'on veut passer par le rayonnement culturel et intellectuel d'intellectuels de la Renaissance, puis de la colonisation et de l'exportation d'un modèle français dans le monde professionnel qui aura servi d'exemple avant de s'éteindre au profit de figures anglo-saxonnes. Une rétrospective de la politique linguistique extérieure française pourrait être proposée, nous retiendrons finalement l'argument selon lequel le français souffre aujourd'hui de l'image de suffisance dont cette langue est aujourd'hui tributaire (Porcher, 2012 : 24).

Le français aura longtemps été promu pour les valeurs élitistes qui incombent à la nation où elle est parlée. Longtemps donc, la France a représenté la destination des élites intellectuelles et sociales, sans oublier que la langue française était langue de diplomatie, ce qui ne manque pas d'être largement répandu en Albanie.

L'image d'arrogance qui est véhiculée autour de la France et de sa culture aura ainsi appuyé le rejet qui peut être fait d'une langue cible d'apprentissage, et pour notre contexte la première représentation qui justifie son rejet par les apprenants albanais est que ça serait une langue qui se parle avec le fond de la gorge ou uvulaire (représentation que nous francophones avons à propos de l'arabe par exemple), en référence à l'importance que les enseignants albanais mettent sur la prononciation du /r/ en français, difficile pour les albanophones car absente de la phonologie de leur LM. Du point de vue de l'appréhension de la culture, Porcher précise que si le public apprenant que l'on est amené à fréquenter ne comprend pas que les « habitus » (selon la définition de Bourdieu) de la culture cible ne sont ni meilleurs ni pires que ceux de sa propre culture, l'apprenant opèrera un rejet de cette langue par protection de ses acquis et de ses traits identitaires et d'appartenance culturelle, voire nationale. Les projets de redéfinition de la diffusion et de la promotion de la langue française auront mobilisé les acteurs décisionnels de ces dernières. Un consensus serait nécessaire, cependant, il est toujours difficile de se battre contre ses propres représentations. Rappelons Jodelet qui définit qu'une représentation est une forme de savoir pratique permettant d'appréhender son environnement, et que remettre en cause sa grille de lecture pour comprendre et interagir avec son environnement peut se révéler une action difficile à entreprendre.

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III/ Méthodologie et objectifs de la recherche : du placement humain à l'écriture

3.1. De l'utilité de la contextualisation : définition, méthodologie et posture

Avant de parler du concept même de « contextualisation », il sera nécessaire de poser les termes de ce qui constitue un terrain et de ce qui le détermine. On commencera par dire que c'est une question qui est ici sans réponse universelle. On peut déjà mentionner qu'il ne s'agit pas de déterminer des frontières géographiques comme seules indicateurs méthodologiques, mais de savoir délimiter un espace temporel, social et institutionnel. « Le terrain n'est pas une chose, ce n'est pas un lieu, ni une catégorie sociale, un groupe ethnique ou une institution (...) c'est d'abord un ensemble de relations personnelles où `on apprend des choses' » (Agier in Blanchet 2011 : 18). Au sein de ce terrain, le chercheur devra pouvoir dire et présenter quel est le phénomène qu'il aura cherché à comprendre. À ce phénomène sont associés un certain nombre d'acteurs humains et de facteurs pour ce qui relève des interactions entre ces acteurs. L'identification de cet ensemble d'aspects constitue le terrain d'observation, et d'action dans le cadre des recherches action.

Une fois le terrain délimité, il s'agit ensuite « de le faire parler ». Le chercheur mobilisera alors un certain nombre de techniques de prélèvement de données, en accord avec son contexte toujours, qui constituera son corpus. C'est finalement le corpus, réel constitutif de la base à partir de laquelle une recherche se fonde que le terrain prend tout son sens, en ce que le corpus d'observables (utile dans la partie ethnographique d'une recherche contextualisée) doit être significatif avant d'être représentatif. Une recherche en SHS peut être menée sur de toutes petites communautés humaines, le nombre ne fait pas la qualité selon Blanchet, tant que cette communauté est pertinente et que l'analyse faite à partir d'un phénomène qui a lieu dans cette communauté est significatif et peut permettre de produire de la connaissance.

Finalement la significativité d'un corpus se mesure par la présence de constructions interprétatives du monde social par ses acteurs, autrement dit les acteurs observés produisent des interprétations de leur expérience empirique au sein d'un contexte donné, et le chercheur s'est donné pour tâche de comprendre à travers une réflexion argumentée et construite, de donner sens à ces activités humaines. On dit finalement que le terrain est étudié dans sa totalité quand le chercheur a épuisé le nombre de significations et ses variations au sein de son terrain, ou plus simplement que plus aucune variante n'est observable pour le moment. La notion de variabilité et de variation dans les observables, telles qu'elles sont déterminées par

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Dabène & Rispail (2008), amèneront l'hétérogénéité à la fois caractéristique d'un contexte sociologique, L'Albanie est un pays en voie de transition, mais dont l'histoire est toujours prégnante dans le conscient collectif de ce peuple, il s'agira au moins de rendre les différentes phases par lesquelles ce pays est passé pour comprendre comment les individus invoquent telle ou telle partie de leur histoire. Le deuxième chapitre en fera l'état et le quatrième en proposera l'analyse.

Dans la mesure ensuite où la sociodidactique appelle à l'utilisation d'outils d'analyse propres à la fois à la DDL autant qu'à la sociolinguistique, il s'agira d'interpréter la connaissance produite à partir du travail effectué comme appartenant au contexte donné. L'effort d'universalisation favorable à la constitution de théories socio-langagières plus « globales » peut être effectué, mais je doute que cela soit opérable dans un travail de cette ampleur modeste, et en particulier quand mon étude est avant tout empiriste. Un certain nombre de sources empruntées à l'élaboration de l'architecture réflexive de cette étude pourrait montrer dans une moindre mesure que le contexte d'enseignement-apprentissage des LE en Albanie ferait écho à d'autres contextes, par le passé communiste de ce pays. Cependant, et j'intègrerai ici la citation qui aura motivée un grand nombre de mes décisions : « parce qu'un Albanais est avant tout Albanais... et ceci est la première clé qui permette de comprendre ce pays et ces gens » (Jandot, 2000 : 15).

Cependant, ce contexte albanais n'est pas seulement un satellite perdu dans un univers de contextes et la scientificité des connaissances produites ne doit pas être remise en cause au risque de se lancer dans une expérience empirique vulgaire et surtout sans fondement intellectuel. Nous verrons à partir d'ici que le travail de contextualisation trouve toute sa consistance quand ce n'est pas finalement, le terrain, qui est bien défini, mais plutôt quand le chercheur a bien saisi les modalités de sa présence et de son action au sein de celui-ci. Les connaissances produites sont considérées comme scientifiques quand :

- Il est possible d'effectuer une analyse à partir des données identifiées et rendues dans la
retranscription des données observées par le chercheur ;

- Une cohérence interne à la constitution de la réflexion et des méthodes employées par le chercheur est présente dans la pensée autant que dans le travail (ce qui revient à mentionner la nécessaire responsabilité éthique du chercheur) ;

- Une cohérence externe est établie c'est-à-dire que le fruit des réflexions produites par le
chercheur peuvent se confronter, se recouper avec d'autres études relatives au terrain, au contexte identifié ou plus large (national, international selon l'étude) ;

- Les informations relevées et analysées sont acceptables et discutables par des acteurs un

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tant soit peu connaisseurs du terrain examiné.

Ces efforts d'autoréflexivité nécessaire à l'acceptation d'un travail de recherche peuvent se retrouver dans l'analyse des données prélevées sur le terrain.

Le nécessaire positionnement constructiviste, autorisant l'approche adoptée dans cette recherche, permet de conclure sur l'idée que le chercheur donne avant tout état d'une « métaphore », illustratrice de sa propre appropriation de la réalité. Il peut également être difficile dans une approche telle que celle-ci de dissocier recueil de données et analyse pour lieu de production de sens. La clarté d'une méthode opposée à ce qui vient d'être mentionné offrirait un tableau idéal dans un travail de ce type où l'on cherche également à s'assurer de la bonne application d'un certain nombre de concepts méthodologiques (dans la structuration de la pensée autant que dans le rendu écrit de celle-ci), mais il doit être reconnu qu'il est parfois difficile de revenir sur une hypothèse que l'on aura formulée au début de son observation, et qui se sera révélée infondée, mais sans laquelle une hypothèse concomitante n'aurait pas vu le jour. Autrement dit, la description peut parfois se laisser envahir par l'analyse et il conviendra au chercheur de savoir distinguer ces moments de (dé)route pour mieux rendre compte de son travail.

Finalement et particulièrement pour mon contexte, dans la mesure où la production de connaissances invoque un parti-pris (qu'on le veuille ou non), par le fait même que le chercheur s'inscrit dans une historicité à laquelle il ne peut échapper, peut-on poser la question selon laquelle ce type de travail aurait une dimension politique ? C'est du moins ce que De Robillard (ibid.) et Spaëth (2014) mentionnent quand on se conforte dans l'idée que le chercheur se positionne dans son contexte et que sa participation (en particulier en DDL ou le chercheur aura souvent été acteur sur le terrain avant de se transformer en scripteur d'une réflexion) ne peut qu'invoquer des conséquences sur le terrain ainsi que tous ses constituants : acteurs et domaines sociaux dans lesquels les actions du chercheur aura évolué et interagi. Cela retire-t-il de la vérité au contexte observé parce qu'un agent y aura mis les pieds ? Retirez le chercheur, installez des procédés d'enregistrement vidéographique et sonore et le premier zoo humain aura été inauguré.

Comment ai-je procédé à mon recueil de données ? Je me suis permis de faire le choix de présenter les méthodes qualitatives employées dans la partie de ce travail relevant de l'analyse des données, désireuse de présenter mes objectifs dans un premier temps plutôt que procéder à un résumé de techniques de relevé de données. Je préciserai en dernière instance que la nécessaire approche historique d'un contexte donné permet deux choses essentielles :

- Reconnaître l'historicité de l'autre, en lui rendant son altérité et la consistance de ses

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représentations

- De rendre l'action de l'agent acteur chercheur inscrite dans un continuum où encore une fois, son action aura forcément entrepris des conséquences sur le terrain donné et sur ses caractéristiques d'action et de manoeuvre.

3.2. La sociodidactique : un pari fou ?

Nous en viendrons à introduire le domaine de sociodidactique qui permettra de mieux saisir pour quelles raisons travailler sur ce champ de la pensée et de la relation de l'individu à la société est utile dans notre approche de ce contexte. Permettez-moi de commencer par une définition pour permettre à ceux qui seraient encore peu convaincus de l'utilité de cette démarche en amorçant ma réflexion avec les termes suivants :

« La sociodidactique étudie l'apprentissage des langues en lien avec les savoirs sociaux et leurs contextes sociolinguistiques. Elle étudie les situations d'enseignement sans les isoler de leur environnement : contacts de langues et de cultures, statuts des langues et politiques linguistiques. Le corpus de la sociodidactique est donc pluriel et multi-situé. » (Dinvaut, 2012 : 26)

Un des objectifs que se fixe cette méthode est donc de rendre du sens à des éléments inférant dans le contexte d'enseignement-apprentissage, sans pour autant que les études purement didactiques (limitées souvent au seul domaine de l'enseignement et de ce qui peut avoir à trait à l'action rendue des enseignants et/ou des apprenants dans un contexte d'appréhension d'un code linguistique donné) ne soient laissées pour compte, sans aucune reconnaissance. L'approche d'étude de cette discipline vise à regarder les pratiques linguistiques considérées dans leurs contextes de production (historique, social, culturel, humain...), là même où ces pratiques ont lieu et peuvent être observées. Cette approche amène ainsi à s'intéresser à l'expérience vécue, les pratiques sociales, les discours, les récits, les archives, les imaginaires, les idées des locuteurs observés ou des agents informateurs comme Kaufmann (2011) le propose. C'est à travers l'analyse de ces éléments de vie que l'on est amené à produire une connaissance relative à la place des représentations dans la communication et la société.

La recherche menée dans ce domaine vise à identifier dans un premier temps les points de contact entre ressources langagières (langues, styles, discours, interactions, moyens de communication, emblèmes culturels, identitaires, politiques...), les contextes dans lesquels ces ressources ont été observées / prélevées, ainsi que les significations qui y sont accordées. Ces recueils de données, loin des simples descriptions par la scientificité dont le chercheur doit faire preuve pour s'inscrire dans une volonté de contribuer à l'élaboration de théories socio-

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langagières, permettent de mieux circonscrire les représentations langagières et sociales.

Basée sur la sociolinguistique et sur les outils d'observation et d'analyse de cette discipline, la sociodidactique est en quelque sorte, une discipline qui permet de comprendre à qui l'enseignant a affaire et de comprendre de quelle manière son action s'inscrit dans un continuum dont les modalités de définition opératoire à large échelle semble très souvent échapper aux enseignants de Français Langue Etrangère : celui de la diffusion de la langue française et de son enseignement-apprentissage, en particulier en Albanie où les représentations personnelles des individus sont mieux reçues que celles qui sont véhiculées à travers le rôle de l'enseignant. Alors que de notre temps, les modalités d'interaction entre humains, groupes, communautés (de quelque échelle ce soit) sont de plus en plus regardées à la loupe et passées au crible, c'est précisément au tournant du XXIème siècle que les chercheurs se doivent de responsabiliser les informations rendues en les replaçant dans leur contexte d'observation, leur terrain d'études. A l'heure encore où les frontières se dissipent pour ceux qui s'en donnent les, tandis que d'autres de ces frontières ressurgissent des territoires pour s'ériger en garde-fou des valeurs et principes de nations que l'on aura tenté d'effacer au profit de très différentes finalités, rendre la spécificité de chacun semble rester le meilleur moyen pour conserver la particularité de nos différents peuples, tout en permettant une meilleure communication pour un meilleur avenir : ensemble.

La sociodidactique puise finalement une de ses caractéristiques, étant celle de la description dans l'ethnographie, tant il est nécessaire de se baser sur une certaine base de connaissances relativement comprise et rendue identifiable pour enfin pouvoir établir une analyse. Les descriptions ne font pas l'apanage des devoirs analytiques et les défenseurs de la sociodidactique clament répétitivement l'ouverture des théories épistémologiques dites empirico-inductives qui pourra en effrayer plus d'un, mais qui ouvre également la voie à l'ouverture des possibilités. La prise en compte nécessaire de facteurs contextuels divers et de critères d'analyse de diverses disciplines dans une recherche de ce type propose donc des écrits larges, mais relatant une réalité hors de portée de chacun par contrainte géographique, mais saisissable tant que l'honnêteté du chercheur aura été élaborée.

3.3. Glottopolitique : avenir ou mirage ? Limites de la recherche pour lieu de

conclusion rétrospective

Les politiques linguistiques concernent autant les actions sur la langue (quand il s'agit de légiférer sur les statuts des langues véhiculées sur un territoire donné), que sur la parole (quand il s'agit de déterminer les emplois de telle ou telle langue), ou sur le discours (quand il

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s'agit d'examiner le contenu produit dans une langue donnée et de vérifier son acceptabilité). Dans notre contexte, il s'agirait plutôt de vérifier le premier aspect mentionné, à savoir les actions sur la langue et de vérifier le statut accordé à la langue française.

La glottopolitique s'intéresse plus particulièrement à l'action de la société vis-à-vis d'une langue, revêtant ainsi une forme d'expression et d'action politique pour réguler l'usage, le statut ou la forme de cette langue. Ce terme n'est pas né d'une volonté de remplacer les concepts de politique ou de planification linguistique dont la définition reste encore à voir selon la conception idéologique et épistémologique des penseurs référés à ce genre de décisions, mais plutôt d'examiner une situation donnée sous un angle différent, à savoir : à partir du niveau micro. Ce terme sera plutôt né d'une nécessité d'observer les conséquences relatives à la coexistence de langues ou de voir comment les locuteurs d'une communauté donnée s'arrangent de décisions issues des niveaux d'échelle supérieurs. Blanchet (2013 : 75) donne l'exemple de territoires bi ou plurilingues, où locuteurs sont amenés à déterminer les contextes d'usage de telle ou telle langue. Rappelons que ce type de décisions n'émane pas de manière automatique de la conscience des locuteurs, mais parfois de besoins répondant à des nécessités de reconnaissance identitaire ou culturelle (Marcellesi & Guespin 1986 : 6).

L'insertion du terme suit à la prise de conscience selon laquelle il devient nécessaire de se baser sur des besoins et des expériences vécus par les locuteurs afin de pouvoir vérifier la teneur des politiques linguistiques déterminées et parfois déjà engagées. Cette nécessité s'est révélée lorsqu'il a été question de vérifier des théories parfois usées à tort et contraires à la façon dont les locuteurs vivaient l'usage, la connaissance d'une langue faisant partie de leur répertoire. Revenons momentanément sur nos pas. Nous avons précisé que ce sont particulièrement les travaux de Labov dans les années 1970 qui ont permis de considérer l'objet `langue' d'une façon différente, rendant ainsi son dynamisme et sa complexité à la structure systémique que les linguistes du XIXème et du XXème siècles auront étudiée. Replacer le locuteur dans le contexte où la langue est employée et mesurer les concepts théoriques en fonction de la façon dont les contextes sont vécus, autrement dit de légitimer le caractère « glottopolitique » des actions sur le langage est une conception de la gestion des langues et des pratiques née dans les années 1980. Blanchet affirmera ensuite que c'est dans les années 1990 que cette prise de conscience émergea tant la détermination de politiques linguistiques devenait une nécessité et qu'il revenait aux politiques, précisément, de pouvoir contribuer à l'élaboration de décisions adaptées à la façon dont les langues sont employées et dans quels contextes. Y aurait-il eu une progression dans la façon de considérer le rapport de l'homme à la société, à travers son principal moyen de communication : la langue ?

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Les années à venir pourraient faire espérer que l'on continue à écouter les besoins des locuteurs pour permettre de mieux élaborer des décisions à caractère politique et social dans le rapport des êtres humains entre eux, mais aussi avec la classe politique et dirigeante d'une communauté, d'un territoire, d'un pays. On ne pourra pas faire l'économie de spécifier que plusieurs conceptions des actions glottopolitiques existent, en fonction de la conception du rôle qu'a l'Etat sur les pratiques des locuteurs. Il ne s'agira pas ici de rentrer dans une considération telle que celle-ci mais plutôt de mettre à jour les pratiques langagières engagées par les locuteurs d'une communauté donnée, en vue de contribuer (comme précisé un certain nombre de fois déjà) à la connaissance du terrain abordé et par conséquent de participer à l'élaboration de décisions à caractère humain, avant d'être social et politique.

La place toute relative de l'apprenti chercheur vient à se poser la question quant à la réelle contribution qu'il peut apporter dans un domaine de la vie sociale, en particulier quand il n'en est pas originaire et que son passage n'est que temporaire. C'est ici que nous retiendrons l'idée de l'autoréflexivité développée par Robillard (2011) quand il remet la place du chercheur au centre de son activité de recherche et de production de connaissance, et avec et pour les acteurs auquel il s'adresse selon Moore & Castellotti. Selon lui, produire une connaissance revient à comprendre son environnement ; se comprendre soi-même ; et comprendre sa relation avec les autres. Tandis que l'action de comprendre, qui est revenue déjà dans les trois aspects de l'activité de la recherche sous-tend lui-même ces quatre autres aspects : identifier des phénomènes observés ; les classer dans des catégories définies dans le but de les identifier ; leur attribuer des relations ; et des valeurs.

La limite même de ce type de méthodologie est relatif au fait qu'on est précisément des êtres de connaissance, à savoir que nous vivons pour connaître et comprendre, et on ne produit de connaissance qu'en construisant des représentations (Giordan, in Blanchet 2011 : 11). Blanchet attire également une attention toute particulière sur la limite très fine entre ce qui constitue une croyance et une vérité, qui peut, quand on ne contextualise pas soi-même sa démarche de production de connaissance, arriver à des conclusions dangereuses.

Au profit du partage des connaissances plutôt qu'à l'uniformisation de l'approche scientifique, ces dernières lignes auront permis de dire en quoi la connaissance produite par un acteur de terrain est à la fois nécessaire et sensible. On ne m'en voudra pas de tenter de dire qu'il y a des concepts qui échappent à la science, mais que ce n'est pas pour autant qu'on doit s'interdire d'en parler, tant qu'on est en mesure de pouvoir dire que la connaissance produite appartient au contexte dans lequel elle a été puisée et que les représentations de chacun auront portées le fruit d'une réflexion... humaine. On retiendra finalement que le

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chercheur, souvent participant sur le terrain, ne peut se constituer révélateur de Vérité, mais éclaireur vis-à-vis d'un contexte (encore une fois) souvent méconnu ou mal compris.

Conclusion

La première partie aura donc permis de révéler les concepts théoriques et les notions qui s'attachent au contexte albanais étudié. Une fois ce travail effectué, il s'agira ensuite de voir comment ces notions développées dans la partie précédente s'adaptent à notre contexte à travers une présentation d'éléments de connaissances vis-à-vis de notre contexte présent. Nous avons vu que la langue solidarise les identités et permet de créer un lien des individus à la société. S'intéresser, s'intégrer au contexte dans lequel ces éléments de relation entre les deux groupes observés s'opèrent, est une démarche qui permet au chercheur de rendre visible et d'accorder du sens aux représentations des individus concernés par un phénomène identifié.

Cependant, nous avons vu que les représentations ont une histoire, elles n'apparaissent et ne subsistent dans le discours (entre autre) que par l'expérience des locuteurs d'un contexte donné. Il semblerait alors cohérent de relater le contexte dans lequel ces représentations naissent et perdurent, particulièrement selon un regard diachronique afin de ne pas se limiter à des considérations qui ne prévaudraient que sur une durée de temps limitée et peu représentative de l'histoire d'une communauté (ici, linguistique).

Selon la volonté de contextualiser la relation des locuteurs à la société à travers l'usage d'une langue précise, le français, cette partie s'attardera justement à présenter des éléments de connaissance historique relatifs aux relations institutionnalisées ou vécues (gestion in vitro vs. in vivo, cf. infra) d'un Etat, d'une nation (macro et micro) à un élément étranger, ici : la langue et la culture françaises. Nous verrons donc plus simplement de quelle manière les étapes historiques de l'Albanie pourraient avoir un impact sur la situation sociolinguistique et ensuite sociodidactique d'aujourd'hui.

Chapitre 2 : Eléments de macrocontextualisation socio-historique

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« Elle attirera les voyageurs, les touristes, Les artistes du monde entier, Les amis de la liberté viendront à elle en pèlerinage ; Triste pays de l'injustice et de la souffrance Pendant des siècles, Elle deviendra la terre promise de l'optimisme. »

Justin Godard, L'Albanie, 1922

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Introduction

La contextualisation est donc constituée en partie d'une observation des relations entre les individus et les procédés actifs dans une classe et dans l'environnement auxquels les apprenants sont exposés en dehors de leur vie scolaire. Cependant, ce n'est pas seulement un effort de réflexivité responsable émanant de la part de l'enseignant dans sa pratique didactique, mais aussi une approche argumentée qui tend à « insister davantage sur le processus [...] que sur un `donné', qui ne serait qu'un simple décor» (Blanchet, 2009 : 3). Nous nous attarderons donc dans cette partie à présenter les premiers éléments macro définissant le terrain étudié. Considérer ce pays et ses locuteurs comme unilingues et monoculturels ne permettrait pas de traiter ce terrain de manière adaptée et plus encore, et empêcherait de faire apparaître un certain nombre de facteurs à prendre en compte dans la compréhension des pratiques sociolinguistiques et sociodidactiques des individus de ce pays. C'est selon cette composante socio-historique que nous nous attarderons à identifier les liens entre langues, société et enseignement, pensant que cela introduit une meilleure compréhension du contexte autant que des individus.

Après une première présentation historique de la langue albanaise et du rapport de ce peuple à celle-ci à travers le temps, nous nous attarderons sur un regard visant à intégrer le rôle de l'Ecole dans la définition de l'identité albanaise. Nous partirons de l'idée que l'Ecole en tant qu'institution est un des lieux où les identités se forment et se construisent (comme il a été proposé dans la première partie). Nous tenterons donc de comprendre quelle est la place accordée à l'institution éducative et aux langues maternelle et étrangères en Albanie à travers une présentation diachronique des places que ces institutions ont occupées, Nous ferons ensuite un premier point sur le rapport des individus à la langue et à la société.

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I/ L'albanais langue maternelle : histoire et statut 1.1. Formation du peuple et de la langue

1.1.1. Origines, formation de la langue et discours écrit

L'Albanie se dit « Shqipëria », un Albanais étant « shqiptar » et parlant « shqip ». C'est d'après les études de Ptolémée, géographe grec du IIème siècle ap. JC, à propos d'une tribu qu'il appelle les Albanoï (du latin alba, « blanc »8), que l'Albanie reçoit son nom latinisé, on trouve cependant mention de ce nom dans les textes occidentaux à partir du XIIème siècle. Du point de vue linguistique, l'albanais est une langue indo-européenne qui forme un groupe structuro-linguistique indépendant9, bien que l'on puisse dire d'ores et déjà que cette langue n'a pas échappé aux influences étrangères, à savoir les langues étrangères ayant laissé quelques-uns de leurs attributs à l'albanais ont toutes circulé sur le territoire albanais : le turc dans le lexique, en particulier dans des allocutions à fonction phatique (shyqyr : « enfin », dans le sens « finalement ! » / tamam : pour donner son approbation, « ok ») et dans la suffixation de certains verbes ; on trouve aussi des racines slaves dans certains suffixes empruntés, latines dans l'assimilation lexicale (Serbat, 2000 : 71), et grecques dans l'assimilation de certains mots encore.

Les origines et l'ascendance de cette langue sont des questions qui ne sont pas encore élucidées au vu des connaissances actuelles. Certaines hypothèses ont proposé l'affiliation de l'albanais à un groupe de langues, toutes éteintes au courant de l'Antiquité, appelé « groupe thraco-illyrien », à savoir que le peuple albanais descendrait de la civilisation illyrienne, selon la majorité des études menées dans ce domaine. Cet argument a été affirmé par Leibniz (1705), Ange Masci (1808) et Conrad Malte-Brun (1829) pour les oeuvres de référence. Diverses autres hypothèses disent que les Albanais descendraient plus anciennement des Pélasges (Effendi in Yélen, 1989 : 129), ou des Etrusques (thèse particulièrement défendue par l'ex-dictateur Enver Hoxha à des fins politiques, Cabanes & Cabanes 1999 : 189), ou seraient affiliés aux Thraces. L'hypothèse selon laquelle les Albanais descendraient des Illyriens est partiellement vérifiée par le fait que ce peuple antique a occupé une aire géographique allant du Nord de l'actuelle Croatie jusqu'au Nord de la Grèce. Cependant, aucune parenté (exceptés les emprunts qui ont été effectués au fil de l'Histoire et des contacts entre ces langues) n'existe entre l'albanais, le serbo-croate (dont les locuteurs occupent aussi aujourd'hui cette aire géographique) et le grec.

8 Cette tribu était installée dans la région calcaire de Kruja.

9 Voir infra pour alphabet albanais et mode de prononciation

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Du point de vue de la littérature concernant et produite en albanais, nous savons que la première allocution en langue albanaise est une formule de baptême datant de 1462 rédigée par l'archevêque de Durrës Pal Engjëlli. Le premier ouvrage rédigé en albanais date du siècle suivant, de 1555, étant un missel publié en Italie par Gjon Buzuku. Bien qu'elle ne soit pas encore « normée », la langue albanaise existe et se fraie un chemin dans les ouvrages religieux d'à travers l'Europe. Des voyageurs européens, les intellectuels émigrés ou intégrés à la hiérarchie ottomane à Constantinople, et diverses communautés religieuses font vivre la langue albanaise et ses locuteurs à travers des écrits littéraires, monographiques, scientifiques (en particulier géologiques)10.

La classe intellectuelle albanaise reprend cette volonté de normer la langue albanaise à partir du XIXème siècle. L'intellectuel et traducteur Kostandin Kristofëridhi traduit le Nouveau Testament d'abord en guègue (1872), dialecte du Nord de l'Albanie puis en tosque (1879), et écrit une grammaire de l'albanais en 1882, en langue grecque. Ces deux traductions sont considérées comme ayant permis de trouver un compromis entre les deux dialectes et ayant donné naissance à la langue nationale dite « standard » (bien que majoritairement inspirée du tosque, par le pouvoir d'Enver Hoxha, natif de Gjirokastra au Sud du pays). La littérature en langue albanaise apparaît de façon assez tardive si l'on considère que ce peuple est vieux de plusieurs siècles, sans compter que le choix de la transcription écrite de cette langue est également officialisé très tard, comparé aux origines anciennes de ce peuple (1908, Congrès de Manastir, actuellement Bitola en Macédoine). Avant cette période, on employait tantôt les alphabets latin, grec ou arabe (anciennement utilisé par les Ottomans), en fonction de la langue qui introduisait les Albanais à la littéracie, puisqu'aucune école en langue albanaise n'a existé avant la fin du XIXème siècle (Clayer, 1999). La tardive alphabétisation de ce peuple dans sa langue maternelle aura également retardé la possibilité d'inscrire dans une langue propre ce qui appartient au passé de cette civilisation. Comptons également que la première école en langue albanaise s'ouvrit le 7 mars 1887 dans la ville de Korça au Sud-Est. Quelques rares écoles de différents niveaux d'éducation eurent été créées dans le passé (principalement au XVIIème siècle). Comptons par exemple l'Académie de Voskopoja ouverte en 1750 pour proposer des cours de philologie grecque, mais cette ville subît trois incendies ravageurs auxquels l'Académie ne survécut pas.

Il existe donc très peu de documentation ancienne sur ce peuple qui peine même à asseoir la légitimité de son existence et de sa culture. Les premières fouilles archéologiques entreprises sur le sol albanais datent du XIXème siècle (surtout 1861) sur le site d'Apollonia

10 Voir la bibliographie en annexe « Amis de l'Albanie »

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d'Illyrie, tandis que les recherches les plus approfondies datent de 1924, sous la direction de l'archéologue français Léon Rey. Le site de Butrint (que Racine mentionne dans son oeuvre Andromaque) sera lui mis au jour en 1928 par l'italien Luigi Maria Ugolini.

1.1.2. Variétés et statut de l'albanais et langues minoritaires en présence

Du point de vue officiel, deux dialectes principaux sont en présence : le guègue (au Nord) et le tosque (au Sud), avec pour frontière naturelle le fleuve Shkumbini, scindant le pays en deux moitiés grossièrement égales. Le dialecte officiel de la République d'Albanie est le tosque, mais la loi stipule que c'est « l'albanais » qui doit être enseigné dans les écoles d'après l'article 6 de la loi no 7952 du 21 juin 1995, sans distinction dialectale, laissant présager une relative liberté quant au dialecte enseigné dans les écoles, sans que je n'aie pu le vérifier moi-même. Ces deux dialectes sont différents dans la syntaxe (comme par exemple la forme de l'infinitif qui n'existe pas en tosque et qui existe en guègue), dans la substitution de certaines consonnes au profit d'une prononciation différence (le /r/ du tosque est nasalisé par les locuteurs du guègue, ex. : Shqipëri « Albanie » en tosque, Shqipni en guègue). Cependant, le tosque reste encore largement usité entre deux Albanais originaires de deux villes différentes et amène des difficultés de compréhension relatives à des variations dans la phonétique et le lexique (ex. pour le mot « fille » `gocë' à Elbasan, `vajzë' à Tirana, `çupë' au Sud du pays et `çikë' au Nord, encore que cet exemple ne soit pas illustratif des difficultés de compréhension entre deux Albanais originaires de deux villes différentes quand ces mots sont connus de l'ensemble du pays). La problématique des dialectes semble se révéler depuis la chute du communisme, quand la norme avait été imposée à travers le pays, avec la possibilité pour chacun d'affirmer son identité, les revendications de pouvoir parler son dialecte se font plus présentes jusqu'à poser un problème sur un albanais normé, quand Marashi (2009 : 62) dit que 4 millions sur 6 albanophones des Balkans ne parlent pas le « standard ». Mais cela doit-il révéler des albanais dialectisés ou des dialectes à part entière ? Je n'ai pas les moyens de répondre à cette question, bien que je me la pose. On retiendra que la facilité d'un Albanais à adapter son langage à celui d'un autre dépend d'autres facteurs (niveau d'éducation et fréquence d'exposition au dialecte dit `standard') ; on peut donc noter que certains dialectes sont effectivement difficiles voire impossibles à comprendre à partir de sa seule connaissance de l'Albanais standard quand son interlocuteur ne fait pas d'effort de communication.

On peut observer sur la carte présente en annexe (« dialectes albanais dans les Balkans ») que les dialectes albanais dépassent les frontières géopolitiques de l'Albanie. On parle différents dialectes albanais au Sud de l'Italie et en Sicile (communauté arbëresh

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déplacée au XV et XVIème siècles), au Nord de la Grèce (régions de la Laberi, de la Çamëri) et au Sud de la Grèce (les Arvanites), mais également en Bulgarie et en Ukraine (après les exodes religieuses du XVème et XVIIème siècles correspondant à la mort du dernier opposant à l'invasion ottomane et à la vague de conversion massive à l'Islam, imposée par Constantinople). L'ensemble des minorités indiquées dans ce paragraphe ont fui l'Albanie suite à un conflit religieux et politique, ce qui est intéressant est que certaines de ces minorités continuent à entretenir et à transmettre le patrimoine albanais de leurs origines.

Les peuples minoritaires en présence sur le territoire albanais et disposant de leur propre langue sont les Aroumains (appelés aussi « Çoban » peuple thraco-roumain, 8,260 citoyens au recensement 2011); les Macédoniens (5,000 cit.) ; les Grecs (24,200 cit.) ; les Monténégrins dans le Nord (360 cit.); plusieurs communautés rroms (8,300 cit. toutes ethnies confondues) et une autre de descendance égyptienne (3,300 cit.)11. Bien que l'Albanie ait signé la convention de protection des minorités nationales de l'UNESCO en 1991, il existe aujourd'hui encore peu d'institutions effectives qui permettent la protection et l'égalité de ces peuples et de leurs langues. Seuls les Aroumains du Sud-Est du pays commencent à revendiquer leur identité et à exiger une représentation officielle et des écoles dans leur langue, et les Grecs sont les seuls à disposer d'écoles dans leur langue maternelle par le soutien qu'ils disposent d'Athènes (Leclerc, 2012).

L'albanais est une langue officielle en Albanie, au Kosovo, en Macédoine et bénéficie du statut de langue minoritaire protégée en Italie. Cependant, la reconnaissance de cette langue et l'offre de son enseignement dans les écoles des pays voisins, dont ceux qui sont mentionnés, pose problème, cette proposition n'étant que pas ou peu approuvée par les Ministères de l'Education concernés, c'est le cas de la Macédoine, dont le gouvernement a rejeté la proposition en 2010 d'enseigner l'albanais dès la première année de scolarisation. La difficulté pour les Albanais de voir leur langue acceptée, enseignée et représentée tiendrait au fait que le pays a des difficultés à occuper un espace qui corresponde à l'aire linguistique sur laquelle la langue et les traditions ethniques albanaises s'étendent.

1.1.3. Histoire intérieure et extérieure de l'Albanie

Un rapide coup d'oeil à la chronologie des présences étrangères sur le sol albanais12 et des événements les plus marquants du XXème siècle permet de se rendre compte des tensions

11 Les résultats de ce recensement ont par contre été fortement contestés, voir Manjani (2012)

12 Inspirée de Jandot (2000 [1994]) & Universalis « Chronologie Albanie 1990 - 2008). Une chronologie plus complète est disponible en annexe.

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que la définition des frontières géopolitiques et linguistiques de l'Albanie allant jusqu'à la fin du XXème siècle. On remarquera que ces tensions n'ont pas seulement été provoquées par la gestion étrangère mais aussi albanaise :

- IIème millénaire av JC : apparition des Illyriens structurés en une trentaine de tribus

- VIIème siècle av JC : apparition de colonies grecques

- IIIème et IIème siècles av JC : conquête puis occupation romaine

- 395 ap JC : division de l'Empire romain, l'Illyricum est remis aux autorités de

Constantinople

- IVème et VIème siècles : différentes vagues d'invasion dans les Balkans

- VIème siècle : l'Illyricum divisé en plusieurs provinces puis envahies par les Antes, les

Huns, les Lombards et surtout les Slaves13

- 1190 : constitution d'une principauté d'Albanie avec Kruja pour capitale (au Nord de
Tirana)

- XIIIème siècle : cet espace devient un champ de batailles et se voit occupé par
différentes puissances (Bulgares, Serbes, Epirotes, Vénitiens, Angevins) sans qu'aucune d'entre elles ne parvienne à unir le peuple albanais sous un même étendard, qui vient à se diviser en clans antagonistes

- 1385 : l'Empire Ottoman envahit la majeure partie de l'Albanie

- 1468 : mort de Skanderbeg, seul chef militaire qui soit jamais parvenu à repousser

l'invasion ottomane, il faut attendre la création des forces armées antifascistes d'Enver Hoxha en 1940 pour que l'Albanie parvienne à se libérer seule de ses envahisseurs

- 1506 : l'Albanie est entièrement conquise par les Ottomans, indépendance en 1912

- Fin du XIXème siècle : la conscience d'appartenance nationale tente d'être réveillée

par les intellectuels de la « Renaissance albanaise », en même temps que le pouvoir de l'Empire Ottoman commence à décliner et que les pays voisins gagnent peu à peu leur indépendance

- 1878 : la ligue de Prizren réunit près de 80 intellectuels tentant de s'insurger contre la
définition déclarée « arbitraire » des frontières géographiques de l'Albanie (traités de San Stefano et de Berlin).

- 1891 : la ligue de Prizren est dissolue par les forces armées ottomanes

- 1912 : Ismail Qemal Bej déclare l'indépendance de l'Albanie et devient chef du

gouvernement provisoire. Capitale à Vlora.

13 « Ces invasions ont-elles ou pas étouffé l'ancien peuplement illyrien ? Là est le problème de l'ethnogenèse albanaise. » Note de l'auteur p. 23 du livre

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- 1913 : indépendance de l'Albanie reconnue par les Etats d'Occident lors de la

Conférence, dite « secrète », des Ambassadeurs à Londres : aucun représentant albanais n'y est convié. Le pays est morcelé et des territoires albanais sont attribués aux pays voisins14. Démission d'Ismail Qemal Bej motivée par l'absence de soutien des Grandes Puissances (hormis de la France par l'Ambassadeur français sur place, Paul Cambon).

- 1914 : l'Albanie est dépourvue de chef politique, les Grandes Puissances lancent un
appel à qui veut gouverner l'Albanie. Le prince allemand William de Wied obtient le trône, qu'il rend 5 mois plus tard, obligé de fuir car peu apprécié (il n'apprend pas la langue albanaise et impose ses coutumes d'origine). Pouvoir transmis à la Commission Internationale créée par les Grandes Puissances.

- 1916 : un bastion de l'armée française s'installe dans la région de Korça et aide ses
habitants à constituer une République indépendante (jusqu'en 1919, après démobilisation de cette armée et sous la pression grecque voisine). Création en 1916 du lycée français de Korça.

- 1920 : l'Italie obtient un mandat de gestion exclusive sur le territoire albanais.

- 1925 : présidence puis monarchie autoproclamée d'Ahmet Zogu. Le traité de Tirana

(1927) laisse le pouvoir économique et militaire aux Italiens.

- 1939 : la Seconde Guerre Mondiale éclate, l'Italie envahit l'Albanie, le roi Zog Ier est
forcé de fuir, en Espagne, puis trouve refuge en France. Il y meurt en 1961, sa dépouille est rapatriée en 2012. Le lycée français de Korça est fermé par les Italiens, les enseignants français renvoyés en France.

- 1941 : création du Parti Communiste Albanais, ensuite Parti du Travail, par Enver
Hoxha.

- 1944 : les forces armées organisées par Enver Hoxha font fuir les Allemands. L'Albanie
a repris ses terres, elle devient le seul pays à ne s'être reposée sur aucune aide étrangère pour parvenir à se libérer.

- 1946 : Création de la République populaire d'Albanie, présidence d'Enver Hoxha pour
sept quinquennats consécutifs (interdiction du multipartisme et pas d'opposant autorisé).

- 1978 : après des périodes d'amitié avec la Yougoslavie, l'URSS et la Chine, Enver Hoxha
décrète le repli de l'Albanie sur elle-même, qui n'a plus aucun contact avec l'extérieur.

- 1985 : Enver Hoxha décède, Ramiz Alia désigné successeur.

- 1995 : 25% de la population albanaise active a quitté le pays, légalement ou

clandestinement (Ditter & Gedeshi, 1997 : 9).

14 Voir annexe 4 pour une carte des aspirations européennes sur les pays des Balkans, en 1913.

56

Le manque d'informations vis-à-vis de ce peuple a été source de nombreux débats, jusqu'à encourager la justification d'invasions étrangères sur le territoire albanais (ou c'est le cas au Kosovo), ou aura permis d'asseoir le pouvoir d'Enver Hoxha lors de l'institution de son régime dictatorial (ce qui sera discuté un peu plus tard), rendant l'étranger responsable des peines souffertes par l'Albanie et son peuple, jusqu'à se replier sur elle-même et l'originalité de son pouvoir. Nous voyons déjà un peu que l'Albanie a autrefois entretenu des rapports privilégiés avec la France, étant une destination intellectuelle et universitaire d'exception ; cette idée sera développée et approfondie en chapitre 3. Cette tradition changea au cours du temps, en particulier après la chute du communisme où des milliers d'Albanais fuirent vers les pays voisins : Italie et Grèce, créant ainsi un lien privilégié avec ces deux pays. Les différents problèmes relatifs à la gestion politique de ce pays auront entraîné une forte migration des Albanais que ce soit vers les pays voisins ou des zones rurales vers les villes, la section suivante nous inviterait alors à penser que l'Albanie, bien qu'elle ait subi certaines parties de son histoire, entretiendrait des relations particulières avec la scène étrangère.

1.2. Frontières de l'albanais, langue et territoire

Pour commencer, l'albanais n'est pas seulement parlé aux seins de ses frontières géopolitiques, mais l'aire linguistique albanaise est étendue à travers les Balkans. Une grande partie de la diaspora albanaise est également installée en Europe occidentale et aux Etats Unis (après la Première Guerre Mondiale et grâce à l'action du président américain Woodrow Wilson), cette large diaspora empêche par ailleurs de connaître avec exactitude le nombre d'Albanais dans le monde (comptons plus de 3 millions d'Albanais en Albanie, selon une estimation de 2014 et 7 millions à l'étranger, sans compter la diaspora kosovare aussi albanophone). Ce tableau nous le démontre de manière assez remarquable, par la grande différence qui existe entre les sources officielles provenant du Ministère des Affaires Etrangères albanais et celles qui sont issues des recensements officiels des pays concernés. Notons, et en respect d'une remarque qui m'a souvent été soumise à la mention de cette étude, qu'aucun chiffre ne peut non plus fixer le nombre d'immigrés clandestins.

57

 
 

Chiffres à partir des recensements des

 

Chiffres approximatifs du Ministère des

pays concernés et pourcentage de la

 

Affaires Etrangères albanais (MPJ, 2014)

population totale du pays de résidence

 
 

(Albanian diaspora, 2014)

 
 

Nombre de

 

Nombre de

 

Pays

 

Pays

 
 
 

ressortissants

 

citoyens

 
 
 
 

1 616 869

1

Grèce

600 000

Kosovo (2011)

 
 
 
 
 

(92.93%)

 
 
 
 

509 083

2

Italie

500 000

Macédoine (2002)

 
 
 
 
 

(25.17%)

3

Etats Unis

150 000

Italie (2013)

497 761 (0.83%)

4

Royaume Uni

50 000

Grèce (2011)

480 824 (4.45%)

5

Canada

20 000

Etats Unis (2006-11)

172 149 (0.06%)

6

Allemagne

15 000

Suisse (2000)

94 937 (1.32%)

7

Belgique

5 000

Canada (2011)

31 030 (0.09%)

8

Turquie

5 000

Monténégro (2011)

30 439 (4.91%)

9

Autriche

4 000

Royaume Uni (2011)

28 820 (0.05%)

10

Suisse

1 500

Autriche (2001)

28 212 (0.35%)

Population totale à l'intérieur de l'Albanie :

environ 3,5 millions toutes citoyennetés confondues, dont 82% de citoyens Albanais.

 

Tableau 1 - Diaspora albanaise dans le monde

En ce qui concerne la France, les chiffres officiels de l'INSEE du recensement de 2011 ne proposent pas l'entrée « nationalité albanaise » dans la catégorie des citoyens étrangers résidant sur le sol français. Par déduction, ils se trouveraient réunis avec d'autres sous l'entrée « autres nationalités d'Europe » au nombre de 45 040 individus (origines, sexe et âge confondus). De l'autre côté, l'Institut des Statistiques de la République d'Albanie (INSTAT) possède des données concernant le nombre de citoyens albanais rentrés en Albanie, selon l'année de retour et le pays précédemment habité. Nous ne sommes donc pas en mesure de dire combien d'Albanais vivent en France d'après des sources officielles. On notera cependant que plus de 90% des Albanais qui ont choisi la France comme pays d'accueil en 1996 se sont tourné vers cette destination car ils y avaient déjà effectué un stage de spécialisation

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scientifique dans les années 198015, et nous apprendrons plus bas que ceux qui avaient le droit de sortir du pays sous le régime communiste étaient de hauts fonctionnaires de l'Etat, appartenant à l'élite du pays.

Une remarque devra pourtant être spécifiée : le sujet politique et diplomatique vis-à-vis du non-respect des frontières ethniques albanaises reste encore un sujet important de divergence entre les gouvernements des Balkans, ce qui laisserait imaginer la raison pour laquelle le Ministère des Affaires Etrangères ne diffuse pas le nombre de citoyens albanais de nationalité étrangère au Monténégro, en Macédoine et en Grèce, dans un certain sens (concernant la région de la Çamëria que les deux pays se disputent depuis de nombreuses années), bien que le rattachement des Albanais de cette région soit encore un sujet brûlant dans les esprits (ce qui a motivé par exemple la formation d'un parti politique à forte orientation nationaliste : l'Alliance Rouge et Noire, Aleanca Kuq e Zi).

Les frontières entre langue et territoire sont rarement nettes, mais dans notre cas, elles sont rendues presque inexistantes par cette diaspora importante, par l'assimilation au fil des années d'Albanais dans leur pays d'accueil, et quand même la revendication de la suprématie d'une nation étrangère peut remettre en cause la possibilité de mentionner ou de faire reconnaître son appartenance ethnique. Vu de l'intérieur et au cours de mes expériences d'observatrice directe, l'Albanie reste la patrie à laquelle les citoyens Albanais des Balkans se sentent appartenir. Je peux mentionner ici l'affichage évident de leur appartenance ethnique par les drapeaux albanais qui flottent sur les maisons, à l'entrée des villages dans les régions ethniques albanaises des pays voisins, ou par des tatouages de l'aigle bicéphale, emblème officiel du drapeau et symbole du pays, et autres accessoires divers. La mention de cette idée n'a pas été soumise à des citoyens albanais vivant à l'étranger et il m'a aussi été donné de rencontrer certains Albanais se dire appartenir à un autre pays, donc les remarques effectuées ici ne doivent pas être considérées au sens absolu. Il s'agit plutôt de pistes orientées de réflexion qui peuvent potentiellement aider à comprendre notre contexte et le rapport des Albanais à leur langue et aux langues étrangères.

4 Pour quelle définition de l'albanité ?

On remarque d'ailleurs que les associations culturelles permettant aux Albanais expatriés de se réunir autour de leur lien de parenté sont nombreuses et développent des calendriers de promotion culturelle parfois relatifs mais ces associations existent (pour la

15 D'après une enquête réalisée en 1996 sur un échantillon de 678 Albanais installés à l'étranger après la chute du communisme en 1991.

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France : http://association-albania.com/?lang=fr) avec une raison d'être avant tout sociale, pour s'entraider au début de l'installation et se retrouver autour d'une même origine (De Rapper, n.d. : 20 ; Kosta, 2004).

Il est difficile d'établir une définition de ce concept relatif à l'identité albanaise, de ce qui fait qu'un individu est Albanais ou non (d'après plusieurs remarques de ce type qui m'ont été faites), autant que l'albanité en tant que concept et l'albanologie en tant que discipline existent... Le peuple albanais cultive une certaine unité nationale et ethnique, on peut le voir par une tendance nette à se rapprocher des communautés déjà installées à l'étranger, bien que cette tendance semble s'amoindrir depuis quelques années, ou bien à préférer les unions matrimoniales endogames, plutôt que mixtes (ibid. : 16).

1.3. La langue albanaise dans le discours

Remarquer qu'un lien fort unirait le peuple albanais à sa langue natale pourrait permettre de pousser la réflexion jusqu'à l'importance de la place accordée et des représentations portées à cette langue dans le discours en circulation. Nous commencerons à la fin du XIXème siècle car c'est à cette époque qu'il est considéré que la langue commença à prendre une place importante pour la définition de l'identité albanaise. Les auteurs de la « Renaissance albanaise » de la fin du XIXème siècle replaceront la langue dans sa fonction de rassemblement national et utilisent la littérature aussi bien écrite qu'orale pour tenter d'unir les Albanais autour de la volonté de s'affranchir de l'emprise ottomane vieille de cinq siècles. Des écrivains comme les frères Frashëri, Pashko Vasa ou Luigji Gurakuqi usaient de leur intellect pour « donner corps à l'histoire de cette nation albanaise et à l'identité de ce peuple oublié, et d'imposer "preuves scientifiques et historiques" à l'appui, la spécificité albanaise » (Sherifi, 1995 : 164), jusqu'à soulever les rangs albanais aux sons d'une Marseillaise adaptée à la situation albanaise16. D'autres, comme Apollinaire mentionne que : « les Albanais seuls ont le sentiment de la nationalité, tous les autres peuples de l'empire ne connaissent d'autres groupements que celui de la religion », on apprendra qu'Apollinaire était un ami fervent de Faik Konica (ou Konitza selon les sources), délégué officiel de l'Albanie à Washington D.C.

Ces auteurs et leur mouvement furent particulièrement importants dans l'assise et la revendication de l'identité albanaise, en référence à la constitution de la Ligue de Prizren en 1878 par ceux-là mêmes qu'on appelait les Lumières albanaises, et par le rôle de cette assemblée dans le processus d'indépendance de l'Albanie de l'Empire Ottoman, bien que

16 « Aux armes, Albanais, formez vos bataillons, / Marchez, marchez, qu'aucun ennemi ne viole nos frontières ».

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d'autres sources disent parfois que c'est à cause de cette ligue que l'Albanie fut le dernier pays à obtenir son indépendance (les Ottomans n'ayant pas apprécié de voir cette rébellion se former). La littérature albanaise à travers le temps n'a pas tari d'éloges à l'adresse de la mère patrie, jusqu'à l'importance évoquée ici de remiser une quelconque autre appartenance identitaire ou culturelle : « Ne regardez ni églises ni mosquées, / La religion de l'Albanais est l'Albanité » (vers du poète Pashko Vasa, O moj Shqypni17, 1879), mentionnant clairement la nécessité de reléguer l'appartenance religieuse des Albanais au second plan. Cette forte renonciation à des traditions religieuses (remise en question aujourd'hui mais encore présente dans le discours) soulève également l'importance accordée au soutien à la nation pour la constitution de l'identité albanaise qu'un certain nombre de sociologues tentent de mettre en avant pour combattre l'idée reçue selon laquelle les Albanais sont tous des Musulmans (Wilmart : 2008 : 72 ; Neziroski : 2009). Pour éclaircir ce dernier point d'appartenance religieuse qui fait débat vis-à-vis de l'Albanie, j'orienterai le lecteur vers l'article d'Hélène Rigal (2003) qui est selon moi, une des seules à analyser de manière réaliste la situation de l'Islam en Albanie. Dix ans après la publication de cet article, le paysage albanais change et les marques d'appartenance religieuse se font plus présentes, les tendances religieuses extrémistes gagnent du terrain, tuant petit à petit ce qui aura permis à l'Albanie de rester unie malgré tout.

Cependant, ce sentiment d'appartenance à une langue fait de plus en plus surface dans le discours. Nous retiendrons également qu'un nombre récemment grandissant de revendications d'appartenance patriotique et linguistique trouvent leur place :

- dans les discours politiques (avec la création d'un nouveau parti politique `l'Alliance Rouge
et Noire' en 2012 à forte orientation patriotique) ;

- publicitaires (référence au slogan « Fol Shqip »18 (Infoarkiv, 2013) une campagne de
promotion téléphonique de l'opérateur Albafone en Macédoine et à beaucoup de spots publicitaires montrant des Albanais à l'étranger) ;

- mais aussi artistiques (la chanson « Fol Shqip » d'Artiola et Poni, 2013, dont le texte
rappelle l'importance de ne jamais oublier « la langue de la mère »).

Vis-à-vis de la protection de la nation, de la culture maternelle et par extension de la langue, nous pourrions mentionner Porcher qui mentionne un fait important et adéquat à la considération de notre terrain d'études qui est la remontée de sentiments d'appartenance

17 Traduction de l'auteur « Oh mon Albanie »

18 Traduction de l'auteur : « Parle albanais »

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nationale ou ethnique de nos jours, comme une conséquence d'un refoulement, d'un déni de reconnaissance dû à l'histoire de grandes puissances et qui auraient pour conséquence aujourd'hui de faire revivre ces nations autrefois oubliées :

« La naissance nouvelle d'Etats qui avaient été éradiqués, en apparence, a proliféré dans la dernière décennie. (...) L'émergence des régions, des pays, des villes, comme entités singulières, s'accroît chaque jour. Il y aurait, à cet égard, à réinterpréter les politiques linguistiques dans la lignée historique, où l'on verrait, à coup sûr, des résurgences de temps longs, d'anciennes frontières que les esprits rapides ou flapis avaient considérées comme définitivement caduques ? Le patrimoine a reconquis ses composantes locales, déterminé la géographie, les appartenances historiques, culturelles et linguistiques. » (Porcher, 2012 : 15)

Je tiens à préciser que le terme « nationalisme » cher à la qualification des esprits balkaniques depuis plusieurs décennies, ne sera pas employé dans ce travail car à mon sens, non adapté. Je laisserai le soin aux sociologues de terrain d'analyser ce qui constitue le nationalisme albanais, en attirant primairement l'attention du lecteur de ce travail, que le renfermement de l'Albanie sur elle-même tout au long de son histoire n'aura pas constitué une volonté de ce peuple de faire prévaloir les valeurs de la nation au détriment de celles d'autres populations (selon la définition de P. Simon, n.d.), mais que le développement d'une protection presque viscérale des valeurs de ce peuple aura permis de préserver un patrimoine bimillénaire de traditions qui aura à la fois fourni le sédiment de base à l'instauration d'une dictature communiste, autant qu'à la sauvegarde d'une culture encore largement méconnue dans les champs de l'archéologie et de l'histoire des civilisations (Cabanes, 2004).

Cette première incursion de description historique aura permis de poser les premiers éléments de connaissance vis-à-vis de la situation linguistique des Albanais en Albanie et ailleurs. Selon l'idée où l'école est une des institutions à travers laquelle les valeurs d'une société sont transmises aux générations futures, nous nous attarderons à voir dans quelle mesure l'école a joué un rôle dans la formation des représentations sociales et sociolinguistiques des apprenants albanais.

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II/ Ecole, éducation et pouvoir

Porcher (2012 : 130) nous dit que « la transformation nécessaire des capitaux culturels ne peut s'accomplir qu'en s'appuyant sur ceux qui existent d'emblée, reçus par héritage, et par lesquels, méthodologiquement (pédagogiquement), il est indispensable de passer pour conduire avec succès un apprentissage nouveau. » C'est donc d'après l'idée qu'il existe une transmission de valeurs culturelles et morales aux futures générations d'un peuple que nous présenterons la manière dont l'école albanaise s'est construite19. Identifier les moyens qui auront permis l'élaboration de cette institution sociale amorcera une meilleure compréhension des représentations sociolinguistiques de nos locuteurs observés vis-à-vis de leur langue maternelle et des langues étrangères.

2.1. Prémices de l'élévation de la société albanaise socialiste

Selon Gouysse (2008 : 98), dans son oeuvre à propos de la façon dont les socialismes nationalistes (ou totalitarismes soviétiques) d'Europe de l'Est se sont construits et ont perduré, l'Albanie aurait difficilement pu échapper à son destin. Le communisme a su s'y installer car les représentants du Parti d'aujourd'hui étaient aussi les libérateurs d'hier (en référence aux forces armées montées par Enver Hoxha et qui libérèrent le pays des Allemands sans l'aide de l'Europe). Rien ni personne n'avait réussi à réunir énergies et moyens suffisants pour libérer ce territoire du joug étranger, cela ne s'était pas produit depuis de nombreuses décennies. L'Albanie totalitaire s'est construite à partir de l'usure de ce peuple, et de tout ce qui l'identifie à cette époque : absence de reconnaissance identitaire et humaine, sociale et historique, et que la souveraineté de ce peuple n'a jamais été reconnue officiellement.

Enver Hoxha, camarade et « oncle » du peuple (selon la terminologie utilisée dans les textes datant de la période communiste) fut rapidement élevé à un rang où la scène politique était à portée de mains. En 1946, il devient président de l'Albanie et occupera sept quinquennats consécutifs, mais dès le début, il diffuse ses idées catégoriquement opposées à l'Occident, au capitalisme et à l'impérialisme, lors de la création des forces armées antifascistes, qui auront repoussé à elles seules l'armée italienne et allemande. Le régime totalitaire dura pendant près de la moitié d'un siècle. Peu à peu, tout ce qui pouvait faire de l'ombre au socialisme révolutionnaire d'Enver Hoxha fut interdit, proscrit et banni : les hôtels de tourisme ouverts aux étrangers n'ont pas de balcon pour ne pas qu'ils se dévoilent aux yeux des Albanais, les rares étrangers que l'on admet sur le sol après examen méticuleux de la

19 Pour une présentation de l'organisation de l'Ecole de l'Albanie socialiste, voir annexe IV.

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raison de leur présence sont irrémédiablement accompagnés de chauffeurs et d'interprètes ; les lieux de culte sont soit rasés, soit vidés de toute représentation religieuse et transformés en gymnases ou en entrepôts de denrées alimentaires ou de matériel militaire ; les particularités sont gommées, lissées et emprisonnées quand on ne se plie pas à la doctrine directement issue de Moscou et du camarade Enver Hoxha (à l'exception des minorités qui obtinrent le droit d'être scolarisés dans leur langue). Sous le régime communiste, 1 Albanais sur 10 connait les prisons politiques et les camps de travail forcé.

Enver Hoxha réveille la conscience meurtrie de ses concitoyens pour les réunir sous le flambeau du renouveau et pour leur engagement fidélisé à renforts de discours interminables et répétitifs à propos du bien-fondé du rassemblement autour d'un même objectif : le développement « révolutionnaire » (ce terme sera trop souvent apparu au cours de mes lectures pour que j'en épargne mon lecteur) de l'Albanie au profit d'une nouvelle société, aux antipodes de ce qu'on aura forcé à faire vivre aux Albanais. L'oeuvre de Jandot, citée maintes fois, éclairera le lecteur désireux de comprendre l'enracinement du communisme en Albanie. Cette idéologie est si fidèlement appliquée et adaptée aux besoins de la société albanaise de l'époque que les pouvoirs soviétiques et communistes d'Asie ne trouvent rien à y redire (ibid. 131). Tito, Khrouchtchev et Mao-Tsédong sont tour à tour dénoncés de traitres à la pensée stalinienne et de révisionniste, et l'Albanie leur tourne successivement le dos jusqu'en 1978 (quand la Chine décide d'interrompre ses aides financières) où elle se retrouve seule, les frontières sont fermées, l'Albanie n'a presque plus aucun contact avec l'extérieur. Les seuls Albanais qui sont autorisés à traverser la frontière sont les plus fidèles au régime que l'on envoie à l'étranger suivre des « stages de spécialisation scientifique ».

Lorsque le peuple est convaincu du bienfondé des principes proposés par le gouvernement, le terrain est prêt à être aménagé. Comme cela a été mentionné auparavant, il s'agit de redonner la certitude au peuple qu'il est souverain et que plus jamais l'Albanie ne revivra de temps difficiles si l'on accepte de suivre scrupuleusement les préceptes promulgués. L'Albanie est prête à tourner la page et à voir apparaître une nouvelle version d'elle-même, à condition que tout se fasse selon les enseignements d'Enver Hoxha et du camarade Staline, lui-même basé sur Engels et Marx. Pour diffuser le modèle du nouvel Albanais, et surtout pour que ce modèle se reproduise et perdure, l'Ecole devient l'institution par laquelle les messages provenant d'en haut sont diffusés et doivent être assimilés. Deux tâches primordiales sont alors fixées par le Parti concernant la forme que revêtira l'école albanaise : la formation des enseignants et leur rôle dans la société ainsi que celle des élèves.

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2.2. L'école au service de la société socialiste

Avant la Première Guerre Mondiale, presque seules les écoles religieuses étaient opératoires en Albanie, l'école publique n'étant que trop peu fréquentée ou même accessible. L'encart républicain puis monarchique du régime d'Ahmet Zogu dans les années 1920 a bien rendu l'éducation obligatoire, mais le manque de personnel et de structures rendit cette loi presque inapplicable (25% d'enfants scolarisés pour 643 écoles).

Depuis toujours, il fallait ensuite partir à l'étranger pour poursuivre ses études supérieures : en Autriche, en Turquie, en France ou en Italie, en fonction de la langue et de l'alphabet appris par les élèves albanais. Le gouvernement albanais a tout à faire ou presque. Cette révolution culturelle s'élabora en plusieurs étapes. Pour chacune d'entre elles, les réformes les plus significatives sont retenues ici.

2.2.1. La première étape (1944-48) : jeter les bases de l'institution scolaire, popularisation de l'éducation et détermination des moyens à mettre en oeuvre

En 1946, l'Albanie observe un taux d'analphabétisme proche de 90% dont 82% d'hommes et 98% de femmes (Temo 1984 : 4). Lors du Vème Plénum du Parti Communiste d'Albanie à Berat de 1946, le Parti du Travail albanais pose les bases de ce que l'Ecole albanaise deviendra, avec une priorité : celle de remédier à l'analphabétisme presque total de la population, et lancer le développement et l'industrialisation d'un pays presque entièrement dépourvu d'infrastructures de toutes sortes. On planifie donc les nécessités suivantes : - système d'enseignement entièrement démocratisé et popularisé

- enseignement primaire gratuit et progressivement rendu obligatoire, pour tous sans distinction de genre ou d'origine ethnique et sociale

- possibilité d'éducation en langue maternelle pour les minorités nationales

- mise à contribution de la population pour occuper les postes d'enseignants et création d'un Institut pédagogique de deux ans (1946) à l'adresse des enseignants volontaires ou mis à contribution

- rédaction de manuels scolaires et mise à disposition de matériel (enseignants et élèves) - construction d'établissements scolaires dans chaque village et ville

- structure pédagogique et didactique fondée sur les principes du marxisme-léninisme

On peut voir ici que les préceptes du marxisme sont largement appliqués au sein des rôles projetés à propos de la nouvelle école albanaise. L'idée selon laquelle la connaissance peut amener à influer sur la lutte des classes, concept central dans l'idéologie marxiste, chacun se voit offrir l'accès au savoir, pour participer à la construction de la société de

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demain, participer à l'histoire pour s'engager dans une lutte et renverser le cours des phénomènes sociaux « subis » (ou vécus) par l'Albanie jusqu'à sa libération. Placée au centre de la réalisation d'un objectif unique, l'Ecole fédère et veut rendre à la société son caractère dynamique (à travers la volonté du gouvernement), autant qu'elle effacera les individus et leurs particularités au profit du développement matériel du pays.

2.2.2. Deuxième étape (1948-55) : débuts de la politisation et de l'idéologisation de l'éducation

Maintenant que le côté matériel est assuré, il faut davantage s'attarder à ce qui se passe entre les murs des classes. L'Ecole est démocratisée et le concept de l'utilité de l'éducation est idéologisé au profit de la bonne assimilation des préceptes du gouvernement. L'école devient le moyen qui permet de mettre en oeuvre le modèle éducatif communiste, directement inspiré de l'école soviétique (Çajupi, 2012 : 14) :

- les « masses travailleuses » de tout âge doivent fréquenter l'école pour recevoir au minimum formées à un niveau d'éducation primaire.

- Enseignement primaire de sept ans, à partir de l'âge de 6 ans est rendu obligatoire avec plus de 193.000 élèves albanais inscrits dans plus de 2.500 écoles primaires, 15 écoles professionnelles inférieures, 24 écoles secondaires.

- le marxisme-léninisme est ajouté aux programmes et est étudié de manière obligatoire à tous les niveaux d'éducation et dans toutes les branches.

2.2.3. Troisième étape (1956-65) : début de la construction socialiste de l'Albanie

L'école devient le lieu où l'on prépare les nouvelles générations au maintien de l'Albanie socialiste. Le chantier est énorme mais en 1956, le Parti du Travail Albanais (PTA) remarque que le sens de la vapeur est inversé : toute la population jeune ou adulte (jusqu'à l'âge de 40 ans) a appris à lire, et à écrire et a reçu un emploi (ibid. 19). Cette démarche est à la base de ce qui permettra d'organiser « les esprits en mythe globalisant, [celui de] `la nouvelle société' » (Jandot 2000 : 201). « L'enseignement est devenu en Albanie le véritable apanage du peuple, un puissant moyen de développement des valeurs spirituelles et intellectuelles de l'homme, une arme servant à faire avancer l'économie, la science et la culture, à assurer le progrès et l'épanouissement » (Temo, 1984 : 8).

- Université de Tirana créée en 1957 ouverte à tous et non élitiste (peu de concours d'entrée mais conformité idéologique vérifiée)

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- Lien étroit effectué entre ce qui est enseigné à l'école et l'application des apprentissages dans le cercle familial et en faveur de la construction socialiste de l'Albanie : liaison de l'enseignement avec le travail de production, « l'école n'est pas seulement un lieu où l'on s'instruit, mais aussi un secteur où l'on travaille » (Temo, 1984 : 7).

- 1963 : loi sur la réorganisation du système d'enseignement en RPA

- éducation primaire allongée d'un an / 4 années d'enseignement secondaire rendu obligatoire

- enseignement supérieur élargi, et accessible à tous les élèves ayant terminé leurs études secondaires et ayant accompli un an de travail « à la production » durant lequel ils se préparent à soutenir leur diplôme de fin d'études secondaires.

- on ouvre des structures extrascolaires à l'adresse des jeunes Albanais pour renforcer leur formation idéologique en dehors de leurs heures d'école : les Pionniers, responsables de montrer l'exemple à travers des activités organisées pour eux à la gloire du Parti.

2.2.4. Quatrième étape (1966 - 1970) : renforcement idéologique de l'école

L'école est devenue à cette étape un organe sur lequel le gouvernement se repose pour influer sur la formation idéologique et sociale des nouvelles générations, qui reçoivent indirectement la responsabilité de la pérennité du Parti et de l'Etat. Afin de s'assurer du bon fonctionnement de cette institution, elle est continuellement évaluée et contrôlée pour mieux doser les effets de l'idéologie diffusée. A travers la jeunesse, on s'assure également que les plus vieux respectent l'idéologie du gouvernement, on met les enfants à contribution pour vérifier que tout est aux normes au sein de l'espace familial, ou on les envoie effectuer des travaux d'intérêt public tel que réguler la circulation routière. Les enfants sont mis dans une situation de modèle, de ce que le nouvel Albanais devrait incarner en termes de valeurs, toujours pour la patrie, et le développement et la protection d'une Albanie qui revient aux Albanais. On étudie de près les oeuvres du Parti et les écrits publiés d'Enver Hoxha, qui sont d'ailleurs traduits et publiés dans plusieurs langues (russe, chinois, anglais, française, italien) pour répandre la position idéologique de l'Albanie, conforme selon les voeux d'Enver Hoxha au marxisme-léninisme, mais aussi pour donner l'idée au peuple qu'on suit et qu'on regarde l'Albanie pour les efforts exemplaires qu'elle a accompli.

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La relation étroite, presque exclusive20, entre les enseignants et les élèves permet de combattre la « bureaucratie pédagogique » avec pour but de toujours mieux s'insérer dans la pensée de l'apprenant et de contrôler sa conformité avec les lignes idéologiques et politiques du Parti. Durant cette étape, on vérifie et on réforme continuellement l'organisation et les principes de l'école, la structure scolaire est repensée (c.f. annexe 2) et unique à l'exception du choix possible entre une éducation dite `régulière' ou professionnelle, bien que cette dernière soit de moins en moins fréquentée tant l'éducation générale est également axée sur les concepts de production et de rendu matériel. Pour s'assurer de la fidélité des enseignants à l'idéologie du gouvernement, on les place sur un piédestal : devenir enseignant est un signe de réussite sociale et de reconnaissance. Ce sont d'ailleurs les meilleurs élèves qui accèdent à des études en didactique, après qu'ils aient prouvé leur fidélité au Parti en s'y engageant et en oeuvrant au sein de la vie du PTA. L'éducation est rendue accessible à tous, les internats et cités universitaires sont construits, un système de bourses universitaires est instauré, ce qui permet de définir les données suivantes, prouvant un niveau d'éducation haut et relativement élevé. On n'apprend pas ce qu'on veut, mais les Albanais n'ont pas beaucoup d'autres choix que d'aller à l'école, ou c'est le dur travail de la terre qui attend les jeunes. On les incite alors à redoubler d'efforts pour prouver la fidélité des familles au PTA (et s'éviter les problèmes de la Sigurimi, la police secrète), mais aussi pour permettre aux jeunes d'avoir un avenir meilleur.

Année scolaire

Nombre d'écoles supérieures

Enseignement supérieur

Enseignement pour

travailleurs

Total

Femmes

Enseignants

1939

-

-

-

-

-

-

1950

1

0.1

0.2

0.3

-

13

1960

6

3.5

3.2

6.7

16.6

288

1970

5

10.7

14.8

25.5

32.5

926

1983

8

14.5

4.9

19.4

46.4

1360

 

Tableau 2 - Effectifs enseignants et estudiantins dans les universités de la République
Socialiste d'Albanie de 1939 à 1983 (en milliers) -

Temo, 1984 : 18

20 Le film « Slogans » (Gjergj Xhuvani, 2001), réalisé à partir du recueil de nouvelles Slogans de pierre d'Ylljet Alliçka (2009 [1999], éd. Pyramidion) est un témoignage fidèle de scènes de classes et du pouvoir du Parti sur les enseignants, et à travers eux sur les élèves.

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2.3. Du statut des langues étrangères

Alors que le régime communiste appuyait l'orientation pédagogique en accord avec ses croyances idéologiques et politiques, l'accent était porté à une étude scrupuleuse de ce qui permettait le développement des infrastructures industrielles et matérielles de l'Albanie. En contexte de fermeture de plus en plus absolue, l'apprentissage des langues étrangères était restreint et servait particulièrement la formation de traducteurs qui accompagnaient ou surveillaient les rares étrangers en présence sur le territoire albanais, ou qui traduisaient les textes étrangers, sur lesquels la propagande gouvernementale se basait pour construire son discours antinationaliste. Une autre part de ces étudiants intégrait le corps enseignant de langues étrangères. Le but visé à l'apprentissage d'une langue étrangère était d'avoir un nouveau moyen de surveiller la formation identitaire des jeunes apprenants albanais, car les manuels de langues étrangères, produits par le Comité Central de l'Enseignement du gouvernement et édités en Albanie, permettaient la diffusion de l'idéologie du PTA et de dénigrer la personne de l'étranger.

D'après ce point, nous pouvons dire que l'apprentissage des langues étrangères n'était pas permis pour la formation à l'interculturel aujourd'hui prônée par les textes supranationaux tels que le CECR, mais servait l'objectif du gouvernement à centrer la société sur elle-même et sur les besoins du pays, effaçant l'existence de l'individu. Comme nous le dit l'un de nos informateurs à la question de là où on pouvait apprendre des langues étrangères à l'époque communiste, il nous répond que

29. 01-H - Qu'est-ce qu'on faisait ? On lisait un texte, on apprenait les mots nouveaux. Voilà, on expliquait les mots. Voilà, mais après, on ne pouvait pas construire une phrase exacte ! A propos du texte, tu pouvais répondre très bien. A propos des personnages...

« Qu'est-ce que Monsieur Dupont fait ? » « Monsieur Dupont monte dans sa voiture. »

« Est-ce qu'il a des enfants ? » « Oui, il a deux enfants »

« Comment il s'appelle ? » « Il s'appelle... »

Mais après, au moment où on se mettait en face d'un Français, c'était autre chose. On ne pouvait pas ! C'était interdit. Ne pas parler à un étranger.

CF ANNEXE 9, 01-H

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Le développement d'une compétence de communication n'était pas visé à travers les méthodes d'enseignement datant de la période communiste. Cependant, le monde étranger intrigue, certainement parce qu'il permet de s'évader d'une réalité difficile. Les livres étrangers circulent en cachette, on apprend les langues étrangères en camp de travail, entre prisonniers politiques. Dans les écoles où on apprend le français, on utilise Cours de langue et de civilisation française à l'usage des étrangers de Mauger (années 1950 pour les quatre volumes).

A l'exception du russe dont l'enseignement est motivé par le rapprochement politique de l'Albanie avec l'URSS et les idéologies marxiste-léniniste et stalinienne conjointement défendues, d'autres langues sont enseignées, comme l'anglais ou l'italien. Le français semble avoir un statut particulier, pour des raisons que nous synthétisons ici. Nous avons vu précédemment que le mouvement de la Renaissance albanaise s'est directement appuyé sur les philosophes français et leurs messages de liberté, et de rationalisation de l'ordre social21. Cependant, l'inspiration de la France ne s'arrête pas là, car le dictateur albanais lui-même continua de placer la France à un statut particulier : « J'admirais la France et son peuple pour ce qui appartenait d'eux à l'histoire, mais j'admirais et respectais aussi ses gens pour leur fierté de leurs prédécesseurs, pour leur sensibilité au destin de leur pays» (1988, préface). Sous son régime, les seuls romans étrangers admis en Albanie sont ceux de Balzac, Hugo, Zola, Barbusse et quelques oeuvres des Lumières français (Rama, L. 2005 : 294). Ce seront d'autres, interdits et imprégnés du plaisir troublant de l'interdit, tel que Camus, qui seront lus en secret, au risque de finir en prison, où d'autres auront également appris à parler une langue étrangère pour s'évader au moins mentalement (BDIC, enregistrement Pjetër Arbnori à propos de son apprentissage de ces langues dans la prison de Burrel, groupe de `Mémoire grise à l'Est', 1993).

Selon l'idéologie marxiste et selon les propres mots de Karl Marx (lui-même plurilingue) : « une langue étrangère est une arme dans la lutte de la vie ». Dans les aspirations de Hoxha pour la construction de la société albanaise de demain, ce précepte marxiste correspond tout à fait à l'attitude qu'om souhaite que les Albanais adoptent. On rappelle à titre d'exemple, Mustafaj (1992, 114), quand il dit à propos de ses

21 Ce n'est pas, soit dit en passant un fait isolé, quand de nombreuses révolutions philosophiques, sociales et politiques étrangères s'inspirèrent des concepts des Lumières.

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études que le Marxisme et les questions de linguistique (Staline, 1950) était un livre central et assidument étudié par les étudiants de la Faculté des Langues Etrangères de Tirana. L'analyse à visée scientifique des faits de sociaux prônée par l'école albanaise amènera à considérer la langue comme un système élaboré, que l'on étudie du point de sa vue de sa structure externe, autant que de son pouvoir, car comme Goethe humaniste et scientifique allemand, contemporain de Marx le pensait : « qui ne connait pas de langues étrangères ne connait pas sa langue maternelle ». Tout tourne autour du statut de la langue albanaise au sein de la société dans laquelle cette langue est parlée, et à présent enseignée après tant d'années d'occupation.

Dans les écoles et pour notre étude, lorsque l'on regarde les programmes de formation du niveau primaire et secondaire, on s'aperçoit que l'apprentissage des langues étrangères est présent et obligatoire à partir de la cinquième année, ou à l'âge de 10 ans (équivalent du CM2 en France). Dans chaque école, des classes expérimentales permettaient de tester de nouvelles méthodes d'enseignement, toujours dans l'idée d'améliorer les contenus et techniques didactiques ; certaines écoles proposaient donc un enseignement des langues étrangères dès la deuxième classe (équivalent du CE1 en France), ces classes auraient-elles été instituées selon l'idée que l'apprentissage des langues étrangères bénéficiaient à l'élaboration d'une compétence particulière ? L'état de nos recherches actuelles ne nous permet pas de le déterminer. Concernant la place de l'enseignement des langues étrangères dans les programmes scolaires, on peut dire que l'apprentissage des langues étrangères est intégré dans un module intitulé « matières du cycle social humanitaire » qui comprend également l'apprentissage de la langue et de la littérature albanaises, l'histoire, l'éducation morale et politique, pour 45% du volume horaire de la semaine scolaire des élèves albanais. Finalement, on sait que les langues enseignées en Albanie sont l'anglais, le français, le russe et l'italien. Il existait finalement une école spécialisée dans l'apprentissage des langues étrangères, à Tirana. Dans cette école, l'apprentissage de l'une de ces langues se trouvait aux côtés du marxisme-léninisme, de l'histoire et de la géographie pour un total de 1827 heures sur les quatre années de formation secondaire.

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L'apprentissage des langues étrangères au niveau universitaire était finalement grandement valorisé selon les représentations sociales de chacun, comme nous l'affirme un enseignant de français lors d'un entretien22, où il précise qu'à l'époque du communisme, le français était certes la première ou deuxième langue obligatoire enseignée et apprise dans les écoles, mais que les apprenants n'avaient pas le choix de la langue étrangère étudiée. Cependant, il continue à dire qu'au niveau universitaire, quand on disait qu'on avait été accepté en licence de français, c'était quelque chose de valorisé. Voyons le discours tenu à ce propos :

H - « Les langues étrangères ne sont plus vues comme un ornement ». CF ANNEXE 9 01-H

11. A - Et tu as continué au lycée des langues ?

12. G - Oui, à l'époque, les langues étrangères étaient à la mode, et pour entrer dans la section bilingue français / albanais, il y avait un concours très difficile ! Pour 120 candidats pendant mon année, il n'y avait que 30 places. J'ai fini à la troisième place, mais je considère que j'étais le premier. Les deux premières places avaient été remportées par deux filles, mais elles avaient eu des cours privés avec BT, et elle connaissait les questions du concours. Donc j'ai remporté la première place des gens qui ont étudié honnêtement.

[...]

22. Et vos parents étaient favorables à ce que vous appreniez le français ?

23. G - Ah oui, ils pensaient que ça nous donnerait du travail. Maintenant, ils pensent qu'ils ont fait une erreur. A l'époque, les entreprises étrangères commençaient à arriver, on pensait qu'en apprenant les langues étrangères, on pourrait trouver du travail plus facilement. Même aujourd'hui, mais c'est différent.

24. E- Moi, tu imagines, j'avais 14 ans quand je suis partie de ma ville, j'étais petite et j'ai changé de ville pour apprendre le français, c'est que mes parents pensaient vraiment qu'on pouvait trouver du travail.

25. Et pourquoi vos parents vous ont-ils orienté vers le français ?

26. G & E - c'était mieux d'apprendre le français, parce que ce n'est pas facile comme langue, ça donnait plus de prestige que l'anglais et l'italien. Le français, c'était un plus. En plus, c'est impossible d'apprendre cette langue en étant autodidacte, pas comme l'anglais et l'italien.

[ ...]

37. Quelle est ton opinion pour les langues étrangères ?

38. G - parler français, c'est valorisant. [...]

42. G - A mon époque, quand on rencontrait quelqu'un qui parlait français, c'était * sifflement
d'admiration *.

Cf ANNEXE 12, 04GE

18. Et dis moi, le petit ED, quelle était son opinion pour le français ?

19. ED - Le français... Ce n'est pas que j'avais une opinion, c'était une langue étrangère, voilà... Je
l'ai apprise, et du coup, après, même le lycée, j'ai été au lycée des langues étrangères, parce qu'à cette époque, ce lycée, c'était le top, il y avait un concours à passer. Ce n'est pas tout le monde qui y allait. Au début, on était que 12 ou 13 élèves à avoir passé le concours. Ensuite, il y a eu d'autres élèves qui sont arrivés, mais au début, on était peu.

CF ANNEXE 15 07-ED

22 Non enregistré par demande spécifiée de sa part.

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Cependant, les études dans des disciplines plus techniques, plus concrètes ou matérielles restaient les plus courantes et les plus développées et observées de près par les officiels du gouvernement. On voit à travers des chiffres de 1989 de l'UNESCO qu'entre 1983 et 1989, seules deux thèses de doctorat ont été soutenues dans le domaine des langues étrangères, contre 17 en physique, 16 en chimie et 11 en mécanique appliquée, selon un projet visant à améliorer le niveau de recherche scientifique et celui de l'enseignement et de ses méthodes en association avec le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).

Alors que l'école était un relai précieux pour l'endoctrinement des nouvelles générations aux idéologies en place, on réalise qu'avec la chute progressive du régime, ce qui avait été imposé jusque lors est doucement remis en question, de manière cachée, souvent, car on ne se défait pas d'un fonctionnement totalitaire et restrictif du jour au lendemain, mais les consciences s'éveillent, à nouveau. Le régime communiste bat de l'aile depuis la disparition du camarade Enver Hoxha en 1985, on sent que les choses changent. Le gouvernement qui lui succède avec Ramiz Alia à sa tête s'engage alors à amorcer une campagne de rappel de tout ce qu'Enver Hoxha a fait, de toutes les avancées dans la vie sociale et nationale de l'Albanie. Ce sont d'ailleurs les sources qui datent d'après 1985 qui sont les plus aisées à trouver et à consulter, car après la mort du dernier stalinien d'Europe, l'Albanie tente de se justifier vis-à-vis de la conduite qu'elle a tenue jusqu'à présent et lance de grandes campagnes d'édition des oeuvres d'Enver Hoxha, en langues étrangères, que l'on trouve encore facilement aujourd'hui.

Peu de données sont disponibles à propos de l'enseignement des langues étrangères pendant le communisme, et cette partie ne se constitue pas analyse d'un temps passé, mais tentative de synthèse d'un contexte socio-historique à prendre en compte, en particulier lorsque l'on s'intéresse aux politiques linguistiques d'aujourd'hui. L'hypothèse selon laquelle il y aurait une continuité dans les lignes de conduite et de gestion politique vis-à-vis des langues en circulation sur un territoire donné, on est donc amené à reprendre certains événements (ou du moins les plus marquants) dans cette perspective. Lorsque le régime communiste tombe, en particulier grâce aux importantes manifestations estudiantines de 1991, les politiques

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linguistiques et éducatives en cours depuis quarante ans furent et durent être changées, réformées, créées pour se détacher de la tradition idéologique instaurée en Albanie, au profit d'une standardisation sur des critères européens, et ceci avec l'aide de nombreuses instances étrangères et supra-gouvernementales (ONU, Conseil de l'Europe, FMI). C'est ce que nous allons examinerdans la partie suivante.

III/ « Nous voulons être comme le reste de l'Europe »23

La dernière apparition publique d'Enver Hoxha date de novembre 1984 lors duquel on comprend que le numéro 1 du pays disparaîtra bientôt, car il montre des signes de faiblesse et de maladie. Il meurt un an après (Schreiber, 1985 : 925), et le régime ne dure pas plus de six années au-delà de ça tout au long desquelles on sent que la main de fer qui tenait les Albanais se détend, ce qui a motivé les étudiants à se révolter en 1991. Les années après la chute du communiste sont difficiles, le pays passe d'un fonctionnement autocentré à ce que le Parti Démocratique créé par Sali Berisha appellera plus tard le « changement » (`ndryshimi' en albanais)24. L'Albanie peine à se démocratiser, les conflits de 1997 (guerre civile à la suite de l'effondrement de sociétés d'investissement à structure pyramidale) et de 1999 (conflits armés au Kosovo) mettent le pays dans une situation de déséquilibre qui repoussent ou remettent en question les efforts d'amélioration, de démocratisation. En 1995, le FMI attribua toutefois à l'Albanie la reconnaissance qu'elle fut le pays des Balkans qui aura connu la meilleure croissance depuis que le communisme est tombé, bien que e nombreux efforts semblent encore nécessaires si l'on observe le nombre de fois où l'UE a rejeté la possibilité d'accorder à l'Albanie son statut de candidat pour le motif précis que ce pays était en bonne voie mais qu'il devait encore procéder à des améliorations et réformes.

23 En référence au chapitre p. 159 de l'essai de Besnik Musatafaj, Entre crimes et mirages : l'Albanie (1992), lui-même en référence à un slogan pendant les manifestations de 1991 : « E duam Shqipërinë si Evropa ! » : « Nous voulons l'Albanie comme l'Europe ».

24 Lors des élections législatives de 2013, le PD porté par Sali Berisha qui briguait un troisième mandat consécutif au poste de Premier Ministre affichait le slogan «Ne jemi ndryshimi përpara » (nous sommes le changement en premier), en rappel aux réformes passées sous le gouvernement de cet homme politique au lendemain des événements de 1991, puis de 2005 à 2013.

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3.1. L'Université en pleine révolution : pour quelle utilité projetée de l'enseignement supérieur ?

L'Europe est vue comme une fenêtre sur des jours meilleurs, bien qu'il semblerait qu'elle a aussi déçu (je laisserai l'appréciation de ce commentaire aux concernés, me basant sur le chapitre de Mustafaj qui relate lui-même ce fait à partir des événements post-1991 dans son essai). Nous garderons à l'esprit que cette volonté d'intégrer l'UE semble se traduire par les efforts législatifs menés par le gouvernement de ce pays de voir son système politique autocentré mué en un régime démocratique. Du point de vue de l'enseignement, l'Albanie se rend vite compte que le changement est urgent et le gouvernement s'attarde à ce domaine dès 1992. Voici une synthèse des réformes les plus significatives dans le domaine de l'éducation d'après UNESCO, 2011) :

1992 : les cours à caractère idéologique et l'éducation militaire sont retirés des programmes de formation ; tentatives d'introduction de méthodes d'enseignement dites « interactives » ; on repense également le système de formation des enseignants pour leur permettre d'avoir une marge de manoeuvre plus libre.

1995 : un prêt de 30 millions de dollars est accordé à l'Albanie pour pouvoir procéder à la construction ou à la réhabilitation de ses bâtiments scolaires, et à la réforme de ses contenus scolaires ; la jeunesse d'avoir accès à une éducation qui lui permette de construire la société démocratique de demain et développer une économie de marché libre ; on repense les écoles professionnelles et on autorise l'ouverture d'écoles privées ; on propose la création de conseils scolaires permettant un relai entre l'école et les parents.

1997 : on réduit le nombre d'années d'études universitaires d'une année, on obtient une licence en quatre années et un master sur deux années supplémentaires ; l'Albanie signe la Convention de Lisbonne qui prévoit la reconnaissance de certains diplômes émis en Europe et au sein des pays signataires.

1999 : plus grande liberté décisionnelle et administrative des universités, élection libre de ses administrateurs, sans contrôle de l'Etat.

2000 : certains pouvoirs du gouvernement sont délégués à des commissions locales, dites « Bureaux de l'enseignement ».

2002 : restructuration du Ministère de l'Education et des Sciences pour permettre une meilleure définition des politiques éducatives ; on crée un département d'inspection du Ministère pour contrôler et protéger le personnel administratif des changements fréquents de

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Ministres et de ce qui est appelé « les purges politiques » (chaque parti politique préférant nommer du personnel de son propre camp).

2003 : on nomme le personnel administratif sur la base du mérite et de la concurrence ; on accorde plus de droits aux commissions de l'éducation locales ; on détache le Centre de Formation des Enseignants pour rendre cette institution indépendante de l'Institut des Curricula et des Standards ; l'Albanie signe la Charte de Bologne.

2004 : décision gouvernementale de se rapprocher des standards européens en matière d'enseignement et de plan de formation avec l'adoption du système LMD ; le domaine de l'éducation est à nouveau désigné comme une priorité gouvernementale, par le Conseil des Ministres.

2005 : projet avec le PNUD d'introduire les TIC à l'école.

2006 : on accepte de revoir les modalités d'admission à l'université et la suppression du concours d'entrée ; un prêt de 75 millions de dollars est accordé à l'Albanie pour assurer l'équité et l'excellence dans le domaine de l'éducation ; création d'un conseil supérieur pour l'enseignement et les sciences.

2008 : une loi est portée visant à interdire toute discrimination sur le genre à l'accès à l'éducation ; une autre loi vise à aligner les standards de formation doctorale sur les lignes conduites par le Processus de Bologne ; l'école de huit ans est allongée d'une année supplémentaire, et la formation secondaire se déroule sur trois années (au lieu de quatre), réforme accomplie dans tout le pays en 2012.

2010 : les commissions locales de l'éducation deviennent responsables de la rédaction et des conditions de passation des examens prévus à la fin de la neuvième année d'école (équivalent du Brevet des Collèges français).

2012 : le gouvernement rend obligatoire de passer une épreuve en langues étrangères au baccalauréat aux côtés de la langue albanaise et des mathématiques, le choix de la langue est libre (`matura' en albanais). Cette réforme fait débat car le niveau évalué est A2 (idem aux épreuves de la matura de fin de collège, équivalent Brevet).

2014 : une large enquête sur la situation de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique est entreprise, le rapport est édité en avril et le rapport de réformes à entreprendre dévoilé en août.

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Les contenus pédagogiques et scientifiques sont petit à petit repensés pour s'accorder à des standards européens avec la volonté de correspondre à un modèle de réussite et ultimement d'ouvrir les étudiants albanais à la scène internationale qui leur aura été fermée ou trop restreinte depuis toujours. La standardisation des programmes et des plans de formation par la signature de la Convention de Lisbonne (1997) puis de la Charte de Bologne (2003) a permis d'aider à une redéfinition des principes éducatifs dictés par les institutions albanaises, permettant également une meilleure lecture des compétences élaborées par un étudiant au cours de son cursus éducatif par des institutions scolaires étrangères (pour le cas du deuxième texte). L'Albanie a également multiplié ses projets de coopération et de réforme de son système d'enseignement supérieur pour tirer des conclusions sur les actions à entreprendre. Les principes éducatifs suivent des lignes normées et permettant de développer l'esprit des jeunes, mais aussi d'assurer l'économie et la société dans laquelle les adultes de demain grandiront, en théorie.

En juillet 2014, soit la même année que l'élaboration et la rédaction de ce travail, le Premier Ministre albanais Edi Rama décide de revoir les fondements de l'éducation et la structure organisationnelle et pédagogiques de l'enseignement supérieur et déploie son grand projet de réforme à travers un discours intitulé : « Reforma në Arsimin e Lartë, fund arsimit si një mall që blihet » (la réforme sur l'enseignement supérieur, la fin de l'éducation comme une marchandise qui s'achète), semblant orienter la caractéristique principale de cette réforme sur le fait que l'on peut monnayer son diplôme et ses examens. Cependant, cette réforme table sur d'autres problèmes relatifs à la situation actuelle de l'éducation en Albanie. Selon Çajupi (2012), 30% des écoles privées pré-universitaires ne disposeraient pas de l'accréditation du gouvernement albanais et fonctionnent sans être évaluées. L'Université en tant qu'institution n'a pas bonne presse ni grande évaluation de la part de chacun, et le discours tenu par Edi Rama dans sa présentation du projet de réforme de l'enseignement supérieur par le gouvernement est direct, il s'attaque (à tort ou à raison) à tous les fronts : celui de la famille, de l'école et de chacun de ses occupants.

3.2. L'Université albanaise sur les bancs d'essai

Le projet de réforme a été initié à la volonté du Premier Ministre Edi Rama dès son accès au poste en juin 2013. Plusieurs scandales avaient déjà éclaté quant à la remise en question de la transparence de certaines institutions et de la crédibilité de certaines de leurs pratiques (scandale de l'Université Cristal à titre d'exemple). Selon la perspective de rejoindre

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l'Union Européenne dans les années à venir, il semblerait, si l'on en croit le discours tenu à propos du système de l'enseignement supérieur et de quelques-unes de mes expériences, qu'une réforme voire une refonte de tout le domaine est nécessaire. Cette nouvelle réforme dont le contenu a été rendu public en juillet 2014 vise à corriger les points suivants.

4 Une surpopulation des universités albanaises : raisons et initiatives

Le nombre d'étudiants a explosé depuis la fin du régime communiste : près de 20.000 en 1983, pour plus de 63.000 en 2004 et 160.000 en 2011, pour une population totale de 3.162.000 habitants en Albanie, ce qui représente 5% de la population. Comme le déplorent les enseignants de l'enseignement universitaire public, ces apprenants sont très souvent dans une salle de classe parce qu'ils ne veulent que le diplôme, ce que le rapport effectué confirme en rappelant au passage deux autres facteurs de cette surpopulation des universités albanaises : la trop grande offre de formation :

- plus de 1500 programmes de formation pour le pays

- près de 60 institutions de l'enseignement supérieur (49 privées et 15 publiques), soit 20
universités par tranche d'un million d'habitants, ou 8 fois plus qu'au Royaume Uni.

Il est également reconnu que le niveau de performance des étudiants albanais a grandement chuté, en partie à cause de la facilité d'accéder à des cursus de formation dans des structures privées, qui auront été le sujet d'un grand nombre de scandales impliquant corruption et manque de crédibilité des plans de formation, et des modes de gestion. La réforme de 2014 voulant privilégier le principe de l'égalité des chances, de la libre concurrence et l'accès à tous sur la base du mérite, vise à fermer progressivement un certain nombre d'établissements publics et privés dès la rentrée 2014-15, en vue de leur permettre d'améliorer la qualité des enseignements dédiés aux apprenants. Cette initiative fait débat dans le sens où les étudiants ne sont pas les seuls à blâmer dans ce processus.

Jusqu'en 2006, on entrait dans la filière de son choix après le passage d'une épreuve d'entrée. Puis, avec la signature de la Charte de Bologne, l'accès à l'université est rendu possible dès que l'on obtient son bac, avec une note minimale de 5/10. Ensuite, le nombre de points obtenus aux épreuves du BAC est multiplié par le taux de réussite du lycée dans lequel l'élève était inscrit. L'étudiant remplit un formulaire, le A1, où il inscrit un nombre maximum de 10 choix de disciplines et des universités dans lesquelles il souhaiterait étudier. En fonction du classement national de la totalité des lycéens du pays, du nombre de places par classe en Licence 1 et du nombre de points obtenu par l'étudiant, il sera admis dans son choix nr 1 à 10. Si le nombre de ses points n'était pas suffisant pour intégrer ses 10 premiers choix, il remplira

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le formulaire A2 (permettant une rentrée scolaire en novembre, soit un mois après tout le monde), ou encore le A3 (rentrée en décembre). Quand on a son BAC, et qu'on a le courage de remplir trois formulaires, de regarder les listes d'admission dans un maximum de trente disciplines et dans des universités différentes, on est pratiquement sûr d'être admis à l'université, tant qu'on a envie de se lancer dans cette épreuve.

Certains départements désertés par les apprenants soit par manque d'intérêt, soit par manque de sérieux et que pour survivre en tant qu'unité d'enseignement, on ferme les yeux sur les absences et les incompétences de son public d'apprenant (quand certaines disciplines attirent plus d'étudiants moyens que bons), soit aussi parce que trop de formations existent pour que chacune d'entre elle gagne des étudiants sérieux et intéressés, certaines disciplines sont alors ornées de représentations négatives. Pour contrôler la qualité des apprenants acceptés à l'université (!!), les quotas seront revus à la baisse pour l'enseignement public et les tarifs appliqués à l'entrée dans l'enseignement supérieur revus à la hausse (ce qui ne respecte que partiellement la volonté de permettre aux étudiants méritants d'accéder à l'enseignement supérieur).

Le gouvernement, après analyse quantitative des données relatives aux institutions de l'enseignement supérieur statue que 1560 formations à travers le pays existent pour 60 institutions, ce qui ferait une moyenne de 26 diplômes différents proposés pour chaque institution albanaise. D'un point de vue global, le rapport soumet le commentaire selon lequel la trop grande offre de formation met en péril la possibilité d'une concurrence juste et équitable ou même la possibilité d'orienter les étudiants vers des filières qui leur correspondent et qui offrent des débouchées sur le marché du travail. A ce titre, un questionnaire que j'aurais fait circuler dans une de mes classes aura démontré que 76% de mes apprenants n'ont pas choisi le français comme premier choix d'études supérieures (voir annexe 17).

4 Une ingérence presque totale

Le texte de réforme dit à plusieurs reprises que le gouvernement ne possède actuellement aucune ligne politique vis-à-vis de l'enseignement supérieur. Les textes légiférant actuellement le domaine de l'enseignement supérieur ne concorderaient pas avec les statuts des universités, et la trop importante littérature judiciaire rendrait actuellement impossible la création de standards de qualité et d'évaluation. De

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manière générale, le gouvernement, à travers ce rapport, dit ne pas posséder d'organe institutionnel qui serait en mesure d'effectuer une analyse à échelle nationale de la qualité des institutions et des savoirs qui y sont dispensés. L'une des seules instances gouvernementales à être directement visée est le Conseil des Ministres et selon cette remarque, il semblerait que le rapport tente de dire qu'il y a conflit d'intérêt entre différents organes gouvernementaux gérant différents aspects de la vie des Albanais. La structure organisationnelle est également trop feuilletée, le pouvoir trop fragmenté entre différentes instances et l'occupation de plusieurs postes par une seule et même personne ne rendrait encore une fois, pas cet organe fonctionnel, productif et actif.

4 Qu'est-ce qu'on apprend dans les universités albanaises ?

Le manque de lisibilité et d'orientation, l'incompréhensibilité des critères d'admission dans l'enseignement supérieur et la baisse du niveau des étudiants albanais sont autant de critères qui amènent à se poser de sérieuses questions sur le contenu de la formation, et la réceptivité de ces contenus de la part des apprenants. J'ajouterai à cela que j'ai moi-même vu des apprenants en langue française passer d'année en année et obtenir leur « bachelor » ou licence sans savoir se présenter en langue-cible et me proposer des travaux à la maison directement tirés d'encyclopédies publiques et gratuites. Ces travaux réalisés à la maison (dont les mini-thèses de fin de licence, obligatoires pour l'obtention de son diplôme) nourrissent le désespoir des enseignants qui auront essayé d'inculquer quelques choses à ces apprenants, mais à nouveau, l'opacité de certains fonctionnements institutionnels découragerait n'importe qui, à commencer par moi-même, non native et résidente temporaire, de vouloir dénoncer quelque manoeuvre frauduleuse ou contraire à l'éthique de la recherche et du travail universitaire.

La presque inexistence d'écoles post-secondaires professionnelles (1% des plans de formation actuels pou 0.1% de la population estudiantine totale) forme finalement de grands nombres de spécialistes techniques ou scientifiques, sans que la main d'oeuvre qualifiée n'existe sur le marché du travail.

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4 Corruption

Pour justifier le point selon lequel on est vite découragé par une tentative de dénonciation d'un système qui ne dessert personne, j'évoquerai ma présence à un comité de sélection d'enseignants vacataires pour le département de français, à savoir que ces enseignants sont principalement destinés à enseigner le français en tant que deuxième langue étrangère dans des départements et disciplines non linguistiques. Je formule le regret d'avoir vu des enseignants incapables de répondre à des questions décidées conjointement avec les autres membres du comité de sélection, et surtout de voir des enseignants dont les compétences linguistiques sont proches du C1 se voir refusés le poste.

Dans le cadre de notre étude, nous pouvons dire que cela a un impact direct sur l'état de la francophonie en Albanie et sur les représentations qui véhiculent à propos de cette langue quand l'enseignant, non locuteur de la langue cible, ne comprend pas ce qu'il dit et que ses pratiques de classe et son professionnalisme peuvent par conséquent être remis en cause (lecture orale pendant toute la leçon et méthode grammaire-traduction pour les moins fragiles). Ce genre de pratiques n'affecte pas seulement les départements de français, mais toutes les langues étrangères (d'après des témoignages d'observateurs qui m'ont dit avoir repris leurs enseignants sur leur emploi de certains mots ou ne même pas comprendre ce qu'ils disent quand leurs compétences sont supérieures à celles de l'enseignant) et toutes les disciplines, où il suffit juste de payer (Rakipi, 2012 : 14). L'accès aux classes où, potentiellement, l'enseignant n'était pas compétent en langue-cible m'a été refusé.

Finalement, une étude intéressante pourrait nuancer cette remarque quant à la présence de la corruption dans le domaine de l'enseignement. Une étude menée par le National Democratic Institute for International Affairs en 2005, basée sur un sondage public montre que 36% des Albanais interrogés considèrent que les enseignants sont corrompus tandis que 61% pensent qu'ils ne le sont pas, ou peu. Le schéma établi montre d'ailleurs que c'est dans le seul domaine de l'enseignement que le nombre d'interrogés se prononcent plus favorablement pour l'honnêteté des acteurs de la profession visée (aux côtés des politiciens, des professions de la Justice, de la médecine, de l'administration publique, de la Police et du management qui sont

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vus comme plus corrompus qu'honnêtes) plutôt qu'en faveur de leur corruption. Les conditions de réalisation d'enquête ne sont clairement explicitées dans ce rapport.

4 Et les enseignants, qu'enseignent-ils ?

Force est de constater qu'il existe aussi des enseignants dont les compétences dépassent largement les capacités d'assimilation des apprenants albanais, en particulier ceux qui n'ont pas choisi leur domaine d'études ou même la ville dans laquelle ils ont été acceptés. Mais ces enseignants sont également peu nombreux puisqu'un large pourcentage des enseignants en exercice d'aujourd'hui n'a pas de diplôme ou de formation certifiant une formation initiale dans l'enseignement (Gjonça, 2014 : 16). Ici, il faut mettre un bémol, car les débouchées des filières linguistiques vers le marché du travail étant très restreintes (enseignement, traduction-interprétariat, ou secteur du tourisme depuis tout récemment), les enseignants d'aujourd'hui n'ont parfois pas toujours choisi comme choix professionnel d'enseigner. Moyennant 7000 euros, on trouve un poste d'enseignant dans une école rurale albanaise.

Ensuite, la grande offre en termes de formation universitaire amène également les institutions à recruter du personnel non qualifié (ibid. 16). Les plans de formation étant très diversifiés et non standardisés sur le plan national amène les enseignants à promulguer des savoirs dont ils n'ont parfois acquis aucune connaissance au préalable ou durant leur parcours de formation initiale ou continue. Je donnerais par exemple un des enseignements proposés dans un département de français d'une université albanaise intitulé « le français du droit », quand très peu d'universités proposent d'initiation au Français sur Objectifs Spécifiques aux futurs enseignants. Ces enseignants n'ont aucune connaissance dans le domaine de la justice, l'offre de formation continue est encore très peu développée et dépend surtout de programmes de formation étrangers (le CREFECO pour le français), ce qui laisse à supposer que les enseignants doivent fournir de gros efforts quant à la recherche préalable à la rédaction d'un curriculum de cours, à supposer qu'une instance ou qu'un responsable soit en mesure de juger si le contenu de ce curriculum est contextualisé et réalisable,

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examen inexistant d'après le rapport d'analyse dont il est question. Effort difficile à engager quand on connait la réceptivité réduite de son public.

4 Enseignement et financement :

Le travail d'enseignant n'est pas recherché en partie à cause de la faible rémunération de cette profession (environ 300 euros par mois). La rémunération des enseignants et celle des chercheurs n'étant pas non plus attrayante (une moyenne de 70 euros par mois supplémentaires pour un docteur ès sciences), quand il est même possible de mener ses deux occupations de front quand aucun texte de loi ne permet de conjuguer les deux occupations, les deux statuts étant légiférés par deux textes de loi distincts (ibid. 19) ou de pouvoir même mener une recherche doctorale (les candidats kosovars étant considérés prioritaires par rapport à des candidats de villes voisines de la capitale).

L'Etat regrette actuellement que le budget attribué au domaine de l'enseignement ne dépasse pas les 0.6% du PIB national, quand les sommes allouées par les autres pays européens avoisinent plutôt les 6-8%. L'Albanie doit revoir le fonctionnement d'un certain nombre de ses domaines socio-économiques, et cela est difficile quand on dispose d'une économie encore fébrile et instable, en particulier dans un contexte économique international en crise. C'est pour cette raison que l'Etat prévoit de créer une agence indépendante de l'Etat, l'AKF (Agjensia Kombetare të Financimit, Agence Nationale du Financement) qui versera les fonds nécessaires aux universités en fonction d'un certain nombre de critères de qualité, et plus si les départements de ces universités dispensent des enseignements considérés comme prioritaires par l'Etat. Les fonds attribués à l'AKF proviendront du MASH, à savoir que les institutions privées devraient voir leurs fonds réduits ou même supprimés par rapport à ceux des institutions publiques (ibid. 35). A côté de cette décision, les universités gagneront un statut d'organisation à but non lucratif et le financement de leurs activités pourra provenir d'activités organisées par leurs soins.

Une grande indépendance est donc demandée de la part des institutions de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, avec une préférence pour les écoles publiques en ce qui concerne le financement de l'Etat. Un tarif unique comme

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frais d'admission sera fixé par les institutions et vérifié par une agence responsable de contrôler les conditions d'accès à l'enseignement supérieur (AKAU, Agjensia Kombetare e Aplikimit Universitar, l'Agence Nationale de l'Application Universitaire), et les meilleurs étudiants recevront une bourse du gouvernement. A titre indicatif, le prix des frais d'admission à l'université pour un niveau licence devrait augmenter de 20 à 28% (pour un prix atteignant 180 à 220 euros) et pour un master, il s'agirait de payer en moyenne 1000 euros pour un Master en LE, 1500 pour un Master en ingénierie et 1700 pour un Master dans les professions de la santé (infirmerie, pharmacie, médecine), soit une augmentation de 300% du prix, d'après les chiffres officiels transmis par le gouvernement pour l'année scolaire 2014-15.

4 L'Université albanaise et l'Europe :

Avec la signature de la Convention de Lisbonne en 1997 et du Processus de Bologne en 2003, l'Albanie avait déjà aligné son mode de fonctionnement à des standards européens, avec l'adoption du système des ECTS aura été intégré au moyen d'évaluation des niveaux de formation, le système LMD a été adopté, l'adoption du CECR dans l'évaluation du niveau de langue et différents projets comme TEMPUS auront permis de bénéficier de l'expérience étrangère et européenne pour standardiser les programmes de formation et offrir une meilleure lisibilité des contenus. Ce système risque d'être changé à nouveau, d'après la réforme de 2014 et adopter des plans de formation prévus sur cinq années sans diplôme intermédiaire, et le rapport ne précise pas s'il sera possible pour les étudiants de se réorienter ou de changer de spécialisation si le désir ou le besoin s'en ressent (voir annexe 7).

3.3. Un bilan temporaire mitigé mais encourageant

Nous retenons donc que pour ce faire, une réorganisation des moyens de financement du domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche d'après des lignes de conduite permettant une certaine durabilité des mesures entreprises, la standardisation des programmes de formation, la création de critères d'évaluation et de qualité des institutions, un meilleur contrôle des pratiques observées et un encouragement à la transparence de la part des acteurs de l'enseignement supérieur sont autant de lignes d'action que le gouvernement

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albanais veut créer et appliquer. Cependant, le rôle qu'incarne l'opposition politique à contrecarrer systématiquement toutes les réflexions entreprises par le parti au pouvoir freine considérablement la possibilité de procéder aux réformes nécessaires (de la même manière que le Parti Socialiste aujourd'hui au pouvoir faisait quand le Parti Démocratique occupait le poste au mandat précédent, c'est donc assez compliqué).

Silova (2010 : 200) dit que l'orientation de l'Albanie vers l'Europe aura permis de proposer un chemin, des lignes de conduite vers le processus de réforme et de développement, mais que l'utilisation des « indicateurs de réforme basés sur des standards étrangers » a été fomenté par les officiels albanais au sein de l'imaginaire collectif pour inciter les Albanais à aller dans le sens des réformes entreprises, qu'elle convienne au contexte concerné ou non. La réforme doit-elle passer par l'occidentalisation, c'est encore un autre débat qui occuperait lui-même beaucoup de pages et d'esprits. Le gouvernement albanais, par sa grande reconnaissance des textes normatifs proposés par différentes instances européennes. On voit à travers le dernier point que l'Etat tente de réformer l'Université, en procédant par une analyse de terrain de l'éducation universitaire en Albanie, du rôle et de la place des agents concernés dans ce domaine ainsi que le fonctionnement de l'institution éducative en tant que système social, en faisant particulièrement attention à la qualité des enseignements qui y sont dispensés. Cette analyse devrait laisser place à une série de réformes qui s'étendra jusqu'en 2022 selon le calendrier du rapport diffusé en août 2014 par le gouvernement, ce qui laisse momentanément quelques considérations vis-à-vis de la situation actuelle en suspens.

Les commentaires et observations aujourd'hui relatées ne sauraient donc durer dans le temps. On voit également à travers la lecture de ce rapport que la ratification du Processus de Bologne et la signature de la Convention de Lisbonne ont été deux engagements de la part de l'Albanie pour s'aider se à sortir d'un système de pensée et de fonctionnement centré sur le pouvoir de l'Etat, avec encore une fois, la volonté, de changer pour s'adapter à une société et à un fonctionnement idéologique et politique tendant vers la démocratie, bien que ce type de changement demande de nombreuses années avant d'être pleinement implanté dans la vie sociale d'un pays. La nécessité d'ouvrir la scène éducative et estudiantine au reste de l'Europe s'est vue entamée par l'association de différentes institutions albanaises à d'autres universités

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d'Europe, l'adhésion à l'Agence Universitaire de la Francophonie pour la Faculté des Langues Etrangères de Tirana, d'adhérer à des projets vastes tel que le projet Tempus (piloté par le Conseil de l'Europe) et la possibilité pour quelques étudiants de partir avec le programme Erasmus Mundus, depuis quelques années (13 départs pour tout le pays en 2012). Mais ces initiatives restent très rares, et ne durent pas toujours dans le temps (en particulier des partenariats d'échanges d'étudiants et d'enseignants entre trois universités publiques albanaises et l'Université de Saint-Etienne pour le FLE).

Tous ces facteurs sont finalement caractéristiques des sociétés en cours de démocratisation et de développement, comme l'Albanie l'est actuellement. D'après le contenu exposé dans cette partie, il apparaît que c'est à toutes les échelles de la société que des efforts de réformes doivent être effectués et qu'isoler un seul de ces dysfonctionnements temporaires ne reviendrait pas à rendre la situation telle qu'elle semble être. C'est là toute l'utilité des analyses contextuelles qui sauront mettre en évidence les caractéristiques de chacun.

L'effort porté par les communications transmises lors du Ier Congrès du Département de Français de la Faculté des Langues Etrangères de Tirana, intitulé « Vers un meilleur futur de la Francophonie » tenu en mars 2014 irait dans le sens de cette volonté. Il en va de se questionner vis-à-vis de la place des langues étrangères dans le paysage universitaire albanais d'aujourd'hui et de la place de ces dernières autant sur le plan identitaire que social et professionnel. C'est ici toute la question soulevée par des instances telles que le CIEP et le Conseil de l'Europe (Pilhion, 2008), ou par un nombre important de recherches effectuées à propos de la gestion du plurilinguisme, de son adaptation dans les systèmes éducatifs d'à travers l'Europe et d'autres continents.

Conclusion

L'objectif de cette partie était d'apporter un éclairage macrocontextuel alternant regards diachronique / synchronique par volonté de concision et d'éclairages particuliers sur un certain nombre d'événements forts dans l'Histoire de l'Albanie et

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des Albanais qui ont potentiellement un effet sur la formation des représentations en cours à propos de l'apprentissage de la langue maternelle et des langues étrangères. J'ai tenté dans une première partie de présenter la situation sociolinguistique des Albanais au regard de leur accès à leur langue et de la place de celle-ci au sein même de leurs frontières autant qu'à l'extérieur. Nous retiendrons que le statut de l'albanais n'est donc pas toujours officiel, très souvent restreint au domaine de la famille quand l'alphabétisation dans cette langue n'est pas politiquement admise et que les efforts de reconnaissance de l'Autre doivent dépasser le seul cercle de la politique et des lois pour être conclus, quand on prend en compte les vagues de protestation pour une reconnaissance des minorités albanaises dans les pays voisins.

Dans un second temps, j'aurais amorcé la façon dont ce peuple a eu accès à son patrimoine de manière institutionnalisée, mais que cela ne s'est pas produit de manière à permettre à chacun de se construire individuellement du point de vue identitaire et culturel. Les travaux de fonds et de forme des dirigeants de l'époque communiste auront permis de jeter les bases de l'Ecole en tant qu'institution jusque lors inexistante, mais qui n'a pas su être réformée jusqu'aujourd'hui où le domaine de l'éducation et de l'enseignement est clairement pointé du doigt pour son incapacité à former les jeunes à la société de demain. La question est encore en plus épineuse si on considère que l'Albanie se construit simultanément du point de vue social et institutionnel en même temps qu'elle se prépare à offrir une image d'elle-même du point de vue international et européen, au sens de l'institution. L'Albanie a donc une situation intérieure tendue autant qu'une situation extérieure très contraignante, en particulier quand les doutes émis à l'égard de sa stabilité et de son niveau de développement sont à l'origine du refus de son intégration dans l'UE. Très sensible à l'image qu'elle donne, cela produit un certain nombre de failles du point de vue identitaire et culturel dans lesquelles n'importe quelle réprimande s'engouffre, jusqu'à élever l'approbation étrangère au rang de « réussite sociale », dans le conscient collectif (Syziu, 2013, §6). L'Albanie se développe en même temps qu'elle s'adapte rendant la question de son évolution plus sensible que la simple notion de progrès, nécessaire à sa population, étant l'une des plus pauvres d'Europe.

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Dans la mesure où l'Ecole est une institution qui forme les citoyens d'une société, on peut se dire que le rôle de l'Ecole est important et que les valeurs qui doivent y être transmises soient réfléchies et adaptées aux moyens humains et matériels mis à disposition des enseignants et des établissements scolaires et universitaires. C'est d'ailleurs précisément ici que l'Etat a un rôle à jouer et que l'on ne peut dépolitiser le rôle de l'Ecole, encore moins de la langue et de la culture si l'on considère que ces deux objets permettant la vie en société sont teintés d'idéologie, formant irrémédiablement la relation d'un individu à son contexte (Spaëth, 2014).

Chapitre 3 : La Francophonie en Albanie

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« La poire mûrit en regardant l'autre poire ».

Proverbe albanais

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Introduction

Nous avons vu dans la partie précédente que les structures organisationnelle et éducative de l'enseignement supérieur albanais ont subi de profonds changements nécessaires dans un premier temps à la démocratisation du pays, puis que ces réformes étaient couplées à cette première intention et directement orientées pour favoriser l'adhésion à l'Union Européenne. Nous avons également vu qu'un certain nombre de changements était encore nécessaire pour permettre à l'institution éducative et universitaire d'être effective. Du point de vue des langues, l'offre linguistique proposée dans les écoles primaires et secondaires n'est pas toujours à considérer comme une « offre » quand le choix de l'étude de la première langue étrangère n'est pas libre mais arbitraire, à supposer que l'enseignant soit formé dans la langue étrangère cible, rigidité d'offre qui sera par ailleurs renforcée dès la rentrée 2014-15 quand le gouvernement annonce réduire les effectifs d'enseignants de langues de 350 personnes (en particulier le français et l'italien). La difficulté de trouver un emploi, les représentations négatives qui circulent autour de l'Ecole en tant qu'institution, pour l'utilité qu'elle devrait avoir mais dont les fonctions ne sont pas remplies à cause d'un nombre important de dysfonctionnements, et le manque de valorisation du métier d'enseignant représentent autant de facteurs qui rendent difficiles la concrétisation des tâches didactiques et le rôle social des enseignants. En partant du postulat que le développement du plurilinguisme chez les individus d'aujourd'hui est une nécessité pour s'ouvrir au monde extérieur (énoncé déjà par le Conseil de l'Europe dans Legendre, 1998), il est intéressant de voir comment les langues étrangères sont inscrites par les Etats dans leurs institutions scolaire et universitaire. La qualité de l'enseignement des langues étrangères et une définition élaborée des politiques linguistiques et éducatives par les gouvernements concernés (Coste et al. 2009 [1997]) pourraient permettre cette ouverture à l'Autre déclinée dans les textes officiels promulgués en Europe et que l'Albanie a officiellement ratifiés. Cependant, cette ouverture à l'Autre semble compromise ou être portée sur le développement d'une vision tout autre de l'utilité des langues étrangères, si l'image diffusée à propos de ces dernières par le gouvernement d'un pays est celle d'instruments, d'outils, désincarnés de leurs valeurs, ce qui jure par ailleurs avec l'idée que les langues sont porteuses de valeurs, comme mentionné par Charandeau 2006 (voir supra, chapitre 1). Canut & Duchêne (2011) précisent en dernier lieu de leur publication qu'il est nécessaire de se dissocier de toute vision romantique pour pouvoir considérer la question concernant les concepts qui découlent

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du paradigme « langue, pouvoir et inégalités sociales », et l'on admettra qu'il y a des clarifications à effectuer vis-à-vis de la posture à adopter quant à l'utilité d'une langue, ou tout du moins à celle qu'on veut bien lui donner. J'ai fait le choix de ne pas prendre position mais de relever les débats qui s'attachent à cette nécessité.

Pour quelle définition du plurilinguisme effectif comme passeport à la scène extérieure, de la nécessité d'assimiler un code linguistique étranger, et comment le ranger à côté de son premier code linguistique, celui qui forme précisément à la capacité de langage. J'ajouterai à cette remarque une autre que l'on m'a souvent faite, et que je rapporterai de manière neutre car pas en mesure de la juger, à savoir que de plus en plus, « les jeunes Albanais ne savent pas parler leur propre langue ». Il s'agit évidemment d'une prise de parti clairement subjective et aucune donnée ne saurait justifier cela. On retiendra dans ce cas-là que les Albanais en général déplorent profondément les compétences des jeunes vis-à-vis de leur langue maternelle même. A ce propos, il faut savoir que l'albanais est une langue qui se transcrit de la même manière qu'on la prononce et que l'on peut imaginer que la grammaire de cette langue (bien que difficile pour un étranger) ne devrait pas poser de difficulté majeure à un locuteur natif25. Ce constat semble à première vue encore plus alarmant.

Le français est une langue en perte de vitesse et pas seulement en Albanie, ce qui constitue l'une des priorités d'instances telles que l'Organisation Internationale de la Francophonie pour ne nécessiter que la plus grande, positionnée comme en sérieuse concurrence avec l'anglais, langue du business, de l'économie, des finances, des échanges de capitaux monnayables. Nous verrons de quelle manière le français s'ancre dans le paysage albanais, du point de vue institutionnel, puis didactique en voyant ces points de contact entre ressources langagières et contextes dans lesquels ces ressources sont observées et les significations qui lui sont accordées, tel que cela a été annoncé en chapitre 1 (voir supra p. 44).

I/ La Francophonie : définitions et statut 1.1. Pour quelle F/francophonie ?

Il convient de faire une rapide précision quant à ce terme. On désigne la francophonie comme étant la communauté des locuteurs de la langue française à travers le monde, sans distinction d'origines, que le français soit la première langue acquise par ceux-ci ou qu'elle ait

25 Voir Domi (1966 : 19-32) pour une présentation de la structure grammaticale de l'albanais moderne.

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été assimilée ultérieurement. La première désignation est apparue pour la première fois au XIXème siècle par Onesime Reclus. D'après lui, « la langue fait le peuple » (1917 : 114-6), et c'est à travers l'ancrage d'une langue sur un territoire, sa « coagulation », que le peuple développe ses valeurs et « se subordonnent » à celle-ci. La Francophonie désigne quant à elle, l'ensemble supranational surtout incarné par l'OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) de réseaux institutionnels, organisant les relations de natures diverses, entre les Etats membres de cet ensemble. Cependant l'OIF est récente comparée à la volonté de réunir les individus sous la connaissance et le partage de cette langue.

C'est à partir de 1926 que la langue française réunit des professions d'abord littéraires (création de l'Association des Ecrivains de Langue Française), puis politiques dans les années 1950. C'est d'ailleurs à cette période que ceux qu'on appelle « les pères de la Francophonie » proposent la création d'une instance intergouvernementale réunissant les pays où la langue française est pratiquée, sous l'impulsion de Léopold Sédar Senghor et Habib Bourguiba. En 1970, l'Agence de Coopération Culturelle et Technique voit le jour à Niamey au Niger et prévoit de permettre la coopération entre pays où la langue française y est vivante. L'ACCT est devenue plus tard l'OIF. Son action s'étend aujourd'hui dans divers domaines (sports, littérature, l'enseignement, éducation universitaire et recherche scientifique avec l'AUF, différentes professions, et politique) pour permettre la solidarisation des Etats et des peuples officiellement membres de son réseau francophone sous l'adoption et le respect de valeurs universelles (comme le prévoit le préambule de la Charte de la Francophonie, 2005), en respect de la diversité linguistique et culturelle. En ces termes, l'OIF, d'après son site Internet officiel, prévoit de permettre :

- « l'instauration et le développement de la démocratie

- la prévention, la gestion et le règlement des conflits, et le soutien à l'État de droit et
aux droits de l'Homme

- l'intensification du dialogue des cultures et des civilisations

- le rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle

- le renforcement de leur solidarité par des actions de coopération multilatérale en vue

de favoriser l'essor de leurs économies

- la promotion de l'éducation et de la formation ».

Ces objectifs se concrétisent à travers les missions suivantes, prévues dans un cadre stratégique :

- « Promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique

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- Promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l'Homme

- Appuyer l'éducation, la formation, l'enseignement supérieur et la recherche - Développer la coopération au service du développement durable ».

L'OIF institutionnelle prévoit à travers ces termes de promouvoir le développement et la protection des Etats membres qui ont adhéré à cette large fédération d'Etats où la langue française est observée et pratiquée, au nombre aujourd'hui de 57 pays membres et de 20 autres observateurs. La langue française à travers l'expansion coloniale de la France ces derniers siècles a permis de donner naissance à cet ensemble d'espaces officiellement francophones ou non (d'après le statut de la langue française dans ces pays).

C'est précisément à cet endroit que naît la critique de l'intégration de nouveaux membres et de la place accordée à la francophonie, qu'est-ce qui fait qu'un pays est francophone ? Son Etat, son passé, son peuple et son goût avéré pour la langue française ? La Bulgarie n'a pas le passé de colonisé du Sénégal, mais on dit encore « merci » (en bulgare dans le texte). Le bien-fondé de l'institutionnalisation de la francophonie, plus ancienne que sa petite soeur au F majuscule que l'on voit pourtant beaucoup plus que l'autre qui s'avance en termes de connaissances linguistiques et culturelles et auxquels s'adjoignent les francophiles. C'est dans ce sens que s'érige Provenzano en qualifiant la Francophonie de « projet d'expansion » (2006 : 96). L'espace sur lequel l'OIF existe, à travers l'adhésion de pays à tradition plus ou moins forte ou connue du large public, est également sujet à débat.

Il est reconnu que ce n'est pas l'adhésion à cette organisation qui rend un pays francophone ou non (exemple des Etats-Unis ou plus complexe, de l'Algérie). La notion d'espace est donc assez diffuse quand il s'agit de déterminer qui est francophone ou non, dépassant des réalités culturelles et sociales pourtant bien réelles et observables. On pourra dire pourtant que les Etats qui ont été acceptés au sein de cette organisation se réunissent tout du moins autour des valeurs, des objectifs et des missions prônées et statuées dans des textes constitutifs et lors des sommets de ce réseau fédérateur. Cependant, dans la mesure où l'OIF est une organisation supranationale (sans compter ses bureaux de représentations décentralisés et dotés d'une autonomie relative), il faut également savoir se tourner vers des données quantitatives qui sauront faire parler les nations plus que les accords de coopération politique, et économique, pour définir correctement la notion de « francophonie », car rappelons-le, ce sont les locuteurs qui construisent l'utilité qu'ils ont d'une langue, qu'elle soit premièrement ou ultérieurement acquise. La grille d'analyse des situations linguistiques de Chaudenson & Rakotomalala (2004) et ses travaux sur les moyens d'analyse des situations

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sociolinguistiques nationales permet justement de prendre en compte deux paramètres complémentaires pour obtenir un résultat d'analyse plus contrasté, mais plus à même de permettre une réflexion plus proche de la réalité sociale, politique et culturelle d'une communauté linguistique et de ses pratiques. La seule prise en compte des initiatives politiques et politiciennes (telles qu'elles sont décrites dans le statut d'adhésion à l'OIF) ne prennent pas en compte les `représentations' des locuteurs pour déterminer si la francophonie y est installée, au même titre que leurs pratiques pour pouvoir mesurer l'avenir que la connaissance et la pratique de cette langue se forgent en fonction des locuteurs et de leurs choix et besoins sociolinguistiques (Porcher, 2012). L'OIF accorde effectivement un regard aux aspects suivants :

- Du point de vue linguistique (statut du français, nombre de locuteurs, présence de structures planifiant la promotion et la diffusion du français)

- Du point de vue pédagogique

- Du point de vue culturel

- En termes de communication

- Des points de vue économique, politique et juridique

- Du point de vue associatif

- Au plan international et multilatéral.

On peut imaginer que la mise en place de structures oeuvrant pour l'un ou l'autre de ces aspects visera l'adresse et l'utilité que les locuteurs peuvent avoir d'une langue, cependant, la charte de l'OIF ne prévoit d'accorder un regard à la façon dont les locuteurs d'un pays concerné vivent la langue française, à travers leurs pratiques, leurs représentations et leurs discours, ce qui laisse penser qu'il manque un maillon à la chaîne de l'observation des pratiques réelles des citoyens de ces Etats membres. C'est en cela que l'Observatoire de la langue française devenu Observatoire du français et des langues nationales, dirigé par Chaudenson, émet des données intéressantes sur la situation des pays membres de l'OIF.

Alors qu'on s'intéresse aux effets que peuvent avoir le développement de compétences plurilingues et pluriculturelles et sur la façon dont il est géré par les acteurs concernés aux effets du développement de compétences plurilingues, et en particulier pour le français, nous regarderons premièrement dans quelle mesure l'Albanie peut être Francophone, avant de regarder sa francophonie dans un second temps.

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1.2. Zoom sur les Balkans : pour quelle francophonie ?

A partir des années 1990, l'OIF commence à ouvrir ses portes et à introduire les ex pays du bloc communiste d'Europe de l'Est. Les réticences émises quant à l'admission de ces nouveaux pays ont nourri le débat de la question de l'identité de l'OIF et des principes fondamentaux qui soutiennent son existence. Les souteneurs de l'argument de la suprématie linguistique sur un territoire ont alors vu l'attention se déporter des anciennes colonies françaises vers une région où le français n'a jamais été langue officielle. Le recentrement de la question de l'appartenance à la Francophonie sur des justifications linguistiques désarme cyniquement les défenseurs de la diversité culturelle. A partir de 2002 avec la Déclaration de Beyrouth et plus encore en 2006 avec le XIème Sommet de la Francophonie organisé à Bucarest, les représentants de l'OIF ont clairement tenté de définir la tournure que prenait la définition de la F/francophonie : en quoi l'installation de la Francophonie institutionnelle est-elle justifiée quand on n'observe pas de massifs pourcentages de locuteurs francophones, en Europe de l'Est (quand ils ne dépassent pas 28% de la population totale, seul cas de la Roumanie) ?

Le simple fait de réunir les membres de l'OIF dans un de ces pays tentera de soutenir la volonté avancée par Abou Diouf de voir tout le sens des missions de l'OIF se concrétiser dans des régions comme celles-ci, ayant vécu avec des oeillères sur la diversité du monde tout au long d'un large pan du XXème siècle. A travers son discours tenu lors du XIème Sommet de la Francophonie en 2006, le Secrétaire Général de la Francophonie propose que la seule connaissance du français ne doit plus être le seul critère d'admissibilité, la diversité linguistique et culturelle étant une nécessité pour permettre le dialogue entre les peuples, et lance que l'OIF soutient la diversité culturelle avec le français en partage : « Soyez fiers d'être francophones. Vous avez tant de choses à nous offrir. Tant de choses à apporter à cette Europe forte et riche de sa diversité dont nous avons besoin » (2006 : §4). . La francophonie ne se replie plus sur son passé de colonisatrice, mais s'étend à des zones où la langue française, pour ce qu'elle a souvent permis par le passé, peut prendre un nouveau sens en ce début de XXIème siècle où les frontières linguistiques et culturelles sont de plus en plus fines. Le français, langue de démocratie à travers le monde, peut incarner un rôle qu'on ne sait donner à personne depuis que les Grandes Puissances ont disloqué les territoires ethniques balkaniques. La langue française pourrait rendre ses particularités à chacun pour ce qu'il incarne fondamentalement, autant qu'elle fédère par les valeurs qu'elle incarne, toujours d'après le discours d'Abou Diouf. Cependant, cette synergie identitaire fait débat et amène à se poser la question si les aspirations de la Francophonie ne relèverait pas plutôt d'une utopie

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(Marie : 2009), autant que la perte de vitesse de la francophonie provoque des inquiétudes (dans le débat contre l'hégémonie de l'anglais), ou de nécessaires questionnements pour une meilleure définition du concept même de la pluriculturalité.

Comme une entière conférence a été consacrée à la méthodologie de l'appréhension et de la compréhension des situations linguistiques dans l'espace francophone (OIF, 2008), au sens entendu par Chaudenson pour la majeure partie, on rappellera ici l'importance distinction qui doit être faite entre les raisons pour lesquelles la francophonie s'installa dans différentes zones du monde :

- français langue d'occupation violant la pérennité de codes linguistiques plus anciennement ancrés sur leurs territoires respectifs (du seul point de vue de la langue),

- le français langue d'apprentissage dans les zones où le français est appris comme une
langue étrangère

- et certainement encore d'autres classifications qui offrent un rayon large de

représentations propres à chacun et difficile à modéliser, mais qui peut certainement très bien s'adjoindre aux quatre sens donnés à la francophonie par Deniau (1983 in Marie 2009) à savoir les sens linguistique, géographique, mystique et spirituel, ou encore institutionnel.

Faut-il trouver un consensus sur ce que la francophonie fait résonner en chacun des peuples, des locuteurs de l'espace francophone pour que la définition de ce concept ne marginalise personne quand les valeurs accordées à la langue française font elles-mêmes débat (Dumont, 1990) ? Et si la francophonie permettait à chacun de catalyser une identité en mouvement, au sens où les grands textes défenseurs du plurilinguisme le prévoient ?

1.3. Origines de la Francophonie en Albanie

Du point de vue extérieur, l'Albanie fait tantôt partie de l'Europe de l'Est par opposition au bloc occidental où l'Europe politique dotée d'anciennes traditions démocratiques est née, tantôt à l'Europe centrale et orientale (PECO) pour réunir les différentes instances de cette région du monde sous un assemblement téméraire et pourtant nécessaire (en référence aux tensions ethniques et politiques dans les Balkans principalement depuis la fin du XIXème siècle), tantôt à l'Europe du Sud par les pays d'Europe de l'Est. Nous préfèrerons l'appellation « Europe orientale », dans le sens où assimiler l'Albanie à l'Europe de l'Est fait moyennement sens tant par sa position géographique que par le fait qu'elle n'a pas été géopolitiquement absorbée par l'URSS, et que l'Europe du Sud est également

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moyennement identifiable ; bien que soumettre l'Albanie à l'Orient ne joue pas en sa faveur, en rappel des frissons que provoquent la proximité musulmane d'une Europe à tradition chrétienne. La géographie, en fonction de son instrumentalisation, détermine différentes appartenances (Chanoir, 2009). Pays majoritairement musulman d'après des données quantitatives qui ne reflètent pas la réalité vécue des Albanais mais dont on aura mal à défaire les cordages, et par son ancienne annexion sous l'Empire Ottoman rendu maître de l'orientisme, la figure d'une société patriarcale telle qu'elle est décrite par Doja (2000) et certaines pratiques observables en Albanie que l'on accorde volontairement à cet Orient modélisé de l'extérieur parachèveront la classification rédhibitoire de l'Albanie dans la moitié du monde où le soleil apparaît plus tôt qu'ailleurs. Ce déterminisme primaire entérine toute possibilité de dialogue intéressé et intéressant, mais il fait l'état des idées reçues dont l'Albanie, à titre d'exemple, est tributaire encore en plus quand un phénomène de « déni des cultures » est observé par ce sociologue français qui déclare la multiculturalité comme incontournable de nos jours (Lagrange, 2014). Doit-on rappeler que l'installation de pareil régime totalitaire par Enver Hoxha fut motivée par la ferme intention de se dissocier enfin de cet Orient qui aura envahi les rues (par l'architecture souvent rasées), les croyances (par les vagues d'islamisation imposées dont les conséquences auront été supprimées dès 1967 et l'interdiction de cultiver un culte religieux), le vocabulaire et les valeurs des Albanais ? A ce sujet, l'oeuvre Problèmes de la formation du peuple albanais, de sa langue et de sa culture: choix de documents (1985) composé de contributions de plusieurs intellectuels albanais de référence (sous le régime communiste) propose un grand nombre d'informations à ce sujet, à condition qu'on sache dissocier l'information du cadre idéologisé dans lequel elle inscrit.

Plus officiellement, c'est précisément dans le cadre de la redéfinition des missions de l'OIF que la progressive admission de l'Albanie au sein de cet ensemble a été proposée :

- Au VIIème Sommet de l'OIF à Hanoi (1997), l'Albanie est invitée pour la première fois en

tant qu'observatrice des activités tenues lors de cette réunion particulière où l'attention est portée sur la prévention des conflits entre les Etats membres. La volonté des représentants des pays à ce Sommet est clairement de s'adjoindre aux efforts de paix déjà entrepris par la communauté internationale. Rappelons que la même année, la guerre civile éclate dans ce pays.

- Au VIIIème Sommet à Moncton (Canada, 1999) : la Francophonie s'apprête à asseoir ses objectifs politiques au service de la communication multi et pluriculturelle. L'Albanie obtient le titre de membre associé en même temps que la Macédoine, ce qui est

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officiellement vu comme un succès dans la constitution d'un espace francophone dans l'ex bloc de l'Est et officieusement pointé du doigt par ses opposants.

- Au XIème Sommet à Bucarest (Roumanie, 2006) : l'Albanie obtient le titre de membre de plein droit au sein de l'OIF, en même temps que la Grèce, la Macédoine et la principauté d'Andorre. Lors de ce même sommet, les membres de l'OIF ratifient la Charte de l'UNESCO visant à protéger la diversité culturelle et linguistique au sein des pays membres de l'OIF.

C'est lors de ce dernier sommet que l'on rigidifie l'admission de nouveaux membres : elle se fera désormais à partir du vote unanime de la Conférence des Etats et des gouvernements ayant le français comme langue de partage. C'est précisément dans le cadre de la politisation de l'OIF et de la définition de ses objectifs en termes de défense de la paix et de la protection des droits fondamentaux des citoyens des Etats membres que l'Albanie est admise au sein de ce grand ensemble. L'admission d'un nouveau membre dans l'OIF doit cependant toujours se faire d'après la promotion de la langue française si elle n'est pas déjà langue (co-)officielle de l'Etat concerné.

La francophonie en terre est vue comme une tentative stratégique de se rapprocher de l'UE et de l'OTAN, ouvrant une voie royale sur la scène politique et économique internationale (Leclerc, 2014 §7.1 ; Perrot, 2009), ce qui inviterait à réfléchir plus concrètement aux raisons qui invitent l'Albanie à se rapprocher de l'OIF. Nous laisserons momentanément la francophonie institutionnalisée et ses soubassements conceptuels pour justement revenir à ce qui peut justifier en partie cette question, en s'intéressant à la présence linguistique française en Albanie. On peut se rappeler du français, langue des élites ottomanes, à travers la stratégie de la France de s'imposer dans cette région (Popescu, 2004 : 24) quand un certain nombre d'Albanais ont intégré la haute administration de l'Empire, ou bien quand la France et sa culture permettaient de se battre, parfois au sens propre, contre des influences étrangères près de soixante ans avant la création de l'OIF (Robert, 1998). C'est grandement attachée à la France que l'Albanie a vécu la première moitié du XXème siècle. Voyons donc quel oiseau a pris le français au sein de ses frontières d'origine pour l'emporter dans le pays des aigles et de quelle manière cette langue y fit son nid.

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II/ La francophonie en terres albanaises 2.1. Les Albanais, têtes de Turcs

Déterminer l'espace géographique qu'a occupé l'Albanie permet primairement de répondre à la question de l'origine de la francophonie dans cette région. Au même titre qu'un grand nombre de régions des Balkans autrefois annexées par l'Empire Ottoman, au sein duquel le français était langue d'élite et d'exception (Besse, 2007 ; Aksoy, 2007 ; Thobie, 2007). L'Albanie vit quelques-uns de ses citoyens intégrer les hautes écoles de l'Empire puis la haute administration de la Sublime Porte, avant de revenir défendre la cause de l'Albanie quand l'opportunité se présentait (en réaction à la présence ottomane ou par voie d'élection politique).

Dans la synthèse sur la complexité d'identifier le sentiment d'appartenance nationale albanais et au sein de quelles frontières géopolitiques (voir supra, chapitre 2) , on aura déjà eu le temps d'apprendre que ce sont des valeurs attribuées à l'Histoire de la France plus qu'à celle de la Francophonie qui auront permis à l'albanais et au français et à leurs valeurs respectives, de rayonner, comme ça a pu être le cas dans un grand nombre de pays (les valeurs démocratiques attribuées à la France ont contribué à la naissance de certaines révolutions sociales en Amérique du Sud notamment). Ces intellectuels ont ensuite presque tous eu l'occasion de côtoyer personnellement la France et ses sphères intellectuelles, avaient lié des amitiés avec d'éminents personnages des mondes de l'intellect philosophique, scientifique ou politique (Faik Konitza et Apollinaire, Fan Noli et son travail pour l'intégration de l'Albanie dans la SDN, Ismail Qemal et sa participation à la Conférence de Paris, le roi Zog et sa francophilie qui lui offriront le droit d'asile...). Ces représentations auront d'ailleurs perduré plus tard et au-delà des valeurs attribuées aux philosophes des Lumières qui auront inspiré les intellectuels albanais de la fin du XIXème siècle puisqu'Enver Hoxha lui-même a été vecteur de transmission de ces valeurs à travers sa propre expérience du monde français et francophone. Après l'obtention de son baccalauréat auprès du lycée français de Korça, ses études supérieures amorcées à la Faculté de Médecine de Montpellier et à la Sorbonne en droit, ses quelques années rue Monsieur le Prince à Paris, et un emploi de courte durée à Bruxelles, il revient en Albanie au début des années 1940, armé d'enseignements directement tirés des discours de Léon Blum dans ses réunions du Front populaire des années 1930 à Paris (pratiquement au sens propre puisqu'il s'apprête à créer des forces armées qui lutteront contre l'occupation italienne). L'apprentissage du français intégra ensuite l'offre linguistique proposée au sein des écoles de l'Albanie communiste avec cette petite lucarne sur le monde francophone que l'utilisation des Cours de Mauger et de la lecture d'oeuvres littéraires

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autorisées ou non ont pu proposer, et ce que ça a pu répandre en lumière et en oxygène auxiliaire de survie mentale et intellectuelle.

Le rayonnement de ces personnalités dans l'Histoire albanaise (bien qu'elle eut été instrumentalisée au profit de l'instauration du régime communiste) aura contribué à orienter les représentations du peuple albanais concernant les valeurs transmises à travers la langue française. Seulement une francophonie plénipotentiaire reste encore un horizon d'avenir lointain aux yeux d'une communauté de locuteurs francophones toujours plus restreinte (Kumbaro, 2009)26. Proposons alors un panorama de la présence du français avant de pouvoir déterminer la situation linguistique de l'Albanie vis-à-vis du français.

2.2. Facteurs de promotion et de diffusion du français en Albanie

La présence de la France est reconnue comme étant ancienne et productive, en particulier depuis ces dernières années où, à travers le Ministère des Affaires Etrangères et la délégation diplomatique française sur place, a soutenu l'Albanie dans ses démarches de développement (France Diplomatie, 2014). Cependant, les liens d'union entre ces deux pays ne reposent pas uniquement sur l'accompagnement proposé par la France dans les démarches de l'Albanie pour intégrer l'Union Européenne, bien que cela devrait être encourageant au regard de l'Albanie.

2.2.1. Facteurs historiques et culturels

Les premiers contacts entre la France et l'Albanie remontent au XIème siècle quand les Normands envahissent près de la moitié de l'Europe. La bataille pour l'occupation de l'Albanie entre les Normands et les Vénitiens fera changer l'étendard qui flotte au-dessus des villes de la côte albanaise un certain nombre de fois jusqu'en 1272 où le roi Charles Ier de Naples propose l'autonomie de la ville de Durrës, sous le royaume d'Anjou. En 1285, il meurt et les grandes familles albanaises n'admettent plus aucune suprématie française sur leurs terres. On attend ensuite le XIVème siècle pour revoir une famille française avoir un pied de l'autre côté de l'Adriatique. Tanush Topia, Comte de Durrës, rencontre Hélène d'Anjou, fille de Robert Ier Roi de Naples, de Sicile et d'Albanie alors qu'elle se destinait à rejoindre son futur époux de naissance française en Grèce. Lors d'une escale à Durrës, elle rencontre le comte

26 Cette ancienne enseignante de français auprès de la Faculté des Langues Etrangères de Tirana est aujourd'hui Ministre de la Culture et intervient dans un grand nombre de colloques et de conférences oeuvrant pour la défense de la langue française en territoire albanais et pour la promotion de la culture francophone.

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Topia, tombe amoureuse et rompt ses engagements précédents. Ce couple donnera naissance à Charles d'Anjou que la bonne fortune écartera d'un voyage de ses parents vers la maison du Roi Robert Ier duquel ils ne reviendront pas, assassinés par ce dernier qui n'a pas supporté l'injure faite à ses engagements. En réponse de ça, Charles qui n'est autre qu'un descendant du frère de Saint Louis, ne reconnaîtra pas les revendications de sa famille maternelle sur le comté de Durrës.

La France a également souvent soutenu les prétentions à l'indépendance de l'Albanie au fil des siècles. Ali Pasha de Tepelena, installé à Janina (Ioannina en Grèce) aura entretenu des relations diplomatiques avec l'Empire de Napoléon Bonaparte à travers François Poucqueville, reconnu consul de France à Janina. A cette époque, la place accordée aux pouvoirs français n'est pas moindre, bien que le pouvoir d'Ali Pasha ne soit pas apprécié par tous (Bonaparte compris). Un bastion albanais rejoint l'armée de Bonaparte en 1807 pour servir l'Empereur et aider à la libération de plusieurs villes albanaises tombées aux mains des Russes. Cependant, Bonaparte n'honore pas cette démarche et garde ses nouvelles possessions de la Mer Ionienne. En 1814, il abdique, attribuant ses terres aux Anglais. En 1822, Ali Pasha tombe, il est décapité, Poucqueville, avec qui il aura entretenu de belles périodes d'amitié rentre en France. Toutefois, ses recherches ont contribué à la constitution d'une certaine ethnographie albanaise. Elles seront rejointes 60 ans plus tard entre autres par celles du sénateur d'Estournelle, envoyé par la France en Albanie pour aider à déterminer les frontières avec le Monténégro. En 1920, de retour de mission et en conférence devant la Société de Géographie en Sorbonne, il déclare :

« L'Albanie serait aujourd'hui une nation peut-être aussi respectée, aussi éclairée et rayonnante que la Suisse car elle a un climat, un sol et des habitants excellents... Je souhaite que la Société des Nations s'intéresse au sort de l'Albanie pour qu'elle fasse comprendre ce qu'on pourrait faire de l'Albanie, pour l'Albanie, par l'Albanie, il faut que l'Albanie soit heureuse, libre, prospère, pour que nous vivions en paix » (cité par L. Rama, 2005 : 182).

C'est pourtant dans les régions les plus inhospitalières du point de vue du relief, en voyage dans les villages de Vermosh et de Hani i Hotit, là même où le Kanun de Dukagjin (loi coutumière du Nord qui dit depuis de longs siècles que l'Albanais doit avoir un respect inconditionnel pour l'ami et pour l'étranger), que le sénateur d'Estournelle base ses propos. Ami Boué, géographe et ethnologue français, autant que Marguerite Youcenar auront pu témoigner de l'extrême hospitalité et bravoure des habitants des montagnes albanaises.

Au XIXème siècle, et peu de temps après que la Première Guerre Mondiale éclate, le Commandant Sarrail détache un bastion français dans le Sud-Est de l'Albanie alors que la ville

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de Korça est occupée par les forces grecques. Le 16 novembre, le Capitaine Henri Descoins à la tête de ces soldats, repousse la Grèce derrière ses frontières. Les Albanais dressent les Français en héros, leur demandant de les aider à se constituer indépendants. En une année, les hommes de Descoins auront aidé Themistokli Gërmenji, à la tête du conseil de gestion de la région de Korça, à établir un certain nombre de lois permettant d'améliorer la vie des Albanais sur place. Cela ne manque pas d'étonner les Grandes Puissances qui demandent des comptes à la France. Le Commandant Sarrail laisse faire momentanément, avec la justification que la position est stratégique, jusqu'en 1918 où le protocole qui aura fait naître la République indépendante de Korça est abrogé. En mai 1920, on demande la démobilisation de l'armée française de Korça et la signature d'un protocole de paix (protocole de Kapshticë) entre la Grèce et l'Albanie qui permet d'attendre des frontières entre les deux pays soient définies. Cependant, Gërmenji ne verra pas plus loin que cette année-là, jugé et condamné à mort (le dossier traitant de ce jugement est classé secret défense dans les archives du Ministère de la Défense à Vincennes jusqu'en 2017, date à laquelle ce dossier sera ensuite accessible). Les soldats français ne se doutaient certainement pas que le lycée créé en collaboration avec des enseignants albanais en octobre 1917 allait durer jusqu'en 1939 avec M. Xavier de Courville (ancien directeur de théâtre de marionnettes parisien) à sa direction, et qu'il formerait quelques-unes des figures politiques et littéraires albanaises les plus importantes du XXème siècle, dont les dirigeants du PCA. Cet épisode bref mais profond aura décerné le surnom de « Petite Paris » à la ville de Korça pour ses avenues propres pavées et bordées d'arbres. La région protège toujours son patrimoine français pour les 640 tombes françaises qui sont restées à Korça, et celle du médecin de l'armée à Voskopoja, mort d'une fièvre alors qu'il était parti y soigner des habitants.

Des figures littéraires telles que celles de Ronsard, Lamartine, Hugo, Loti, Dumas ou Apollinaire auront décrit leur admiration pour le peuple albanais décrivant tantôt des chants à la gloire de Skanderbeg, des hymnes au respect de ce peuple pour sa bravoure au combat ou sa passion de la liberté, allant jusqu'à romancer la fin d'Ali Pasha de Tepelena dans le Comte de Monte Cristo, ou pleurer une amour perdue dans les rues de Thessalonique ou de Londres. Finalement, au nom de l'admiration pour la France, Said Toptani, étudiant en philologie à la Sorbonne sera monté au sommet du Panthéon, faisant flotter le drapeau français sur Paris un jour de février 1848 quand toute la ville s'insurgeait contre le règne de Louis-Philippe. Et ce grand geste pour la patrie de l'un est rendu à la patrie de l'autre sous les mots de Lamartine quand il dit que « la chose immuable sans égal chez les Albanais est la passion de la liberté et

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de la gloire » (in L. Rama27, 2005 : 61). Les expertises d'Albert Kahn en 191328 (photographe et voyageur) et de Léon Rey en 1924 (archéologue) auront rendu une partie de leur Histoire aux Albanais en ayant créé les seules photographies de l'Albanie du début du XXème siècle pour le premier, et en mettant à jouer la cité antique d'Apollonia pour le second.

Le roi Zog a également cultivé une francophilie certaine, bien que principalement tourné vers l'Italie par proximité géographique de son pays avec le pays du Duce à l'époque, et aura même trouvé refuge en France de 1939 (quand les Italiens envahissent l'Albanie) à 1961, date de son décès en région parisienne. La famille royale albanaise garde un lien certain pour la francophonie, bien que les descendants d'Ahmet Zogu ont grandi en Afrique du Sud. Le Prince Leka II marié à une française d'origine albanaise, est l'héritier légitime du trône albanais, pour l'instant, conseiller permanent à la Présidence d'Albanie. Du point de vue politique formel, l'Albanie se sera fermée à l'extérieur pendant de nombreuses années mais les représentations qui circulent à propos de la France et de son peuple (par la classe politique albanaise) restent valorisantes et se détachent du reste du monde impérialiste débéqueté par Enver Hoxha quand il dit en première page de son autobiographie publiée post mortem : « J'admirais la France et son peuple pour ce qui appartenait d'eux : l'histoire, mais j'admirais et respectais aussi ses gens pour leur fierté de leurs prédécesseurs, pour leur sensibilité au destin de leur pays » (1988 : 7). Après les années 1990, l'Albanie a soif d'autre chose, voyons comment les pays d'Europe et la France répondent à ce besoin exprimé.

2.2.2. Facteurs politiques et économiques

La France est la première à réinstaller son équipe diplomatique en Albanie au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. L'ensemble des traités et conventions bilatéraux signés entre ces deux pays vont ensuite dans le sens du développement de l'Albanie, que ce soit dans le domaine de la Justice, de l'Education, ou plus largement en faveur de l'amélioration des conditions de vie des Albanais et de la préservation de leur voix dans les processus démocratiques (d'après les archives du MAE français, voir bibliographie France Diplomatie, 2014). On voit apparaître de plus en plus de grandes multi succursales françaises en Albanie mais le Ministère des Affaires Etrangères (MAE) reconnaît que la France est relativement peu engagée économiquement, à hauteur de 86 millions d'euros d'importation

27 Luan Rama a été ambassadeur de l'Albanie (1997-2001),a représenté l'Albanie au Conseil permanent de l'OIF diplomate pour la culture albanaise (1997-2002) et a été nommé expert à la Délégation Permanente de l'Albanie auprès de l'UNESCO (2002-5).

28 Le Musée Albert Kahn à Boulogne Billancourt présente une grande partie de son oeuvre en exposition permanente.

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de produits albanais (textile, alimentaire, industrie et métallurgie) tandis que les exportations vers l'Albanie représentent 37 millions d'euros (aéronautique, automobile, produits informatiques et pharmaceutiques). Les gros contrats de la France sur le marché de l'Albanie se situent précisément dans ces domaines et leur concrétisation s'inscrit dans le temps et la durée, avec des projets de formation (dans l'aéronautique avec la formation de pilotes dans l'Armée de l'Air et la présence permanente d'un coopérant technique français), ou de développement du pays (confection des passeports albanais dont le contrat a été renouvelé jusqu'en 2024, construction d'une centrale hydraulique). En 2012 encore, Ubifrance a organisé une journée dédiée à l'Albanie pour permettre de développer de nouveaux partenariats et échanges commerciaux et économiques.

La toute récente création de la Chambre du Commerce et de l'Industrie France-Albanie en 2011, dont l'initiative a été soutenue par l'Ambassade de France permet d'informer, de mettre en relation et d'assister les initiatives d'investissements entre les deux pays. On voit apparaître de plus en plus de grandes multi succursales françaises en Albanie mais le Ministère des Affaires Etrangères (MAE) reconnaît que la France est relativement peu engagée économiquement, à hauteur de 86 millions d'euros d'importation de produits albanais (textile, alimentaire, industrie et métallurgie) tandis que les exportations vers l'Albanie représentent 37 millions d'euros (aéronautique, automobile, produits informatiques et pharmaceutiques). Les gros contrats de la France sur le marché de l'Albanie se situent précisément dans ces domaines et leur concrétisation s'inscrit dans le temps et la durée, avec des projets de formation (dans l'aéronautique avec la formation de pilotes dans l'Armée de l'Air avec la présence permanente d'un coopérant technique français), ou de développement du pays (confection des passeports albanais dont le contrat a été renouvelé jusqu'en 2024, construction d'une centrale hydraulique). En 2012 à Paris, la société Ubifrance, spécialisée dans l'export et l'installation de sociétés française à l'étranger, a organisé une journée dédiée à l'Albanie pour permettre de développer de nouveaux partenariats et échanges commerciaux et économiques.

Les visites officielles bilatérales sont finalement de plus en plus nombreuses et saluent les initiatives de différents Ministères des deux pays pour différentes raisons, que cela motive le jumelage entre des institutions de nature similaire, les stages d'observation et de formation. On saluera finalement les efforts de politiciens et diplomates albanais et leur présence lors de trois journées de sensibilisation à la langue française et à son utilité pour inscrire l'Albanie sur la scène de la diplomatie internationale. Ce projet mené en octobre 2013 a justement été financé par l'OIF.

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2.2.3. Facteurs linguistiques et éducatifs29

4 Réseau de l'enseignement public et privé :

Les chiffres 2010 de l'Observatoire de la Langue Française prétendent que 10% de la population albanaise est francophone, soit 317 000 personnes (incluant les francophones partiels) pour une population totale de 3.2 millions30. Notons que ce chiffre est encourageant considérant la moyenne d'Europe centrale et orientale qui se situe autour de 5% (avec les exceptions sur 12 pays, de la Moldavie et de la Roumanie qui dépassent les 20%). Le Bureau International de l'Edition Française d'après une prospection auprès de l'Ambassade de France et l'Association des Professeurs de Français en Albanie proposent les chiffres suivants respectivement pour l'année 2007 et 2012 :

 

BIEF, chiffres 2007)=

(BIEF, 2008)

APFA (2012)

Apprenants de français,

total estimé

77100

138310

Primaire

50000

89603

Secondaire

25000

48707

Supérieur (français langue d'apprentissage)

600

n.c.

Supérieur (français langue étrangère) - chiffre MASH 2014

25000

n.c.

CCF & Alliances Françaises

1500

n.c.

Locuteurs de français sur la population totale

10%

 

Professeurs de français

500

500

Tableau 3 - Nombres d'apprenants de la langue française en Albanie

La différence entre les chiffres communiqués par les deux instances est énorme, ce qui amènerait à réfléchir à ce qui constitue ou non un locuteur de français d'après les

29 Pour une carte qui reprenne la situation géographique des différents institutions mentionnées, consulter Annexe 7

30 Ces données sont antérieures à 2010 et certainement à 2006, en absence de nouvelles données communiquées.

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personnes responsables de communiquer les chiffres nécessaires à l'Ambassade de France en Albanie et à l'APFA, mais nous ne sommes pas en mesure de pouvoir fournir une explication. Comme il l'a été mentionné dans la deuxième partie de ce travail, les apprenants ne choisissent pas toujours leurs langues étrangères à l'école. Lorsque l'on observe les chiffres de l'APFA (annexe 6), on peut voir que le saut entre le nombre d'apprenants Français 1ère langue en Xème année de lycée professionnel : 5093 et la classe de XIème année : 439 montre une perte de plus de 90% des élèves choisissant le français 1ère langue dans les lycées professionnels, l'intérêt ou l'offre proposée par ces écoles ne répond pas à une promotion adaptée du français.

Rappelons également que l'enseignement professionnel n'est pas valorisé et représente aux yeux des élèves des « sections garage sans avenir », pour preuve, la grande majorité des étudiants de première année de Français à l'Université d'Elbasan sortaient des lycées professionnels (couture, menuiserie, électricité) et avaient été admis en français à cause de leurs notes basses aux épreuves du baccalauréat et du mauvais pourcentage de réussite de leurs établissements. Ce taux est encore plus alarmant quand on considère que moins d'1% des apprenants ayant choisi le français comme langue première ou seconde au lycée poursuivent leur apprentissage de cette langue dans l'enseignement supérieur.

Le français est ensuite enseigné de manière renforcée dans les 7 sections bilingues de l'Albanie (5 sections bilingues d'enseignement général et 2 sections bilingues d'enseignement professionnel en hôtellerie-restauration soutenues par l'OIF), officialisées progressivement depuis 2005 par la signature d'un Traité avec la France. Ces sections bilingues existaient pourtant auparavant et ont été partiellement initiées par les efforts de l'association NECAL (Nouer des Echanges Culturels avec l'Albanie), et financées par les services de coopération linguistique de l'Ambassade de France en Albanie. Un nombre approximatif de 350 apprenants fréquentent ces sections bilingues (MAE, 2014), à savoir que ce chiffre est délicat à prendre en compte depuis quelques années où ces classes ne sont plus (assidûment) fréquentées, provoquant la mort lente de ces sections initialement créées dans le but d'attirer les bons élèves et leur proposer un tremplin vers les universités et écoles de l'enseignement supérieur français. Ces sections bilingues sont peu à peu désertées à cause du manque d'intérêt pour la langue française qui se généralise en Albanie, du manque de formation adaptée du personnel enseignant, du manque de valorisation salariale et statutaire de la spécificité de leur profession, et du manque de financement en dehors de celui de l'Ambassade de France (Xega, 2004), quand d'après l'ancien directeur de l'Alliance Française de Korça dans cet article, toutes les autres sections diffusant et enseignant deux langues dont

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l'albanais sont aussi financées par des ONG, provoquant l'intérêt particulier de personnes civiles ne dépendant pas exclusivement du domaine de la politique, de la diplomatie et de la coopération. Cependant l'implantation mal pensée de ces sections dans des établissements linguistiques ne permettra pas la visibilité méritée de ces sections d'enseignement spécialisé. A la rentrée scolaire 2008, le gouvernement albanais a également supprimé l'année zéro prévue à l'usage des lycéens se préparant à entrer dans ces sections pour mettre le nombre d'années de formation de ces élèves au même rang que tous les autres (formation à orientation générale ou professionnelle). Les derniers lycéens qui auront bénéficié de cette année zéro sont sortis du lycée en 2012. On déplore ce fait car cette année permettait de se former intensivement au français avant d'être en mesure de suivre les enseignements de DNL en langue d'apprentissage étrangère ; cela servait également à repérer quels élèves avaient les compétences pour continuer leur formation dans ces sections. Ensuite, si l'on observe la potentialité de ces sections de l'enseignement secondaire pour l'accession à l'enseignement supérieur, envoyer son enfant dans une section bilingue peut augmenter ses chances d'intégrer une bonne filière universitaire, quand les résultats et le taux de réussite aux épreuves de la matura (BAC albanais) sont souvent meilleurs dans ces sections que dans les autres établissements de l'enseignement secondaire public albanais. C'est ici que l'on peut amorcer l'idée qu'il est entendu pour un albanais de parler une langue étrangère, à tel point que depuis de très récentes années, se spécialiser dans l'apprentissage d'une ou de plusieurs d'entre elles ne constituent pas une orientation d'avenir pour les familles autant que pour les élèves, jusqu'à émettre des regrets vis-à-vis de son choix d'étude, tout aussi enrichissant puisse-t-il avoir été. Les enseignants ne voient pas toujours l'intérêt de suivre cette voie quand leurs étudiants n'ont pas reçu une certaine formation préalable...

10. H - « Va dans une école et demande à un prof de français de donner leur avis vis à vis de la promotion et de la diffusion des langues, ils diront que c'est à cause de la politique. Mais demande-leur ensuite s'ils préfèrent si leur enfant étudie le français ou la médecine. Ils vont tous répondre

médecine ! » CF ANNEXE 9 ? 01-H

27. G - Mais le marché des langues est complètement détruit aujourd'hui. On prend les

traducteurs dans des entreprises sans tester leurs connaissances linguistiques. Les postes d'enseignants étaient de plus en plus rares, donc le nombre de gens qui se prétendaient traducteurs a augmenté. C'est une question de business, c'était mal payé, donc les gens n'y mettaient pas du leur. Les traductions étaient mal faites pour faire de la pression.

CF ANNEXE 12 04-GE

11. Eh alors, prof, à ton avis, qu'est-ce qu'on apporte à nos étudiants de langues
étrangères ?

12. F - Rien en grande partie, j'imagine une ouverture d'esprit pour ceux qui s'intéressent
un tant soit peu à ce qui se passe en classe. Ca peut leur permettre de s'identifier, tu vois « où est-

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ce que je suis dans cette gamme d'informations que je reçois ? Est-ce que ça m'aide à connaître l'autre et moi-même ? »

CF ANNEXE 13 ? 05-F

Je n'ai pas intégré les classes que me mentionne H en 10 (cf p 105) car le contact avec la direction de ces établissements s'était révélé peu cordial lors d'autres expériences de prospection, et que la nécessaire bonne connaissance préalable de son interlocuteur permet d'avoir des informations personnelles honnêtes (par opposition à « fabriquées ») et que le temps ne me permettait pas d'engager de telles relations avec les enseignants et les apprenants de ces classes. Cependant, l'expérience me montra à travers des cours particuliers que j'ai adonnés à quelques élèves de ces classes que les élèves prouvant un bon niveau de français ne se situent effectivement pas dans les filières linguistiques mais dans les classes générales. Cette information est confirmée par un autre enseignant de français auprès de qui je me suis entretenue31, qui diversifie son activité avec des cours privés adressés à des enfants de plus en plus jeunes (d'après le relevé de l'âge de ses apprenants), qu'il s'agisse d'une initiation précoce au français autant qu'à des cours de renforcement linguistique, ou quand l'école dans laquelle son apprenant est scolarisé ne propose pas d'enseignement du français. Autre parallèle de poids dans le cadre de la compréhension de la formation des représentations linguistiques des locuteurs albanais, les cours privés de langue sont souvent investis par les enseignants des élèves dans le cadre scolaire, ce qui n'offre pas une grande variation à la langue et la culture, autant qu'à la méthodologie mises à disposition de l'apprenant (quand déjà même un enseignant de langue reste le même tout au long de l'éducation d'un élève et de sa classe).

Pour finir sur ce point, nous rajouterons qu'il y a de la demande pour le français, mais pas là où on le penserait et on ne voit pas apparaître ces étudiants et ces élèves dans les activités culturelles organisées par les instances francophones officielles d'Albanie, quand leurs professeurs particuliers sont eux-mêmes connaisseurs du planning culturel de ces institutions. La langue française dans l'enseignement public n'est pas très populaire et ne semble pas engager l'affection de ses apprenants s'il y a un taux de déperdition aussi important, à supposer que les représentations concernant la langue française soient appuyées par les initiatives du MASH pour répondre aux demandes de son public d'élèves scolarisés, autant que selon la nécessité de répondre aux critères de l'OIF en ce qu'un Etat membre doit promouvoir et diffuser le français dans son pays.

31 Entretien non enregistré à la demande de l'informateur.

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Au niveau universitaire, on relèvera l'existence de l'Institut Français de Gestion (IFG) créé avec le concours de différentes instances institutionnelles dont l'Ambassade de France en Albanie et l'Université Bordeaux IV Montesquieu, qui forme des étudiants dans le domaine de l'administration et de la gestion, proposant également des programmes d'échanges avec des écoles en France. Dans l'autre sens, comptons que 600 albanais sont étudiants en France en 2014 classant ce pays comme sixième destination estudiantine derrière l'Italie, la Grèce, les Etats-Unis, la Turquie et l'Allemagne. A ce titre, l'Ambassade de France offre l'opportunité de remporter une trentaine de bourses pour les étudiants en doctorat et en filière scientifique.

4 Réseau de l'enseignement privé et associatif :

Sachons que 4 Alliances Françaises et leurs 4 antennes (avec la possibilité d'ouverture de deux nouvelles AF à venir) se partagent les 1500 élèves proposés dans le tableau quantitatif proposé ci-dessus (supra p. 104). A cela doit être rajoutée la toute fraîche création d'une Ecole Française de Tirana créée en 2011 (EFT) et homologuée par l'Agence pour l'Enseignement Français à l'Etranger (AEFE) en 2013, qui a accueilli une trentaine d'élèves à la rentrée 2013. L'EFT est également dotée de son magazine rédigé sur le concours des enseignants et des élèves de l'école, et a organisé dès sa première année un nombre remarquable d'activités dans le cadre du Printemps de la Francophonie, et des activités pédagogiques en extérieur de l'école (classe verte sur le site archéologique d'Apollonia). Rappelons que cette école a été créée d'après un projet de l'Association des Amis du Lycée français de Korça ! Le nombre cependant tout relatif d'élèves pour cette école est expliqué par la très faible présence de ressortissants français en Albanie, au nombre de 172 en 2011. Ce chiffre bien que très restreint est en augmentation de 20% chaque année (Sénat, 2007). L'EFT propose finalement un accord avec l'Alliance Française de Tirana avec un prix mensuel préférentiel pour suivre des cours de français à 280 euros / mois, quand le salaire moyen en Albanie tourne autour de 260 euros / mois, chiffre de l'Ambassade d'Albanie en France (2014), laissant comprendre que l'inscription d'un enfant albanais a un coût très important pour un foyer albanais moyen.

La coopération universitaire et scientifique est finalement le plan sur lequel le MAE consacre la majorité de ses efforts en termes de coopération avec l'Albanie, d'après les informations transmises sur le site Internet du Ministère (2014). Une présence française est observée depuis longtemps dans les écoles albanaises, dont les postes étaient occupées par des volontaires retraités de l'Education Nationale française avant que des stagiaires soient envoyés dans ces écoles (parfois au nombre de deux, comme à Tirana jusque récemment), ou

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quand un détaché de l'Ambassade de France en Albanie officiait sur les plans éducatifs, associatifs et culturels à Korça jusqu'en 2002. Depuis 2005, quatre stagiaires comme je l'ai été, sont envoyés dans cinq villes du pays pour dispenser un enseignement du FLE au sein des départements universitaires de français et des sections bilingues de ces mêmes villes. Ces stagiaires sont aujourd'hui d'importants relais de la promotion du français en ce qu'ils en sont presque les seuls responsables en collaboration étroite et indispensable avec les Alliances Françaises et les directoires des écoles concernées de l'organisation d'activités linguistiques et culturelles tout au long de l'année (selon la convention de stage en vigueur), cependant une (trop) grande latitude d'organisation leur est accordée, provoquant une variation importante dans l'implication de ces dernières sur le plan de la promotion linguistique et culturelle. A ce titre, des émissions de radio locales ont été montées, des pages Internet sur des réseaux sociaux et des journaux à tirage national ont été créés, des activités extrascolaires et des échanges de spectacles entre étudiants de différentes villes ont été mis en place (simulation globale sur terrain, pièces de théâtre et projets de présentation à thèmes sur la France), sans oublier une médiatisation importante pour la majorité des activités mises en place : affichages publics, presse écrite, émissions et journaux télévisés. On regrettera toutefois que certains projets aient été récupérés par les pouvoirs locaux, quand l'initiative et la réalisation avaient été conçues pour promouvoir le français et participer au développement de la ville d'accueil (tableau d'indication des sites culturels et touristiques de la ville d'Elbasan).

4 Albanie / France :

Nous remarquons donc que du point de vue officiel, les relations entre ces deux pays ne sont pas bilatérales mais que la nature de leurs échanges promeut en particulier le développement économique, l'accompagnement et le soutien de la France dans des projets visant à proposer des structures tutorielles pour élaborer la société albanaise de demain. L'Ambassade d'Albanie en France n'est pas très expansive sur son site Internet quant aux projets qu'elle développe sur le sol français, et on sait trop bien que l'Albanie n'est pas très présente (pour ne pas dire absente) des scènes médiatiques françaises ; les inondations noyant une grande partie des Balkans auront été largement suivies sur les chaînes de télévision française, quand au même moment, des tremblements de terre de magnitude 7 sur l'échelle de Riechter secouaient le pays entier, et il n'en fut fait aucune mention...

C'est là que le monde de l'intellect héberge ou permet la publication d'oeuvres de grands écrivains albanais tels qu'Ismail Kadaré, installé en France depuis la chute du communisme, Bessa Myftiu installée en Suisse et que quelques oeuvres de Fatos Kongoli sont

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également disponibles dans les librairies françaises ouvertes sur la littérature étrangère. Cependant, écrire dans la langue de l'Autre peut aussi revêtir des aspects duels tout aussi bien que complémentaires, comme Gazmend Kapllani le décrit à propos de sa « rencontre » avec la langue grecque (Dorkofikis, 2013).Sur le plan universitaire, il est possible de s'initier à l'albanais à l'INALCO, et des ressources bibliographiques concernant l'Albanie sont préservées dans sa bibliothèque (BULAC), autant qu'à la bibliothèque Mazarine à Paris ou dans les archives de la BNF. L'Albanie est donc présente en France, mais pour celui qui veut s'y intéresser, n'étant pas en évidence.

III / Politique d'action extérieure de la France en Albanie 3.1. La France et de la Francophonie en Albanie

Des accords entre les deux pays ont été signés pendant la période du régime communiste mais permettaient une meilleure coopération politique plutôt que linguistique et culturelle. De manière plus globale, l'action extérieure de la France se traduit surtout par des initiatives privées et publiques et se concrétise grâce à la présence et aux actions organisées par les instances suivantes et leurs représentants sur place :

L'Ambassade de France en Albanie, installée à Tirana depuis 1922 avec une fermeture pendant la Seconde Guerre Mondiale, n'aura pas permis une présence continue de diplomates français sur le territoire albanais, dans la nouvelle capitale de l'Albanie à l'époque, mais elle est présente depuis le début du XIXème siècle avec des consuls français placés au Sud du pays. La mission principale de l'Ambassade est d'appliquer la politique extérieure de la France sur place en Albanie. Le service du SCAC (Service de Coopération et d'Action Culturelle) est précisément chargé de prospecter le terrain albanais et de mettre en place des activités de promotion linguistique et culturelle. Le nombre et la diversité des activités organisées ces cinq dernières années sont notables. Ces événements organisés sont souvent en dehors des attentes d'un public albanais peu connaisseur de ce que la culture française peut avoir de classique (musique classique majoritairement), autant que d'original (spectacle de rue, musique et théâtre expérimental). Nous noterons deux événements majeurs qui ont pourtant un impact tout relatif avec la participation de l'Ambassade au Salon du Livre de Tirana, la création en 2011 d'un Salon de l'Enseignement Supérieur visant à promouvoir des institutions de l'enseignement supérieur français aux lycéens albanais, la présence de ces écoles étant sur concours libre, laissant majoritairement à des écoles privées, et les bourses étant en fait des

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crédits (proposés par des banques françaises présentes sur place). Le SCAC emploie des attachés de coopération culturelle, linguistique, institutionnelle avec la présence d'un chargé de mission culturelle employé sous un programme de Volontariat International de l'OIF, ainsi qu'un attaché à la défense. La Belgique n'a pas d'ambassade en Albanie mais un consulat honoraire dans une ville à proximité de la capitale (Durrës) et l'Ambassade de Suisse participe aux activités de la Francophonie, mais ses activités consulaires ont été attribuées à l'Ambassade de Suisse au Kosovo.

Campus France - Albanie : installé au sein de l'Alliance Française de Tirana depuis 2005, cette institution est responsable d'orienter et d'aider les élèves albanais désireux de poursuivre des études supérieures en France. A travers Campus France, l'Albanie s'est ouverte à l'Office Méditerranéen de la Jeunesse qui propose des bourses de mobilité et propose une aide à l'insertion professionnelle pour les jeunes de 16 pays de la zone Méditerranée. Les horaires d'ouverture (deux heures deux fois par semaine) sont restrictifs du point de vue de l'accessibilité à cet espace censé accompagner les jeunes Albanais dans leur éventuelle formation dans l'enseignement supérieur en France. Finalement, la presque inexistence de bourses et la grande difficulté d'obtenir un visa sont pratiquement légendaires et décourageantes (même pour les candidats avec un bon dossier, expérience personnelle).

Jusque 2005, seul l'Institut de Culture Italien de Tirana proposait un centre ouvert sur une culture et une langue étrangère. Au nombre de quatre Alliances Françaises et de quatre antennes, avec le projet de créer deux autres AF dans les villes de Fier à l'Ouest et de Saranda au Sud, le réseau des AF est étendu en Albanie, présent dans pratiquement l'ensemble des plus grandes villes du pays. Le réseau des AF est placé sous la tutelle de la Fondation Alliance Française depuis 2007, les activités qu'elles organisent et les financements attribués sont quant à eux placés sous l'égide du SCAC et du MAE français. Pour la partie enseignement, des partenariats ont d'ailleurs été proposés entre les départements de français des différentes villes et les AF pour permettre aux étudiants des départements de français de renforcer leurs connaissances en langue, à prix préférentiel. Les Alliances Françaises n'ayant pas toujours leurs locaux propres, les cours ont souvent lieu dans ces universités et sont assurés par les mêmes enseignants de l'université. Les activités culturelles organisées par leurs soins sont souvent concentrées en mars pendant la semaine de la Francophonie (en dehors de la ville de Tirana qui finance un certain nombre d'événements culturels dans l'année). Pour le reste du pays, les activités organisées dépendent grandement de la disponibilité des stagiaires et de leurs engagements vis-à-vis de cet aspect de leurs activités. Finalement, le projet d'ouvrir des

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classes de sensibilisation au français en périscolaire a eu un franc succès à l'Alliance Française de Tirana, celle d'Elbasan devrait suivre le pas d'ici peu de temps.

L'Agence Universitaire pour la Francophonie (AUF) a également une représentation à Tirana à travers la salle numérique mise à disposition des étudiants et des enseignants chercheurs. Avec pour mission de fournir un accès à l'information et à la formation aux TICE à l'adresse de ce public (en accord avec les missions fixées par l'OIF), le Campus Numérique de l'AUF à Tirana est un pôle d'accès à des ressources en rapport à son domaine d'études et ses ambitions de formation universitaire à travers une offre de différentes formations à distance et des ressources bibliographiques. A l'heure actuelle, l'Université de Tirana et l'Université Polytechnique de Tirana sont les deux seules membres de l'AUF, permettant ainsi à leurs étudiants de participer à des programmes d'échange et de mobilité internationale, et aux enseignants de français de bénéficier de programmes de formation et de participer à des conférences universitaires dans différentes universités du monde de l'AUF.

L'Association des Professeurs de Français d'Albanie (APFA) : membre de la Fédération Internationale des Professeurs de Français, cette association semble avoir milité seule pour la promotion du français et l'enseignement de cette langue dans les écoles albanaises avant les années 2000. Depuis l'accession de sa nouvelle directrice, Lindita Trashani, cette association semble regagner en énergie et a organisé plusieurs événements en association avec les autres instances associatives ou institutionnelles du pays.

Le CREFECO (Centre Régional Francophone pour l'Europe Centrale et Orientale) a pour mission d'améliorer la formation proposée dans le domaine de l'enseignement du français en proposant régulièrement des stages de formation à l'adresse des enseignants de français de l'Europe Centrale et Orientale. Ce centre créé en 1994 par l'OIF et installé à Sofia en Bulgarie, est largement reconnu en Albanie pour les formations qu'il organise, particulièrement contextualisées car le contenu de ces formations est discuté avec les Ministères de l'Education des pays membres. La participation d'une représentante du CREFECO lors du 1er Congrès du Département de français de l'Université de Tirana fut d'ailleurs particulièrement saluée, quand son discours attirait l'attention des acteurs de la francophonie à ne pas relâcher leurs efforts pour continuer à promouvoir cette langue de partage.

L'Albanie est ensuite dotée d'un grand nombre de centres linguistiques privés. Toutes ne proposent pas des cours de langues en français et ces écoles sont absentes des activités organisées dans le cadre du Printemps de la Francophonie mais toutes font la promotion de leurs préparations à différents diplômes de langues françaises (TCF, DELF/DALF & TEFAQ pour

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le Canada). L'émigration vers le Canada étant relativement importante, les Albanais sont plus facilement disposés à envisager un déplacement vers l'Amérique du Nord que vers la France.

3.2. Ressources matérielles mises à disposition des Albanais francophones en Albanie

Ces récentes années, de plus nombreux efforts ont été réalisés dans ce sens de mettre à disposition du matériel en langue française, cependant ces efforts ne vivent pas toujours les effets attendus. Les AF ne sont pas toutes dotées de médiathèques et les bibliothèques sont souvent installées dans des salles dépourvues de permanence, ce qui empêche l'accès aux ressources existantes. Dans ce sens, le chargé de mission culturelle de l'Alliance Française de Tirana, en coopération étroite avec le SCAC de l'Ambassade a permis la création d'une plateforme Culturethèque Albanie (troisième pays au monde à avoir le privilège après la Chine et le Maroc), plateforme en ligne de consultation de différents supports numériques et interactifs, proposé à tous et inclus dans les frais d'inscription aux cours des AF. Lancée en mars 2013, il est désormais possible d'avoir accès à cette plateforme à partir de son téléphone portable, ce qui est d'autant plus accessible et possible pour les jeunes Albanais qui n'échappent pas aux Smartphone et à une couverture Internet large. L'Ambassade de France a également grandement incité les AF à s'abonner à quelques magazines et / ou journaux, permettant de pouvoir alimenter la littérature disponible dans les locaux des AF. Cependant, l'organisation spatiale des locaux des AF ne permet pas toujours aux apprenants de pouvoir consulter librement ces ouvrages.

La chaîne télévisée TV5 Monde est accessible gratuitement mais son rayon de transmission est très restreint, ou la qualité de réception n'étant pas toujours optimale. Cependant, cela reste une chaîne télévisée, suivie de son site Internet proposant des sources très intéressantes exploitables par les enseignants dans leurs classes. La nécessité fréquente d'avoir accès à Internet pour pouvoir exploiter pleinement les fiches pédagogiques de TV5 Monde rendent la majorité de ses ressources inaccessibles, mais néanmoins réalisables.

Le SCAC de l'Ambassade de France en collaboration avec celui de l'Ambassade de France en Macédoine, l'Institut Français de Skopje et l'Université de Montpellier III ont créé et mis en place un plan de formation visant à sensibiliser les enseignants d'Albanie et de Macédoine à l'usage des TICE et à promouvoir leur utilisation en contexte didactique. En 2011, la plateforme numérique Almaktice (Fischer & Olivry, 2012) est lancée, après avoir réuni les enseignants de français des deux pays pour qu'ils mettent en commun les ressources qu'ils utilisent.

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Les programmes de mobilité ont été créés et mis à disposition des étudiants albanais, cependant, un nombre encore trop restreint d'étudiants peuvent bénéficier de ces programmes. En ce qui concerne le programme Erasmus Mundus, l'année la plus importante en termes d'obtention d'une bourse fut 2007 avec 26 étudiants de Master ayant obtenu une bourse pour étudier à l'étranger quand en 2013, seuls 10 étudiants partirent. Pour les recherches doctorales, 4 bourses de ce programme furent attribuées à des doctorants albanais (Conseil de l'Europe, 2013). Peu d'Universités disposent de partenariats effectifs avec des universités étrangères ou les universités albanaises ne sont pas en mesure de pouvoir rendre la même somme d'efforts que ceux produits par leurs confrères, en particulier à cause de l'impossibilité encore actuelle de pouvoir concilier son métier d'enseignant et de chercheur pour les universitaires. Ainsi, pour pouvoir partir à l'étranger, on se repose encore beaucoup sur des programmes humanitaires ou impliquant que l'étudiant ne dépense que le minimum des frais nécessaires. Pour la langue française, nous pouvons saluer le Lion's Club qui a reçu des étudiants albanais dans ses différents centres en France chaque année, grâce à l'appui de Mme Basin-Gourgon, présidente de l'association NECAL et fervente défenseure de la francophonie en Albanie.

IV/ L'offre en formation initiale en langues étrangères dans le système universitaire albanais

4.1. Données générales, formation et marché du travail

Il est admis de pouvoir entrer dans une filière linguistique à l'université sans avoir étudié la langue au préalable. Certains étudiants sont donc au niveau 0 en L1, ce qui ne permet pas de considérer tous ces francophones en contexte universitaire comme des francophiles avérés dès le début de leur formation universitaire, si l'on se place du point de l'intérêt porté à la langue, ou comme envisageant une orientation professionnelle où il est entendu que le français leur permettra d'avoir un emploi qui leur donne « facilement » un emploi si on rejoint la visée utilitariste de l'Ecole. Voyons à présent la représentativité du français à l'Université de Tirana et à l'Université d'Elbasan, quand ce sont des acteurs de ces deux établissements que j'ai pu rencontrer et interroger dans le cadre de mon étude (n'étant pas aux faits des villes de Korça et Shkodra, je ne préfère pas m'entreprendre sur des analyses qui pourraient être erronées). Pour note de lecture, les chiffres verts indiquent ceux qui sont supérieur à la moyenne, les rouges représentent les chiffres inférieurs.

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Ville et
université

 

Diplôme
L3

Année

TOTAL
sur
quatre
années

Année la
plus
importante
en nombre
d'étudiants

Année la
moins
importante
en nombre
d'étudiants

Variation
max. /
moyenne

2005

2006

2007

2008

2009

Université
d'Elbasan,
Faculté
SHS

Français

24

48

28

39

24

163

2006 - 48

2005 &

2009 - 24

24 - 32

 

Anglais

57

94

76

52

35

314

2006 - 94

1998 &

1999 - 18

76 - 62

Allemand

16

28

41

20

10

115

2007 - 41

2000 &

2008 - 10

31 - 23

Italien

22

70

60

61

25

238

2007 - 70

2005 - 22
(année de
creation)

52 - 47

Université
de Tirana,

Faculté

des LE

Français

47

60

87

62

22

278

2002 - 94

2009 - 22

72 - 55

 

Anglais

98

96

162

156

143

655

2007 - 162

1997 - 66

96 - 131

Italien

53

62

52

124

34

325

2008 - 124

1998 - 18

106 - 65

Allemand

62

51

56

64

21

254

2008 - 64

1997 - 12

52 - 50

Turc

10

15

7

10

0

42

2006 - 15

2003 - 4

11 - 8

Grec

14

19

36

37

0

106

2008 - 37

2003 - 8

29 - 21

Russe et
langues
slaves

7

13

11

13

0

44

2002 - 22

1998 - 2

20 - 8

Tableau 4 - Nombre d'étudiants diplômés au niveau BAC + 3 par année, par langue et par
université (2005-2009) - Source : INSTAT, 2012

Nous pouvons voir d'après ces données que le nombre d'étudiants oscillent considérablement d'une année à l'autre, et ceci peu importe la langue étrangère étudiée. La variation maximum indique également pour certaines langues que les besoins en enseignants oscillent considérablement d'une année à l'autre, provoquant des déséquilibres concernant le recrutement d'enseignants, leur éventuelle titularisation, et l'instabilité, la précarité caractérisant cet emploi. De l'intérêt porté par les étudiants aux filières linguistiques universitaires évoquées dans ce tableau, nous voyons que l'anglais obtient la première place si l'on regarde le nombre d'étudiants diplômés, suivi par l'italien. Le français obtient la troisième

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place, suivi de près par l'allemand dans les deux universités. Concernant les langues turque, grecque et russe, le nombre réduit d'étudiants doit s'explique par le fait que ce sont des langues qui ne sont pas ou peu enseignées au secondaire ; elles ont également des alphabets différents, ce qui peut éventuellement faire naître des représentations comme quoi ce sont des langues difficiles. Notons tout de même qu'un nombre important d'Albanais vivent en Grèce (comme vu en chapitre 2), ce qui amène à considérer l'apprentissage de cette langue lorsque l'on y vit plutôt que de suivre une formation universitaire. On remarque également qu'en 2009, des données sont inférieures à la moyenne, peu importe la langue, ce qui semblerait indiquer un désintérêt généralisé des LE. C'est d'ailleurs dans cette colonne que l'on voit apparaître des données nulles pour trois langues, ce qui correspond à une absence de transmission de données de la part de l'institution car après croisement des informations avec un étudiant concerné par ces données, il s'est révélé qu'il y avait bien des étudiants en L3 dans ces trois filières.

Depuis la ratification par l'Albanie de la Charte de Bologne et jusqu'à ce que la réforme prévue en 2014 change la structure de l'enseignement supérieur, une licence universitaire s'effectue en trois ans, sur le système européen LMD (Licence Master Doctorat) divisés en six semestres. A l'issu de la licence, un étudiant doit soutenir un mini-mémoire sur le thème de son choix, relatif au domaine qu'il aura étudié. Au niveau du Master, et pour les étudiants qui se destinent à l'enseignement, un master scientifique s'effectue en deux années et le master professionnel en un an. Puis, à partir de 2012, le master professionnel s'effectue en un an et demi impliquant la nécessité de faire une année de stage non rémunéré par la suite, et d'obtenir obligatoirement un diplôme de connaissance de l'anglais (niveau B2), quelle que soit la langue étrangère de spécialité ou la deuxième langue étudiée lors de son cursus universitaire. La réforme de 2012 passée en cours d'année et à effet immédiat de prouver son niveau B2 en anglais a provoqué un certain nombre de protestations rapidement étouffé quand les étudiants ont été menacés de représailles et de poursuites. Basé sur le modèle universitaire italien concernant la nécessité de soutenir un mémoire en fin de licence, la structure universitaire albanaise impose un certain nombre de contraintes aux étudiants en langues étrangères, qui confortent le gouvernement dans ses volontés de s'aligner sur des standards qui sont difficilement réalisables ou en accord avec la réalité sociale albanaise (en référence au stage long non rémunéré), ni à leurs compétences quand il leur est demandé en cours d'année de passer un test certificateur en anglais, quand la plupart d'entre eux choisissent l'italien comme deuxième langue obligatoire. Cette nouvelle loi peut prétendre à promouvoir le plurilinguisme, sauf quand on remarque des dysfonctionnements tels que le fait

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que certains étudiants n'ont pas étudié l'anglais depuis la fin de leurs études secondaires, ou que le diplôme qu'il faut passer est un diplôme de connaissance de langue proposé par une université privée américaine.

L'offre de formation au niveau Master n'offre pas une grande égalité dans le sens où seule la Faculté des Langues Etrangères de Tirana forme les enseignants qui se destinent à opérer au niveau secondaire, laissant les universités de province former les futurs enseignants du niveau primaire (et collège, ces deux niveaux étant réunis en Albanie), comme c'était le cas déjà sous le régime communiste avec les instituts pédagogiques qui formaient les enseignants du niveau primaire et collège, tandis qu'à Tirana, on pouvait suivre une formation permettant d'enseigner aux niveaux supérieur, comme c'est le cas pour nos informateurs qui ont reçu une formation sous le temps du communisme. Etre autorisé à se déplacer pour étudier succédait à une étude de dossier minutieuse et profonde de l'adéquation du candidat avec l'idéologie du PTA et de sa bonne conduite. Les enseignants ayant reçu leur formation initiale sous le régime communiste devait donc faire preuve d'exemplarité.

On trouve également des Masters en communication et en tourisme, ouverts aux étudiants de LE, ainsi que des Masters en traduction et interprétariat. Le manque de valorisation attribué au travail d'enseignant attire souvent les étudiants dont les compétences linguistiques sont les plus faibles vers l'enseignement. Cependant, le peu de formations professionnalisantes, sans compter le coût important qu'engage le rapprochement d'un étudiant de son lieu de formation peut également inciter plus volontairement les étudiants à se diriger vers les seuls Masters proposés dans la ville où ils ont déjà effectué leur premier cursus universitaire. On n'oublie pas les tarifs importants d'admission en Master qui s'apprêtent à être appliqués prochainement. Les réalités économiques restreignent donc les possibilités de formation professionnelle, quand l'université est conçue aujourd'hui comme la fabrique des futurs professionnels, destituant cette place aux instituts de formation spécialisée.

Sans devoir se spécialiser en français, on remarque que le français n'est pas présent dans de nombreuses universités albanaises, même en tant que deuxième langue d'apprentissage. Dans le domaine de l'enseignement supérieur public, seules trois universités disposent d'un département de français : Elbasan, Tirana et Shkodra. Les autres universités ne déclarent pas disposer d'un tel département, laissant penser qu'il n'existe pas d'enseignement du français en tant que deuxième langue dans la majorité des universités publiques albanaises, ce qui réduit le champ de diffusion de cette langue étrangère au profit de l'anglais et de l'italien, largement connu des Albanais par leur précoce exposition de cette langue à

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travers les médias, en particulier les dessins animés pour les enfants. Cependant, cette tendance pourrait bien changer quand les programmes télévisuels pour la jeunesse sont maintenant doublés en albanais et que les séries (« telenovelas ») d'Amérique du Sud ont récemment intégré les programmes de plusieurs chaînes nationales. Les Albanais reconnaissent eux-mêmes que leurs enfants parlent de moins en moins italien, quand c'est presque considéré comme une évidence par les plus âgés. Le bilinguisme précoce des jeunes Albanais, est donc remis en question par l'évolution des médias albanais et de leur développement pour promouvoir la langue albanaise.

Concernant la lecture de ce tableau et l'intérêt porté aux langues étrangères, nous préciserons quelques informations. Du point de vue du domaine de l'enseignement et des étudiants qui se destinent à cette formation professionnelle, et pour pallier au manque d'enseignants formés en français en particulier pour les zones rurales reculées, certaines universités ont pris l'initiative de créer des diplômes spécifiques qui proposent de former les étudiants en français et en albanais. A l'issu de cette formation, les étudiants provenant de zones rurales reculées doivent s'être dotés d'un bagage minimum en français et en grammaire albanaise pour pouvoir l'enseigner, ces données sont absentes de ce tableau, autant que le nombre d'étudiants entrant en L1, permettant de constater quel taux de déperdition est observé pour le français et les autres langues étrangères proposées, car ce chiffre n'a pu être trouvé. Finalement, de nouvelles disciplines alliant l'apprentissage d'un domaine non linguistique à celui d'une langue étrangère (informatique et anglais, ou techniques de communication et anglais, plus rarement l'allemand, mais cela existe). Cependant, aucune discipline scientifique ne se couple actuellement avec le français au niveau Licence.

4.2. Regards vers l'Ouest, de la théorie en pratique

Les universités de l'ex bloc de l'Est ont relativement rapidement essayé d'adopter des mesures permettant d'aligner leurs institutions sur des standards européens, quand certaines hypothèses soutiennent que c'est dans le cadre d'une stratégie de rapprochement économique et politique de ces pays avec l'UE. La signature de la Charte de Bologne32 a réorganisé dès 2006 le fonctionnement des universités dans leurs dimensions structurelles, curriculaires, pédagogiques et socio-éducatives, autant que l'adoption de ce texte et sa mise en pratique a tenté de démocratiser l'accès à l'université et a contribué à dépolitiser ses

32 Il était initialement question de traiter de la Charte de Bologne en chapitre 2 mais cela a été mis de côté par l'annonce d'une nouvelle réforme remettant fondamentalement en question l'application de certains principes de ce premier texte

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contenus et sa hiérarchie. Cela n'aura pas été complètement achevé que huit années plus tard, le gouvernement déplore officiellement des manoeuvres frauduleuses, illégales et contraires aux principes fondamentaux de l'éducation.

L'alignement des enseignants de LE et de français pour notre contexte, sur les principes du CECR que l'on retrouve dans les articles de recherche dont il a été fait mention en introduction de cette étude renforce l'idée selon laquelle le standard européen et globalisé a été adopté et intégré aux curricula universitaires et aux programmes de formation. Cependant, cette volonté d'ajustement théorique n'aura pas pu être appliquée à la pratique dans toutes les institutions, souvent par manque de financement : voyons certaines méthodes anciennes encore employées dans les départements de français, à Elbasan, Le Nouveau Sans Frontières 1 & 2, respectivement 1998 & 199133. Pour les autres matières, axées sur un point de connaissance non linguistiques (culture, littérature, histoire, droit, etc.), les enseignants disent se constituer leurs propres supports de cours, incluant l'utilisation de méthodes anciennes (comme le « Mauger »), en particulier quand le contenu culturel est accessible aux étudiants en difficulté de compréhension et de production linguistique (orale comme écrite), par sa présentation sous une méthodologie traditionnelle, plus familière des apprenants en particulier quand ils viennent des zones rurales où les écoles sont rarement équipées du matériel adéquat pour l'utilisation d'une méthode récente (en particulier pour celles où la compréhension orale est sur un CD-ROM). Il m'est souvent arrivé que des enseignants me demandent de leur trouver des méthodes qui leur permettent de réunir le contenu de leurs programmes dans des livres « tous faits ». Quand aucune librairie ne propose de méthode auxiliaire, et que l'achat sur Internet n'est pas encore popularisé, on peut tout à fait comprendre qu'il soit difficile de trouver ces méthodes, il y a donc une réelle demande pour une littérature méthodologique neuve et / ou innovante (en référence à la date des méthodes utilisées et des méthodologies qui y sont prescrites), ou de l'équipement des écoles avec le matériel au moins de base, pour travailler sur toutes les compétences. Cependant, nous savons qu'en réalité, la revendication des quatre compétences ne fait appel à un travail effectif sur ces dernières, en particulier quand on en vient à la production orale. Nous verrons ceci dans le chapitre prochain.

33 Quand j'ai voulu proposer une nouvelle méthode, j'ai rencontré la reluctance de ma hiérarchie à l'époque sous prétexte qu'il n'y a pas de librairie francophone, quand les apprenants utilisent des photocopies de méthodes.

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Conclusion

La Francophonie déclare viser la promotion et la défense de valeurs fondamentales inhérentes aux êtres humains et à leurs droits, sans considération de leur origine ou leur première langue tant que les échanges entre représentants de cultures diverses peuvent s'effectuer à travers la pratique de la langue française. Les initiatives de l'OIF ne furent pas toujours observées et commentées de la même manière par chacun, la francophones ne se rejoignant pas toujours sur un consensus identitaire ou définitoire, ce qui nous permettrait de nous questionner à savoir : est-il possible d'avoir une identité à la fois fondamentalement plurielle et constituée d'un noyau commun pour être reconnue et partagée par tous ?

Le débat est compliqué par le fait que la francophonie a la France pour capitale (quand ce n'est pas réduit à la seule ville de Paris), alors que l'histoire montre à elle toute seule qu'il n'y a plus un seul français, mais plusieurs variétés de langues françaises, que ces variétés ne sont seulement parlées en France, qu'elles disposent elles aussi de statuts de norme, et que les Français eux-mêmes ne valorisent pas tous la pluriculturalité, le plurilinguisme. On revient toujours à la question de la langue de la France comme langue de suprématie telle qu'elle est décrite par Leperlier (2010) et nous préférerons son point de vue analytique sur ce qui motive les Français à considérer la Francophonie comme ayant un effet centripète plutôt que sur des analyses déconstruisant ce que l'OIF se force à élaborer de manière honorable pour ce qu'on en voit de l'extérieur. Quoiqu'il en soit, les débats tentant de déterminer une identité francophone ne sont pas prêts de prendre fin pour la raison que le fantôme de la colonisation plane encore au-dessus des consciences, qu'elle est loin d'être affaire close et que dans ce contexte précis, il est difficile d'admettre la francophonie de peuples qui n'auront pas vus les Français d'aussi près ou pas aussi majoritairement. Si l'on considère les objectifs que se fixe l'OIF à savoir la cohésion entre les peuples, on admettra qu'elle peut desservir l'Albanie dans son accès à la démocratie et à l'élaboration d'un partage et d'un dialogue entre cultures.

L'Albanie pays uniculturel ? Cette question a été abordée en deuxième partie et il a été remarqué que le grand attachement des Albanais à leurs valeurs et à leurs traditions rend ce peuple très volontaire quant à la défense et la valorisation de son patrimoine maternel (combien de peuples d'Europe peuvent encore se targuer d'avoir réussi à transmettre les chants, les danses et les textes propres à la culture ancienne du pays concerné aux générations plus jeunes) ; cependant les différentes vagues de colonisation du territoire auront modelé ce peuple et sa capacité à regarder vers l'extérieur.

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Quelle forme la diffusion du français doit-elle prendre ? Chaudenson nous propose que la mondialisation des images est dangereuse, ce qui explique d'après lui cette fuite vers l'anglais, car la lecture de la culture anglophone et majoritairement américaine à travers les médias et la musique semble offrir une image unie et identifiable. L'Albanie dans sa volonté de reconnaissance peut légitimement se lancer dans une voie qui pourrait lui permettre d'infiltrer cet amalgame d'individus internationaux qui parviennent à circuler et à communiquer aux quatre coins du monde, en particulier lorsque l'on observe une diaspora aussi étendue. Mon avis m'amènerait à me dire que le français langue internationale, au même titre que l'anglais, n'est pas engagé sur cette voie, et Porcher le souligne pareillement (2012 : 10) en même temps qu'il avance un élément : « qui suarait priver ses enfants, c'est à dire finalement, à les amputer d'une compétence linguistique aujourd'hui banale ? » C'est précisément à cet endroit que la francophonie peut opérer et avancer les valeurs qu'elle dit protéger. Cela dit, ce n'est pas envisageable sans l'aide des politiques nationales, plus proches des sociétés concernées, des institutions et à cette instance charnière, celle des enseignants.

De la même manière que la citation de Porcher introduisait l'idée d'une transmission des capitaux sociaux et culturels entre deux générations, nous nous attarder dans la dernière partie à ce qui permettrait de comprendre l'action des enseignants et des apprenants albanais vis-à-vis de leur apprentissage du français. Où les enseignants se situent-ils dans ce schéma, malgré le fait que l'on déplore que certaines pratiques n'ayant rien à faire avec l'apprentissage d'une langue soient aussi facilement observables en contexte scolaire et universitaire ? C'est l'idée de la prochaine partie qui s'apprête à être traitée avant de pouvoir réfléchir à une modélisation des politiques linguistiques et éducatives à profiler en Albanie, favorisant une réduction de la fracture sociale en action depuis de nombreuses années.

Chapitre 4 - Pratiques et représentations didactiques, le français et son enseignement-apprentissage en Albanie

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« Deviens qui tu es. »

Goethe

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Introduction

« Aussi pour apprendre l'élève doit-il sublimer l'inconfort des incertitudes liées à l'incomplétude de son savoir en acceptant de se risquer dans la recherche des moyens de cette maîtrise. Ce risque est à la fois le fondement et la condition du fonctionnement du processus enseignement / apprentissage » (Anderson, 1999 : 26).

L'acte d'apprentissage est défini ici comme une situation dans laquelle l'apprenant doit apprendre à se guider dans l'inconnu et à accepter l'inconfort de cette situation temporaire. Il est induit que cet apprentissage s'effectue en compagnie plus ou moins marquée de son enseignant, selon les méthodologies prescrites et employées ; les facteurs modelant les conditions dans lesquelles l'enseignement / apprentissage s'opère déterminent également quel accompagnement peut être envisagé. De la même manière que chaque peuple a son histoire sociale, culturelle, identitaire et qu'elle forge une société de génération en génération, il m'avait semblé important de tenir compte des informations exposées jusqu'ici pour deux raisons : ces raisons reviennent régulièrement dans le discours tenu par les acteurs à différentes échelles d'action de l'enseignement-apprentissage des langues étrangères, mais aussi parce qu'il m'a semblé inévitable de prendre en compte l'histoire des situations et des acteurs observés, responsables de ces actions, en particulier si l'on considère que rendre l'historicité d'un terrain observé réintègre ses acteurs dans leur expérience au monde, d'après Dondeyne (1956 : 5-25) dans sa définition de l'historicité dans la philosophie contemporaine. Cela est d'autant plus inévitable lorsque ce monde dont il est question est au centre de la relation des individus à la société à travers la langue, au même titre que l'appréhension d'un code linguistique nouveau.

Plus simplement et afin d'introduire les rapports d'expérience des acteurs observés et l'analyse de cette expérience, il convient d'attribuer ces dernières pages à ce qui permet de placer les acteurs dans le contexte dans lequel ils sont amenés à agir. A une époque où le développement de compétences transversales entre différents répertoires linguistiques et culturels sont définis comme permettant entre autre, la possibilité d'une compréhension mutuelle entre cultures et peuples, nous verrons de quelle manière cette nécessité trouve son écho chez les enseignants de français et les apprenants. L'échelle macro des décisions politiques et éducatives modelant en partie les interactions à l'oeuvre et observables au niveau micro, il s'agit maintenant de s'intéresser aux actions engendrées par les acteurs qui nous intéressent ici et de voir si ces actions trouvent elles aussi écho dans la vision projetée

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des décideurs d'une nation et d'un pays tel que l'Albanie. En fonction de ça, nous verrons s'il est possible d'envisager une (re)définition des politiques éducatives et linguistiques à l'oeuvre dans les universités albanaises.

I/ Individus en contexte

1.1. Circonscription et approche tenue à l'égard du terrain

La sociolinguistique étant une discipline qui a permis la formation de la sociodidactique, c'est à l'éclairage des outils qu'elle préconise que nous investirons le domaine micro des représentations et des locuteurs. C'est donc en usant de méthodes de recueil de données tels que le récit de vie (Bertaux, 2010), l'entretien compréhensif (Kaufmann, 2011) ou l'observation directe (Fournier & Arborio, 2010) que les analyses qui s'apprêtent à être proposées ont été formulées.

Le cadre de mon enquête m'a permis d'observer en particulier le département de français de l'Université Aleksandër Xhuvani d'Elbasan, au sein duquel j'ai moi-même opéré. Cependant, j'ai aussi pris la liberté de croiser les données que j'y ai recueilli avec des informations prélevées auprès d'anciens étudiants d'une autre université, afin de me constituer un sens plus critique des conclusions que je souhaite apporter à cette étude, en particulier grâce au regard distancié de ces derniers. L'intention est d'observer ce qui peut influer l'agir des enseignants de français, autant que les représentations de départ des apprenants pour cette langue, et de sonder de quelle manière les représentations de chacun peuvent influer sur les politiques linguistiques et éducatives à engager.

Ma première intention était de focaliser mon enquête de terrain sur les étudiants, intéressée par la toute dernière échelle dans la pyramide (verticale, nous l'avons vu en chapitre 2) de décision et de planification des politiques engagées, pour observer les représentations formées par ces derniers en fonction des facteurs et des modalités d'exposition à la langue et à la culture françaises. Cependant, au moment de mener cette enquête, j'ai été confrontée à deux difficultés principales : je ne pouvais évidemment plus avoir accès à certaines scènes didactiques qui ont eu lieu lors de mon expérience en tant qu'enseignante, et qu'il est aussi pratiquement impossible de recréer les conditions nécessaires à l'obtention de prises de position et d'actions spontanées de la part des enseignants autant que des apprenants, puis de les enregistrer. Le corpus d'enquête que mon expérience m'a constitué pouvait bien être observable dans les classes des autres, où l'accès

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m'a été rendu difficile, par méfiance gênée de mes interlocuteurs, en particulier quand la nouvelle de mon retour et de mon étude s'est répandue. J'ai finalement basé le contenu de mon analyse sur l'utilisation du récit de vie et de l'entretien compréhensif pour avoir accès à une forme de discours qui appartient à l'informateur, mais révélateur d'une réalité majoritairement partagée. Mon rôle était ensuite de recadrer le contenu obtenu sur un terrain reflétant une réalité communément partagée, avec la charge de pouvoir rendre des commentaires placés théoriquement, réfléchis scientifiquement et ancrés dans la pratique.

Les conditions dans lesquelles ces deux méthodes de recueil de données doivent être optimales pour pouvoir avoir accès à ce dont on a besoin, que l'on connait par expérience mais auquel on n'a pas accès « sur demande ». Une autre difficulté a été celle de la langue d'entretien. Mes compétences en albanais étant assez restreintes, je ne pouvais pas avoir accès aux informations voulues dans la langue de mes informateurs quand leurs connaissances en français étaient insuffisantes pour pouvoir répondre aux prérogatives de mon enquête et des thèmes que je souhaitais développer. Je ne voulais pas avoir accès à un intervenant tiers qui aurait pu me soutenir dans les conditions techniques de prélèvement d'informations techniquement et traduire les échanges produits, car la méfiance qui peut s'établir dans ce type de situations aurait faussé les informations recueillies. Enfin, quand les compétences linguistiques de mes informateurs étaient suffisantes pour pouvoir me répondre en français, la présence d'un enregistreur audio a souvent produit les effets attendus par la présence de cet objet : l'informateur confronté à son moi dans les scènes de sa vie qu'il expose et l'inévitable tentative de ce dernier à vouloir protéger sa face (au sens bourdieusien), sa vérité et sa consistance, incarne un rôle qui ne lui ressemble pas en d'autres situations. Les recueils de données les plus utiles ont été ceux où je prenais des notes au fil des questions posées à mes interlocuteurs, et sur la durée quand la situation de l'interview coulait doucement vers une situation d'aise et de confiance émise à l'égard de celui qui prélève ces données souvent personnelles, presque informelle quand c'était des sujets que j'avais déjà abordé dans un autre cadre qu'académique ou officiel. Il a finalement été intéressant d'avoir accès à des informations recueillies en anglais, étant l'autre langue me permettant d'avoir accès aux représentations des apprenants albanais vis-à-vis des langues étrangères. Avoir accès aux représentations des locuteurs albanais anglophones m'aura permis d'avoir un regard distancié de leur part à propos de la langue française quand mes autres informateurs ont déjà été exposés à la langue française de manière intensive (en contexte scolaire surtout). Finalement, les difficultés présentées ci-dessus m'ont amenée à m'orienter vers les enseignants et leurs récits vis-à-vis de l'enseignement-apprentissage du français car leurs

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compétences linguistiques me permettaient plus aisément d'avoir accès aux informations nécessaires.

En croisant ces données avec celles d'étudiants, on obtient un panorama en plusieurs dimensions d'une réalité communément partagée. Je tenterai de défendre en quoi la prise en compte de ces deux types d'informations peut défendre une position équitable et respectueuse des différents partis concernés par le contexte de l'enseignement-apprentissage du français. Je tenterai d'abord de présenter en quoi s'intéresser à ces deux classes d'acteurs peut permettre de comprendre la teneur des décisions engagées, des actions planifiées et des retours évalués par les apprenants sur les interactions observées en classe et en contexte extrascolaire dans le cadre du réseau associatif privé (Alliance Française) et lors de l'organisation d'activités culturelles, toujours dans le cadre d'activités commandées par les institutions avant de ne l'être par les individus (Printemps de la Francophonie).

J'ai finalement observé certains de mes étudiants qui m'ont ouvertement reproché d'être partie comme si je les avais abandonnés. Je ne tiens pas à analyser moi-même cette situation parce que je ne suis pas sûre de le faire correctement, cependant, j'ai été étonnée de voir autant de rancoeur, caractéristique, je pense, de ce que je m'apprête à exposer.

1.2. Acteurs de l'enseignement-apprentissage du français

Dans l'attitude adoptée par les étudiants vis à vis de leurs études supérieures, couplée à la course au diplôme observée dans leur seul intérêt de décrocher le papier qui leur ouvre supposément un accès au marché du travail plus valorisant que s'ils se limitaient au BAC, n'ont pas toujours des compétences vérifiées en langue. Ce n'est donc pas la langue en elle-même qui attire des étudiants que l'on garde pour garder certaines filières ouvertes, mais le potentiel d'obtenir un diplôme sans difficulté, ce que les enseignants reconnaissent observer et partagent avec moi sans difficulté. Le Premier Ministre a lui-même intitulé son discours du 7 juillet 2014 tenu à l'annonce de la publication de la réforme sur l'enseignement supérieur de 2014 : « la fin de l'enseignement comme une marchandise qui s'achète » axant l'entièreté de son discours et l'attention de ses interlocuteurs sur un seul des points qui nécessitent d'être contrôlés par l'Etat : le monnayage de ses droits de passage. Les autres étudiants qui trouvent un intérêt à leurs études ou qui développent un certain goût pour le français dans notre cas, sont rapidement découragés de voir que ceux qui ne font aucun effort passer sans difficulté d'une classe à l'autre. Concernant le public que l'on peut observer dans un même département, on trouvera :

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- des enseignants qui sont impliqués dans l'enseignement pour avoir une prise politique directe sur les étudiants. Quand il est reconnu nécessaire de se rapprocher d'un mouvement politique pour obtenir un emploi, et plus favorablement le parti au pouvoir, il est attendu de ces mêmes personnes qu'ils rallient leurs étudiants à ces partis politiques pour gagner des électeurs (expérience personnelle de juin 2013 où une enseignante a imposé à mes apprenants de sortir de mon cours pour assister au discours que Sali Berisha, ex Premier Ministre au pouvoir était venu faire dans notre université ; mes apprenants n'auront pas eu le choix que d'accéder à sa demande car cette enseignante est connue pour son manque d'honnêteté académique et assister à une conférence pendant 1 heure tout au plus assure la moyenne) ;

- d'autres enseignants qui ont développé un réel intérêt pour la langue et le savoir qu'ils
enseignent et qui tentent d'intéresser leurs apprenants au contenu développé dans leurs cours ;

- des étudiants qui choisissent leurs filières et qui y sont acceptés grâce à leurs bons
résultats ;

- d'autres étudiants qui obtiennent une place au même titre que ces derniers et qui obtiennent leurs laissez-passer moyennant quelques services rendus aux enseignants, ou achetant impunément leurs notes ;

- des institutions de l'enseignement supérieur saturées de pratiques qui n'ont aucun
rapport avec l'acte d'apprendre ou d'enseigner, ou tout du moins, pas des contenus académiques et formateurs du point de vue identitaire, professionnel et social.

Ces faits ne peuvent pas toujours être prouvés par des données quantitatives ou des discours rapportés de la part d'informateurs qui n'ont pas toujours envie de prendre part à la dénonciation de ces pratiques. L'annonce de la réforme de 2014 aura également fait exploser quelques scandales révélant des noms de Ministres qui auront eux-mêmes étudié dans des institutions de l'enseignement supérieur que le gouvernement a décidé de fermer ou de partiellement suspendre quand il a été reconnu que les pratiques opérées au sein de ces institutions n'étaient pas légales. On compterait parmi eux la Ministre de l'Education Nationale. Pour affirmer donc au moins le fait que les étudiants passent d'une année à l'autre sans avoir acquis de réelles connaissances linguistiques, je noterai le souvenir des corrections d'examens où à l'issu de 200 heures d'enseignement du français, près de 50% des étudiants ne sont pas capables de conjuguer le verbe « avoir » au présent de l'indicatif. En deuxième année de licence, il est prévu selon les curricula universitaires qu'ils étudient des oeuvres

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littéraires en langue cible. Comme il l'a été précisé précédemment, il n'en va pas de la seule responsabilité de la classe enseignante d'adopter un regard responsable vis-à-vis de leur rôle au sein de l'institution universitaire et sociale, en particulier quand un si grand nombre de jeunes fréquentent et traversent l'université pour atteindre ultimement le marché du travail. La pression sociale et familiale amène des jeunes sans réel intérêt pour l'institution scolaire à traverser les niveaux scolaires et universitaires sans obstacle d'ordre académique ou structurel.

C'est un véritable jeu d'équilibriste qu'il faut apprendre à développer avant d'amener chacun à devoir amorcer le débat qu'implique la dénonciation de certaines pratiques frauduleuses. Cependant, pour amorcer des réformes qui auront un impact réel sur les politiques éducatives et linguistiques, il semble réaliste de devoir prendre en considération ce qui se passe réellement dans les institutions qui font l'objet de tant de dénonciations, la réforme de l'enseignement de 2014 prévoit d'ailleurs de fermer près d'un tiers des institutions albanaises de l'enseignement supérieur, car non conformes ou non agrémentées par le MASH. Ne prétendant pas à un diplôme en sciences de l'éducation, mais bien en didactique du français et des langues étrangères, j'aurai utilisé ce panorama interdisciplinaire pour deux motifs. Premièrement, une contextualisation me semble plus représentative d'une réalité souvent rarement considérée dans les travaux relevant des conditions qui forgent l'habilité des apprenants à recevoir une formation éducative, mais aussi parce qu'il me permet de mieux saisir dans quel contexte des politiques relatives aux langues doivent être mises en place de manière éthique et responsable, et respectueuse de l'histoire de chacun.

Finalement, d'après le discours tenu par les enseignants rencontrés, et d'après les recherches majoritairement axées sur l'application des conseils tenus dans ce texte, élevés au rang de préceptes de référence, on soutiendra l'argument suivant. Le CECR étant devenu le moyen d'échelonner sa pratique par rapport aux normes internationalement reconnues, il s'agit dans la conscience de ces enseignants d'avoir et d'utiliser la méthode qui convient au discours tenu, en théorie, et de correspondre à cette approbation étrangère, signe de réussite sociale. Cette précipitation sur les quatre compétences proposées par le CECR peut se révéler faussée ou chargée de représentations qui ne proposent pas de rappel sur le fond de cette catégorisation des compétences des apprenants en LE, proposée en 2001 pour la publication du CECR, mais en gestation intellectuelle depuis plus longtemps. Dans cette situation précise, nous pouvons rappeler Rosen (2005 : 120) qui propose que l'obstacle que représente

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ce bloc ne rend pas et efface même ses particularités à chacune des compétences visées, et homogénéise les compétences de l'apprenant sans prendre en compte sa compétence à communiquer, car exclue en théorie des quatre compétences majeures : production / compréhension, orale / écrite.

Cet alignement sur des standards supranationaux va de pair avec cette

européanisation que les politiques tentent de mettre en place pour permettre aux différents organes institutionnels de leur pays de ressembler à ceux de leurs voisins de l'UE. De la même manière qu'on tente de se défaire d'un système communiste et aller de l'avant, on perçoit une certaine réticence à aller vers un système qui ne relève plus de sa seule compétence et qu'on n'arrive pas totalement à intégrer dans sa pratique didactique car pas introduit de manière ciblée et justifiée, et peu contextualisé aux situations dans lesquelles il est attendu que des textes tel que le processus de Bologne modifie foncièrement les attitudes (Nouvelle Europe, 2008).

II/ Conditions de formation des représentations relatives au français 2.1. La course au diplôme et les langues :

Revoyons rapidement ce qui permet à un étudiant albanais d'intégrer une formation universitaire. L'admission des étudiants à l'université est donc basé sur un calcul complexe de points prenant plusieurs paramètres dont la majorité est externe aux capacités de l'apprenant lui-même. Ce système opaque ne permet pas toujours aux étudiants mêmes de comprendre quels critères de sélection les ont intégrés dans telle ou telle filière. Par une tentative apparente de volonté objective, mathématique et impersonnelle de la part du gouvernement albanais de réguler l'accès aux différentes formations universitaires proposées, il ressort d'après les étudiants et de leurs représentations générales qu'ils ne savent pas ce qu'ils feront de leur vie professionnelle, ou ce qu'il sera admis qu'ils en fassent, d'autant plus d'après un gouvernement pour lequel ils ont peu d'affect. On soumet sa demande d'admission dans telle ou telle filière universitaire en remplissant un formulaire de 10 choix maximum, et concernant le domaine des langues étrangères, il est admis dans les représentations collectives des Albanais, qu'ils ont « un don » pour les apprendre. D'après eux, cela tient de la phonologie fine de leur langue et de leur capacité à bien prononcer les phonèmes étrangers. L'ancien Premier Ministre Berisha lança sans hésitation la possibilité que le chinois devienne une langue étrangère obligatoire dans les écoles albanaises, pour permettre à son pays de

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s'orienter vers l'avenir (Janina et al. 2012), d'après la recommandation d'un de ses amis que les Albanais représentaient le peuple qui était le plus apte à apprendre le chinois... Cette possibilité fut remise en cause quand les enseignants de la Faculté des LE de Tirana releva un point : il n'y a pas à cette heure d'enseignement philologique du chinois à cette heure et former assez d'enseignants dans cette langue prendrait plusieurs années. Comme Porcher nous l'indique, la formation universitaire n'est plus un espace, mais une voie que l'on occupe, dans ce type de cas. Pour les enseignants, cela semble plus complexe puisque c'est la position que le fameux « papier » ou « titre » procure qui les intéresse.

23.

Est-ce que tu saurais me dire s'il y a une classe intellectuelle albanaise ? Les profs d'université, est-ce qu'ils sont aussi connus pour la recherche, leurs travaux ?

24. F- Oui, à Tirana. Mais il n'y a pas de diffusion des idées, d'esprit académique. Même le peu d'écrits qu'on trouve de la part des profs, c'est politisé, c'est pour se rendre visible sans pour autant que le contenu de ces articles soit même valable ! C'est une course au titre constante, à la reconnaissance extérieure, les gens se montrent, mais ils ne brillent pas par la qualité de leurs réflexions, c'est plutôt pour le nombre de fois où on a vu leur nom. Et une fois que les profs ont un bon poste, on n'arrive plus à les détrôner.

CF ANNEXE 13, 05-F

Pour notre cadre estudiantin, les langues étrangères étant réduites à leur simple appareil que la facilité de les assimiler par les étudiants, ils les placent généralement en toute fin de liste dans le cas où on n'aurait pas été admis dans une formation qui permette réellement d'obtenir un travail (toujours d'après leurs représentations). Il est entendu d'après eux qu'ils arriveront bien à en assimiler quelques notions à l'issu de quoi cela sera suffisant pour assurer un emploi d'enseignant. Le français n'appelant pas à un avenir prometteur car peu connu et apprécié des jeunes Albanais, quand ils ne savent pas ce que le français peut permettre d'obtenir en termes d'avenir financier (contrairement à l'anglais et son rattachement au monde des flux d'argent et de capitaux), les étudiants qui s'engagent dans une formation professionnelle pour enseigner cette langue réduisent également leur champ d'assimilation à ce qu'ils croient nécessaire de transmettre en termes de quantité de savoirs : peu, puisque les Albanais « n'apprennent pas le français » et on ne peut rien faire avec cette langue. C'est d'après une surestimation de leurs capacités en termes d'apprentissage linguistique et où l'aspect culturel est complètement évincé de la formation qu'un étudiant en français s'apprête à recevoir, mais aussi d'un état de faits sans équivoque que l'on délaisse l'intérêt que l'on pourrait porter à cette langue, mais aussi qu'on le transmet. A cela s'ajoute l'impression que c'est une langue belle mais difficile, quand on ne choisit pas l'anglais parce

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que c'est la langue du commerce, on se déporte vers le français avec curiosité sans savoir ce sur quoi l'apprentissage de cette langue débouchera.

Quels facteurs aiguillent finalement la formation de représentations des locuteurs albanais ?

2.2. Le purisme linguistique et le traitement de l'erreur :

Pour cette partie, nous ferons partiellement un détour par la façon dont

l'enseignement-apprentissage du français est opéré dans les niveaux inférieurs, car c'est précisément dans ce cadre-là que j'ai eu l'occasion d'accéder à une observation participante ou non au sein de situations didactiques. Comme mentionné précédemment, le purisme linguistique émis à l'égard des langues étrangères autant que de la langue maternelle est prégnant et laisse croire à un cloisonnement entre codes linguistiques, réalisé par les informateurs qui s'expriment ici. En écho à ce regret de voir la langue albanaise « malmenée » par ses locuteurs, on retiendra les termes suivants.

107.

Mais quand tu regardes la télévision en Albanie, c'est ce que me disait EB hier soir : « Moi, zysh, je comprends pas, parce que quand tu regardes la télévision, il y a des Albanais qui mettent des mots en italien, comme ça, complètement par hasard dans leurs phrases, pour se donner un style, un genre »...

108. Oui, c'est vrai, on utilise beaucoup des mots des autres langues. Mais ce n'est pas bien, ça parce que les jeunes, les enfants, ils écoutent ça, et ils n'apprennent pas bien leur langue maternelle.

109. Mais une langue, ça évolue ?

110. Oui, ça évolue, la langue, mais pas prendre des mots de l'italien. Ca, c'est pas évolution.

111. Tu penses que c'est une espèce de trahison à la langue, que c'est ne pas respecter la langue ?

112. Ils ne savent pas respecter la langue, ici.

113. Pourquoi ?

114. Parce que même quand j'ai fait mon stage, j'ai fait une petite dictée à la sixième classe, et c'était bizarre, beaucoup de fautes en albanais, beaucoup, beaucoup...

115. Ah tu as fait une dictée en albanais ?

116. Ils ne savaient pas écrire en albanais.

CF ANNEXE 10, 02-I

L'enseignement des LE en Albanie a longtemps été imprégné de purisme et de respect pour une langue statuée comme « standard », dans le sens où on n'apprenait pas la langue pour la parler, comme nous le dit l'un de nos informateurs. On apprenait à comprendre et à répondre, pas à communiquer. Les enseignants interrogés ont pratiquement tous suivi des stages de formation continue visant à compléter leurs compétences professionnelles quand

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certains aspects des tâches didactiques n'ont pas été abordés lors de leur formation initiale, les pratiques observées restent traditionnelles. Ces stages sont souvent organisés par des organismes non-albanais (Ambassade de France comme avec le projet ALMKATICE, ou avec le CREFECO), et visent à présenter de nouvelles méthodologies aux enseignants pour s'adapter aux standards que le gouvernement veut injecter dans le système éducatif à travers ses institutions. Cependant, lors d'observations de classe de différents niveaux, il a été remarqué que les enseignants restaient proches de méthodologies traditionnelles basées sur le modèle de la question / réponse, récompense, que la méthode utilisée soit moderne ou non. On retrouve d'ailleurs cette protection puriste dans les représentations des Albanais par rapport au français et à son apprentissage quand ils disent que la grammaire est difficile, mais que c'est une jolie langue. Cependant, lors de séances de classe où la méthodologie empruntée est plus détendue, les apprenants n'ont plus aucune discipline, assimilant la leçon à un jeu et n'obtempèrent plus du tout aux sollicitations de l'enseignant.

Les enseignants sont donc partagés entre le recours à des méthodologies plus récentes et permettre à leurs apprenants d'avoir l'expérience de l'Autre qui ne leur était pas donné de vivre sous le régime communiste, ou adopter une posture plus rigoureuse et s'assurer de ne pas avoir à dépenser une énergie folle sur le maintien de la discipline. Quant aux apprenants, et concernant ce point de l'attitude de l'enseignant, ils trouvent les enseignants de français trop dur de la même manière qu'ils évaluent positivement un enseignant leur enseignement de la grammaire est rigoureux, ce qui ramène l'apprentissage de la langue française aux aspects systémiques et régulés de celle-ci. L'apprentissage du lexique se faisait par listes qu'il fallait apprendre par coeur et l'évaluation était difficile comme nous l'indique cette personne, mais mené par une enseignante remarquable :

12.

Tu avais étudié le français avant ?

13. R- J'avais fait des cours privés. Je n'avais pas étudié à l'école, mais ma mère était fixée pour apprendre beaucoup de langues. J'ai étudié seulement l'anglais à l'école primaire. Et HD a fait un très très bon travail, c'est vrai qu'elle nous terrorisait tout le temps, mais elle a fait le meilleur travail. C'est vrai qu'elle nous obligeait d'apprendre le vocabulaire par coeur.

14. Tous les jours, elle vous donnait des mots de vocabulaire à apprendre ?

15. R- Oui, oui. Et en même temps, on devait respecter l'ordre des mots ! Oui ! Elle me sortait tous les jours au tableau. Même si je mettais un mot moins, par exemple 30 mots, han ! « Tu as oublié un seul mot ! ».

16. Elle vous donnait 30 mots de vocabulaire à apprendre ?

17. R- Oui !

18. Trente mots ? Par jour ??

19. R- Tu connais le Nouveau Sans Frontières ? Le livre...

20. Oui, oui, je connais.

21.

133

R- Tu sais les tableaux ?

22. Oui.

23. R- Tu sais les vocabulaires ? Avec beaucoup de mots ? Des petits mots, mais il y a beaucoup de mots. Difficiles, pour les véhicules, et caetera, pour ce type de choses. Et on devait tout apprendre, même les parties de la, les pièces de la voiture. On devait tout apprendre. Mais personne n'apprenait, hein !

24. Et vous avez travaillé avec le Nouveau Sans Frontières 1 ? 2 ?

25. R- 3 ! Et puis à la fin, à la quatrième année, c'était un type... je n'ai pas compris comment il s'appelle, seulement des textes.

26. D'accord... C'était des textes, des dialogues par exemple ?

27. R- Oui même des dialogues, plutôt des textes qui n'étaient pas agréables.

28. Pourquoi ?

29. R- C'était seulement pour pratiquer la langue.

30. D'accord.

31. R- Mais euh, elle a fait vraiment un très bon travail même avec la grammaire.

32. Mais c'est vrai que c'est une prof qui est très bien préparée, super bien préparée, j'aime beaucoup beaucoup zysh XhD.

33. R- Oui. La grammaire qu'elle nous apprenait, c'était parfait. Oui.

CF ANNEXE 11, 03-R

9. Avec quelle méthode as-tu appris le français ?

10. G - Avec Mauger, c'était une bonne méthode, on apprenait beaucoup de lexique et de grammaire. Puis avec le Nouveau Sans Frontières.

CF ANNEXE 04-GE

Cette méthode traditionnelle qui s'apparente à de la grammaire-traduction ne se retrouve pas seulement chez les enseignants qui ont reçu leur formation initiale sous le communisme mais également chez les plus jeunes. Il m'a été donné d'enseigner sporadiquement dans les collèges, au niveau 3ème français, soit en 9ème classe albanaise. Le nombre d'heures d'apprentissage du français étant assez réduit dans certains établissements, j'intervenais parfois durant la seule heure d'enseignement hebdomadaire de cette classe quand le français était enseigné en deuxième langue étrangère. Pour ne pas interférer avec la nécessité pour l'enseignant de réaliser son programme, je prévoyais de petites activités d'animation qui ne devaient pas durer plus de 10 minutes à la fin du cours, que j'avais rarement le temps de réaliser. De mon point de vue, il était parfois étrange de demander au public d'apprenants de l'enseignant référant de passer à une attitude docile vis-à-vis de l'enseignant qui posait des questions et qui attendait des réponses, à une activité de fin de classe plus interactive. Cela perturbait ce public d'apprenant qui ne savait pas comment réagir à mes sollicitations et qui cherchait constamment l'approbation de l'enseignant pour y

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répondre, quand ce n'est pas l'enseignant qui accordait la parole aux apprenants qu'elle désignait elle-même, aux questions que je posais moi.

La langue française est donc limitée à la méthodologie à travers laquelle cette langue est proposée. Ici, il s'agit de capter le sens d'un corpus pour l'apprenant et de vérifier sa bonne réception concernant l'enseignant. Cette méthodologie n'est ni bonne ni mauvaise, et la qualifier de « dépassée » n'est pas non plus approprié, quand il a été parfois observé que les apprenants étaient plus réceptifs à ce type de méthodologie qu'à une autre. Cependant, on remarquera que son recours jurait avec l'usage de méthodes parfois plus modernes et la présence d'activités invitant l'apprenant à prendre part dans le savoir construit dans et pour la classe. Ces activités étaient rapidement parcourues ou me revenaient lors de mes heures d'intervention au lycée bilingue, à la demande des enseignants avec qui je partageais la réalisation du programme. Cependant, la difficulté pour l'apprenant de comprendre par quel moyen l'enseignant passe pour présenter un savoir donné peut parfois amener à reconsidérer les conditions dans lesquelles une consigne pouvait être émise. En cas de « mauvaise » réception d'une consigne ou d'un discours tenu par l'enseignant, ou en cas de faute produite par l'apprenant systématiquement jugée comme une erreur et suivie de sévères réprimandes dans certains cas (j'ai assisté à un grand nombre de réprobations émises par l'enseignant à l'adresse de l'entièreté de son public pendant lesquelles j'étais la spectatrice d'honneur par le sourire satisfait que l'enseignant m'adressait quand je pouvais reprendre le fil de mon cours), l'apprenant est directement touché dans sa personnalité individuelle, extirpé de son rôle d'acteur du savoir pour être réduit à sa plus simple identité.

Ces scènes didactiques et leur interprétation nous permettent de situer la difficulté relatives aux enseignants de présenter un savoir donné dans des conditions identifiables par tous et sujettes à réaction de la part des apprenants, qui émettent alors une incompréhension quant aux conditions d'appropriation de cette langue et de sa culture (quand il s'agit des activités visant à présenter la culture française). Dans la sévère évaluation des enseignants vis-à-vis des productions en langue de leurs apprenants (écrite ou orale), la faute considérée comme un manquement de respect à la norme laisse penser qu'une seule variété du français existe et vaut d'exister. Le cas de la correction du /r/ particulièrement gênante était la source des plus grandes frustrations des apprenants quand le /r/ français n'existe pas en albanais et qu'aucun phonème ne s'y assimile.

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2.3. La sublimation du natif et sa place en contexte étranger albanais :

Dans le cas de situations où j'étais en position d'observation active et participante, la méthodologie que je souhaitais instaurer ne passait pas auprès de mon public, et n'était pas toujours reconnue de mes collègues enseignants dans les situations dans lesquelles leur présence était obligatoire par ordre de la hiérarchie, ce qui m'amène à relater un autre aspect du contexte d'enseignement-apprentissage du français. Que cela ait été à l'université ou au lycée, une admiration pour le locuteur natif (de France) confortait la norme standard défendue par les enseignants. Cependant, l'imposer la et la standardiser dans une classe de langue étrangère peut obstruer le développement d'une compétence de communication chez l'apprenant. Cette pratique réduit, inhibe ou annihile la construction de l'identité de l'apprenant en tant qu'acteur social, acteur de son apprentissage tel qu'il est prévalu dans Byram, Zarate & Neuner (1997 : 8), et tel que l'on peut s'attendre que cela se produise dans d'autres contextes, en particulier quand les cultures de l'Ouest européen sont parfois aux antipodes de la culture et du fonctionnement social albanais. La compétence à être compris, la même qui est développée en classe à travers la méthodologie traditionnelle utilisée par la majorité des enseignants, devient l'objectif principal des apprenants en LE. Si leur cursus scolaire tel qu'il a été défini par l'institution fréquentée (sans unification du point de vue national, nous l'avons vu au chapitre 2) ou si leur expérience personnelle avec les langues ne les amène pas à développer leurs compétences socioculturelles, ce n'est pas en classe que cela sera proposé et la seule compétence linguistique semble suffire à l'évaluation de la bonne assimilation de ce qui est plus que jamais un code simplifié, mais opératoire.

Cette aura attribuée au détenteur exclusif de la langue française, le natif dont la langue maternelle est cette langue qu'il faut assimiler (que l'apprenant l'ait désiré ou non) peut aisément détrôner la place de l'enseignant albanais quand il est question d'observer ses attitudes et réactions vis-à-vis du contexte didactique (ou autre !) albanais. Cette place peut amener l'instauration d'un climat et de conditions d'observation interculturelle si le natif sait se placer correctement au regard de ses apprenants. Cependant, cette sublimation attribue un peu trop de valeurs à l'enseignant natif, en particulier quand il est incapable de communiquer dans la langue maternelle des apprenants. Les Albanais excusent l'étranger quand il ne parle pas la langue albanaise, et il n'est pas rare que l'étranger parle albanais quand il le peut et que son interlocuteur lui réponde dans une autre langue, situant ce sentiment d'insécurité linguistique propre à la majorité de ce peuple. Cependant, il est intéressant d'observer que cette excuse gênée laisse place à une réprobation au bout d'un moment, quand cette langue n'a pas été assimilée. Cette dernière remarque nous amène à replacer la question de la

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préservation du patrimoine culturel et linguistique albanais au centre des interactions entre Albanais et étrangers (vu en chapitre 2).

Avant que ce jugement ne soit émis, l'enseignant natif se trouve régulièrement dans des situations cocasses quand il transmet par exemple des consignes ou qu'il fait un rappel à la discipline, que personne du public apprenant ne comprend mais que tout le monde acquiesce ; cette réaction étant motivée par une habitude de respecter l'ordre en particulier quand il provient d'une instance jugée supérieure par une communauté donnée. De la même manière que certains résultats du questionnaire distribué lors de ma deuxième année d'enseignement en Albanie sont à prendre avec beaucoup de distance, quand mes apprenants disaient en albanais qu'ils avaient menti pour ne pas me vexer, vis-à-vis de la place de leur choix d'étudier le français sur ce formulaire de 10 choix.

2.4. Compétences linguistiques et construction identitaire

Finalement, la présence et l'activité d'un natif au sein de l'espace classe de LE est vu comme un signe de réussite et d'exemplarité, mais qui n'incitera les apprenants à s'exprimer dans la LC que quand ils auront dépassé ce sentiment d'insécurité linguistique, créé par une trop grande admiration de celui qui détient la langue, le natif, et qu'ils se seront constitué ce rôle d'acteur de leur apprentissage et qu'ils s'en seront investis :

« l'insécurité linguistique [est] la prise de conscience, par les locuteurs, d'une distance entre leur idiolecte (ou leur sociolecte) et une langue qu'ils reconnaissent comme légitime parce qu'elle est celle de la classe dominante, ou celle d'autres communautés où l'on parle un français « pur », non abâtardi par les interférences avec un autre idiome, ou encore celle de locuteurs fictifs détenteurs de LA norme véhiculée par l'institution scolaire. » Francard (1993 : 13 cité par Bulot & Blanchet, 2011)

Dans notre cas, les effets sont doubles car l'apprenant en situation d'insécurité linguistique porte un jugement à la fois sur lui-même quand il croit constater que ses compétences ne sont pas bonnes, et sur l'autre, le natif, qui devient le détenteur exclusif de ce que l'apprenant ne pourra jamais acquérir. J'émets ici l'hypothèse selon laquelle cela amènerait à retrancher l'apprenant sur son domaine connu : sa langue et la culture qu'elle véhicule, ce qui ne fait qu'amoindrir les possibilités de développer des compétences transculturelles et de se constituer un sens objectif de l'altérité comme cela était proposé par Moore dans le chapitre 1, à savoir évaluer l'Autre sans émettre de catégorisation ou de jugement supérieur ou inférieur.

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Le sentiment d'échec vis-à-vis de sa réussite dans une institution sociale parachève cette insécurité linguistique qui contamine les compétences sociales de l'apprenant et sa capacité à estimer et juger sa place et son rôle dans un ensemble qui dépasse sa seule personne. Ce sentiment d'insécurité linguistique chez les apprenants est particulièrement stigmatisé par les enseignants lors de leurs réactions rarement constructives ou interactives à la faute, en particulier quand ces réactions dépassent la simple correction ou le guidage de l'enseignant dans la compréhension du phénomène par l'apprenant.

2.5. De l'utilisation de la méthode en classe

Finalement, le livre de LE, placé comme objet central et de référence dans une classe de LE est censé incarner la totalité des savoirs à acquérir. Lorsque l'enseignement proposé par un enseignant à travers la demande transmise par l'institution ne trouve pas d'équivalent sur papier, il est demandé que l'enseignant constitue à l'usage de son public une brochure de textes, complète et exhaustive de tout ce qui doit être vu pendant le cours. Ces mêmes enseignants, rarement formés dans la constitution et la didactisation de matériel qui desservirait leur enseignement particulier, trouve des dizaines de textes formulant des connaissances à assimiler sans qu'ils ne soient didactisés. Le savoir linguistique est réduit à sa seule propriété systémique, et rarement relié au tout dans lequel il s'inscrit nécessairement ; expliquons : la connaissance à acquérir est présentée sans que les sous catégories de cette connaissance ne soient déclinées pour faciliter l'appropriation du savoir et ne favorisant pas la composition de techniques et de compétences métalinguistiques et méta-cognitives. Le système est entier et linéaire sans écart possible tant la structure est rigidifiée et proposant peu de transversalité entre les différents savoirs à appréhender pour s'approprier les différentes composantes d'une langue étrangère et apprendre à communiquer à travers elle. Cet extrait aurait très bien pu convenir à la section précédente mais nous l'avons disposée ici en particulier pour la place centrale accordée au dictionnaire dans cette scène rapportée par l'un de nos informateurs. L'utilisation de moyens transversaux n'est pas non plus encouragé et éloigne les apprenants de leurs réelles capacités à comprendre une langue à travers leurs connaissances antérieurement acquises, comme pour ceux qui ont vécu en Grèce et en ItaIie et qui peuvent utiliser ces deux langues pour approcher la langue française :

51. Et alors petit à petit, au fil de ta première année, comment tu voyais l'école ? Et comment tu voyais le français, en fait ?

52. Ah c'est... Ouais j'ai beaucoup aimé et ça m'a beaucoup aidé la Grèce. La méthode qu'ils utilisaient en Grèce, c'était mieux. Ca m'a beaucoup aidé, aussi la langue.

53.

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La méthode qu'ils utilisaient en Grèce, et ils faisaient comment en Grèce ?

54. Bah, c'est pas comme ici en Albanie, par exemple. Nous, on n'apprenait pas par coeur, là. Les profs nous expliquaient et on apprenait l'essentiel. Et tu vois, moi, en Grèce, même si je ne lisais pas à la maison, je pouvais faire un examen et avoir une bonne note. Mais j'étais attentif, pendant les cours, en classe, voilà. Je ne sais pas, ils avaient une autre manière didactique, c'était différent. Ca m'a beaucoup aidé, je pense.

55. Tu penses que la méthode qu'on a utilisée en Grèce pour enseigner le français et l'anglais, tu l'as prise et tu l'as utilisée ici.

56. Oui, c'est ça et je l'ai utilisée ici.

57. Et les profs en Albanie, alors, ils font comment pour enseigner les langues étrangères ?

58. Les profs se basent beaucoup sur le livre, c'est vrai ! Mais il y a aussi des bons profs qui donnent des choses extra, en dehors du livre. Mais ça, au lycée, j'ai pas eu de problèmes par rapport à l'apprentissage, mais dans l'évaluation. Elle me mettait jamais 10. Elle ne voulait pas accepter que j'étais le meilleur.

59. Pourquoi, d'après toi ?

60. Parce qu'il y avait aussi 5 autres filles dans ma classe et on était en concurrence. Moi, contre 5 filles. Et... Chaque fois, elle nous disait, elle nous donnait des devoirs, donc elle nous disait « Trouvez les nouveaux mots du texte ». Moi, je ne travaillais jamais avec le dictionnaire. Et quand j'allais à l'école, dans la classe, les filles elles avaient dans le cahier écrit. Moi, sans cahier, sans rien. Et elle me dit « mais pourquoi tu n'as pas fait ? » « Vous pouvez me demander, je vais vous répondre ! Si je ne vous réponds pas, vous me mettez 4 ! » Et il y avait un mot d'origine grecque en plus ! Et c'était le mot « xénophobe » en plus, ou je ne sais pas. Quelque chose à faire avec cela, tu vois ? Et elle m'a dit « Qu'est-ce que ça veut dire ça ? » Mais j'avais pas écrit et elle pensait que je n'allais pas répondre ! Elle ne savait pas que je parlais grec, que j'avais vécu en Grèce ! Et je lui dit ça, ça, ça, je lui donne la définition, et elle me dit « Non, ce n'est pas ça ! Tu n'as pas trouvé. » Je lui dit « Ah ok, vous pouvez chercher dans le dictionnaire ! » Même les filles, elles étaient contre moi, parce qu'elles n'avaient pas trouvé ce mot, parce que, je ne sais pas, je pense que c'était dans un autre texte qu'elle a lu. (rires) Et ensuite dans l'autre séance, on se réunit avec l'autre groupe, parce qu'on était séparé en deux groupes. Et la prof a pris le dictionnaire et en lisant, sa couleur de peau a changé, elle était toute rouge. Et après elle a dit, pas à moi, aux filles, il a raison (rires).

CF ANNEXE 10, 02-I

De l'appréhension de connaissances civilisationnelles, elles ne sont pas jugées primordiales par les apprenants, en particulier quand ils ont été acceptés en français à l'université sans n'avoir au préalable de réels intérêts pour cette langue. Au cours d'un cours qu'il m'a été donné d'enseigner en première année de français, intitulé « Français du quotidien », j'ai décidé avec accord de ma hiérarchie, de présenter le quotidien de la France plutôt que de me référer aux variations de la langue française tant le niveau de langue de mes apprenants était minime, je ne voulais pas interférer avec le contenu de mon cours « Langue Pratique 1 » qui devait les former au développement d'une compétence de communication en LC. J'ai fait face à un désintérêt explicitement prononcé de la part de mes apprenants qui ne reconnaissaient pas la France qu'ils pensent exister à travers l'usage d'une méthode communicative axée sur la civilisation française. Les représentations que les apprenants se sont constitués avant leur formation universitaire philologique dans une langue donnée sont

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figées et les bousculer revient à déséquilibrer leurs références et leur grille de lecture d'un peuple donné et de ce qu'il en sait, sans que l'enseignant n'arrive à remplacer ce système de lecture par un autre.

III/ Bilan et perspectives de l'étude

3.1. La langue en débat, un combat multifactoriel

Ce qui semble être une difficulté pour les enseignants de passer au-delà de ce qu'ils auront parfois toujours connu (méthodologie traditionnelle) et de proposer toutes sortes d'astuces pour permettre à l'apprenant de véritablement sonder et se constituer un sens personnel des connaissances abordées en classe ne tient pas au seul fait des enseignants. Les méthodes récentes sont souvent difficiles à exploiter dans leur globalité dans les établissements albanais car proposant souvent d'utiliser Internet ou du matériel autre que le seul livre. Les orientations méthodologiques et les innovations proposées par ces méthodes ne sont donc pas toujours exploitables et ne trouvent pas toujours d'écho en contexte, ce qui peut potentiellement creuser le sentiment d'injustice caractéristique de tout ce qui remet un apprenant albanais dans sa situation jugée « inférieure ». En dehors même des espaces institutionnels, les apprenants n'ont pas tous accès à Internet et il est souvent difficile, voire rare d'avoir accès à un dictionnaire uni ou bilingue. La constitution de savoirs en dehors de l'espace classe devient par la même voie presque impossible. Par expérience, mes apprenants ne faisaient que les quelques exercices de grammaire que je leur donnais, quand je n'étais normalement pas en charge de cet aspect de leur apprentissage, car rempli par un autre enseignant dans un cours prévu à cet effet. Tout ce qui relevait d'une certaine constitution de lexique et de recherches d'informations dans le cadre d'exposés oraux, écrits, de constitutions de projets était presque toujours voué à l'échec. Les besoins matériels et pédagogiques sont certains et ne relèvent pas seulement des compétences des enseignants ou des apprenants.

On ne peut pas non plus viser la seule absence de pratique orale en classe de langue étrangère comme responsable de l'incapacité des apprenants albanais à communiquer en LC, car quand bien même ce type d'activité est proposé en classe, il ne reçoit pas toujours le succès ou le résultat escompté quand parfois durant toute leur scolarité, les apprenants n'ont jamais été confronté à une situation où il leur est proposé de prendre la parole et de formuler un discours en LC avec consigne ouverte (d'après mes observations en classes de collège). L'accent mis sur la règle et le nombre important d'apprenants par classe (étant un autre

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facteur influençant la capacité de l'enseignant à permettre à chacun de prendre la parole) restent deux obstacles majeurs. L'un relevant de la culture éducative de l'Albanie et de son histoire, le deuxième étant relatif à des questions politiques et économiques (sans compter l'instabilité du nombre d'apprenants d'année en année, compliquant la tâche de composer des équipes pédagogiques stables et véritablement expérimentées), il n'empêche que cela a un effet direct sur la nature des activités proposées dans les classes de langues étrangères albanaises.

Jusque récemment, c'est seulement en première année de licence qu'une plage horaire spécifique était aménagée pour permettre la pratique orale des étudiants lors de leurs études linguistiques ; les cours de « langue pratique » ont ensuite été proposés en deuxième année, mais sur un nombre d'heures relativement réduit (3 heures au premier semestre puis 2 au second). Les autres enseignements proposés étant axés sur l'étude de la langue en tant que système, peu de temps est aménagé pour permettre aux apprenants d'apprendre à s'approprier la langue et la parler. Les curricula en perpétuelle révision tentent à nouveau de s'adapter à des standards qui dépassent la seule réalité nationale, et ne trouvent pas d'effet en contexte quand la question de l'appropriation d'un code linguistique nouveau est réduit à son seul aspect grammatical et lexical, sans réelle possibilité d'utiliser ces outils (même temporaires dans la logique que les connaissances linguistiques ne sont pas figées mais en constante évolution !) pour permettre de produire quelque chose qui provienne véritablement de l'apprenant.

3.2. Perspectives d'action

Séparés entre tradition et modernisme, préservation de ce qui aura tenu l'Albanie jusque récemment et réforme pour pouvoir prétendre à vivre comme les autres, la question de la culture étrangère et de son appréhension en contexte éducatif n'est pas aussi simple qu'elle n'y paraît. Que faut-il faire pour développer un attrait pour ce monde francophone qui peut très bien avoir sa place au même titre que d'autres langues étrangères si l'on se limite au seul aspect de l'offre linguistique, et que d'autres cultures si l'on considère la propension réelle des Albanais à développer un intérêt pour ce qui se passe au-delà de leurs frontières, mais pas en contexte institutionnel, ou du moins pas en contexte de spécialisation linguistique ?

Je tenterai de contribuer à la réflexion qui se pose dans les termes de l'éducation et des langues étrangères grâce à mon expérience de deux ans en tant qu'enseignante et coordinatrice des activités culturelles, ainsi que de longs mois au plus proche de ces acteurs

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que j'aurai appris à appréhender. Je m'intéresserai à ce qui peut permettre aux acteurs de l'enseignement-apprentissage du français en Albanie de répondre à cette question, en particulier quand je m'oppose fermement à tout type d'interventionnisme dans des contextes que l'on peut parfois connaître sur le bout des doigts, mais dont on restera toujours un peu étranger.

3.2.1. A partir d'une expérience personnelle : le théâtre, prolongements sur une possible décentration de l'apprentissage conscient vers le recours à l'action

Cette approche souvent qualifiée de (( ludique )) est toutefois délicate à mettre en exergue, elle sera donc employée ici à titre illustratif, mais aussi pour introduire l'hypothèse selon laquelle une décentration de l'apprentissage conscient vers un recours à l'action pourrait potentiellement être une alternative à l'apprentissage que l'on observe aujourd'hui. Le recours à des activités théâtrales peut toutefois représenter une pente glissante, ce n'est donc pas le théâtre en lui-même mais l'usage qui en est fait qui peut être bénéfique à l'apprentissage d'une LE.

(( Faire )) peut sembler plus intéressant que (( dire )) selon certaines approches méthodologiques. Cependant, ce (( faire )) en LC peut parfois ne pas atteindre l'objectif d'atteindre l'introduction de compétences extralinguistiques en contexte d'apprentissage linguistique, en particulier pour les apprenants qui ne savent pas ce qu'ils font à l'université ou dans une filière précise, et qui (( font )) pour démontrer de leur bonne foi à leurs enseignants. A ce titre, j'ai le triste souvenir qu'un participant m'a rapporté qu'une des participantes à mon deuxième projet scénique ait demandé discrètement quel était le sujet de la pièce de théâtre quand les étapes de compréhension de l'histoire avaient été effectuées. Par peur du natif, par peur de décevoir et de ne pas provoquer en soi ce sentiment de réussite sociale, cette apprenante m'avait répondu (( oui )) quand j'avais voulu m'assurer de la bonne compréhension de l'histoire et du travail qui s'annonçait. Dans ces cas-là, la preuve de docilité émise à l'égard de l'enseignant se traduit par l'attente d'une bonne note. D'où l'importance de travailler sur l'élaboration de compétences métacognitives avant d'accéder à l'enseignement supérieur.

Mon recours au théâtre a été motivé par ma connaissance des activités théâtrales, et par la forte demande exprimée par les étudiants des niveaux supérieurs quand ils relataient que c'était presque devenu une tradition dans ma ville d'affectation, ayant eu la chance de faire une pièce de théâtre avec les différentes stagiaires françaises chaque année. Dans le souci de m'inscrire dans une continuité d'action et m'insérer dans l'histoire du contexte que j'intégrais alors, j'ai accédé à cette demande avec enthousiasme. Cependant, le niveau de

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connaissance du français s'étant grandement dégradé, je devais trouver une pièce accessible à des débutants en français. La première activité théâtrale réalisée a impliqué la participation de l'ensemble de mes apprenants, et pour des soucis d'organisation et de délégation des tâches, les étudiants de Master de français avaient été mis à contribution pour gérer des petits groupes de mes apprenants, me permettant de travailler sur plusieurs fronts. J'avais aussi voulu intégrer ce projet à l'évaluation du cours dont j'avais la charge, ce qui ne put être possible et fermement condamné par ma responsable car ce n'était pas dans le programme initial, et que selon ses arguments, mes apprenants n'apprenaient pas la langue dans ce contexte. Ce projet fut mené à bien dans des conditions difficiles par le nombre de participants et par ma confrontation à l'élément présenté ci-dessus, à savoir que la participation à ce projet semblait traduire l'obtention de la moyenne pour mon cours, par mes apprenants. Ceci dit, puisque ce projet a été mené dans le cadre du Printemps de la Francophonie, la pièce choisie orientant l'intérêt du public non francophone sur le comique de situation plutôt que sur le contenu du texte aura été reçu avec succès, de la part des spectateurs, autant que de mes apprenants qui m'ont demandé l'année suivante d'avoir la même expérience, quite à rejouer la même pièce. En effet, l'année précédente, le projet de réunir les pièces de théâtre des quatre villes principales de l'Albanie sous une forme de festival interscolaire à la demande de la stagiaire de Shkodra et de moi-même n'a pu être abouti entièrement quand un accident de car scolaire impliquant la mort d'une vingtaine d'étudiants de mon université d'affectation gela tous les déplacements estudiantins prévus.

Pour les apprenants les plus consciencieux, découvrir le mot à travers le geste aura été une expérience importante dans leur parcours d'apprenant. Cette approche est d'ailleurs prévalue de manière intéressante par Dinvaut (2012) qui propose de penser de concert l'ergologie, la sociodidactique et la sociolinguistique. A travers son article, elle expose l'avantage que peut proposer la décentration de l'apprentissage conscient vers le recours à l'action, face à laquelle tout le monde est a priori égal ou au moins porté. Précisons primairement que l'ergologie propose une étude et une analyse physiologique de l'activité musculaire. Avoir recours au geste et à l'action ne nécessite pas forcément de transformer sa salle de classe en gymnase équipé, l'usage d'objets clés tels que des balles en mousse ou même une boule de papier utilisée parfois pour symboliser le passage de la parole, rend l'égalité des savoirs concrète et surtout l'égalité entre apprenants, qu'il est important d'introduire en Albanie quand les différentes sociales sont aussi marquées (en particulier du point de vue des origines natales et ethniques).

Pour notre cas, il ne s'agit pas pour l'enseignant de devenir un spécialiste du

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mouvement, mais qu'il permettre à l'apprenant de donner du sens à des actions qui lui appartiennent et de pouvoir les verbaliser pour se sentir pleinement investi de sa tâche d'apprentissage. Ouvrir l'activité au groupe serait particulièrement un point à développer en Albanie et de permettre aux individus de se rassembler autour d'une tâche réalisée communément, de confronter les mots aux perceptions émanant de sens différents de l'individu. L'élaboration d'un discours en LC est par ailleurs désinhibé dans le cas où l'activité soit réalisée par un enseignant qui saura se placer au regard des échanges produits entre apprenants et à sa propre adresse. Ce type d'activités peut être d'autant plus intéressant quand le sens manque aux apprentissages, qu'ils ne sont plus situés dans des objectifs ou macro-tâches, en particulier quand l'intérêt d'apprendre une LE en Albanie aujourd'hui, n'est plus de se limiter à la seule activité de traduire un texte autorisé par la censure, mais bien de pouvoir communiquer et de savoir lier le geste au mot. Dans ce cadre-là, le théâtre peut se révéler un déclencheur bénéfique à la conscientisation de l'apprenant vis-à-vis de sa place, de son rôle et de ce qu'il peut apporter au groupe classe, autant qu'aux communautés qu'ils fréquentent en dehors du contexte institutionnel quand ce type d'activité laisse la place à une représentation publique.

3.2.2. Limites de l'approche

Ce type d'exercice peut se révéler périlleux également pour la raison que le besoin de pouvoir sauvegarder son identité fondamentale exprimé par l'apprenant albanais, en particulier celui qui se positionne comme protecteur de son patrimoine originel avant d'admettre l'appréhension d'un code linguistique étranger. Dans le cadre des activités que je proposais et qui visaient à inviter les apprenants à se concentrer leurs compétences de construction de sens ou de techniques méta et translinguistiques, les échanges étaient immédiatement effectués par mes apprenants en LM. Mes compétences toutes relatives en albanais ne me permettaient alors pas de gérer les discours tenus, je demandais alors de passer en LC, à la fois pour que je comprenne, et que j'assure le rôle de tuteur et de régulateur attendu et nécessaire dans ce type d'interactions, mais aussi et surtout pour que mon public s'exprime en LC, ce qui devait évidemment rester l'objectif premier d'un séminaire intitulé « langue pratique » (gjuhë praktike, en albanais). Le type d'activités proposé était souvent le type de débat que l'on lance en classe de langue visant à prendre position quant à un sujet de société, ou à la perception que l'on a d'un phénomène.

Repasser en LC est devenu de plus en plus difficile au fur et à mesure que ce type d'activité était proposé en classe, le regard de mes apprenants devenu réprobateur traduisait

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une incompréhension et une frustration que je ne leur laisse pas la possibilité de réaliser ce que je leur demandais de faire, et surtout dans la langue qui leur semblait naturel d'employer. A la fin de l'année, ils m'ont avoué avoir aimé mon cours parce qu'il était devenu le seul espace d'expression qui leur était offert, et ils regrettaient de ne pas mieux avoir appris la langue pour pouvoir en dire encore plus. Cependant, sur le moment même, ce type de situation répétitivement rencontré a laissé place à un désintérêt croissant vis-à-vis de la LC quand mes apprenants réalisaient que je leur proposais de répondre à l'assouvissement d'un besoin d'identifier leur compréhension intuitive d'un savoir ou d'un discours, et de procéder à un positionnement évalué de leur perception d'eux-mêmes vis-à-vis de cette culture. Ils ne tenaient par contre pas en compte que cela devait être fait en LC.

3.2.3. Pistes sociodidactiques

Ce dernier point m'invite finalement à aborder la finalité de cette étude, à savoir la conception de la composante culturelle, en accord avec une contextualisation des facteurs qui influencent les actions et interactions didactiques en contexte universitaire d'enseignement-apprentissage du français. L'appréhension de l'aspect culturel dans ce contexte est tantôt considéré comme un aspect dissocié du discours et des mots produits en LC (et c'est malheureusement traité de cette manière dans la plupart des méthodes de FLE et de ces « pages culture » proposées en fin de chapitre ou d'unité), tantôt comme partie intégrante ou même tributaire de la langue (selon une vision plus sociale de la langue, chère aux défenseurs des approches interculturelles). Il est intéressant de s'interroger vis-à-vis de ce qui pourrait optimiser l'introduction de cette composante des enseignements de classes de langue quand ce public apprenant qui n'accorde pas tant d'importance au monde francophone victime des a priori qui lui sont attachés, quand ce même public n'a d'yeux que pour la structure systémique de cette langue (sans pourtant l'assimiler et c'est justement ce qui rend cette question intéressante). Doit-on rappeler que cette langue, le français, est dotée d'une structure morphosyntaxique particulièrement épineuse au regard d'autres langues plus accessibles comme l'anglais, doté d'une morphosyntaxe plus simple, ou l'italien, que mes apprenants connaissaient le plus souvent par imprégnation précoce ? Le français n'est clairement pas en prime position dans l'affect des apprenants, mais que les activités réalisées en LC peuvent remporter un franc succès, en particulier quand elles leur permettent de vivre en tant qu'individu, ce qui n'est pas possible en dehors de l'école quand cette volonté d'uniformité caractéristique des temps communistes est encore prégnante. Concernant la langue française, il s'est révélé que le gouvernement semble se baser sur cette représentation quand il avise

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dans les nouveaux curricula que le français et l'italien ne seront plus privilégiés pendant l'enseignement primaire et secondaire et ceci dès la rentrée 2014-15, pour la raison que l'anglais est la première langue de tout le monde (Hoxhaj, 2014 : § 3) et que l'apprentissage de la deuxième langue étrangère sera remplacé par des cours d'éducation physique selon la volonté du Premier Ministre de lutter contre l'obésité. Les parents, s'ils en effectuent la demande peuvent toutefois requérir auprès du directorat de l'école que l'enseignement de cette seconde langue étrangère soit préservé. Cette décision jure par ailleurs avec le récent intérêt des Albanais pour l'allemand (Laci, 2008) avec la création de sections bilingues allemand-albanais. Selon les propos de l'auteur, le Ministre de l'Education de l'époque affirmait que « en ouvrant une section bilingue germano-albanaise dans le lycée « Sami Frasheri » [de Tirana], je pense que nous avons tendu la main à un pays majeur du continent et c'est de bonne augure pour un pays comme le nôtre qui s'efforce de développer sa démocratie et son économie et de devenir membre à part entière de la famille euroatlantique », affirmant clairement la vision de l'Etat quant aux langues étrangères, comme étant des outils permettant un rapprochement à l'Europe, et en particulier à l'Allemagne qui est largement appréciée par les Albanais pour le nombre d'immigrants qui y vivent et pour l'image qu'elle véhicule.

Autant que l'Etat a besoin de l'Ecole pour transmettre les valeurs qui semblent définir une société et l'identité nationale du peuple dont un gouvernement a la charge, il n'en semble pas moins que la communication entre ces deux instances n'est pas optimale, sans quoi on ne ferait pas face à autant de réprobation émise de la part des Albanais et sur l'observation qui est faite de la société albanaise et de son rapport à la classe politique de voir se constituer deux mondes parallèles tant les décisions gouvernementales n'ont pas d'ancrage sur le peuple et que le peuple n'en a pas non plus sur le gouvernement.

Les propos tenus par ces derniers et leurs représentations collectives vis-à-vis de l'avenir sont sans appel. Ces apprenants, futurs acteurs de la société albanaise, font état d'une incapacité à rétablir une certaine stabilité sociale et identitaire par cette définition socio-historique réalisée en diachronie (d'après la présence prégnante des éléments proposés en chapitre 2 dans les discours des Albanais à l'égard de la situation actuelle de leur pays), et où la réalité économique et politique du pays ne permet pas de disposer d'un large choix, d'une liberté, quant à ce qu'on a envie de devenir et de faire. L'Union Européenne fait espérer des jours meilleurs, et le discours tenu par les Albanais laisse transparaître que cette instance doit « faire du ménage dans le gouvernement albanais », attribuant à l'UE la responsabilité de la sommation de la classe gouvernante albanaise qui ne répond souvent qu'à ses propres

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intérêts. Ce grand espoir projeté dans l'UE côtoie la désillusion des Albanais quand cette instance aux allures libératrices fait miroiter des futurs inatteignables depuis la chute du communisme en 1991, toujours d'après le discours qui est tenu par les acteurs qui nous intéressent.

La façon dont les cultures étrangères sont présentées au public albanais doit être

pesée par l'enseignant, encore plus quand il est tenu porteur des cultures et des représentations que son public d'apprenant s'en fait. Compte tenu des informations dont je dispose et de mon expérience qui aura été présentée dans les grandes lignes par manque de matériel plus illustrateur du point de vue officiel et académique, je contribuerai aux réflexions qui se posent vis-à-vis des plans d'action engagés pour promouvoir la langue française et sa culture. Premièrement, on peut avoir envie d'indiquer que certains axes méthodologiques tels que les suivants, propres à des méthodologies axées sur l'individu peuvent potentiellement modifier et contribuer à une représentation plus juste de ce que l'apprentissage des langues peut permettre de faire et de s'approprier.

- Les échelles d'action de l'enseignement-apprentissage des langues étrangères (mais pas

seulement) devraient s'intéresser aux besoins exprimés par les apprenants, autant qu'aux enseignants qui doivent prendre en considération l'aspect transitoire des connaissances acquises progressivement par leurs publics apprenant. Pour illustration, la langue anglaise est la première langue enseignée dans les écoles parce que l'offre linguistique proposée aux niveaux primaire et secondaire ne laisse pas de choix ou que l'on ne demande pas aux apprenants ce qu'ils veulent étudier, par la décision de l'école, un apprenant sera dans la classe qui apprend le français ou l'anglais, sans sondage des demandes des apprenants, ce qui n'amène pas les apprenants à se constituer leurs propres représentations mais à se conforter à celles qui sont véhiculées par les instances supérieures. Il se peut dans d'autres cas que les locuteurs d'une LE ne tiennent pas compte des représentations qu'on leur impose, mais ils ne développeront pas forcément un goût pour la LE qu'ils se voient apprendre ;

- Les langues ne doivent plus être présentées comme des systèmes dotés de règles figées et faire appel à la langue maternelle des apprenants n'est pas toujours transgressif, mais un moyen de rejoindre un sens qu'un apprenant veut pouvoir transmettre. Pour illustration : les représentations des Albanais quand ils se figurent qu'un enseignant est bon quand il enseigne bien la grammaire, et ce recours à l'apprentissage par coeur et décontextualisé de listes de vocabulaire importante ;

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- Replacer les langues étrangères dans le contexte socio-culturel et géographique dans lequel elles s'inscrivent nécessairement, sans quoi la sémiologie n'aurait pas de raison d'être et ne provoquerait aucun intérêt ;

- Faire appel à un potentiel rarement exploité, étant le répertoire linguistique de son public
d'apprenants pour apprendre à construire du sens, en particulier quand il est déjà plurilingue et cesser de réprimander aussi froidement l'usage de la langue maternelle comme étant une faiblesse. Pour illustration la réprimande sévère dont l'apprenant est gratifié quand il change de code linguistique sans que l'enseignant ne soit toujours capable d'identifier la raison qui l'a amené à faire ce choix ;

- Que les enseignants sachent développer une distance par rapport à leurs représentations personnelles et permettre aux apprenants de se constituer les leurs, ou autrement dit une définition de l'enseignant régulateur de la circulation des savoirs et tuteur dans leur constitution plutôt que d'imposer un plaquage linéaire des connaissances à acquérir en un temps donné. A travers son agir professoral, singulièrement inspiré du caractère de la personne qui endosse le rôle d'enseignant et ceci en Albanie plus que dans nos sociétés d'Europe occidentale où la figure de l'enseignant a longtemps été respectée et obligée à respecter selon les préceptes du régime communiste, l'enseignant aurait tout à gagner en sachant développer une distance entre ce qui l'inspire personnellement (du point de vue de l'individu) et ce qui peut être potentiellement développé en classe. Pour illustration : les accolades et autres signes d'affection sont très courants, ce qui n'est pas une mauvaise chose, mais qui ne doit pas remplacer la capacité de l'enseignant à permettre à l'apprenant de se former ses propres jugements plutôt qu'à effectuer un transfert sur la personnalité de l'individu qui incarne le vecteur de savoirs, ce qui ne fait que contribuer à une uniformisation des personnalités, en accord avec un enseignant qui peut en une seule séance, témoigner de beaucoup et de différentes émotions ;

- Développer les approches interculturelles plutôt que les plaquages d'informations et de
connaissances à assimiler, en particulier quand l'intérêt des Albanais est fortement orienté vers l'extérieur, mais que la conduite didactique des enseignants à l'égard de leurs publics n'invite pas à la constitution d'un sens élaboré (au sens construit) de la curiosité intellectuelle et altéritaire ;

- Utiliser les TIC quand ils permettent de creuser un savoir appréhendé, mais pas en tant que tel, comme symbole d'évolution et de réussite. C'est particulièrement notable en contexte universitaire, au contraire du réseau de l'enseignement privé et associatif où les méthodologies visent à encourager l'apprenant dans sa propre constitution du savoir

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(selon l'idée que les TIC peuvent d'accorder une certaine autonomie à l'apprenant et à défocaliser l'attention sur la personne de l'enseignant).

Cependant, il doit être remarqué que ce sont des indications qui prévalent et qui font sens lorsqu'on a reçu une éducation où on a initié dès le plus jeune âge qui invite plus aisément l'apprenant et l'individu en devenir à se constituer une place dans une classe, lieu majeur des apprentissages. Dans la mesure où les enseignants albanais sont foncièrement mieux connaisseurs de ce qui définit fondamentalement les contextes dans lesquels ils oeuvrent, il serait intéressant d'ouvrir leurs compétences à une nécessaire réflexivité sur ce qui motive leurs prises de décisions didactiques, ayant une nécessaire conséquence sur les représentations sociales de leurs apprenants si l'on s'en réfère aux théories relatives à cette étude et au contexte albanais, présentées en chapitre 1. On regretterait de devoir admettre que les représentations vis-à-vis des langues étrangères n'ont plus de place dans un système où tout est pensé pour correspondre à un modèle extérieur. De la même manière qu'on déplore que les étudiants accordent aussi peu d'importance aux contenus des cours, et qu'ils se constituent des représentations aussi peu valorisantes quant à l'école et l'université, et que les formations proposées aux enseignants les amenant à revoir les méthodologies qu'ils empruntent et leur approche quant à un objet de connaissance, et à les orienter dans leurs pratiques professionnelles, n'ont que si peu de répercussion dans la façon dont les apprenants considèrent leur formation scolaire et universitaire.

C'est donc plutôt selon cet angle de vue que je proposerai les points suivants, largement inspiré d'une modélisation proposée par Beacco (2011 : 36) dans sa conception de l'influence des savoirs, et plus précisément dans sa proposition de soutenir la didactique des langues et des cultures comme le domaine d'émergence des connaissances savantes, car il semblerait bien que c'est à partir de ce qui se passe dans une classe que l'on peut obtenir un aperçu de la société au sein de laquelle on s'adresse et on intervient plus ou moins directement.

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Tableau 5 - « La tectonique des savoirs en didactique des langues et des cultures »,
JC Beacco (2011 : 36)

Selon l'hypothèse qu'un enseignant configure les savoirs en fonction de la méthodologie à laquelle il s'attache, l'on pourrait aisément vouloir s'orienter vers cette réflexivité didactique et épistémologique qui pourrait précisément permettre aux enseignants de se positionner de manière idéale par rapport au rôle qui s'attache à leur profession, autant qu'au fait qu'ils appartiennent à la même macrosociété que les apprenants auxquels ils ont affaire. Cela souligne d'ores et déjà l'importance de voir poindre une volonté de redéfinition de la promotion linguistique de la part des enseignants locaux plutôt que par une tierce instance, étrangère au contexte dont on parle. Le manque de cohésion entre ces derniers, à l'oeuvre par l'inactivité de l'APFA jusque très récemment et par la distance établie entre les différentes instances françaises et albanaises et la réalité contextuelle, n'aura pas soutenu les diverses intentions émanant presque uniquement du cercle enseignant de Tirana, ou que la sphère intellectuelle et plus encore, la sphère exécutive albanaise est presque hors d'atteintes lorsqu'on n'a pas les relations nécessaires, ce qui amène précisément les enseignants à cumuler les emplois (école, vacataire à l'université, Alliance Française, cours privés) pour étendre leur champ d'action et faire survivre l'apprentissage d'une langue pour laquelle ils ont un intérêt et des connaissances presque exemplaires, dans le cas des enseignants investis

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de leur profession. Voyons donc dans quelles directions cette réflexivité peut aller et ce qu'elle peut apporter à notre contexte.

- Il s'agirait de s'attarder plus en profondeur sur l'interlangue, lieu de création des
représentations que la sociodidactique prend en partie comme référence de réflexion pour réfléchir aux actions didactiques à entreprendre. De la même manière que Blanchet et Beacco le définissent, il s'agit d'une zone transitoire mais en perpétuelle évolution où l'apprenant peut être amené à introspecter le mode de constitutions de ses savoirs et d'en comprendre la teneur (Chardenet, 2011-a : 80-1).

- Réfléchir à la place de la différence dans la société albanaise pour mieux cerner la
problématique relative à ce qui dépasse le périmètre du confort et du connu qu'il est difficile de dépasser, et par extension rendre effective la volonté didactique, la sublimer pour rendre l'aspect social du rôle de l'apprenant en tant qu'acteur de ses apprentissages.

- Rendre le savoir coopératif et utiliser les potentialités de chacun pour créer et révéler le
savoir que l'enseignant veut que son public découvre et s'approprie.

- Redéfinir les modalités d'évaluation de la connaissance et de l'arbitrage que l'apprenant
effectue automatiquement à propos de son cheminement vers l'accession à un capital linguistique qu'il devrait jauger lui-même. De Robillard (2011) propose que le pivot du métier d'enseignant est de comprendre comment est reçu un discours didactique. En particulier en situation de transfert de personnalité, si l'enseignant incite ses apprenants à assimiler des connaissances linguistiques en les apprenant par coeur, ce dernier réinvestira le mot dans le contexte dans lequel il a été observé, c'est-à-dire dénué de son contexte d'usage, bien qu'il soit probablement capable de dire ce qu'il signifie.

- Dans la volonté toute récente des universités albanaises de développer des programmes d'enseignement et de formation à distance, il serait intéressant de réfléchir à la diffusion et à la promotion de la langue albanaise par les institutions, autant que de réfléchir aux représentations des Albanais vis-à-vis de leur langue maternelle et de son apprentissage scolaire. Les plans de formation à distance permettraient-ils de proposer un point de réunion à la diaspora albanaise et particulièrement à des jeunes en devenir identitaire et professionnel, éparpillés sur plusieurs continents ? Ce n'est pas l'objet de cette étude mais la volonté de standardisation de l'enseignement supérieur à l'intérieur des frontières du pays, autant qu'en dehors de celles-ci au profit d'une reconnaissance normée et lisible du système éducatif par des instances supranationales, pourrait potentiellement desservir l'appel à la reconnaissance identitaire des individus de cette nation.

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Autrement dit, ce qui amène les apprenants à faire le choix d'accorder de l'intérêt à une LE peut être primairement basé sur les représentations ordinaires qui sont véhiculées autour de la France ou du fait de parler français. Cependant, j'avancerai que ce qui amènera l'apprenant à prolonger son intérêt et le nourrir d'éléments nouveaux doit se retrouver dans ce que l'apprenant peut faire de lui-même et de sa place dans les communautés didactique et sociale, et des besoins qu'il exprime pour parachever et remplir ce besoin.

Conclusion

Je suis partie du postulat que la conception de la langue par les Albanais relève de la détermination d'une situation socio-historique complexe, mais potentiellement lisible lorsqu'on est en possession des clés de lecture nécessaires. D'autre part, j'ai pris le parti de m'inscrire dans les propos tenus par Blanchet & Rispail dans leur définition de la sociodidactique comme étant une discipline qui permettrait de réfléchir la DDL de manière adaptée au contexte social concerné par une situation d'enseignement-apprentissage, et responsable du point de vue des démarches didactiques nécessairement placées et subjectives à engager. Nous dirons que la formulation de pistes sociodidactiques ne doit pas se concentrer sur la façon dont les langues sont enseignées, mais conçues dans un cadre plus global, impliquant la cristallisation de données exposées en diachronie pour mieux saisir les enjeux à l'oeuvre en synchronie.

L'implication de multiples instances, qu'elles soient humaines ou réunies sous la coupe d'institutions elles-mêmes dotées de leurs enjeux propres complexifient la possibilité de s'entendre sur des actions à mener. On peut imaginer à ce stade de la réflexion, comme cela a été esquissé en chapitre 2 qu'une certaine réflexivité didactique doit être produite par les enseignants pour adopter des méthodologies adaptées aux besoins des apprenants (en langue, autant que du point de vue identitaire), mais aussi que ces méthodologies doivent être considérées par les apprenants comme leur permettant de se développer un réel sens de l'altérité, contribuant ainsi à un rééquilibrage de l'image qu'ils portent à leur langue, à leur nation et à leur histoire, car les représentations portées à l'égard d'une langue, quand elles mettent un apprenant en situation d'infériorité aussi importante, semblent s'établir sur des bases personnelles fragiles et provoquant l'écroulement de ce qui a bien pu s'empiler jusque

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lors. Le développement de compétences permettant un sens certain du développement de l'individu est à envisager et ceci bien avant que l'apprenant ne franchisse les portes de l'université.

Ce n'est finalement pas seulement la technique professorale des enseignants locaux qui doit être remise en cause, les méthodologies prescrites ou les plans d'action bilatéraux qui permettront une définition et une planification appropriées des politiques linguistiques et éducatives à engager à l'égard de l'enseignement-apprentissage des langues étrangères et plus particulièrement du français. C'est par un recentrement sur les valeurs qui motivent et engagent les individus dans leurs interactions sociales, ainsi que sur les motivations profondes des apprenants que le sens peut être réattribué au développement de compétences visant à laisser s'installer en soi un code qui ne nous appartenait pas naturellement, quand Anderson (1999 : 30) nous dit que l'épistémologie est « un ensemble d'orientations, d'attitudes, d'objets et de méthodes qu'une communauté de chercheurs à une époque donnée considère comme valable ». Ces savoirs relevant de ce qui peut constituer la réalité d'une communauté d'individus peut pouvoir contribuer à l'élaboration de savoirs savants. Le test en pratique de ces pistes reste encore à effectuer pour permettre une réelle contribution au domaine qui nous intéresse ici. Cette réflexion amorcée sert alors de base et une fois posée à distance, peut éclairer la nature des politiques linguistiques et éducatives à engager.

On observe toutes ces scènes pendant la dernière étape scolaire des apprenants, ou celle qui les oriente vers leur vie d'adulte et leur activité professionnelle. Observer le niveau des apprenants universitaires d'aujourd'hui permet précisément d'avoir une vue et une réflexion amorcée sur ce que les méthodologies employées au préalable ont pour conséquence. On ne s'éloigne pas de ce que Bachelard attend et entend quand il lance « la réalisation du rationnel » ou d'une scientifisation de la preuve. Le paradoxe de l'inévitable subjectivité contre la nécessité de s'en écarter pour adopter un cadre de réflexion commun et adoptable par chacun formule les premières questions auxquelles il serait intéressant de répondre pour construire ce cadre épistémologique, et par conséquent, pratique, pour les enseignants. C'est donc bel et bien sur un aller et retour entre terrain et théories que la création d'un savoir commun peut s'effectuer.

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Conclusion générale

A mi-chemin entre mes conclusions actuelles et le monde des possibles qu'offre l'Albanie, je proposerai finalement les problématiques qui auront été soulevées ici et les autres questions qui se sont ouvertes tout au long de mon cheminement dans ce pays.

Cette étude ne se prétend nullement exhaustive de la situation de l'enseignement-apprentissage du français en contexte universitaire albanais, mais offre un panorama en plusieurs dimensions par ce qu'il adopte différents angles de vue pour rendre la lumière sur un contexte particulier. Alterner entre regard en hauteur pour prendre la loupe chère à Chaudenson et voir comment cela se passe dans le détail ; prendre la ligne du temps pour voir si elle a un effet de miroir sur la situation d'aujourd'hui aura été autant de jeux de lumière qui permettent de mieux comprendre ce contexte. En adoptant quelques-unes des approches préconisées par les défenseurs d'une didactique responsable et respectueuse, j'ai ainsi voulu rendre ce pays tel que je l'ai reçu. Après avoir initialement pensé à prospecter les étudiants, je me serai finalement attardée aux enseignants, plus accessibles et occupant une place centrale dans ce noeud de contacts et de carrefours que forment les acteurs de la francophonie en Albanie. A mi-chemin, j'aurai constaté que présenter les conditions dans lesquelles les représentations vis-à-vis d'une langue étrangère se forment pouvaient rendre l'état d'une très bonne introduction à ce terrain, plutôt que de m'engager dans quelque chose que j'aurai pu survoler et ne pas considérer dans toute sa complexité.

De la manière que je viens de le présenter, se limiter aux représentations ne serait pas non plus fidèle en particulier quand il est si difficile d'accéder aux représentations des acteurs concernés par notre contexte et que se limiter à leurs paroles ne viendraient pas à représenter objectivement la place qui est faite par les individus aux langues étrangères et au français et à travers ces langues, à la société dans laquelle ils évoluent et à eux-mêmes. Chaudenson & Rakotomalala (2004), Porcher (2012 [2000]) et Blanchet & Chardenet (2011) rappellent chacun la nécessité de ne pas se limiter aux pratiques langagières des locuteurs d'une communauté donnée pour comprendre la place qui est accordée à un code linguistique, mais également au contexte qui encadre et régule ces pratiques. Il est donc induit que les politiques linguistiques sachent prendre en compte la question dite « spontanée, sauvage » de Chaudenson (1991 : 6) des pratiques langagières du point de vue national.

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J'ai également décidé de ne pas me limiter à une analyse des interactions didactiques bien que cette approche aurait pu être tout aussi intéressante. Je crois pouvoir dire avec l'aval de mes collègues que si on se limitait aux seules compétences langagières des acteurs observés, la stagiaire que j'ai été ne serait pas restée deux ans et n'aurait pas effectué un autre stage sur ce terrain précis, en particulier ici et sans doute plus qu'ailleurs, ça ne dépend pas de la seule personne mais d'un enchevêtrement de relations intersubjectives qu'il est parfois difficile de percer mais nécessaire à introduire pour tenir précisément les tenants et aboutissants de ce contexte. D'autant plus que dans la mesure où la littérature en langue française à propos de ce contexte n'est pas proliférante ou pas toujours de confiance, j'ai pris le parti de me lancer dans un travail où j'avais parfois toutes les connaissances mais qu'il me manquait un fil conducteur pour les assembler. Mes lectures au cours de ces trois dernières années sont ici, et elles ne le sont pas toutes, car comme précisé dans l'introduction, un travail exhaustif sur la problématique qui m'a animée tout au long de ce travail occuperait un plus grand nombre de pages. Puis-je remercier le lecteur à cette étape ? Cette étude peut plaire autant qu'elle peut déplaire, mais la connaissance se construit justement dans la confrontation à l'inconnu et de là naît une réflexion argumentée. Un grand nombre de questions subsistent encore et mériteraient d'être observées.

Cette obsession du « comprendre » m'aura emmenée sur un chemin complémentaire aux études qui permettraient d'étudier le public apprenant albanais en situation d'apprentissage, en même temps que le pendule albanais m'aura aussi absorbée (Peteuil, 2012). Certaines réflexions avancées dans ce travail où la subjectivité est souvent apparue malgré elle, croyez-le bien, doivent être considérées au plan intellectuel et d'intérêt humain et ne se constituent pas vérité absolue simplement parce que cette vérité n'existe pas et encore en plus quand les efforts qui font sens aux hommes sont ceux qui proviennent d'eux-mêmes.

Ce jeu entre connaissance du terrain, des acteurs et des problématiques sous-jacentes aux pratiques observées m'aura faite balancer entre le savoir et le vouloir pour donner cette étude. En partant de l'hypothèse que les Albanais étaient situés à un carrefour entre leurs pratiques sociales et éducatives, je me suis permise de considérer la problématique de l'enseignement-apprentissage du FLE sous un autre angle. Considérer les rapports entre langue et société m'aura permis d'identifier l'idéologie qui circule à propos des langues en Albanie et m'aura amenée à proposer une définition de l'identité culturelle et linguistique des Albanais qui permet cependant de mieux comprendre le plurilinguisme effectif en Albanie, bien que la définition qui se pose aujourd'hui nécessitera certainement un ajustement dans les années à venir tant les langues ont été instrumentalisées au profit d'assouvissements

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communs (je l'entends) mais distendus de leur contexte. Précisons que les instances privées ou parfois mêmes individuelles en rentabilisant un capital humain, celui de pouvoir communiquer (à travers des pratiques qui n'ont rien de linguistiques) ont procédé à la même ablation d'une compétence pourtant riche.

Le plurilinguisme existe en Albanie bien qu'il a été banalisé de manière assez vulgaire, au profit de la constitution d'une image qui est censée plaire à l'Europe. Comme l'un de mes informateurs me l'avait initialement conseillé, ce n'est pas dans un département de français que l'on trouve les bons francophones mais dans certaines classes du secondaire et dans les bons lycées généraux. Ne me focalisant pas sur la francophonie ou francophilie initialement existantes, mais ayant réalisé qu'un intérêt pour les langues étrangères était bien présent, je ne voyais pas personnellement l'intérêt de rendre un hommage à ces locuteurs et à leurs bonnes compétences, toutes aussi louables soient-elles. Par ailleurs, une étude portant sur cette autre communauté de locuteurs serait intéressante en ce qu'elle pourrait directement contribuer à celle-ci, à travers la révélation de ce qui constitue des représentations positives par les Albanais à propos de la langue française. On observe finalement les mêmes problématiques relatives au domaine social qu'au domaine éducatif : appropriation du pouvoir sans légitimité reconnue, symbolique de la violence et de l'annexion de capitaux privés dans le seul but de se placer dans une société qui survit sur le respect de ses moeurs et traditions ancestrales. Vous m'excuserez le parallèle, mais ça fait pourtant parfaitement écho à notre contexte. Une campagne de sensibilisation proposée par le Ministère de l'Intérieur à propos de la sécurité routière montre parfaitement ce jeu de violence symbolique à l'oeuvre (McCanna, 2014), tout en respect des valeurs qui tiennent les Albanais de manière unanime. Nous avons finalement vu que la langue française occupait une place particulière en Albanie, car les valeurs qui sont attribuées à sa culture ont soutenu l'élévation de ce peuple autant que cette langue continue à le faire. Les réformes prévues par le gouvernement albanais pourraient bien mettre à mal la seule protection d'un plurilinguisme pourtant effectif, officialisé par l'acceptation de l'Albanie de s'adjoindre à cet ensemble de la Francophonie qui défend pourtant les valeurs auxquelles le peuple albanais aspire. Se reposer sur des représentations et des paroles qui ont parfois été émises dans des conditions peu propices à l'aisance peut paraître rebutant. Deux points seront alors rappelés : rappelons que les paroles sont perméables et instables autant en durée de vie qu'en consistance, mais elles restent encore le moyen d'avoir accès aux liens qui unissent la partie au tout, l'individu à sa communauté, l'acteur à son environnement.

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Le thème de la fracture m'aura occupé l'esprit pendant toute l'élaboration de mon étude. Inspiré par ma directrice de mémoire dès le début de ma réflexion, c'est pourtant la première fois qu'il apparaît. Il me semble très caractéristique de ce qui sous-tend la nature des problématiques à l'oeuvre en Albanie de nos jours. Cependant, ce terme me semblait effrayant et peut-être annonceur d'un non-retour, ce qui ne caractérise pas la volonté tenue des Albanais de rester fidèle à ce qui les aura accompagné. Cette fidélité prend parfois des tournures étonnantes pour l'occidentale que je suis, mais elle est à l'oeuvre. Vivre la différence et la diversité pour se construire sont précisément des compétences qu'il faut mettre à l'oeuvre pour réaliser ce type d'étude contextualisée, car s'inspirer d'un seul regard ou d'un seul angle de vue, ne rend pas à nouveau les particularités d'un contexte qui est pourtant doté de toute son unité.

Dondeyne (1956 : 8) nous dit que : « la liberté est ce pouvoir que nous avons de nous mettre à distance du passé, pour le faire apparaître tel qu'il fut, ce qui ultérieurement, nous permettra de prendre position à son égard soit pour le réassumer, soit pour le récuser ». Selon ce philosophe, l'idéalisme de la signification et le positivisme peuvent lisser certains aspects d'une situation, ce qui serait dangereux car pas approprié et peu de responsable, de décrire et d'expliquer dans le seul but de vouloir justifier l'injustifiable. Cependant, l'effort de vouloir ancrer l'être humain dans sa continuité le replace dans sa situation actuelle sociale et historique. Sans compter que ce type d'écrit dans sa structure et son contenu informatif permet de rendre son relief à la partie. Cette conception de la liberté rend la nécessité d'user de procédés, si ce n'est d'adopter des structures glottopolitiques pour permettre de faire ressortir les besoins d'aujourd'hui et de forger la vie de demain.

Est-ce le temps tout relatif qui s'est écoulé depuis la fin du communisme qui n'amène pas les acteurs décrits ici à poser une réflexion sur le passé de leur peuple ? Ou serait-ce par une présence encore palpable des habitus propres au régime communiste ? Est-ce aussi parce que l'avenir est incertain quand beaucoup déplorent encore les temps communistes parce qu'à cette époque, tous avaient un travail ? Depuis 1945 où la nécessité d'être uniformisé répondait au besoin d'élever le pays à un autre rang que celui qu'il a connu, et le pays aura connu un développement et une croissance uniques. La chasse à ce qu'il ne va pas et ce qu'il faut changer a profondément altéré la société albanaise et en particulier depuis la chute du communisme, comme cela a été mentionné d'après Mustafaj quand il qualifie les actions menées par les acteurs sociaux de cette période de chasseurs aux sorcières. La question n'est

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pas fermée parce qu'il y a encore de nombreux éléments révélateurs de ce contexte à révéler, pleines de leurs paradoxes et portant entières leur consistance.

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Table des matières

RESUME 4

REMERCIEMENTS, FALEMINDERIT... 7

SOMMAIRE 8

LECTURE DE L'ALBANAIS 9

GLOSSAIRE DES SIGLES PRINCIPAUX 11

« PREAMBULE : ASSISE COGNITIVE » 13

INTRODUCTION GENERALE 17

CHAPITRE 1 : APPROCHES NOTIONNELLES ET SOUBASSEMENTS CONCEPTUELS : POUR

UNE CONTEXTUALISATION DE LA PENSEE 25

Introduction 26

I/ De notre intérêt : la langue en action 27

1.1. Langue(s), locuteurs et société : l'utilité de la sociolinguistique 27

1.2. Langue et représentations 28

1.3. Identité et altérité : de l'expérience des langues et de leur appréhension 30
II/ De notre domaine d'études : la place de la langue en contexte social et

institutionnel 33

2.1. Société et éducation 33

2.2. Politiques linguistiques 36

2.2.1. Politique, aménagement et planification linguistique : 36

2.2.2. Élaboration d'une politique linguistique 38

2.2.3. Promotion et diffusion du français, l'histoire du rayonnement culturel du français, puis de

la Francophonie 39

III/ Méthodologie et objectifs de la recherche : du placement humain à l'écriture 40

3.1. De l'utilité de la contextualisation : définition, méthodologie et posture 40

3.2. La sociodidactique : un pari fou ? 43

Conclusion 47

CHAPITRE 2 : ELEMENTS DE MACROCONTEXTUALISATION SOCIO-HISTORIQUE 48

Introduction 49

I/ L'albanais langue maternelle : histoire et statut 50

1.1. Formation du peuple et de la langue 50

1.1.1. Origines, formation de la langue et discours écrit 50

1.1.2. Variétés et statut de l'albanais et langues minoritaires en présence 52

1.1.3. Histoire intérieure et extérieure de l'Albanie 53

1.2. Frontières de l'albanais, langue et territoire 56

1.3. La langue albanaise dans le discours 59

II/ Ecole, éducation et pouvoir 62

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2.1. Prémices de l'élévation de la société albanaise socialiste 62

2.2. L'école au service de la société socialiste 64

2.2.1. La première étape (1944-48) : jeter les bases de l'institution scolaire, popularisation de

l'éducation et détermination des moyens à mettre en oeuvre 64
2.2.2. Deuxième étape (1948-55) : débuts de la politisation et de l'idéologisation de l'éducation 65

2.2.3. Troisième étape (1956-65) : début de la construction socialiste de l'Albanie 65

2.2.4. Quatrième étape (1966 - 1970) : renforcement idéologique de l'école 66

2.3. Du statut des langues étrangères 68

III/ « Nous voulons être comme le reste de l'Europe » 73

3.1. L'Université en pleine révolution : pour quelle utilité projetée de l'enseignement

supérieur ? 74

3.2. L'Université albanaise sur les bancs d'essai 76

3.3. Un bilan temporaire mitigé mais encourageant 83

Conclusion 85

CHAPITRE 3 : LA FRANCOPHONIE EN ALBANIE 88

Introduction 89

I/ La Francophonie : définitions et statut 90

1.1. Pour quelle F/francophonie ? 90

1.2. Zoom sur les Balkans : pour quelle francophonie ? 94

1.3. Origines de la Francophonie en Albanie 95

II/ La francophonie en terres albanaises 98

2.1. Les Albanais, têtes de Turcs 98

2.2. Facteurs de promotion et de diffusion du français en Albanie 99

2.2.1. Facteurs historiques et culturels 99

2.2.2. Facteurs politiques et économiques 102

2.2.3. Facteurs linguistiques et éducatifs 104

III / Politique d'action extérieure de la France en Albanie 110

3.1. La France et de la Francophonie en Albanie 110

3.2. Ressources matérielles mises à disposition des Albanais francophones en Albanie 113

IV/ L'offre en formation initiale en langues étrangères dans le système universitaire albanais 114

4.1. Données générales, formation et marché du travail 114

4.2. Regards vers l'Ouest, de la théorie en pratique 118

Conclusion 120

CHAPITRE 4 - PRATIQUES ET REPRESENTATIONS DIDACTIQUES, LE FRANÇAIS ET SON

ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE EN ALBANIE 122

Introduction 123

I/ Individus en contexte 124

1.1. Circonscription et approche tenue à l'égard du terrain 124

1.2. Acteurs de l'enseignement-apprentissage du français 126

II/ Conditions de formation des représentations relatives au français 129

2.1. La course au diplôme et les langues : 129

2.2. Le purisme linguistique et le traitement de l'erreur : 131

2.3. La sublimation du natif et sa place en contexte étranger albanais : 135

2.4. Compétences linguistiques et construction identitaire 136

2.5. De l'utilisation de la méthode en classe 137

III/ Bilan et perspectives de l'étude 139

3.1. La langue en débat, un combat multifactoriel 139

3.2. Perspectives d'action 140

3.2.1. A partir d'une expérience personnelle : le théâtre, prolongements sur une possible

160

décentration de l'apprentissage conscient vers le recours à l'action 141

3.2.2. Limites de l'approche 143

3.2.3. Pistes sociodidactiques 144

Conclusion 151

CONCLUSION GENERALE 153

TABLE DES MATIERES 158

LISTE DES TABLEAUX 161

BIBLIOGRAPHIE 162

SITOGRAPHIE 167

TABLE DES ANNEXES I

161

Liste des Tableaux

TABLEAU 1 - DIASPORA ALBANAISE DANS LE MONDE 57

TABLEAU 2 - EFFECTIFS ENSEIGNANTS ET ESTUDIANTINS DANS LES UNIVERSITES DE LA REPUBLIQUE

SOCIALISTE D'ALBANIE DE 1939 A 1983 (EN MILLIERS) - 67

TABLEAU 3 - NOMBRES D'APPRENANTS DE LA LANGUE FRANÇAISE EN ALBANIE 104

TABLEAU 4 - NOMBRE D'ETUDIANTS DIPLOMES AU NIVEAU BAC + 3 PAR ANNEE, PAR LANGUE ET PAR

UNIVERSITE (2005-2009) - SOURCE : INSTAT, 2012 115

TABLEAU 5 - « LA TECTONIQUE DES SAVOIRS EN DIDACTIQUE DES LANGUES ET DES CULTURES », 149

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I

Table des Annexes

ANNEXE 1 - BIBLIOGRAPHIE AMIS DE L'ALBANIE II

ANNEXE 2 - DIALECTES ALBANAIS DANS LES BALKANS ET AIRE GEOGRAPHIQUE DES TERRITOIRES

ILLYRIENS III

ANNEXE 3 - CHRONOLOGIE GENERALE DE L'ALBANIE IV

ANNEXE 4 - ASPIRATIONS EUROPEENNES DES BALKANS EN 1912 IX

ANNEXE 5 - STRUCTURE ET ORGANISATION DE L'ECOLE EN REPUBLIQUE SOCIALISTE D'ALBANIE X

ANNEXE 6 - STRUCTURE PROPOSEE POUR L'ORGANISATION DES PROGRAMMES DANS LES INSTITUTIONS

DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ALBANAIS XI

ANNEXE 7 - GEOGRAPHIE DE LA FRANCOPHONIE EN ALBANIE XII

ANNEXE 8 - CHIFFRES DE L'APFA (2013) XII

ANNEXE 9- INTERVIEW INFORMATEUR 01-H XIV

ANNEXE 10 - INTERVIEW INFORMATEUR 02-I XXII

ANNEXE 11 - INTERVIEW INFORMATEUR 03-R XXXI

ANNEXE 12 - INTERVIEW INFORMATEURS 04-G & E XXXVIII

ANNEXE 13 - INTERVIEW INFORMATEUR 05-F XLI

ANNEXE 14 - INTERVIEW INFORMATEUR 06-R & FJ XLV

ANNEXE 15 - INTERVIEW INFORMATEUR 07-ED XLVIII

ANNEXE 16 - QUESTIONNAIRE DE DEBUT D'ANNEE LIV

ANNEXE 17 - RESULTATS DU QUESTIONNAIRE SUR UNE CLASSE DE 28 ELEVES LV

II

Annexe 1 - Bibliographie amis de l'Albanie

A partir de la lecture de « Pont entre deux rives, Albanie - France », essai de Luan Rama, ed. SDE (2005), 527 p.

Apollinaire, G. (1916). « L'Albanais » in Le Poète assassiné. Gallimard, Paris. En référence à son ami Faik Konica (intellectuel et politicien albanais).

Boué, A. (1840) Recueil d'itinéraires ou la Turquie d'Europe. Arthus Bertrand, Paris. (ouvrage de géologie, rapportant également l'histoire de l'Albanie et de larges descriptions ethnographiques). Disponible sur : https://archive.org/details/laturquiedeurop02bougoog

Byron, L. (1812-18) Le Pèlerinage de Childe Harold. (deux premiers chants). Première publication française (1828, Delangle frères).

Delavardin, J. (1576) Histoire de Georges Castriot, surnommé Scanderberg, roy d'Albanie. Paris, G. Chaudière.

Hugo, V. (1829) Les Orientales. Paris (en hommage au guerrier Botzaris qui a combattu aux côtés de l'armée grecque pour l'indépendance du pays.

Lamartine, A. (1853-4). Histoire de la Turquie. Paris. (Il y décrit les soldats albanais, passionnés de liberté et de gloire)

Pouqueville, F. (1805), Voyage en Morée, à Constantinople, en Albanie et dans plusieurs autres parties de l'Empire ottoman pendant les années 1798, 1799, 1800 et 1801. Gabon (Paris), en trois volumes, disponible à la BNF, n° : FRBNF31143911, Consul de France dans une province albanaise du Nord de la Grèce, à Janina.

Starova, L. (1998) Faik Konitza et Guillaume Apollinaire : une amitié européenne. L'Esprit des Péninsules, Paris.

Yourcenar, M. (1938) « Le lait de la mort » in Nouvelles Orientales. Gallimard, Paris. (en référence à la légende de Rozafa au Nord du pays, après que l'auteure a traversé le pays).

III

Annexe 2 - Dialectes albanais dans les Balkans et aire géographique des territoires

illyriens

Platon, A. (2014, August 17). Liguistic map of Albanian languages. Retrieved from http://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Languages_of_Albania&oldid=621603397

Aire géographique des Illyriens en Europe. (n.d.). Retrieved from http://www.fjala.info/2014/iliret_epirotet_thesalia_dhe_viset_tjera_pellazge.jpg

IV

Annexe 3 - Chronologie générale de l'Albanie

Sélectionnée à partir de :

- l'oeuvre de Gérard Jandot (2000 [1994]), L'Albanie d'Enver Hoxha, L'Harmattan, 384 p. - Universalis, « ALBANIE - Chronologie (1990-2008) », Encyclopædia Universalis [en

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actualite-1990-2008/

IIème millénaire av JC

Les Illyriens s'établissent dans les Balkans

Début IVè siècle av JC

Développement d'agglomérations fortifiées en Illyrie

229-168 av JC

Guerres illyro-romaines

148 av JC

Pays illyriens partagés entre l'Illyricum au Nord et la Macédoine au Sud

10 ap JC

L'Illyricum est partagé en deux provinces

529-568

Invasions successives en Illyrie

1043

Mention des Albanoi par Michel Attaliate (haut fonctionnaire byzantin dont l'oeuvre L'Histoire fournit de nombreux renseignements vis-à-vis de la situation politique, économique et religieuse de l'époque).

1190

Création de la principauté d'Arbanie, capitale : Kruja

1216-

1272-

1385

L'Albanie passe sous le despotat d'Epire / puis sous la souveraineté de Charles Ier d'Anjou, roi de Sicile et d'Albanie / et enfin sous la suzeraineté directe du Sultan

1443

Reprise de Kruja par Skanderbeg

1444

Assemblée à Lezha de seigneurs albanais

1444-

1450

Victoires successives de Skanderbeg contre les Ottomans

1468

Mort naturelle de Skanderbeg

1479

Espace albanais divisé entre les Vénitiens et les Turcs

1506

Domination ottomane sur toute la région, concédée à des pachas locaux

1555

Premier ouvrage rédigé en albanais par Gjon Buzuku

1854

Création de la première Association culture albanaise à Budapest avec le projet de créer des écoles albanaises 4 échec

1864

Tentative de création d'une association culturelle albanaise à Constantinople pour asseoir l'identité albanaise dans l'Empire Ottoman et relever le statut de l'albanais de dialecte à langue 4 échec.

1872

Première traduction du Nouveau Testament en albanais par Kostandin Kristoferidhi

1877-78

Crise balkanique, traité de San Stefano puis de Berlin

1878 (juin)

Création de la ligue de Prizren

1881

Dissolution de la ligue par les troupes turques

1887

Ouverture à Korça de la première école en langue albanaise

1899

Sami Frashëri publie L'Albanie, son passé, son présent, son avenir

1908

Congrès de Manastir, création d'un alphabet adapté à la langue albanaise

1912

Déclaration de l'indépendance de l'Albanie à Vlora par Ismail Qemal Bej, qui forme

V

(nov.)

 

un gouvernement provisoire.

1912 (déc.)

Conférence de Londres reconnaît l'indépendance de l'Albanie, mais attribue des territoires albanais aux pays voisins. Se sentant sous soutien des grandes puissances, Ismail Qemal Bej démissionne et part vivre à Nice.

1914 (mars)

Désignation du prince allemand de Wied à la tête du gouvernement albanais, capitale à Durrës

1914 (sept.)

William de Wied fuit l'Albanie. Créations de trois provinces indépendantes autoproclamées.

1914-18

L'Albanie est occupée par les forces alliées

1918

Conférence de paix à Paris à laquelle Ismail Qemal Bej est élu et envoyé par les Albanais des Etats Unis (fédération Vatra) pour représenter l'Albanie. Un an plus tard, il est assassiné en Italie à quelques heures de tenir une conférence en faveur du respect des frontières albanaises.

1919

L'Italie obtient un mandat sur l'Albanie

1920 (février)

Assemblée nationale à Lushnja, nomination d'un haut conseil de régence. Capitale à Tirana

1920 (déc.)

Entrée de l'Albanie à la SDN grâce à Fan Noli, désigné dirigeant de la diaspora albanaise après la création de la fédération Vatra (Association de protection des droits des Albanais aux Etats Unis)

1921 (nov.)

L'Italie reçoit le soin exclusif de maintenir l'intégrité territoriale du pays

1924

Episode démocratique avec Fan Noli, évêque orthodoxe, délégué albanais à la SDN

1925 (janv.)

Proclamation de la République albanaise avec Ahmet Zogu à la présidence. La constitution est calquée sur celle des Etats Unis

1927

Zog signe un pacte d'assistance mutuelle offensive et défensive avec l'Italie pour 5 ans, traité de Tirana

1928
(août-
sept.)

Nouvelle constitution, abolition du sénat, proclamation de la royauté, Zog roi d'Albanie

1934

Zog doit céder devant la pression économique et militaire italienne, l'Albanie redevient un espace économique italien

1939 (mars)

Débarquement italien en Albanie, occupation du pays en 6 jours

1939 (avril)

L'ambassadeur italien à Tirana est nommé vice-roi

1939 (juin)

L'Albanie devient « monarchie constitutionnelle héréditaire au sein de la Maison de Savoie »

1941 (oct.)

Manifestation à Tirana. Enver Hoxha passe dans la clandestinité

1941 (nov.)

Création du Parti Communiste albanais avec Enver Hoxha à la tête du comité central provisoire

1943

Première conférence nationale du PCA à Labinot

1943 (sept.)

Les Allemands proclament l'indépendance de la Grande Albanie (incluant l'Epire et le Kosovo)

1944 (mai)

Création du Comité antifasciste de Libération nationale, Enver Hoxha en prend la tête

1944 (oct.)

Gouvernement démocratique de l'Albanie dirigée par Enver Hoxha. Les « Conseils de libération nationale » deviennent organes exclusifs du pouvoir

1944 (nov.)

Les derniers Allemands quittent le pays

VI

1945

 

Staline reconnaît le gouvernement communiste albanais

1946

L'Albanie République populaire, Enver Hoxha chef du gouvernement pendant 7 quinquennats (jusqu'en 1985, sa mort)

1946 (nov.)

Convention économique albano-yougoslave

1947 (juillet)

Début des relations étroites avec Moscou

1947 (déc.)

Traité d'amitié et de coopération albano-bulgare

1948 (mai / juin)

Tito accusé de « nationalisme » par Moscou / communiqué officiel du PC albanais contre le PC yougoslave

1948

Rupture des relations diplomatiques entre Tirana et Belgrade, exécution de Koçi Xoxe (ministre de la Défense albanais qui entretenait des relations amicales avec Tito)

1955

L'Albanie admise à l'ONU

1956

Rapprochement Tirana-Pékin

1957

Début de la rupture Hoxha-Khrouchtchev

1960

A la seconde conférence de Moscou, Hoxha dénonce le révisionnisme du PC de l'URSS

1961 (avril)

Accord commercial albano-chinois, début de l'aide chinoise, économique et technique

1961 (déc.)

Rupture des relations diplomatiques entre Moscou et Tirana jusqu'en 1990.

1964

Dénonciation de l'attitude chinoise, « erronée » par trop « d'attentisme »

1967 (février)

Lancement de la révolutionnarisation, et ouverture de la lutte contre les religions

1967 (oct.)

Les intellectuels et les scientifiques sont mobilisés pour coopérer à l'élaboration de matériaux confortant les positions politiques du Parti. Les écrivains sont mis à contribution (dont Kadare)

1968

Projet de révolutionnarisation de l'enseignement

1969

Adoption de la réforme de l'éducation nationale, mélange de marxisme-léninisme et d'albanisation (appui sur le patriotisme albanais)

1971

Violente dénonciation de la visite de Nixon en Chine, début tangible du différend entre Tirana et Pékin

1973

Accentuation de l'image de la citadelle isolée dans les discours et dans la littérature (Kadare : La Citadelle, 1970)

1974

Les écrivains et les artistes oeuvrent pour l'éducation communiste (Kadare, Le grand hiver, 1974)

1976

Discours très vif contre Mao-Tsédong, qualifié d'opportuniste et de balliste (nationaliste)

1977

Début de l'isolement politique : dénonciation de l'impérialisme, du révisionnisme, de l'opportunisme...

1978

Décision chinoise : rappel des experts, fin de l'aide à l'Albanie

1981

Echec perceptible de la nouvelle politique agricole

1981

Exclusion de Mehmet Shehu, remplacé par Ramiz Alia, renforcement du Parti et de la Sigurimi, réaffirmation de la pureté politique, de la volonté d'exemplarité, et de l'appui sur l'espace albanais

1982 (janv.)

Accentuation de l'effort de défense (édification de blockhaus)

1982

Crise de subsistance au sortir de l'hiver

VII

(avril)

 
 

1983 (février à avril)

Nouvelle crise de subsistance, carences en approvisionnement alimentaires et en bois de chauffage (transports mal organisés)

1984 (mars)

Nouvelles difficultés alimentaires

1984 (mai)

Reprise des relations amicales avec la Grèce, et projet de réouverture de la frontière

1985 (avril)

Mort d'Enver Hoxha. Ramiz Alia est désigné successeur.

1990 (juillet)

les milliers d'Albanais qui avaient trouvé refuge dans l'enceinte des ambassades étrangères sont autorisés à quitter le pays / reprise des relations diplomatiques avec l'URSS rompues depuis 1961

1990 (déc.)

manifestations d'étudiants à Tirana, ils réclament des réformes / Ramiz Alia autorise la création d'autres formations politiques / création du Parti Démocratique albanais / déstalinisation décrétée par le gouvernement

1991 (février)

dizaines de milliers de manifestants renversent la statue d'Enver Hoxha sur la place Skanderbeg à Tirana

1991 (mars)

premières élections multipartites depuis 1945 confirment la majorité du Parti du Travail Albanais / reprise des relations diplomatiques avec les Etats Unis rompues depuis 1939.

1991 (juin)

Le Parti du Travail se transforme en Parti Socialiste

1991 (août)

l'Italie renvoie deux cargos chargés de milliers d'albanais. En un an, 20.000 Albanais ont déjà réussi à débarquer en Italie.

1992 (février)

émeutes de la faim, port de Durrës fermé par la police pour essayer de contenir l'afflux de candidats à l'exil vers l'extérieur du pays

1993 (juin)

le gouvernement grec renvoit 23.000 travailleurs albanais à la frontière suite à une tension entre les deux pays.

1995

l'Albanie est considérée par le FMI comme l'ancien pays communiste d'Europe où la transition libérale est la plus rapide. Taux de chômage cependant élevé (20%) / l'Albanie devient membre à part entière du Conseil de l'Europe.

1996

élections législatives albanaises controversées, le Conseil de l'Europe demande la suspension de toute relation entre l'UE et l'Albanie jusqu'à l'organisation de nouvelles élections démocratiques

1997 (janv.)

faillite de sociétés d'usure à structure pyramidale qui provoque la ruine de nombreux petits épargnants, président Berisha mis en cause

1997 (mars)

Berisha réélu à la présidence / développement des violences au Sud du pays qui se propagent dans tout le pays / évacuation des Occidentaux / mesures d'apaisement peu fructueuses et tentative de collaboration avec les délégués de quatorze villes rebelles du Sud / l'OSCE envoie 5000 soldats sous commandement italien pour assurer la sécurité du pays

1997 (avril)

intervention de l'ONU, 1600 morts déplorés par ce qui est devenu une guerre civile / mise en place de convois alimentaires

1997 (juillet)

élections législatives majoritairement remportées par le Parti Socialiste, Berisha démissionne par refus de collaborer avec l'opposition, Rexhep Mejdani nommé président et Fatos Nano Premier Ministre (démission deux semaines plus tard)

1997 (ov.)

élection de la nouvelle Constitution présentée par le gouvernement socialiste avec 50% de participation aux suffrages (appel au boycottage du référendum par le PD de l'ancien président Berisha) / sommet organisé à Héraklion où plusieurs chefs

VIII

 

d'Etats des Balkans s'engagent à respecter l'inviolabilité des frontières, l'intégrité territoriale des Etats et le règlement pacifique des différends.

1997 à

instabilité au poste de Premier Ministre, dont le mandat de quatre ans n'est jamais

2005

accompli

 

Le FMI déplore les événements politiques et observe un développement de la corruption qui entrave le redressement de l'économie. Le pays subsiste

1998

principalement grâce aux transferts de capitaux en provenance de la diaspora et de l'économie parallèle.

1999

Guerre au Kosovo, des milliers de réfugiés arrivent en Albanie

2001

rétablissement des relations diplomatiques avec la Yougoslavie rompues en 1999.

2003

négociations entre l'Albanie et l'UE en vue de la conclusion d'un accord d'association et de stabilisation, première étape du processus d'adhésion.

 

Sali Berisha (Parti Démocratique) devient Premier Ministre de l'Albanie (deux

2005 -

mandats de 4 ans consécutifs), succédant à Fatos Nano, ancien dirigeant de l'ère

2013

communiste.

2006

signature entre l'Albanie et l'UE d'un accord de stabilisation et d'association, prélude à une éventuelle adhésion du pays à l'UE

2007

George W Bush devient le premier président américain à effectuer une visite officielle en Albanie (plusieurs routes porteront son nom)

2008

signature des 26 pays membres de l'OTAN pour permettre l'adhésion de l'Albanie effective en 2009.

 

Edi Rama (Parti Socialiste) remporte les élections législatives et devient Premier

 

Ministre de l'Albanie, Ilir Meta (Lëvizja Socialiste për Integrim : Mouvement

2013

Socialiste pour l'Intégration) à la tête de l'Assemblée. Un gouvernement majoritairement de gauche gouverne l'Albanie pour la première fois depuis 2005.

2014

L'Albanie reçoit le statut de candidat à l'adhésion à l'UE, c'est sa quatrième

(juin)

demande officielle.

IX

Annexe 4 - Aspirations européennes des Balkans en 1912

Weinreb, T. (1914). Aspirations irrédentistes dans les Balkans 1914. Retrieved from http://fr.wikipedia.org/wiki/Albanie#mediaviewer/Fichier:Territorial_aspirations_of_t he_Balkan_states,_1912.jpg

X

Annexe 5 - Structure et organisation de l'école en République Socialiste d'Albanie

Âge

Niveau de formation

Classe

Niveau de formation

Classe

 
 
 

Spécialisation
postuniversitaire

Durée de formation variant de 1 à 3 ans,
formation continue pour les cadres
supérieurs. Auprès des écoles supérieures
ou instituts de recherche.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

23

Enseignement supérieur

Formation
initiale dit
`régulière'

5èmeannée

Formation initiale `pour travailleurs' (pour ouvriers et paysans)

5èmeannée

 
 

22

4ème année

4ème année

 
 

21

3ème année

3ème année

 
 

20

2ème année

2ème année

 
 

19

1ère année

1ère année

 
 

18

Enseignement

Général

Stage de travail en
production obligatoire
pour rentrer dans
l'enseignement
supérieur

Professionnel (écoles
pédagogiques,
techniques ;
domaines de
l'agriculture, de
l'économie, des
arts...)

Année de
spécialisation pour
ouvriers et
coopérateurs

 

17

Classe XII

Classe XII

secondaire obligatoire :

16

Classe XI

Classe XI

général ou professionnel

15

Classe X

Classe X

Ecoles inférieures de
formation technico-

2ème
année

14

Classe IX

Classe IX

professionnelle : de 1 à
deux ans

1ère

année

13

Enseignement général de huit ans obligatoire

Cycle 2

Classe VIII

 
 

12

Classe VII

 
 

11

Classe VI

 
 

10

Classe V

 
 

9

Cycle 1

Classe IV

 
 

8

Classe III

 
 

7

Classe II

 
 

6

Classe I

 
 

3 - 5

Enseignement préscolaire

non obligatoire en maison ou jardin d'enfants

 
 

XI

Annexe 6 - Structure proposée pour l'organisation des programmes dans les institutions de l'enseignement supérieur albanais

Issu du rapport d'observation 2014 en vue de la réforme de l'enseignement supérieur albanais, p. 44, source : http://www.arsimi.gov.al/files/userfiles/reformaalksh/Raport Ministria Arsimit.p df

Annexe 7 - Géographie de la Francophonie en Albanie


· Pogradec

· Gramsh

· Kuçave

· Berat

KOSOVO

Bajram Curri

Fierzë Krumë
·

· Shkodër


·
·
·
·
Puke - Kukës

Koplik

ALBANIE

MONTÉNÉGRO

· Rreshen

Peshkopi

a

· LA Krujë
·

· Shijak

Durrës°
· 1111 TIRANA

·
·
Libraz

Kavajë

· Prgin Elbasan

· Cërrik
·
·
·

ANCIENNE RÉPUBLIQUE
YOUGOSLAVE DE
MACÉDOINE

Lezhë

· Burrel

· Bulgizé

· Orikum Himarë

Korçë
·

Çorovodë
·
·S

Ersekë


·

.Permet

Gj irokastër
·

Biis~t

Tepelenë

GRÈCE

`~Q
·

·
Delvi

5D km

CDC Carto 11-06-2012


·

Lushnjë

Fier
·


·

· Patos
· Ballsh

Vlorë.

Légende (2014)

· - section bilingue

· - département de françai<

universitaire Spécifique â Tirana :

· - Alliance Française - lycée privé franco-

- Antenne AF albanais Ernest Koliqi

- AF ou antenne â venir - école homologuée

- NECAL, camps d'été française (EFT)

- Ambassade de France

s- présence stagiaire / VI

français

- siège APFA

XIII

Annexe 8 - Chiffres de l'APFA (2013)

Classe et

équivalent français

Nb élèves :

français 1ère

LE

Zones rurales

Nb d'élèves :

français 2ème

LE

Zones rurales

III / CE2

4143

1962

 
 

IV / CM1

4380

2096

 
 

V / CM2

4308

2010

 
 

VI / 6ème

5471

3512

7943

432

VII / 5ème

5160

3444

7620

1609

VIII / 4ème

5246

3374

7306

1469

IX / 3ème

6136

3894

6635

1453

Situation du français dans l'enseignement primaire en Albanie

Classe et

équivalent français

Nb élèves :

français 1ère LE

Zones rurales

Nb d'élèves :

français 2ème LE

Zones rurales

X / 2nde

4620

1910

3844

991

XI / 1ère

4695

2104

4020

835

XII / Tle

4723

2253

2854

665

Situation du français dans l'enseignement secondaire général en Albanie

Classe et

équivalent français

Nb élèves :

français 1ère LE

Zones rurales

Nb d'élèves :

français 2ème LE

Zones rurales

X / 2nde

5093

0

1255

0

XI / 1ère

439

0

879

70

XII / Tle

426

0

686

0

XIII (dernière classe à la fin de l'année scolaire 2012-3)

390

0

412

0

Situation du français dans l'enseignement secondaire professionnel en Albanie

XIV

Annexe 9- Interview informateur 01-H

Note de lecture : 1 personne interviewée. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique et les réponses formulées par l'informateur en caractères standards.

Profil de l'informateur :

Profession : enseignant masculin

Lieu d'activité : enseignement public universitaire et réseau associatif

Expérience à l'étranger : en France, M1 DFLE avec bourse

Formation initiale : sous le communisme

Contexte d'entretien : j'étais initialement partie de l'hypothèse qu'il y avait une baisse d'intérêt pour les langues étrangères avant de déporter mon attention sur ce qui est fait des langues étrangères et la conséquence de la vision projetée sur les langues étrangères par les institutions albanaises et la conséquence de ces représentations sur celles des locuteurs.

Cet entretien a été retenu parce qu'il est le plus représentatif vis-à-vis de la place des langues étrangères sous le communisme.

Interviewer : Amélie Gicquel

Prise de notes avant enregistrement :

1. « A l'époque, la seule école des langues étrangères était à Tirana. »

2. « Seuls les enfants des familles aisées avaient accès à cette école, cela signifie que leurs parents devaient occuper des postes importants ».

3. « Les langues étrangères ne sont plus vues comme un ornement ».

4. « Il faut voir les disciplines universitaires selon le travail qu'elles offrent ensuite. Et l'anglais domine parce que c'est une langue qui est largement demandée par les entreprises albanaises ».

5. « Après la chute du communisme, les profs étaient très mal payés. Pour subvenir aux besoins de leur famille, les hommes changeaient de travail. Ca a provoqué une dévalorisation de la profession d'enseignant, il n'y avait plus aucun intérêt à devenir prof ».

6. « Connaître une langue n'est pas une profession ».

7. « On trouve dans les lycées généraux des élèves qui sont meilleurs qu'au lycée des langues ».

8. « Maintenant, on peut trouver des jeunes qui parlent très bien français ».

9. « En tant que profs, on attend des jeunes qui sont motivés, mais ils ne sont pas bêtes ! Ils savent que leurs connaissances linguistiques et langagières, bonnes ou mauvaises, ne leur donneront aucun avenir, alors pourquoi se fatiguer ? »

10. « Va dans une école et demande à un prof de français de donner leur avis vis à vis de la promotion et de la diffusion des langues, ils diront que c'est à cause de la politique. Mais demande-leur ensuite s'ils préfèrent si leur enfant étudie le français ou la médecine. Ils vont tous répondre médecine ! »

11. « S'il y avait plus de postes d'enseignants, il y aura un plus grand intérêt ».

12.

XV

« Objectivement, on apprend le français pour avoir un travail, lequel ? Ca peut être prof, interprète, dans une association, dans une entreprise. Mais il y a très peu de travail dans ces domaines là avec la langue française. »

13. « Les étudiants étudient le français pour avoir un diplôme, c'est tout ».

14. « Il y a peu de demandes pour le français pour des raisons économiques ».

15. « L'Italie, c'est différent, parce que c'est comme un second pays, surtout pour des raisons d'émigration. Après, le nombre de demandes d'études pour l'Italie a certainement dégringolé depuis la libre circulation. Avant, on demandait à aller étudier en Italie pour émigrer, et on allait en cours que les deux premiers jours. Maintenant, on peut légalement rester 3 mois en Italie sans papier particulier. »

16. « Quelle différence entre l'Italie et la France, il y a plus de familles en Italie. Pour quelles raisons les étudiants choisissent telle ou telle université ? Raisons économiques et proximité familiale, que ça soit en Albanie ou à l'étranger ».

17. « L'Albanie, c'est un petit pays. C'est l'économie du marché qui dicte le choix de ses études supérieures maintenant ».

Entretien enregistré :

18. Et où est-ce que tu pouvais apprendre le français tout seul à l'époque ?

19. Je ne sais pas. Ils lisaient des livres en cachette. De toute façon, ce n'était pas la langue parlée qu'on apprenait. C'était la langue des livres...

20. Oui j'ai entendu une interview d'Edi Rama sur France Inter et il parle très bien français ! Très bon francophone.

21. Ah oui oui, il parle très bien italien, anglais, français. Comme personne, il est super.

22. Comme linguiste ?

23. Non non, mais même comme artiste, c'est la personne qui parle le mieux.

24. Le meilleur orateur ?

25. Le meilleur orateur. Donc c'est vraiment quelqu'un. Après, au niveau... En tant que Premier Ministre, moi je ne sais pas.

26. C'est une autre question.

27. On va voir.

28. Mais justement, dans cette interview où Edi Rama passe sur France Inter, il disait qu'il avait appris le français en lisant.

29. Tout le monde faisait ça. A l'école aussi ! Qu'est-ce qu'on faisait ? On lisait un texte, on apprenait les mots nouveaux. Voilà, on expliquait les mots. Voilà, mais après, on ne pouvait pas construire une phrase exacte ! A propos du texte, tu pouvais répondre très bien. A propos des personnages...

« Qu'est-ce que Monsieur Dupont fait ? » « Monsieur Dupont monte dans sa voiture. »

« Est-ce qu'il a des enfants ? » « Oui, il a deux enfants »

« Comment il s'appelle ? » « Il s'appelle... »

XVI

Mais après, au moment où on se mettait en face d'un Français, c'était autre chose. On ne pouvait pas ! C'était interdit. Ne pas parler à un étranger.

30. Ouais, j'ai lu un livre là dessus. Des Français qui vivaient en Albanie en 1976 et qui étaient constamment suivis par la police secrète, pas du tout discrète.

31. En plus, c'est une période, vraiment, de transition. On ne peut pas vraiment créer d'idée...

32. Oui, c'est ce que je pense aussi, ce qui me provoque certaines difficultés.

33. On peut faire des hypothèses, mais on ne peut pas... Je pense que c'est instable.

34. Après, j'avais aussi une hypothèse, c'était qu'avant, on apprenait une langue étrangère... après la chute du communisme, je veux dire. On apprenait une langue étrangère pour se donner la chance d'aller à l'étranger, ou de se permettre de rêver qu'on irait à l'étranger. Alors que maintenant, est-ce qu'on n'en est pas à un moment donné où les Albanais se disent « Développons un peu l'Albanie ». « Permettons à nos enfants d'étudier des sciences comme l'économie, comme la médecine, comme le droit. Laissons les développer notre pays plutôt de laisser fuir nos jeunes. »

35. Non, je ne pense pas. Nos jeunes n'étudient pas l'économie pour changer l'économie, mais parce que c'est ce qu'ils veulent faire. Tu vois, tu as mon exemple. Mon fils pouvait très bien venir faire des études de français à Elbasan. Pourquoi il n'est pas venu ? Là, il avait toutes les facilités ! J'étais là, je pouvais l'aider, je pouvais lui faire ses devoirs, ses essais. Lui mettre des 10 partout. Pourquoi il fait ça ? Il est à Tirana et il fait de l'économie parce que je pense qu'il a de l'avenir et lui, il pense que c'est la profession qu'il veut faire.

36. Ouais, mais prof, tu ne serais pas un cas particulier ? Tu as eu la chance de faire des hautes études, tu es quand même intéressé par un certain niveau intellectuel, je veux dire. La classe à laquelle tu appartiens est finalement assez réduite en Albanie, non ?

37. Même les plus...

38. Les plus modestes ?

39. Les meilleurs étudiants ne viennent pas des familles aisées.

40. Non, c'est vrai, mais je ne pensais pas à l'argent, je pensais plutôt au niveau intellectuel.

41. Etre intellectuel, c'est un peu par hasard. Tout commence... Parce que moi, je suis intellectuel de l'époque d'Enver Hoxha. Il fallait être brave à l'âge de 14 - 18 ans. C'est là. Si tu ne travailles pas à cet âge-là, tu ne pouvais pas devenir intellectuel, parce qu'à partir de la moyenne, on choisissait d'abord si on voulait faire des études supérieures ou pas.

42. Des études à l'université, je comprends bien ?

43. Oui.

44. Mais alors juste une question, un détail... L'école était obligatoire jusqu'à la fin du lycée ?

45. Non, c'est l'école de huit ans qui était obligatoire. Et la plupart des gens allaient au lycée. Pour pouvoir aller à l'université, il fallait avoir une bonne moyenne.

XVII

Mais c'était à l'âge de l'adolescence. Pas tout le monde, pour des raisons de famille, des raisons psychologiques, voilà... Mais si tu ne pouvais pas faire des études supérieures, tu allais travailler dans une fabrique, dans une usine, ou ailleurs. Un hasard. Parce que par hasard, moi j'étais appliqué, psychologiquement, j'étais capable de faire des études et d'apprendre bien. Dans une famille, s'il y avait plusieurs enfants qui avaient fait des études supérieures... donc si mon frère avait fait ingénieur, moi, je n'avais pas le droit de faire des études, d'avoir une bourse d'études.

46. C'est le gouvernement qui décidait de ça ?

47. Oui oui ! Enfin, ce n'était pas une loi écrite comme ça, mais si pour devenir médecin, à l'Université de Tirana, il y avait 5 places, admettons. Il y avait 10 demandes, alors, si moi j'avais un frère qui avait fait des études, moi j'aurais été le premier exclu. Parce que les autres n'avaient pas cette situation. Il y avait ceux qui n'avaient pas une bonne biographie. Mon frère, ou mon père avait fait 5 ans de prison, alors moi, j'aurais été exclu. Donc, la différence que j'ai avec un autre...

48. / L'interviewé répond au téléphone/

49. ...Donc voilà. Le désir, la capacité de transmettre aux enfants la volonté d'aller à l'école est la même. Si j'envoie mon fils à Tirana, il fera la même chose avec ses enfants. Donc, il ne faut pas être intellectuel pour comprendre que c'est mieux de devenir ingénieur...

50. Non, c'est sûr ! Certes !

51. C'est mieux que de devenir prof de français dans un village. Mais je dis prof de français, mais prof d'autre chose...

52. Ou prof de quoique ce soit... Moi je ne décroche pas, quand même... Je garde toutefois l'idée qu'il y a un désintérêt grandissant pour les langues étrangères.

53. Non. Tu me dis les langues étrangères... ?

54. C'est ce que tu disais avant, un « ornement ». Celui qui allait à l'Université des Facultés Etrangères, c'était un ornement.

55. Il y a 20 ans, celui qui est allé à l'étranger, c'était un extraterrestre. Même s'il y allait deux jours. Les chauffeurs des camions, parce qu'il faisait l'import / export des produits albanais, ils avaient plus de prestige que les professeurs, parce qu'il allait à l'étranger ! Le fait d'aller à l'étranger, c'était quelque chose, donc c'était pareil pour les langues étrangères. Ca n'existe plus. Quelquefois, ça prend des connotations négatives. « Lui, il est allé en Grèce... » La Grèce, tout le monde va en Grèce. Donc personne ne peut se vanter, même si tu es avec des villageois... « Bah, je suis allé à Paris pendant trois mois... » Aujourd'hui, passer un séjour à l'étranger, ce n'est pas quelque chose d'exceptionnel. Maintenant, parler une langue étrangère, c'est quelque chose de très normal. Est-ce que tu sais combien de centres de langues il y a à Elbasan ?

56. Non, mais je me suis posé la question !

57. On ne peut pas les compter. Enormément. Tout le monde prend des cours privés. Qu'est-ce que ça montre ? Qu'il y a une baisse d'intérêt pour les langues étrangères ? Non. Tout le monde apprend les langues étrangères dans des cours

XVIII

privés, pas à l'école ! A partir de la quatrième classe, à partir de 10 ans. Moi, mes enfants, ils ont fait 5 ans d'anglais, 3 ans de français. Mais tout le monde fait ça, pas que moi ! Parce que les gens savent aujourd'hui qu'une langue étrangère est indispensable. Je ne dis pas que le français est indispensable... une langue étrangère ! Parce que pour travailler, il faut une langue étrangère, les annonces qui proposent du français disent qu'il faut telle ou telle langue. L'ordinateur, tel programme va être en langue étrangère.

58. Donc, moi, je suis contre. J'entends des choses parfois, je ne peux pas parler, mais souvent, je suis contre tout le monde, mais je ne dis rien. J'entends que les jeunes d'aujourd'hui, ils n'apprennent pas.

59. C'est ce que j'entends !

60. Pour moi, c'est le contraire.

61. Ils apprennent différemment...

62. Le meilleur à mon époque, il est moins bon que le meilleur d'aujourd'hui. ***

63. Oui, c'est ce que tu me disais tout à l'heure. A l'époque, les élèves étaient limités à des livres, à des textes, alors qu'aujourd'hui, ils ont la liberté de se renseigner par eux-mêmes. Il n'y avait pas de possibilité d'accès à des supports qui auraient permis aux élèves de l'époque d'en apprendre plus.

64. Non. A l'époque, on travaillait avec Mauger, qui était déjà désuet. Maintenant, on trouve des livres albanais, où les gens ne s'appellent pas Pierre et Paul, mais Sokol, Arben, etc. Donc, une langue française pour les Albanais. Donc voilà, je ne sais pas... Moi, je ne comprends pas. Personne n'apprend les langues étrangères à l'école, en Albanie. Et ça, je ne comprends pas, vraiment. Donc c'est, c'est nul.

65. Est-ce que ce n'est pas parce qu'aujourd'hui, on sait tous, plus ou moins, que les profs de langues étrangères dans les écoles sont mauvais ?

66. Bah c'est pour beaucoup de raisons, pas uniquement... A cause du nombre d'élèves dans les classes, les méthodes qui ne sont pas appropriées...

67. Oui, non, c'est sûr qu'on ne peut pas rejeter toute la faute sur les enseignants !

68. S'il y a un peuple qui veut s'ouvrir sur l'étranger, c'est le peuple albanais ! C'est normal, le peuple le plus isolé a le plus grand désir de s'ouvrir ! Et alors ? Pour aller vers l'étranger, il faut une langue étrangère. Et les langues étrangères pour les Albanais le français, l'anglais, l'italien... Le grec, bon, pas besoin de l'apprendre parce qu'on va travailler, on ne va pas faire des études, déjà, il y a une communauté albanaise en Grèce qui est importante.

69. / L'interviewé répond au téléphone/

70. ... Donc voilà, c'est facile, mais c'est difficile en même temps ! Et puis si tu vas imposer le français dans une école où les gens ne sont pas du tout intéressés, ça ne sert à rien, donc on fait le français dans cette école-là. C'est ça la politique, on fait le français, mais ils n'ont pas réfléchi à quoi ça sert le français. Par contre, si on associe deux langues, qu'à côté de l'anglais, on fait du français, ça, c'est de la politique, tu vois ? Parce que, qu'est-ce qu'ils vont faire ? Tu sais ce que les gens ont fait ? Je te montre aussi une chose, ça peut être intéressant. Ils changent d'école parce qu'il n'y a pas l'anglais. Voilà, mécontents de ce seul fait, ils vont dans une autre école. La

XIX

politique doit aider, doit suivre l'intérêt des gens, un peu. Mais pas imposer, parce que ça va entraîner de la résistance. On se disputait, moitié anglais, moitié français. Mais c'était fou, ce n'était pas juste, parce que tout le monde voulait apprendre l'anglais. Quand je dis moitié, moitié, c'est que sur 6 classes en première, par exemple, il y avait 3 qui faisaient le français et 3 qui faisaient l'anglais, pour garder un équilibre entre les langues et ce n'est pas juste. Ceux qui faisaient anglais étaient contents et ceux qui faisaient français, ils étaient mécontents.

71. C'était complètement arbitraire.

72. Arbitraire, parce que ça allait contre le désir. Alors une bonne politique, c'est quoi, c'est faire 3 heures anglais et 2 heures en français. Ceux qui étaient en première année, peut-être, ils savaient qu'ils allaient faire un peu plus dans les autres années. On peut résoudre la politique, les institutions peuvent résoudre le problème. Mais pour ça, il faut connaître la réalité !

73. Et tu penses qu'ils ne connaissent pas la réalité, en fait ?

74. Ils ne sont pas sincères. Nous avons toujours eu des gouvernements et des politiques qui ne sont pas sincères. Tu sais la dernière, donc la phrase qu'on répète souvent ? « On a de très bonnes lois qu'on ne respecte pas ».

75. C'est quelque chose que tu entends ?

76. Tout le temps ! C'est un leitmotiv. Pourquoi ? Parce qu'au moment où ils ont fait la loi, ils n'étaient pas sincères. Ils ont fait une loi qu'on ne pouvait pas appliquer. Tu sais ? Ils ont dit pour avoir un Master, il faut avoir le B2. Tous les étudiants, pour avoir le Master, il faut qu'il ait un niveau... même pour avoir accès à un Master, il faut le niveau B2 en anglais.

77. N'importe quel Master ?

78. N'importe quel Master. Obligatoire. Pour avoir un doctorat, il faut avoir . Qu'est-ce que ça veut dire ? Qui est celui qui a dit ça ? Est-ce qu'il est sincère ? Est-ce que c'est vrai, est-ce que c'est juste ? C'est ça qui manque. Parce que moi, je peux dire, en tant que prof, parce que moi, je sais quelle est la meilleure chose à faire. Donc si je dis « demain, je veux que vous lisiez tous les romans de Balzac. » 100 romans. Ce n'est pas faisable ! Même si je dis « vous allez lire un roman par semaine ». Je ne le dis pas parce que je sais qu'ils ne le font pas, et ils ne sont pas capables. Alors, c'est mieux pour le moment de faire une loi qui soit applicable. Ils ne sont pas sincères !

79. Mais alors, en fait, j'ai pensé à quelque chose entre temps. Tu me dis qu'il y a cette loi qui exige des étudiants d'avoir un niveau 82 en Master. Mais quand tu regardes les lois européennes, les élèves à la sortie du lycée, normalement, doivent avoir le niveau 82 en langues étrangères.

80. Oui, mais c'est pareil en Albanie.

81. Eh bien, est-ce que ce n'est pas une volonté des politiques d'essayer de se mettre à niveau des lois européennes ?

82. Oui, sûrement. Mais regarde, l'examen pour les langues étrangères cette année au BAC, ça sera de niveau A2.

83. Oui, j'ai entendu, A. me l'a dit.

84.

XX

Mais quoi ? Les programmes institutionnels, faits par les grands-pères de la méthodologie et de la didactique albanaises demandent un niveau B2 au lycée. Qu'est-ce qui a changé d'une année à une autre ? Parce qu'ils ne sont pas sincères par rapport à la réalité. Ce n'est pas possible. On ne peut pas demander à nos étudiants de faire des choses qu'ils ne peuvent pas ou qu'ils ne savent pas faire. Tu sais comment le problème des langues étrangères à l'école a été divisé, à Elbasan ? Je te raconte. Tu sais que le boulevard coupe Elbasan en deux ?

85. Oui, oui.

86. Toutes les écoles qui se trouvent au Nord du boulevard font anglais, et toutes les écoles qui se trouvent au Sud du boulevard font du français.

87. C'est vérifié, ça ?

88. Non, mais à 80% ça peut se vérifier. Ca a été fait comme ça. Une décision, voilà... On n'a jamais eu de politiques, voilà... Même à l'époque du communisme, le français était appris comme première ou deuxième langue, ça ne correspondait pas vraiment au désir de tout le monde d'apprendre le français. C'était une obligation. Si tu veux voir vraiment l'intérêt pour le français, il faut regarder le système privé. Combien il y a d'élèves qui apprennent le français à Elbasan, à l'Alliance ? Je te le dis, je connais. L'allemand : 40, grand maximum ; français : 70 ; italien : pareil, comme le français, même un peu moins, peut-être, anglais, 10 fois plus. Parce que moi, je connais les centres de langues. Il y en a une quinzaine, à Elbasan. Parce que c'est aussi politique, l'ambassade demande auprès du Ministère que le français soit la langue apprise dans les écoles. Mais pareil font les Allemands, et pareil font les Italiens.

89. C'est au meilleur offrant.

90. Oui.

91. C'est naturel, c'est humain. Dans l'importe quelle situation, tu as plusieurs offres, tu vas prendre ce qui te rapporte le plus. C'est un jeu d'influence.

92. Le système scolaire ne montre pas vraiment, la réalité, le désir.

93. Parce que donc je suis divisée entre deux choses. Soit je parle des stratégies et des identités plurilingues en Albanie...

94. Mais tu as raison, c'est intéressant cette idée de fragmentation, il faut bien le... Mais quand tu regardes l'histoire des langues étrangères en Albanie, c'est un peu comme ça. /L'interviewé mime avec ses mains des blocs distincts les uns des autres/. Français, anglais, italien... Ne parle pas de l'italien, personne ne l'apprend à l'école ! On apprend très peu l'italien à l'école, tu sais ? Voilà, donc c'est vraiment fragmenté. Donc le russe disparaît, ensuite c'est l'anglais qui sort. C'est l'italien qui est la langue la plus parlée, mais qu'on n'apprend le moins à l'école. Il n'y a pas de suivi. Il y a toujours des blocs, des étapes. Et dans ce sens, on peut peut-être parler après de transition, donc d'une étape à une autre.

95. Non, moi, je ne pensais pas au niveau historique, mais plutôt en synchronie. C'est à dire entre le niveau micro et le niveau macro, et puis vous entre les deux...

96. Oui, mais d'où vient cette fracture ? Ca vient aussi un peu de l'histoire. Comment on a traité les langues étrangères, avant...

97.

XXI

Mais c'était ça mon sujet au début, tu te rappelles, la première fois que je t'en ai parlé. Le rapport de l'Albanie aux langues étrangères.

98. Si la langue étrangère est une nourriture, donc on va donner au peuple ce qu'il a envie de manger. Tu vois, c'est ça qui crée la fracture. Ils nous imposent de manger du pain, et moi je veux manger des chocolats. C'est ça ! Parce qu'il y a A. qui va voir le Ministre, ils boivent un verre. Le Ministère va dire oui. Ensuite, il y a l'Allemand qui va arriver avec des bouteilles de schnaps, le Ministre va dire : « l'allemand aussi ». Après, il y a l'Italien avec du Limonccello, et le Ministre va dire « on apprend l'italien ».

99. Mais c'est aussi pour ça que j'ai abandonné mon idée de politiques linguistiques. Pour tout, les choses se décident...

100. Nous ne sommes pas un pays normal.

101. Vous n'êtes pas un pays normal ?

102. Non.

103. Mais moi j'aime bien l'Albanie I (rires)

104. Oui, mais ça c'est une chose. L'autre jour, il y a un étudiant de deuxième année, il se plaignait de MS parce qu'il n'arrivait pas à avoir le code, tu sais le code pour voir les notes. Il s'était énervé : « MS ne me les donne pas à chaque fois, j'ai le droit de faire ça. » Je lui ai dit « Tranquillise toi, nous ne sommes pas dans un pays normal. Je t'explique, si on était dans un pays normal, tu ne serais pas devant moi en ce moment, parce que tu ne mérites pas de passer en deuxième année. Donc tu n'aurais pas besoin du code pour aller chez MS. Donc, tranquille ! » (rires). On ne peut pas raisonner.

105. Mais qu'est-ce que je fais là ? Je te jure I Moi ce pays me fascine.

106. Mais oui, nous sommes le pays le plus heureux !

107. Ouais, oh le peuple le plus heureux, je ne sais pas...

108. Eh le peuple le plus heureux, je ne sais pas. Mais nos étudiants sont les plus heureux du monde.

XXII

Annexe 10 - Interview informateur 02-I Interviewer : Amélie Gicquel

Note de lecture : Une personne interviewée. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique et les réponses en caractères standards. Certains extraits ont été retirés de l'interview reportée ici car pas en aucune adéquation avec le thème traité.

Profil de l'informateur :

Profession : masculin, ancien étudiant au moment de l'entretien, Master en enseignement du français terminé non obtenu, pas de projet de passer le niveau B2 en anglais et le stage obligatoire

Expérience à l'étranger : migration vers la Grèce pendant l'adolescence / en France, stage FLE en université française grâce à un programme d'échange d'étudiant Formation initiale : post-communisme

1. Voilà. Alors, pour commencer, je voudrais savoir quelles langues tu parles ?

2. Ok, je parle français, grec, italien, espagnol, anglais, allemand, portugais.

3. Est-ce que tu peux me dire comment est-ce que tu appris chacune de ces langues ?

4. Oui bien sûr. Alors la première langue que j'ai apprise, c'est l'italien. J'avais 6 ans et je l'ai apprise par la télé, en regardant des dessins animés, parce que quand j'étais petit, on avait beaucoup de chaînes italiennes et elles n'étaient pas en sous-titres albanais, toutes les séries et tous les films ! Et en demandant des mots que je ne connaissais pas à ma mère, parce qu'elle parlait elle-même aussi italien, parce qu'elle avait appris de la même façon. L'italien, c'est donc la première langue que j'ai apprise.

5. Mais tu parles aussi italien avec ta mère, ou quand tu étais petit, vous parliez italien ?

6. Oui, un peu. Un peu, mais tu vois on regardait des films et on comprenait tout. Et après à l'école, j'ai commencé un peu l'anglais. J'étais en quatrième, euh, en cinquième classe. Après, je suis parti en Grèce.

7. Et alors l'anglais, tu en avais combien d'heures par semaine ?

8. Pas beaucoup, trois ou quatre heures. Mais le prof, il était un peu différent des autres, parce qu'il nous expliquait les mots nouveaux, euh, les nouveaux mots, il ne les écrivait pas, mais il dessinait le mot. Et donc on lui disait qu'est-ce que c'était.

9. Pourquoi tu es parti en Grèce ?

10. Emigration avec ma famille, parce que ma tante aussi, elle vivait en Grèce, elle est mariée avec un Grec. Je ne savais pas du tout le grec, tu vois ? Je suis parti en août et en septembre, je me suis inscrit en sixième. En un mois, j'ai appris le grec.

11. Est-ce qu'il y avait d'autres Albanais dans l'école où tu étais ?

12.

XXIII

Dans l'école, oui, il y avait aussi des Albanais qui ne voulaient pas parler albanais. Ils se considéraient comme des Grecs, je ne sais pas pourquoi. Mais dans mon quartier, j'avais un ami d'Himara. Il était un an plus grand que moi. Mais c'est très bien allé... Tous les cours c'était en grec, voilà.

13. Tu continuais à parler albanais avec ta famille ?

14. Oui, bien sûr.

15. Mais tu ne parlais pas albanais en dehors ?

16. Rarement... Quand il y avait des Albanais, avec ma soeur.

17. Mais avec les autres Albanais, non. Il y en a qui refusaient complètement de parler albanais...

18. Oui ! Parce qu'une minorité, qui s'appelle de l'Epire, du Nord de la Grèce, mais il y a des Albanais qui se considèrent Grecs. Je ne sais pas pas, pour les papiers peut-être. Les Grecs, ils n'aiment pas beaucoup les Albanais.

L...]

19. Donc tu as aussi appris le français en Grèce ?

20. Oui, mais je n'apprenais pas beaucoup.

21. Pourquoi ?

22. Je n'étais pas motivé parce qu'avec mes amis, on se moquait des mots en français.

23. Et comment tu voyais le français à cette époque ?

24. L'évaluation à l'école, c'était de 0 à 20. Et en français, j'avais 15 ! Non ! 14. Sur 20. Mais en anglais, j'avais plus. Ouais, j'avais 16 ou 17.

25. Et tu étais plus motivé à apprendre l'anglais ?

26. Non, même pas l'anglais ! En Grèce, je n'apprenais pas du tout. Dès que je terminais l'école, j'allais chez moi. Je n'ouvrais pas les livres. Le matin, je changeais les livres pour les cours de la journée.

27. Et pourquoi tu n'étais pas motivé ? Tu sais le dire ?

28. Parce que j'avais beaucoup d'amis, on faisait n'importe quoi. En plus, j'avais 13 ans, 14 ans, tu vois ? On voulait jouer, on voulait faire n'importe quoi !

29. Hum, hum. Tu rentrais en Albanie quelques fois sur tes quelques années en Grèce ?

30. Oui, on rentrait, on rentrait... Mais. Ca me manquait, parce qu'en Grèce, quand je suis allé la première fois, ils étaient très méchants avec moi et ma soeur. Comme on était des Albanais, on s'est disputé avec beaucoup de Grecs. Le temps qu'on s'adapte, qu'ils nous acceptent. Après, on a appris la langue, et on n'a pas eu de problèmes.

31. Tu t'es senti accepté à partir du moment où tu as commencé à communiquer en grec.

32. Oui.

33.

XXIV

Suffisamment bien ?

34. Mais même en Grèce j'avais des problèmes dans la classe. Parce qu'il y avait beaucoup de filles, des filles surtout. Des garçons qui nous disaient chaque jour « vous êtes des esclaves, vous êtes nuls, on vous nourrit, si on n'était pas là, vous seriez morts ! ». Et je les tapais. Mais taper, vraiment ! Il y avait aussi des psychologues à l'école et une fois, je me souviens... Parce qu'en Grèce, des fois, ils font des élections, pour le président de l'école et tout ça. Pour les étudiants, voilà. Et en maths, une fois, j'ai eu une meilleure note qu'un Grec. Et lui, il a fait n'importe quoi ! « Pourquoi le prof... ». Il a fait des grèves, il a tout fait contre moi. « Le prof a mis une meilleure note à l'Albanais. » Ah, c'était comme ça. Au début, c'était difficile pour moi, mais après j'ai connu mon ami albanais, et plus personne ne me disait plus rien.

35. (rires).

36. Oh ouais... Oui, mais il fallait se battre chaque jour ! En plus, je me suis inscrit en boxe, parce que je ne les supportais plus. Chaque jour, la même chose. Seulement « vous êtes ça, vous êtes ça ». Après, ils ne disaient plus rien.

37. J'imagine ! Donc quand ta famille t'a dit « On rentre à la maison, on rentre en Albanie », d'un côté, tu te sentais bien, c'est ce que tu disais...

38. D'un côté oui, mais de l'autre côté, j'avais mes amis là, j'étais habitué à la vie en Grèce, à Athènes. Et on est rentré, mais ici ça s'est passé pire qu'en Grèce, quand je suis rentré à l'école. J'avais des difficultés à parler en albanais, à m'exprimer, parce qu'imagine, quatre ans, en Grèce ! Les connards, ici à l'école, à la place de m'aider, ils se moquaient de moi. Parce que je m'habillais différemment, j'avais un sac à dos, mais ici, il y avait tout changé ! C'était pas comme j'avais laissé, le temps avant que je parte. Ils étaient très sérieux, ils s'habillaient avec des vêtements sérieux, des chemises, sans sac, tout ça... Avec un petit dossier ou ils laissaient les livres sous le banc. Ils ne prenaient pas avec eux. Moi, je m'habillais avec des vêtements de sport, c'était différent. Et je me sentais... Je me sentais mal, un peu, tu vois ? Je me sentais un étranger dans mon pays, voilà. Et ça m'a beaucoup influencé sur mon caractère. Pendant le cours, je savais la réponse, mais je ne répondais pas, parce que j'avais de la honte à parler. Je parlais avec l'accent grec... Mais quand c'était l'examen, je parlais beaucoup ! Le prof, il était surpris. Il disait « Il parle jamais, mais quand il écrit, c'est le meilleur ! ». Mais après ça a changé... Et en plus quand je me suis inscrit, j'ai perdu un an. Je devais m'inscrire ici en première année de lycée, mais je me suis inscrit ici en huitième, parce que de mon temps, l'école primaire, c'était 8 ans et 4 ans pour le lycée. Après, j'ai choisi d'étudier le français, parce que.

39. Qu'est-ce qui a fait que tu t'es inscrit dans le lycée des langues ? C'est toi qui as choisi ? Ce sont tes parents ?

40. Les deux, moi et mes parents aussi, on a décidé ça.

41. Qu'est-ce qui vous a fait décider ça ?

42. Parce que moi l'italien, déjà, je parlais. L'anglais un petit peu, je parlais aussi. Le grec, oui ! Et le français, comme j'avais fait en Grèce, j'avais quelques connaissances. Et j'ai dit en plus... Oui, j'avais des cousins en France, d'espérer, tu vois ? Qu'ils m'aident après.

43. Et à aucun moment donné la question d'aller dans un lycée général s'est posée ?

44.

XXV

Non ça a été le lycée des langues.

45. Tes deux parents étaient d'accord ?

46. Oui.

47. Et toi aussi ? Donc tout le monde était content.

48. Oui !

49. Donc tu as commencé au lycée des langues. Comment tu voyais ça, toi, aussi ? Tu avais déjà toutes ces langues que tu connaissais bien ou très bien, et apprendre encore en plus le français, tu le sentais comment ? Rappelle-toi ton premier jour au lycée I Comment tu te sentais ? C'était quoi le premier jour ?

50. Ah, j'étais stressé, beaucoup, j'étais timide. Parce que la première fois au lycée, tu vois ? Il y avait aussi les quatrième années, les plus grands là, je les regardais.

51. Et alors petit à petit, au fil de ta première année, comment tu voyais l'école ? Et comment tu voyais le français, en fait ?

52. Ah c'est... Ouais j'ai beaucoup aimé et ça m'a beaucoup aidé la Grèce. La méthode qu'ils utilisaient en Grèce, c'était mieux. Ca m'a beaucoup aidé, aussi la langue.

53. La méthode qu'ils utilisaient en Grèce, et ils faisaient comment en Grèce ?

54. Bah, c'est pas comme ici en Albanie, par exemple. Nous, on n'apprenait pas par coeur, là. Les profs nous expliquaient et on apprenait l'essentiel. Et tu vois, moi, en Grèce, même si je ne lisais pas à la maison, je pouvais faire un examen et avoir une bonne note. Mais j'étais attentif, pendant les cours, en classe, voilà. Je ne sais pas, ils avaient une autre manière didactique, c'était différent. Ca m'a beaucoup aidé, je pense.

55. Tu penses que la méthode qu'on a utilisée en Grèce pour enseigner le français et l'anglais, tu l'as prise et tu l'as utilisée ici.

56. Oui, c'est ça et je l'ai utilisée ici.

57. Et les profs en Albanie, alors, ils font comment pour enseigner les langues étrangères ?

58. Les profs se basent beaucoup sur le livre, c'est vrai ! Mais il y a aussi des bons profs qui donnent des choses extra, en dehors du livre. Mais ça, au lycée, j'ai pas eu de problèmes par rapport à l'apprentissage, mais dans l'évaluation. Elle me mettait jamais 10. Elle ne voulait pas accepter que j'étais le meilleur.

59. Pourquoi, d'après toi ?

60. Parce qu'il y avait aussi 5 autres filles dans ma classe et on était en concurrence. Moi, contre 5 filles. Et... Chaque fois, elle nous disait, elle nous donnait des devoirs, donc elle nous disait « Trouvez les nouveaux mots du texte ». Moi, je ne travaillais jamais avec le dictionnaire. Et quand j'allais à l'école, dans la classe, les filles elles avaient dans le cahier écrit. Moi, sans cahier, sans rien. Et elle me dit « mais pourquoi tu n'as pas fait ? » « Vous pouvez me demander, je vais vous répondre ! Si je ne vous réponds pas, vous me mettez 4 ! » Et il y avait un mot d'origine grecque en plus ! Et c'était le mot « xénophobe » en plus, ou je ne sais pas. Quelque chose à faire avec cela, tu vois ? Et elle m'a dit « Qu'est-ce que ça veut dire ça ? » Mais j'avais pas écrit et elle pensait que je n'allais pas répondre !

XXVI

Elle ne savait pas que je parlais grec, que j'avais vécu en Grèce ! Et je lui dit ça, ça, ça, je lui donne la définition, et elle me dit « Non, ce n'est pas ça ! Tu n'as pas trouvé. » Je lui dit « Ah ok, vous pouvez chercher dans le dictionnaire ! » Même les filles, elles étaient contre moi, parce qu'elles n'avaient pas trouvé ce mot, parce que, je ne sais pas, je pense que c'était dans un autre texte qu'elle a lu. (rires) Et ensuite dans l'autre séance, on se réunit avec l'autre groupe, parce qu'on était séparé en deux groupes. Et la prof a pris le dictionnaire et en lisant, sa couleur de peau a changé, elle était toute rouge. Et après elle a dit, pas à moi, aux filles, il a raison (rires).

61. Et à partir de ce jour-là, elle a changé, elle a porté un autre regard sur toi ?

62. Non, elle m'a toujours mis 8, pendant trois ans, plus que ça.

63. Et finalement, tu penses que tu as appris le français par l'école, ou par un autre moyen ? Ou les deux ?

64. Les deux, mais à part l'école, j'ai appris surtout sur la grammaire et sur les choses comme ça, sur la syntaxe, la structure des phrases. Mais par Internet j'ai appris le reste. Donc à l'école, j'ai appris 30%, sur Internet, 70%.

65. Qu'est-ce qui t'a amené à faire ces efforts-là ? Qu'est-ce qui t'a amené à apprendre plus sur la langue française ? Est-ce qu'il y a quelque chose en particulier ?

66. Bah, je sais pas, d'un coup, j'ai beaucoup aimé la langue française et je voulais apprendre plus de choses sur la France, pas seulement la langue. Parce que quand on apprend la langue, on n'apprend pas seulement la langue, mais on apprend sur la culture, l'histoire du pays, sur les peuples. Tout. Internet, c'était le moyen, donc, où il y a les nouveautés récentes, sur ce qui se passe en France.

67. A l'école, tu avais le sentiment qu'ils n'abordaient pas du tout cet aspect-là ?

68. Non. Même on avait des méthodes très anciennes, des années 80 : Le Nouveau Sans Frontières.

69. Et tu avais une stagiaire au lycée ?

70. Non, pas de stagiaire. Mais à chaque fois qu'il y avait un français, ou des activités francophones, on était toujours présent. Seulement quand il y avait Mélanie, je me souviens.

71. Mais ça, tu étais à l'université ?

72. Non. J'étais au lycée. Seulement, on a... Elle faisait une soirée, on prenait un café et elle parlait des livres, je ne sais plus quoi... Mais même là quand je suis allé, il y avait un garçon de ma classe et les autres, c'était des étudiants. On est allé là, et tous on parlait et moi j'étais le dernier. Seulement j'écoutais, j'écoutais, j'écoutais et à la fin, quand je parlais, elle restait comme ça : « Oooh ! ». Elle ne s'attendait pas à ça.

73. Et il y avait beaucoup de gens qui venaient à ces réunions ?

74. Oui, à ce temps-là, il y en avait. On était 12, 15 !

75. Et tout le monde participait, tout le monde parlait ?

76.

XXVII

Oui, tout le monde ! Et je me souviens bien, le thème qu'on discutait « Est-ce que les livres électroniques vont remplacer les livres en papier ? » Et tout le monde participait.

77. Et après, c'était naturel de continuer le français à l'université, est-ce que c'était une suite logique ? Ou est-ce qu'à un moment donné, tu as eu envie de faire autre chose ?

78. Ouais, non, c'est que moi qui a choisi le français comme premier choix.

79. Tu voulais continuer le français ?

80. Oui.

81. Pourquoi ?

82. Pour aller en France !

83. Et tu pensais que faire une licence de français à l'université, ça t'aurait permis, ça t'aurait aidé pour aller en France ?

84. Oui, bien sûr.

85. Dans quelle mesure ? Comment tu imaginais ça ?

86. Je sais pas... Regarder, voir Paris, d'autres villes, les Français, connaître du monde.

87. Tu pensais que toi, tu serais parti comme ça en France, ou ?

88. Bah comme ça, non, mais je sais que, je croyais que je pouvais y aller...

89. D'accord, est-ce qu'à l'université, comment ça s'est passé ensuite ?

90. A l'université, c'était différent. C'était mieux, je pense.

91. Pourquoi ?

92. Parce qu'on avait toutes les matières en français. Grammaire, phonétique, histoire de France, beaucoup de matières, culture, tout.

93. Et le niveau dans la classe, il était comment, à ton époque, comment est-ce que tu trouvais les autres étudiants ?

94. En général, nous, on était six, on parlait plus, le reste, il dormait.

95. Et est-ce qu'il y a des gens comme ça qui sont passés d'une année à l'autre sans parler un mot, sans comprendre ?

96. Bien sûr ! Ils ont même un Master maintenant !

97. Et qu'est-ce que tu penses de ça ? Là, c'est le moment de te lâcher !

98. C'est pas bien, parce que ces gens-là, ils peuvent trouver un travail avant moi. Et qu'ils sont pas du tout capables de faire le travail.

99. Qu'est-ce que tu penses qu'il faudrait faire pour changer ça ?

100. Je pense qu'il faut être, qu'il faut pas... Parce que même les professeurs ils ne
sont pas libres de les faire passer d'une année à l'autre. Ils ont peur que le français disparaisse, comme branche. Ca, c'est pas mieux comme raison, d'avoir 10 étudiants, que de faire passer 30 ou 40 qui sont nuls, ils ont aucune valeur. Il y

XXVIII

a beaucoup d'étudiants qui ne viennent pas du tout en cours, et ils ont le diplôme à la fin.

101. Et pourquoi tu penses que les profs font ça, malheureusement, d'année en année ?

102. Bah, je t'ai dit, ils ont peur qu'ils restent sans travail, ils veulent continuer leur
travail. Moi, je ne peux rien faire, je n'ai pas le pouvoir de changer quelque chose. Je ne sais pas pourquoi ils ne donnent pas d'importance au français, ils donnent plus d'importance à l'anglais.

103. Pourquoi tu penses que c'est important de parler français ?

104. C'est important parce que c'est une langue qu'on utilise beaucoup dans le
monde.

L...]

105. Est-ce que tu parles français avec d'autres gens ici en Albanie ?

106. Bah je parlais avec un ami à moi, il est de Cerrik. Mais il m'a abandonné, il avait des problèmes avec sa famille, on ne se parle plus. On ne se parle plus, donc... Des fois, avec EB, mais pas beaucoup. Mais ils veulent pas, ils disent « On est en Albanie, pourquoi parler français ? »

107. Mais quand tu regardes la télévision en Albanie, c'est ce que me disait EB hier soir : « Moi, zysh, je comprends pas, parce que quand tu regardes la télévision, il y a des Albanais qui mettent des mots en italien, comme ça, complètement par hasard dans leurs phrases, pour se donner un style, un genre »...

108. Oui, c'est vrai, on utilise beaucoup des mots des autres langues. Mais ce n'est pas bien, ça parce que les jeunes, les enfants, ils écoutent ça, et ils n'apprennent pas bien leur langue maternelle.

109. Mais une langue, ça évolue ?

110. Oui, ça évolue, la langue, mais pas prendre des mots de l'italien. Ca, c'est pas évolution.

111. Tu penses que c'est une espèce de trahison à la langue, que c'est ne pas respecter la langue ?

112. Ils ne savent pas respecter la langue, ici.

113. Pourquoi ?

114. Parce que même quand j'ai fait mon stage, j'ai fait une petite dictée à la sixième classe, et c'était bizarre, beaucoup de fautes en albanais, beaucoup, beaucoup...

115. Ah tu as fait une dictée en albanais ?

116. Ils ne savaient pas écrire en albanais.

117. Je trouve pourtant que l'albanais, c'est une langue qui est très facile à écrire.

118. C'est très facile, parce que c'est comme on l'écrit, on le lit, voilà. Mais il y a d'autres raisons, je pense. Parce que les familles, quand j'ai fait mon stage, aucun parent n'est venu se renseigner pour son enfant, comment il va avec ses études, avec la langue, comment il avance. Et comme ils le savent déjà, les enfants, que

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leurs parents ne vont jamais venir, ils s'en fouttent, ils sèchent, ils n'apprennent pas, ils disent « nan, je m'en fous ». En plus, ils ont une mentalité un peu, je sais pas. Ils ne pensent pas à ce qu'ils vont devenir, leur futur, mais je pense que c'est la famille, en plus le pays. Les hommes politiques ici, ils sont tous des voleurs. C'est très dur. Il y a d'autres facteurs, je pense, qui influencent sur l'enseignement. Parce que la langue, on peut l'apprendre facilement, c'est facile. Même la grammaire, oui, c'est difficile, mais ton cerveau, il est fait pour apprendre. Mais je te dis, c'est la génération d'aujourd'hui (rires). Mais c'est la technologie, aussi, je pense.

119. Et qu'est-ce qu'elle fait la technologie ?

120. Bah tu vois, tous les enfants, ils ont un I-Phone maintenant. Et les dessins animés aussi, maintenant, ils sont tous en albanais, doublés. Et dans mon temps, à la fin, il y avait un message. Mais maintenant, je regarde, c'est nul, il n'y a rien à apprendre. Il y a seulement pour rigoler, ils veulent que rigoler. Ils ne veulent pas apprendre. Et pour les langues, ils ne sont pas motivés à l'école. Et le français, c'est difficile. Premièrement, je pense, pour la prononciation, les nasales et tout ça. Mais, malgré ça, je pense que ce n'est pas une langue à détester, à ne pas apprendre. Mais. Je pense qu'il faut étudier une autre langue. Moi, par exemple, comme deuxième langue, j'ai pris allemand, parce que je connaissais déjà l'anglais. Au lycée et à l'université, ça fait 7 ans. L'espagnol, je l'ai appris aussi à la télé, en regardant les téléfilms mexicains. Le portugais, je te dis, parce que je joue à un jeu. Je ne le parle pas très bien, mais pour l'écrire, je parle avec eux, ce n'est pas un problème.

121. La musique française, est-ce qu'on entend de la musique française, en Albanie ?

122. Non ! (rires). Quelques chansons, comme Garou, comme Lara Fabian, Céline Dion. Stromae, un petit peu, mais on ne l'écoute pas, parce que c'est en français et parce que c'est le rythme, la musique, c'est pour ça, Stromae. Et en ce qui concerne l'apprentissage des langues étrangères, quand il y a un étranger, ils sont timides, ils ne veulent pas parler avec eux. Parce qu'à chaque fois qu'il y a des étrangers, des amis à moi, ils me disent « Oh, il y a un étranger ». Ils ne vont pas lui demander s'il sait parler, je ne sais pas pourquoi. Et c'est peut-être pour ça que ça ne les intéresse pas d'apprendre la langue. Mais moi, je suis un cas particulier, parce que j'ai vécu en Grèce, déjà. Moi j'aime beaucoup la langue grecque, parce que ça m'a beaucoup aidé. Mais ici, si tu dis à un Albanais, « Je vais t'apprendre le grec, gratuit, tu ne vas rien payer ». Ils ne veulent pas.

123. Pourquoi ?

124. Parce qu'ils disent « Oh, je déteste les Grecs ! ». Voilà.

125. Est-ce qu'il y a une montée d'identité nationale ?

126. Oui, ça aussi, mais... Apprendre une langue, ça ne veut pas dire trahir ton pays. Parce que tu vois, moi, j'ai passé mon adolescence, c'est à dire le moment où un enfant crée son caractère, et tout, en Grèce, c'était différent ! Et l'Albanie est trop petite dans le monde, il y a beaucoup d'autres pays dans le monde qu'il faut aller visiter, des choses qu'il faut voir, regarder... En plus, c'est une facilité pour entrer en contact avec d'autres pays, avec d'autres gens. Je ne sais pas pourquoi ils ne sont pas motivés. Quand on a fait une matière, traduction, je pense, il y a un prof qui nous a dit « les langues sont comme des armes pour

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l'être humain ». Ca aide beaucoup comme un as caché dans sa manche. Peut-être pour le moment, je n'ai pas trouvé un travail, mais, ça sera plus facile pour moi que pour un autre qui ne parle pas la langue. Par exemple, si je vais dans un autre pays, ça sera plus facile pour moi, que pour un autre. Et si tu connais la culture, c'est un plus, pas seulement, la langue, tu vois ? Quand je parle français, c'est mieux pour moi de parler français chaque jour, que de parler en albanais.

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Annexe 11 - Interview informateur 03-R

Interviewer : Amélie Gicquel

Note de lecture : 1 personne interviewée. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique et les réponses en caractères standards. Certains extraits ont été retirés de l'interview reportée ici car pas en aucune adéquation avec le thème traité. Cet entretien a failli ne pas être retenu parce que l'informateur a été très impressionnée par la présence de l'enregistreur, qui l'ont amenée à formuler des réponses contradictoires au sein du même entretien. Il a finalement été gardé à titre d'illustration de la bonne volonté dont ont fait part certains informateurs au sujet de l'image que les étrangers peuvent avoir de l'Albanais, et certains aspects d'un discours qui revenait régulièrement, comme au sujet des représentations vis-à-vis de la facilité pour les Albanais d'apprendre les langues étrangères.

Profil de l'informateur :

Profession : féminin, ancienne étudiante au moment de l'entretien, Master en enseignement du français terminé non obtenu, pas de projet de passer le niveau B2 en anglais et le stage obligatoire / travail dans plusieurs centres d'appel en français Expérience de vie à l'étranger : aucune / expérience touristique deux semaines en France

Formation initiale : post-communisme

1. Alors, DA, elle a fait un Master de français ?

2. Oui.

3. Et elle avait des 8 et des 9 ?

4. Oui, un peu.

5. Et comment elle avait des 8 et des 9 ?

6. Elle en avait un peu, des 10, des 7.

7. Oui.

8. Parce qu'elle a eu des connaissances avec le staff pédagogique, d'abord, et le staff l'accueillait beaucoup, parce qu'ils connaissaient le père de DA, il est directeur. Puis, moi je l'aidais, pour faire les examens. Ca veut dire que je lui racontais toutes les questions, des, des réponses ou je prenais la feuille de papier et je faisais l'examen.

9. Vous étiez combien dans votre classe de promotion ?

10. En première année, on était 74. Le premier groupe était celui qui avait déjà étudié, par exemple, au lycée. Le premier groupe, c'était le meilleur entre guillemets, et puis, l'autre groupe, c'était avec des débutants. Et puis elle est entrée dans le groupe des débutants. Mais c'était bien parce que d'abord, la première année, ils ont fait un très bon travail. Dans le sens que, ils étaient, le staff était heureux parce qu'ils étaient le plus grand nombre des étudiants de toutes les autres années et de cette manière, ils ont profité pour les faire entrer, quelques fois même ils les ont obligés, psychologiquement, de prendre des cours,

XXXII

des faire des cours à l'Alliance Française, même quand les étudiants ne voulaient pas, parce que de cette manière, ils étaient sûrs qu'ils pourraient passer dans les examens.

L...]

11. Oui. Et alors avant ça, tu me disais. Donc je t'expliquais ce que je voulais faire pour mon mémoire. Je voulais, je veux faire une étude du plurilinguisme en Albanie, c'est à dire, ces Albanais, qui parlent plusieurs langues étrangères et qui... Je pense I Qui n'apprennent pas toujours ces langues étrangères à l'école... Les Albanais ne peuvent jamais apprendre les langues étrangères, chaque type de langue étrangère à l'école. Les raisons pourquoi, c'est les professeurs ne font pas un bon travail, dans le sens que, quelquefois ils n'ont pas les bonnes capacités, soit à l'école primaire, soit au lycée, soit à l'université. Même quand ils ont des capacités, ils ne veulent pas parce qu'ils veulent avoir des cours privés avec les étudiants. Pour cette raison, c'est une manière pour les obliger d'aller faire des cours avec les professeurs. Même quand ils font la plus petite partie. La plus petite partie des professeurs qui travaillent vraiment bien, ils, euh... Le problème, c'est qu'ils expliquent beaucoup, mais quelquefois, c'est la négligence des enfants. Mais quand même, euh, une langue étrangère ne peut pas être apprise très très très bien à l'école. Une exception fait le lycée des langues étrangères. Si un étudiant veut apprendre très bien la langue, c'est au lycée des langues étrangères, non au lycée général. Seulement au lycée, moi par exemple, je prends mon cas, parce qu'il te suffit seulement un cas, euh... Même un seul cas te suffit pour faire, euh, pour avoir une conclusion. Moi j'ai fait des cours avec prof HD, qui était la meilleure, la plus préparée de tous.

12. Tu avais étudié le français avant ?

13. J'avais fait des cours privés. Je n'avais pas étudié à l'école, mais ma mère était fixée pour apprendre beaucoup de langues. J'ai étudié seulement l'anglais à l'école primaire. Et HD a fait un très très bon travail, c'est vrai qu'elle nous terrorisait tout le temps, mais elle a fait le meilleur travail. C'est vrai qu'elle nous obligeait d'apprendre le vocabulaire par coeur.

14. Tous les jours, elle vous donnait des mots de vocabulaire à apprendre ?

15. Oui, oui. Et en même temps, on devait respecter l'ordre des mots ! Oui ! Elle me sortait tous les jours au tableau. Même si je mettais un mot moins, par exemple 30 mots, han ! « Tu as oublié un seul mot ! ».

16. Elle vous donnait 30 mots de vocabulaire à apprendre ?

17. Oui !

18. Trente mots ? Par jour ??

19. Tu connais le Nouveau Sans Frontières ? Le livre...

20. Oui, oui, je connais.

21. Tu sais les tableaux ?

22. Oui.

23. Tu sais les vocabulaires ? Avec beaucoup de mots ? Des petits mots, mais il y a beaucoup de mots. Difficiles, pour les véhicules, et caetera, pour ce type de

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choses. Et on devait tout apprendre, même les parties de la, les pièces de la voiture. On devait tout apprendre. Mais personne n'apprenait, hein !

24. Et vous avez travaillé avec le Nouveau Sans Frontières 1 ? 2 ?

25. 3 ! Et puis à la fin, à la quatrième année, c'était un type... je n'ai pas compris comment il s'appelle, seulement des textes.

26. D'accord... C'était des textes, des dialogues par exemple ?

27. Oui même des dialogues, plutôt des textes qui n'étaient pas agréables.

28. Pourquoi ?

29. C'était seulement pour pratiquer la langue.

30. D'accord.

31. Mais euh, elle a fait vraiment un très bon travail même avec la grammaire.

32. Mais c'est vrai que c'est une prof qui est très bien préparée, super bien préparée, j'aime beaucoup beaucoup zysh XhD.

33. Oui. La grammaire qu'elle nous apprenait, c'était parfait. Oui.

34. D'accord. Tu penses vraiment qu'il y a que au lycée des langues étrangères que tu peux vraiment bien apprendre une langue ?

35. Il y a même des exceptions, par exemple, il y a même ici, aux lycées généraux, des bons profs ou des familles qui sont très intéressées pour emporter les enfants aux cours privés, pour apprendre, et caetera. Mais, parce que moi aussi j'ai eu des cas, des étudiantes qui sont venues avec moi pour faire des cours sur la langue française aux lycées généraux et elles étaient très préparées. Mais ce que je veux dire, c'est que les Albanais en général ont ce type de don naturel pour les langues étrangères parce que c'est l'alphabet qui les aide. Puisqu'on a 36 lettres, on a la possibilité de s'adapter directement aux phonèmes, la phonétique et tout ça. Parce que vous, en français, en italien, et caetera, et caetera, vous avez pas les mêmes, vous n'avez le /c/, mais vous n'avez pas les lettres, quelques lettres comme nous, des lettres doubles, par exemple... /sh/, /dh/, oui. D + H, S + H. Ca nous donne la possibilité d'articuler plus facilement.

36. C'est vrai, c'est vrai.

37. Pour cette raison. Imagine que la plus grande partie des Albanais, presque 90% connaissent la langue italienne.

38. Tu es sûre de ce nombre ? 90% ?

39. Oui ! Par la télévision, seulement par la télévision. Par exemple, moi je l'ai apprise par la télévision. Directement, par la... Quand j'étais petite, presque 10 ans, je regardais les films, comment s'appelle. Non seulement les chaînes télévisées d'Italie. Mais je regardais aussi les telenovelas, je sais pas, « soap operas ». Elles sont très répandues dans toute l'Albanie. J'étais petite et quand euh... je regardais presque une heure et puis plus tard, je regardais deux ou trois heures et d'autres émissions télévisées. C'est comme ça que je l'ai apprise. Seulement, seulement par la télévision. Oui. Eh, c'est comme ça. Même la plupart des Albanais apprennent l'italien. Seulement de cette manière.

40.

XXXIV

Mais il y a quand même des étudiants qui apprennent des langues étrangères à l'école !

41. Oui, à l'école, mais ce n'est pas le meilleur résultat pour avoir, euh... Non, c'est pas. Ce n'est pas à cause de ces choses que je t'ai dites. Parce que les professeurs... Il y a trois ou quatre types de catégories...

42. Alors dis-moi les catégories !

43. La première, c'est qu'ils ne sont pas préparés. Ils ont pris les diplômes et ils ont acheté les diplômes ou ils ont des personnes qu'ils connaissent, ils ont eu le travail grâce à ces personnes-là. [...] Il y a beaucoup d'étudiants dans la langue française, qui sont complètement sans travail. Qui ne sont jamais allés en France, même seulement pour plaisir. Et qui ont participé même pendant les activités francophones ! Alors pourquoi je ne dois pas apprendre si je ne suis pas motivé ? Pour moi, c'est mieux : acheter un diplôme d'une autre branche, et je sais que demain, je vais avoir, un type de poste de travail plutôt qu'étudier pendant beaucoup d'années, beaucoup de jours, comme moi, sans dormir ! Et où je suis ? Sans travail dans ma profession.

44. Oui, dans ta discipline.

45. Oui, dans ma discipline. A quoi ça sert ? Parce que pour les autres étudiants étrangers, ça peut être un peu difficile d'apprendre les langues étrangères. Mais nous, les Albanais, on n'a pas ce type de problème. Pour nous, c'est seulement la motivation, parce que nous, on arrive à apprendre très vite les langues, en général.

46. Mais pourquoi, à ton avis ? Quelle motivation, en fait ? Qu'est-ce qui motive les Albanais à apprendre les langues étrangères ? Vous avez un système phonologique qui c'est vrai, vous permet d'adopter rapidement la phonologie et la phonétique de telle ou telle langue étrangère. Je pense aussi que vous avez une grammaire qui est très difficile. Ca peut peut-être vous... Je pense peut-être, je ne sais pas... Les grammaires des langues étrangères sont plus simples...

47. Oui, parce que le problème, quand on compare notre grammaire avec la grammaire anglaise, ça nous paraît complètement facile. La grammaire française est très difficile, mais puisque nous connaissons la grammaire italienne, qui est presque la même que la grammaire française. Je ne peux pas dire 100%, mais... Ca nous aide ! Ca nous aide beaucoup, ça nous aide beaucoup. Et en plus, il y a toujours le rêve européen, de rentrer dans l'Union Européenne, pour apprendre beaucoup de langues étrangères, pour cette raison qu'on aime ça.

48. Et tu penses que si le peuple albanais apprend plus de langues étrangères ou mieux les langues étrangères, tu penses que ça peut donner une bonne image à l'Union Européenne ? Pour accepter l'Albanie, des choses comme ça ?

49. Peut-être, mais c'est...

50. Dis moi ce que tu en penses, en fait, je ne sais pas...

51. Non, ce n'est pas seulement ça. Si on fait une comparaison, par exemple, avec d'autres pays, par exemple, qui n'apprennent pas des langues étrangères. Par exemple, euh...

52. Comme la France !

53.

XXXV

Oui, comme la France, comme l'Italie et caetera, et caetera. Et imagine, ça n'influence pas. Je suis certaine que sans, ou même avec l'Union Européenne, les Albanais vont continuer à apprendre les langues étrangères.

54. Pourquoi, alors ?

55. Parce que d'abord, c'est un don naturel, c'est un don naturel. Ils sont, euh...

56. Vous êtes génétiquement programmés à (rires) ...

57. Ils sont très capables à écouter, à articuler, et à prendre l'information.

58. Est-ce que tu penses qu'il y a des Albanais qui refusent d'apprendre des langues étrangères ?

59. Oui, ça se donne par la famille aussi. La raison, le résultat qui montre que les Albanais apprennent beaucoup de langues étrangères, ou qu'ils parlent au moins une langue étrangère, c'est, euh, les call centers, ils sont répandus dans toute la ville. Surtout à Tirana. Imagine 183 call centers.

60. 183 call centers ?

61. Et imagine, le nombre de jeunes qui travaillent. Même des nombres de gens qui ne sont pas déclarés, il y a au moins 1 million de jeunes qui parlent une langue étrangère. La langue étrangère la plus répandue, c'est l'italien, et puis c'est l'anglais, l'espagnol, surtout l'espagnol. Parce que c'est aussi l'espagnol est très répandu, surtout à Tirana, dans la capitale. C'est très très répandu.

62. 1 million de jeunes, mais tu as trouvé ça où, ce chiffre ?

63. Oui, parce que 6,000 jeunes sont employés dans les trois call centers les plus connus de Tirana. Seulement dans trois.

64. 6,000 jeunes ?

65. Oui, imagine combien d'autres jeunes avec tous les autres call centers qu'il y a à Tirana, qui ne sont même pas déclarés. Et fais le calcul, ça c'est seulement pour la capitale. Fais le calcul, à Shkodra, Elbasan, des centres d'appel, des call centers, à Vlora, à Durrës, et caetera, et caetera. Combien de jeunes savent ou connaissent une langue étrangère ? Peut-être non parfaitement, ça n'a pas d'importance.

66. Non, bien sûr.

67. Ca n'a pas d'importance. Et puis, imagine les années précédentes, tous se sont contentés d'une seule langue étrangère, l'italien. Maintenant, presque tous les jeunes arrivent à communiquer en italien, et maintenant ils disent « ah, c'est complètement nul ! » c'est très facile pour l'apprendre. Même l'anglais ça doit être très facile. A Tirana, la plupart des gens parlent même l'anglais. L'anglais a commencé à se ...

68. Se répandre ?

69. Oui, à se répandre, comme l'italien. Non à 100%, mais ça a commencé. Il y a beaucoup de gens qui parlent l'anglais. Ca, c'est vrai. Tu imagines, pour le français, c'est un peu difficile. Pour le français, c'est difficile. Pour l'espagnol, c'est facile. Après l'anglais, c'est l'espagnol. Ce sont les trois langues les plus répandues.

70. Et pourtant, on n'apprend pas l'espagnol dans les universités.

71.

XXXVI

On n'apprend pas, mais grâce à la télévision. Parce qu'il y a beaucoup de ressemblance avec l'italien. Moi-même, j'ai appris quelques mots en espagnol. Ils ont commencé même à faire des cours. Mais moi par exemple je veux faire des cours privés pour apprendre l'espagnol, parce que c'est très facile pour l'apprendre.

72. Quand on connaît l'italien et le français, franchement, l'espagnol n'est vraiment pas loin.

73. C'est presque la même chose par rapport à l'italien. Et en plus les Albanais aiment beaucoup l'espagnol et l'Espagne, parce que c'est un pays très chaud, des jeunes.

74. Avec un style de vie qui est très similaire à l'Albanie. C'est la Méditerranée, c'est tout ça.

75. Nous, on aime beaucoup l'Italie. On aime beaucoup l'Espagne, ce type de... La Grèce ! Il y a beaucoup d'émigrés. A part le fait qu'on a des problèmes politiques, et caetera, et caetera. Mais en général, on n'a pas de problèmes. Il y a beaucoup de jeunes et de gens qui connaissent la langue et la Grèce.

76. Moi j'ai vu qu'il y avait aussi une série turque à propos d'un sultan, Mehmet II, ou je ne sais plus comment il s'appelait. Tu connais ça, c'est quoi ? Tu sais ce que c'est, c'est une série...

77. Oui, il y a quelques années, il y avait beaucoup de séries avec la langue turque. Nous, on aime aussi beaucoup la Turquie, puisqu'on a été envahi pendant cinq cent années, on connaît même beaucoup de mots qui sont utilisés même aujourd'hui, et c'est normal.

78. « Tamam », « shyqyr »...

79. Oui, et c'est normal et nous, on aime parce qu'aussi les Turcs nous aiment. Quand les Albanais vont en Turquie, ils adorent les Albanais, ils les accueillent très bien. Mais pour nous, c'est un peu plus difficile d'assimiler la langue turque que l'espagnol ou l'italien. C'est un peu plus difficile. A part qu'on connaît quelques mots, et caetera, et caetera, mais ça ne suffit pas pour communiquer bien, comme en italien ou en espagnol, et caetera.

80. Et on voit le turc à la télé ?

81. Oui beaucoup parce qu'ils ont les mêmes coutumes, les mêmes traditions que nous. La manière comme ils mangent, la manière comme ils se comportent, les jugements, euh...

82. Certaines traditions ?

83. Oui, certaines traditions.

84. Oui, vous avez été sous l'influence ottomane pendant cinq siècles, vous avez forcément été influencés par les Ottomans. Et il y a beaucoup d'Albanais qui émigrent, et ça, je ne sais pas du tout, il y a beaucoup d'Albanais qui émigrent vers la Turquie par exemple ?

85. Beaucoup d'étudiants plutôt, beaucoup d'étudiants, qui, que, vont en Turquie pour étudier. Il y a plutôt des jeunes. Moi je connais des jeunes qui sont allés en Turquie, pour étudier.

86.

XXXVII

Ils sont restés là bas ou ils sont revenus ?

87. Non, ils sont même restés là bas. Ils aiment la Turquie, parce que je t'ai dit que les Turcs se comportent même très bien avec les Albanais.

88. Il y a toujours eu une bonne relation finalement entre l'Albanie et la Turquie ?

89. Oui, il y a une très bonne relation. Ce n'est pas qu'il y a un grand nombre des Albanais qui vivent là bas, comme en Italie et en Grèce. Ca veut dire aussi de la manière dont un pays te crée les conditions pour te sentir bien, par exemple, nous on sent que l'Italie, ce n'est pas que l'Italie a la meilleure opinion pour nous. Mais quand même, ils sont habitués avec nous, nous sommes voisins. Même les Grecs, il y a des Grecs qui sont habitués avec nous. Ainsi, ça dépend. Mais la France, c'est plus difficile. Ainsi que d'autres pays, l'Angleterre.

90. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu veux rajouter ? Spontanément ? Qu'est-ce que tu penses de la langue française, toi ? Oublie que tu as une zysh française en face de toi, qu'est-ce que tu penses ?

91. Moi, j'ai toujours dit que j'adore le français, mais je n'aime pas la France. Je l'ai toujours dit. J'adore le français, comme langue, je l'aime beaucoup. J'ai beaucoup de, je ne veux pas dire comme les autres étudiants « oh pourquoi j'ai appris la langue française », pas du tout. Ca m'a servie dans mon travail que je fais, au centre d'appel. Je suis certaine que ça va me servir dans un futur, parce que, à part les autres choses, les obstacles que les autres peuvent te faire, qui est un bon étudiant sera toujours un bon étudiant. Peut-être il ne va prendre les mérites maintenant, mais dans quelques années, oui. Moi je vais continuer à investir, pour la langue française, encore pour les années prochaines, même comme langue. Mais je n'aime pas du tout le fait que les Français ne sont presque rien. Je veux dire par « rien » qu'ils ne font rien pour investir pour la Francophonie, pour la langue française. Et ici la situation, ici à Elbasan, est... dramatique ! Parce que je pense que la langue française est dans son déchet total.

92. Dans sa déchéance totale ? Parce que « déchet », c'est « ordure », c'est les poubelles (rires)

93. Non non, dans sa, oui, quand on, euh...

94. Dans sa chute ?

95. Dans son échec, c'est vraiment, c'est désolé. C'est vraiment grave la situation. Ou il faut prendre, il faut prendre des mesures et on inverse comme ça la situation, sinon le français va se disparaître, petit à petit et c'est vraiment dommage parce que les profs albanais n'ont pas l'influence maximale envers les étudiants, parce que les étudiants savent, ils n'arrivent pas entre guillemets à respecter le rôle ou l'image du prof albanais, « ah c'est un prof albanais qui s'en fiche du français » et caetera. Quand ils sont en face d'une stagiaire française, à ce moment-là, ils ont plus de respect, parce qu'ils pensent « ah, ça vient de France », et caetera et caetera « peut-être ça va me donner la possibilité d'apprendre plus vite le français, on va communiquer »...

XXXVIII

Annexe 12 - Interview informateurs 04-G & E Interviewer : Amélie Gicquel

Note de lecture : 2 personnes sinterviewées indiquées par une lettre les désignant en début de prise de parole. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique et les réponses en caractères standards. Certains extraits ont été retirés de l'interview reportée ici car pas en aucune adéquation avec le thème traité.

Profil de l'informateur G :

Profession : masculin dans le domaine du tourisme, Master en communication et en tourisme obtenu

Expérience de vie à l'étranger : aucune / quelques séjours touristiques à l'étranger Formation initiale : post-communisme

Profil de l'informateur E :

Profession : féminin, Master en communication et en tourisme obtenu, différents emplois dans l'enseignement et les centres d'appel

Expérience de vie à l'étranger : aucune / quelques séjours touristiques à l'étranger Formation initiale : post-communisme

Informations relevées à partir de notes, désir exprimé de ne pas être enregistré.

1. La première fois que tu as entendu la langue française ?

2. G - ma grande soeur apprenait le français à l'école, et elle révisait avec une camarade de classe.

3. Quand as-tu commencé à apprendre le français ?

4. G - En 5ème classe, obligatoire en deuxième langue dans son école (en 1997, j'avais 10 ans, c'était pendant la guerre civile).

A été aux classes d'été organisées par l'association NECAL.

A suivi des cours privés.

5. Quelle est ta première langue ?

6. G - Anglais en 3ème classe.

7. Quelle était ton opinion pour le français avant de commencer, ou au début de ton apprentissage ? A-t-elle changé ?

8. G - C'était « la langue des dames », et quand j'ai appris que c'était aussi la langue de la justice, j'ai changé d'avis et j'ai commencé à aimer cette langue. On disait que c'était une langue difficile par rapport à l'anglais, mais ça restait à la mode.

9. Avec quelle méthode as-tu appris le français ?

10. G - Avec Mauger, c'était une bonne méthode, on apprenait beaucoup de lexique et de grammaire. Puis avec le Nouveau Sans Frontières.

11. Et tu as continué au lycée des langues ?

12. G - Oui, à l'époque, les langues étrangères étaient à la mode, et pour entrer dans la section bilingue français / albanais, il y avait un concours très difficile ! Pour

XXXIX

120 candidats pendant mon année, il n'y avait que 30 places. J'ai fini à la troisième place, mais je considère que j'étais le premier. Les deux premières places avaient été remportées par deux filles, mais elles avaient eu des cours privés avec BT, et elle connaissait les questions du concours. Donc j'ai remporté la première place des gens qui ont étudié honnêtement.

L...]

13. Et ensuite, tu as continué tes études de français à l'université ?

14. Oui, c'était naturel pour moi. J'aimais vraiment la langue et la culture françaises.

15. C'est quoi un prof pour toi ?

16. G - quelqu'un qui te cultive. Un prof, c'est quelqu'un qui cultive des générations.

17. E - quelqu'un qui prend toutes ses responsabilités.

18. Et tu penses que ça a changé ?

19. G - Oui, à l'époque, c'était mieux. Les profs étaient mieux. Mais c'est aussi à cause des enfants, on ne peut pas rejeter toute la faute sur les enseignants.

20. Et pourquoi penses-tu que le français n'est pas très populaire ?

21. G - L'Albanie n'a pas d'intérêt politique, ou géopolitique. Ce n'est plus qu'une question d'économie aujourd'hui. Et puis, c'est aussi le problème des bourses, l'ambassade n'en accorde presque pas et ce sont seulement les profs ou leurs amis qui les obtiennent. A notre époque, à l'université à Tirana, il y avait un échange entre deux étudiants de l'université de Montpellier et de Tirana. Maintenant, c'est avec l'université de Clermont-Ferrand.

22. Et vos parents étaient favorables à ce que vous appreniez le français ?

23. G - Ah oui, ils pensaient que ça nous donnerait du travail. Maintenant, ils pensent qu'ils ont fait une erreur. A l'époque, les entreprises étrangères commençaient à arriver, on pensait qu'en apprenant les langues étrangères, on pourrait trouver du travail plus facilement. Même aujourd'hui, mais c'est différent.

24. E- Moi, tu imagines, j'avais 14 ans quand je suis partie de ma ville, j'étais petite et j'ai changé de ville pour apprendre le français, c'est que mes parents pensaient vraiment qu'on pouvait trouver du travail.

25. Et pourquoi vos parents vous ont-ils orienté vers le français ?

26. G + E - c'était mieux d'apprendre le français, parce que ce n'est pas facile comme langue, ça donnait plus de prestige que l'anglais et l'italien. Le français, c'était un plus. En plus, c'est impossible d'apprendre cette langue en étant autodidacte, pas comme l'anglais et l'italien.

27. G - Mais le marché des langues est complètement détruit aujourd'hui. On prend les traducteurs dans des entreprises sans tester leurs connaissances linguistiques. Les postes d'enseignants étaient de plus en plus rares, donc le nombre de gens qui se prétendaient traducteurs a augmenté. C'est une question de business, c'était mal payé, donc les gens n'y mettaient pas du leur. Les traductions étaient mal faites pour faire de la pression.

28. Est-ce que vous feriez le même choix aujourd'hui que vous avez fait à l'époque ?

29.

XL

G + E - Non, je pense que j'étudierais les langues étrangères parallèlement à une autre discipline.

30. G - Si quelqu'un est intelligent, il apprendra une langue étrangère.

31. Tu penses qu'apprendre une langue étrangère, c'est une preuve d'intelligence ?

32. G - Bien sûr !

33. Et parler français, c'est quoi alors ?

34. G - Parler français, c'est penser français. Une langue, c'est une manière de penser, une manière de se comporter.

35. Et quand tu parles français, tu penses que tu es le même G ou est-ce que tu sens que tu es différent ?

36. G - Et bien le G qui parle une langue étrangère ne va pas être différent, mais il ne va pas se comporter de la même manière, je ne vais pas faire les mêmes blagues que je fais à un Albanais ou à un Italien.

37. Quelle est ton opinion pour les langues étrangères ?

38. G - parler français, c'est valorisant.

39. Et selon vous, quelles sont les images qui circulent en Albanie autour de la langue française ?

40. G - quelqu'un qui n'aura jamais vu le français de près ou de loin va avoir tous les arguments pour dire que ça ne vaut pas le coup d'apprendre le français : « c'est difficile, l'accent est impossible, c'est grave ». Quelqu'un qui connaît la langue et la culture françaises, c'est une distinction, cette personne aura une pensée et un comportement différent, ça se verra par sa fierté apparente. Quelqu'un qui est cultivé a appris le français. Il y a des gens qui ont appris le français juste pour pouvoir lire les livres d'auteurs français en langue cible plutôt que dans leur langue maternelle.

41. E - Moi, quand j'étais enseignante, je sais que mes étudiants étaient issus de familles aisées, c'était des familles qui avaient envie que leurs enfants se distinguent.

42. G - A mon époque, quand on rencontrait quelqu'un qui parlait français, c'était * sifflement d'admiration *.

43. Est-ce que le français c'est une langue visible en Albanie ?

44. E - le français est une langue visible, mais ce n'est pas évident, il faut aller la chercher un peu.

XLI

Annexe 13 - Interview informateur 05-F

Interviewer : Amélie Gicquel

Note de lecture : 1 personne interviewée. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique et les réponses en caractères standards.

Profil de l'informateur :

Profession : enseignant masculin

Lieu d'activité : enseignement public universitaire et réseau associatif

Expérience à l'étranger : en France, M1 DFLE avec bourse

Formation initiale : post communisme

Informations relevées à partir de notes, désir exprimé de ne pas être enregistré.

1. J'ai le sentiment que l'Albanie vit actuellement un repli sur elle-même. J'ai formulé cette hypothèse selon laquelle les Albanais seraient dans cette période où ils auraient besoin de revoir leurs valeurs, d'asseoir les principes qui déterminent les caractéristiques de leur peuple du point de vue symbolique. Est-ce que tu trouves cette hypothèse justifiée ?

2. Absolument ! Enver Hoxha est mort en 1985 et c'est quelques années plus tard que le régime communiste est tombé. Dans les années 90, il y a eu cette ouverture fulgurante sur l'extérieur, sur les autres cultures et sur cet Autre que les Albanais ne connaissaient pas pour avoir vécu enfermés au sein de leurs frontières pendant près de la moitié d'un siècle. Ca a donné lieu à de massives vagues d'émigration. Maintenant, on est sur une période qui nous amène à réfléchir à ce qui constitue notre peuple : le drapeau, les frontières, la politique, la cuisine, les individus, le patrimoine et bien sûr, la langue ! Appartenances symboliques, nationales, valeurs... Je pense qu'en se valorisant soi-même, on va vers l'Autre pour partager ce qu'on a, avec l'Autre. Disons voilà, que la tendance jusque maintenant a été de regarder vers l'extérieur, ça nous a empêché de nous connaître. Et puis on ne veut pas seulement reconnaître et identifier nos valeurs, mais aussi nos défauts. Nous sommes dans cette période où nous nous devons d'accepter ce qui nous définit, à identifier une Albanie typique. Pendant le communisme, on a lissé les aspérités de nos principes. Et même du point de vue de cette culture balkanique à laquelle nous appartenons, on nous a incité, forcé à tout nous approprier, alors qu'il faut savoir admettre que tout ne nous appartient pas. Permettez-nous d'avoir des couleurs, des nuances.

3. Est-ce que les profs jouent un rôle dans cette redéfinition des valeurs ?

4. Eh bien, il y a une différence nette entre les profs de l'ancienne génération et les nouveaux. Les diplômés des années 70 / 80 sont les garants d'une certaine culture francophone, mais elle était valorisée à l'époque, ce n'est pas que les vieux profs sont meilleurs ou différents. C'est juste qu'ils ont suivi leur cursus dans cette atmosphère certes dictatoriale, mais qui cultivait un respect de la culture française, tandis qu'aujourd'hui, la France, on ne la voit pas.

5.

XLII

Je me pose aussi la question à savoir s'il n'y a pas un décalage entre la méthodologie utilisée par les anciens profs et celle à laquelle on essaie de former les nouveaux profs. Donc une méthodo très traditionnelle versus ce qui est prôné aujourd'hui dans pratiquement n'importe quel texte didactique, l'actionnel, l'approche communicative. Est-ce que les profs s'y retrouvent entre ce qu'ils ont connu, ce qu'on leur a demandé de faire et ce qu'on essaie de leur expliquer aujourd'hui ? Sans parler même des besoins des apprenants dans tout ça, en matière de connaissances linguistiques, leurs profils d'apprentissage et leurs capacités d'assimilation...

6. C'est clair qu'il y a beaucoup à faire en matière de méthodologie. Je peux te dire que oui, on subit des changements de méthodologie presque drastiques. La méthodologie change mais on a mal perçu son application. On essayait d'aller vers le résultat sans vouloir s'intéresser au chemin, je veux dire qu'il y a une certaine forme de négligence quant à la route à emprunter, on ne voit que la destination. Alors qu'avant, on accordait une trop grande importance à la méthodologie, et le résultat était important, bien sûr, mais les professeurs devaient avant tout s'assurer que leurs pratiques étaient conformes à l'idéologie du Parti. Maintenant, il y a cette vision binaire de (( tu sais ou tu ne sais pas », il n'y a pas d'évaluation des compétences, soit tu es dans le bon, soit tu ne l'es pas.

7. J'avais également cette hypothèse selon laquelle les Albanais accordaient une importance toute particulière à leur participation à une certaine forme de micro-histoire. Comme si leur engagement dans un projet ne serait scellé que s'ils acquièrent l'assurance de l'obtention d'une certaine notoriété locale.

8. Oui, c'est vrai, mais je dirais en particulier pour les étudiants qui ne sont pas originaires de la ville dans laquelle ils étudient, c'est à dire pour les étudiants des villages et des villes à l'entour. Si tu fais référence aux pièces de théâtre qui ont souvent été organisées par les différentes stagiaires FLE, c'est vrai qu'à travers leur engagement dans telle ou telle pièce, il y a une certaine forme d'audace aussi, tu vois, c'est (( je veux exister, j'ai des choses à donner, je veux m'identifier, j'ai des valeurs, voir jusqu'où je peux aller » ! C'est l'objectif qu'ils se fixent en participant à une pièce, ils ne le voient pas en premier lieu comme la possibilité de s'ouvrir à une expérience scénique, dramatique. C'est d'abord l'individu qui s'engage et ensuite c'est l'apprenant, mais bon, dans notre université, l'apprenant n'existe pas vraiment...

9. Donc tu dirais qu'ils utilisent le théâtre ou la langue étrangère pour s'inscrire dans cette expérience qu'on leur propose ?

10. Bah je dirais qu'ils font ça pour être proche de la prof, pour être à côté d'elle, tu vois ? Pour créer l'image du département de français, se distinguer, c'est aussi une certaine forme d'intelligence, hein ! Pour essayer, pour voir jusqu'où ils peuvent aller, et oui, pour entrer dans un historique. Mais est-ce que tu as remarqué que ce ne sont jamais les meilleurs étudiants qui participent aux activités de la Francophonie, ce sont souvent ceux qui ont des lacunes en français, ou bien ceux qui ne sont pas originaires de la ville où ils étudient...

11. Eh alors, prof, à ton avis, qu'est-ce qu'on apporte à nos étudiants de langues étrangères ?

12. Rien en grande partie, j'imagine une ouverture d'esprit pour ceux qui s'intéressent un tant soit peu à ce qui se passe en classe. Ca peut leur permettre

XLIII

de s'identifier, tu vois « oÙ est-ce que je suis dans cette gamme d'informations que je reçois ? Est-ce que ça m'aide à connaître l'autre et moi-même ? »

13. Moi j'ai le sentiment que nos étudiants ont de grandes capacités mais qu'on ne leur même jamais dit qu'ils étaient capables de grandes choses, comme des coquilles vides qui ne demandent qu'à apprendre, mais qui ne savent même pas comment s'y prendre...

14. La plupart ne savent même pas pourquoi ils sont à l'université, on ne leur a même pas expliqué qu'une formation universitaire serait intéressante, qu'elle leur serait bénéfique du point de vue personnel, et intellectuel. On leur a seulement dit qu'il fallait avoir le papier à la fin. Donc ils entrent à l'université, ils savent qu'ils auront leurs années, et ils attendent. Tu vois, je pense à cette étudiante, Xh. en deuxième année, c'est une question de maturité, d'éducation, tu penses, mais non ! Elle est fille de prêtre, donc tu peux penser que son éducation religieuse aurait pu la former à un certain nombre de valeurs, peu importe la religion, j'en sais rien, la tolérance, l'ouverture sur l'autre. Et bien non, elle dit qu'elle n'aime pas le français, comme ça, sans argument, c'est tout. Je lui ai demandé de ne plus dire un truc aussi idiot, elle n'aime pas le français, d'accord, mais si tu ne sais même pas dire pourquoi tu n'aimes pas quelque chose, ne parle pas ! L'incapacité de nos étudiants à s'approprier une langue étrangère ne tient pas seulement des compétences langagières, mais aussi de leur développement personnel et intellectuel. Et les étudiants qu'on a ici dans notre ville, ce sont des étudiants qui viennent des provinces, l'université est censée te permettre un certain développement mental, cognitif, mais ils ne sont pas dans cette recherche, ils sont dans la recherche d'un exemple. Mais je crois que c'est aussi quelque chose qui est spécifique à tous ceux qui sont nés après la chute du communisme. On cherche la sécurité, on ne cherche pas le développement de soi. Regarde les enseignants vacataires, ou les jeunes profs dans les écoles de niveau inférieur... Ils deviennent profs, ils signent leur contrat à durée indéterminée et c'est fini, ils sont tranquilles, ils ont un poste et un salaire fixe, ça s'arrête là. On est dans une recherche de confort, en fait.

15. J'ai aussi cette hypothèse selon laquelle les étudiants ne s'intéresseraient plus à telle ou telle langue pour le bagage péri et paralinguistique qu'elle entraîne automatiquement avec elle, mais juste pour s'approprier tel ou tel code linguistique qui permettrait à ces étudiants d'obtenir quelque chose, un travail, étudier à l'étranger... Je ne vois pas de passion pour une langue, ou même d'intérêt tout court, en réalité. Ils sont fixés sur la grammaire et sur les QCM quand on voit même la façon dont les profs évaluent leurs élèves.

16. Nos étudiants ne lisent pas. Lire amène à s'essayer à interpréter, à analyser, ou même la lecture, le loisir, ils ne voient pas ça. Tu regardes les jeunes femmes, elles ne vont pas lire de magazines, ou même sur Internet, leurs intérêts personnels, ce que tu veux, le maquillage, conseils beauté, hygiène, sexo, n'importe, ça leur passe au dessus de la tête ! Il y a un manque de curiosité total, c'est télé, café, facebook.

17. Oui, mais ils ont des cours de littérature, non ?

18. Ok, cette année, ils ont étudié Albert Camus. Ils ne parlent que de ça, mais ils aiment Camus parce que le prof l'aime, pas parce qu'ils aiment tel ou tel livre. Ils aiment quelque chose parce que l'autre l'aime aussi, ils le font sans le sentir. Il y a une volonté de conformisme, de conformité, de s'accorder à l'autre. Et moi je

XLIV

regrette autre chose, c'est qu'il n'y a aucun relais, aucun transfert d'informations. Regarde les étudiants qui font des séjours en France avec le Lion's Club, on en a plusieurs ici, mais ils sont incapables de dire ce qu'ils y ont vécu, ce qu'ils ont vu, ou même pourquoi ça vaut le coup d'y aller. Regarde maintenant, il y a des étudiants de troisième année qui veulent aller en France, ils ne savent pas pourquoi ils veulent y aller, c'est juste pour dire qu'eux aussi l'ont fait, ou pour être comme l'autre.

19. J'ai une autre question qui m'amène à te demander si toi, en tant que prof, tu te sens libre dans tes pratiques d'enseignement ? Est-ce que vous recevez des directives de la part du rectorat, du ministère quant à ce que vous devez faire, ou la manière dont vous devez le faire ?

20. Bon, il y a les programmes, bien sûr. Mais quant à la manière de le faire, non, pas vraiment ! Même pas du tout, en fait ! On donne nos programmes en début d'année vis à vis de ce qu'on va traiter en classe, mais la méthodologie que je vais employer, non, pas de contrôle, rien.

21. Et si tu avais des propositions pour conduire à un changement des perceptions tenues à l'égard des langues étrangères, une proposition, une remarque spontanée, qu'est-ce que ça serait ?

22. Moi je pense qu'il faudrait centraliser tous ces départements de langues étrangères, n'avoir qu'une seule université qui propose telle ou telle langue. Je pense aussi qu'il faudrait proposer des spécialisations aux étudiants dès leur troisième année de licence. Ca leur permettrait de faire des choix, plutôt que de se retrouver forcés à s'orienter vers telle ou telle filière. On aurait des étudiants de meilleure qualité, ça créerait une concurrence, la volonté de se battre un minimum pour obtenir telle ou telle branche dans le département au sein duquel tu étudies. Je pense aussi qu'il faudrait réintégrer le concours à l'entrée à l'université.

23. Est-ce que tu saurais me dire s'il y a une classe intellectuelle albanaise ? Les profs d'université, est-ce qu'ils sont aussi connus pour la recherche, leurs travaux ?

24. Oui, à Tirana. Mais il n'y a pas de diffusion des idées, d'esprit académique. Même le peu d'écrits qu'on trouve de la part des profs, c'est politisé, c'est pour se rendre visible sans pour autant que le contenu de ces articles soit même valable ! C'est une course au titre constante, à la reconnaissance extérieure, les gens se montrent, mais ils ne brillent pas par la qualité de leurs réflexions, c'est plutôt pour le nombre de fois où on a vu leur nom. Et une fois que les profs ont un bon poste, on n'arrive plus à les détrôner. Regarde Marushi, c'est le directeur de l'Albanologie depuis 8 ans, mais est-ce qu'on entend parler de lui ou de ce que cet institut fait ? Non. On n'encourage pas non plus les profs à diffuser leurs idées ou même à continuer à se former. On n'entend jamais parler de possibilités d'aller à l'étranger, de faire des stages ou peu importe. Ce sont toujours les mêmes qui en bénéficient. Moi, j'ai eu de la chance, mais j'espère que la chance va continuer. Et puis, le changement est long, c'est un je m'en foutisme complet ! Regarde, il s'est passé exactement la même chose à Elbasan et à Prishtine, et on a deux réactions différentes. Les recteurs des universités de ces deux villes ont été accusés et déclarés coupables de corruption. Ils n'ont pas voulu quitter leur poste. Les étudiants au Kosovo se sont soulevés, tu as entendu, il y a eu de grosses manifestations ! A Elbasan, le recteur est toujours dans son bureau, et tout le monde s'en fiche, c'est grave !

XLV

Annexe 14 - Interview informateur 06-R & Fj

Interviewer : Amélie Gicquel

Traduction de « Zysh » (prononcer /zuch/), cela peut être équivalent à « Madame » que l'on adresse à son enseignante lorsque c'est une femme.

Note de lecture : 2 personness interviewées indiquées par une lettre les désignant en début de prise de parole. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique et les réponses en caractères standards. Cet entretien n'est pas très pertinent dans notre étude mais il a été proposé pour illustrer les représentations qui circulent vis-à-vis du français au sein des apprenants de cette langue étrangère.

Profil de l'informateur R & Fj : Profession : étudiants masculins Expérience à l'étranger : expérience en Italie pour F (parent immigré) / aucune pour R Formation initiale : post communisme

1. Est-ce que le gouvernement fait de la publicité pour les langues étrangères ?

2. R - On le voit à travers les cours à l'école, mais pas plus.

3. Fj - C'est ça, on ne sait pas ce que le gouvernement fait pour les langues étrangères, mais je me dis qu'il ne fait rien, on ne voit rien à la télé pour ça.

4. Toi, F, quand est-ce que tu as commencé le français ?

5. Fj - A la cinquième classe.

6. Et c'était obligatoire ou c'est toi qui a choisi ?

7. Fj - Non, c'était obligatoire. Les deux autres classes faisaient anglais, et nous, français.

8. Et qu'est-ce que tu pensais du français au début, quand tu as commencé en cinquième classe ?

9. Fj - Je n'aimais pas le français mais j'étais un bon étudiant. Ca semblait comme une langue bizarre, une langue qui vient de la gorge. Mais après, j'ai commencé à aimer et à parler. Après au lycée, j'ai participé aux activités de la Francophonie : des pièces de théâtre, et plein d'autres choses.

10. Et pourquoi est-ce que tu as décidé d'étudier le français à l'université ?

11. Fj - Au lycée, je n'étudiais pas beaucoup, mais c'est en français que j'avais les meilleurs résultats. Je savais écrire, parler, je me suis dit « Pourquoi pas ! ». J'avais quelque chose dans la tête avec le français, donc j'ai dit « Pourquoi pas ».

12. Et au lycée, est-ce que tu as réfléchi à la profession que tu voulais faire avant de choisir tes études universitaires ?

13. Fj - Non. Seulement pour apprendre à parler. Si un jour je vais en France, pourquoi pas ?

14.

XLVI

Et est-ce que tu as pris des cours privés en français ?

15. Fj - Non. Je n'avais pas le désir de parler bien la langue, je n'avais pas la volonté d'étudier beaucoup. Avec les profs de français, j'avais de bonnes relations. Je n'étais pas le meilleur, mais les profs m'aimaient bien.

16. Et toi, R, tu as commencé le français quand ?

17. R - J'ai commencé en première année du lycée. Avant de commencer à étudier la langue française, ma soeur qui avait fini le lycée, quatre années avant que je n'y entre, m'avait dit que la langue française est très difficile. Je me suis toujours rappelé de ça, toujours. Mais au moment où on a commencé en classe avec les phonèmes...

/ L'informateur me montre un papier où il a noté : -ei- = e / -eau- = o / -au- = o /

... j'ai aimé. J'écoutais bien la zysh quand elle expliquait, quand elle parlait, quand elle lisait, et après j'ai aimé la langue. A la fin du premier trimestre, il y avait eu les élections législatives et le gouvernement est passé de socialiste à démocrate. Le directeur de l'école a changé parce que l'ancien était avec le parti socialiste. Le nouveau directeur était aussi mon prof de français en classe. Il n'expliquait pas, il n'était pas sérieux. Je me rappelle un jour, j'étais allé au tableau pour faire un exercice, et il m'a dit « Ne bouge pas, on ne danse pas en classe ». A partir de ce jour, la langue française, pour moi, c'était fini. Je ne faisais plus rien. J'allais seulement en classe pour être présent, et ne pas me faire virer de l'école. C'est cinq ans après que j'ai recommencé mes études, parce que tu te rappelles zysh, j'ai fait trois ans de lycée, ensuite je n'ai rien fait pendant deux ans.

18. Oui, oui.

19. R - Après, en deuxième année, j'ai fait un cours privé ici à l'Alliance Française d'Elbasan, et peu à peu, j'ai appris un peu plus.

20. Et pourquoi est-ce que tu as choisi le français pour l'université ?

21. R - Au début, la langue me plaisait beaucoup. Et le français à Elbasan était mon premier choix sur le formulaire.

22. Mais moi, j'aimerais savoir... Au début du lycée, tu aimais le français, ensuite tu as arrêté d'étudier et finalement, tu choisis le français à l'université... Pourquoi ?

23. R - Pour moi, le problème n'était pas la langue, c'était ce prof que je n'aimais pas, pas la langue ! Et puis dès le début, je comprenais bien la langue en classe. Quand tu commences et que tu comprends, tu as envie d'en savoir plus, c'est pour ça !

24. Et vous deux, est-ce que vous parlez italien ?

25. Fj - Moi oui.

26. R - Moi, quelques mots.

27. Alors Fj, est-ce que l'italien t'aide parfois à apprendre ou comprendre des mots en français ?

28. Fj - Euh, quelquefois...

29. Et est-ce que tu penses en italien parfois pour utiliser le français ?

30. Fj - Rarement...

31.

XLVII

D'après vous, quelle est l'opinion générale qui circule en Albanie, à propos du français ?

32. R - Si je peux utiliser mon exemple, les gens autour de moi me demandent souvent pourquoi j'ai choisi d'étudier le français à l'université, ils me disent que c'est très difficile, les homonymes, les voyelles, la diction, c'est bizarre ! Pour ceux qui ne connaissent pas du tout la langue, ils n'aiment pas ça.

33. Fj - Moi je pense que le français a toute sa place en Albanie. C'est la deuxième langue internationale. En Albanie, la moitié des jeunes apprennent l'anglais, les autres apprennent le français. Et on peut étudier le français jusqu'à l'université, ce n'est pas le cas de toutes les langues que tu peux apprendre ici en Albanie. Tu trouves facilement des cours privés, c'est ça...

34. Est-ce que tu te sens différent quand tu parles français ? Est-ce que tu as l'impression qu'il y a une différence entre le Fatjon albanais et le Fatjon qui parle français ?

35. Fj - Oui. Les gens sont surpris quand ils m'entendent parler français. J'aime parler français.

36. Et comment tu te sens quand tu parles français ? Tu te sens différent ou non ?

37. Fj - Non. Je suis le même. Mais c'est pour moi une fierté de parler français, je sais que je peux faire CA. Même en Italie, j'ai parlé français. Mon oncle a habité en France, maintenant, il est en Italie avec mon père. Mon oncle travaillait avec les chevaux et il parlait français. Et le soir, quand on dînait, on parlait français.

38. Et ici en Albanie, ça ne te dérange pas de parler français dans la rue, dehors, comme ça ? Tout à l'heure, tu m'as répondu au téléphone par exemple, tu étais à l'extérieur...

39. Fj - Ah non, absolument pas ! Tout à l'heure, j'étais à la maison avec mon oncle et ma soeur, et ils me regardaient bizarrement parce que je parlais avec toi au téléphone. Et je les ai regardés et j'ai dit (( Eh, c'est ma zysh, laissez-moi tranquille ! ».

40. Est-ce qu'il y a quelque chose que vous voulez rajouter spontanément, quelque chose que vous voulez préciser par rapport à votre histoire, votre expérience ?

41. Fj - Oj zysh ! J'aime la France, vive la France, allez les Bleus !

42. R - Moi zysh, mon opinion est que les jeunes doivent apprendre et parler la langue française, italienne, anglaise... C'est mieux pour eux. Quand tu connais une langue, tu ne perds rien.

43. Fj - Pour tous les jeunes aujourd'hui, moi je dis : (( Apprenez la langue française, c'est beau, il y a beaucoup de choses à découvrir ».

44. R - Une expression de Napoléon Bonaparte dit qu'avec les hommes, il faut parler albanais, mais avec les femmes, parlez français.

45. Fj - Parce que le français est la langue des amoureux, la langue des dames.

XLVIII

Annexe 15 - Interview informateur 07-ED

Interviewer : Amélie Gicquel

Traduction de « Zysh » (prononcer /zuch/), cela peut être équivalent à « Madame » que l'on adresse à son enseignante lorsque c'est une femme.

Note de lecture : 1 personnes interviewée. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique et les réponses en caractères standards. Certains extraits n'ont pas été conservé car pas en adéquation avec le thème de l'interview. Cet entretien a été conservé dans le corpus d'enquête car très représentatif de l'exposition des Albanais aux langues étrangères sous la période du communisme et juste après, en particulier pour l'apprentissage précoce par imprégnation.

Profil de l'informateur ED :

Profession : ancien étudiant de journalisme puis de français, master dans l'enseignement pour les niveaux primaire / collège, emploi actuel dans le tourisme et dans les centres d'appel

Expérience à l'étranger : stage de théâtre en France

Formation initiale : post communisme

1. Tu parlais de l'influence de l'Italie... Les voisins, qui...

2. Concernant... A l'époque communiste, les gens étaient plus sociaux, si je peux dire... Dans le sens qu'ils n'étaient pas individuels. Ils allaient dans la coopérative, travailler, ils étaient ensemble...

3. L'esprit même d'un régime communiste, en fait !

4. Bah voilà, chaque après midi, ils faisaient des spectacles, machin, tout ça. Enfin des films, dans des villages et dans des trucs comme ça. Et la télé, ce n'était pas ouvert toute la journée. Enfin, il y avait le soir à partir de 18h jusqu'à 20h, par exemple. Et tout le monde... Est-ce que tu connais « Sanremo » ? / l'équivalent des Victoires de la Musique en Italie /. Ici, chez nous, on a ça, c'est « le Festival de la Radio - Télévision Albanaise ». Donc tous les chanteurs, ils chantaient live, bien sûr, avec l'orchestre et tout ça. Trois jours, quatre jours, c'était trois jours de spectacle et ensuite la finale. D'ailleurs, on a gardé cette tradition que le gagnant que de cette compétition serait le représentant de l'Albanie pour l'Eurovision. Et tu imagines, la télé, ce n'était pas tout le monde. Celui qui avait une télé à cette époque, il aura été obligé d'obtenir un permis auprès du conseil, du Parti, et tout ça ! Et celui qui avait la télé...

5. C'était la star du village !

6. Pas seulement la star, mais tout le monde venait, / rires / Mais oui, c'est vrai ! Moi, je me rappelle des choses parce que mon oncle avait la télé.

7. Tu es né en quelle année ?

8.

XLIX

1986. Je n'ai pas vécu longtemps sous le communisme, mais j'ai des souvenirs. J'avais 4, 5 ans, mais je m'en rappelle un peu... Quand il y avait un film, un spectacle, tout le monde, hop ! Mais enfin, quand il y avait un spectacle ou quelque chose d'exceptionnel, ils venaient le soir. Après ça a changé, enfin, la télé... 1991, 92, ceux qui avaient de l'argent pouvaient acheter une télé. Ca s'est libéré, la télé en couleurs, tout ça, ça a changé. Après, la télévision albanaise n'avait pas, des programmes, elle n'avait pas grand chose à donner... Tu vois ? Et toujours, c'était limité, elle transmettait à 10h, 11h, elle donnait ce qu'elle avait à donner, hein... Quelques informations, un truc, enfin voilà. Ce n'est pas comme aujourd'hui ou c'est une réelle industrie. Et du coup, une fois ouvert ça, il y avait des chaînes italiennes qui entraient en Italie, enfin qui étaient captées par l'Italie. Et si tu vois, toi, toute, la majeure partie des jeunes de mon âge qui avaient la télé, ils savent tous parler italien. Pourquoi ? Parce que par exemple, si tu vas voir au Kosovo, ou la Macédoine... Enfin la Macédoine, je peux dire que c'est italien. Mais Kosovo, par contre, anglais. Anglais, pourquoi ? Parce que c'était ex-Yougoslavie, et il y avait l'influence, tout ça. Parce qu'ils étaient ouverts même pour voyager, mais s'ils avaient aussi un régime communiste, c'était moins strict qu'en Albanie. Même les groupes de musique, tout ça ! Donc voilà, l'influence, c'était l'Italie. Il y avait même cette chaîne « Telenova », qui rentrait. Les dessins animés, euh, et même « Itali 1 », une autre chaîne italienne, « Rai 1 ». Les jeunes regardaient ça, et du coup, ils ont appris la langue. Enfin je te dis ça, pour te dire comment ça influence les gens, la télé, enfin l'audiovisuel. Ca, c'est très important. Ca, c'était l'époque de l'italien. Maintenant, si tu vois les filles, ou les jeunes, ceux qui regardent les dessins animés en italien... ils comprennent l'italien, ils comprennent très bien. Mais, maintenant c'est l'espagnol ! Mais pas seulement les filles, même si tu es un petit garçon et que ta mère regarde une telenovela, tu t'habitues et tu comprends !

9. D'autant plus que maintenant, tout est sous-titré, c'est très facile de suivre l'émission et d'aller voir l'équivalent en langue étrangère ou vice versa !

10. Oui, c'est sous-titré, c'est très facile ! Donc voilà, tu as l'espagnol. Après, autre autre chose, avec la globalisation, tu as la délocalisation des entreprises, pour accroître leurs revenus, vont envoyer certains de leurs services à l'étranger. Mais même à l'époque, quand tu regardes le boulevard principal de Tirana, c'est grâce à l'Italie, un peu... Là où il y a les ministères jusqu'au carrefour Mère Tereza.

11. /... / ? l'informateur répond à un appel.

L...]

L'informateur parle ensuite de différentes choses, qui n'ont pas attrait à mon enquête.

12. Comment tu as commencé le français, toi ?

13. A l'école.

14. Oui, mais en quelle classe ?

15. En cinquième classe.

16. Et c'était obligatoire ?

17.

L

Non, non, pas de choix, français, c'est tout. Enfin, le français, c'était plus épanoui à l'époque / rires /, non... répandu.

18. Et dis moi, le petit ED, quelle était son opinion pour le français ?

19. Le français... Ce n'est pas que j'avais une opinion, c'était une langue étrangère, voilà... Je l'ai apprise, et du coup, après, même le lycée, j'ai été au lycée des langues étrangères, parce qu'à cette époque, ce lycée, c'était le top, il y avait un concours à passer. Ce n'est pas tout le monde qui y allait. Au début, on était que 12 ou 13 élèves à avoir passé le concours. Ensuite, il y a eu d'autres élèves qui sont arrivés, mais au début, on était peu.

20. Et pourquoi est-ce que tu as choisi de faire le lycée des langues étrangères ?

21. Bah, ce n'est pas que j'avais trop le choix, ou que je pouvais choisir. Enfin, mes parents, langues étrangères ? Langues étrangères. Voilà, ok. Ecoute, Elbasan a la tradition de faire sortir des profs, avec l'école pédagogique de 1909, et du coup, c'était ça. Cette école était la seule école qui avait un internat. Les élèves venaient de tous les coins du pays pour étudier là bas. Et dans cet internat, l'école des langues étrangères ainsi que l'école de la musique avaient quelques chambres dans cet internat. Les écoles professionnelles aussi avaient des internats. Une fois l'école pédagogique finie, tu pouvais tout de suite travailler comme prof. Ca a changé ces dernières années parce que tout le monde va à l'université. Mais à l'époque, c'était comme ça. Il y avait de grands besoins en prof. Donc les gens venaient là bas pour trouver un travail. C'est vrai que ce n'est pas trop trop payé, mais c'est un salaire fixe, et que tu as pour toute ta vie. Et puis tu travailles 6 heures, et voilà, ça va... Donc ce sont mes parents, voilà, qui ont dit, bon... Ce n'est pas qu'on était très ouverts à dire « je vais faire ça », ou « je vais faire telle profession quand je serais grand » / rires /.

22. Et après à l'université ?

23. A l'université, j'ai fait, comment dire ? Journalisme. Parce que c'est à cette époque que cette branche s'est ouverte.

24. A Elbasan, ou à Tirana ?

25. A Elbasan, à Elbasan. Et à cette époque, il y avait encore les concours pour entrer à l'université. Donc j'ai passé ce concours, et je l'ai gagné, d'ailleurs ! Mais je n'ai pas continué le journalisme.

26. Pourquoi ?

27. Bah parce qu'on peut devenir journaliste sans avoir fait l'université. Après, je voulais bien, là, à ce moment là. Ce que je voulais, en effet, c'était voilà... avocat ou un truc comme ça. Je voulais aider les autres, ou connaître les lois, et tout ça. Mais à Elbasan, il n'y avait pas cette filière. A Tirana, seulement, et je ne pouvais pas, avec les dépenses et tout ça. A Elbasan, j'avais la maison et tout ça, il n'y avait pas de dépenses. Eh j'ai continué le français. Je ne voulais pas me fatiguer, si je peux dire comme ça / rires /. On venait du lycée des langues étrangères, c'était plus simple. Je regrette, mais bon.

28. C'est vrai, tu as des regrets par rapport à ça ?

29. Je regrette dans le sens que... Non, ce n'est pas que j'ai des regrets parce que j'ai appris le français, non pas du tout. J'ai des regrets parce que je n'ai pas continué à apprendre l'allemand / rires /. Parce qu'on avait l'allemand comme deuxième

LI

langue. Parce que le prof... L'allemand que je sais pour le moment, je peux communiquer un peu... Demander du pain / rires /. Ca, c'est grâce à ma prof.

30. Et après ta licence, qu'est-ce que tu as fait ?

31. Eh le master de français, pour professeur à Elbasan.

32. Et tu as cherché du travail comme prof ?

33. A vrai dire, non.

34. Tu as essayé ?

35. Bah j'ai envoyé les documents au directoire. Mais si tu connais personne... C'est un peu ça. Mais je n'ai pas voulu travailler comme prof, dans le sens que... Bah, ce n'est pas quelque chose de mauvais, le professeur, mais ça dépend quelle sorte de professeur. Et où tu vas travailler comme professeur ! Ce que j'ai eu peur, c'est de trouver un travail dans un village. Et après, c'est fini la vie, hein ! Tu peux vivre en pleine harmonie avec la nature / rires /.

36. Moi ça me fait rêver !

37. Bah, ça dépend ! Si je trouve du travail comme prof dans mon village. Bah, pas de dépenses, il y a tout à disposition, bio, les fruits, tout ça, tout ça, tout ça. Se marier, faire 5 ou 6 enfants / rires /. Mais je ne voulais pas ça. C'est pour ça que je ne voulais pas faire prof. J'ai vu mes parents, ils ont fait le prof, voilà, ils ont fait leur vie tranquille. Ce n'est pas qu'ils ont eu des problèmes.

38. Bah, je vois, il y a des gens à qui ça convient, et puis d'autres qui ont des ambitions différentes !

39. Bah ce n'est pas une question que ça te convient ou pas, c'est qu'une fois que tu es mis dans cette pâte, tu ne peux pas en sortir. Bien sûr, ça dépend du type de personnes. Et voilà mon histoire avec le français.

40. Mais tu m'as dit quelque chose tout à l'heure et tu ne m'as pas répondue... Je t'ai demandé si tu avais encore des contacts avec les français, et tu m'as répondu que tu avais grandi. Mais tu ne m'en as pas dit plus...

41. Bah, c'est quelque chose qui a plusieurs explications... Il y a beaucoup de choses à dire là dedans.

42. Tu sais, s'il y a quoique ce soit que tu ne veux pas que j'enregistre ou si à la fin, il y a quelque chose que tu ne veux pas que je garde, dis le moi, et je le ferai.

43. Non, non, ça va, tu peux le garder. Quand je serai député ou premier ministre, tu vas me demander de l'argent ! Tu vas venir me voir et tu vas me dire que tu vas sortir ça ! / rires /. « Quoi ? Fais le sortir, tu vas voir ! » Hop ! / rires /. Bon, bref. Non, ça, c'est autre chose. Je ne sais pas si ce que je t'ai dit t'aide à orienter ton étude sur la façon dont ils apprennent les langues étrangères.

44. Bah écoute, après plusieurs entretiens, après avoir réfléchi à la question, je sais que les Albanais n'apprennent pas les langues étrangères à l'école, mais dans des cours privés. Et c'est vrai que c'est une question intéressante ! Et il y a plusieurs raisons qui expliquent ça. Lesquelles ? Soit les élèves se trouvent avoir un enseignant qui ne parle pas la langue, qui n'est pas plus intéressé que ça par les résultats de ses étudiants.

45.

LII

Oui, je pense que ça dépend de la génération. Il y a une génération qui est très bonne en langues étrangères, et l'année qui suit, ils sont nuls. Ca a à faire avec ça aussi / l'informateur parle des élèves, non des enseignants /.

46. Il y a aussi le fait que ceux qui sont intéressés par les langues étrangères vont faire des cours privés pour apprendre plus, pour apprendre mieux. Pour aller plus loin que le programme. Et j'ai observé que c'est devenu une pratique commune, « je veux apprendre telle ou telle langue, je prends des cours privés ».

47. Ca, je pense que c'est une bonne chose, parce que de cette manière, tu n'apprends pas ce que tu n'as pas envie apprendre. Parce qu'à mon époque, il n'y avait pas l'anglais. Si j'avais eu le choix d'apprendre l'anglais, j'aurais fait de l'anglais, hein !

48. Ouais, mais est-ce que tu ne dis pas ça maintenant que l'anglais est devenu la langue internationale ? Tu ne le savais peut-être pas quand tu étais petit...

49. Non, non, du tout. Enfin, il y a plusieurs choses. Tous nos chefs d'état ont fait des études en France. La France, voilà, wow, la langue, l'aristocratie, littérature, romanciers, révolution, tout ça ! Enfin, peut-être que ça a changé en dedans, parce que vous y vivez, mais de l'extérieur. Dans les livres d'école, tout ça, c'est déjà servi, on ne peut pas l'enlever, on ne peut pas le faire changer. Je pense aussi que les jeunes ne sont pas franchement intéressés pour apprendre les langues.

50. C'est l'impression que j'ai aussi...

51. Tiens, je vais te donner l'exemple de mon petit cousin. Il est en 5ème ou 6ème classe. Il apprend l'anglais, le français et l'allemand.

52. C'est lui qui a choisi ?

53. Eh bien c'est dans le programme. Il n'aime pas le français. Parce qu'il aime l'allemand. Pourquoi ? Bon, l'anglais, les parents l'ont emmené dans des cours, tout ça. Ah, il est un peu paresseux, c'est pas qu'il... Il est intelligent, il apprend les choses. Mais il est un peu paresseux, Internet tout ça, ça le rend mou. Ils l'ont emmené dans des cours d'anglais et tout ça. Mais ils ont vu que c'était du gaspillage de l'argent avec lui, pour l'anglais. Il aime l'allemand ! Pourquoi il aime l'allemand ? Pourquoi ? Parce qu'il aime la prof de l'allemand ! Pourquoi ? Parce qu'il a répondu une fois, il a répondu une autre fois, enfin, quelque truc, par hasard il savait. Et du coup, la prof s'est intéressée à lui. Elle a cru qu'il apprenait, et c'est devenu une référence pour elle ! Comme chaque prof, dans chaque cours, ils ont besoin de quelque référence qui fait croire au prof qu'il comprend ce que le prof explique / rires /. Il bouge la tête, ok, ok, ok. Tandis que la prof de français, celle qui était avant... Parce qu'ils sont beaucoup dans la classe, plus de 20, pas loin de 30. Et pour un prof, c'est vraiment dur de les contrôler, hein ! Elle mettait des notes comme ça. L'autre qui est venue, elle a regardé les notes de sa prédécesseur, et du coup, elle a vu qu'il ne participait pas, elle a adopté la même attitude que la prof qui était là avant. Mon cousin, ça l'a fait pas aimer le français, tu vois ? C'est un peu l'effet « hallo », en anglais, tu sais ? C'est à dire que tu peux avoir un élève qui est sérieux, mais tu ne l'estimes pas. Tu vas être influencé par les notes que les autres profs ont mis, ou bien avoir tes préférences et ne pas faire attention aux bons élèves. Enfin, les sciences humaines, c'est difficile. Il n'y a plus 2 + 2, ça fait 4. C'est fini. Je pense aussi que les dirigeants des Alliances Françaises ont une influence. Ce sont toujours les mêmes directeurs depuis

LIII

plusieurs années... C'est un peu dommage dans le sens que, voilà... Ca fait 15 ans que tu as ce poste et tu ne vois personne qui pourrait prendre ta place.

54. C'est ça, c'est que personne n'a envie de s'en occuper...

55. Ils ont tous déjà fait ce qu'ils avaient à faire. Mais personne n'est intéressé pour prendre la relève, même s'il y a plein de choses, plein de nouveautés à faire.

56. Il n'y a pas cette volonté de...

57. Oui les profs ne font pas d'efforts pour faire aimer la langue. Et les élèves aussi, s'ils s'organisent entre eux.

58. Oui et les élèves, mais bon, si les élèves s'organisent, c'est qu'il y a toujours un prof quelque part qui va s'occuper d'eux.

59. Oui, bien sûr, un prof va toujours fait attention à ça. Mais en fait, ce sont les parents qui veulent que leurs enfants apprennent des langues étrangères. Ils les envoient dans des cours privés, ils ne laissent pas au hasard.

LIV

Annexe 16 - Questionnaire de début d'année

Traduction en français d'un questionnaire distribué à deux classes de français en contexte universitaire. Résultats exploitables seulement pour une seule classe. Questionnaire original en albanais.

Introduction au questionnaire :

Je vous demanderai de bien vouloir remplir ce questionnaire de début d'année. Il est anonyme. Cette enquête est menée dans le cadre d'une recherche très sérieuse effectuée en France. Nous certifions que le résultat de ces recherches ne sera jamais communiqué aux enseignants du département de français, nous vous demanderons donc de répondre librement, même si une des réponses que vous fournirez n'atteste pas d'un réel engouement à l'apprentissage de la langue française.

Je vous remercie d'avance.

1. Sexe :

Masculin Féminin

2. Situation de famille :

célibataire marié fiancé

3. Avez-vous des enfants ? Combien ?

Oui Non

4. Vivez vous avec ... ?

vos parents de la famille en colocation à l'internat

5. Emploi éventuel :

où ?

nombre d'heures par semaine :

6. Dans votre lycée d'origine ...

j'ai décidé d'apprendre le français parce que j'avais le choix j'ai appris le français et je n'avais pas le choix avec une autre langue étrangère je n'ai pas appris le français

7. Notes au BAC :

moyenne générale :
note en français (si étudié) :

8. Quelles sont vos motivations à l'apprentissage du français ? Est-ce par Goût pour la langue

D'après les recommandations de la famille, d'un proche

En fonction de l'avenir envisagé

9. Avez-vous déjà obtenu un diplôme en français (exemple : DELF, DALF, TCF)

Oui. Lequel
Non.

Je ne sais pas

Annexe 17 - Résultats du questionnaire sur une classe de 28 élèves

Résultats du questionnaire de début d'année

Etudiants de deuxième année

 
 
 
 
 
 
 
 

1, Genre

Masculin

Féminin

Total

 
 
 
 
 

9

19

28

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

2, Situation de famille

Célibataire

Marié

Fiancé

Divorcé

Abstention

23

2

2

 
 
 
 
 
 
 
 

3, Avez-vous des enfants ?

Non

Oui

Combien ?

Abstention

 
 

10

 
 

20

 
 
 

4, Avez qui vivez-vous ?

Avec les
parents

Avec la
famille

Avec des amis

A l'internat

Abstention

13

3

5

3

2

5, Dans quelle ville vivez vous ?

 
 

Elbasan

9

 
 
 
 
 
 

Tirana

2

 
 
 
 
 
 

Divjake

2

 
 
 
 
 
 

Gramsh

2

 
 
 
 
 
 

Prrenjas

2

 
 
 
 
 
 

Gjyrale

1

 
 
 
 
 
 

Pogradec

1

 
 
 
 
 
 

Berat

3

 
 
 
 
 
 

Librazhd

3

 
 
 
 
 
 

Abstention

2

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

6, Travaillez-vous ?

Non

Oui

 

Abstention

Si oui, volume
hebdomadaire ?

 
 

20

4

 

2

20h

3

 
 
 
 
 
 

8h

1

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

7, Au lycée,,,

 
 
 
 

J'ai appris

le français

enseignées

et j'ai choisi

par mon

entre plusieurs lycée

 

langues

Valeur A

21

J'ai appris

le français

parce que je

n'avais pas

le

choix

Valeur B

4

 

Je n'ai

pas appris le

français

 
 

Valeur C

2

 
 
 
 
 
 
 
 

8, Note aux

examens du

BAC sur 10

 
 

Note à l'examen

de français

sur 10

 

Moyenne

Ecart-type

 
 
 

Moyenne

Ecart-type

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

9, Pourquoi

étudiez vous

 

le français

?

 
 

Par goût pour

la langue

 
 
 
 

Valeur A

17

 

D'après les recommandations

de la famille

ou des amis

 
 

Valeur B

1

Pour avoir un

diplôme

 
 
 
 

Valeur C

6

 
 
 
 
 
 

Vide

3

 
 
 
 
 
 
 
 

10, Détenez-vous un diplôme en langue française (type

Oui

Non

 

DELF, DALF, TCF) ?

 

26

 
 

LV

11, Pourquoi étudiez-vous à Elbasan, si vous n'êtes pas originaire de cette ville ?

Données générales

N°1

9

N°2

4

N°3

4

N°4

2

N°5

2

N°6

 

N°7

 

N°8

1

N°9

 

N°10

 

Abstention

5

Filles

N°1

9

N°2

2

N°3

3

N°4

 

N°5

 

N°6

 

N°7

 

N°8

 

N°9

 

N°10

 

Abstention

4

Abstention

N°10

N°6

N°7

N°9

N°4

N°5

N°8

N°1

N°2

N°3

Garçons

2

2

2

1

1

12, A quelle position se trouvait l'étude du français à Elbasan dans votre liste de choix d'entrée à
l'université (sur une liste de dix choix obligatoires) ?

LVI






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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius