MINISTÈRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR, BURKINA
FASO
DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET DE ***********
L'INNOVATION Unité - Progrès - Justice
*********** ***********
UNIVERSITE THOMAS SANKARA
UNITÉ DE FORMATION ET DE RECHERCHE EN SCIENCES
JURIDIQUES ET POLITIQUES
***********
MASTER II DROIT PUBLIC FONDAMENTAL
ANNÉE ACADÉMIQUE 2019-2020
L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE AU
BURKINA FASO
MEMOIRE
Présenté et soutenu publiquement par
ABDOU BOKAR ABDOU
Abdoul Rachid
Sous la direction du
Dr Sanwé Médard KIENOU
Maître-assistant à l'Université
Pour l'obtention du Diplôme de Master II de recherche
en Droit Public Fondamental
Nazi BONI
Avril 2021
Avril 2021
MINISTÈRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR, BURKINA
FASO
DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET DE ***********
L'INNOVATION Unité - Progrès - Justice
*********** ***********
UNIVERSITE THOMAS SANKARA
UNITÉ DE FORMATION ET DE RECHERCHE EN SCIENCES JURIDIQUES
ET POLITIQUES ***********
MASTER II DROIT PUBLIC FONDAMENTAL ANNÉE ACADÉMIQUE
2019-2020
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L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE AU BURKINA
FASO
MEMOIRE
Présenté et soutenu publiquement par
ABDOU BOKAR ABDOU
Abdoul Rachid Sous la direction du
Pour l'obtention du Diplôme de Dr Sanwé
Médard KIENOU
Master II de recherche en Droit Maître-assistant
à l'Université
Public Fondamental Nazi BONI
i
AVERTISSEMENT
« L'unité de formation et de recherche en
sciences juridiques et politiques de l'Université Thomas SANKARA
n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises
dans les mémoires qui doivent être considérées comme
propres à leurs auteurs ».
ii
EPIGRAPHIE
« Il faut aux citoyens pour leur défense, pour
la protection effective et efficace de leurs droits et de leurs
libertés, une Cour suprême...devant laquelle, lésés
par une loi, si cette loi...viole la Constitution, les citoyens puissent se
pourvoir ; par laquelle ils puissent, chacun pour son compte et quant à
ce qui est de lui, faire déclarer une telle loi inapplicable
»1
Michel VERPEAUX.
1 Michel VERPEAUX, « Le contrôle de la
loi par la voie d'exception dans les propositions parlementaires de la
IIIème République », Revue Française
de Droit Constitutionnel, n°04-1990, pp. 688-698.
iii
DEDICACE
A mes très chers père et mère ABDOU
BOKAR Tsalha et YAOU Aïchatou, ces personnes
spéciales.
iv
REMERCIEMENTS
Mes remerciements vont en premier lieu à l'endroit du
Docteur Sanwé Médard KIENOU pour son suivi et sa
disponibilité tout au long de ce travail. En effet, malgré son
calendrier très chargé, le Docteur n'a ménagé
aucun effort pour nous faire profiter de sa sagesse.
Mes remerciements vont aussi à l'endroit de tout le
corps professoral de l'UFR/SJP de l'Université Thomas SANKARA et de
la FADEG de l'Université de Tahoua pour la riche formation et les
conseils avisés.
A tous mes camarades de la première promotion LMD du
Master 2, droit public fondamental.
A toutes les personnes qui ont consacré une partie de
leur temps pour la réalisation du présent document, les mots
ne suffisent pas pour traduire ma gratitude.
v
LISTE DES SIGLES, ABBREVIATIONS ET ACRONYMES
ACCPUF : Association des
Cours et Conseils constitutionnels ayant en
Partage l'Usage
du Français.
CJCA : Conférence des
Juridictions Constitutionnelles
Africaines.
AIJC : Annuaire
International de Justice
Constitutionnelle.
Al. : Alinéa.
Alii : Autres auteurs.
AN : Assemblée
Nationale.
ANDC : Association
Nigérienne de Droit
Constitutionnel.
Art. : Article.
BF : Burkina
Faso.
CC : Conseil
Constitutionnel.
CGD : Centre pour la
Gouvernance Démocratique.
DDHC : Déclaration des
Droits de l'Homme et du
Citoyen.
DUDH : Déclaration
Universelle des Droits de
l'Homme.
Dir : Sous la direction de.
EJLS : European
Journal of Legal Studies.
FADEG : Faculté de
Droit, d'Economie et
Gestion.
IDEA : International
Diving Educators Association.
LGDJ : Librairie
Générale de Droit et de
Jurisprudence.
N° : Numéro.
Op.cit. : Opere
Citato (précédemment cité).
OPU : Office des
Publications Universitaires.
p. : Page.
vi
pp. : Pages.
PUF : Presse
Universitaire de France.
QPC : Question
Prioritaire de Constitutionnalité.
RBD : Revue
Burkinabè de Droit.
RFDC : Revue
Française de Droit
Constitutionnel.
RIDC : Revue
International de Droit
Comparé.
RP : Revue
Pouvoirs.
RTDH : Revue
Trimestrielle des Droits de
l'Homme.
UFR/SJP : Unité de
Formation et de Recherche en
Sciences Juridiques et
Politiques.
V°. : Voyez dans ce sens.
Vol. : Volume.
VRÜ : Verfassung und
Recht in Übersee.
§ : Paragraphe.
vii
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
TITRE I : LA CONSECRATION MITIGEE DE L'EXCEPTION
D'INCONSTITUTIONNALITE AU BURKINA FASO 9
CHAPITRE I : UNE CONSECRATION INSUFFISANTE DE L'EXCEPTION
D'INCONSTITUTIONNALITE 10
Section I : Un fondement constitutionnel de l'exception
d'inconstitutionnalité 10
Section II : Un mécanisme longtemps rendu
inopérant 19
CHAPITRE II : UNE QUALIFICATION ERRONEE DU MECANISME : UNE
QUESTION
PREJUDICIELLE PAR NATURE 30
Section I : Une question soulevée devant le juge
ordinaire 31
Section II : Une question tranchée par le Conseil
constitutionnel 39
TITRE II : L'EFFICACITE PERCEPTIBLE DE L'EXCEPTION
D'INCONSTITUTIONNALITE AU BURKINA FASO 50
CHAPITRE I : L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE, UNE GARANTIE
POUR
L'ETAT DE DROIT 51
Section I : Une subjectivation manifeste du contentieux
constitutionnel 52
Section II : Une objectivation maintenue du contentieux
constitutionnel 61
CHAPITRE II : L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE, UN SIGNE DE
LA
LEGITIMITE DU JUGE CONSTITUTIONNEL 72
Section I : L'autorité des décisions rendues sur
exception d'inconstitutionnalité 73
Section II : Un pouvoir législatif accordé au
juge constitutionnel ? 80
CONCLUSION GENERALE 90
1
INTRODUCTION
« Toute société dans laquelle la garantie
des droits n'est pas assurée...n'a point de constitution
»2. Cette formule célèbre de la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen atteste de la
coïncidence qu'aménage le droit moderne entre norme
constitutionnelle et garantie des droits3. Ainsi pouvons-nous y lire
la nécessité, afin de garantir pleinement ces droits, de la mise
en place d'un droit auquel seraient assujettis aussi bien les gouvernants que
les gouvernés, un droit qui serait suprême : le droit
constitutionnel. Celui-ci, comme son nom l'indique, est le droit de la
Constitution4. Cette dernière étant la norme
fondamentale, elle se situe ainsi au sommet de la hiérarchie des
normes5. C'est donc cette norme supérieure, la Constitution,
qui détermine comment la norme inférieure doit être
créée. Cette hiérarchie peut être analysée
comme une pyramide ou « un édifice à plusieurs
étages » au sens de KELSEN6. En effet, afin
d'assurer la cohérence et la stabilité du système
juridique, il faut que les normes de rang inférieur soient conformes aux
normes qui leur sont supérieures7. Cet impératif de
cohérence, lorsqu'il s'applique au rapport entre les normes
infra-constitutionnelles et la Constitution est appelé principe de
constitutionnalité8. Ce principe est celui en vertu
duquel la Constitution d'un Etat est la norme suprême au sein de son
ordre juridique9.
Comme nous le rappelle le doyen HAURIOU, « sous l'empire
de la Constitution, aucun pouvoir n'est souverain. Tout pouvoir public est
susceptible d'être contrôlé, surtout par des moyens
juridiques »10. Cela accorde une valeur symbolique et une place
royale à la Constitution dans la hiérarchie des normes et donne
par là même une acuité particulière à la
question de sa protection11. A ce titre, selon Didier
BOUTET, il est inévitable que l'Etat de droit s'entoure de
2 Article 16 de la Déclaration des Droits de
l'Homme et du Citoyen de 1789.
3 Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ et Diane ROMAN,
Droits de l'Homme et libertés fondamentales, Paris, Dalloz,
2015, 2ème édition, p. 209.
4 Xavier MAGNON, « Commentaire sous `'Le droit
constitutionnel, Constitution du droit, droit de la Constitution» de L.
Favoreu », Les Grands Discours de la Culture Juridique, 2017, 11
p. Disponible sur
http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01725353,
consulté le 03 mai 2020 à 10h29.
5 Hans KELSEN, Théorie pure du droit,
Neuchâtel, Editions de la Baconnière, 1957, p. 122.
6 Ibidem.
7 Ibidem.
8 Ottavio QUIRICO, « Le contrôle de
constitutionnalité français dans le contexte européen et
international : une question de priorité », EJLS, 2010,
n°2, p. 34.
9 Ce principe a pour conséquence la
constitutionnalisation progressive des branches du droit.
10 Maurice HAURIOU, Précis de droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 2015, 2ème
édition, p. 266.
11 Philippe ARDANT et Mathieu BERTRAND,
Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2013,
25ème édition, p. 89.
2
protections12. La plus importante d'entre
elles13 demeure la protection constitutionnelle des droits. Cette
dernière doit être assurée par le juge constitutionnel.
Celui-ci est chargé de veiller au respect des « normes dont la
suprématie s'impose à tous, y compris au législateur
»14. Pour ce faire, le contrôle de la
constitutionnalité des lois se révèle être la voie
du salut. En effet, il arrive souvent qu'en raison de la nature complexe de ses
activités et au nom de l'efficacité de son action15,
le législateur soit « porté à violer les droits et
libertés garantis par la Constitution »16. Dans ce
contexte, le juge constitutionnel qui est la « bouche de la Constitution
»17 et le « gardien de la Constitution
»18, assure non seulement la garantie des droits fondamentaux,
mais aussi la protection de l'Etat de droit19. Ainsi a-t-on
institué un contrôle de constitutionnalité qui est un
mécanisme d'examen par l'organe faisant office de juge constitutionnel
de la conformité des actes aux normes du bloc de
constitutionnalité20.
Historiquement, le mécanisme de contrôle de
constitutionnalité est apparu aux Etats-Unis d'Amérique alors
même qu'aucune disposition constitutionnelle ne le prévoyait
formellement21. C'est donc par la hardiesse d'un juge, le juge
MARSHALL dans la célèbre affaire Marbury contre
Madison22, que fut intenté pour la première
fois, le contrôle juridictionnel de
constitutionnalité23. Dans ce modèle américain,
il s'agit d'un contrôle décentralisé qui est exercé
à titre incident. Dans sa configuration classique, le contrôle de
constitutionnalité revêt deux modalités : d'une part, le
contrôle par la voie d'exception ; d'autre
12 Didier BOUTET, Vers un Etat de droit,
Paris, l'Harmattan, 2000, p. 241.
13 Ibidem.
14 François LUCHAIRE cité par Pierre
AVRIL et Jean GICQUEL, Lexique de droit constitutionnel, Paris, PUF,
2013, 4ème édition, p. 3.
15 Dieudonné KALUBA DIBWA, La justice
constitutionnelle en République démocratique du Congo,
Louvain-La-Neuve, l'Harmattan, 2013, p. 579.
16 Ibidem.
17Abdoulaye SOMA, « le
statut du juge constitutionnel Africain », in
Frédéric Joël AIVO, La constitution
béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l'Afrique ?
Mél. Maurice A. GLELE, l'Harmattan, 2014, pp. 451-480.
18 Jean-Louis ESAMBO KANGASME, Traité de
droit constitutionnel congolais, Paris, l'Harmattan, 2017, p. 357.
19 Maria Nadège SAMBA-VOUKA, « La
saisine des juridictions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme
en Afrique : les cas du Bénin et du Congo », Annales de
l'Université Marien NGOUABI, 20152017, p. 56.
20 Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un
système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des
droits de l'homme : trans-constitutionnalisme et droit international
comparé », Revue trimestrielle des droits de l'homme,
2009, vol. 20, n°78, pp. 437-466.
21 Yédoh Sébastien LATH, «
L'évolution du contrôle de constitutionnalité des lois dans
les Etats d'Afrique francophone », in Oumarou Narey (dir.),
La justice constitutionnelle, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 146.
22 Arrêt Marbury v/Madison rendu par la Cour
Suprême des Etats-Unis en date du 24 février 1803. V°.
Jean-Pierre DUPRAT. Elisabeth ZOLLER, « Les Grands Arrêts de la Cour
Suprême des Etats-Unis », Paris, Revue Internationale
de Droit Comparé, Vol. 62, n°3, 2010, pp. 841-845.
23 Yédoh Sébastien LATH , «
L'évolution du contrôle de constitutionnalité des lois dans
les Etats d'Afrique francophone », Op.cit., p. 146.
3
part, le contrôle par la voie d'action24. Ces
deux modalités de contrôle de constitutionnalité ont
impacté l'organisation des systèmes juridictionnels des Etats
africains25.
L'évolution du contrôle de
constitutionnalité des lois en Afrique est liée au processus de
transformation des systèmes constitutionnels consécutifs aux
contestations démocratiques des années 199026. Pour
garantir avec efficacité la suprématie de la Constitution, les
systèmes juridictionnels des Etats africains ont connu des
évolutions substantielles à travers la diversification des
modalités du contrôle de constitutionnalité27.
Les Etats africains ont opté pour un système mixte de
contrôle de constitutionnalité des lois, cumulant aussi bien les
procédés du contrôle par la voie d'action et par la voie
d'exception que ceux du contrôle a priori28 et a
posteriori29. A la différence du contrôle a
priori, le contrôle a posteriori s'exerce après
l'entrée en vigueur de la loi. La constitutionnalité de celle-ci
est contestée alors qu'elle est appliquée30. En effet,
malgré le système de contrôle de constitutionnalité
des lois a priori consacré par les Constitutions des
Etats31, il arrive que certaines lois ou dispositions
inconstitutionnelles passent tout de même par les mailles du filet. Il
faut en effet reconnaître avec Fatin-Rouge STEFANINI que le
contrôle abstrait opéré sur une norme qui n'a pas encore
été appliquée ne permettrait pas de saisir « toutes
les inconstitutionnalités contenues de manière latente dans une
loi »32 et qui ne se révèleront que lors de son
application33. Il a donc été institué un
contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori pour
pallier toute application d'une loi inconstitutionnelle. Le contrôle
a posteriori a de ce fait été perçu comme un
« palliatif » du défaut du contrôle a priori
qui n'était pas systématique34. Ainsi, les Etats
africains se sont
24 Ibidem.
25 Yédoh Sébastien LATH, «
L'évolution du contrôle de constitutionnalité des lois dans
les Etats d'Afrique francophone », Op.cit., p. 148.
26 Gérard CONACA (dir.), L'Afrique en
transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993
cité par Yédoh Sébastien LATH dans l'acte du colloque
international sur La justice constitutionnelle tenu à Niamey en
2016 sous la direction de Oumarou NAREY, Op.cit., p. 145.
27 Oumarou NAREY (dir.), La justice
constitutionnelle, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 149.
28 Article 155 de la Constitution du Burkina Faso du
02 juin 1991.
29 Article 157 de la Constitution du Burkina Faso du
02 juin 1991.
30 Jean-Louis ESAMBO KANGASME, Le droit
constitutionnel, Louvain-La-Neuve, l'Harmattan, 2013, p. 120.
31 L'article 157 al.1 de la Constitution
burkinabè prévoit que le Conseil constitutionnel peut être
saisi par le Président du Faso ; le Premier ministre ; le
Président de l'Assemblée Nationale ; un dixième (1/10) au
moins des membres de l'Assemblée Nationale.
32 Fatin-Rouge STEFANINI, « La question
préjudicielle de constitutionnalité : étude du projet
français au regard du droit comparé », in Annuaire
International de Justice Constitutionnelle, 23-2007-2008. Constitution et
liberté d'expression-Famille et droit fondamentaux, pp. 13-23.
33 Ibidem.
34 Marine HAULBERT, Les techniques
juridictionnelles de contrôle de constitutionnalité a
posteriori, Mémoire de Master 2 en droit public
général soutenu à l'Université Montpellier I,
2012-2013, p. 28.
4
inscrits dans un processus de redynamisation de la justice
constitutionnelle35. Cependant, le juge constitutionnel n'a qu'une
compétence d'attribution. Il n'exerce son office qu'après avoir
été saisi au préalable36, sauf
exception37. La saisine constitue de ce fait la condition
nécessaire à l'exercice de la garantie juridictionnelle de la
Constitution. Dans ces conditions, elle devient un enjeu majeur.
L'une des revendications constitutionnelles liées au
processus démocratique est relative à l'ouverture du droit de
saisine aux particuliers38. En effet, pour faire participer plus
efficacement les citoyens au contentieux constitutionnel, les Constitutions des
Etats d'Afrique francophone ont consacré le procédé du
contrôle par la voie d'exception, ce qui tend à conférer
une réalité nouvelle et une effectivité à
l'accès du citoyen au juge constitutionnel39. Ainsi
écrivait à ce sujet le doyen Georges VEDEL : « la porte
étroite » de la juridiction constitutionnelle est devenue «
une porte ouverte »40. Cette reconnaissance du droit de saisine
aux particuliers tend à conférer un caractère subjectif au
contentieux constitutionnel41 avec l'émergence de la justice
constitutionnelle. Pour ce faire, ce contrôle de
constitutionnalité a posteriori et précisément
celui par voie d'exception, se fait, selon les législations, de
manière variée. Il est différemment aménagé
par les Etats42. A ce titre, il existe plusieurs modalités de
saisine du juge constitutionnel en matière de protection des droits et
libertés publiques, les unes directes, les autres
indirectes43. En effet, Abdoulaye SOMA prévient qu'il ne faut
pas perdre de vue la réalité juridique évidente que les
pays ont en pratique souvent introduit telle ou telle
35 Yédoh Sébastien LATH, «
L'évolution du contrôle de constitutionnalité des lois dans
les Etats d'Afrique francophone », Op.cit., p. 148.
36 Maria Nadège SAMBA-VOUKA, « La
saisine des juridictions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme
en Afrique : les cas du Bénin et du Congo », Annales de
l'Université Marien NGOUABI, n°16(1), 2015-2017, pp. 54-71.
37 L'article 157 al.3 de la Constitution du Burkina
Faso du 2 juin 1991 prévoit un pouvoir d'auto-saisine en disposant que
« Le Conseil constitutionnel peut se saisir de toute question relevant de
sa compétence s'il le juge nécessaire ».
38 Oumarou NAREY (dir.), La justice
constitutionnelle, Op.cit., p. 152.
39 Ibidem.
40 Georges VEDEL, « L'accès des
citoyens au juge constitutionnel. La porte étroite », La vie
judiciaire, n°2344, 1991, pp. 1-14.
41 Yédoh Sébastien LATH, «
L'évolution du contrôle de constitutionnalité des lois dans
les Etats d'Afrique francophone », Op.cit., p. 152.
42 Maria Nadège SAMBA-VOUKA, « La
saisine des juridictions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme
en Afrique : cas du Bénin et du Congo », Op.cit., p.
56.
43 Jean-Louis ESAMBO KANGASME, Traité de
droit constitutionnel congolais, Op.cit., p. 357.
5
variante dans tel ou tel modèle de base, si bien qu'on
remarquera plusieurs types de justice constitutionnelle à travers le
monde44.
Etant donné la variabilité du contrôle
a posteriori de constitutionnalité des lois selon les Etats, il
nous a semblé important, voire nécessaire d'étudier, en
particulier, celui du Burkina Faso, notre terre d'accueil. Ce pays marque une
préférence pour l'exception
d'inconstitutionnalité45 qui peut être soulevée
par toute personne partie à un procès contre une loi
présumée inconstitutionnelle qui serait sur le point de lui
être appliquée. D'où le choix de notre thème :
« L'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso ».
Le présent thème de droit constitutionnel, comme
n'importe lequel d'ailleurs, appelle, préalablement à toute
analyse de fond, un éclairage conceptuel46. En effet, Charles
EISENMANN nous enseigne qu'il faut nécessairement commencer par
résoudre clairement le problème de la fixation des concepts qui
forment l'armature d'un thème, sinon, poursuit-il, on
discuterait dans l'obscurité en vain47. Ainsi, selon
Eric NGANGO YOUMBI, l'exception d'inconstitutionnalité s'entend d'une
possibilité offerte au justiciable, à l'occasion d'un
procès devant une juridiction quelconque, d'invoquer qu'une disposition
légale est non-conforme à la Constitution. Il soulève
alors l'inconstitutionnalité de la loi qui est sur le point de lui
être appliquée48. Les Constitutions de la plupart des
pays d'Afrique de l'Ouest permettent à une autorité judiciaire
faisant office de juge de première instance de renvoyer cette question
à la juridiction constitutionnelle compétente49.
Ibrahim SALAMI lui, définit l'exception d'inconstitutionnalité
comme « un moyen de défense dans une procédure
juridictionnelle ou comme une technique visant à contester, à
l'occasion d'un procès, la constitutionnalité de la loi
»50. Ces définitions doctrinales convergent avec celles
consacrées par les textes en la matière au Burkina Faso. Ainsi,
à la lecture des articles 25 de la loi organique n°011-2000/AN du
27
44 Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un
système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des
droits de l'homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel
comparé », Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme,
2009, vol.20, n°78, pp. 437-466.
45 Article 157 al.2 de la Constitution du Burkina Faso
du 2 juin 1991.
46 Jean-Calvin Aba'a OYONO, « Les mutations de
la justice à la lumière du développement constitutionnel
de 1996 », VRÜ/Droit et politique en Afrique, Asie et
Amérique latine, vol.34, n°2, 2001, pp. 196-219.
47 Charles EISENMAN, Cours de Droit Administratif,
Tome I, Paris, LGDJ, 1982, cité par Jean-Calvin Aba'a OYONO dans «
Les mutations de la justice à la lumière du développement
constitutionnel de 1996 », Op.cit., pp. 196-106.
48 Eric NGANGO YOUMBI, La justice
constitutionnelle au Bénin, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 341.
49 Marcus BOCKENFORD et alii, Les juridictions
constitutionnelles en Afrique de l'Ouest : analyse comparée, IDEA
International, Fondation Hanns Seidel, 2016, p. 130.
50 Ibrahim David SALAMI, « Exception
d'inconstitutionnalité et principe d'égalité au
Bénin et au Congo », Revue Burkinabè de Droit,
n°51-2ème semestre, 2016, pp. 9-41.
6
avril 200051 et 157 al.2 de la Constitution,
l'exception d'inconstitutionnalité est un moyen qui peut être
soulevé par un justiciable « devant une juridiction, quelle qu'elle
soit » pour contester la constitutionnalité de la loi qui va lui
être appliquée. La juridiction « est tenue de surseoir
à statuer et de saisir le Conseil constitutionnel qui doit se prononcer
sur la constitutionnalité du texte en litige dans le délai d'un
mois ». Il ressort clairement de ces différentes définitions
que l'exception d'inconstitutionnalité est une bouée de sauvetage
tendue au citoyen pour garantir la plénitude de la protection de ses
droits et libertés en écartant l'application d'une loi dont
« la régularité par rapport à la Constitution
est contestée »52.
Par ailleurs, il y a lieu de noter qu'il existe des notions
quelque peu voisines qui pourraient prêter à confusion. A cet
égard, il paraît opportun de les distinguer. Ainsi pouvons-nous
remarquer l'existence, à côté de « l'exception
d'inconstitutionnalité », de la « Question Prioritaire de
Constitutionnalité » (QPC) et de la « question
préjudicielle ». Par essence53, il y a exception
d'inconstitutionnalité lorsque la question de constitutionnalité
est soulevée devant le juge ordinaire à l'occasion d'un
procès et tranchée par lui-même54. La question
préjudicielle pour sa part, est celle qui oblige le tribunal à
surseoir à statuer jusqu'à la décision de la juridiction
compétente55. Quant à la QPC, elle a été
instituée en France en 200856. Dans cette procédure
française, lorsque l'inconstitutionnalité de la loi est
soulevée, elle sera transmise à la juridiction suprême de
l'ordre juridictionnel concerné (Conseil d'Etat ou Cour de cassation)
avant d'être renvoyée (ou pas) au Conseil constitutionnel. La QPC
est complexe autant qu'elle favorise la collaboration entre les juridictions
suprêmes et le Conseil constitutionnel57.
Sous l'influence tardive des Etats-Unis qui avaient fait de la
Cour suprême l'un des piliers de la Constitution de 178758, de
nombreux pays européens ont décidé, après 1945, de
combiner le principe de légalité avec le principe de
constitutionnalité permettant une véritable protection des normes
constitutionnelles. Il en est ainsi désormais, en Allemagne, en Italie,
en
51 Il s'agit de la loi organique n°011-2000/AN
du 27 avril 2000 portant composition, organisation, attributions et
fonctionnement du Conseil constitutionnel du Burkina Faso et procédure
applicable devant lui.
52 Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Lexique de droit
constitutionnel, Paris, PUF, 2013, 4ème édition,
p. 3.
53 Nous faisons référence au
système juridique américain qui a été le premier
à consacrer le mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité. La procédure authentique de ce
mécanisme serait donc celle ayant cours dans cet ordre juridique.
54 Louis FAVOREU et alii, Droit constitutionnel,
Paris, Dalloz, 2019, 21ème édition, p. 291.
55 Serge GUINCHARD (dir.), Lexique des termes
juridiques, Paris, Dalloz, 2014, 21ème édition,
p. 766.
56 Après des années de
réticence, la France a fini par consacrer le contrôle
juridictionnel a posteriori des lois devant le juge constitutionnel
notamment par la révision constitutionnelle de 2008 et la loi organique
du 10 décembre 2009.
57 Jean-Louis ESAMBO KANGASME, Le droit
constitutionnel, Op.cit., p. 113.
58 Jean-Paul VALETTE, Droit constitutionnel,
Paris, l'Harmattan, 2013, p. 59.
7
Espagne, au Portugal, en Grèce, en Pologne ou en
Hongrie, mais aussi en France. Cette évolution explique l'emprise de la
hiérarchie des normes dans la plupart des
démocraties59. Toutefois, bien qu'il sera fait cas de
plusieurs systèmes juridiques dans un but comparatif, il y a lieu, pour
nous, de préciser que la présente étude concerne
fondamentalement le Burkina Faso qui, a institué la procédure de
l'exception d'inconstitutionnalité tout en confiant le monopole de ce
contrôle au seul juge constitutionnel60.
L'étude de la question de l'exception
d'inconstitutionnalité revêt un intérêt juridique pas
des moindres, tant d'un point de vue théorique et pratique qu'au regard
de l'actualité de la justice constitutionnelle au Burkina Faso. D'abord,
du point de vue théorique, cette étude nous permettra de nous
rendre compte de l'importance capitale que présente l'exception
d'inconstitutionnalité pour le justiciable. En effet, la portée
de ce mécanisme est aussi « de rendre la justice
constitutionnelle accessible à tous les acteurs de la vie nationale
»61, ce qui, dès lors, inclut le citoyen. Ce
dernier va progressivement devenir la « pierre angulaire
»62 de la justice constitutionnelle. Cette participation
citoyenne à la justice constitutionnelle contribuera sans doute à
assainir l'ordre constitutionnel. Ensuite, d'un point de vue pratique,
l'analyse de cette thématique nous permettra de mettre en
évidence les règles de compétence et de procédure
pour la mise en oeuvre de l'exception d'inconstitutionnalité au Burkina
Faso. Nous remarquerons par ricochet que, au Burkina Faso, cette
modalité de contrôle a posteriori reste encore un domaine
pauvre et quasiment inexploré. Enfin, du point de vue de
l'actualité, la recrudescence de la saisine du juge constitutionnel
burkinabè par la voie de l'exception d'inconstitutionnalité est
assez révélatrice du changement de paradigme qui est en train de
s'opérer dans la mise en oeuvre de ce mécanisme. En effet, rien
qu'en 2019, le Conseil constitutionnel a été saisi à, au
moins trois reprises par le mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité. Cette actualité fait davantage toute la
particularité du sujet.
L'analyse de cette thématique impose de mettre en
lumière la portée concrète de l'exception
d'inconstitutionnalité en découvrant notamment les tenants et
aboutissants de ce mécanisme au Burkina Faso. De ce fait, la question
que l'on doit impérativement se poser est
59 Ibidem.
60 Ainsi dispose l'article 152 al.1 de la Constitution
du Burkina Faso du 2 juin 1991.
61 Eric NGANGO YOUMBI, La justice
constitutionnelle au Bénin, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 341.
62 Théodore HOLO, « Le citoyen, pierre
angulaire de la justice constitutionnelle au Bénin », Communication
au 6ème Congrès de l'Association des Cours et Conseil
constitutionnels ayant en partage l'usage du français, Marrakech, du 4
au 6 juillet 2012.
8
celle de savoir, l'exception d'inconstitutionnalité
est-elle parfaitement consacrée et quels en sont les impacts dans
l'ordre constitutionnel burkinabè ?
Tout au long de cette étude, nous nous efforcerons
d'analyser les moyens juridiques servant de fondement à l'exception
d'inconstitutionnalité. Mais il faut admettre qu'au Burkina Faso, ce
mécanisme a connu une consécration mitigée (TITRE
I). Par ailleurs, il convient aussi de s'interroger sur les effets de
ce mécanisme. Cela se fera notamment à travers l'analyse de
l'efficacité de l'exception d'inconstitutionnalité au Burkina
Faso (TITRE II).
9
TITRE I : LA CONSECRATION MITIGEE DE L'EXCEPTION
D'INCONSTITUTIONNALITE AU BURKINA FASO
En droit romain, l'exception a été un
moyen que l'on a longtemps accordé au défendeur63 afin
qu'il puisse présenter ses objections face aux prétentions du
demandeur64 dans un procès civil. Avec l'évolution du
droit, l'exception a pris plusieurs formes. Elle évoque l'idée
d'un droit anormal et exorbitant, de dérogation tantôt au droit
commun, tantôt à un principe ou à une règle de
justice65. Ainsi parle-t-on d'une part d'exception
d'illégalité66 et d'autre part d'exception
d'inconstitutionnalité67. Cette dernière consiste
à accorder au justiciable la possibilité de présenter ses
objections face à une loi inconstitutionnelle et en faire écarter
l'application68 dans un procès le concernant. En droit
constitutionnel contemporain, l'exception d'inconstitutionnalité est
perçue comme un moyen d'accès du particulier à la justice
constitutionnelle. En effet, il fallait impérativement permettre aux
citoyens d'être directement associés à la protection de
leurs droits69 et libertés. Cela, le Burkina Faso l'a
très vite compris, car ayant consacré ce mécanisme. Mais,
cette consécration nous parut quelque peu mitigée. Cela se
caractérise non seulement par des insuffisances observées dans
cette consécration (Chapitre I) mais aussi et surtout
par la qualification juridique erronée du mécanisme. Il s'agirait
plutôt d'une question préjudicielle de constitutionnalité
(Chapitre II).
63 Thi Hong NGUYEN, La notion d'exception en
droit constitutionnel français, Thèse de Doctorat en droit
public soutenue en date du 28 mai 2013 à l'Université Paris I
Panthéon Sorbonne, p. 8.
64 Ibidem.
65 Ibrahim David SALAMI, « Exception
d'inconstitutionnalité et principe d'égalité au
Bénin et au Congo », RBD, n°51-2ème semestre,
2016, pp. 9-41.
66 Moyen de défense procédural par
lequel une partie allègue en cours d'instance l'illégalité
de l'acte qui lui est opposé. V°. Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD
(dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2014,
21ème édition, p. 411.
67 Moyen de défense procédural par
lequel une partie allègue en cours d'instance
l'inconstitutionnalité de la loi qui lui est opposée. Ce moyen
est consacré par l'article 157 al.2 de la Constitution du Burkina Faso
du 11 juin 1991.
68 Théodore HOLO, « Emergence de la
justice constitutionnelle », RP, 2009/2, n°129, pp.
101-114.
69 Marilisa D'AMICO, « Juge constitutionnel,
juges du fond et justiciables dans l'évolution de la justice
constitutionnelle italienne », AIJC, n°5-1989, 1991, pp.
79-96.
10
CHAPITRE I : UNE CONSECRATION INSUFFISANTE DE
L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE
La consécration de l'exception
d'inconstitutionnalité fait naître une nouvelle ère, celle
de la reconnaissance d'un droit d'accès du citoyen au prétoire du
juge constitutionnel70. Au Burkina Faso, force est de constater que
l'exception d'inconstitutionnalité a une valeur constitutionnelle
(Section I). Toutefois, il y a lieu de remarquer que
malgré sa consécration expresse, l'exception
d'inconstitutionnalité peine à être effective, car ayant
longtemps été un mécanisme inopérant en droit
burkinabè (Section II).
Section I : Un fondement constitutionnel de
l'exception d'inconstitutionnalité
L'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso fait
l'objet d'une reconnaissance et d'une garantie constitutionnelle71.
Cependant, cela n'a pas toujours été le cas. En effet, cette
constitutionnalisation de l'exception d'inconstitutionnalité a
été relativement tardive (§1). Par
ailleurs, il faut noter que l'exception d'inconstitutionnalité est
dotée d'un référentiel normatif assez fourni en droit
burkinabè (§2).
§1 : Une consécration constitutionnelle
tardive
Le caractère tardif de la consécration est
relatif au fait que l'exception d'inconstitutionnalité n'a d'abord
longtemps été prévue que par une loi organique (A)
avant de faire ensuite l'objet d'une consécration
constitutionnelle expresse (B).
70 Marilisa D'AMICO, « Juge constitutionnel,
juge du fond et justiciables dans l'évolution de la Justice
constitutionnelle italienne », Op.cit., pp. 79-96.
71 Article 157 al.2 de la Constitution
burkinabè du 02 juin 1991.
11
A. Un mécanisme longtemps prévu par la seule
loi organique
Longtemps réservée à des
requérants privilégiés72 ou
politiques73, la saisine du juge constitutionnel pour le
contrôle de la constitutionnalité des lois connaîtra un
tournant décisif avec le vent démocratique qui souffla sur les
Etats africains dans les années 199074. Pour
déclencher le contrôle de constitutionnalité de la loi,
« la solution la plus démocratique consiste à ouvrir au
maximum cette compétence en la remettant à tout citoyen »
disait Philippe ARDANT75. Véritable sentinelle
démocratique76, l'exception d'inconstitutionnalité a
pu ouvrir la voie à la compétence citoyenne pour le
déclenchement d'un contrôle de constitutionnalité des lois.
Ainsi, le Burkina Faso, attaché aux valeurs et aux idéaux
démocratiques, a institué le mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité. Cette dernière a été
affirmée pour la toute première fois dans la loi organique
n°011-2000/AN du 27 avril 2000 portant composition, attributions,
organisation, fonctionnement et la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel77. Cette loi à son article 25 dispose que
« Lorsqu'une exception d'inconstitutionnalité est
soulevée par un justiciable devant une juridiction, quelle qu'elle soit,
celle-ci est tenue de surseoir à statuer et de saisir le Conseil
constitutionnel qui doit se prononcer sur la constitutionnalité du texte
en litige dans le délai d'un mois qui court à compter de sa
saisine par la juridiction concernée ». Une disposition
manifestement inconstitutionnelle, car selon Augustin LOADA et Luc Marius
IBRIGA, « une lecture de la Constitution autorise à dire que le
constituant originaire n'entendait accorder aucun droit de saisine aux
citoyens, ni directement, ni indirectement. Il y a là une
révision de la Constitution qui ne dit pas son nom »78.
Il est de ce fait étonnant que cette disposition ait pu passer le test
de constitutionnalité79. Pour
72 L'article 157 al.1 de la Constitution
burkinabè prévoit que le Conseil constitutionnel peut être
saisi par le Président du Faso ; le Premier ministre ; le
Président de l'Assemblée Nationale ; un dixième (1/10) au
moins des membres de l'Assemblée Nationale.
73 Jean-Paul VALETTE, Droit constitutionnel,
Paris, l'Harmattan, 2013, p. 60.
74 Oumarou NAREY (dir.), La justice
constitutionnelle, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 146.
75 Philippe ARDANT et Mathieu BERTRAND,
Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2013,
25ème édition, p. 94.
76 Julien BONNET et Pierre-Yves GAHDOUN, La
question prioritaire de constitutionnalité, Paris, PUF, 2014, p.
38.
77 Loi organique n°011-2000/AN du 27 avril
2000 portant composition, attributions, organisation, fonctionnement et
procédure applicable devant le Conseil constitutionnel modifiée
par la loi organique n°034-2000/AN du 13 décembre 2000.
78 Augustin LOADA et Luc Marius IBRIGA, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Ouagadougou, coll.
Précis de droit burkinabè, PADEG, 2007, p. 422.
79 V°. Chambre constitutionnelle de la Cour
suprême, décision n°02-2000/CS/CC du 31 août 2000 sur
la Constitutionnalité de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril
2000 relative au Conseil constitutionnel.
12
Relwendé Louis Martial ZONGO, il s'agit là d'une
« anomalie » juridique80. Quoi qu'il en soit, la
toute première mise en oeuvre de l'exception
d'inconstitutionnalité est intervenue sur la base de cette loi. Il
s'agit de l'affaire de la Société Etudes et Réalisation
des Ouvrages Hydrauliques jugée par le Conseil constitutionnel dite
décision EROH81. Avec cette loi, le Burkina Faso a
jeté les bases de l'exception d'inconstitutionnalité dans son
ordre juridique.
Cette consécration de l'exception
d'inconstitutionnalité au Burkina Faso est tant originale que salutaire
d'autant plus qu'en France, la possibilité pour le citoyen de contester
la constitutionnalité d'une loi n'a été admise qu'avec la
révision constitutionnelle de 200882, soit huit (8) ans
après le Burkina Faso. Par ailleurs, contrairement au Burkina Faso,
plutôt que de retenir l'appellation exception
d'inconstitutionnalité, la France a baptisé ce
mécanisme Question Prioritaire de Constitutionnalité
(QPC)83. Ainsi, l'article 61-1 de la Constitution française
dispose « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant
une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte
atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil
constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil
d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai
déterminé ».
Il est vrai que la France a innové le mécanisme
avec une qualification originale de QPC. Mais, il n'en demeure pas moins qu'il
s'agit d'une procédure instaurant un contrôle de
constitutionnalité sur les lois déjà promulguées et
sur initiative des citoyens-justiciables au même titre que l'exception
d'inconstitutionnalité prévue en droit
burkinabè84. D'ailleurs, en Afrique de l'Ouest, cette
possibilité avait déjà été offerte par le
constituant sénégalais à ses citoyens depuis
199285. De ce point de vue, nous sommes bien loin du «
mimétisme global »86 destiné à permettre aux pays
africains de se conformer87 au système français. Pour
une fois, le mimétisme juridique semble avoir pris un sens inverse.
Toutefois, force est de constater que la
80 Relwendé Louis Martial ZONGO, «
L'accès de l'individu au juge constitutionnel burkinabè »,
Revue Burkinabè de Droit, n°59-1er semestre,
2020, pp. 139-164.
81 V°. Conseil constitutionnel
burkinabè, DCC n°2007-04/CC du 29 août 2007 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la société EROH.
82 Loi constitutionnelle n°2008-724/AN de
modernisation des institutions de la Vème République
adoptée le 9 juillet 2008 et promulguée le 23 juillet 2008 en
France.
83 Loi Organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la
Constitution.
84 Il faut tout de même préciser que
cela ne suffit pas pour parler d'une exception d'inconstitutionnalité
proprement dite pour des raisons que nous aurons à développer
dans le chapitre suivant de ce même titre.
85 Loi n°92-22 du 30 mai 1992 portant
révision de la Constitution au Sénégal.
86 Sama W. Jacob Marie-CONSTANTIN, La
protection des droits fondamentaux par le juge constitutionnel,
Mémoire de recherche pour l'obtention d'un Master 2 en droit public
fondamental, UO2, 2012, p. 5.
87 Kader HAMIDOU GARBA, La protection des
droits fondamentaux par le juge constitutionnel : cas du Burkina Faso et du
Niger, Mémoire de recherche pour l'obtention d'un Master 2 en droit
public fondamental, UO2, 2019, p. 6.
13
consécration de l'exception
d'inconstitutionnalité au Burkina Faso a longtemps reposé sur
cette loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 200088.
Même si une telle consécration est admirable, nous lui
préférerions une consécration constitutionnelle
formelle.
B. Une récente constitutionnalisation
expresse du mécanisme
Dans l'ensemble des Etats d'Afrique francophone, les
constituants ont opéré une consécration constitutionnelle
stimulante du contrôle par la voie d'exception89, corrigeant
ainsi les faiblesses de la justice constitutionnelle90. Tout
particulièrement, le Burkina Faso a bien assez tôt réussi
à prévoir la possibilité d'un contrôle de
constitutionnalité des lois après leur promulgation. Cela
notamment depuis la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril
200091. Mais selon nous, au regard de l'importance de ce
mécanisme, il aurait mieux fallu lui donner une importance plus notoire
notamment en le consacrant dans la Loi Fondamentale. En réalité
l'exception d'inconstitutionnalité bénéficierait
d'un caractère sacré si elle avait été
prévue par la Constitution. D'ailleurs, Delphine Emmanuel ADOUKI ne
disait-elle pas que c'est la garantie constitutionnelle qui permet aux
juridictions constitutionnelles de faire preuve de plus d'audace ?92
En effet, dans la mesure où c'est la Constitution elle-même qui
est mise en litige93, l'exception d'inconstitutionnalité doit
être prévue par cette même Constitution.
Certes, il convient de rappeler que les articles 3 de la
Constitution de la IIème République et 5 de la
Constitution de la IIIème République au Burkina Faso
disposaient : « (...) toute loi, tout acte contraire à ses
dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le
droit de se pourvoir devant la Cour suprême contre les lois et actes
inconstitutionnels »94. Cependant, la Constitution de la
IVème République a pour sa part restreint
l'étendue de la saisine du juge constitutionnel en la réservant
aux seuls politiques. Il a fallu attendre la révision constitutionnelle
de 201295, soit douze (12) ans après la loi organique, pour
que ce mécanisme soit inscrit dans le texte de la Constitution
burkinabè. Cette dernière, après la révision de
2012,
88 Article 25 de la loi organique n°011-2000/AN
du 27 avril 2000 relative au Conseil constitutionnel.
89 Oumarou NAREY, La justice constitutionnelle,
Paris, l'Harmattan, 2016, p. 152.
90 Eric NGANGO YOUMBI, La justice
constitutionnelle au Bénin, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 347.
91 Loi Organique n°011-2000/AN du 27 avril
2000 portant composition, attributions, organisation, fonctionnement et
procédure applicable devant le Conseil constitutionnel.
92 Delphine Emmanuel ADOUKI, « Contribution
à l'étude des décisions du juge constitutionnel en Afrique
», Revue Française de Droit International,
n°95-2013/3, pp. 611-638.
93 Denis BARABGER, Le droit constitutionnel,
Paris, PUF, 2013, 6ème édition, p. 25.
94 Augustin LOADA et Luc Marius IBRIGA, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Op.cit., p. 420.
95 Loi constitutionnelle n°033-2012/AN du 11 juin
2012.
14
prévoyait, quoique non expressément, à
son article 157 alinéa 2, l'exception d'inconstitutionnalité. Cet
article est libellé ainsi qu'il suit : « Si, à
l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu
qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et
libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour
de cassation. Le Conseil constitutionnel se prononce dans un délai
déterminé par la loi ». Ce même article 157
alinéa 2 fut reconduit avec le même dispositif dans la
Constitution révisée en 201396. Le constituant
burkinabè reprenait ainsi quasi in extenso, la formulation
française97 si bien que l'on serait tenté d'affirmer
que le Burkina Faso venait également de consacrer la QPC
française. Mais en réalité, il n'en est rien. En effet, la
loi organique n°011-2000/AN précitée maintient toujours
l'expression exception d'inconstitutionnalité. C'est avec la
révision constitutionnelle récente de 201598 que la
Constitution burkinabè va consacrer expressément l'exception
d'inconstitutionnalité. En effet, cette Constitution prévoit :
« En outre, tout citoyen peut saisir le Conseil constitutionnel sur la
constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la
procédure de l'exception d'inconstitutionnalité invoquée
dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir
jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel qui doit
intervenir dans un délai maximum de trente jours à compter de sa
saisine »99. Avec cette affirmation expresse du
mécanisme dans le texte de la Constitution, l'exception
d'inconstitutionnalité est sacralisée au Burkina
Faso100. Dès lors, le constitutionnalisme ne peut que se
réjouir « lorsque le prétoire de la justice
constitutionnelle n'est plus réservé aux seuls gouvernants,
lorsqu'il ouvre ses portes aux citoyens »101, disait Francis
DELPERE.
A ce titre, la justice constitutionnelle, à travers ce
mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité, devient
l'épine dorsale de l'organisation étatique102
burkinabè. Pour mettre en oeuvre l'exception
d'inconstitutionnalité, le juge constitutionnel burkinabè dispose
d'un référentiel normatif assez conséquent.
96 Loi constitutionnelle n°035-2013/AN du 12
novembre 2013.
97 Agnero Privat MEL, « La saisine du juge
constitutionnel en Afrique francophone », RBD,
n°52-1er semestre/2017, pp. 104-144.
98 Loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 5
novembre 2015.
99 Article 157 al.2 de la Constitution
burkinabè du 2 juin 1991 révisée par la loi de
révision constitutionnelle n°072-2015/CNT.
100 Le caractère sacré du mécanisme
repose sur le simple fait qu'il est prévu par la loi fondamentale qu'est
la Constitution.
101 Francis DELPERE, Le recours des particuliers devant le
juge constitutionnel, Paris, Economica, 1991, p. 18.
102 Fatima DIALLO, Le juge constitutionnel dans la
construction de l'Etat de droit au Sénégal, Mémoire
de DEA soutenu à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis, 2007,
p. 35.
15
§2 : Les référentiels normatifs de
l'exception d'inconstitutionnalité
L'exception d'inconstitutionnalité, comme n'importe
quel autre moyen d'ailleurs, doit se référer à un certain
nombre de normes. Ainsi, il convient de distinguer les normes de contrôle
ou normes de référence103 (A) et les
normes contrôlées (B).
A. La richesse des normes de contrôle ou normes de
référence
Les normes de référence sont par
hypothèse toutes des normes constitutionnelles104 ou ayant
une valeur constitutionnelle105. Il s'agit des normes « mettant
en oeuvre la Constitution »106, des normes sur le fondement
desquelles le juge constitutionnel opère son
contrôle107 notamment celui a posteriori. Ce sont les
normes faisant partie du bloc de constitutionnalité. En effet, les
juridictions constitutionnelles en général et le juge
constitutionnel burkinabè en particulier apprécient la
validité des normes qui leur sont soumises en référence au
bloc de constitutionnalité108.
Ainsi, au plan national, comme normes de
référence, il y a en premier lieu, les dispositions et les
principes à valeur constitutionnelle109 et en deuxième
lieu, les lois organiques110. Si les premiers ne posent pas de
difficultés quant à leur insertion dans le bloc de
constitutionnalité, les deuxièmes peuvent susciter un
débat dans la mesure où toutes les juridictions
constitutionnelles n'ont pas les mêmes normes de
référence111. Toutefois, au Burkina Faso, le
problème ne se pose pas ou du moins, ne devrait pas se poser dans la
mesure où le juge intègre la loi organique comme une norme de
référence pour le contrôle de
103 Eric NGANGO YOUMBI, La justice constitutionnelle au
Bénin, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 400.
104 Francis HAMON et Michel TROPER, Droit constitutionnel,
Paris, Montchrestien, 2014, 35ème édition, p. 745
et Ss.
105 Ibidem.
106 Eric NGANGO YOUMBI, La justice constitutionnelle au
Bénin, Op.cit., p. 400.
107 Fatima DIALLO, Le juge constitutionnel de l'Etat de
droit, Mémoire de DEA, Op.cit., p. 35.
108 Djibrihina OUEDRAOGO, « Le contrôle de
constitutionnalité des Règlements des Assemblées
parlementaires dans les Etats de l'Afrique de l'ouest francophone »,
Revue Française de Droit Constitutionnel, n°117, 2019/1,
pp. 119-143.
109 Un principe à valeur constitutionnelle est un
principe dégagé par le Conseil constitutionnel et dont le respect
s'impose au législateur comme aux organes de l'Etat. Il est une norme
juridique à part entière.
110 Il s'agit des lois votées par le Parlement pour
préciser ou compléter la Constitution. V°. Serge GUINCHARD,
Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2014,
21ème édition, p. 574.
111 La Cour constitutionnelle du Bénin par exemple
tient compte, dans une certaine mesure, des règlements des
Assemblées comme normes de référence.
16
constitutionnalité, nous apprend Djibrihina
OUEDRAOGO112. En effet, le juge constitutionnel burkinabè,
dans sa décision rendue en date du 04 juillet 2007 a affirmé que
« Considérant qu'il est de principe que toute violation d'une
loi organique par d'autres dispositions législatives même de
nature organique et n'ayant pas le même objet, est une violation de
l'article de la Constitution qui renvoie à cette loi organique
»113. De ce raisonnement du Conseil constitutionnel
burkinabè, il ressort que la loi organique est un prolongement de
l'article de la Constitution qui l'a prévu. Dès lors, la
violation de cette loi organique serait une violation « médiate
»114 de la Constitution. Par voie de conséquence, la loi
organique reste potentiellement une norme de référence pour le
juge constitutionnel burkinabè.
En outre, au plan international, les normes et instruments
internationaux auxquels le préambule de la Constitution burkinabè
renvoie expressément font partie du bloc de constitutionnalité et
donc logiquement, des normes de référence du juge
constitutionnel. En effet, c'est seulement lorsque le préambule renvoie
à ces normes internationales qu'elles intègrent le bloc de
constitutionnalité. Du reste, la valeur constitutionnelle du
préambule n'est aujourd'hui plus contestable. En effet, la Constitution
burkinabè elle-même consacre la valeur constitutionnelle de son
préambule115. En outre, le juge constitutionnel
burkinabè, dans son avis consultatif n°2003-08 sur le statut de la
CPI, a affirmé que « dans le préambule, partie
intégrante de la Constitution, le Burkina Faso a souscrit à la
DUDH et aux instruments internationaux »116. A travers cet
avis, le Conseil constitutionnel burkinabè a considéré le
préambule comme une norme supérieure, car ayant valeur
constitutionnelle pouvant servir de référence au juge
constitutionnel. D'ailleurs, comme son homologue français117,
le juge constitutionnel burkinabè s'est déjà
référé au préambule de la Constitution, plus
précisément à l'article 14 du Pacte International Relatif
aux Droits Civils et Politiques dans sa décision rendue sur exception
112 Djibrihina OUEDRAOGO, « Le contrôle de
constitutionnalité des Règlements des Assemblées
parlementaires dans les Etats de l'Afrique de l'ouest francophone »,
Op.cit., pp. 119-143.
113 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2007-03/CC du 04 juillet 2007 sur la conformité
avec la Constitution du 02 juin 1991 de la loi organique n°033-2006/AN du
21 décembre 2006 portant modification de la loi organique
n°014-2000/AN du 16 mai 2000 portant composition, organisation,
attributions et fonctionnement de la Cour des comptes et procédure
applicable devant elle.
114 Ibidem.
115 V°. La dernière phrase du préambule de
la Constitution du 2 juin 1991 qui est libellée comme suit : «
ADOMPTONS ET APPROUVONS la présente Constitution dont le présent
préambule fait partie intégrante ».
116 V°. Avis juridique n°2003-08/CC sur le Statut de
Rome de la Cour Pénale Internationale adopté le 17 juillet 1998
in Augustin LOADA, Avis et décisions commentés de la
justice constitutionnelle burkinabè de 1960 à nos jours,
CGD, 2009, p. 49.
117 V°. Conseil constitutionnel français,
décision n°71-44/CC du 16 juillet 1971, Liberté
d'association.
17
d'inconstitutionnalité en date du 09 juin
2017118. Ainsi, à l'instar de Dominique CHAGNOLLAUD, nous
pouvons affirmer que le contrôle de la conformité à la
Constitution, soit-il par voie d'action ou par voie d'exception, « ne
s'exerce pas seulement par rapport au seul texte constitutionnel
»119, mais plutôt à tout le « bloc de
constitutionnalité »120 dont le Conseil constitutionnel
se trouve être le garant121. Abdoulaye SOMA qualifie
d'ailleurs le contrôle de constitutionnalité d'un examen des actes
pris sous la juridiction de l'Etat aux normes du bloc de
constitutionnalité122. Maria Nadège SAMBA-VOUKA elle,
définira même le contrôle de constitutionnalité comme
un mécanisme qui permet au juge de vérifier la conformité
de la loi à la Constitution et au bloc de
constitutionnalité123. Ainsi, les normes internationales,
après avoir été au départ exclues124,
font aujourd'hui partie du bloc de constitutionnalité qui est en
perpétuelle extension125.
En somme, la Constitution burkinabè reconnaît la
valeur constitutionnelle de son préambule, lequel énonce son
attachement à un certain nombre de normes et de conventions
internationales formant ainsi le bloc de constitutionnalité. Outre ces
normes de référence, il est tout aussi important de
connaître la nature exacte de la norme pouvant être
contestée sur exception d'inconstitutionnalité.
B. La nature de la norme
contrôlée
Il s'agit pour l'essentiel de la norme pouvant être
attaquée par le mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité. Le Burkina Faso, dans sa première
consécration de l'exception d'inconstitutionnalité126,
n'avait pas du tout précisé la nature de la norme contre laquelle
ce grief pouvait être opposé. En effet, à la lecture
combinée des articles 25 de la loi organique n°011-2000/AN
précitée et 58 du règlement intérieur du Conseil
constitutionnel, il
118 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2017-013/CC du 09 juin 2017 précédemment
citée.
119 Dominique CHAGNOLLAUD, Droit constitutionnel
contemporain, Paris, Dalloz, 2013, 7ème édition,
p. 74.
120 Cette notion désigne, à tort ou à
raison, l'ensemble des règles et principes à valeur
constitutionnelle sur lesquels s'exerce le contrôle de conformité
du juge constitutionnel.
121 Bernard CHANTEBOUT, Droit constitutionnel et science
politique, Paris, Dalloz, 1999, 16ème édition, p.
607.
122 Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un
système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des
droits de l'Homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel
comparé », RTDH, 2009, Vol.20, n°78, pp. 437-466.
123 Maria Nadège SAMBA-VOUKA, « La saisine des
juridictions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique
: les cas du Bénin et du Congo », Op.cit., pp. 54-71.
124 V°. Conseil constitutionnel français, DCC
n°74-54 D.C du 15 janvier 1975.
125 Bachir YELLES CHAOUCHE, Le Conseil constitutionnel en
Algérie, Alger, OPU, 1999, p. 72.
126 Article 25 de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril
2000 sur le Conseil constitutionnel.
18
n'y a aucune clarté sur la nature véritable de
la norme contrôlée. Il ressort de ces dispositions que «
Lorsqu'une exception d'inconstitutionnalité est soulevée par un
justiciable devant une juridiction, quelle qu'elle soit, celle-ci est tenue de
surseoir à statuer et de saisir le Conseil constitutionnel qui doit se
prononcer sur la constitutionnalité du texte en litige dans le
délai d'un (1) mois qui court à compter de sa saisine par la
juridiction concernée »127. Ainsi, l'expression
« texte en litige » employée par ces articles peut
être perçue comme un « fourre-tout » pouvant englober
tout texte quelle qu'en soit la nature. Mais, depuis 2012, le champ des actes
soumis au contrôle de constitutionnalité par voie d'exception en
droit burkinabè est particulièrement réduit et
précis. Hans KESLSEN recommandait à ce titre une grande prudence
avant de faire rentrer dans le champ des actes soumis à la justice
constitutionnelle « un acte public »128. Il
fallait, selon lui, veiller à éviter une confusion entre
constitutionnalité et légalité129.
Enclin à cette prudence, le Burkina Faso a
désormais cantonné l'exercice de l'exception
d'inconstitutionnalité uniquement aux dispositions de nature
législative130. Autrement dit, l'exception
d'inconstitutionnalité ne peut être dirigée que contre une
loi. Le Conseil constitutionnel n'est que « juge de la loi
»131. Cela est notable avec l'article 157, alinéa 2 de
la Constitution qui prévoit que « En outre, tout citoyen peut
saisir le juge constitutionnel sur la constitutionnalité des lois
»132. Seule la loi peut donc être attaquée
suivant la voie de l'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso.
Par ailleurs, les ordonnances peuvent être attaquées en exception
d'inconstitutionnalité. En effet, dans le cadre de la
règlementation constitutionnelle133, les ordonnances donnent
lieu à la production d'actes normatifs équivalant à la
loi134, aussi bien en ce qui concerne leur force active et passive
qu'en ce qui concerne le
127 L'article 25 de la loi organique n°011-2000/AN du 27
avril 2000 portant composition, organisation, fonctionnement, attributions et
procédure suivie devant le Conseil constitutionnel et l'article 58 du
règlement intérieur du Conseil constitutionnel sont
libellés dans les mêmes dispositifs.
128 L'acte public est mis ici pour qualifier tous les actes de
nature règlementaire, c'est-à-dire les actes administratifs au
nombre desquels se trouvent les décrets et les arrêtés.
129 Hans KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la
Constitution », RDP, 1928, p. 230.
130 Article 157 al.2 de la loi constitutionnelle
n°033-2012/AN du 11 juin 2012 portant révision de la Constitution
utilise l'expression « disposition législative ».
131 Philippe BLACHER, Le droit constitutionnel, Paris,
Hachette, 2015, 3ème édition, p. 39.
132 Loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 5 novembre 2015
portant révision de la Constitution.
133 Luis-Maria DIEZ-PICAZO, « Actes législatifs du
Gouvernement et rapports entre les pouvoirs : l'expérience espagnole
», RFDC, n°32/1997, pp. 727-744.
134 Livio PALADIN, « Actes législatifs du
gouvernement et rapports entre les pouvoirs : l'expérience italienne
», RFDC, n°32/1997, pp. 693-711.
19
régime de leur contrôle135. Ces actes
restent dans le champ d'action du juge constitutionnel136. C'est ce
qui ressort notamment dans la décision du Conseil constitutionnel
burkinabè du 15 mars 2019 sur le recours en inconstitutionnalité
d'une ordonnance137. Dans cette décision, le juge
constitutionnel a certes rejeté la requête du requérant
mais n'a pas exclu la possibilité de formuler une exception
d'inconstitutionnalité contre une ordonnance.
Certes, par principe, la justice constitutionnelle n'est pas
chargée de contrôler la constitutionnalité des actes
administratifs138, car l'inverse aboutirait à la
dénaturation des droits des contentieux constitutionnel et
administratif139. Cependant, la justice constitutionnelle,
étant en dehors des pouvoirs étatiques traditionnellement connus,
doit pouvoir assurer le respect de la Constitution dans tous les domaines. Quoi
qu'il en soit, au Burkina Faso, l'article 152 de la Constitution a clairement
limité le domaine de compétence de la juridiction
constitutionnelle en disposant que « Le Conseil constitutionnel est
l'institution compétente en matière constitutionnelle et
électorale. Il est chargé de statuer sur la
constitutionnalité des lois, des ordonnances ainsi que la
conformité des traités et accords internationaux avec la
Constitution »140. Dès lors, le contrôle des actes
administratifs est exclu de ses compétences. Tout de même, le
constituant burkinabè aurait pu accorder ce pouvoir au Conseil
constitutionnel, car, qui d'autre qu'un juge constitutionnel pour dire le droit
constitutionnel ? Encore faut-il que le contrôle de
constitutionnalité par voie d'exception soit véritablement
opérant au Burkina Faso.
Section II : Un mécanisme longtemps rendu
inopérant
Le caractère opérant de l'exception
d'inconstitutionnalité est consubstantiel à son
effectivité. Même si l'exception d'inconstitutionnalité est
effectivement consacrée au Burkina Faso, il y a lieu de déplorer
sa non-utilisation par les justiciables (§1). Cet
état de fait est sans
135 Alessandro PUZZORUSSO, « Actes législatifs du
gouvernement et rapports entre les pouvoirs : aspects de droit comparé
», RFDC, n°32/1997, pp. 677-697.
136 Louis FAVOREU, « Le pouvoir normatif primaire du
Gouvernement en droit français », RFDC, n°32/1997,
pp. 713-726.
137 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2019-002/CC sur l'inconstitutionnalité d'une
ordonnance.
138 Placide MOUDOUDOU, « Réflexion sur le
contrôle des actes réglementaires par le juge constitutionnel
africain : cas du Bénin et du Gabon », Annales de
l'Université Marien NGOUABI, 2011-2012 ; 12-13 (3), pp.
65-91.
139 Ibidem.
140 Article 157 al.1 de la Constitution burkinabè du 02
juin 1991.
20
doute la résultante du faux départ de la Cour de
cassation et du Conseil constitutionnel (§2) dans la
première mise en oeuvre du mécanisme.
§1 : L'utilisation insuffisante du
mécanisme par les justiciables
Le non recours par les justiciables au mécanisme de
l'exception d'inconstitutionnalité serait dû à leur manque
de confiance à l'égard de la juridiction constitutionnelle
(A). Mais, il y a lieu de se demander aussi pourquoi les
avocats n'y font pas recours (B).
A. Le manque de confiance des justiciables au Conseil
constitutionnel
L'incrédulité se traduit par le manque de
confiance des justiciables au Conseil constitutionnel. Ce manque de confiance
est la résultante du mode de désignation141 de ses
membres. Cela, d'autant plus que ceux-ci méconnaissent
généralement qu'ils ont « un devoir d'ingratitude »
envers ceux qui les ont nommés142. Dès lors, bien que
la justice constitutionnelle soit considérée par beaucoup
d'auteurs comme le « rempart légitime »143 des
citoyens, ceux-ci la perçoivent comme une institution
politisée144, un partenaire loyal du pouvoir
politique145. Ce qui confirme le point de vue de Delphine Emmanuel
ADOUKI pour qui « ...le juge constitutionnel africain n'est qu'« un
pouvoir d'Etat »146, institué par la Constitution et
assujetti au pouvoir politique, qui préside à sa
désignation, au point d'en être totalement `'asservi»
»147. Ainsi, pour la plupart des citoyens, le juge
constitutionnel se présente comme une des facettes de l'expression du
pouvoir politique148 et ne résout que des questions
politiques. Il ne serait rien
141 Abraham Hervé DIOMPY, « Les dynamiques
récentes de la justice constitutionnelle en Afrique francophone »,
Revue Electronique Afrilex, février 2014, 31 p.
142 Robert BADINTER, s'inspirant de l'expression
utilisée par Thomas MORE, rappelle en 1986 dans son allocution devant le
Conseil constitutionnel français que les juges constitutionnels ont un
devoir d'ingratitude envers le pouvoir de nomination. Oui le devoir
d'ingratitude parce que le Conseil constitutionnel est un contrepouvoir au
pouvoir qui le nomme.
143 Théodore HOLO, « Emergence de la justice
constitutionnelle », Revue Pouvoirs, 2009/2, n°129, pp.
101-114.
144 Babacar GUEYE, « La démocratie en Afrique :
succès et réticences », Op.cit., pp. 5-26.
145 Placide WenneGoundi ROUAMBA, « Réflexion
critique sur la « doctrine » des juridictions constitutionnelles en
Afrique noire francophone : le cas du Burkina Faso », RBD,
n°50-2ème semestre, 2015, pp. 197-229.
146 Delphine Emmanuel ADOUKI, « Contribution à
l'étude de l'autorité des décisions du juge
constitutionnel en Afrique », RFDC, n°95-2013/3, pp.
611-638.
147 Ibidem.
148 Ibidem.
21
d'autre qu'un juge électoral149. D'ailleurs,
pour François LUCHAIRE, la saisine des particuliers devrait se
résumer au seul contentieux des élections150. Cette
méfiance de la population explique la rareté de la saisine du
juge constitutionnel d'autant plus qu'en vingt (20) ans, la fréquence du
recours en exception d'inconstitutionnalité laisse encore à
désirer au Burkina Faso. En effet, depuis sa toute première
consécration en 2000151 à aujourd'hui, l'exception
d'inconstitutionnalité n'a pu être actionnée qu'à
quelque neuf (9) occasions seulement152, si bien que certains
observateurs la qualifieraient de droit illusoire153. Le constat de
la méfiance de la population burkinabè à l'égard du
juge constitutionnel a été fait par Salifou SAMPINGBO qui avait
déclaré que « le public perçoit
généralement le travail du juge constitutionnel à travers
les proclamations des résultats des élections alors que d'autres
attributions sont dévolues au juge constitutionnel »154.
Ainsi, le prétoire du juge ressemblerait à « une
scène théâtrale dont les rideaux tombés à la
fin de la représentation, restaient fermés jusqu'à la
prochaine échéance électorale »155. Cette
mauvaise presse du Conseil constitutionnel156 burkinabè
constitue son « péché originel »157. Par
ailleurs, ce manque de confiance à l'égard de la juridiction
constitutionnelle serait dû à une inculture juridique de la
population burkinabè158. En effet, au Burkina Faso,
l'écrasante majorité des conflits continue de se régler en
dehors du prétoire des juges159. Or, l'accès du
citoyen au juge constitutionnel est conditionné par l'accès au
juge ordinaire.
149 Philippe BELLOIR, La Question Prioritaire de
Constitutionnalité, Paris, l'Harmattan, 2012,
1ère édition, p. 28.
150 François LUCHAIRE, « La saisine du Conseil
constitutionnel et ses problèmes », RDP, n°4-2001,
pp. 141-155.
151 Consécration intervenue à travers la loi
organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000.
152 Il s'agit des décisions suivantes : DCC
n°2007-04/CC du 29 août 2007 ; DCC n°2016-08/CC du 12 juillet
2016 ; DCC n°2017-013/CC du 9 juin 2017 ; DCC n°2018-007/CC du 20
mars 2018 ; DCC n°2019-001/CC du 12 février 2019 ; DCC
n°2019-002 du 15 mars 2019 ; DCC n°2019-015/CC du 23 juillet 2019 ;
DCC n°2020-030/CC du 13 novembre 2020 ; DCC n°2021-006/CC du 08
février 2021.
153 Stéphane BOLLE, disponible en ligne sur
l'adresse
http://la-constitution-en-afrique.over-blog.com/article-16538693.html
consulté le 22 avril 2020 à 10h32.
154 Salifou SAMPINGBO, Sidwaya n°6387 du lundi 23 Mars
2009, cité par Kader HAMIDOU GARBA, La protection des droits
fondamentaux par le juge constitutionnel : cas du Burkina Faso et du Niger,
Op.cit., p. 71.
155 Agnero Privat MEL, « La saisine du juge
constitutionnel en Afrique francophone », RBD, n°52-1er
semestre/2017, pp. 104-144.
156 Bernard CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, Paris,
Dalloz, 2006, 23ème édition, p. 546.
157 Ibidem.
158 CGD, Rapport sur la justice et l'Etat de droit au
Burkina Faso, septembre 2011, Bibliothèque de l'Assemblée,
p. 55. Voir dans le même sens André DROLET, Projet de rapport
sur l'accès à la justice dans l'espace francophone : le
rôle des parlements, Session de l'Assemblée Parlementaire de
francophonie, Juillet 2015, p. 18. En outre, il faut ajouter que l'accès
à la justice est conditionné par l'accès au droit. Voir
dans ce sens Amina BALLA KALTO, « La problématique de
l'accès à la justice au Niger », Revue Electronique
Afrilex, juillet 2013, 29 p.
159 CGD, Rapport sur la justice et l'Etat de droit au Burkina
Faso, Op.cit., p. 59.
22
Contrairement au Burkina Faso, n'ayant pourtant
été institué qu'en 2008160, le contrôle
de constitutionnalité des lois a posteriori connaît, en
France, un grand succès. En effet, depuis cette date, le Conseil
constitutionnel français rend environ soixante-quinze (75)
décisions QPC par an161. Ainsi, au 30 juin 2019, le Conseil
constitutionnel français a rendu sept-cent-six (706) décisions
QPC162. En onze années d'existence, la QPC aura
été un véritable succès. C'est une «
révolution juridique » selon Jean-Jacques URVOAS163.
Cet énorme fossé entre le Burkina Faso et la
France dresse un constat alarmant quant à l'application de l'exception
d'inconstitutionnalité dans le pays des hommes
intègres164. De notre analyse, malgré sa double
consécration à savoir constitutionnelle165 et
législative166, le contrôle de
constitutionnalité par voie d'exception demeure quasi-inexistant au
Burkina Faso.
Qu'est-ce qui peut bien expliquer cette carence en saisine du
juge constitutionnel de la part des justiciables ? Pourquoi les avocats n'y
ont-ils pas recours ? C'est un point qui mérite réflexion.
B. L'inaction des avocats des parties au
procès
Le recours en exception d'inconstitutionnalité est
désormais largement ouvert aux citoyens167. Pourtant, il
n'était, naguère, nullement prévu de donner à
chaque citoyen le pouvoir de contester la constitutionnalité des
lois168. C'est ce qui a poussé le doyen Georges VEDEL
à affirmer que « la porte étroite » de la justice
constitutionnelle est devenue « une porte ouverte »169. Et
la justice constitutionnelle est censée être rendue au nom du
peuple ! S'exclame Dimitri LOHRER170, parce que l'essentiel de
l'exception d'inconstitutionnalité est de permettre
160 Date à laquelle la QPC a été introduite
en France par la loi de révision constitutionnelle du 23 juillet
2008.
161 Statistiques disponibles en ligne sur l'adresse
http://www.conseil-constitutionnel.fr
consultée le 13 août 2020 à 12h48.
162 « Bilan statistique » disponible sur le site du
Conseil constitutionnel français sur l'adresse
précédemment citée.
163 Jean-Jacques URVOAS, Rapport d'information sur la question
prioritaire de constitutionnalité, enregistré à la
Présidence de l'Assemblée Nationale le 27 mars 2013.
164 Le pays des hommes intègres est l'appellation
donnée à l'ex Haute Volta, actuel Burkina Faso.
165 Article 157 al.2 de la Constitution burkinabè du 02
juin 1991.
166 Article 25 de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril
2000 relative au Conseil constitutionnel.
167 Jean-Paul VALETTE, Droit constitutionnel, Paris,
l'Harmattan, 2013, p. 65.
168 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel,
Paris, Montchrestien, 2010, 9ème édition, p.
43.
169 Georges VEDEL, « L'accès des citoyens au juge
constitutionnel. La porte étroite », La Vie Judiciaire,
n°2344, 1991, pp. 1-14.
170 Dimitri LOHRER, La protection non juridictionnelle des
droits fondamentaux, Thèse de Doctorat en droit public soutenue en
date du 5 juin 2013 à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour,
p. 10.
23
au peuple d'avoir son mot à dire sur les normes
adoptées171 démocratiquement. Par ce mécanisme,
il peut véritablement s'opposer à l'arbitraire du pouvoir,
disaient Jean GICQUEL et Jean-Eric GICQUEL172. De ce fait, ce peuple
doit prendre conscience de cet arc-en-ciel juridique173 et
s'en servir au mieux. Mais, on ne peut s'empêcher de constater avec Isaac
Yankhoba NDIAYE que même après son ascension constitutionnelle, ce
mécanisme « reste peu connu et méconnu »174.
En effet, le nombre de recours en exception d'inconstitutionnalité
introduit à ce jour au Burkina Faso demeure
dérisoire175. Cette insuffisance serait reprochable aux
avocats des parties au procès qui oublient et/ou s'abstiennent de s'en
prévaloir.
Au Burkina Faso, en France, comme ailleurs, ce sont les
avocats qui actionnent généralement ce recours176. De
ce fait, on peut légitimement se demander pourquoi, au Burkina Faso, les
avocats des parties n'ont-ils pas assez souvent recours à l'exception
d'inconstitutionnalité ? Pour l'essentiel, il est possible d'accuser une
certaine inculture constitutionnelle des avocats. Selon notre opinion, les
avocats, étant plus habitués aux contentieux et aux
procédures devant les juridictions ordinaires, oublient de faire appel
aux dispositions constitutionnelles en général et à
l'exception d'inconstitutionnalité en particulier dans leurs
différentes affaires. Pour Marthe FATIN-ROUGE STEFANINI, cela serait
dû au fait que la formation des avocats a longtemps été
orientée plus vers le droit conventionnel que le droit
constitutionnel177. De ce fait, l'utilisation de l'instrument
conventionnel est considérée comme plus aisée que le
recours aux normes et à la jurisprudence
constitutionnelle178. Ainsi préféreraient-ils soulever
une exception d'inconventionnalité179 qui reste dans le
sillage de la
171 Marie-Anne COHANDET, Droit constitutionnel, Paris,
Montchrestien, 2015, p. 204.
172 Jean GICQUEL et Jean-Eric GICQUEL, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 2014,
28ème édition, p. 87.
173 Telle est la qualification donnée au droit
constitutionnel en général et à l'exception
d'inconstitutionnalité en particulier. V°. Jean GICQUEL et
Jean-Eric GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques,
Op.cit., p. 87.
174 Isaac Yankhoba NDIAYE, « L'accès à la
justice constitutionnelle par le citoyen », Communication au 6ème
Congrès de l'Association des Cours et Conseil constitutionnels ayant en
partage l'usage du français, Marrakech, du 4 au 6 juillet 2012.
175 Seulement sept recours depuis la consécration du
mécanisme en 2000 à nos jours.
176 Cela est dû au fait que les avocats sont les
professionnels de droit qui maîtrisent sûrement le mieux les
règles de procédure.
177 Marthe FATIN-ROUGE STEFANINI, « La question
préjudicielle de constitutionnalité : étude du projet
français au regard du droit comparé », Annuaire
International de Justice Constitutionnelle, n°23, 2007, pp. 13-23.
178 Ibidem.
179 Jean-Louis DEBRE cité par Jean GICQUEL et Jean-Eric
GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, Op.cit., p.
119.
24
compétence du juge ordinaire180 plutôt
qu'une exception d'inconstitutionnalité181 qui est l'apanage
d'un juge spécial182. En outre, cela serait lié au
fait que la majorité des avocats s'intéressent plus au droit des
affaires ou plus généralement au droit privé. Le droit
public en général et le droit constitutionnel en particulier ne
leur paraissant pas être d'un grand secours, les avocats manquent de se
servir des moyens juridiques que leur offre la Constitution, oubliant que
celle-ci est « la base de l'ordre juridique »183 dont
dépend le droit privé. Ainsi, cette inculture constitutionnelle
des avocats constitue l'un des plus grands obstacles au développement du
mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso.
Un tel constat nous conduit irrésistiblement à épouser la
formule de Jean du Bois de GAUDUSSON selon laquelle, une « Constitution
sans culture constitutionnelle n'est que ruine du constitutionnalisme
»184. Il existe donc bel et bien, à la lecture d'Adama
KPODAR, « une assimilation entre constitutionnalisme et droit
constitutionnel »185.
Par ailleurs, si le caractère inopérant du
mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso
peut être imputable à sa non-utilisation par les justiciables, il
est également possible d'accuser le faux départ des juridictions
ordinaire (Cour de cassation) et constitutionnelle (Conseil constitutionnel)
sur la première mise en oeuvre de l'exception
d'inconstitutionnalité, ce qui aurait refroidi les ardeurs des
justiciables.
§2 : Le faux départ des juridictions
ordinaire et constitutionnelle
Certes, la fébrilité de l'exception
d'inconstitutionnalité au Burkina Faso peut s'expliquer par la
non-saisine de l'opportunité de la part des justiciables. Mais, si les
citoyens n'y ont pas recours, c'est en partie dû à la toute
première attitude des juridictions ordinaire et
180 Voir les jurisprudences Cass., Ch. Mixte, 24 mai 1975 ;
Société des cafés Jacques Vabre et CE., Ass., 20 octobre
1989, Nicolo.
181 Cette procédure est perçue comme
étant plus complexe, plus lourde et plus lente dans la mesure où
elle oblige le juge ordinaire à surseoir et à renvoyer la
question à la juridiction constitutionnelle qui a trente jours pour
statuer.
182 Voir les articles 157 al.2 de la Constitution du 02 juin
1991 et 25 de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 relative au
Conseil constitutionnel.
183 Adama KPODAR, « Bilan sur un demi-siècle de
constitutionnalisme en Afrique noire francophone », Revue Electronique
Afrilex, Janvier 2013, 33 p.
184 Jean du Bois de GAUDUSSON, « Constitution sans
culture constitutionnelle n'est que ruine du constitutionnalisme, poursuite
d'un dialogue sur quinze années de `'transition en Afrique et en Europe,
Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation »,
In Slobodan MILACIC, Démocratie et liberté :
tension, dialogue, confrontation, Mélanges en l'honneur de Slobodan
MILACIC, Bruxelles, Bruyant, 2008, pp. 333-348.
185 Adama KPODAR, « Bilan sur un demi-siècle de
constitutionnalisme en Afrique noire francophone », Op.cit., 33
p.
25
constitutionnelle. La susceptibilité de la Cour de
cassation (A) et le manque d'audace du juge constitutionnel
(B) ont sans nul doute découragé les
justiciables.
A. La susceptibilité décourageante de la Cour
de cassation
Au terme de l'article 157 alinéa 2 de la Constitution
burkinabè, en tant que partie au procès, le citoyen peut avoir
accès au juge constitutionnel186, ce dernier étant
détenteur du monopole de la vérification de la
constitutionnalité des lois187. Selon Marilisa D'AMICO, ce
sont les juridictions ordinaires qui entretiennent une relation directe avec le
juge constitutionnel188. Celui-ci n'est saisi que par le juge du
fond, ajoute Jean-Louis ESSAMBO KANGASME189. Ce qui lie le sort de
l'exception d'inconstitutionnalité à l'humeur du juge ordinaire.
En effet, il peut arriver que la juridiction ordinaire du fond refuse de donner
suite à la requête du justiciable et ainsi refuser de transmettre
la question190 exceptionnelle de constitutionnalité au
Conseil constitutionnel. Si l'exception d'inconstitutionnalité a produit
ses effets ailleurs191, c'est assurément parce qu'elle est de
plus en plus entrée dans « la conscience des justiciables et des
tribunaux ordinaires »192. Or, le refus des juridictions
ordinaires de saisir le juge constitutionnel sur l'exception
d'inconstitutionnalité soulevée devant elles s'apparente
assurément à un handicap freinant l'aboutissement de ce
mécanisme.
En droit constitutionnel burkinabè, c'est la Cour de
cassation qui s'était au départ montré
hostile193 envers la procédure laissant, par là
même, apparaître « les susceptibilités d'un
système judiciaire jaloux »194 de la plénitude de
compétence du juge constitutionnel. En effet, lors de la
186 Marilisa D'AMICO, « Juge constitutionnel, juges du
fond et justiciables dans l'évolution de la justice constitutionnelle
italienne », Op.cit., pp. 79-96.
187 Louis FAVOREU, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz,
2019, 21ème édition, p. 291.
188 Marilisa D'AMICO, « Juge constitutionnel, juges du
fond et justiciables dans l'évolution de la justice constitutionnelle
italienne », Op.cit., pp. 79-96.
189 Jean-Louis ESSAMBO KANGASME, Le droit constitutionnel,
Louvain-La-Neuve, l'Harmattan, 2013, p. 101.
190 Cela se fait, notamment en France, à travers une
décision de non-renvoi des juridictions suprêmes des deux ordres
juridictionnels à savoir le Conseil d'Etat et la Cour de cassation.
191 Nous faisons référence à la France
notamment où il y a une forte production de jurisprudences rendues sur
QPC, l'équivalent de l'exception d'inconstitutionnalité au
Burkina Faso. V°. Supra., p. 19.
192 Bianca SELEJAN-GUTAN, « L'exception
d'inconstitutionnalité en Roumanie : instrument de protection des droits
ou dilatoire ? », Revista Românâ de Drept Comparat,
n°1-2012, pp. 65-79.
193 Comme le fera plus tard son homologue français avec
des décisions de non-renvoi trois plus nombreuses que des
décisions de renvoi. V°. Francis HAMON et Michel TROPER, Droit
constitutionnel, Paris, Montchrestien, 2014, 35ème
édition, p. 741.
194 Elena-Simina TANASESCU, « L'exception
d'inconstitutionnalité qui ne dit pas son nom ou la sémantique
constitutionnelle roumaine », RIDC, Vol.65, n°4/2013, pp.
905-939.
26
première mise en oeuvre de l'exception
d'inconstitutionnalité au Burkina Faso, le Premier Président de
la Cour de cassation avait refusé le droit à l'exception
d'inconstitutionnalité. Il s'agit de la tristement195
célèbre jurisprudence EROH196 rendue par le juge
constitutionnel burkinabè. Dans cette affaire, la Société
Etudes et Réalisations d'Ouvrages Hydrauliques (EROH) demandait à
ce que le Conseil reconnaisse le bien-fondé de l'exception
d'inconstitutionnalité qu'elle a soulevée sans succès
devant le Premier Président de la Cour de cassation. Le requérant
soutient que sa requête est recevable sur la base des articles 4 et 5 de
la Constitution qui disposent que « tous les burkinabè et toute
personne vivant au Burkina Faso bénéficient d'une égale
protection de la loi. Tous ont droit à ce que leur cause soit entendue
par une juridiction indépendante et impartiale » et que
« tout ce qui n'est pas interdit ne peut être
empêché » ; de l'article 25 de la loi organique
n°011-2000/AN du 27 avril 2000 qui est libellé comme suit :
« lorsqu'une exception d'inconstitutionnalité est
soulevée par un justiciable devant une juridiction, quelle qu'elle soit,
celle-ci est tenue de sursoir à statuer et de saisir le Conseil
constitutionnel... ».
Malheureusement, le juge en charge de l'affaire avait
refusé de faire le renvoi et de saisir le Conseil constitutionnel tel
que commandé par cet article 25 de la loi organique ci-haut
citée. Sur ce point, comme l'ont si bien écrit Francis HAMON et
Michel TROPER, en refusant de faire passer le recours, le juge ordinaire s'est
érigé en « juge constitutionnel négatif
»197. Or, si la Constitution a spécialement
chargé un organe du contrôle de la constitutionnalité des
lois198, c'est qu'elle a voulu, par là même, maintenir
dans ce domaine, l'incompétence des autres juridictions199.
Pourtant, le juge de la Cour de cassation ne semblait pas de cet avis en
empêchant que le contrôle de constitutionnalité «
remonte »200 vers la juridiction constitutionnelle. Cela est
contraire au principe de l'existence même d'une juridiction
constitutionnelle spécialisée201. Il s'agit
manifestement d'un zèle dont a fait preuve le juge ordinaire. Cela
décourage encore plus les citoyens qui nourrissaient déjà
une méfiance à l'égard
195 Ce sont les innombrables critiques formulées par
certains auteurs, notamment les doctrinaires burkinabè envers cette
jurisprudence qui en ont essentiellement fait la notoriété.
196 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2007-04/CC du 29 août 2007 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la société EROH.
197 Francis HAMON et Michel TROPER, Droit constitutionnel,
Paris, Montchrestien, 2014, 35ème édition, p.
741.
198 Article 152 de la Constitution burkinabè du 02 juin
1991.
199 Gérard CONAC et Didier MAUS (dir.), L'exception
d'inconstitutionnalité, Nancy, Les éditions STM, 1990, p.
84.
200 Guillaume DRAGO, Contentieux constitutionnel
français, Paris, PUF, 2011, 3ème édition,
p. 72.
201 Francis HAMON et Michel TROPER, Droit constitutionnel,
Op.cit. p. 741.
27
du système de justice constitutionnelle202.
Plus déplorable encore demeure le manque d'audace du juge
constitutionnel burkinabè pour rappeler le juge ordinaire à
l'ordre à travers sa décision.
B. La frilosité du juge
constitutionnel
L'exception d'inconstitutionnalité rapproche la
Constitution des citoyens203. Pour sa première mise en oeuvre
au Burkina Faso, elle avait suscité beaucoup d'enthousiasme.
C'était en effet l'occasion de mettre en oeuvre un mécanisme qui
n'existait pas encore en France204. Mais, aussi surprenante
soit-elle, la solution du Conseil constitutionnel burkinabè a
été de rejeter cette requête de la société
EROH en décidant que conformément à l'article 25 de la loi
organique invoquée par le requérant, c'est la juridiction qui
doit saisir le Conseil et qu'en l'espèce, ce n'est pas la juridiction
qui a saisi le Conseil mais la partie qui a soulevé l'exception
d'inconstitutionnalité, que dès lors, il sied de déclarer
la requête irrecevable205.
Même si juridiquement correcte en la
forme206, cette décision reste critiquable parce que de notre
point de vue, la loi organique, en disposant que « celle-ci est tenue
de sursoir à statuer et de saisir le juge constitutionnel »,
ne donne pas un autre choix au juge ordinaire que de solliciter
l'intervention du juge constitutionnel. Mais, le juge constitutionnel
burkinabè n'a pas daigné condamner cette méconnaissance
par le juge ordinaire de son obligation. Ce qui a poussé certains
auteurs à voir dans cette décision, une grande occasion
manquée et à accuser un manque de courage du juge constitutionnel
burkinabè207. Comment pouvait-on penser autrement ?
Ce constat bien qu'amer, n'est pas excessif, car la
juridiction constitutionnelle burkinabè s'est limitée à
une interprétation littérale208 de la loi organique
qui régit l'exception d'inconstitutionnalité. Elle aurait pu
refuser cette requête en la forme, mais par un obiter
202 V°. Supra., p. 20.
203 Denis BARABGER, Le droit constitutionnel, Paris,
PUF, 2013, 6ème édition, p. 25.
204 En France, le comité Balladur avait semble-t-il
essayé en vain d'introduire ce mécanisme jusqu'en 2008.
205 V°. Article 1er de la décision rendu
par le Conseil constitutionnel burkinabè.
206 Augustin LOADA, Avis et Décisions
commentés de la justice constitutionnelle burkinabè de 1960
à nos jours, CGD, 2009, p. 122.
207 Augustin LOADA, Avis et Décisions
commentés de la justice constitutionnelle burkinabè de 1960
à nos jours, Op.cit., p. 122 et ss.
208 Ceci est malheureusement une habitude du juge
constitutionnel burkinabè. V°. Séni Mahamadou OUEDRAOGO et
Djibrihina OUEDRAOGO, « Libres propos sur la transition politique au
Burkina Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition »,
Revue Electronique Afrilex, février 2015, 28 p.
28
dictum209 dont les Hautes Cours ont le
secret du maniement, ouvrir une brèche pour le recours des
justiciables210. Du point de vue de la doctrine burkinabè,
« Cette dernière option aurait été la meilleure.
L'exception d'inconstitutionnalité ouvrait des espoirs pour le
développement de la justice constitutionnelle au Burkina Faso
»211. Le juge constitutionnel burkinabè aurait pu agir
comme son homologue béninois qui ne manque pas de censurer de
façon constante les juges qui se prononcent sur l'opportunité de
la question soulevée ou qui choisissent de ne pas lui renvoyer la
question212. Par sa frilosité213, il venait de
fermer les portes d'accès du contentieux constitutionnel
burkinabè214, car c'est l'action citoyenne qui donne toute sa
vitalité à la justice constitutionnelle215. La preuve
en est qu'après cette première tentative, il aura fallu attendre
neuf (9) années plus tard pour voir un nouveau recours en exception
d'inconstitutionnalité être intenté au Burkina
Faso216. Avec cette décision, le juge constitutionnel
burkinabè n'a fait qu'accentuer les critiques déjà
pesantes sur les juridictions constitutionnelles africaines. En effet, pour
Babacar GUEYE, la faiblesse quantitative de la jurisprudence constitutionnelle
est due au manque de hardiesse du juge constitutionnel qui s'enferme dans une
conception minimaliste de ses prérogatives217. Au même
titre que Dodzi KOKOROKO, nous nous interrogeons sur la raison qui pourrait
amener cette institution, malgré la liberté dont elle dispose,
à se limiter ou à agir dans un sens plutôt que dans un
autre218.
Le Conseil constitutionnel aurait pu, par cette jurisprudence,
se dégager de ce que Hugues PORTELLI appelle une « subordination au
pouvoir politique »219 pour se rapprocher
209 Expression latine signifiant littéralement «
soit dit en passant ». En droit procédural, opinion ou observation
incidente faite par le juge qui, bien que se trouvant à
l'intérieur de la décision rendue, ne constitue pas un
raisonnement juridique justifiant celle-ci. Dès lors, l'obiter
dictum n'a pas l'autorité de la chose jugée.
210 Stéphane BOLLE, Op.cit., ibidem.
211 Augustin LOADA, Avis et Décisions
commentés de la justice constitutionnelle burkinabè de 1960
à nos jours, Op.cit., p. 123.
212 Ibrahim David SALAMI et Diane O. Melone GANDONOU,
Droit constitutionnel et institutions du Bénin, Cotonou,
Editions CEDAT, 2014, p. 380.
213 Cela, à l'inverse du juge constitutionnel
béninois qui fait habituellement montre de grand courage. Voir dans ce
sens l'article de Placide MOUDOUDOU, « Réflexion sur le
contrôle des actes réglementaires par le juge constitutionnel
africain : cas du Bénin et du Gabon », Annales de
l'Université Marien NGOUABI, 2011-2012 ; 1213 (3) : pp. 65-91.
214 Augustin LOADA, Avis et décisions de la justice
constitutionnelle burkinabè de 1960 à nos jours, Op.cit., p.
123.
215 Théodore HOLO, « Emergence de la justice
constitutionnelle », Revue Pouvoirs, n°129-2009/2, pp.
101-114.
216 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2016-08/CC du 12 juillet 2016 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de l'article 497°3 du code de
procédure pénale ou affaire BADO Abdoulaye.
217 Babacar GUEYE, « La démocratie en Afrique,
succès et réticences », Revue Pouvoirs,
n°129-2009/2, pp. 5-26.
218 Dodzi KOKOROKO cité par Maria Nadège
SAMBA-VOUKA, « La saisine des juridictions constitutionnelles dans le
nouveau constitutionnalisme en Afrique », Op.cit., pp. 54-71.
219 Hugues PORTELLI, Droit constitutionnel, Paris,
Dalloz, 2011, 9ème édition, p. 354.
29
d'une véritable juridiction
constitutionnelle220. Mais, le juge constitutionnel burkinabè
nous aura laissé sur notre faim, tuant dans l'oeuf, par la même
occasion, l'avenir de l'exception d'inconstitutionnalité en
l'abandonnant « aux désidératas des juridictions ordinaires
»221. On ne peut en effet s'empêcher de penser que cette
attitude, ce premier faux départ de la Cour de cassation et du Conseil
constitutionnel a découragé et refroidi les ardeurs des
justiciables sur l'effectivité de l'exception
d'inconstitutionnalité au Burkina Faso. L'on se demande
l'intérêt de consacrer un droit dont la jouissance n'est pas
garantie222.
Le mécanisme instituant un moyen d'accès du
citoyen-justiciable à la justice constitutionnelle au Burkina Faso
souffre d'un autre mal qui est celui de sa qualification juridique
erronée.
220 Ibidem.
221 Stéphane BOLLE, Op.cit., ibidem.
222 Guetwendé Gilles SAWADOGO, Les insuffisances de la
Constitution burkinabè du 02 juin 1991, Mémoire de Licence
soutenue à l'Université Privée de Ouagadougou, 2014.
Disponible en ligne sur l'adresse
https://www.memoireonline.com/11/17/10153/m-Les-insuffisances-de-la-constitution-burkinabe-du-02-juin-199119.html
consulté le 12 septembre 2020 à 18h36.
30
CHAPITRE II : UNE QUALIFICATION ERRONEE DU MECANISME
: UNE QUESTION PREJUDICIELLE PAR
NATURE
L'exception d'inconstitutionnalité était, au
Burkina Faso, un mécanisme relativement complexe dans sa mise en oeuvre.
Cette complexité est imputable à plusieurs facteurs. Ces facteurs
sont d'ordre sociologique223 et juridique224. Par
ailleurs, il faut noter plus précisément la complexité due
à la nature même du mécanisme qui s'apparente plus à
une question préjudicielle d'un type spécifique225
qu'à une exception d'inconstitutionnalité telle que conçue
dans le Common Law226. En effet, « si le juge de
l'action n'est pas le juge de l'exception, on ne saurait parler d'exception
d'inconstitutionnalité », dira Isaac NDIAYE227. Il
s'agirait d'un « big-bang juridictionnel »228, d'une
question préjudicielle. Cette dernière est définie comme
une question « qui oblige le tribunal à surseoir à statuer
jusqu'à ce qu'elle ait été soumise à la juridiction
compétente »229. Mais, au Burkina Faso comme dans
d'autres pays de l'espace ouest africain230, la tendance est de
qualifier la question préjudicielle d'exception
d'inconstitutionnalité231. L'affirmation de la nature
préjudicielle du mécanisme burkinabè réside dans le
fait que la question est posée devant le juge ordinaire appelé
aussi « juge a quo » (Section I) mais
celle-ci est tranchée par le Conseil constitutionnel jouant le
rôle du « juge a quem » (Section
II).
223 Nous faisons référence à la
non-utilisation du mécanisme par les citoyens-justiciables qui sont les
premiers destinataires de ce droit. V°. Supra., p. 20.
224 La difficulté juridique se rapporte au fait que le
justiciable se trouverait dans une impasse lorsque la juridiction du fond
refuserait d'effectuer le renvoi, car celui-ci ne dispose d'aucune voie
légale pour contraindre cette juridiction à s'exécuter.
225 Thierry Serge RENOUX, « L'exception telle est la
question », RFDC, n°4-1990, pp. 651-658. Voir la distinction
qui est faite entre la question préjudicielle proprement dite et la QPC
sur le site
https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/qpc-textes-applicables-et-premieres-decisions
consulté le 23 septembre 2020 à 22h28.
226 Aux Etats-Unis, l'exception d'inconstitutionnalité
est tranchée par le juge devant lequel la question a été
soulevée. Le contrôle de constitutionnalité est dit diffus
ou décentralisé.
227 Isaac Yankhoba NDIAYE, « L'accès à la
justice constitutionnelle par le citoyen », Communication au 6ème
Congrès de l'Association des Cours et Conseil constitutionnels ayant en
partage l'usage du français, Marrakech, du 4 au 6 juillet 2012.
228 Dominique ROUSSEAU, « La question
préjudicielle de constitutionnalité : un big-bang juridictionnel
? », Revue du Droit Public et de la Science Politique,
n°125/2009, p. 631.
229 Serge GUINCHARD (dir.), Lexique des termes juridiques,
Paris, Dalloz, 2014, 21ème édition, p. 766.
230 Il en est ainsi du Niger et du Bénin qui ont
également consacré l'expression « exception
d'inconstitutionnalité » alors qu'il n'en est rien. Voir les
articles 132.al 2 de la Constitution nigérienne et 122 de la
Constitution béninoise.
231 Léon Kos'Ongenyi ODIMULA LOFUNGUSO, La justice
constitutionnelle et la judiciarisation de la vie politique congolaise,
Paris, l'Harmattan, 2016, p. 130.
31
Section I : Une question soulevée devant le juge
ordinaire
Comme n'importe quelle exception de procédure
soulevée devant le juge ordinaire, l'exception
d'inconstitutionnalité doit respecter quelques exigences classiques
(§1). Toutefois, au Burkina Faso, la procédure
devant le juge ordinaire demeure remarquablement simplifiée
(§2).
§1 : Un mode d'introduction classique de
l'exception
Le caractère classique réside dans le fait qu'on
ne peut soulever une exception d'inconstitutionnalité que dans le cadre
d'un procès, c'est-à-dire uniquement à titre incident
(A). Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que ce moyen peut
être invoqué à n'importe quel moment de la procédure
(B).
A. Un mécanisme intervenant à titre
incident
L'exception d'inconstitutionnalité n'est pas un recours
direct232. L'article 157 alinéa 2 de la Constitution
burkinabè dispose que « tout citoyen peut saisir le Conseil
constitutionnel sur la constitutionnalité des lois...par la
procédure de l'exception d'inconstitutionnalité invoquée
dans une affaire le concernant devant une juridiction ». A la lecture
de cette disposition, il ressort que c'est au cours d'une instance qu'un
justiciable pourra soulever qu'une disposition législative est contraire
à la Constitution233. Il s'agit d'un mécanisme tendant
à introduire un contrôle incident de constitutionnalité des
lois234. Pour Théodore HOLO, l'exception
d'inconstitutionnalité est exclusivement réservée au
justiciable235. Le mot justiciable signifie qu'il soit dans un
litige236. De ce fait, l'exception d'inconstitutionnalité
n'est
232 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux
constitutionnel, Paris, Montchrestien, 2010, 9ème
édition, p. 243.
233 Marie-Claire PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s)
comparé(s), Paris, Economica, 2010, p. 373.
234 Alessandro PIZZORUSSO, « Un point de vue comparatiste
sur la réforme de la justice constitutionnelle française »,
RFDC, n°4-1990, pp. 659-671.
235 Théodore HOLO, « Le citoyen, pierre angulaire
de la justice constitutionnelle au Bénin », Communication au
6ème Congrès de l'Association des Cours et Conseil
constitutionnels ayant en partage l'usage du français, Marrakech, du 4
au 6 juillet 2012.
236 Antoine MESSARA, « Le citoyen et la justice
constitutionnelle : problème et aménagement à la
lumière de l'étude de la Commission de Venise et en perspective
comparée », Communication au 6ème Congrès
de l'Association des Cours et Conseil constitutionnels ayant en partage l'usage
du français, Marrakech, du 4 au 6 juillet 2012, p. 125.
32
qu'une « parenthèse dans le procès »,
insiste Ibrahim SALAMI237. Ainsi, à l'inverse du
contrôle a priori par voie d'action qui est abstrait,
l'exception d'inconstitutionnalité est pour sa part un contrôle
concret de la constitutionnalité des lois. Cela signifie qu'elle doit
être soulevée, à peine
d'irrecevabilité238, devant un juge ordinaire, dans « un
cas concret en litige »239. Dès lors, seule une partie
au procès peut soulever l'inconstitutionnalité d'une loi
promulguée240. Tel est le principe du contrôle par voie
d'exception241. Par ailleurs, le juge constitutionnel
burkinabè a affirmé que seuls les justiciables ayant le statut de
citoyen peut valablement soulever une exception
d'inconstitutionnalité242. Ainsi, le citoyen burkinabè
ne peut être lié au contentieux de la constitutionnalité
des lois qu'en qualité de justiciable. En effet, pour Catherine CASTANO,
l'exception d'inconstitutionnalité ne serait qu'une voie
dérogatoire qui accorde aux citoyens la possibilité d'invoquer
l'inconstitutionnalité d'une loi lors d'un procès243,
et seulement au cours du procès. C'est aussi le point de vue de Pierre
BON pour qui la question de constitutionnalité se pose à
l'occasion d'un procès se déroulant devant le juge
ordinaire244.
Le juge constitutionnel burkinabè n'est pas
resté en marge de ces considérations. En effet, il va
réaffirmer dans l'un des considérants de sa décision du 08
août 2019 « que le citoyen...ne peut saisir le Conseil
constitutionnel sur la constitutionnalité d'une loi que par la voie de
l'exception d'inconstitutionnalité soulevée devant une
juridiction dans une affaire le concernant... »245.
Cette décision du Conseil constitutionnel fait de la
nécessité d'un litige ordinaire246 une obligation
préalable conditionnant sa saisine par le citoyen. Dès lors,
contrairement à l'idée répandue, l'exception
d'inconstitutionnalité « ne crée pas une saisine du Conseil
constitutionnel par le justiciable, mais un simple renvoi par le juge
» ordinaire247. Cela conforte l'idée selon laquelle
au Burkina Faso, il s'agit plus d'une question préjudicielle de
237 Ibrahim David SALAMI, « Exception
d'inconstitutionnalité et principe d'égalité au
Bénin et au Congo », Revue Burkinabè de Droit,
n°51-2ème semestre, 2016, pp. 9-41.
238 Philippe BELLOIR, La Question Prioritaire de
Constitutionnalité, Paris, l'Harmattan, 1ère
édition, p. 25.
239 Alec STONE, « Qu'y a-t-il de concret dans le
contrôle abstrait aux Etats-Unis », RFDC, n°34/1998,
pp. 227250.
240 Ibidem.
241 Guillaume DRAGO, Contentieux constitutionnel
français, Paris, PUF, 2011, 3ème édition,
p. 36.
242 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2020-030/CC du 13 novembre 2020 et DCC n°2021-006/CC du 08
février 2021.
243 Catherine CASTANO, « L'exception
d'inconstitutionnalité : la contrainte du droit, la force du politique
», RFDC, n°4-1990, pp. 631-649.
244 Pierre BON, « L'exception
d'inconstitutionnalité en Espagne (Question de
constitutionnalité) », RFDC, n°41990, pp. 679-683.
245 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2019-017/CC sur le recours en inconstitutionnalité de la loi
n°044-2019/AN du 21 juin 2019 modifiant la loi n°025-2018/AN du 31
mai 2018 portant Code pénal.
246 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux
constitutionnel, Paris, Montchrestien, 2010, 9ème
édition, p. 243.
247 Thierry Serge RENOUX, « L'exception telle est la
question », RFDC, n°4-1990, pp. 651-658.
33
constitutionnalité adressée par le juge
ordinaire au Conseil constitutionnel que d'une exception
d'inconstitutionnalité. Sauf ce recours préjudiciel, la
juridiction constitutionnelle ne connaîtra pas de la saisine des
justiciables248. D'ailleurs, dans un système concentré
de contrôle de constitutionnalité249, ce titre «
exception d'inconstitutionnalité » paraît impropre et n'a
été adopté que par facilité, dixit Louis
FAVOREU250.
Par ailleurs, force est de constater que ce mécanisme,
maladroitement appelé « exception d'inconstitutionnalité
», pourra être soulevée à n'importe quel moment de la
procédure.
B. Une requête introduite à tout
moment de la procédure
Il y a lieu de préciser qu'au Burkina Faso, le moyen
tiré de l'exception d'inconstitutionnalité devant le juge
ordinaire est généralement introduit par un mémoire du
requérant251. Toutefois, ce moyen peut aussi être
soulevé oralement à l'audience par le justiciable252,
c'est-à-dire en plein procès devant le juge du fond. Ainsi, au
Burkina Faso, l'exception d'inconstitutionnalité peut être
soulevée à n'importe quel moment de la procédure, devant
n'importe quel juge, quel que soit le litige dont il est question253
et par n'importe laquelle des parties254. En effet, le
législateur organique burkinabè n'ayant fait aucune
spécification255, l'exception d'inconstitutionnalité
devrait pouvoir être soulevée à tout moment et à
toute hauteur de la procédure ou de débat256 quel que
soit le litige en cause et peu importe la juridiction
248 Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un
système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des
droits de l'homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel
comparé », Op.cit., pp. 437-466.
249 Dominique CHAGNOLLAUD, Droit constitutionnel
contemporain, Paris, Dalloz, 2013, 7ème édition,
p. 72.
250 Louis FAVOREU, « L'exception
d'inconstitutionnalité est-t-elle indispensable en France ? », Les
méthodes de travail des juridictions constitutionnelles, Annuaire
International de Justice Constitutionnelle, n°8-1992, 1994, pp.
11-22.
251 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DDC
n°2019-015/CC sur l'exception d'inconstitutionnalité de l'article
67 de la loi du 13 novembre 1996 portant code pénal. Dans cette
décision, il ressort clairement que le requérant avait introduit
le moyen tiré de l'exception d'inconstitutionnalité dans un
mémoire soumis au juge du fond.
252 Voir le deuxième considérant de la
décision du Conseil constitutionnel burkinabè dans sa
décision du 13 novembre 2020 dans lequel il est transcrit que le
requérant avait « soulevé oralement à l'audience,
l'exception d'inconstitutionnalité de l'article 53 de la loi
sus-évoquée ». Lire aussi Ibrahim David SALAMI, «
Exception d'inconstitutionnalité et principe d'égalité au
Bénin et au Congo », RBD, n°51-2ème
semestre, 2016, pp. 9-41.
253 Jean-Paul VALETTE, Droit constitutionnel, Paris,
l'Harmattan, 2013, p. 66.
254 Ibrahim David SALAMI et Diane O. Melone GANDONOU,
Droit constitutionnel et institutions du Bénin,
Op.cit., p. 379.
255 Lire la loi organique n°011/2000/AN du 27 avril 2000 sur
le Conseil constitutionnel.
256 Ibrahim David SALAMI et Diane O. Melone GANDONOU,
Droit constitutionnel et institutions du Bénin,
Op.cit., p. 379.
34
ordinaire devant laquelle il est pendant257.
L'exception peut dès lors être soulevée à tous les
stades du procès, dès la prise de connaissance par les parties
des textes applicables au litige258. Par ailleurs, contrairement
à ce que laisse entendre l'article 157 alinéa 2 de la
Constitution, l'exception d'inconstitutionnalité n'est pas
réservée qu'au citoyen burkinabè. Le Conseil peut aussi
accueillir les requêtes émanant des
étrangers259.
Par contre, l'affirmation selon laquelle toutes les
juridictions sont compétentes doit être
nuancée260 notamment en droit comparé français.
En effet, le législateur organique français a expressément
prévu l'exclusion de certaines juridictions. D'abord, le moyen
tiré de l'inconstitutionnalité est irrecevable devant le juge
d'instruction. Si un tel moyen doit être présenté au cours
d'une information judiciaire, seule la juridiction d'instruction du second
degré est compétente261. De même, il est
interdit de soulever la QPC devant les Cours d'assises262.
Toutefois, les parties disposent de la faculté de soulever la QPC avant
le procès devant la cour d'assises d'appel dans un écrit
accompagnant la déclaration transmis à la Cour de
Cassation263. Ensuite, pour d'autres juridictions, l'exclusion
résulte du fait qu'elles ne relèvent pas des juridictions
suprêmes. Tel est le cas du Tribunal des conflits qui ne relève ni
du Conseil d'Etat ni de la Cour de cassation, mais est appelé à
se prononcer sur la répartition des contentieux entre l'ordre judiciaire
et l'ordre administratif. Le tribunal des conflits est donc exclu de la
question prioritaire de constitutionnalité. De même, la Cour
supérieure d'arbitrage, la Haute Cour chargée de juger le
Président de la République ne peuvent recevoir une
QPC264.
A propos de cette exclusion de la Cour d'assises du nombre des
juges habilités à recevoir des questions de
constitutionnalité, Alessandro PIZZORUSSO estime que « si l'on
retient, comme on le fait en Italie et en France, qu'ils (les juges populaires)
doivent être des juges aussi bien du droit que du fait, dans le cadre
d'un collège mixte, on ne voit pas pourquoi on devrait leur interdire de
participer à des décisions qui aboutissent à soulever des
questions de
257 Relwendé Louis Martial ZONGO, « L'accès
de l'individu au juge constitutionnel burkinabè »,
Op.cit., pp. 139164.
258 Mémorandum sur la loi organique relative à
l'exception d'inconstitutionnalité au Maroc, Conseil National des Droits
de l'Homme, Mars 2013, p. 4.
259 L'article 25 de la loi organique n°011/2000/AN du 27
avril 2000 sur le Conseil constitutionnel fait référence à
« tout justiciable ». Ce qui, dès lors, intègre les
étrangers se trouvant dans un contentieux sur le sol
burkinabè.
260 Philippe BELLOIR, La question prioritaire de
constitutionnalité, Paris, l'Harmattan, 1ère
édition, 2012, p. 27.
261 Article 23-1 al.3 de la loi organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009 relative à la QPC.
262 Philippe BELLOIR, La question prioritaire de
constitutionnalité, Op.cit., p. 27.
263 Article 23-1 al.4 de la loi organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009.
264 Philippe BELLOIR, La question prioritaire de
constitutionnalité, Op.cit., p. 28.
35
constitutionnalité »265. Ainsi, selon
notre analyse, le système burkinabè serait le mieux adapté
dans la mesure où il permet une participation inclusive de toutes les
juridictions quelles qu'elles soient266 à la mise en oeuvre
du contentieux de la constitutionnalité des lois à travers
notamment le mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité. En
outre, force est de constater qu'au Burkina Faso, la procédure est d'une
remarquable simplicité.
§2 : Une procédure remarquablement
simplifiée
Au Burkina Faso, la loi n'est pas exhaustive sur la
procédure de l'exception d'inconstitutionnalité267. De
ce point de vue, la simplicité de la procédure réside dans
l'absence d'examen de la recevabilité de la requête (A)
et de l'immédiate obligation de renvoi (B) du
juge ordinaire.
A. Une absence d'examen de la recevabilité de la
requête
Sur la recevabilité de l'exception devant le juge
ordinaire, la législation burkinabè brille par son silence. En
effet, au Burkina Faso, les conditions de recevabilité de la
procédure de l'exception d'inconstitutionnalité ne sont ni
prévues par la Constitution ni par la loi organique sur le Conseil
constitutionnel. Il s'agit là d'une « erreur digne d'un profane du
droit qui a été commise par le législateur
»268. Toutefois, cette omission, soit-elle intentionnelle ou
pas, profite tout de même aux justiciables. Ainsi, à défaut
de toute précision sur la question, la requête en exception
d'inconstitutionnalité n'est soumise à aucune condition autre que
celle de l'existence d'un procès encore moins à un contrôle
préalable de la part du juge du fond.
Par contre, en droit comparé français, le juge
ordinaire opère un contrôle de pertinence sur la requête en
inconstitutionnalité269. Il s'agit d'un double filtrage
tendant à la vérification de la recevabilité de la
requête dont une première vérification par le juge du fond
et une
265 Alessandro PIZZORUSSO, « Un point de vue comparatiste
sur la réforme de la justice constitutionnelle française »,
RFDC, n°4-1990, pp. 659-671.
266 A la seule et unique condition de répondre à la
qualité de juridiction. V°. Infra., pp. 39-40.
267 Augustin LOADA, Avis et Décisions
commentés de la justice constitutionnelle burkinabè de 1960
à nos jours, Op.cit., p. 122.
268 Ibrahim David SALAMI et Diane O. Melone GANDONOU,
Droit constitutionnel et institutions du Bénin,
Op.cit., p. 380.
269 Ibidem.
36
deuxième par la juridiction suprême de l'ordre
concerné. Ainsi, pour le premier filtrage, pour que la QPC soit
recevable, il faut que la disposition législative contestée ait
un lien avec le litige270. Cela est une condition sine qua non
pour sa recevabilité devant le juge ordinaire. Il faut que la
décision au fond soit différente selon que la loi est
inconstitutionnelle ou non271. Le recours sera donc
déclaré irrecevable lorsque la norme contestée n'est pas
applicable en l'espèce et si le demandeur à l'instance principale
ne puisse pas obtenir satisfaction même en cas
d'inconstitutionnalité de la norme contestée272.
Dès lors, seule une QPC soulevée contre une loi directement
applicable au litige273 demeure recevable devant le juge du fond.
Celui-ci doit vérifier si la disposition contestée commande
l'issue du procès274. A cet effet, Thierry Serge RENOUX
écrivait que « Le moyen tiré de
l'inconstitutionnalité d'une disposition législative ne peut
être soulevée que lorsque la disposition contestée commande
l'issue du litige, la validité de la procédure ou constitue le
fondement des poursuites... »275. C'est seulement lorsque cette
condition est remplie que le juge du fond pourra transmettre la question au
juge suprême qui opèrera alors un second filtrage. La juridiction
suprême elle, vérifiera si la question est nouvelle276
ou si elle présente un caractère sérieux277.
Il est clair qu'il existe, au regard de la procédure,
une très grande différence entre le mécanisme
burkinabè et celui français. Par ailleurs, ce refus d'accorder au
juge ordinaire burkinabè la possibilité d'avoir un regard sur la
recevabilité de la requête en exception
d'inconstitutionnalité nous paraît appréciable au moins sur
un double point de vue. D'abord, cela nous semble judicieux parce qu'il permet
de garantir la célérité de la
procédure278. En effet,
270 Article 23-2 de la loi organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la
Constitution française.
271 Christian AUTEXIER, « L'exception
d'inconstitutionnalité en droit allemand », RFDC,
n°04-1990, pp. 672675.
272 Ibidem.
273 Philippe ARDANT et Mathieu BERTRAND, Institutions
politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2013,
25ème édition, p. 94.
274 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux
constitutionnel, Paris, Montchrestien, 2010, 9ème
édition, p. 44.
275 Thierry Serge RENOUX, « L'exception telle est la
question », Op.cit., pp. 651-658. Voir aussi la décision
du Conseil constitutionnel français, DCC n°2010-1, QPC du 28 mai
2010.
276 Une question déjà tranchée par le
juge constitutionnel ne saurait être recevable à moins qu'il y ait
eu un changement de circonstances. V°. Conseil constitutionnel
français, DCC n°2009-595 du 3 décembre 2009 sur
l'application de l'article 61-1 de la Constitution. Voir aussi Mathieu BERTRAND
et Michel VERPEAUX (dir.), L'autorité des décisions du
Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 2010, p. 25.
277 Article 23-4 de la loi organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009 relative à la QPC. Sur le caractère
sérieux de la question, lire Christian AUTEXIER, « l'exception
d'inconstitutionnalité en droit allemand », Op.cit., pp.
672-675.
278 Tandis qu'au Burkina Faso, lorsqu'une exception
d'inconstitutionnalité est soulevée, le juge du fond doit
effectuer sans attendre le renvoi au Conseil constitutionnel qui doit statuer
dans un délai d'un (1) mois, en France, une QPC peut prendre plus de six
(6) mois pour être vidée : trois (3) mois pour la juridiction
suprême et trois (3)
37
la requête passera du juge ordinaire au juge
constitutionnel en moins de temps que s'il y avait un contrôle
préalable de la requête comme c'est le cas en France. Ensuite,
cela permettrait d'éviter que le juge ordinaire se substitue au juge
constitutionnel parce qu'en procédant à un examen de la
recevabilité de la requête, le juge ordinaire pourrait
indirectement s'adonner à un véritable contrôle de
constitutionnalité279. Comme l'a si bien expliqué
Thierry SANTOLINI, il serait difficile pour les juges ordinaires de ne pas
aborder « le fond » de la question d'inconstitutionnalité et
d'empiéter aussi sur la compétence exclusive du juge
constitutionnel280. Ainsi, le constitutionnalisme281
gagnerait mieux à maintenir cette procédure remarquablement
simplifiée qui ne donne au juge ordinaire nul autre choix que de
surseoir à statuer et d'effectuer le renvoi préjudiciel au
Conseil constitutionnel.
B. Une obligation immédiate de renvoi
préjudiciel
L'article 157, alinéa 2 de la Constitution du Burkina
Faso dispose en des termes clairs « En outre, tout citoyen peut saisir le
Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois, soit
directement, soit par la procédure de l'exception
d'inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne
devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir à statuer jusqu'à
la décision du Conseil constitutionnel qui doit intervenir dans un
délai maximum de trente jours à compter de sa saisine ».
Pour sa part, la loi organique relative au Conseil
constitutionnel282 à son article 25 emploie l'expression
« celle-ci est tenue de surseoir à statuer... ». Il
ressort de ces deux dispositions que dès l'instant où une
exception d'inconstitutionnalité aura été soulevée
devant une juridiction, celle-ci doit immédiatement surseoir à
statuer et saisir le Conseil constitutionnel. Le juge ordinaire se trouve
dès lors en situation de compétence liée aussi bien pour
le sursis à statuer que pour le renvoi283. Ainsi, on remarque
qu'au Burkina Faso,
mois pour le Conseil constitutionnel (annoter que le juge du
fond a 8 jours pour transmettre la QPC à la juridiction suprême).
Cf., les articles 23-4 et 23-10 de la loi organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la
Constitution française.
279 Thierry SANTOLINI, « La question prioritaire de
constitutionnalité au regard du droit comparé », Revue
Française de Droit Constitutionnel, n°93, 2013/1, pp.
83-105.
280 Ibidem.
281 Le constitutionnalisme est une théorie du droit qui
insiste sur le rôle et la fonction de la Constitution dans la
hiérarchie des normes ainsi que sur le contrôle
de constitutionnalité. Voir dans ce sens Théodore HOLO, «
Emergence de la justice constitutionnelle », Revue Pouvoirs,
n°129, 2009/2, pp. 101-114.
282 Loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 sur le
Conseil constitutionnel.
283 Relwendé Louis Martial ZONGO, « L'accès
de l'individu au juge constitutionnel burkinabè »,
Op.cit., pp. 139164.
38
l'introduction d'un moyen d'inconstitutionnalité oblige
le juge du fond à surseoir sans condition et à effectuer le
renvoi préjudiciel.
Toutefois, on pourrait voir un certain manque de rigueur dans
la formulation de la loi organique sur le Conseil constitutionnel qui s'est
simplement limitée à disposer que la juridiction du fond «
est tenue de surseoir à statuer ». En effet, le législateur
organique, afin qu'il ne subsiste aucune ambigüité, aurait pu se
montrer beaucoup plus rigoureux à l'image des législateurs
organiques nigérien et béninois. A ce titre, la loi organique sur
la Cour constitutionnelle du Niger dispose à son article 26 que
« La juridiction devant laquelle l'exception
d'inconstitutionnalité a été soulevée transmet
immédiatement à la Cour constitutionnelle l'expédition ou,
à défaut, l'attestation du jugement avant-dire-droit. Dans les
cinq (5) jours, la personne qui a soulevé l'exception
d'inconstitutionnalité saisit la Cour constitutionnelle par
requête adressée à son président
»284. Pour sa part, la loi organique sur la Cour
constitutionnelle du Bénin précise que la juridiction devant
laquelle l'exception d'inconstitutionnalité a été
soulevée « doit saisir immédiatement et au plus tard
dans les huit jours la Cour constitutionnelle et surseoir à statuer
jusqu'à la décision de la Cour »285.
A l'évidence, les législateurs organiques
nigérien et béninois se sont montrés beaucoup plus
rigoureux que celui burkinabè sur l'obligation faite au juge ordinaire
d'effectuer illico presto286 le renvoi préjudiciel
dès qu'une exception d'inconstitutionnalité aura
été soulevée devant lui. Mais, quoi qu'il en soit, cette
obligation de renvoyer immédiatement la question au juge
constitutionnel est aussi sous-entendue dans la formule consacrée par la
loi organique sur le Conseil constitutionnel burkinabè. En effet, selon
notre analyse, lorsque le législateur organique affirme que la
juridiction « est tenue de surseoir » sans autre condition,
il l'oblige par là même à s'exécuter
immédiatement. C'est donc à tort que la Cour de cassation
burkinabè s'était adonnée à un contrôle du
caractère sérieux de la requête en exception
d'inconstitutionnalité introduite dans l'affaire EROH287.
La Cour affirmait que « l'exception soulevée l'est à
des fins purement dilatoires et que le moyen tiré de ce chef n'a pas un
caractère sérieux...et que le juge doit écarter tout moyen
dilatoire »288. Sauf qu'il ne lui revenait pas
284 Loi organique n°2012-35 du 19 juin 2012
déterminant l'organisation, le fonctionnement de la Cour
constitutionnelle du Niger et la procédure suivie devant elle.
285 Article 24 al.2 de la loi organique n°91-009 du 4 mars
1991 sur la Cour constitutionnelle du Bénin.
286 Expression tirée du latin illico et de
l'italien presto qui signifie « immédiatement ».
287 V°. Conseil constitutionnel, DCC n°2007-04/CC du
29 août 2007 sur l'exception d'inconstitutionnalité de la
Société EROH.
288 V°. Ordonnance de référé
n°11/2007/G.C/C.ASS du 05 juillet 2007.
39
d'exercer un tel contrôle. Les conditions de
recevabilité de la question sont laissées à la seule
discrétion du Conseil constitutionnel.
Section II : Une question tranchée par le
Conseil constitutionnel
Lorsqu'une exception d'inconstitutionnalité est
soulevée devant une juridiction, celle-ci transmet la question au
Conseil constitutionnel qui a compétence exclusive289 pour la
trancher. Pour ce faire, il sied de rappeler qu'il y a eu une évolution
dans le mode de saisine du juge constitutionnel (§1). Il
nous paraît opportun d'évoquer également le
déroulement de l'instance constitutionnelle
(§2).
§1 : L'évolution du mode de saisine du
Conseil constitutionnel
Au titre de l'évolution du mode d'introduction de la
question de constitutionnalité au prétoire du juge
constitutionnel, il y a lieu de retenir qu'au départ, seule une
juridiction avait la compétence pour saisir le juge constitutionnel
(A). Mais, désormais, les parties à une instance
peuvent directement saisir le juge constitutionnel d'une exception
d'inconstitutionnalité : c'est ce qu'il conviendrait d'appeler «
une saisine directe par voie d'exception » (B).
A. L'exigence de la qualité de juridiction
En droit constitutionnel burkinabè, exception faite du
cas de la saisine politique290, l'accessibilité du
prétoire du juge constitutionnel n'a jamais été
aisée. Il est vrai que l'exception d'inconstitutionnalité devait
permettre aux justiciables d'accéder au juge constitutionnel. Mais,
cette accession se fait par l'intermédiaire des juges
ordinaires291. Toutefois, l'exception d'inconstitutionnalité
peut être déclarée irrecevable pour de nombreuses raisons.
En effet, la non reconnaissance du pouvoir de saisir le juge constitutionnel
peut résulter de la nature même
289 L'exclusivité de la compétence du Conseil
constitutionnel pour statuer sur la constitutionnalité des lois est
tirée de l'article 152 al.1 de la Constitution du 02 juin 1991.
290 Il s'agit de la saisine a priori
réservée aux personnalités citées à
l'alinéa premier de l'article 157 de la Constitution du Burkina Faso.
291 Bertrand DE LAMY, « Les principes constitutionnels
dans la jurisprudence judiciaire. Le juge judiciaire, juge constitutionnel ?
», RDP, n°3-2002, pp. 780-820.
40
de l'organe292 devant lequel le litige est en
cours. Il s'agit des organes n'ayant pas la qualité de
juridictions293. L'exclusivité du droit de saisine du juge
constitutionnel est donnée aux seules juridictions. En effet, l'article
25 de la loi organique relative au Conseil constitutionnel dispose clairement
que la juridiction devant laquelle l'exception d'inconstitutionnalité a
été soulevée « est tenue de surseoir à
statuer et de saisir le Conseil constitutionnel »294. Il
ressort qu'une exception d'inconstitutionnalité ne peut être
soulevée que devant un organe ayant la qualité de juridiction. Le
juge constitutionnel burkinabè l'a très bien exigé dans sa
décision n°2018-007/CC du 20 mars 2018295. Dans cette
affaire, monsieur BIRBA Ousmane, conseiller à la Cour d'appel de
Ouagadougou, est traduit devant le Conseil Supérieur de la Magistrature,
statuant comme conseil de discipline, « pour faute professionnelle et
manquement grave aux obligations liées à son statut ».
Devant cette instance, il soulève l'exception
d'inconstitutionnalité des articles 17 alinéa 2, et 30 de la loi
organique n°049-2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation,
composition, attributions et fonctionnement du Conseil Supérieur de la
Magistrature et 137 al. 2 de la loi organique n°050-2015/CNT du 25
août 2015 portant statut de la magistrature. Le conseil de discipline
sursoit à statuer et saisit le Conseil constitutionnel sur
décision n°2018-03/CSM/CD du 24 février 2018296.
La solution du Conseil constitutionnel burkinabè a été de
déclarer la requête de monsieur BIRBA Ousmane irrecevable aux
motifs que, au terme de l'article 126 de la Constitution297, le
conseil de discipline n'a pas le statut de juridiction et qu'aucune loi ne lui
donne ce statut298, si bien qu'il n'a pas compétence pour
faire le renvoi au Conseil. Ainsi, selon le Conseil constitutionnel
burkinabè, l'exception d'inconstitutionnalité ne peut valablement
être soulevée que devant la Cour de cassation, le Conseil d'Etat,
la Cour des Comptes, le tribunal des conflits et les Cours et tribunaux
institués
292 Philippe BELLOIR, La question prioritaire de
constitutionnalité, Paris, l'Harmattan, 2012,
1ère édition, p. 28.
293 Il s'agit notamment des juridictions relevant de l'ordre
judiciaire ou de l'ordre administratif tel que prévu à l'article
126 de la Constitution burkinabè ou d'un organe ayant reçu la
qualité de juridiction par une loi spéciale.
294 Article 25 de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril
2000 sur le Conseil constitutionnel.
295 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2018-007/CC du 20 mars 2018 sur le recours en exception
d'inconstitutionnalité des articles 17 alinéa 2, et 30 de la loi
organique n°049-2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation,
composition, attributions et fonctionnement du Conseil Supérieur de la
Magistrature et 137, alinéa 2, de la loi organique n°050-2015/CNT
du 25 août 2015 portant statut de la magistrature
296 C'est cette décision qu'on qualifie, en droit du
contentieux constitutionnel, de « décision de renvoi ».
Celle-ci conditionnait la recevabilité de l'exception devant le juge
constitutionnel.
297 Selon cet article, les juridictions de l'ordre judiciaire
et de l'ordre administratif au Burkina Faso sont : la Cour de cassation, le
Conseil d'Etat, la Cour des Comptes, le tribunal des conflits et les Cours et
tribunaux institués par la loi.
298 V°. Le 6ème considérant
de la décision sus-évoquée.
41
par la loi parce qu'étant les seuls organes ayant la
qualité de juridictions au sens de la Constitution
burkinabè299.
Par ailleurs, l'exception d'inconstitutionnalité doit
être introduite par une décision de la juridiction devant laquelle
elle a été soulevée300. Comme l'a si bien
souligné Pierre BON, la logique voudrait que « la question
d'inconstitutionnalité soit posée par les juges ou les tribunaux
»301. Ces derniers sont de ce fait les véritables
titulaires du pouvoir de saisir la juridiction constitutionnelle302.
Dès lors, l'introduction de la requête devant le Conseil
constitutionnel est déterminée par la décision de renvoi
du juge a quo. Il en résulte qu' « en aucune
manière » le juge constitutionnel ne peut être saisi par les
parties303. Ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il rejeté la
demande du requérant qui l'avait saisi directement après le refus
de la Cour de cassation dans l'affaire EROH304.
Toutefois, ce régime a évolué.
Désormais, à la seule condition d'être en procès
devant l'une des juridictions visées par l'article 126 de la
Constitution, le justiciable peut saisir directement le Conseil constitutionnel
d'une exception d'inconstitutionnalité.
B. La consécration d'une saisine directe par
voie d'exception
Le contrôle de constitutionnalité en droit
burkinabè s'était pendant longtemps limité au
contrôle a priori par voie d'action et au contrôle a
posteriori par voie d'exception. Mais, la révision
constitutionnelle de 2015305 allait sonner le glas de ce
régime restreint de saisine du juge constitutionnel. En effet, l'article
157 al. 2 de la Constitution dispose « ... En outre, tout citoyen peut
saisir le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois,
soit directement, soit par la procédure de l'exception
d'inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne
devant une juridiction... »306. Nombreux sont ceux qui ont
applaudi cette nouvelle réforme, car le constituant burkinabè
avait semblé consacrer une saisine directe du Conseil par
299 Article 126 de la Constitution du Burkina Faso du 02 juin
1991.
300 Eric NGANGO YOUMBIA, La justice constitutionnelle au
Bénin, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 381.
301 Pierre BON, « L'exception
d'inconstitutionnalité en Espagne (question de
constitutionnalité) », RFDC, n°41990, pp. 679-683.
302 Marilisa D'AMICO, « Juge constitutionnel, juges du
fond et justiciables dans l'évolution de la justice constitutionnelle
italienne », Annuaire International de Justice Constitutionnelle,
n°5/1989, 1991, pp. 79-96.
303 Augustin LOADA, Avis et Décisions
commentés de la justice constitutionnelle burkinabè de 1960
à nos jours, Op.cit., p. 122.
304 Décision n°2007-04/CC du 29 août 2007 sur
l'exception d'inconstitutionnalité de la société EROH.
305 Loi n°072-2015/CNT du 5 novembre 2015 portant
révision de la Constitution du 02 juin 1991.
306 Article 157 al.2 de la Constitution burkinabè du 02
juin 1991 révisée courant 2015.
42
le citoyen comme c'est le cas au Bénin307.
Mais, le juge constitutionnel burkinabè ne l'entendait pas de cette
oreille. Pour lui, cette saisine directe du citoyen consacrée par la
Constitution est une saisine qui ne peut non plus intervenir qu'à
l'occasion d'un cas concret en litige308. La saisine est
conditionnée par l'existence d'un procès. Ainsi, le juge
constitutionnel, dans sa décision du 09 juin 2017, a rappelé que
« le citoyen ne peut valablement saisir directement le juge
constitutionnel sur la constitutionnalité des dispositions d'une loi
déjà promulguée que s'il est partie à une instance
pendante devant une juridiction et au cours de laquelle les dispositions
législatives attaquées ont étés invoquées
pour lui être fait application »309.
C'est également ce qui ressort de sa décision
n°2019-017/CC du 08 août 2019310. Dans cette
dernière, quatre citoyens tous résidants à Ouagadougou
ont, sur la base de l'article 157 alinéa 2 de la Constitution, saisi
directement le Conseil constitutionnel pour voir déclarer
l'inconstitutionnalité des dispositions de la loi n°044-2019/AN du
21 juin 2019 modifiant la loi n°025-2018 du 21 mai 2018 portant code
pénal. Mais, interprétant cet article 157 de la Constitution, le
juge constitutionnel décida que le citoyen « ne peut saisir le
Conseil constitutionnel de la constitutionnalité d'une loi que par la
voie de l'exception d'inconstitutionnalité soulevée devant une
juridiction dans une affaire le concernant, soit directement par lui-même
soit par les diligences de cette juridiction »311. Plus
récemment encore, le Conseil constitutionnel a
réitéré cette position en déclarant irrecevable la
requête introduite directement par cinq (5) citoyens pour
l'inconstitutionnalité des articles modificatifs du code
électoral312. Au regard des décisions
sus-évoquées, cela était tout à fait
prévisible, à moins que le Conseil constitutionnel ne se
résolve à opérer « un demi-tour jurisprudentiel
», a ironisé Ousséni ILLY313. Voilà
à quoi se réduit donc la saisine directe du citoyen au Burkina
Faso, une saisine directe certes, mais par voie d'exception.
307 Article 122 de la Constitution du Bénin.
308 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2017-014/CC du 09 juin 2017 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la loi sur la Haute Cour de Justice.
309 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2017-014/CC du 09 juin 2017.
310 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2019-017/CC du 08 août 2019 sur le recours en
inconstitutionnalité de la loi n°044-2019/AN du 21 juin 2019
modifiant la loi n°025-2018 du 21 mai 2018 portant code pénal.
311 V°. Le septième considérant de la
décision n°2019-017/CC du 08 août 2019.
312 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2020-024/CC du 16 octobre 2020 sur le recours de DICKO
Harouna et quatre autres en inconstitutionnalité des dispositions des
articles 50, 122.2, 148, 155 et 236 du Code électoral.
313 Propos tenus par le Professeur Ousséni ILLY lors de
la journée d'étude sur « L'universalité du vote
» organisée le 06 octobre 2020 par l'Institut de Recherche sur les
Finances, les Investissements au service du Développement (IRFID) dans
la salle de la réforme de l'Etat à l'ENAM.
43
Pourtant, le constituant burkinabè nous avait paru bien
décidé à consacrer la saisine directe du particulier
indépendamment de tout procès, une saisine a posteriori
et par voie d'action. En effet, quand on jette un regard sur le dispositif
de l'article 122 de la Constitution béninoise, il ressort que le citoyen
peut saisir le juge constitutionnel « soit directement soit par la voie de
l'exception d'inconstitutionnalité ». Il y a là, à
première vue, une même écriture dans les Constitutions
béninoise et burkinabè mais une interprétation
différente de la part des juges constitutionnels béninois et
burkinabè, étrangement. Selon Relwendé Louis Martial
ZONGO, « c'est exactement comme si l'on retirait au citoyen-plaideur de la
main gauche ce qu'on lui avait donné de la main droite, dans l'euphorie
de la révision constitutionnelle de 2015 »314. Le juge
constitutionnel burkinabè venait-il de torpiller un droit accordé
par la Constitution aux citoyens ? Quoi qu'il en soit, le juge constitutionnel
est la « bouche de la Constitution »315. La Constitution
est ce que le juge dit qu'elle est. Le juge constitutionnel est « le seul
dépositaire de la vérité constitutionnelle
»316. C'est son rôle d'interpréter la Constitution
pour préciser ou éclairer ses dispositions317. Il en
est « l'interprète authentique »318 et son
interprétation prévaut sur celle des doctrinaires319.
Il a rendu sa décision et nous devons nous en tenir.
La bonne nouvelle tirée de cette décision
controversée du juge constitutionnel burkinabè réside dans
l'assouplissement de la procédure de l'exception
d'inconstitutionnalité. Cette décision consacre entre autres le
dépassement320 de l'exigence de la qualité de
juridiction pour saisir le juge constitutionnel. En affirmant que le citoyen ne
peut directement saisir le Conseil constitutionnel que par la voie de
l'exception d'inconstitutionnalité, le juge constitutionnel
burkinabè venait de soustraire l'exception d'inconstitutionnalité
des désidératas des magistrats, juges du fond. Grâce
à cette saisine directe par voie d'exception, le justiciable
burkinabè n'a nul besoin de la bénédiction du juge
chargé de trancher le litige au principal avant de faire entendre sa
cause au prétoire du Conseil constitutionnel. L'exception
d'inconstitutionnalité peut
314 Relwendé Louis Marial ZONGO, « L'accès
de l'individu au juge constitutionnel burkinabè »,
Op.cit., pp. 139164.
315 Abdoulaye SOMA, « Le statut du juge constitutionnel
africain », Op.cit., p. 451.
316 Marie-Claire PONTHOREAU, « Réflexions sur le
pouvoir normatif du juge constitutionnel en Europe continentale sur la base des
cas allemand et italien », Cahiers du Conseil Constitutionnel,
n°24-2008, 8 p.
317 Dominique CHAGNOLLAUD, Droit constitutionnel
contemporain, Paris, Dalloz, 2013, 7ème édition,
p. 75.
318 Marie-Anne COHENDET, Droit constitutionnel, Paris,
Montchrestien, 2015, p. 204.
319 Robert Mballa OWONA, « L'autorité de la chose
jugée des décisions du juge constitutionnel en Afrique
francophone », in Oumarou NAREY (dir.), La justice
constitutionnelle, Op.cit., p. 424.
320 En parlant du « dépassement » de
l'exigence de la qualité de juridiction, nous faisons allusion au refus
de recevoir la requête introduite directement par les parties au
procès ordinaire. Ce dépassement ne concerne ainsi que les
parties en litige. Un autre organe qui n'a pas la qualité de juridiction
ne saurait saisir valablement le Conseil constitutionnel d'un recours
préjudiciel en exception d'inconstitutionnalité.
44
désormais être introduite devant le Conseil
constitutionnel soit directement par le justiciable, soit par les diligences de
la juridiction du fond321. Cela est une particularité du
paysage constitutionnel burkinabè322. Toutefois, l'exception
d'inconstitutionnalité sur saisine des parties au litige peut
entraîner des perturbations dans le déroulement du
procès323. Cela a été le cas notamment «
dans l'affaire du Procès du dernier gouvernement Tiao. Dans
cette affaire, c'est le Conseil constitutionnel qui, à travers une
missive, avait informé la Haute Cour de Justice de sa saisine et l'avait
enjoint à surseoir à statuer »324.
En tout état de cause, l'évolution du mode de
saisine du juge constitutionnel burkinabè par la voie exceptionnelle
facilitera aux justiciables l'accès au juge constitutionnel. Cette
évolution leur permettra de ne plus être bloqués par le
refus des juridictions ordinaires comme ce fut le cas dans l'affaire
EROH. Ce qui est rassurant pour les justiciables qui se voient
s'ouvrir davantage les portes325 de l'instance constitutionnelle.
§2 : Le déroulement de l'instance
constitutionnelle
L'ouverture de l'instance constitutionnelle est actée
dès le moment de l'introduction de la requête devant la
juridiction constitutionnelle. La requête doit, sous peine
d'irrecevabilité, obéir à une forme rigoureusement
précisée (A). Il s'en suit une procédure
contradictoire devant le juge constitutionnel (B).
A. L'introduction de la requête
Les développements sur l'introduction de la
requête paraissent peu utiles, mais ils sont nécessaires pour une
compréhension des lecteurs. En effet, l'introduction de la question
exceptionnelle de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel
burkinabè obéit à un
321 Théodore HOLO, « Le citoyen, pierre angulaire
de justice constitutionnelle au Bénin », Communication au
6ème Congrès de l'Association des Cours et Conseil
constitutionnels ayant en partage l'usage du français, Marrakech, du 4
au 6 juillet 2012.
322 Kader HAMIDOU GARBA, La protection des droits
fondamentaux par le juge constitutionnel : cas du Niger et du Burkina Faso,
Op.cit., p. 49.
323 Relwendé Louis Martial ZONGO, « L'accès
de l'individu au juge constitutionnel burkinabè », RBD,
n°59-1er semestre, 2020, pp.139-164.
324 Ibidem.
325 Francis DELPERE (dir.), Le recours des particuliers
devant le juge constitutionnel, Paris, Economica, 1991, p. 18.
45
certain nombre de conditions procédurales bien
précisées par le règlement intérieur de cette
juridiction326. Ce règlement intérieur précise
que le Conseil constitutionnel est saisi par requête qui doit être
enregistrée au greffe du Conseil327. Cela suppose que la
requête soit nécessairement rédigée sous forme
écrite328. Comme toutes les juridictions, le Conseil
constitutionnel est très tatillon sur les formalités. Le
manquement aux simples conditions de forme peut valoir rejet de la
requête. Ainsi, à peine d'irrecevabilité, la requête
doit être adressée au Président du Conseil constitutionnel
et doit impérativement contenir les noms, prénoms, adresse et
qualités du ou des requérants, le nom du ou des parties
incriminées, ainsi que l'exposé des faits et des moyens
invoqués329.
Le justiciable voulant saisir le Conseil constitutionnel
directement par la voie de l'exception d'inconstitutionnalité est donc
tenu de respecter ces conditions tenant à la forme de sa requête.
Etant donné la complexité de la procédure, il est
prévu que le requérant puisse se faire assister par un conseil de
son choix330. Il s'agit du ministère d'avocat. Au Burkina
Faso, ce ministère d'avocat qui aurait bien pu être dissuasif pour
la saisine par le citoyen331 reste facultatif332
contrairement à l'Egypte où il est obligatoire et au Togo
où le cas de figure n'est même pas prévu333. Il
s'agit là d'une volonté de faciliter au justiciable
l'accès au prétoire du juge constitutionnel burkinabè.
Cela est d'autant plus manifeste que l'article 45 du règlement
intérieur du Conseil constitutionnel précise que la
procédure devant la juridiction est, entre autres, gratuite. Cela
signifie que la requête est dispensée de tous frais
d'enregistrement ou de timbre334.
Par ailleurs, si la question de constitutionnalité est
introduite par les diligences de la juridiction du fond, les mêmes
conditions demeurent de rigueur. En effet, dans sa lettre335
adressée au Président du Conseil constitutionnel, le juge qui
effectue le renvoi doit prendre le
326 V°. Le règlement intérieur du Conseil
constitutionnel burkinabè du 06 mars 2008.
327 Article 46 al.1 du règlement intérieur du
Conseil constitutionnel.
328 Article 45 al.1 du règlement intérieur du
Conseil constitutionnel.
329 Article 47 du règlement intérieur du Conseil
constitutionnel.
330 Article 46 al.2 du règlement intérieur du
Conseil constitutionnel.
331 Théodore HOLO, « Le citoyen, pierre angulaire
de la justice constitutionnelle au Bénin », Communication au
6ème Congrès de l'Association des Cours et Conseil
constitutionnels ayant en partage l'usage du français, Marrakech, du 4
au 6 juillet 2012.
332 Article 46 al.3 du règlement intérieur du
Conseil constitutionnel.
333 Abdelaziz BENJELLOUN, « La recevabilité des
saisines » in ACCPUF, L'accès au juge constitutionnel
: modalités et procédures, Deuxième congrès de
l'ACCPUF, Libreville, 2000 p. 605.
334 Ibidem.
335 V°. La lettre n°2019-02/CPI du Président
de la Chambre de Première Instance du tribunal militaire de Ouagadougou
introduite au greffe du Conseil constitutionnel le 19 juillet 2019.
46
soin de mentionner toutes les informations relatives à
l'identité des parties au litige ainsi que les mémoires en
écrit distinct et motivé336 de ces derniers. La
motivation consiste à transcrire de manière précise et
détaillée la disposition législative contestée
ainsi que la norme à valeur constitutionnelle que ladite disposition
législative a prétendument violée. D'ailleurs, à ce
propos, le Conseil constitutionnel a eu à affirmer dans sa
décision du 15 mars 2019337 que la disposition contre
laquelle est soulevée une exception d'inconstitutionnalité doit
être celle applicable au litige pendant devant la juridiction du fond.
Dans cette affaire, le requérant, sieur ZERBO Jean Noël a
intenté un procès devant le Tribunal administratif aux fins de
l'annulation de l'arrêté n°2005-2825/MFPRE/SG/DGFP/DPE du 6
octobre 2005 qui l'a reclassé de la catégorie A3 à celle
de A2 au lieu de A1. Par ailleurs, en date du 21 décembre 2018,
l'intéressé introduit une requête devant le Conseil
constitutionnel aux fins de déclaration en inconstitutionnalité
de l'Ordonnance n°69-066/PRES/TPF/F du 28 novembre 1969 précisant
l'incidence financière des reconstitutions de carrière dont
peuvent bénéficier les fonctionnaires et agent temporaires de
l'Etat. Le juge constitutionnel décida que « considérant
qu'il ressort de l'examen de la procédure de saisine du Tribunal
administratif de Ouagadougou, que l'Ordonnance n°69-066/PRES/TPF/F du 28
novembre 1969 n'est pas la disposition législative invoquée et
pendante devant lui, décide qu'il sied de déclarer la
requête du sieur ZERBO Jean Noel irrecevable »338.
Avec cette décision, le juge constitutionnel burkinabè venait
à son tour de consacrer l'obligation de correspondance entre la
disposition législative contestée par voie d'exception et le
procès a quo. Le justiciable ne peut invoquer
l'inconstitutionnalité d'une loi par voie d'exception que si et
seulement si cette loi lui est opposable339.
Quoi qu'il en soit, l'examen préliminaire des recours
est confié à un rapporteur désigné par le
président du Conseil. Celui-ci procède à l'instruction de
l'affaire en vue d'un rapport écrit à soumettre au Conseil. Il
entend, le cas échéant les parties. Il peut également
entendre toute personne dont l'audition lui paraît opportune ou
solliciter par écrit des avis qu'il juge nécessaires. Il fixe aux
parties des délais pour produire leurs moyens soulevés et
énonce les points à trancher340. Le rapport est
déposé au secrétariat général qui le
communique sans délai
336 Dominique ROUSSEAU (dir.), La Question prioritaire de
constitutionnalité, Paris, Gazette du Palais, 2012, 2ème
édition, p. 137.
337 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2019-002/CC sur la requête aux fins de déclaration en
inconstitutionnalité de l'Ordonnance n°69-066/PRES/TFP/F du 28
novembre 1969 précisant l'incidence financière des
reconstitutions de carrière dont peuvent bénéficier les
fonctionnaires et agents temporaires de l'Etat.
338 V°. Le dernier Considérant de cette
décision du Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2019-002/CC.
339 Bernard CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, Paris,
Dalloz, 2014, 31ème édition, p. 581.
340 Article 48 du Règlement intérieur du Conseil
constitutionnel burkinabè.
47
aux membres du Conseil. Il est lu à l'audience par le
rapporteur. Tous ces éléments concourent à faire ressortir
le caractère contradictoire dans la procédure devant le Conseil
constitutionnel.
B : L'application du principe du
contradictoire
Le constituant burkinabè place le Conseil
constitutionnel au rang d'une simple « institution »341
ayant pour rôle la répartition des compétences entre les
pouvoirs342. Ce qui ne laisse apparaître que son
caractère politique. Mais, grâce au mécanisme de
l'exception d'inconstitutionnalité, désormais, « un
véritable procès constitutionnel s'ouvre »343.
Par ailleurs, même si le procès constitutionnel présente
certaines caractéristiques par rapport aux autres types de
procès, il n'en demeure pas moins qu'il y a un procès lequel,
dans les grandes lignes, reste conforme au modèle
général344. Dès lors, comme dans toute
procédure juridictionnelle, le principe du contradictoire demeure
présent dans le contentieux constitutionnel et plus
précisément dans la procédure de l'exception
d'inconstitutionnalité. Ce principe du contradictoire est posé
par l'article 45 du règlement intérieur du Conseil
constitutionnel qui dispose que « La procédure devant le
Conseil constitutionnel est gratuite, écrite, et le cas
échéant, contradictoire. Le caractère contradictoire de la
procédure consiste en l'échange entre les parties, des
écrits et des pièces ». En effet, cette
possibilité pour les parties de présenter contradictoirement
leurs observations345 implique non seulement qu'elles aient
communication du mémoire des autres parties, mais aussi qu'elles soient
mises en mesure d'y répondre346. Dès que le Conseil
constitutionnel est valablement saisi d'une exception
d'inconstitutionnalité, il avise le Président de la
République, Le Premier Ministre et le Président de
l'Assemblée qui peuvent lui adresser leurs observations347.
Ainsi se profile l'image d'un face-à-face avec d'un côté
les requérants qui exposent leurs griefs contre la loi en y soulevant
les moyens d'inconstitutionnalité, de l'autre le gouvernement qui
défend la loi, répond point
341 Article 152 de la Constitution du Burkina Faso.
342 Bernard CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, Paris,
Dalloz, 2014, 31ème édition, p. 573.
343 Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ et Diane ROMAN,
Droits de l'Homme et libertés fondamentales, Op.cit., p. 224.
Voir aussi Dominique ROUSSEAU, « Le procès constitutionnel
», RP, n°137/2011/2, pp. 47-55.
344 Louis FAVOREU et alii, Droit constitutionnel,
Paris, Dalloz, 2015, 17ème édition, p. 277.
345 Francis HAMON et Michel TROPER, Droit constitutionnel,
Paris, LGDJ, 2011, 32ème édition, p. 837.
346 Louis FAVOREU et alii, Droit constitutionnel,
17ème édition, Op.cit., p. 277.
347 Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ et Diane ROMAN,
Droits de l'Homme et libertés fondamentales, Paris, Dalloz,
2015, 2ème édition, p. 224.
48
par point aux arguments de la saisine et conclut au rejet du
recours ; entre les deux, le Conseil, instance tierce, qui statue au vu de cet
échange d'arguments348.
Le paysage constitutionnel burkinabè est admirable
d'autant plus qu'en Afrique francophone, malgré l'institution du
mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité, certaines
juridictions constitutionnelles restent fermées aux justiciables. A
l'image du Tchad où le procès en constitutionnalité n'est
pas contradictoire, les documents produits n'ayant qu'une valeur de
renseignement, les parties n'ont aucun accès au prétoire,
à aucune étape de la procédure349. Toutefois,
au Burkina Faso, excepté en matière de contentieux
électoral350, les séances du Conseil constitutionnel
ne sont pas publiques et les intéressés ne peuvent pas demander
à y être entendus oralement, vu le caractère écrit
de la procédure. Néanmoins, si le Conseil estime les auditions
nécessaires pour la manifestation de la vérité, il peut
les ordonner351. Il ne reste plus qu'à franchir un dernier
cap en tenant le procès en exception d'inconstitutionnalité en
audience publique. Cela donnerait plus de légitimité aux
décisions rendue par le Conseil constitutionnel.
348 Dominique ROUSSEAU, « Le procès constitutionnel
», Revue Pouvoirs, n°137, 2011/2, pp. 47-55.
349 Gilbert KOLLY, « Le procès équitable
», in ACCPUF, L'accès au juge constitutionnel :
modalités et procédures, Deuxième congrès de
l'ACCPUF, Libreville, 2000 p. 639.
350 Article 45 al.3 du règlement intérieur du
Conseil constitutionnel.
351 V°. L'article 48 du règlement intérieur du
Conseil constitutionnel.
49
Conclusion Partielle
Contrairement à la plupart des pays de l'Afrique
francophone et même à la France, le Burkina Faso a très
tôt amorcé son ascension vers un système de justice
constitutionnelle ouvert aux citoyens. Ainsi, guidé par l'appel vers
l'émancipation de son système constitutionnel, le Burkina Faso a
entendu consacrer le mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité comme un moyen d'accès à la justice
constitutionnelle. Néanmoins, la consécration de l'exception
d'inconstitutionnalité au Burkina Faso aura été
imbibée d'imperfections. Ces imperfections vont de l'insuffisance
liée à sa constitutionnalisation tardive jusqu'à sa
qualification erronée. Cette seconde insuffisance demeure la plus
notoire. Cela, parce qu'il n'existe pas à proprement parler d'exception
d'inconstitutionnalité au Burkina Faso. Il s'agit plutôt d'une
question préjudicielle de constitutionnalité352. En
effet, deux critères permettent d'identifier une question
préjudicielle : la compétence exclusive du juge a quem
et le lien de dépendance stricte entre le procès principal
et le procès incident353. Le mécanisme
burkinabè respecte exactement ces deux critères. Il est donc
erroné de le qualifier d'exception d'inconstitutionnalité. Ainsi,
à défaut de consacrer une qualification particulière et
originale354, le législateur organique aurait dû s'en
tenir à l'appellation « question préjudicielle » qui se
rapproche le plus du mécanisme burkinabè. Par ailleurs, la
particularité du paysage constitutionnel burkinabè en la
matière réside dans l'extraordinaire souplesse de la
procédure. Celle-ci, en plus de n'exiger aucun contrôle de la
requête de la part du juge a quo, se voit encore
allégée par la consécration jurisprudentielle d'une
saisine directe par voie d'exception. Cette nouveauté permet au
justiciable de ne pas attendre que le juge du fond fasse le renvoi et de saisir
lui-même le Conseil constitutionnel. Cela devrait faciliter la mise en
oeuvre de ce mécanisme. Toutefois, il est à déplorer la
non utilisation du mécanisme par ses destinataires que sont les citoyens
justiciables. Cet état de fait soulève dès lors la
question de son efficacité.
352 Relwendé Louis Martial ZONGO, « L'accès
de l'individu au juge constitutionnel burkinabè »,
Op.cit., pp. 139164.
353 MAGNON Xavier, « La QPC est-elle une question
préjudicielle ? », HAL/Archives ouvertes,
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01663454,
consulté le 4 septembre 2020 à 12h26.
354 Comme ce fut le cas pour la France qui a innové en
qualifiant le mécanisme de Question Prioritaire de
Constitutionnalité.
50
TITRE II : L'EFFICACITE PERCEPTIBLE DE L'EXCEPTION
D'INCONSTITUTIONNALITE AU BURKINA FASO
L'exception d'inconstitutionnalité en droit
constitutionnel burkinabè demeure un mécanisme dont
l'effectivité355 est de nos jours encore à la
traîne. Cela soulève la problématique de son
efficacité. Cette efficacité de l'exception
d'inconstitutionnalité doit s'apercevoir dans la production d'effets
probants dans sa mise en oeuvre. Au regard de toutes les limites perçues
au premier titre de cette étude, l'on pourrait légitimement
s'interroger sur comment un mécanisme non effectivement appliqué
par ses bénéficiaires peut s'avérer efficace. Cette
efficacité ne peut s'appréhender que de manière
anticipative et au regard des quelques décisions déjà
rendues en la matière. En effet, on ne peut que se projeter l'image de
l'efficacité de l'exception d'inconstitutionnalité au Burkina
Faso. Ainsi, l'exception d'inconstitutionnalité peut se présenter
comme une réelle garantie pour la protection de l'Etat de droit
(Chapitre I). Par ailleurs, à travers ce
mécanisme, le juge constitutionnel peut ou pourra prétendre
à une certaine légitimité (Chapitre
II).
355 Au-delà de sa reconnaissance abstraite dans des
textes de loi, il y a lieu de vérifier le caractère réel
et concret du mécanisme.
51
CHAPITRE I : L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE, UNE
GARANTIE POUR L'ETAT DE DROIT
L'Etat de droit « n'est généralement plus
seulement un Etat de droit au sens formel, à savoir un Etat dans lequel
chacun, y compris l'Etat, est soumis au droit. De nos jours, pour qualifier un
Etat d'Etat de droit, on exige en outre qu'il soit un Etat de droit au sens
matériel, ce qui signifie que les droits de l'Homme doivent y être
reconnus et que leur respect doit être garanti notamment par un
contrôle de constitutionnalité des lois »356.
Ainsi, selon Patrice COLLAS, c'est l'exercice du contrôle de
constitutionnalité des lois qui transforme un Etat en Etat de
droit357. Il en est l'élément
décisif358. Eric GOSSOJO lui, dira même que c'est le
contrôle de constitutionnalité qui marque l'avènement de
l'Etat de droit359. Les droits de l'Homme ont ainsi
profondément bouleversé l'approche classique de l'Etat de
droit360. Il faut donc protéger les individus des violations
des droits fondamentaux, surtout celles émanant du
législateur361. L'Etat de droit est une expression qui,
aujourd'hui, fait facette362, chaque Etat s'en
réclame363. Le Burkina Faso n'est pas resté en marge
de cette prétention, car ayant institué un contrôle de
constitutionnalité des lois notamment celui par voie d'exception.
L'exception d'inconstitutionnalité est de ce fait un moyen de protection
de l'Etat de droit à travers la protection des droits fondamentaux. Ces
derniers étant des droits subjectifs, l'exception
d'inconstitutionnalité s'avère dès lors être une
manifestation de la subjectivation du contentieux constitutionnel
(Section I). Toutefois, à travers les effets de
l'exception d'inconstitutionnalité, on dénote un certain maintien
du caractère objectif du contentieux constitutionnel (Section
II).
356 Marie-Anne COHENDET, Droit constitutionnel, Op.cit.,
p. 202.
357 Patrice COLLAS, « Le contrôle de
constitutionnalité en U.R.S.S », RDP, n°4-1990, pp.
1035-1053.
358 Hugues PORTELLI, Droit constitutionnel, Paris,
Dalloz, 2015, 11ème édition, p. 30.
359 Eric GOSSOJO, « L'établissement d'un
contrôle de constitutionnalité selon Catherine II de Russie et ses
répercussions en France », RFDC, n°33-1998, pp.
87-99.
360 Marie-Pauline DESWARTE, « Droits sociaux et Etat de
droit », RDP, n°4-1995, pp. 951-986.
361 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, Droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 2017, 35ème
édition, p. 74.
362 Léo HAMON, « L'Etat de droit et son essence
», RFDC, n°4-1990, pp. 699-712.
363 Ibidem.
52
Section I : Une subjectivation manifeste du
contentieux constitutionnel
La subjectivation du contentieux constitutionnel réside
non seulement dans le fait que l'exception d'inconstitutionnalité
demeure un moyen de protection pour les droits et libertés des individus
(§1) mais aussi dans le fait qu'elle conduit à une
appropriation de la Constitution par les justiciables
(§2).
§1 : Un gage pour les droits et libertés
individuels
Dans tout système juridique en général et
au Burkina Faso en particulier, l'exception d'inconstitutionnalité se
révèle être un moyen efficace pour la protection des droits
fondamentaux (A) à telle enseigne qu'elle soit
elle-même perçue comme un droit fondamental
(B).
A. La protection affermie des droits fondamentaux
L'expression droits fondamentaux désigne simplement
« les droits et les libertés constitutionnellement
protégés »364, « ni plus ni moins
»365. La protection de ces droits fondamentaux, à
travers l'exception d'inconstitutionnalité, contribue au
perfectionnement de l'Etat de droit366. Claude EMERI affirmait il y
a quelques années déjà que l'Etat de droit, c'est la
limitation du pouvoir au bénéfice des libertés
individuelles367, car la société n'existe que par
l'individu et pour l'individu368. Les droits fondamentaux des
individus sont donc une composante essentielle369, le
socle370 de l'Etat de droit. A ce titre, il faut protéger ces
droits
364 Louis FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, Paris,
Dalloz, 2018, 20ème édition, p. 916.
365 Léon Dié KASSABO, « La protection des
droits fondamentaux à l'épreuve de la lutte contre le terrorisme
en droit international », RBD, n°55-Spécial, 2018,
pp. 235-266.
366 Henri OBERDORFF, Droits de l'Homme et libertés
fondamentales, Paris, LGDJ, 2011, 3ème édition,
p. 237.
367 Claude EMERI, « L'Etat de droit dans les systèmes
polyarchiques européens », RFDC, n°9/1992, pp.
27-41.
368 Jean GICQUEL et Jean-Eric GICQUEL, Droit constitutionnel
et institutions politiques, Op.cit., p. 87.
369 Yves LEJEUNE, Droit constitutionnel belge.
Fondements et institutions, Bruxelles, Larcier, 2014,
2ème édition, p. 279.
370 Jacques CHAVLIER, L'Etat de droit, Paris,
Montchrestien, 2003, 4ème édition, p. 104.
53
parce que « le but de toute association politique est la
protection des droits naturels et imprescriptibles de l'homme
»371.
Le Burkina Faso s'est lancé dans ce processus en
consacrant l'exception d'inconstitutionnalité372. Ce
contrôle juridictionnel de constitutionnalité « est d'une
sollicitude pour les droits et libertés fondamentaux
»373. La garantie juridictionnelle des droits fondamentaux se
trouverait affaiblie sans droit d'accès au juge constitutionnel par les
individus374. En effet, l'instauration d'un contrôle de
constitutionnalité des lois par voie d'exception a pour objectif de
renforcer une protection juridique375 et efficace376 des
droits fondamentaux. Dès lors, l'objectif de l'exception
d'inconstitutionnalité est la construction d'un Etat de droit
crédible377. Ainsi, l'exception d'inconstitutionnalité
serait le parachèvement de la vengeance du citoyen378 contre
les lacunes liées au non-respect379 et à
l'érosion des garanties380 des droits fondamentaux.
Dans beaucoup de législations, le contrôle a
posteriori de constitutionnalité des lois n'est recevable que si la
loi faisant grief porte atteinte à une liberté ou un droit
fondamental. Il en est ainsi en France où une QPC ne peut valablement
être soulevée que contre une disposition législative
portant atteinte aux droits et libertés garantis par la
Constitution381. Le Burkina Faso avait emboîté le pas
à la France avec sa révision constitutionnelle intervenue en 2012
où l'article 157 alinéa 2 prévoyait que l'exception
d'inconstitutionnalité n'a pour seul objet que de faire cesser une
atteinte aux droits et libertés fondamentaux382. Toutefois,
certains auteurs critiquent, à juste titre, cette volonté de
réduire l'action du citoyen-justiciable devant le juge
constitutionnel
371 Article 2 de la DDHC du 26 août 1789.
372 Loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 relative au
Conseil constitutionnel.
373 Jean GICQUEL et Jean-Eric GICQUEL, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Paris, LGDJ, 2015,
29ème édition, p. 231.
374 Relwendé Louis Martial ZONGO, « L'accès
de l'individu au juge constitutionnel burkinabè », Revue
Burkinabé de Droit, n°59-1er semestre, 2020, pp.
139-164.
375 Pascal MBONGO, « Droit au juge et
prééminence du droit. Bréviaire processualiste de
l'exception d'inconstitutionnalité », Recueil Dalloz,
2008, p. 2089.
376 Julien BOUDON, Manuel de droit constitutionnel.
Tome 1. Théorie générale-Histoire-Régimes
étrangers, Paris, PUF, 2015, p. 111.
377 Elena-Simina TANASESCU, « L'exception
d'inconstitutionnalité qui ne dit pas son nom ou la nouvelle
sémantique constitutionnelle roumaine », RIDC, Vol.65,
n°4/2013, pp. 905-939.
378 Patrick WAFEU TOKO, « Le juge qui crée le
droit est-il un juge qui gouverne ? », Les Cahiers de Droit,
Vol.54, n°1/2013, pp. 145-174.
379 Olivier DUHAMEL et Guillaume TUSSEAU, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Paris, Seuil, 2013,
3ème édition, p. 798.
380 Raymond COULON, Droits de l'Homme en peau de chagrin,
Paris, l'Harmattan, 2000, p. 224.
381 Article 61-1 de la Constitution française et article
23-1 de la loi organique relative à la QPC.
382 V°. Loi constitutionnelle n°033-2012/AN du 11 juin
2012.
54
à ses seuls droits subjectifs. Selon Ottavio QUIRICO,
limiter l'exception d'inconstitutionnalité aux seuls droits fondamentaux
exclut le citoyen du contrôle de la Constitution dans son
ensemble383. Ce qui, à notre analyse, est trop
réducteur dans la mesure où les citoyens ont tout aussi
intérêt à ce que la Constitution dans son
entièreté soit respectée.
Le constituant burkinabè va finalement opérer un
changement et se départir du modèle français avec la
réforme de 2015384. Ainsi, à l'issue de cette
réforme, l'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso peut
être soulevée contre toute disposition législative
contraire à la Constitution. Point n'est donc besoin que ladite
disposition viole un droit fondamental de la personne humaine. Dès lors
qu'elle est contraire à la Constitution, elle devient susceptible
d'être attaquée par la voie de l'exception
d'inconstitutionnalité. Toutes les lois peuvent donc faire l'objet d'une
exception d'inconstitutionnalité contrairement à la France qui
reste dans l'exigence des lois portant atteinte aux droits
fondamentaux385. Cette nouvelle réforme est propice à
ce qu'il convient désormais d'appeler un « Etat de droit
constitutionnel »386.
Quoi qu'il en soit, l'exception d'inconstitutionnalité
est, au Burkina Faso, un puissant moyen mis à la disposition du
justiciable pour une protection affermie de ses droits et libertés
fondamentaux. Au regard de ses évolutions, l'exception
d'inconstitutionnalité est ou serait elle-même en passe de devenir
un droit fondamental.
B. L'exception d'inconstitutionnalité, un
droit fondamental
Parmi les fonctions de la justice constitutionnelle, celle
relative à la protection des droits fondamentaux est aujourd'hui mise en
avant comme la forme la plus achevée de l'Etat de droit387.
Dès lors, la question de la protection des droits fondamentaux de la
personne humaine constitue la quintessence même d'un Etat de droit. Cet
état de fait propulse les moyens de protection de l'Etat de droit au
rang de principes fondamentaux d'importance capitale. A ce titre, l'exception
d'inconstitutionnalité constitue le printemps de la protection des
droits fondamentaux et par là même, garantit l'Etat de droit. Par
analogie, l'exception
383 Ottavio QUIRICO, « Le contrôle de
constitutionnalité français dans le contexte européen et
international », EJLS, Vol.3, n°1/2010, pp. 77-98.
384 Loi de révision constitutionnelle n°072-2015/AN
du 5 novembre 2015.
385 Article 61-1 de la Constitution française de 1958.
386 Jacques Djoli, ESENG'EKELI, Droit constitutionnel.
L'expérience congolaise, Paris, l'Harmattan, 2013, p. 36.
387 Guillaume DRAGO, Contentieux constitutionnel
français, Op.cit., p. 64.
55
d'inconstitutionnalité serait donc un mécanisme
indispensable pour la prospérité de l'Etat de droit au Burkina
Faso. Ce mécanisme serait même perçu comme un droit
fondamental des citoyens388.
Par ailleurs, il est vrai que l'exception
d'inconstitutionnalité n'est pas un droit reconnu à tous les
citoyens, mais seulement aux justiciables, c'est-à-dire à ceux
dont les droits pourraient être violés à cause de
l'application d'une loi inconstitutionnelle. Mais, il n'en demeure pas moins un
droit fondamental lorsqu'on s'adonne à la vérification empirique
des éléments constitutifs des droits fondamentaux. En effet, leur
caractère fondamental « dérive de leur
constitutionnalité doublée de leur subjectivité et de leur
justiciabilité »389. Sous ces trois critères,
conditions et réserves, ces prérogatives constitutionnelles
pourront être appelées indifféremment droits
fondamentaux390. Ainsi, « les droits fondamentaux sont
conçus comme l'ensemble des prérogatives, droits, libertés
et principes, consacrés par la Constitution et invocables par l'individu
à titre subjectif devant le juge constitutionnel
»391.
Les conditions posées par cette doctrine ne sont
nullement inaccessibles pour l'exception d'inconstitutionnalité au
Burkina Faso. Ainsi, premièrement, l'exception
d'inconstitutionnalité au Burkina Faso remplit la condition de
constitutionnalité, car étant prévue par la
Constitution du 02 juin 1991 notamment à son article 157 al.2. La
constitutionnalité de l'exception d'inconstitutionnalité
au Burkina Faso n'est donc aujourd'hui plus à démontrer et ne
pose plus aucune polémique392. Deuxièmement,
l'exception d'inconstitutionnalité remplit la condition de
subjectivité dans la mesure où un justiciable peut s'en
prévaloir au cours d'un procès pour sauvegarder ses droits et
intérêts. Théodore HOLO relevait déjà que
l'exception d'inconstitutionnalité est « un contrôle
subjectif » de constitutionnalité393. L'exception
d'inconstitutionnalité serait donc un droit subjectif accordé aux
justiciables, un droit qui leur permettrait de contester une loi en ce qu'elle
porte atteinte à un droit fondamental ou plus globalement, en ce qu'elle
soit contraire à la Constitution. Enfin, troisièmement,
l'exception d'inconstitutionnalité se révèle être
une cause qui est justiciable par
388 Marilisa D'AMICO, « Juge constitutionnel, juges du
fond et justiciables dans l'évolution de la justice constitutionnelle
italienne », Op.cit., pp. 79-96.
389 Abdoulaye SOMA, « La séparation des pouvoirs
comme droit fondamental dans le constitutionnalisme contemporain »,
Revue électronique Afrilex, 2018, 26 p.
390 Ibidem.
391 Ibidem.
392 Pour rappel, au Burkina Faso, l'exception
d'inconstitutionnalité était, au départ, posée dans
la loi organique sur le Conseil constitutionnel. Mais depuis la révision
constitutionnelle de 2012, l'exception d'inconstitutionnalité a
été constitutionnalisée.
393 Théodore HOLO, « Emergence de la justice
constitutionnelle », Op.cit., pp. 101-114.
56
la juridiction constitutionnelle. La justiciabilité
de l'exception d'inconstitutionnalité réside dans le fait
qu'elle permet de porter le moyen tiré de l'inconstitutionnalité
de la loi devant le Conseil constitutionnel qui tranchera ainsi sur la question
de constitutionnalité.
Toutefois, pour d'autres auteurs à l'image de Dominique
ZAMBO, la première condition à elle seule est suffisante pour
garantir la fondamentalité de l'exception
d'inconstitutionnalité394. En effet, selon lui, la
Constitution, norme fondamentale, est le « siège normatif »
des droits fondamentaux395 et apporte aux libertés leurs
premières garanties396. De ce fait, dès lors que le
constituant a entendu consacrer l'exception d'inconstitutionnalité dans
le corpus du la norme fondamentale qu'est la Constitution, il a, par là
même, entendu consacrer le caractère fondamental de ce
mécanisme. La saisine du juge constitutionnel par le mécanisme de
l'exception d'inconstitutionnalité est sans conteste un droit
fondamental du justiciable burkinabè.
A travers ce mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité, les justiciables n'hésiteront pas
à solliciter directement la Constitution pour protéger leurs
intérêts personnels et individuels.
§2 : Une appropriation de la Constitution par les
justiciables
L'appropriation par les citoyens-justiciables de la norme
constitutionnelle à travers le mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité est rendue possible grâce à la
normativité de plus en plus accrue de la Constitution
(A). C'est en effet cette normativité de la norme
fondamentale qui permet aux justiciables de faire appel à la
Constitution pour protéger leurs intérêts personnels et
individuels (B).
A. La normativité de la Constitution
L'évolution du droit constitutionnel contemporain en
général et du droit constitutionnel burkinabè en
particulier fait naître une nouvelle tendance, celle de la
normativité de la Constitution. L'exception
d'inconstitutionnalité demeure le mécanisme qui traduit le
mieux
394 Dominique Junior ZAMBO, « Protection des droits
fondamentaux et droit à la juridictio constitutionnelle au Cameroun :
continuité et ruptures », La Revue des Droits de l'Homme
(en ligne), n°15/2019, 36 p.
395 Ibidem.
396 Bernard STIRN, Les libertés en question,
Op.cit., p. 9.
57
cette normativité de la Constitution. Ce
mécanisme consiste notamment à sanctionner le non-respect des
principes à valeur constitutionnelle, des droits fondamentaux de l'Homme
qui s'imposent de manière contraignante dans tout système
juridique, dans tout Etat qui se réclame du nombre des Etats de droit.
Cela s'avère être le propre de la normativité. En effet, la
contrainte ou l'impérativité constitue l'élément
distinctif de la norme397 et le trait spécifique de la
normativité398. Ainsi, la Constitution est désormais
perçue comme une règle devant être respectée dans
toute sa substance au même titre que n'importe quelle autre règle
juridique ayant une force exécutoire et contraignante. Elle est devenue
normative dira-t-on. Ceci est dû au fait que la Constitution est de plus
en plus considérée par moult doctrinaires comme une norme
juridique399, une règle de droit400. Dès
cet instant, la normativité de la Constitution n'est plus à
contester401. En effet, la Constitution contient des règles
directement applicables par les juges402 dans les contentieux
relevant de leurs compétences. Au doyen FAVOREU d'ajouter que
désormais « Toutes les normes constitutionnelles sont d'application
directe et n'ont pas besoin du relais de la loi pour être rendue
opérationnelles »403. Cela conduit indubitablement le
droit constitutionnel à se départir des reproches le cantonnant
à un simple contrôle institutionnel. Grâce à
l'exception d'inconstitutionnalité, les règles constitutionnelles
ne sont plus seulement des orientations générales ou des
intentions politiques404. Désormais, la
référence à la Constitution n'a pas pour seul
intérêt de connaître l'organisation et le fonctionnement du
pouvoir politique405. Le droit de la Constitution n'est plus
seulement le droit des institutions politiques406. Il s'agit
désormais d'un véritable droit, un droit juridictionnel qui est
mis en oeuvre
397 Franc De Paul TETANG, « La normativité des
constitutions des Etats africains d'expression française »,
RFDC, n°104-2015/4, pp. 953-978.
398 Ibidem.
399 Alexandra VIALA, « La question de l'autorité
des décisions du Conseil constitutionnel », in Dominique
ROUSSEAU (dir.), Le Conseil constitutionnel en question, Paris,
l'Harmattan, 2004, p. 145.
400 Louis FAVOREU, « L'exception
d'inconstitutionnalité est-elle indispensable en France ? »,
AJC, n°8-1992, 1994, pp. 11-22.
401 Boubacar BA, « Le préambule de la Constitution
et le juge constitutionnel en Afrique », Revue Electronique Afrilex,
janvier 2016, 36 p.
402 Bertrand de LAMY, « Les principes constitutionnels
dans la jurisprudence judiciaire. Le juge judiciaire, juge constitutionnel ?
», Op.cit., pp. 780-820.
403 Louis FAVOREU cité par Bertrand de LAMY, « Les
principes constitutionnels dans la jurisprudence judiciaire. Le juge
judiciaire, juge constitutionnel ? », Op.cit., pp.
780-820.
404 Bernard CUBERTAFOND, Le nouveau droit constitutionnel,
Paris, l'Harmattan, 2008, p. 19.
405 Jacques MOREAU (dir.), Droit public. Tome 1.
Théorie générale de l'Etat et Droit Constitutionnel. Droit
administratif, Paris, Economica, 1995, 3ème édition, p. 211.
406 Louis FAVOREU, « La justice constitutionnelle en
France », Les Cahiers de Droit, Vol.26, n°2/1985, pp.
301337.
58
par la justice constitutionnelle. Ainsi, la Constitution
« quitte l'étape métaphysique pour accéder à
la positivité »407.
Rendre normative la Constitution, telle est, entre autres, le
but de la justice constitutionnelle. Charles EISENMANN écrivait que
« le sens de la justice constitutionnelle est de garantir la
répartition de la compétence entre législation ordinaire
et législation constitutionnelle (...) ; elle fait des règles
constitutionnelles des normes juridiquement obligatoires, de véritables
règles de droit en y attachant une sanction ; sans elle, la Constitution
n'est qu'un programme politique, à la rigueur obligatoire moralement, un
recueil de bons conseils à l'usage du législateur, mais dont il
est juridiquement libre de tenir ou de ne pas tenir compte (...). La justice
constitutionnelle transforme donc en normes véritablement juridiques ce
qui seulement se voulait tel. La Constitution devient ainsi et ainsi seulement
la règle de droit suprême »408. L'on voit
dès lors se dessiner le « nouveau visage » du contentieux
constitutionnel409.
L'exception d'inconstitutionnalité participe activement
à l'instauration d'une Constitution à caractère normatif
et contraignant. En effet, à travers ce mécanisme, le Conseil
constitutionnel applique les règles constitutionnelles dans un cas
précis en litige. La réponse du Conseil constitutionnel à
la question posée par les justiciables déterminera
l'applicabilité de la disposition législative qui fait grief, par
rapport à la norme fondamentale qu'est la Constitution. C'est dans cet
ordre d'idée que le Conseil constitutionnel burkinabè a
bloqué, sur demande des requérants, l'application des articles 21
et 33 de la loi organique sur la Haute Cour de Justice, car ces articles
violent les articles 1, 2 et 4 de la Constitution qui proclament le principe
d'égalité devant les juridictions et le principe du double
degré de juridiction ainsi que des principes généraux de
droit à valeur constitutionnelle qui gouvernent tout procès juste
et équitable410. Dès lors, force est de constater que
cette normativité de la Constitution, devenue précise avec le
mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité, accentue le
caractère subjectif du contentieux constitutionnel dans la mesure
où les justiciables auront tendance à soulever l'exception dans
le seul et unique but de protéger leurs intérêts
personnels.
407 Jacques Djoli ESENG'EKELI, Droit constitutionnel.
L'expérience congolaise, Op.cit., p. 44.
408 Charles EISENMANN cité par Dominique CHAGNOLLAUD,
Droit constitutionnel contemporain, Op.cit., p. 71.
409 Guillaume DRAGO, « Le nouveau visage du contentieux
constitutionnel », RFDC, n°84-2010/4, pp.751-760.
410 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
Décision n°2017-013/CC du 09 juin 2017 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la loi sur la Haute Cour de Justice.
59
B. La protection d'intérêts
personnels
Toute la critique autour de l'exception
d'inconstitutionnalité est son caractère subjectif. Ce
mécanisme tend à faire du contentieux constitutionnel un
contentieux de plus en plus subjectif. Cela, dans la mesure où,
l'exception d'inconstitutionnalité a une propension de sauvegarde des
intérêts personnels et individuels des justiciables. D'ailleurs,
sans intérêt direct et personnel, le justiciable ne saurait
valablement soulever une exception d'inconstitutionnalité. En effet,
lorsque l'article 157 al.2 de la Constitution du Burkina Faso précise
que le citoyen ne peut soulever une exception d'inconstitutionnalité que
« dans une affaire qui le concerne » directement, cela signifie que
le droit à l'exception d'inconstitutionnalité est
conditionné par un intérêt à agir du
requérant411. Du point de vue d'Antoine MESSARA, cette
condition de l'intérêt dans tout recours par voie d'exception est
un principe général qui n'exige pas une disposition
spécifique412.
La subjectivité de l'exception
d'inconstitutionnalité se relève du fait que les citoyens ne
soulèvent ce moyen que pour leur propre défense413. On
assiste, selon l'expression d'Olivier DUHAMEL, à « une
appropriation inédite de la Constitution par les citoyens
»414. La Constitution n'est plus seulement l'affaire des
pouvoirs publics415, elle devient la chose des citoyens pour servir
leurs intérêts. Dominique ROUSSEAU nous indiquera à cet
effet qu'avec l'exception d'inconstitutionnalité, « la Constitution
est sortie de l'univers clos des facultés de droit pour entrer dans les
prétoires »416. Dès lors, avocats et juges ont un
intérêt professionnel à connaître le mécanisme
de l'exception d'inconstitutionnalité parce qu'il y va de
l'intérêt du justiciable que soit soulevé le moyen de
l'argument constitutionnel417. L'exception
d'inconstitutionnalité serait alors encline à ne faire que
l'objet des jeux d'intérêts. Ainsi, on est en droit de craindre un
éventuel abus de droit à l'exception
d'inconstitutionnalité418. Le cas échéant,
comme l'a si bien démontré Bianca SELEJAN-GUTAN dans l'un de ses
riches
411 Théodore HOLO, « Le citoyen, pierre angulaire de
la justice constitutionnelle au Bénin », Op.cit., pp.
101-114.
412 Antoine MESSARA, « Le citoyen et la justice
constitutionnelle : problème et aménagement à la
lumière de l'étude de la Commission de Venise et en perspective
comparée », Op.cit., ibidem.
413 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, Droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 2006, 25ème édition, p. 77.
414 Olivier DUHAMEL, « La QPC et les Citoyens »,
Revue Pouvoirs, n°137-2011/2, pp. 183-191.
415 Gilles BADET, Les attributions originales de la Cour
constitutionnelle du Bénin, Cotonou, FES, 2013, p. 182.
416 Dominique ROUSSEAU (dir.), La Question prioritaire de
constitutionnalité, Paris, Gazette du Palais, 2012, 2ème
édition, p. 1.
417 Ibid., p. 4.
418 Bianca SELEJAN-GUTAN, « L'exception
d'inconstitutionnalité en Roumanie : instrument de protection des droits
ou technique dilatoire ? », Op.cit., pp. 65-79.
60
articles, « le grand succès de l'exception
d'inconstitutionnalité » deviendrait alors « l'un de ses plus
grands ennemis »419.
Par ailleurs, la manière relativement
facile420 dont l'exception d'inconstitutionnalité peut
être soulevée devant un tribunal ordinaire et surtout la
suspension obligatoire du procès suite à un tel
soulèvement, vont inéluctablement conduire à une situation
paradoxale : « la transformation de l'exception, par certains
justiciables, en technique dilatoire du procès, utilisée au seul
but de tergiverser l'action principale »421. C'est en cela que
le rôle de filtre des juridictions ordinaires422 permettrait
de vérifier si l'exception est manifestement infondée. Mais avec
la consécration jurisprudentielle d'une saisine directe par voie
d'exception au Burkina Faso423, les justiciables ont le champ libre
pour jouer au dilatoire au maximum de leurs intérêts personnels et
parfois mesquins. Du moins, cela serait à craindre au Burkina Faso
lorsque les avocats prendront conscience de l'utilité de ce
mécanisme424. Afin de prévenir toute tentative et
entreprise dilatoire, en Roumanie, le sursis à statuer a
été rendu facultatif. Ainsi, dans le but d'assurer la
célérité de la justice et de préserver les
intérêts de la partie adverse qui risquerait de voir son action
paralysée par une requête dilatoire en exception
d'inconstitutionnalité, le procès au fond peut alors continuer
son cours en attendant la décision de la juridiction
constitutionnelle425. Toutefois, il est donné la
possibilité au justiciable, en aval de la décision
constitutionnelle, de faire ultérieurement recours contre la
décision rendue par le juge du fond426.
L'exception d'inconstitutionnalité est certes un moyen
de protection des droits fondamentaux. Mais, il est clair que certains
justiciables useront de ce mécanisme pour servir d'autres
intérêts personnels d'autant plus qu'au Burkina Faso, l'exception
d'inconstitutionnalité n'est pas dirigée que contre les lois
portant atteinte aux droits fondamentaux mais plutôt contre toute
disposition législative contraire à la Constitution dans son
ensemble427. Quoi qu'il en soit, même si l'exception
d'inconstitutionnalité est un droit subjectif, force est de constater
avec
419 Bianca SELEJAN-GUTAN, « L'exception
d'inconstitutionnalité en Roumanie : instrument de protection des droits
ou technique dilatoire ? », Op.cit., pp. 65-79.
420 Ibidem.
421 Ibidem.
422 Il s'agit de la procédure de la Question Prioritaire
de constitutionnalité telle qu'instituer en France.
423 V°. Supra., p. 40.
424 V°. Supra., p. 22.
425 Bianca SELEJAN-GUTAN, « L'exception
d'inconstitutionnalité en Roumanie : instrument de protection des droits
ou technique dilatoire ? », Op.cit., pp. 65-79.
426 Ibidem.
427 Article 25 de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril
2000 sur le Conseil constitutionnel.
61
Laurent ECK que ce droit subjectif découle du droit
objectif et est reconnu par lui428. Dès lors, la
subjectivation du contentieux constitutionnel n'est pas l'unique
intérêt de l'exception d'inconstitutionnalité. Dans ses
effets, l'exception d'inconstitutionnalité présente
également des caractères fortement objectifs.
Section II : Une objectivation maintenue du
contentieux constitutionnel
Il n'y a pas de doute sur le caractère fortement
subjectif de l'exception d'inconstitutionnalité. Toutefois, il subsiste
quelques éléments soutenant le maintien du caractère
objectif du contentieux constitutionnel même à travers l'exception
d'inconstitutionnalité. Cela, dans la mesure où, d'une part,
l'exception d'inconstitutionnalité se révèle être un
purgatoire pour les normes inconstitutionnelles (§1), et
d'autre part, elle permet une revalorisation du principe démocratique
(§2).
§1 : Un purgatoire des normes
inconstitutionnelles
Contrôle de constitutionnalité a
posteriori, l'exception d'inconstitutionnalité contribue à
affirmer la suprématie de la Constitution dans l'ordre juridique en ce
sens qu'elle permet d'assoir la supériorité de la Constitution
(A) et qu'elle contribue par la même occasion à
la constitutionnalisation de toutes les branches du droit
(B).
A. Un mécanisme assurant la
supériorité de la Constitution
En consacrant l'exception d'inconstitutionnalité, la
Constitution burkinabè « crée une arme contre la
déviation des parlementaires »429. En effet, la loi
n'est plus l'arche sainte qu'elle était430. Pour le doyen
HAURIOU, le pouvoir législatif reste le dernier pouvoir dangereux
pour
428 Laurent ECK, L'abus de droit en droit constitutionnel,
Paris, l'Harmattan, 2010, p. 71.
429 Frédéric ROUVILLOIS, « Michel Debré
et le contrôle de constitutionnalité », RFDC,
n°46-2001, pp. 227-235.
430 Jean GICQUEL et Jean-Eric GICQUEL, Droit constitutionnel
et institutions politiques, Op.cit., p. 209.
62
les libertés431. Ce qui constitue un
renversement du « mythe Rousseauiste »432 selon lequel
« la loi ne peut mal faire »433. Selon Jean RIVERO, cela
conduit irrésistiblement au passage d'une « protection de la
liberté par la loi » à une « protection des
libertés contre la loi »434. C'est dans ce cadre que la
constitutionnalité a remplacé la légalité dans sa
fonction de véhicule des valeurs essentielles435. Le principe
de constitutionnalité surclasse de ce fait celui de
légalité. Par voie de conséquence, la Constitution est
supérieure à la loi et à toute autre règle de droit
dans l'ordre interne. Désormais, la loi « n'est plus un tout mais
une part du droit »436. Alors, si dans un système
juridique la Constitution est la norme suprême, une loi contraire
à la constitution n'est pas du droit437. Le cas
échéant, la loi ne sera pas non plus l'expression de la
volonté générale, absolument pas. D'ailleurs, le Conseil
constitutionnel français a eu à affirmer dès 1985 que
« La loi votée n'exprime la volonté générale
que dans le respect de la Constitution »438. Pour assurer ce
respect, il fallait mettre en place un contrôle de
constitutionnalité. Ce qui fut effectivement fait au Burkina
Faso439.
Il ressort du manuel de Jean BOUDON que « Le
contrôle de constitutionnalité établit une césure
radicale entre la Constitution et tous les autres actes juridiques (...). Le
contrôle de constitutionnalité a donc pour premier objectif de
protéger la Constitution contre toutes les normes juridiques fatalement
inférieures »440. Dès lors, la Constitution
étant supérieure à toute autre règle de droit
étatique441, le contrôle de constitutionnalité
demeure la sanction juridique du non-respect de cette norme
suprême442. Ainsi, en plus de la protection des droits de
l'Homme, le but de la justice constitutionnelle est de défendre les
principes de la suprématie de
431 Hauriou cité par Jean GICQUEL et Jean-Eric GICQUEL,
Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, LGDJ, 2015,
29ème édition, p. 227.
432 Mahamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle
des droits fondamentaux en Afrique, Paris, l'Harmattan, 2007, p. 463.
433 Ibidem.
434 Jean RIVERO cité par Marie-Claire PONTHOREAU,
Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Op.cit., p. 370.
435 Louis FAVOREU cité par Bertrand de LAMY, « Les
principes constitutionnels dans la jurisprudence judiciaire. Le juge
judiciaire, juge constitutionnel ? », RDP, n°3-2002, pp.
780-820.
436 Marie-Claire PONTHOREAU, « Réflexions sur le
pouvoir normatif du juge constitutionnel en Europe continentale sur la base des
cas allemand et italien », Cahiers du Conseil Constitutionnel,
n°24/2008, 8 p.
437 Michel TROPER, « Marshall, Kelsen, Barak et le
sophisme constitutionnaliste », in E. ZOLLER (dir.), Marbury
v. Madison : 1803-2003. Un dialogue franco-américain, Paris,
Dalloz, 2003, pp. 215-228.
438 V°. Conseil constitutionnel français,
Décision n°85-197 DC du 23 août 1985.
439 Articles 152 al.1, 155 et 157 de la Constitution du 02 juin
1991.
440 Julien Boudon, Manuel de droit constitutionnel,
Op.cit., p. 99.
441 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, Droit
constitutionnel, Op.cit., p. 73.
442 Michel VERPEAUX, La Constitution, Paris, Dalloz,
2008, p. 68.
63
la constitution443. De ce point de vue, le
contrôle de constitutionnalité prend un caractère objectif.
Or, l'exception d'inconstitutionnalité est une approche exceptionnelle
qui permet d'assurer le contrôle de la Constitution444. Ce
mécanisme permet « « une protection circonstanciée
» de la Constitution »445. Dès lors, le
caractère objectif du contentieux constitutionnel est valable tant pour
le recours direct446 que pour le recours indirect qu'est l'exception
d'inconstitutionnalité447. A ce titre, Thierry SANTOLINI
écrivait que « Le contentieux de constitutionnalité
possède à la fois des implications subjectives et objectives
»448. De sorte que « le procès constitutionnel
apparaît comme le lieu d'une protection médiatisée de la
Constitution où les préoccupations individualistes des parties se
trouvent mêlées à la défense du bien commun.
Naturellement, les premiers concernés par cette dualité sont les
particuliers. Leur action est d'abord destinée à protéger
des intérêts personnels, mais elle offre également, au juge
constitutionnel, l'occasion d'assurer la défense objective de
l'ordonnancement »449. De ce fait, l'action des particuliers se
trouve, en quelque sorte, captée par l'effet attractif de
l'intérêt général450 qu'est de garantir
la supériorité de la Constitution451. Pour asseoir
définitivement cette supériorité de la Constitution dans
l'ordre interne, l'exception d'inconstitutionnalité s'avère
être la voie la plus rapide452. Dans un tel schéma, la
mission du juge constitutionnel « va apparaître comme étant
fondamentalement objective, dans la mesure où elle va s'exercer dans
l'intérêt du droit »453.
En tout état de cause, l'exception
d'inconstitutionnalité se préoccupe, en quelque sorte, de
garantir le respect de la hiérarchie des normes. Cette hiérarchie
des normes « est une donnée
443 Arslan ZÜHTÜ, « L'accès de
particuliers à la justice constitutionnelle en Turquie »,
Communication lors du 2ème séminaire international de la
Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africaines tenue à
Alger du 24 au 27 novembre 2017.
444 Ibrahim David SALAMI, « Exception
d'inconstitutionnalité et principe d'égalité au
Bénin et au Congo », RBD, n°51-2ème
semestre, 2016, pp. 9-41.
445 Ibidem.
446 Célestin Keutcha TCHAPNGA, « Le juge
constitutionnel, juge administratif au Bénin et au Gabon ? »,
RFDC, n°75-2008/3, pp. 551-583.
447 Ibidem.
448 Thierry SANTOLINI, « Les parties dans le
procès constitutionnel en droit comparé », Cahiers du
Conseil Constitutionnel, n°25/2008, 10 p.
449 Ibidem.
450 Ibidem.
451 Michel VERPEAUX, « Le contrôle de la loi par la
voie d'exception dans les propositions parlementaires sous la IIIème
République », RFDC, n°4-1990, pp. 688-698.
452 Valérie BERNAUD et Marthe Fatin-Rouge STEFANINI,
« La réforme du contrôle de constitutionnalité une
nouvelle fois en question ? », RFDC, n°2/2008, pp.
169-199.
453 Mame Ndiaga WADE, Accès au juge constitutionnel
et constitutionnalisation du droit, Thèse de Doctorat en droit
public soutenue à l'Université d'Aix-Marseille, le 18
décembre 2015, p. 48.
64
objective »454. Au Burkina Faso comme dans
tout système francophone de justice constitutionnelle, l'exception
d'inconstitutionnalité se présente comme un « renouveau
»455 de la Constitution. Avec ce « renouveau », la
Constitution prend la figure du phénix456 qui renaît de
ses cendres. Ainsi, grâce à l'exception
d'inconstitutionnalité457, « sa majesté
»458 la Constitution retrouve sa couronne. Celle-ci lui
permettrait de pénétrer toutes les branches du droit.
B. Un mécanisme facilitant la
constitutionnalisation des branches du droit
Le contrôle de constitutionnalité permet de
vérifier la conformité des textes infra constitutionnels
à la norme fondamentale. Il peut s'opérer soit par voie
d'action459, soit par voie d'exception460. Dans la mesure
où, ce contrôle de constitutionnalité peut être
provoqué par toute personne partie à un
procès461 quel que soit le litige, la Constitution devient le
ciment, ou dira-t-on le fondement de tout le système juridique de
l'Etat. Cela s'explique par le fait qu'elle « informe,
pénètre et saisit l'ensemble des branches du droit
»462. Ainsi se dévoile un autre côté
objectif de l'exception d'inconstitutionnalité en ce qu'elle facilite la
constitutionnalisation463 des branches du droit. En effet, cette
constitutionnalisation des branches du droit ne peut que se percevoir de
manière objective. Il s'agit là d'un regain
d'intérêt du droit constitutionnel. Le pan du contentieux est en
train de prendre le dessus sur le pan institutionnel du droit de la
Constitution. Cette dernière devient la référence dans
l'ordre juridique étatique. C'est donc grâce à l'exception
d'inconstitutionnalité que le droit constitutionnel s'offre une
bouffée d'oxygène et retrouve son souffle de vie. En effet, pour
Louis FAVOREU, si le droit constitutionnel doit « investir » toutes
les branches du droit, l'exception d'inconstitutionnalité
454 Michel TROPER et Dominique CHAGNOLLAUD, Traité
international de droit constitutionnel. Tome 1. Théorie de la
Constitution, Paris, Dalloz, 2012, p. 744 et Ss.
455 Francis DELPERE, « Le renouveau du droit constitutionnel
», RFDC, n°74-2008/2, pp. 227-237.
456 Ibidem.
457 Christian STARCK, La Constitution, cadre et mesure du
droit, Paris, Economica, 1994, p. 25.
458 Adama KPODAR cité par Karim DOSSO, « Les
pratiques constitutionnelles dans les pays d'Afrique noire francophone :
cohérences et incohérences », RFDC,
n°92-2012/2, pp. 57-85.
459 Article 155 de la Constitution burkinabè du 02 juin
1991.
460 Article 157 al.2 de la Constitution burkinabè du 02
juin 1991.
461 Ibidem.
462 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel,
Paris, Montchrestien, 2006, 7ème édition, p.
455.
463 La constitutionnalisation du droit est le processus qui,
par le moyen du principe de constitutionnalité, concourt à
assurer l'unité du droit ou de l'ordre juridique en donnant un socle
commun à l'ensemble des branches du droit.
65
serait la meilleure manière d'y parvenir464.
Cela est une aubaine pour le droit constitutionnel notamment celui
burkinabè dans la mesure où cette constitutionnalisation est,
pour le Conseil constitutionnel, l'occasion d'harmoniser les
actes465 et/ou les normes du droit positif burkinabè. Telle
qu'elle a été conçue, l'exception
d'inconstitutionnalité permet d'assurer la cohérence du
système normatif466 afin de parvenir à une unification
de l'ordre juridique467. Par ce mécanisme, le juge
constitutionnel procède à « l'expurgation...des normes
pathogènes et à l'anéantissement des normes viciées
»468.
Au Burkina Faso, l'exception d'inconstitutionnalité a
déjà eu à concerner un certain nombre de domaines et de
branches du droit. Il en est ainsi du droit de la fonction
publique469, du domaine de la magistrature470, du droit
civil471 ou encore du droit pénal472. Dans ce
dernier cas, le juge constitutionnel burkinabè, en déclarant
l'inconstitutionnalité de l'article 497-3° du code de
procédure pénale, a entendu, contrairement à son homologue
français473, reconnaître un droit d'appel à la
partie civile dans un procès pénal. Selon le raisonnement du
Conseil constitutionnel burkinabè, la non-reconnaissance de ce droit
à la partie civile constitue une violation du principe
d'égalité d'accès au juge. Même si la doctrine
burkinabè critique cette décision en y voyant notamment «
une admission en clair-obscur du droit d'appel de la partie civile
»474, nous nous contenterons du constat qu'il y a là
« un accroissement du poids des normes constitutionnelles en raison de
leur incidence directe sur diverses catégories de relations
464 Louis FAVOREU, « L'exception
d'inconstitutionnalité est-elle indispensable en France ? »,
Op.cit., pp. 11-22.
465 Marie-Pauline DESWARTE, « Droit sociaux et Etat de droit
», RDP, n°4-1995, pp. 951-986.
466 Elena-Simina TANASESCU, « L'exception
d'inconstitutionnalité qui ne dit pas son nom ou la nouvelle
sémantique constitutionnelle roumaine », RIDC, Vol.65,
n°4/2013, pp. 905-939.
467 Guillaume DRAGO, Contentieux constitutionnel
français, Op.cit., p. 61.
468 Joseph DJOGBENOU, « Les parties dans le procès
constitutionnel », extrait du cours de Théorie
générale du procès, Université d'Abomey
Calavi, Master 2 Droit privé fondamental et droit des institutions
judiciaires, 20192020, pp. 29-43.
469 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2019-001/CC du 12 février 2019 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de l'article 166 de la loi portant statut
général de la fonction publique.
470 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2018-007/CC du 20 mars 2018 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la loi portant statut de la magistrature.
471 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2007-04/CC du 29 août 2007 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la société EROH.
472 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2016-08/CC du 12 juillet 2016 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de l'article 497°3 du code de
procédure pénale.
473 V°. Conseil constitutionnel français,
décision n°2013-363 QPC du 31 janvier 2014 sur la
constitutionnalité de l'article 497 du code pénal
français.
474 Séni Mahamadou OUEDRAOGO, « L'admission en
clair-obscur du droit d'appel de la partie civile en matière
pénale : à propos de la décision n°2016-08/CC sur
l'exception d'inconstitutionnalité de l'article 497-3° du code de
procédure pénale », RBD, n°52-1er
semestre/2017, pp. 245-255.
66
juridiques »475. La machine est ainsi
lancée pour qu'il se produise une constitutionnalisation des branches du
droit burkinabè. Ou pour le dire autrement en reprenant les termes de
Dominique ROUSSEAU, « le droit privé et le droit public sont
aujourd'hui « branchés » sur les principes
énoncés dans la Constitution »476. Comme l'a si
bien détaillé Georges VEDEL, « Le droit constitutionnel est
formé...par des « têtes de chapitres » qui se prolongent
dans les autres branches du droit... »477.
Par ailleurs, on assiste à l'effacement des
frontières entre les branches du droit, le droit constitutionnel servant
de fil conducteur reliant les unes aux autres. En effet, pour Louis FAVOREU,
« la jurisprudence constitutionnelle est en train de remettre en cause la
distinction classique entre droit public et droit privé, en imposant
comme soubassement commun à toutes les branches du droit, un droit
constitutionnel qui retrouve ses fonctions originelles de droit fondamental
»478. Les différentes branches du droit voient se
dessiner leurs dimensions constitutionnelles479, car selon Bernard
CUBERTAFOND, le droit constitutionnel est devenu englobant480.
Toutefois, cela semble tout à fait dérisoire au
Burkina Faso dans la mesure où le recours en exception
d'inconstitutionnalité n'est toujours pas encore une pratique vraiment
rependue. La constitutionnalisation véritable des branches du droit au
Burkina Faso devra alors encore attendre. Quoi qu'il en soit, il s'avère
qu'en perspective, l'exception d'inconstitutionnalité soit
potentiellement un puissant moyen pour la constitutionnalisation du droit au
Burkina Faso. En effet, ce mécanisme permettra de purger le
système juridique de ses normes inconstitutionnelles et d'assurer, par
la même occasion, la suprématie de la Constitution. C'est
justement en cela que l'exception d'inconstitutionnalité présente
un caractère objectif. Toutefois, cet élément n'est pas le
seul à pouvoir plébisciter le caractère objectif de
l'exception d'inconstitutionnalité. En poussant un peu loin la
réflexion, nous remarquerons que l'exception
d'inconstitutionnalité peut également servir à asseoir une
bonne démocratie au Burkina Faso.
475 Antoine JEAMMAUD et Antoine LYON-CAEN, «
Suprématie de la Constitution et droit social » in Michel
TROPER et Dominique CHAGNOLLAUD, Traité international de droit
constitutionnel. Tome 3. Suprématie de la Constitution, Paris,
Dalloz, 2012, p. 665.
476 Dominique ROUSSEAU, La Question Prioritaire de
Constitutionnalité, Op.cit., p. 3.
477 Georges VEDEL, Manuel élémentaire de droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 2002, p. 6.
478 Louis FAVOREU, « La justice constitutionnelle en
France », Les Cahiers de Droit, Vol.26, n°2/1985, pp.
301337.
479 Ibidem.
480 Bernard CUBERTAFOND, Le nouveau droit constitutionnel,
Op.cit., p. 20.
67
§2 : Un mécanisme revalorisant le principe
démocratique
La revalorisation de la démocratie au Burkina Faso
à travers le mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité peut s'analyser sur deux points. Le premier
consiste à constater que, d'une certaine manière, l'exception
d'inconstitutionnalité est une voie pour la participation du peuple au
pouvoir (A). Le second consiste à observer
l'avènement de ce qu'il convient d'appeler démocratie
constitutionnelle (B).
A. Une voie pour la participation du peuple au pouvoir
Le lien entre l'exception d'inconstitutionnalité et la
démocratie n'est pas tout à fait évident à
établir. Certes, l'analogie peut sembler curieuse et inopérante.
Mais en réalité, elle a tout son sens notamment dans un Etat de
droit. Il ne s'agit pas là d'une réflexion isolée dans la
mesure où une abondante doctrine aborde le contrôle de
constitutionnalité en général et le mécanisme de
l'exception d'inconstitutionnalité en particulier comme une
manifestation de la démocratie dans un Etat de droit. A ce titre, il
ressort des écrits de Bertrand STIRN que même s'il n'y a pas
nécessairement de coïncidence entre contrôle de
constitutionnalité et démocratie, « les deux vont de plus en
plus souvent de pair »481. En effet, l'idée de
démocratie est essentiellement composite482. Elle ne se
réduit pas au simple pouvoir de la majorité. Elle se
définit également par le respect des libertés et des
droits des minorités483. Dès lors, en assurant ces
fonctions, le contrôle de constitutionnalité est pressenti pour
garantir le caractère démocratique d'un
régime484. En outre, la démocratie permet aux citoyens
de disposer de mécanismes de protection contre les
gouvernants485. C'est justement dans cette perspective que s'inscrit
l'exception d'inconstitutionnalité : protéger les citoyens contre
l'arbitraire des gouvernants et contre des lois liberticides486.
Il sied de rappeler qu'en droit constitutionnel contemporain,
la démocratie se fonde sur les droits fondamentaux487. De
l'avis de Christian STARCK, l'auto-détermination des membres
481 Bernard STIRN, Les libertés en question,
Paris, Montchrestien, 2004, 5ème édition, p.
55.
482 Cyril BRAMI, Des juges qui ne gouvernent pas, Paris,
l'Harmattan, 2005, p. 153.
483 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux
constitutionnel, 9ème édition, Op.cit., p. 57.
484 Ibidem.
485 Babacar GUEYE, « La démocratie en Afrique,
succès et réticences », Op.cit., p. 5-26.
486 Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ et Diane ROMAN,
Droits de l'Homme et libertés fondamentales, Paris, Dalloz,
2015, 2ème édition, p. 255.
487 Jean Paul JACQUE, Droit constitutionnel de l'Union
Européenne, Paris, Dalloz, 2012, 7ème
édition, p. 63.
68
du peuple dépend des moyens de protection de leurs
droits488. Etant un moyen de protection des droits
fondamentaux489, le mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité fait ainsi corps avec la démocratie. En
effet, en protégeant les droits fondamentaux, l'exception
d'inconstitutionnalité devient « un puissant moyen de
légitimation démocratique »490. Au Burkina Faso,
cette nouvelle forme de légitimation démocratique est au
rendez-vous depuis plus de vingt (20) ans. C'est dire que les responsables
politiques burkinabè ont compris assez tôt cette exigence
démocratique. Assurément, cette volonté commune de
l'ensemble de la classe politique permet d'améliorer et d'étendre
les droits de l'Homme et du citoyen491 au Burkina Faso. En effet, il
serait vain de parler d'un Etat de droit sans démocratie et sans
garantie pour les droits humains. Ces trois éléments ne font plus
qu'un, car chacun pris isolément n'aurait aucun sens sans les deux
autres. Autrement formulé, la démocratie n'existe
idéalement que dans un Etat de droit et la protection des droits
fondamentaux constitue la sève nourricière de l'Etat de droit.
Par ailleurs, dans une démocratie, il convient que le
peuple soit associé ; qu'il soit au four et au moulin de l'exercice du
pouvoir. A cette quête de l'idéal démocratique, l'exception
d'inconstitutionnalité paraît être, à bien des
égards, un canal de contrôle du pouvoir par le peuple. En effet,
ce mécanisme a comme vertu de permettre au peuple de vérifier en
permanence que les pouvoirs constitués ne violent pas le
dépôt qui leur a été confié492.
Cela, d'autant plus qu'en démocratie, il est de principe que la
volonté du peuple soit respectée vaille que vaille. Selon
Elisabeth ZOLLER, pour que ce principe « soit autre chose qu'un aveu
pieux, il faut que les pouvoirs constitués ne puissent pas
méconnaître, modifier ou altérer les volontés du
pouvoir constituant sans être sanctionnés »493.
Ainsi, l'exception d'inconstitutionnalité constitue une véritable
sentinelle démocratique494 qui alerte et informe le pouvoir
politique de la teneur des revendications du peuple et au besoin,
désavoue le pouvoir politique lorsque le pacte constitutionnel est
violé495. A travers ce mécanisme, le peuple s'oppose
au pouvoir et participe
488 Christian STARCK, La Constitution cadre et mesure du
droit, Op.cit., p. 69.
489 V°. Supra., pp. 51-53.
490 Yacouba OUEDRAOGO, « Les paradoxes de la protection
des droits de l'Homme dans les organisations africaines d'intégration
régionale », RBD, n°55-Spécial, 2018, pp.
143-165.
491 Catherine CASTANO, « L'exception
d'inconstitutionnalité : la contrainte du droit, la force du politique
», RFDC, n°4-1990, pp. 631-649.
492 Jean BOUDON, Manuel de droit constitutionnel.
Tome 1. Théorie générale-Histoire-Régimes
étrangers, Op.cit., p. 100.
493 Elisabeth ZOLLER, Droit constitutionnel, Paris, PUF,
1998, 2ème édition, p. 99.
494 Julien BONNET et Pierre-Yves GAHDOUN, La Question
Prioritaire de Constitutionnalité, Op.cit., 128 p.
495 Ibidem.
69
au pouvoir496. Dès lors, si la
démocratie est bien « le pouvoir du peuple, par le peuple et pour
le peuple »497, alors l'exception d'inconstitutionnalité
est une « condition sine qua non de la démocratie
»498. Au Burkina Faso, pays des hommes intègres,
à travers l'alinéa 2 de l'article 157 de la Constitution, un
avertissement est lancé aux pouvoirs constitués : ils sont sous
la surveillance étroite des citoyens.
En fin de compte, l'exception d'inconstitutionnalité
contribue à préserver la démocratie au Burkina
Faso499 de sorte qu'elle corresponde à la fin de ce qu'il
convient d'appeler le « légicentrisme »500.
L'essentiel est que le peuple puisse avoir le dernier mot sur les normes
adoptées démocratiquement501. Il est également
possible d'analyser le caractère démocratique de l'exception
d'inconstitutionnalité sur un tout autre plan même si quelque peu
similaire à celui que nous venons de développer. Il s'agit de ce
qu'il convient d'appeler démocratie constitutionnelle.
B. L'émergence d'une démocratie
constitutionnelle
Hans KELSEN écrivait que « Le mot d'ordre
démocratie domine les esprits, aux XIXème et
XXème siècles, d'une façon presque
générale. Mais précisément pour cette raison, le
mot, comme tout mot d'ordre, a perdu son sens précis. Par le fait que
pour obéir à la mode politique on croit devoir l'utiliser
à toutes les fins possibles et en toute occasion, cette notion, dont on
a abusé plus que toute autre notion politique, prend les sens les plus
divers »502. La démocratie n'est plus seulement
l'exercice du pouvoir par le biais des représentants du peuple. La
démocratie est surtout l'exercice du pouvoir par des
représentants élus sous le contrôle du peuple qui a
désormais la possibilité de saisir le juge constitutionnel pour
s'opposer à ses
496 Ariane VIDAL-NAQUET, « La justice constitutionnelle
est-elle un nouveau canal de participation, d'opposition et/ou de
contrôle du peuple au pouvoir ? », HAL/Archives ouvertes,
février 2014 disponible sur
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01794761,
consulté le 13 octobre 2020 à 6h40.
497 Cette formule nous vient d'Abraham LINCOLN,
16ème président des Etats-Unis d'Amérique lors
de son discours de Gettysburg le 19 novembre 1863.
498 Michel TROPER, « Le juge constitutionnel et la
volonté générale », Analisi e dirito, 1999,
pp. 131-144.
499 Relwendé Louis Martial ZONGO, « L'accès
de l'individu au juge constitutionnel burkinabè », RBD,
n°59-1er semestre, 2020, pp. 139-164.
500 Francisco MELEDJE DJEDJRO, Droit constitutionnel,
Op.cit., p. 75.
501 Marie-Anne COHENDET, Droit constitutionnel,
Op.cit., p. 204.
502 Hans KELSEN cité par Luc KLEIN, «
Démocratie constitutionnelle et constitutionnalisme démocratique
: essai de classification des théories juridiques de la
démocratie », RFDC, n°109-2017/1, pp. 121-141.
70
représentants. Le sens de la notion de
démocratie est aujourd'hui largement multiple, si bien qu'on parle
désormais d'une démocratie constitutionnelle.
Le juge constitutionnel est parfois présenté
comme l'allié du peuple, car « il a la possibilité de se
retourner contre les représentants du peuple lorsque ceux-ci voudraient
travestir la volonté du peuple »503. Il casse ainsi la
fusion supposée du peuple et de ses représentants. En effet, au
regard de l'importance et de la place accordée au contrôle de
constitutionnalité dans tout Etat qui se réclame
démocratique, force est de tirer la conclusion selon laquelle il n'y a
de démocratie que constitutionnelle, c'est-à-dire celle qui
s'exerce dans le respect des principes et valeurs édictées par la
Constitution. Ce qui, dès lors, accorde au Conseil constitutionnel, juge
de la Constitution, une place au sommet d'un Etat démocratique. Le
Burkina Faso ne fait pas exception. En effet, le constituant burkinabè a
entendu donner au juge constitutionnel la compétence d'un contrôle
de constitutionnalité aussi bien a priori, grâce à
la saisine des requérants privilégiés504,
qu'a posteriori, grâce à la saisine ouverte aux
citoyen-justiciables505. Cette multiple possibilité de
saisine du Conseil constitutionnel burkinabè nous permet de mieux
comprendre la doctrine d'Ibrahim SALAMI. Pour cet auteur, l'exception
d'inconstitutionnalité est « une démocratisation de la
saisine du juge constitutionnel »506. Tout citoyen qui est
convaincu de l'inconstitutionnalité d'une loi qui serait sur le point de
lui être appliquée peut librement la contester devant le juge
constitutionnel. L'expression selon laquelle « la loi n'exprime la
volonté générale que dans le respect de la Constitution
»507 trouve toute sa substance ici. Tel est le sens de la
démocratie constitutionnelle.
Le droit constitutionnel en général et
l'exception d'inconstitutionnalité en particulier apparaissent comme le
droit protecteur de la personne confrontée au pouvoir, même le
plus démocratique. L'exception d'inconstitutionnalité est de ce
fait même, une démocratie constitutionnelle, « la
démocratie qui protège les droits individuels », ajoute
Agnero MEL508. La démocratie s'est donc reconstruite sur les
droits individuels. Selon le mot de Luc KLEIN, il s'agit là d'une
refondation de la démocratie sur l'individu509. Cette
reconfiguration de la
503 Gilles BADET, Les attributions originales de la Cour
constitutionnelle du Bénin, Op.cit., p. 173 et Ss.
504 Article 157 al.1 de la Constitution Burkinabè du 02
juin 1991.
505 Article 157 al.2 de la Constitution Burkinabè du 02
juin 1991.
506 Ibrahim David SALAMI et Diane O. Melone GANDONOU,
Droit constitutionnel et institutions du Bénin, Cotonou,
Editions CEDAT, 2014, p. 380.
507 V°. Conseil constitutionnel français,
Décision n°85-197 DC du 23 août 1985.
508 Agnero Privat MEL, « La saisine du juge
constitutionnel en Afrique francophone », RBD,
n°52-1er semestre, 2017, pp. 104-144.
509 Luc KLEIN, « Démocratie constitutionnelle et
constitutionnalisme démocratique : essai de classification des
théories juridiques de la démocratie », Op.cit.,
pp. 121-141.
71
démocratie avec le juge constitutionnel comme garant,
fait des citoyens les détenteurs et les acteurs du pouvoir dans un Etat
de droit. Au demeurant, le concept même de justice constitutionnelle est
lié à celui de l'Etat de droit et de la
démocratie510. L'on s'aperçoit avec Pierre BRUNET que
« Le juge constitutionnel, à travers son contrôle de
constitutionnalité, protège les droits de la minorité de
la menace que fait peser à leur encore la tyrannie de la
majorité. Cet argument est très convaincant d'autant plus qu'il
est fondé sur cette idée que le pouvoir absolu corrompt
absolument ce que nul n'oserait contester. Le juge constitutionnel est le
représentant de la souveraineté du peuple parce qu'il oblige le
législateur à respecter la volonté du peuple souverain
déclarée dans la Constitution »511.
L'exception d'inconstitutionnalité est désormais
indissociable avec les concepts de l'Etat de droit et de la démocratie.
Avec ce mécanisme, le peuple dispose d'un puissant moyen juridique,
d'une arme contre l'arbitraire du pouvoir512 et les
déviations du parlement513. La saisine du juge
constitutionnel par le citoyen est donc une véritable démocratie,
une démocratie constitutionnelle qui se donne pour mission de
protéger les droits individuels. Tels sont les desseins de l'Etat de
droit. Par ailleurs, la montée en puissance de cette démocratie
constitutionnelle dans les Etats modernes et notamment au Burkina Faso laisse
entrevoir l'avènement d'une nouvelle forme de société
politique que Guillaume TUSSEAU qualifie
d' « Etat constitutionnel »514. En effet,
en consacrant l'exception d'inconstitutionnalité, le constituant
burkinabè autorise le peuple à sécuriser lui-même sa
Constitution en traduisant les lois inconstitutionnelles devant le Conseil
constitutionnel du Faso. Ce qui, par conséquent, accorde une certaine
légitimité au juge constitutionnelle.
510 Pierre BRUNET, « Le juge constitutionnel est-il un
juge comme les autres ? Réflexions méthodologiques sur la justice
constitutionnelle », in Olivier JOUANJAN, La notion de justice
constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2005, pp. 115-135.
511 Ibidem.
512 Olivier ROUQUAN, Droit constitutionnel et gouvernance
politique, Paris, Gualino, 2014, p. 37.
513 Frédéric ROUVILLOIS, « Michel Debré
et le contrôle de constitutionnalité », RFDC,
n°46-2001, pp. 227-235.
514 Guillaume TUSSEAU, « Le pouvoir des juges
constitutionnels », in Michel TROPER et Dominique CHAGNOLLAUD,
Traité international de droit constitutionnel. Tome 3.
Suprématie de la Constitution, Paris, Dalloz, 2012, p. 169.
72
CHAPITRE II : L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE, UN
SIGNE DE LA LEGITIMITE DU JUGE CONSTITUTIONNEL
La question de la légitimité du juge
constitutionnel est essentiellement évoquée par les acteurs
politiques, lorsque certaines de ses décisions leur déplaisent,
en lui opposant leur légitimité populaire515. Cela est
d'autant plus vrai que selon le point de vue de quelques doctrinaires à
l'image de Xavier MAGNON, une juridiction constitutionnelle est une juridiction
dont la jurisprudence gêne le pouvoir516. En effet, les
représentants ont acquis leur légitimité directement du
peuple qui les a élus, tandis que le juge constitutionnel n'aurait
aucune légitimité élective, si bien que l'on pourrait se
demander s'il est légitime de contrôler la
constitutionnalité des lois517. Toutefois, il y a lieu pour
nous de remarquer que la qualité de représentant ne dépend
pas principalement de l'élection. Elle est liée à la
participation au pouvoir législatif518. Or, le Conseil
constitutionnel contribue, d'une manière ou d'une autre, à
l'élaboration des lois, il peut donc être considéré
comme un représentant du souverain, au même titre que le
Parlement. Son rôle dans la détermination de la volonté
générale est alors parfaitement légitime519.
Cette légitimité est confirmée par le peuple qui accepte
volontiers de porter sa plainte contre l'oeuvre des parlementaires devant le
Conseil constitutionnel par la voie de l'exception
d'inconstitutionnalité. Par ailleurs, la légitimité d'une
décision du juge constitutionnel renvoie à l'autorité de
celle-ci520. Cette autorité s'étend même aux
décisions rendues par la voie de l'exception
d'inconstitutionnalité (Section I). Au regard des
effets de celles-ci, l'on s'apercevra que le juge constitutionnel dispose d'un
véritable pouvoir législatif (Section II).
515 Théodore HOLO, « Emergence de la justice
constitutionnelle », Revue Pouvoirs, n°129, 2009/2, pp.
101-114.
516 Xavier MAGNON, « L'apport de la question prioritaire
de constitutionnalité à la protection des droits et
libertés dans les différents champs du droit : une
synthèse », HAL/Archives ouvertes, 13 p. Disponible sur
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal
consulté le 13 août 2020 à 09h58.
517 Victor Ferrerese COMELA, « Est-il légitime de
contrôler la constitutionnalité des lois ? », in
Michel TROPER & Dominique CHAGNOLLAUD (dir.), Traité
international de droit constitutionnel. Tome 3. Suprématie de la
Constitution, Paris, Dalloz, 2012, p. 69.
518 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel,
9ème édition, Op.cit., p. 57.
519 Ibidem.
520 Serge SURIN, « La légitimité
interprétative du juge dans le procès constitutionnel »,
HAL/Archives ouvertes, 2017, disponible en ligne sur
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01663454
consulté le 13 août 2020 à 11h12.
73
Section I : L'autorité des décisions
rendues sur exception d'inconstitutionnalité
La détermination de l'autorité des
décisions rendues par le juge constitutionnel s'impose comme l'une des
exigences fondamentales du nouveau constitutionnalisme521. Il
convient alors de s'intéresser à l'autorité de celles
rendues sur exception d'inconstitutionnalité. On dénote notamment
une certaine relativité de principe des effets des décisions
rendues sur exception d'inconstitutionnalité (§1).
Mais, en pratique, ces décisions ont tendance à
s'imposer de manière absolue (§2).
§1 : La relativité de principe des effets
de la décision
En principe, les décisions rendues par la voie de
l'exception d'inconstitutionnalité ne produisent d'effet qu'entre les
parties en litige (A). Mais, la tendance est aujourd'hui vers
un effet erga omnes de ces décisions (B).
A. L'effet inter partes de la décision
Contrôle de constitutionnalité
opéré a posteriori, c'est-à-dire en aval de
l'entrée en vigueur de la loi522, l'exception
d'inconstitutionnalité, il faut le rappeler, est un moyen soulevé
par une partie à un litige pendant devant une juridiction. Le
requérant ayant invoqué le moyen d'inconstitutionnalité
demande au juge de ne pas lui appliquer une loi inconstitutionnelle. De ce
fait, l'intérêt de l'exception serait d'écarter la loi
inconstitutionnelle du procès en cours. Ainsi, l'exception
d'inconstitutionnalité, dans sa version originale523, tend
juste à l'inapplication de la norme querellée dans l'instance en
cours. Dès lors, il peut être fait application de la même
disposition dans un autre procès, sur un autre justiciable qui lui,
n'aurait pas soulevé le moyen d'inconstitutionnalité. Le Conseil
constitutionnel français a rappelé très
521 Delphine Emmanuel ADOUKI, « Contribution à
l'étude des décisions du juge constitutionnel en Afrique »,
RFDI, n°95, 2013/3, pp. 611-638.
522 Isaac Yankhoba NDIAYE, « L'accès à la
justice constitutionnelle par le citoyen », Communication au 6ème
Congrès de l'Association des Cours et Conseil constitutionnels ayant en
partage l'usage du français, Marrakech, du 4 au 6 juillet 2012.
523 Il s'agit de l'exception d'inconstitutionnalité
consacrée aux Etats-Unis dans la célèbre affaire Marbury
c/ Madison dans lequel la Cour Suprême rappelle qu'il revient à
elle seule et uniquement à elle de prononcer la
constitutionnalité ou l'inconstitutionnalité d'une loi.
74
récemment ce principe. Ainsi, dans sa décision
rendue le 02 octobre 2020, le juge constitutionnel français rappelle qu'
« En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit
bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de
constitutionnalité... »524. C'est assurément la
raison pour laquelle l'on qualifie souvent ce recours de contrôle
subjectif525. En effet, assuré au moyen d'une exception
d'inconstitutionnalité, ce contrôle n'aboutit pas à
l'annulation d'une loi reconnue inconstitutionnelle mais à son
inapplication au litige en cours526. Il s'ensuit qu'une loi
déclarée inconstitutionnelle par cette voie ne cesse pas
d'exister dans l'ordre juridique ; elle pourrait, cependant, être
appliquée dans une autre affaire527. De cette manière,
la décision d'inconstitutionnalité n'aurait qu'un effet inter
partes, c'est-à-dire entre les parties au procès. Cela
signifie que l'exception d'inconstitutionnalité n'a, en principe, qu'une
autorité immédiate528 certes, mais
relative529 de chose jugée.
Il faut avouer que l'effet inter partes est ou
devrait être le corollaire de tout moyen d'exception. Au même titre
que l'exception d'illégalité530 ou l'exception
d'inconventionnalité531, la décision rendue par la
voie d'une exception d'inconstitutionnalité ne devrait avoir
autorité qu'entre les parties concernées par le litige dont il
est question. Etant un héritage du paysage juridique américain,
l'exception d'inconstitutionnalité ne vaut que pour le juge du fond et
dans l'affaire qu'il est amené à trancher. Dans cette
hypothèse, l'inconstitutionnalité constatée par le juge
n'a qu'un effet déclaratoire532.
Certes, l'autorité des décisions rendues par une
juridiction constitutionnelle est généralement établie par
la Constitution de l'Etat533 et cela, qu'il s'agisse d'un
contrôle de constitutionnalité a priori ou d'un
contrôle de constitutionnalité a posteriori, notamment
par le
524 V°. Conseil constitutionnel français,
décision n°2020-858/859, QPC du 02 octobre 2020.
525 V°. Supra., p. 52.
526 Anne RASSON, « La valeur de la distinction entre
autorité absolue et autorité relative de la chose jugée
», AIJC, n°27, 2011, pp. 593-612.
527 Jean-Louis ESSAMBO KANGASME, Le droit constitutionnel,
Op.cit., p. 110.
528 Dieudonné DIBWA KALUBA, La justice
constitutionnelle en république démocratique du Congo,
Op.cit., p. 576.
529 Louis FAVOREU et alii, Droit
constitutionnel, 21ème édition, Op.cit., p. 291.
530 V°. Les deux arrêts rendus par le Conseil d'Etat
en date 18 mai 2018.
531 Dans ce type de contrôle, le juge constitutionnel
est incompétent. V°. Conseil Constitutionnel français,
décision n°74-54/DC du 15 janvier 1975, IVG. C'est le juge
judiciaire qui est compétent depuis l'affaire des cafés Jacques
Vabre rendu par la Chambre plénière de la Cour de cassation en
date du 15 mai 1975 et plus tardivement le juge administration depuis
l'arrêt CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo.
532 Albrecht WEBER, « Notes sur la justice
constitutionnelle comparée : convergences et divergences »,
AIDC, n°19, 2003, pp. 29-41.
533 Anne RASSON, « La valeur de la distinction entre
autorité absolue et autorité relative de la chose jugée
», Op.cit., pp. 593-612.
75
mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité.
Mais, sur ce point, au Burkina Faso, la Constitution du 02 juin 1991 brille par
son silence. Par conséquent, nous sommes en droit de nous demander s'il
convient de retenir l'effet inter partes classique des
décisions rendues sur exception d'inconstitutionnalité à
proprement parlé534, ou si au contraire il y a lieu de
retenir une autre solution au Burkina Faso.
Quoi qu'il en soit, il convient de préciser que cette
exigence d'effet inter partes n'est valable que dans le modèle
de contrôle diffus ou décentralisé de
constitutionnalité : c'est le cas du modèle américain. Par
ailleurs, pour le système de contrôle centralisé à
l'image de celui burkinabè où la compétence pour le
contrôle de constitutionnalité des lois n'est reconnue qu'à
un juge spécial à savoir le Conseil constitutionnel, l'effet
inter partes des décisions rendues sur exception
d'inconstitutionnalité paraît logiquement insensé et
contre-productif. Ainsi, nous remarquerons la tendance en pratique vers un
effet erga omnes des décisions intervenues sur exception
d'inconstitutionnalité.
B. La tendance vers un effet erga omnes de la
décision
Tel que précisé tantôt, une
décision rendue sur exception d'inconstitutionnalité ne devrait
avoir qu'une autorité relative de chose jugée et ne produire
d'effet qu'entre les parties au litige. Mais, au regard de la «
modélisation »535 faite par chaque pays de son
système de justice constitutionnelle, l'on s'aperçoit que ce
principe doit fortement être relativisé, sinon abandonné
notamment dans les systèmes d'Afrique noire francophone536.
En effet, c'est lorsque les juridictions ordinaires sont dotées d'une
compétence constitutionnelle que leurs décisions sur la
constitutionnalité d'une loi revêtiront un effet inter partes.
Même dans cette hypothèse, lorsque la question de
constitutionnalité arrivera sur la table de la juridiction
Suprême, la décision de cette dernière revêtira un
effet erga omnes, naturellement. Pour les systèmes
où il est institué une juridiction constitutionnelle
spécialisée qui statue en premier et dernier ressort en
matière de constitutionnalité des lois, le problème ne se
pose guère, car la décision de cette juridiction aura d'office un
effet erga omnes. A ce propos, Abdoulaye SOMA écrivait qu'
« En
534 Il convient de rappeler qu'il y a eu tout un débat
sur la commodité de retenir la qualification « exception
d'inconstitutionnalité » ou s'il convient plutôt de parler
d'une « question préjudicielle de constitutionnalité ».
V°. Supra., p. 30.
535Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un
système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des
droits de l'homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel
comparé », Op.cit., pp. 437-466.
536 Il s'agit essentiellement des Etats ayant choisi le
modèle européen de justice constitutionnelle fondé sur une
juridiction constitutionnelle spécialisée.
76
ce qui concerne les systèmes où la juridiction
constitutionnelle est placée au sommet de la hiérarchie
judiciaire, comme aux Etats-Unis, en Suisse, en Afrique du Sud, en Inde et au
Nigeria, sa pratique et sa politique jurisprudentielles déploient un
effet erga omnes. De la même manière, dans les
systèmes où la juridiction constitutionnelle n'est pas
intégrée à l'ordonnancement juridictionnel ordinaire de
l'Etat et où la justice constitutionnelle est une branche
parallèle spécialisée, à l'image de la France, de
l'Algérie, du Burkina Faso, du Bénin, du Gabon et de l'Autriche,
ses décisions sur la constitutionnalité de telle ou telle norme
revêt une telle autorité »537.
A la lumière de cette doctrine, il est clair que
même si le constituant burkinabè n'a pas précisé la
portée de l'autorité de la décision rendue par la voie de
l'exception d'inconstitutionnalité, celle-ci devrait être
revêtue de l'effet erga omnes. Comme l'a fortement
rappelé Delphine Emmanuel ADOUKI, les décisions rendues par les
juridictions constitutionnelles africaines sont non seulement incontestables,
elles produisent, en outre, un effet erga omnes538. Toutes
les décisions du Conseil, y compris celles relevant de l'exception
d'inconstitutionnalité sont revêtues de l'autorité absolue
de la chose jugée539. Alors, on peut certes reprocher au
constituant et au législateur de n'avoir pas précisé
clairement les effets du contrôle de constitutionnalité des lois
a posteriori. Mais, toujours est-il qu'au Burkina Faso, cet
absolutisme des décisions rendues sur exception
d'inconstitutionnalité s'observe dans la pratique.
§2 : L'absolutisme observé des effets de la
décision
La décision d'inconstitutionnalité a
autorité absolue de chose jugée540, qu'elle soit
intervenue a priori ou par exception d'inconstitutionnalité. A
ce titre, on peut observer ce caractère absolu à travers
l'opposabilité de la décision aux pouvoirs publics (A)
en plus de son imposition aux juridictions ordinaires
(B).
537 Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un
système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des
droits de l'homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel
comparé », Op.cit., pp. 437-466.
538 Delphine Emmanuel ADOUKI, Op.cit., pp. 611-638.
539 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel,
7ème édition, Op.cit., p. 165.
540 Pierre BON, « L'exception
d'inconstitutionnalité en Espagne (question de
constitutionnalité) », RFDC, n°4, 1990, pp.
679-683.
77
A. L'opposabilité de la décision aux pouvoirs
publics
Il ressort des dispositions de la Constitution que les
décisions du Conseil constitutionnel burkinabè « s'imposent
aux pouvoirs publics... »541. Ce paramètre exige que les
décisions rendues par la juridiction constitutionnelle par la voie de
l'exception d'inconstitutionnalité, et pas seulement, doivent être
parfaitement respectées dans tout l'ordonnancement juridique interne
concerné. Comment pourrait-il en être autrement ? S'interroge
Abdoulaye SOMA542. Selon lui, « «
l'obligatoriété » des décisions rendues par le juge
constitutionnel est un principe du droit généralement
observé »543.
La détermination de la nature et de la portée de
l'autorité des décisions des juridictions constitutionnelles
africaines paraît, a priori, être une question
dépourvue d'intérêt, tant il est vrai que les dispositions
constitutionnelles qui la consacrent semblent claires. Mais, selon Delphine
Emmanuel ADOUKI, il ne s'agit en réalité que d' « une
obscure clarté » car, poursuit-elle, « ces dispositions
constitutionnelles ne livrent manifestement pas toutes les clefs de
compréhension en droit positif de l'autorité des décisions
du juge constitutionnel »544, « à l'exception du
Niger où l'alinéa 2 de l'article 134 de la Constitution dispose :
« Tout jet de discrédit sur les arrêts de la Cour est
sanctionné conformément aux lois en vigueur »
»545.
Par ailleurs, Dominique ROUSSEAU expliquait que les
décisions du Conseil doivent scrupuleusement être
exécutées par les pouvoirs publics546. A ce titre,
claire ou obscure, l'autorité des décisions du Conseil
constitutionnel est vraisemblablement respectée par tous les pouvoirs
publics au Burkina Faso. En effet, le Parlement ne s'est jamais aventuré
à adopter en termes identiques un texte que le Conseil venait de
censurer notamment sur exception d'inconstitutionnalité. Ce respect de
l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel dont fait
montre les pouvoirs publics est notoire et sans conteste. Le Conseil
constitutionnel burkinabè l'a lui-même reconnu lors du
deuxième Congrès de la conférence Mondiale sur la justice
constitutionnelle tenu à Rio de Janeiro en Janvier 2011. En effet,
à cette occasion, la délégation du Conseil constitutionnel
du Faso affirmait en des termes clairs qu'« On sait par ailleurs que
l'article 2, alinéa 1 de la loi n°011-2000/ AN du 27 avril 2000
portant composition, organisation,
541 Article 159 al.2 de la Constitution burkinabè.
542 Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un
système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des
droits de l'homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel
comparé », Op.cit., pp. 437-466.
543 Ibidem.
544 Delphine Emmanuel ADOUKI, « Contribution à
l'étude des décisions du juge constitutionnel en Afrique »,
Op.cit., pp. 611-638.
545 Ibidem.
546 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel,
7ème édition, Op.cit., p. 170.
78
attributions et fonctionnement du Conseil constitutionnel et
procédure applicable devant lui, qui prévoyait la prise en compte
de l'avis du Conseil Supérieur de la Magistrature dans la nomination des
magistrats au Conseil constitutionnel, a été modifié par
la loi organique n°034-2000/AN du 13 décembre 2000. Cette loi
modificative comporte la formule « sur proposition du Ministre
chargé de la justice ». Il est important de noter que cette
modification est intervenue suite à la décision
n°02-2000/CS/CC du 31 août 2000 sur la constitutionnalité de
la loi organique n°011-2000 relative au Conseil constitutionnel. Par cette
décision, le Conseil avait déclaré la formule «
Après avis du Conseil Supérieur de la Magistrature »
inconstitutionnelle. Le législateur organique a donc tiré les
conséquences de cette décision en biffant la formule
incriminée. De ce qui précède, on peut inférer que
les décisions du Conseil constitutionnel ont, au Burkina Faso, un
certain impact sur les pouvoirs publics »547. Toutefois, cette
autorité peut parfois être rudement mise à mal lorsque le
Conseil constitutionnel, sur demande de ces mêmes pouvoirs publics,
revient sur ses décisions. En effet, le Conseil constitutionnel
burkinabè avait déclaré un traité contraire
à la Constitution pour violation du principe de
laïcité548. Trois mois plus tard, il a
déclaré le même traité non amendé conforme
à la constitution549.
Quoi qu'il en soit, les décisions rendues, aussi bien
a priori qu'a posteriori par le Conseil constitutionnel sont
généralement respectées par les pouvoirs publics
burkinabè. Cette autorité des décisions du juge
constitutionnel s'étend aussi aux juridictions ordinaires.
B. L'imposition de la décision aux
juridictions ordinaires
L'imposition aux autres juridictions des décisions
rendues par le Conseil constitutionnel peut paraître quelque peu complexe
à envisager. Cette complexité réside dans le fait qu'il
n'existe aucune hiérarchie entre le Conseil d'Etat, la Cour de cassation
et le Conseil constitutionnel. Ce dernier n'est pas le supérieur des
deux juridictions suprêmes. Le Conseil d'Etat et la Cour de cassation
sont et demeurent les deux cours suprêmes au sommet des deux ordres de
juridiction. Le Conseil constitutionnel reste un juge spécialisé
en matière
547 Conseil Constitutionnel du Burkina Faso, «
Séparation des pouvoirs et l'indépendance des Cours
constitutionnelles et instances équivalentes », Communication
à l'occasion du deuxième Congrès de la Conférence
Mondiale sur la Justice Constitutionnelle tenu à Rio de Janeiro, du 16
au 18 janvier 2011, 15 p.
548 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, avis
juridique n°2007-03/CC du 20 avril 2007 sur la conformité à
la Constitution de l'accord de prêt entre le Burkina Faso et la Banque
Islamique de Développement.
549 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, avis
juridique n°2007-11/CC du 20 juillet 2007.
79
constitutionnelle. Cette « absence de hiérarchie
se traduit par le fait qu'il n'existe pas »550, aussi bien dans
le système burkinabè que celui français, une «
sanction du non-respect de l'autorité des décisions du Conseil
constitutionnel par les autres juges. Le Conseil ne peut pas annuler les
jugements des autres juridictions »551. De ce fait, force est
de constater que la question de l'imposition des décisions du juge
constitutionnel sur les autres juges devient moins aisée dans sa mise en
oeuvre.
Toutefois, l'article 159 de la Constitution du Burkina Faso
dispose à son deuxième alinéa que « Les
décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun
recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les
autorités administratives et juridictionnelles ». Cette disposition
traduit l'autorité de la chose jugée attachée aux
décisions du Conseil constitutionnel. Il en résulte que lorsqu'un
arrêt est rendu sur la non-conformité d'une loi, il s'impose
à toutes les juridictions de la République. Selon
Dieudonné KALUBA, cette autorité s'impose même aux
juridictions suprêmes des deux ordres552. Ainsi, en
matière d'exception d'inconstitutionnalité, lorsque le Conseil
constitutionnel rend sa décision sur la constitutionnalité de la
disposition contestée, le juge a quo doit en tirer les
conséquences. Dès lors, s'il s'agit d'une décision de
conformité, le juge du fond en charge de l'affaire doit appliquer la
disposition dans le procès en cours devant lui. Au contraire, s'il
s'agit d'une décision de non-conformité, le juge a quo
doit également en tenir compte.
Par ailleurs, cette large autorité dont sont
revêtues les décisions du Conseil constitutionnel, si d'une part
elle force l'admiration, d'autre part, elle suscite quelques
inquiétudes. Ainsi, en permettant au juge constitutionnel de
déclarer l'inconstitutionnalité d'une loi qui est
déjà en application, l'exception d'inconstitutionnalité
semble être un mécanisme tendant à accorder un pouvoir
législatif au juge constitutionnel.
550 Marc GUILLAUME, « L'autorité des
décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux
équilibres ? », Les Nouveaux Cahiers du Conseil
constitutionnel, n°30, 2011/1, pp. 49-75.
551 Ibidem.
552 Dieudonné DIBWA KALUBA, La justice
constitutionnelle en République démocratique du Congo,
Op.cit., p. 584.
80
Section II : Un pouvoir législatif
accordé au juge constitutionnel ?
L'exception d'inconstitutionnalité a propulsé le
juge constitutionnel burkinabè au rang
d' « organe législatif partiel
»553 et serait davantage un contre-pouvoir qu'une
autorité554. Ainsi, le juge constitutionnel serait devenu ce
que d'aucuns appelleraient un législateur négatif
(§1). Ce pouvoir manifestement important fait miroiter le
risque d'un gouvernement des juges au Burkina Faso
(§2).
§1 : Le juge constitutionnel, un
législateur négatif
Le rôle de législateur négatif du juge
constitutionnel s'aperçoit notamment dans son pouvoir d'abrogation des
lois en vigueurs (A). Par ailleurs, il faut noter que le juge
constitutionnel burkinabè n'a pas tendance à moduler les effets
de cette abrogation (B).
A. L'abrogation de la loi par le juge constitutionnel
L'exception d'inconstitutionnalité est sans conteste le
mécanisme par lequel le juge constitutionnel peut se prévaloir
d'un pouvoir législatif. En effet, par ce mécanisme, le juge
constitutionnel peut « geler » une loi, car dès lors qu'il la
déclarera inconstitutionnelle, celle-ci ne pourra plus être
appliquée. Tel que l'a écrit Pierre BON, la décision
d'inconstitutionnalité doit entraîner la disparition de la norme
contestée de l'ordonnancement juridique555. Mais, «
est-ce que le pouvoir d'annuler les lois ne fait pas du Conseil constitutionnel
un organe du pouvoir législatif ? », se questionne Bachir Yelles
CHAOUCHE556. A cette interrogation, Mahamadou SY répondra que
le juge constitutionnel semble être un « législateur à
l'envers »557 dans la mesure où « ses annulations entrainent
les mêmes effets que l'abrogation, ou mieux encore, le retrait de la loi
»558. De ce point de vue, si par principe le juge
constitutionnel ne
553 Patrick Wafeu TOKO, « Le juge qui crée le
droit est-il un juge qui gouverne ? », Les Cahiers de Droit,
Vol.54, n°1, 2013, pp. 145-174.
554 Ibidem.
555 Pierre BON, « L'exception
d'inconstitutionnalité en Espagne (question de
constitutionnalité) », Op.cit., pp. 679-683.
556 Bachir YELLES CHAOUCHE, Le Conseil constitutionnel en
Algérie, Op.cit., p. 117 et Ss.
557 Mahamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle
des droits fondamentaux en Afrique, Paris, l'Harmattan, 2007, p. 461.
558 Ibidem.
81
maîtrise guère l'édiction d'une nouvelle
norme, le fait qu'il gère directement la disparition d'une norme fait de
lui un « législateur négatif »559.
En droit constitutionnel comparé nigérien, afin
que ne subsiste aucune ambiguïté, la Constitution précise
clairement que toute disposition déclarée inconstitutionnelle sur
le fondement de l'exception d'inconstitutionnalité « est caduque de
plein droit »560. De même qu'en droit constitutionnel
français où la Constitution prévoit qu'une disposition
déclarée inconstitutionnelle sur le fondement d'une QPC «
est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel »561. Cette référence
à « l'abrogation » permet de bien faire comprendre que la
décision du Conseil constitutionnel emporte sortie de vigueur de la
disposition législative litigieuse562.
Qu'en est-il du droit constitutionnel burkinabè ?
Hélas, une fois de plus, les textes en la
matière au Burkina Faso restent silencieux sur cette question.
Toutefois, la pratique observée dans le système juridique
burkinabè laisse également croire à un effet abrogatoire
des décisions d'inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel
burkinabè. Le rôle actif joué par le juge constitutionnel
burkinabè fait de lui un véritable « jurislateur »,
selon le mot d'Ibrahim MOUMOUNI563. On peut parfaitement
étayer cette affirmation en analysant le nouveau code de
procédure pénale burkinabè. En effet, suite à la
décision du 12 juillet 2016 rendue sur exception
d'inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel qui a
déclaré l'article 497°3 de l'ancien code de procédure
pénale contraire à la Constitution, car refusant le droit d'appel
à la partie civile dans un procès pénal564, le
législateur a tenu à abroger cette disposition et à
accorder désormais ce droit d'appel à la partie civile notamment
à l'article 317-2 du nouveau code de procédure
pénale565.
Outre cette décision, une autre décision
d'inconstitutionnalité ou de non-conformité a été
rendue par le Conseil une année plus tard sur l'exception
d'inconstitutionnalité des articles
559 Pascale DEUMIER, « Les effets dans le temps des
décisions QPC : un droit des conséquences des décisions
constitutionnelles », Les Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel,
n°46, 2015, pp. 65-77.
560 Article 132 al.2 de la Constitution nigérienne du 25
novembre 2010.
561 Article 62 al.2 de la Constitution française.
562 Pascal MBONGO, « Droit au juge et
prééminence du droit. Bréviaire processualiste de
l'exception d'inconstitutionnalité », Recueil Dalloz,
2008, p. 2089.
563 Ibrahim MOUMOUNI, « La Constitution : la fin de la
hiérarchie des normes en droit interne ? », in Oumarou
NAREY (dir.), La Constitution. Actes du Séminaire Scientifique
Tenu à Niamey du 24 au 26 octobre 2018, ANDC, p. 291.
564 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2016-08/CC du 12 juillet 2016 sur exception
d'inconstitutionnalité de l'article 497°3 du code de
procédure pénale.
565 V°. La loi n°040-2019/AN du 29 mai 2019 portant
code de procédure pénale au Burkina Faso.
82
21 et 33 de la loi organique sur la Haute Cour de
Justice566. Ce qui prouve que les décisions du juge
constitutionnel ont une valeur législative567 et donc que le
Conseil constitutionnel burkinabè a un pouvoir législatif. Ainsi,
au Burkina Faso, sur les sept (7) fois que le Conseil a été saisi
par exception d'inconstitutionnalité, celui-ci a rendu deux
décisions de non-conformité et donc d'abrogation
jurisprudentielle. Ce pouvoir d'abrogation dont dispose le juge constitutionnel
est, selon notre analyse, une méconnaissance de la règle du
parallélisme de forme et de compétence qui régit tout acte
juridique. En effet, selon cette règle, seul le législateur qui a
adopté la loi peut être compétent pour l'abroger.
Dès lors, l'exception d'inconstitutionnalité constitue « un
empiètement sur le législatif »568, un brouillard
dans les institutions569.
De ce qui précède, il convient d'admettre que le
juge constitutionnel est un représentant du peuple. Cela, parce que la
représentation n'est pas liée au mode de nomination mais
dérive de la qualité de co-législateur570.
Dès lors, le juge constitutionnel peut être
considéré comme un représentant du souverain, car il
participe de manière décisionnelle à l'exercice du pouvoir
législatif571. Ainsi, il est désormais clair que
grâce à ce mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité, le juge constitutionnel burkinabè
participe au pouvoir législatif, car disposant désormais d'un
pouvoir d'abrogation sur les lois. Toutefois, force est de constater que
l'abrogation immédiate d'une disposition législative peut parfois
causer une insécurité juridique dans le droit positif.
D'où l'intérêt de la modulation des effets de la
décision d'abrogation qui fait défaut au Burkina Faso.
B. L'absence de modulation des effets de la
décision d'abrogation
Dans cet argumentaire, il s'agirait de se questionner sur le
fait de savoir si l'abrogation intervenue par le mécanisme de
l'exception d'inconstitutionnalité a un effet immédiat ou bien un
effet différé. Ce choix entre abrogation immédiate ou
différée s'exercera généralement au
566 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2017-013/CC du 09 juin 2017 sur l'exception
d'inconstitutionnalité des articles 2, 21 et 33 de la loi organique sur
la Haute Cour de Justice.
567 Anne RASSON, « La valeur de la distinction entre
autorité absolue et autorité relative de la chose jugée
», Op.cit., pp. 593-612.
568 Frédéric ROUVILLOIS, « Michel
Debré et le contrôle de constitutionnalité »,
RFDC, n°46, 2001, pp. 227-235.
569 Yves GAUDEMET, « Brouillard dans les Institutions :
à propos de l'exception d'inconstitutionnalité », Revue
de Droit Public, n°3, 2009, pp. 581-587.
570 Cyril BRAMI, Des juges qui ne gouvernent pas,
Op.cit., p. 174.
571 Ibidem.
83
regard des conséquences manifestement excessives
qu'emporterait une abrogation immédiate. Le Conseil constitutionnel
burkinabè reste muet sur la détermination de la portée des
effets de l'inconstitutionnalité constatée572. Il se
contente de dire que la disposition querellée est contraire à la
Constitution573 tout en laissant aux pouvoirs publics et aux
juridictions le soin de tirer les conséquences de cette
inconstitutionnalité.
En droit constitutionnel comparé français par
contre, le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution
dispose qu' « Une disposition déclarée inconstitutionnelle
sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la
publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date
ultérieure fixée par cette décision... ». En
application de cette disposition, le juge constitutionnel français prend
souvent le soin de déterminer la portée de
l'inconstitutionnalité constatée au regard des effets que
produirait l'abrogation immédiate de la norme. Ces effets sont parfois,
mais pas toujours, précisés par le Conseil. Ainsi par exemple, le
Conseil constitutionnel a pu dire dans une décision QPC rendue en 2010
que « l'abrogation immédiate de l'article L. 337 du code de la
santé publique, devenu son article L. 3212?7, méconnaîtrait
les exigences de la protection de la santé et la prévention des
atteintes à l'ordre public et entraînerait des conséquences
manifestement excessives »574. Plus récemment en 2014,
le Conseil jugeait que « Considérant, en premier lieu, que
l'abrogation immédiate du 8° bis de l'article 706-73 du code de
procédure pénale aurait pour effet non seulement d'empêcher
le recours à une garde à vue de quatre-vingt-seize heures pour
des faits d'escroquerie en bande organisée, mais aussi de faire obstacle
à l'usage des autres pouvoirs spéciaux de surveillance et
d'investigation prévus par le titre XXV du livre IV du même code
et aurait dès lors des conséquences manifestement excessives ;
qu'afin de permettre au législateur de remédier à
l'inconstitutionnalité du 8° bis de l'article 706-73 du code de
procédure pénale, il y a lieu de reporter au 1er
septembre 2015 la date de cette abrogation »575. Par
ailleurs, dans cette même décision, le Conseil poursuit son
raisonnement en ajoutant que « les mesures de garde à vue
prises avant la publication de la présente décision et les autres
mesures prises avant le 1er septembre 2015 en application des dispositions
déclarées contraires à la Constitution ne
572 Séni Mahamadou OUEDRAOGO, « L'admission en
clair-obscur du droit d'appel de la partie civile en matière
pénale : à propos de la décision n°2016-08/CC sur
l'exception d'inconstitutionnalité de l'article 497-3° du code de
procédure pénale », RBD, n°51-1er
semestre/2017, pp. 245-255.
573 Djibrihina OUEDRAOGO et Séni Mahamadou OUEDRAOGO,
« Libres propos sur la transition politique au Burkina Faso : du contexte
au texte de la Charte de la transition », Revue Electronique
Afrilex, février 2015, 28 p.
574 V°. Conseil constitutionnel français,
décision n°2010-71, QPC du 26 novembre 2010.
575 V°. Conseil constitutionnel français,
décision n°2014-420/421 QPC du 09 octobre 2014.
84
peuvent être contestées sur le fondement de
cette inconstitutionnalité »576. C'est ce qui a
amené Xavier MAGNON à dénoncer cette modulation des effets
dans le temps des décisions de censure et l'usage de l'abrogation
différée, car celle-ci ne profitait pas au
justiciable577 à l'origine de la question exceptionnelle de
constitutionnalité. Or, cette modulation devrait être mise en
balance avec le souci de l'effet utile578 au nom duquel la
déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier
à l'auteur de la question de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être
appliquée dans les instances en cours à la date de la publication
de la décision 579. Pour Pascal DEUMIER, « la
disparition de la disposition inconstitutionnelle jouant pour l'avenir et pour
les instances en cours » serait préférable580.
Au regard de cette critique, l'absence de modulation ou
d'abrogation différée dans le paysage constitutionnel
burkinabè reste l'option la plus profitable pour les justiciables qui
seraient enclins à soulever une exception d'inconstitutionnalité.
Par ailleurs, ce pouvoir législatif qui est accordé au Conseil
par le mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité peut
s'avérer redoutable dans un Etat démocratique tel que le Burkina
Faso. Ainsi, si la naissance du juge constitutionnel marque la fin d'un
absolutisme de la loi, avec ce mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité, ne faut-il pas craindre le début d'un
autre ?
§2 : Le risque apparent d'un gouvernement des
juges
La théorie du gouvernement des juges survient quand le
juge constitutionnel a le pouvoir de remettre en cause une loi votée par
le parlement notamment par la voie de l'exception
d'inconstitutionnalité. Dès lors, cette théorie se
révèle manifestement dangereuse (A). Toutefois,
cette théorie du gouvernement des juges paraît, en
réalité, relativement excessive au Burkina Faso
(B).
576 Voir le 27ème et dernier considérant
de la décision n°2014-420/421 QPC du 09 octobre 2014.
577 Xavier MAGNON, « L'apport de la question prioritaire
de constitutionnalité à la protection des droits et
libertés dans les différents champs du droit : une
synthèse », HAL/Archives ouvertes, 13 p.
578 Dans le domaine de l'interprétation des lois, un
argument d'interprétation d'effet utile est un argument qui
découle de l'adage selon lequel « le législateur ne parle
pas pour rien dire » et qu'« il ne reste pas silencieux pour rien
». V°. Stéphane BEAULAC et Frédéric BERARD,
Précis d'interprétation législative,
Montréal, LexisNexis, 2014, 1ère édition,
566 p.
579 Pascale DEUMIER, « Les effets dans le temps des
décisions QPC : un droit des conséquences des décisions
constitutionnelles », Op.cit., pp. 65-77.
580 Ibidem.
85
A. Une théorie manifestement dangereuse
L'expression « gouvernement des juges » traduit
cette large autorité des « sages » du Conseil qui ont le
pouvoir de paralyser l'action des représentants du peuple. En effet, Le
spectre du gouvernement des juges plane généralement sur le juge
constitutionnel car, c'est le seul juge dont le législateur ne peut
défaire ce qu'il a décidé et dont la
spécificité tient au caractère sans appel de ses
décisions581. A ce titre, la Constitution burkinabè
prévoit que « Les décisions du Conseil constitutionnel ne
sont susceptibles d'aucun recours... »582. Le contrôle
par voie d'exception est nuisible dans la mesure où il confère au
juge constitutionnel un pouvoir excessif583. Pour certains
doctrinaires burkinabè à l'image d'Augustin LOADA, censurer la
loi après sa promulgation et sa mise en application s'apparente à
un crime de « lèse-majesté »584, car le
peuple n'a pas à être contrôlé585. Cela
conduit en effet au déclin de la souveraineté nationale du fait
du juge constitutionnel586. C'est pourtant un tel pouvoir que le
constituant burkinabè a entendu accorder au Conseil en consacrant
l'exception d'inconstitutionnalité. Naturellement, cela soulève
quelques inquiétudes. Le danger réside notamment dans le fait que
l'on risque de passer de l'Etat de droit à l'Etat des
juges587. On peut alors légitimement redouter une
dérive vers un gouvernement des juges588, un despotisme
juridictionnel589.
Par ailleurs, certains auteurs iront même plus loin en
observant un pouvoir constituant qui serait accordé au juge
constitutionnel. Il ne peut certes y avoir d'ingérence de la part du
juge dans l'exercice du pouvoir constituant590, mais celui-ci voit
de plus en plus son rôle récupéré par le juge
constitutionnel qui, implicitement représente sa propre
volonté591. Ce qui conforte l'argument de Dominique
CHAGNOLLAUD selon lequel le véritable auteur d'une
581 Patrick Wafeu TOKO, « Le juge qui crée le droit
est-il un juge qui gouverne ? », Op.cit., pp. 145-174.
582 Article 159 al.2 de la Constitution du Burkina Faso du 02
juin 1991.
583 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SPUCRAMANIEN, Droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 2017, 35ème
édition, p. 74.
584 Augustin LOADA et Luc Marius IBRIGA, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Op.cit., p. 120.
585 Cyril BRAMI, Des juges qui ne gouvernent pas,
op.cit., 2005, p. 20.
586 Oladé Okunlola Moïse LALEYE, La Cour
constitutionnelle et le peuple au Bénin, Paris, l'Harmattan, 2018,
p. 342.
587 Dominique CHAGNOLLAUD, Droit constitutionnel
contemporain, Op.cit., p. 83.
588 Marie-Anne COHENDET, Droit constitutionnel, op.cit.,
p. 203.
589 Oladé Okunlola Moïse LALEYE, La Cour
constitutionnelle et le peuple au Bénin, Paris, l'Harmattan, 2018,
p. 338.
590 Eleonora BOTTINI, « L'intervention du juge
constitutionnel dans l'exercice du pouvoir constituant », Jus
Politicum/Revue de droit politique, n°18/2017, pp. 117-154.
Disponible en ligne sur
http://juspoliticum.com/article/L-intervention-du-juge-constitutionnel-dans-l-exercice-du-pouvoir-constituant-1187.html
consulté le 26 juillet 2020 à 23h38.
591 Ibrahim MOUMOUNI, « La Constitution : la fin de la
hiérarchie des normes en droit interne ? », in Oumarou
NAREY (dir.), La Constitution. Op.cit., p. 291 et ss.
86
norme « n'est pas l'auteur du texte mais
l'interprète ultime de ce dernier »592.
Interpréter un texte, c'est en droit, lui donner une vie juridique,
ajoutera Dominique ROUSSEAU593. C'est donc le juge qui crée
la norme constitutionnelle applicable594. De ce fait, en donnant une
interprétation de la Constitution autre que celle que le Constituant
avait imaginé, on peut dire que le juge constitutionnel a un pouvoir de
modification de la Constitution. D'où la qualification d'un «
troisième pouvoir constituant de l'interprète
»595. Le cas du juge constitutionnel burkinabè est assez
illustratif. En effet, en affirmant que la saisine directe du juge
constitutionnel par le citoyen596 ne saurait intervenir que par la
voie de l'exception d'inconstitutionnalité597, le juge
constitutionnel burkinabè s'est constitué en «
troisième pouvoir constituant de l'interprète » car, selon
nous, il y a là un désaccord entre la volonté du
constituant et l'interprétation qui en est faite par le juge. Le droit
de la Constitution est ainsi réécrit pas le juge
constitutionnel598 burkinabè. Dès lors, il ne saurait
être contesté que les juges créent du droit et par
conséquent aient une part au gouvernement599.
Si le spectre du gouvernement des juges qui sous-tend le
contrôle de constitutionnalité par voie d'exception se
révèle être un danger pour l'Etat de droit, il semble
pourtant qu'au Burkina Faso le danger ne soit pas aussi imminent qu'il y
paraît.
B. Une théorie relativement
excessive
Il existe toujours le danger « d'une aristocratie de robe
»600 qui « s'arroge le pouvoir constituant et muselle le
pouvoir législatif sous couvert d'interprétation de la
Constitution »601. Avec Marie-Anne COHENDET, on peut
répondre à cela que le juge, et en particulier le juge
592 Dominique CHAGNOLLAUD, Droit constitutionnel
contemporain, Op.cit., p. 87.
593 Dominique ROUSSEAU, La justice constitutionnelle en
Europe, Paris, Montchrestien, 1996, 2ème édition,
p. 34-35.
594 Ibidem.
595 Séverin Andzoka ATSIMOU, « La participation
des juridictions constitutionnelles au pouvoir constituant en Afrique »,
RFDC, n°110, 2017/2, pp. 279-316.
596 Article 157 al.2 de la Constitution burkinabè.
597 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2019-017/CC du 08 août 2019 sur le recours en
inconstitutionnalité de la loi portant code pénal.
598 Bernard CUBERTAFOND, Le nouveau droit
constitutionnel, Op.cit., p. 18.
599 Michel TROPER, « Le bon usage des spectres du
gouvernement des juges », in Jean-Claude COLLIARD et Yves
JEGOUZO, Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l'honneur
de Gérard CONAC, Paris, Economica, 2001, p. 49.
600 Marie-Anne COHENDET, Droit constitutionnel,
Op.cit., p. 204.
601 Ibidem.
87
de la constitutionnalité des lois, « ne bloque pas
la volonté générale, il ne fait que l'orienter vers la
bonne procédure. Il serait donc un simple aiguilleur, un frein et non
pas un véritable pouvoir de blocage »602. Ainsi, a
priori, il n'y a rien, dans ce droit constitutionnel jurisprudentiel, qui
sorte du rôle normal du juge. D'ailleurs, pendant longtemps, on a
même dû constater de sa part une certaine
timidité603. En effet, conscient de la menace des accusations
qui pèserait sur lui s'il outrepassait le cadre de son office, le juge
constitutionnel burkinabè a tendance à
s'autolimiter604. Même si son pouvoir d'auto-saisine relance
le débat605.
Formule tous usagers, locution « passe partout » la
théorie du gouvernement des juges, ne fait que souligner
négativement une préoccupation qui justifie l'affirmation suivant
laquelle le XXème est celui des juridictions
constitutionnelles comme le XIXème a été celui
du parlement606. Cela traduit le passage de l'Etat légal,
marqué par la prééminence du Parlement, à l'Etat de
droit marqué par la prééminence du juge607.
Ainsi, tout se passe comme si, pour qu'il n'y ait pas de gouvernement des
juges, le contrôle de constitutionnalité des lois, s'il doit
s'accomplir, doit respecter la prééminence du Parlement,
expression de la volonté populaire. Mais, pour que l'expression «
gouvernement des juges » corresponde à la réalité, il
faut qu'il y ait substitution de ceux-ci au législateur608.
Or, il n'en est rien. La réalité est que le Conseil ne gouverne
pas, et « en tant que juge, il ne pourrait gouverner. Cela, parce que
certains domaines lui échappent, car il ne dispose pas d'une
compétence générale, mais seulement d'une
compétence d'attribution »609.
Par ailleurs, selon Elisabeth ZOLLER, le « gouvernement
des juges » commence là où le juge statue sans
texte610. Pourtant, le juge constitutionnel n'est pas
créateur du droit dans la mesure où il ne part pas du
néant, il se fonde toujours sur une disposition constitutionnelle pour
lui donner un sens611. De ce fait, il découvre le
droit612. Ainsi, qu'il s'agisse d'un contrôle de
constitutionnalité a priori ou d'une exception
d'inconstitutionnalité, « il est moins question
602 Ibidem.
603 Bernard CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, Op.cit.,
p. 559.
604 Le manque d'audace du juge constitutionnel burkinabè
dans l'affaire EROH est assez illustratif.
605 Article 157 al.3 de la Constitution du Burkina Faso.
606 Mahamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle
des droits fondamentaux en Afrique, Op.cit., p. 463.
607 Michel VERPEAUX, La Constitution, Paris, Dalloz,
2008, p. 69.
608 Mahamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle
des droits fondamentaux en Afrique, Op.cit., p. 464.
609 Ibidem.
610 Elisabeth ZOLLER, Droit constitutionnel, Op.cit., p.
242.
611 Ibrahim MOUMOUNI, « La Constitution : la fin de la
hiérarchie des normes en droit interne ? », Op.cit., p.
291.
612 Ibidem.
88
d'un gouvernement du juge constitutionnel que d'un
gouvernement par procuration qui célèbre en réalité
la volonté du souverain et le sacre du citoyen »613.
Cela s'explique par le fait que son pouvoir de contrôle des lois
découle de la volonté du peuple souverain exprimée dans la
loi fondamentale qu'est la Constitution614. C'est en effet de
là que le juge constitutionnel burkinabè tire sa
légitimité. De ce fait, lorsqu'il affirme la conformité
d'une loi à la Constitution, il lui donne aussi un label de
légitimité615. Ainsi, le juge devient garant et
témoin616. Il y a lieu donc de conclure à
l'excessivité de cette théorie du « gouvernement des juges
» qui ne saurait effectivement s'appliquer au juge constitutionnel
burkinabè et ce, malgré son important pouvoir de censure sur les
lois résultant de l'exception d'inconstitutionnalité. Le juge
constitutionnel ne gouverne donc pas au Burkina Faso. Quoi qu'il en soit, c'est
toujours le peuple souverain qui a le dernier mot. C'est dans ce sens que
Georges VEDEL affirmait que « Si les juges ne gouvernent pas, c'est parce
que, à tout moment, le souverain, à la condition de
paraître en majesté comme constituant peut, dans une sorte de lit
de justice, briser leurs arrêts »617.
613 Patrick Wafeu TOKO, « Le juge qui crée le droit
est-il un juge qui gouverne ? », Op.cit., pp. 145-174.
614 Article 152 de la Constitution burkinabè.
615 Mahamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle
des droits fondamentaux en Afrique, Op.cit., p. 465.
616 Ibidem.
617 Georges VEDEL, « Schengen et Maastricht »,
RFDA, n°2, 1992, pp. 178-180. Extrait de Olivier BEAUD, « Le
cas français : l'obstination de la jurisprudence et de la doctrine
à refuser toute idée de limitation au pouvoir de révision
constitutionnelle », Jus politicum, n°18, disponible en
ligne sur
http://juspoliticum.com/article/le-cas-francais-l-obstination-de-la-doctrine-a-refuser-toute-idee-de-limitation-au-pouvoir-de-revision-constitutionnelle-1170.html,
consulté le 26 juillet à 23h.
89
Conclusion partielle
L'efficacité de l'exception
d'inconstitutionnalité au Burkina Faso s'observe par le fait que ce
mécanisme participe à l'instauration d'un Etat de droit durable.
En droit constitutionnel contemporain, l'Etat de droit est substantiellement
lié à la protection des droits fondamentaux des citoyens.
Grâce à l'exception d'inconstitutionnalité, les droits
fondamentaux des citoyens burkinabè seront efficacement
sauvegardés. En cela, l'exception d'inconstitutionnalité
présente un intérêt subjectif. Toutefois, le constituant
burkinabè n'ayant pas limité l'objet du recours en exception
d'inconstitutionnalité aux seuls droits fondamentaux mais à toute
disposition inconstitutionnelle, l'on voit se dessiner l'intérêt
objectif de ce mécanisme au Burkina Faso. Ainsi permet-il d'assurer
efficacement la supériorité de la Constitution tout en favorisant
une constitutionnalisation de toutes les branches du droit. De même,
l'exception d'inconstitutionnalité présente un
intérêt démocratique dans la mesure où, elle permet
in fine la participation du peuple au pouvoir en raison du fait que le
citoyen pourra, à tout moment et si besoin est, rappeler le pouvoir
législatif à l'ordre en s'appuyant sur le juge constitutionnel.
Ce dernier obtient par là un label de
légitimité618. Cette légitimité se
manifeste par l'autorité des décisions rendues notamment sur
exception d'inconstitutionnalité. Ces décisions s'imposent
dès lors, de manière absolue aux pouvoirs publics et à
toutes les autorités tant administratives que juridictionnelles. Le
respect par ces pouvoirs et autorités des décisions du juge
constitutionnel témoigne alors de la légitimité du juge et
de ses décisions. Même s'il faut par ailleurs craindre un
empiètement du juge constitutionnel sur les compétences du
pouvoir législatif du fait que ses décisions de
non-conformité intervenant par la voie de l'exception
d'inconstitutionnalité ont un effet abrogatif, sa
légitimité n'est pas pour autant entravée dans la mesure
où il tient cette compétence de par la Constitution
elle-même.
618 Mahamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle
des droits fondamentaux en Afrique, Op.cit., p. 465.
90
CONCLUSION GENERALE
Moyen indirect d'accès du citoyen au juge
constitutionnel, l'exception d'inconstitutionnalité est sans commune
mesure le moyen le plus efficace pour la protection des droits du citoyen. Si
son effectivité laissait encore à désirer au lendemain de
sa consécration du fait notamment de sa non utilisation par les
citoyens, l'exception d'inconstitutionnalité est aujourd'hui dans une
propension grandissante au Burkina Faso. Ce mécanisme avait souffert de
sa procédure qui était non seulement complexe619, mais
aussi non clairement précisée par la Constitution et la loi
organique sur le Conseil constitutionnel. Il fallait donc s'en remettre au juge
constitutionnel lorsqu'il sera saisi pour vérifier les exigences
procédurales qu'imposait ce mécanisme. Mais, quand il eut enfin
eu l'occasion, le juge constitutionnel burkinabè manqua d'audace pour
rappeler aux juridictions ordinaires leur obligation de renvoi. C'est en cela
que la première décision du Conseil constitutionnel sur exception
d'inconstitutionnalité aura été
mitigée620. Mais, progressivement, l'exception
d'inconstitutionnalité devient plus facile à mettre en oeuvre au
Burkina Faso grâce notamment à la consécration par le juge
constitutionnel burkinabè d'une saisine directe par voie d'exception. Si
par cette décision621, la juridiction constitutionnelle avait
entendu fermer les portes de la saisine directe par le citoyen, elle venait,
par la même occasion, de simplifier la procédure de mise en oeuvre
de l'exception d'inconstitutionnalité en soustrayant cette saisine des
désidératas des juridictions ordinaires. Ce qui sous-entend que
le justiciable n'a nullement besoin d'attendre la décision de renvoi de
la juridiction ordinaire.
Ainsi, l'exception d'inconstitutionnalité devient un
puissant moyen pour la protection de la Constitution en général
et des droits fondamentaux en particulier. Cette protection des droits
fondamentaux fait du Burkina Faso un Etat de droit622. C'est
d'ailleurs la fonction la plus
619 Cette complexité résidait dans le fait les
juridictions ordinaires avait la latitude de bloquer le processus en refusant
d'effectuer le renvoi préjudiciel sans pour autant que le justiciable ne
dispose d'un autre moyen de recours.
620 Séni Mahamadou OUEDRAOGO, « L'admission en
clair-obscur d'un du droit d'appel de la partie civile en matière
pénale : à propos de la décision n°2016-08/CC sur
l'exception d'inconstitutionnalité de l'article 497-3° du code de
procédure pénale », Op.cit., pp. 245-255.
621 Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2017-014/CC du 09 juin 2017 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la loi sur la Haute Cour de Justice.
622 Salif YONABA, « La place des droits de l'homme dans
la Constitution de la quatrième république », Mél.
Jacques Velu : Présence du droit public et droits de l'homme,
Bruxelles, 1992, pp. 1223-1233. Cité par Kader GARBA HAMIDOU,
La protection des droits fondamentaux par le juge constitutionnel : cas du
Burkina Faso et du Niger, Op.cit., p. 90.
91
déterminante et la plus importante d'une juridiction
constitutionnelle623. Par ce mécanisme, le juge
constitutionnel burkinabè devient le garant des droits du citoyen et le
dernier rempart de celui-ci contre l'arbitraire de la loi, fruit des
élus du peuple. C'est ainsi qu'on pourrait apercevoir un pouvoir
législatif ou même un pouvoir créateur du juge
constitutionnel.
Par ailleurs, si l'exception d'inconstitutionnalité
peut, dans une certaine mesure, être considérée comme un
moyen de participation du peuple au pouvoir, le rôle du Conseil
constitutionnel dans le processus de fabrication des lois624, «
s'il satisfait la logique juridique, heurte la logique démocratique qui
suppose que les lois sont l'expression de la volonté du peuple souverain
»625. Posée dans ces termes, la question de la
légitimité du contrôle de constitutionnalité des
lois est insoluble, car enfermée dans un dilemme parfait : ou bien il
n'existe pas de contrôle des lois, et le principe démocratique
peut souffrir sous le coup de décisions du législateur contraires
aux libertés et violant la Constitution adoptée par le peuple, ou
bien il existe un contrôle des lois, et le principe démocratique
peut souffrir également de la soumission progressive de la
volonté des représentants élus par le peuple à une
institution sans légitimité élective626. Mais,
le juge constitutionnel doit exercer son pouvoir créateur pour assurer
une correspondance maximale du droit avec l'état de la
société. Ce réalisme qui s'impose au juge contribue
à le doter d'une légitimité fonctionnelle627.
Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel apparaît, du fait du silence
et de l'impuissance du Parlement, comme le seul lieu où la
volonté législative du gouvernement puisse être
efficacement discutée628 : « au déclin du
face-à-face gouvernement-Parlement a correspondu l'essor du
face-à-face Exécutif-Conseil constitutionnel, ce dernier
apparaissant comme le contrepoids moderne d'un nouvel équilibre
constitutionnel. Pour cela, le Conseil puise sa légitimité dans
le déséquilibre accentué des pouvoirs
»629.
Quoi qu'il en soit, le constituant a consacré
l'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso, le juge
constitutionnel a assouplie sa procédure de mise en oeuvre, les
autorités et pouvoirs publics respectent les décisions qui en
découlent. Mais, du reste, le mécanisme demeure encore d'une
timide application. L'exception d'inconstitutionnalité sommeille encore
au Burkina Faso, tel un livre qui ne cesse de s'empoussiérer dans les
meubles d'une
623 Théodore HOLO, « Emergence de la justice
constitutionnelle », Op.cit., p. 101-114.
624 Dominique CHAGNOLLAUD, Droit constitutionnel
contemporain, Op.cit., p. 86.
625 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel,
9ème édition, Op.cit., p. 52.
626 Ibidem.
627 Cyril BRAMI, Des juges qui ne gouvernent pas,
Op.cit., p. 174.
628 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel,
Op.cit., p. 56.
629 Ibidem.
bibliothèque désaffectée. Le
citoyen-justiciable n'en a sûrement pas effectivement connaissance pour
s'en prévaloir. Il y a lieu alors de privilégier la promotion du
Conseil constitutionnel burkinabè afin que les citoyens prennent
conscience de l'opportunité qui s'offre à eux. C'est justement
cette saisine quasi-inexistante du juge constitutionnel qui fait qu'on ne
puisse pas raisonnablement parler d'un gouvernement du juge constitutionnel au
Burkina Faso. Celui-ci n'est en effet pratiquement jamais solliciter a
fortiori avoir l'occasion de s'imposer au Burkina Faso. Toutefois, si le
citoyen burkinabè n'est suffisamment pas mature pour savoir user de
l'exception d'inconstitutionnalité, que fait le juge constitutionnel de
son pouvoir d'auto-saisine630 pour une protection plus efficace des
droits fondamentaux du citoyen ?
92
630 Un pouvoir que lui a accordé la Constitution du 02
juin 1991 à son article 157 al.3.
93
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l'exception d'inconstitutionnalité de l'article 497-3° du code de
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législatifs du Gouvernement et rapports entre les pouvoirs : aspects de
droit comparé », Revue Française de Droit
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particuliers à la justice constitutionnelle en Turquie »,
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Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africaines tenue à
Alger du 24 au 27 novembre 2017.
IV. LES SOURCES
A. SOURCES NATIONALES
1. LES TEXTES CONSTITUTIONNELS
· Constitution burkinabè du 02 juin 1991 in
JORBF
· Constitution béninoise du 11 décembre
1990 disponible sur
https://www.wipo.int,
consulté le 17 août 2020.
· Constitution nigérienne du 25 novembre 2010
in JORN.
· Constitution française du 04 octobre 1958
in JORF.
107
2. LES TEXTES LEGISLATIFS
· Loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000
portant composition, organisation, attributions, fonctionnement et
procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
burkinabè.
· Loi organique n°2009-1523 du 10 décembre
2009 relative à l'application de l'article 61-
1 de la Constitution française.
· Loi organique n°2012-35 du 19 juin 2012
déterminant l'organisation, le fonctionnement et la procédure
suivie devant la Cour constitutionnelle du Niger.
· Loi organique n°91-009 du 4 mars 1991 relative
à la Cour constitutionnelle du Bénin.
· Loi n°2008-74/AN du 23 juillet 2008 portant
révision de la Constitution en France.
· Loi n°040-2019/AN portant code de
procédure pénale au Burkina Faso.
· Le règlement intérieur du Conseil
constitutionnel burkinabè du 06 mars 2008.
B. SOURCES INTERNATIONALES
· Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du
26 août 1789.
· Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du
10 décembre 1948.
· Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples du
27 juin 1981.
· Pacte International relatif aux Droits Civils et
Politiques du 16 décembre 1966.
V. JURISPRUDENCE
- Cour suprême des Etats-Unis, arrêt Marbury /c
Madison du 24 février 1803.
- Conseil constitutionnel burkinabè, décision
n°02-2000/CS/CC du 31 août 2000 sur la constitutionnalité de
la loi organique relative au Conseil constitutionnel.
- Conseil constitutionnel burkinabè, avis juridique
n°2003-08/CC du 14 avril 2003 sur le statut de Rome de la Cour
Pénale Internationale.
- Conseil constitutionnel burkinabè, avis juridique
n°2007-03/CC du 20 avril 2007 sur la conformité à la
Constitution de l'Accord de prêt entre le Burkina Faso et la Banque
Islamique de Développement.
- Conseil constitutionnel burkinabè, avis juridique
n°2007-11/CC du 20 juillet 2007 sur la conformité à la
Constitution de l'Accord de prêt entre le Burkina Faso et la Banque
Islamique de Développement.
108
- Conseil constitutionnel burkinabè, décision
n°2007-04/CC du 29 août 2007 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la société EROH.
- Conseil constitutionnel burkinabè, décision
n°2016-08/CC du 12 juillet 2016 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de l'article 497°3 du code pénal.
- Conseil constitutionnel burkinabè, décision
n°2017-013/CC du 09 juin 2017 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la loi organique sur la Haute Cour de
Justice.
- Conseil constitutionnel burkinabè, décision
n°2018-007/CC du 20 mars 2018 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la loi sur le Conseil Supérieur de la
Magistrature.
- Conseil constitutionnel burkinabè, décision
n°2019-001/CC du 12 février 2019 sur la requête en
inconstitutionnalité de l'alinéa 1er de l'article 166
de la loi n°081-2015/CNT du 24 novembre 2015 portant Statut
Général de la Fonction Public de l'Etat.
- Conseil constitutionnel burkinabè, décision
n°2019-002/CC du 15 mars 2019 sur l'inconstitutionnalité d'une
ordonnance.
- Conseil constitutionnel burkinabè, décision
n°2019-015/CC du 23 juillet 2019 sur le recours en
inconstitutionnalité de la loi du 13 novembre 1996 portant code
pénal.
- Conseil constitutionnel burkinabè, décision
n°2019-017/CC du 08 août 2019 sur le recours en
inconstitutionnalité de la loi n°044-2019/AN du 21 juin 2019
portant code pénal.
- Conseil constitutionnel burkinabè, décision
n°2020-024/CC du 16 octobre 2020 sur le recours de DICKO Harouna et quatre
autres en inconstitutionnalité des dispositions des articles 50, 122.2,
148, 155 et 236 du Code électoral.
- Conseil constitutionnel burkinabè, décision
n°2020-030/CC du 13 novembre 2020 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de l'article 53 de la loi n°010-2016/AN du
26 avril 2016 portant composition, organisation, attributions, fonctionnement
de la Cour administrative d'appel et la procédure applicable devant
elle.
- Conseil constitutionnel burkinabè, décision
n°2021-006/CC du 08 février 2021 sur la requête de l'Etat du
Burkina Faso en exception d'inconstitutionnalité de l'article 90 de la
loi n°032-2018/AN du 26 juillet 2018 portant création, composition,
organisation, attributions et fonctionnement du Conseil d'Etat et
procédure applicable devant lui.
- Conseil constitutionnel français, décision
n°71-44/CC du 16 juillet 1971, Liberté d'association.
- Conseil constitutionnel français, décision
n°74-54/CC du 15 janvier 1975, IVG.
- Conseil constitutionnel français, décision
n°85-197/DC du 23 août 1985.
- Conseil constitutionnel français, décision
n°2009-595 du 3 décembre 2009.
109
- Conseil constitutionnel français, décision
n°2010-1, QPC du 28 mai 2010.
- Conseil constitutionnel français, décision
n°2010-71, QPC du 26 novembre 2010.
- Conseil constitutionnel français, décision
n°2013-363, QPC du 31 janvier 2014 sur la
constitutionnalité de l'article 497 du code pénal
français.
- Conseil constitutionnel français, décision
n°2014-420/421, QPC du 09 octobre 2014.
- Conseil constitutionnel français, décision
n°2020-858/859, QPC du 02 octobre 2020.
- Cour constitutionnelle du Bénin, décision
n°96-049 du 12 août 1996.
- Cour constitutionnelle du Bénin, décision
n°96-060 du 26 septembre 1996 sur plainte de
dame MELO GOMEZ pour violation du droit d'aller et venir.
- Cour constitutionnelle du Bénin, DCC n°98-073 du 30
septembre 1998 à propos d'une
requête introduite par une SARL dénommée HAGE
ALI TRADING.
- Cour constitutionnelle du Bénin, DCC n°03-90 du 28
mai 2003.
- Cour constitutionnelle du Bénin, DCC n°13-064 du 9
juillet 2013.
VI. SITES WEB
V' Bibliothèque numérique You Scribe en
ligne,
https://www.youscribe.com,
consulté dernièrement le 08 octobre 2020 à 18h52.
V' Conseil constitutionnel du Burkina
Faso,
https://www.conseil-constitutionnel.gov.bf,
consulté dernièrement le 18 octobre 2020 à
16h47.
V' Conseil constitutionnel
français,
https://www.conseil-constitutionnel.fr,
consulté dernièrement le 06 octobre 2020 à 17h58.
V' Revue des Droits de l'Homme en ligne,
https://www.journals.openedition.org/revdh,
consulté dernièrement le 22 septembre 2020.
V' Revue électronique Afrilex,
https://www.afrilex.u-bordeaux4.fr,
consulté dernièrement le 30 septembre 2020 à 10h11.
110
TABLE DES MATIERES
AVERTISSEMENT i
EPIGRAPHIE ii
DEDICACE iii
REMERCIEMENTS iv
LISTE DES SIGLES, ABBREVIATIONS ET ACRONYMES
v
SOMMAIRE vii
INTRODUCTION 1
TITRE I : LA CONSECRATION MITIGEE DE L'EXCEPTION
D'INCONSTITUTIONNALITE AU BURKINA FASO 9
CHAPITRE I : UNE CONSECRATION INSUFFISANTE DE L'EXCEPTION
D'INCONSTITUTIONNALITE 10
Section I : Un fondement constitutionnel de l'exception
d'inconstitutionnalité 10
§1 : Une consécration constitutionnelle tardive
10
A. Un mécanisme longtemps prévu par la
seule loi organique 11
B. Une récente constitutionnalisation expresse du
mécanisme 13
§2 : Les référentiels normatifs de
l'exception d'inconstitutionnalité 15
A. La richesse des normes de contrôle ou normes de
référence 15
B. La nature de la norme contrôlée
17
Section II : Un mécanisme longtemps rendu
inopérant 19
§1 : L'utilisation insuffisante du mécanisme par
les justiciables 20
A. Le manque de confiance des justiciables au Conseil
constitutionnel 20
B. L'inaction des avocats des parties au procès
22
§2 : Le faux départ des juridictions ordinaire et
constitutionnelle 24
A. La susceptibilité décourageante de la
Cour de cassation 25
B. La frilosité du juge constitutionnel
27 CHAPITRE II : UNE QUALIFICATION ERRONEE DU MECANISME : UNE
QUESTION
PREJUDICIELLE PAR NATURE 30
111
Section I : Une question soulevée devant le juge
ordinaire 31
§1 : Un mode d'introduction classique de l'exception
31
A. Un mécanisme intervenant à titre
incident 31
B. Une requête introduite à tout moment de
la procédure 33
§2 : Une procédure remarquablement
simplifiée 35
A. Une absence d'examen de la recevabilité de la
requête 35
B. Une obligation immédiate de renvoi
préjudiciel 37
Section II : Une question tranchée par le Conseil
constitutionnel 39
§1 : L'évolution du mode de saisine du Conseil
constitutionnel 39
A. L'exigence de la qualité de juridiction
39
B. La consécration d'une saisine directe par voie
d'exception 41
§2 : Le déroulement de l'instance
constitutionnelle 44
A. L'introduction de la requête 44
B : L'application du principe du contradictoire 47
Conclusion Partielle 49
TITRE II : L'EFFICACITE PERCEPTIBLE DE L'EXCEPTION
D'INCONSTITUTIONNALITE AU BURKINA FASO 50
CHAPITRE I : L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE, UNE GARANTIE
POUR
L'ETAT DE DROIT 51
Section I : Une subjectivation manifeste du contentieux
constitutionnel 52
§1 : Un gage pour les droits et libertés
individuels 52
A. La protection affermie des droits fondamentaux
52
B. L'exception d'inconstitutionnalité, un droit
fondamental 54
§2 : Une appropriation de la Constitution par les
justiciables 56
A. La normativité de la Constitution 56
B. La protection d'intérêts personnels
59
Section II : Une objectivation maintenue du contentieux
constitutionnel 61
§1 : Un purgatoire des normes inconstitutionnelles 61
A.
112
Un mécanisme assurant la supériorité
de la Constitution 61
B. Un mécanisme facilitant la
constitutionnalisation des branches du droit 64
§2 : Un mécanisme revalorisant le principe
démocratique 67
A. Une voie pour la participation du peuple au pouvoir
67
B. L'émergence d'une démocratie
constitutionnelle 69 CHAPITRE II : L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE,
UN SIGNE DE LA
LEGITIMITE DU JUGE CONSTITUTIONNEL 72
Section I : L'autorité des décisions rendues sur
exception d'inconstitutionnalité 73
§1 : La relativité de principe des effets de la
décision 73
A. L'effet inter partes de la décision 73
B. La tendance vers un effet erga omnes de la
décision 75
§2 : L'absolutisme observé des effets de la
décision 76
A. L'opposabilité de la décision aux
pouvoirs publics 77
B. L'imposition de la décision aux juridictions
ordinaires 78
Section II : Un pouvoir législatif accordé au
juge constitutionnel ? 80
§1 : Le juge constitutionnel, un législateur
négatif 80
A. L'abrogation de la loi par le juge constitutionnel
80
B. L'absence de modulation des effets de la
décision d'abrogation 82
§2 : Le risque apparent d'un gouvernement des juges 84
A. Une théorie manifestement dangereuse 85
B. Une théorie relativement excessive 86
Conclusion partielle 89
CONCLUSION GENERALE 90
BIBLIOGRAPHIE 93
TABLE DES MATIERES 110
|