UNIVERSITE LUMIERE LYON II - Institut de Psychologie
Note de recherche Psychologie Sociale, du Travail et des
Organisations - Juin 2018
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DE QUOI L'AUTO·GYNECOLOGIE EST-ELLE LE NOM ?
Le regard des représentations sociales sur une
pratique sanitaire émancipée
_____________________________________
Lolane DENTAND DUCROT - 2101781
Sous la direction de Marie Préau, professeure de
psychologie sociale de la santé
Soutenu le 22 juin 2018, TB
Membres du jury : Marie Préau, professeure et
Christine Morin-Messabel, maîtresse de conférences.
Note de rédaction - de l'utilisation de
l'écriture inclusive.
A des fins d'égalité (Houdebine, 1998, Viennot,
2008) et au vu du sujet choisi, cette note de recherche a été
rédigée en écriture inclusive.Certaines
règles1(*)ont
été retenues:
-lorsque le sujet concerne exclusivement ou presque des
femmes, le féminin est utilisé.
-lorsque le sujet ne concerne pas seulement les femmes, trois
formes ont été sélectionnées :
-pour les formes simples, le point médian est
utilisé (ex : patient·e·s)
-pour les formes plus complexes, les noms sont
dédoublés (ex : chercheurs et chercheuses)
-pour les pronoms, l'écriture de « ils et
elles » est retenue.
Par ailleurs, la règle de proximité, selon
laquelle l'accord de l'adjectif ou du participe passé se fait avec le
nom le plus proche, a été appliquée.
INTRODUCTION
3
THÉORIE
3
I. LA SANTÉ À L'AUNE DE LA
PSYCHOLOGIE SOCIALE, UNE APPROCHE HOLISTE
3
A. La santé, de la
médecine aux sciences sociales
3
B. L'ancrage social de l'objet
santé en psychologie : l'intégration de la culture
5
C. La théorie des
représentations sociales appliquée aux phénomènes
et comportements de santé
7
II. LE REGARD DES REPRÉSENTATIONS
SOCIALES
9
A. Les représentations
sociales, une théorie, des approches
9
B. L'ancrage et
l'objectivation, deux mécanismes de formation des représentations
sociales
11
C. Les représentations
sociales, lien entre pensée et pratique sociales
12
III. DE LA GYNÉCOLOGIE À
L'AUTO·GYNÉCOLOGIE
14
A. La femme, un patient comme les
autres ?
14
B. La crise de la gynécologie et
l'auto-gynécologie
14
PROBLÉMATISATION
17
MÉTHODOLOGIE
19
I. DE LA MÉTHODOLOGIE QUALITATIVE
19
II. L'OUTIL MÉTHODOLOGIQUE DE
L'ENTRETIEN
19
A. La méthode de
l'entretien
19
B. Le guide d'entretien
20
III. L'APPROCHE DU TERRAIN DE
L'AUTO-GYNÉCOLOGIE
21
A. Prise de contact et
recrutement
21
B. Caractéristiques et
rencontre de la population
22
RÉSULTATS
23
I. PRÉSENTATION DE L'ÉCHANTILLON
23
II. CONSTRUCTION DE LA GRILLE D'ANALYSE
24
III. PRÉSENTATION ET INTERPRÉTATION
DES RÉSULTATS
26
A. Le regard des RS sur
l'auto-gynécologie, les rapports de l'individu au social
26
1. Rapports à l'institution
médicale
27
2. Rapports à la
gynécologie
27
3. Rapports au soin
28
4. Rapports au savoir
29
5. Rapports à la communauté
auto-gynécologique
31
6. Rapports au corps, à
l'intimité et à la féminité
32
7. Rapports au monde
33
B. L'inscription des représentations
autour de l'auto-gynécologie dans des cadres psychosociaux
préexistants : la pensée et la pratique
34
L'auto-gynécologie, une pratique
cristallisée par un ancrage dans un système de valeurs
35
L'auto-gynécologie comme pratique sanitaire
alternative naturelle
35
L'auto-gynécologie comme outil militant
féministe
36
L'auto-gynécologie comme remise en question
de l'institution médicale
37
C. Interprétation au regard des
mécanismes d'ancrage et d'objectivation
38
1. Le savoir gynécologique
représenté autour de la consultation gynécologique ;
un protocole observation-diagnostic-soin, et une figure experte
38
2. Le savoir gynécologique comme attention
portée à l'appareil génital féminin.
39
3. Le savoir gynécologique comme sagesse
populaire féminine
41
DISCUSSION
43
SYNTHÈSE ET LIENS ENTRE LES
RÉSULTATS
43
Une compétence des patientes
43
Une mise en pratique de la théorie
43
Une instrumentalisation du savoir scientifique
gynécologique
43
Un rapport à l'ordre social
établi
44
RETOURS ET OUVERTURES SUR LA THÉORIE
45
L'auto-gynécologie, une forme
d'automédication
45
Internet, outil privilégié de
diffusion du savoir auto-gynécologique
46
L'auto-gynécologie à l'aune de
l'empowerment
46
LIMITES
47
CONCLUSION
49
BIBLIOGRAPHIE
2
Introduction
Depuis les années 1970, et grâce aux impulsions
des organisations militantes de malades, le champ de la santé est
profondément marqué par l'émergence de la
« démocratie sanitaire ». Alors que la
médecine était jusqu'alors centrée sur la maladie et le
symptôme et appliquée dans une relation asymétrique
où le malade est incapable, on reconnaît désormais
auxpatient·e·s des droits, mais aussi des compétences. Elles
et ils deviennent à la fois acteurs du système de santé,
à travers l'arrivée des représentant·e·s des
usager·e·s dans les instances, mais aussi acteurs de leur
santé, à travers la participation à leurs propres soins.
D'un point de vue juridique, les lois du 4 mars 2002 -avec la reconnaissance de
la notion de consentement éclairé, du 9 août 2004 -avec la
participation des usager·e·s aux politiques publiques de
santé, du 21 juillet 2009, HPST -relative à de nouveaux droits
pour les patient·e·s, ou la loi de modernisation du système de
santé de janvier 2016 témoignent de ces évolutions.Parmi
les différentes sciences humaines et sociales de la santé, la
psychologie critique de la santé propose notamment de faire
l'évaluation de l'impact réel de ces perspectives
théoriques.
Les interrogations quant à la mise en application de la
démocratie sanitaire et plus généralement de la place des
patient·e·s dans la relation médecin-patient·e continuent
de se poser au sein des diverses disciplines médicales. L'une d'elles,
la gynécologie, est depuis quelques années invitée sur le
devant de la scène par des actualités polémiques. Les
associations de patientes se multiplient pour dénoncer les
« violences obstétricales et gynécologiques »
comme l'épisiotomie, acte chirurgical consistant à ouvrir le
périnée au moment de l'accouchement, qui serait pratiquée
à outrance et en l'absence de consentement. La controverse fait tant de
bruit que la secrétaire d'Etat chargée de l'égalité
entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, en fait son cheval de
bataille lors de son entrée au gouvernement. Ellecommande un rapport au
Haut conseil à l'égalité à propos des violences
obstétricales en dénonçant « un taux
d'épisiotomie de 75% en France alors que l'OMS préconise 20
à 25 % », ce que dément aussitôt le
Collège national des gynécologues et obstétriciens
français (CNGOF) en évoquant 20 %.
Enjeu politique et médical, donc, les controverses
autour de la gynécologie sont également un enjeu social, en ce
qu'elles traduisent un malaise des patientes et un possible défaut du
système de santé. A l'heure où l'autonomie est
érigée en norme sociale (Ehrenberg, 2005) et valorisée
dans la prise en charge de la maladie dans le domaine de la santé (au
sein de l'éducation thérapeutique par exemple), la conception du
rôle des patientes en gynécologie est un élément
clé. Le comportement sanitaire de
l'auto-gynécologie, en ce qu'il mêle
participation aux soins, autonomie et changement de place des patientes, parait
particulièrement adapté à l'étude de cette
conception. Encore peu explorée, cette pratique de soin ne peut
être clairement définie mais se présente comme un
investissement fort et une attention toute particulière portée
à sa santé gynécologique en
parallèle de la médecine institutionnalisée.
L'objet de cette recherche porte donc sur
l'auto-gynécologie, non pas en tant que pratique médicale
thérapeutique, mais en tant que conduite sociale. Il s'agira de tenter
de s'en saisir à l'aide la psychologie sociale de la santé et des
approches qu'elle propose, notamment la théorie des
représentations sociales. De quoi l'auto-gynécologie est-elle le
nom ?
Théorie
I. La santé à
l'aune de la psychologie sociale, une approche holiste
Dans un premier temps sera abordé l'objet santé
à travers le prisme des sciences humaines et sociales ; il s'agira
de le situer dans un contexte et une histoire (A), dans une discipline et ses
paradigmes (B), puis dans une approche théorique et
épistémologique (C).
A. La santé, de la médecine
aux sciences sociales
Premièrement, il conviendra de présenter l'objet
santé à travers les apports des sciences sociales ; leur
intérêt pour la santé a permis de faire évoluer son
appréhension et sa définition ainsi que de proposer de nouveaux
objets de recherche.
L'apparition de la médecine expérimentale, le
développement des sciences et des techniques médicales font
naître jusqu'au XXème siècle une tendance à la
réification du corps, réduit à une somme de
symptômes. Cette conception s'accompagne d'un modèle
biomédical, où la prise en charge n'est dirigée que vers
la maladie et efface la personne malade derrière elle. Un mouvement
d'humanisation se dessine à partir des années 1970 (Jodelet,
2013) et le modèle bio-psycho-social, prenant en compte l'individu dans
son environnement global, pallie le réductionnisme de l'approche
purement biomédicale. Ce modèle, officialisé par le
psychiatre Engel (1977) peut être représenté par
l'imbrication des systèmes sociaux, psychologiques et biologiques (voir
figure 1) impliqués dans la santé et la maladie.
Figure 1.Les systèmes du monde et de l'individu pris
en compte dans l'approche de la santé (Morin, 2004, p.13)
En outre, cette approche davantage holiste permet
d'appréhender plus justement la santé comme la définit
l'OMS, à savoir, plus qu'une simple absence de maladie, un état
complet de bien-être physique, mental, social. De même, la
psychologie de la santé pense une conception élargie de la notion
de santé. Elle ne connait pas seulement un contenu biologique, mais
aussi un bien-être et une qualité de vie influencée par les
différents systèmes psychosociaux dont fait partie l'individu.
Elle est système et processus, état mesurable ou
expérience sensible et vécue, mais aussi construction, devenir et
projet. Plus qu'une absence de maladie, la santé se définit
d'après la psychologie de la santé sur un continuum entre
bien-être et mal-être (Morin, 2004).
Par ailleurs, l'invitation des sciences humaines et sociales
dans ces domaines a permis l'amélioration des conceptions autour de la
santé et de la maladie, mais a également ouvert les perspectives
de recherches. De ce fait, de nouveaux objets comme les
inégalités sociales de santé, le soutien social face
à la maladie, la prévention des risques sanitaires, la
qualité de vie oula relation médecin-patient·evoient le
jour. Ainsi, pour Morin et Apostolidis, « les variations
biomédicalement inexpliquées par les indicateurs de
mortalité, de morbidité, d'insatisfaction, de dysfonctionnements
organisationnels, d'inefficacité thérapeutique que
décrivent démographes, épidémiologistes,
économistes et sociologues renvoient de manière convergente
à des hypothèses de détermination sociale »
(2002, p. 473).
Enfin, parmi les différentes disciplines
s'intéressant à la santé, la psychologie se distingue par
l'intégration des facteurs contextuels (milieu socioculturel,
caractéristiques sociodémographiques...), des
antécédents dispositionnels (représentations,
personnalité...), des caractéristiques physiques et de
santé antérieure, et des processus transactionnels
« actuels » (perceptions, cognitions, émotions...)
(Bruchon-Schweitzer, Siksou, 2008). Depuis quelques années, une
psychologie sociale de la santé rejoint le champ des sciences
sociales de la santé (Morin, Apostolidis, 2002). Appliquée
à la santé, il s'agit d'une « pratique de recherche
et d'intervention dans le domaine de la santé qui se caractérise
par l'utilisation de concepts et d'outils relevant de la psychologie
sociale » (Morin, Apostolidis, 2002, p. 488-489).
Petrillodépasse la neutralité de cette définition et
propose d'en définir le social comme « un
système d'interprétation général du
monde » (Petrillo, 2000, p. 14) au-delà de la simple
intégration de l'environnement comme déterminant des
comportements. Il s'agit ici de considérer cette appréhension du
social dans la psychologie sociale de la santé comme pertinente et
déterminante dans la construction de cette étude.
B. L'ancrage social de l'objet
santé en psychologie : l'intégration de la culture
La simple mention de la psychologie sociale de la santé
ne suffit pas seule à délimiter l'ancrage théorique dans
lequel s'inscrit cette recherche. En effet, cette discipline couvre des
épistémologies variées et des enjeux différents. Il
s'agira ici de tenter de présenter le cadre conceptuel retenu et son
développement.
Bien qu'il soit envisageable -voire tentant- de
s'intéresser à la santé à travers la psychologie
sociale pour développer des modèles prédictifs, nous
faisons ici un autre choix épistémologique. A l'instar de
nombreux·sesauteur·e·s, nous pensons qu'une telle approche
comporte des limites qui risqueraient de nuire à une appréhension
globale de l'objet.Ainsi, Apostolidis et Dany déplorent l'aporie des
conceptualisations des modèles de comportements de santé issus de
la psychologie sociale comme le HealthBelief Model ou la Theory of
PlannedBehavior (2012). Ils arguent d'une part de la
nécessité de la prise en compte de la dimension symbolique et
partagée de la connaissance humaine pour pallier les incohérences
de ces modèles, et proposent d'autre part de développer une
problématisation plus holistique des comportements de santé.
De même, Santiago Delefosse regrette l'insuffisance des
approches unidimensionnelles, et l'illusion d'un individu solipsiste (2002).
Elle propose un paradigme « subjectiviste-constructiviste »
en opposition au « positiviste et néopositiviste »,
qui se distinguent à travers huit caractéristiques, la nature de
la réalité des faits, le but de la recherche, la position du
chercheur, l'observateur et les phénomènes observés, la
nature du savoir produit, les méthodes de mise en évidence du
savoir, les valeurs du chercheur et les conflits de paradigme2(*) (2017). Les premiers courants
paradigmatiques subjectiviste et constructiviste conçoivent notamment
une co-construction de la réalité par l'expérience et la
culture, un objectif compréhensif de la recherche, une approche
phénoménologique de la réalité du sujet et du
savoir co-construit, ainsi qu'une utilisation majoritaire d'outils
méthodologiques qualitatifs. Ces différents
éléments permettent alors de considérer que tout sujet
concret est toujours situé à la fois dans son histoire et dans un
monde social, et ainsi d'éviter le solipsisme redouté par
l'auteure.
De la même manière, Jodelet s'est attachée
à proposer une posture critique de la psychologie de la santé en
relevant sa curieuse cécité aux dimensions collectives pourtant
déterminantes dans la gestion de la santé et de la maladie
(2006). Pour elle, le rapport à la santé recouvre une
complexité de processus et une diversité d'expériences que
seule une approche multidimensionnelle permet d'appréhender. Cette
approche pluridimensionnelle permet alors d'intégrer la
culture comme prisme d'analyse des phénomènes sanitaires
et de l'ériger en garde-fou d'un réductionnisme tentant.
Néanmoins, il reste important de préciser que
l'intégration de la culture et du social ne peut se satisfaire d'une
seule approche sociologique.
« La culture devrait être
intégrée dans une telle approche, mais dans des conditions qui
préservent la subjectivité, donc le psychologique. »
Jodelet, 2006, p. 225
Ces premières réflexions quant à la
posture à adopter pour étudier la gestion de la santé et
de la maladie nous renseignent également sur la manière de
concevoir les pratiques sanitaires. Pour Jodelet (2013), elles sont le fruit de
la culture et des représentations, qui s'articulent à travers
l'expérience, elle-même définie comme la rencontre des
différentes dimensions sociales, interactives, cognitives, psychiques et
émotionnelles (voir figure 2).
CULTURE
EXPERIENCE = rencontre des différentes dimensions
sociales, interactives, cognitives, psychiques, émotionnelles
PRATIQUES SANITAIRES
REPRESENTATIONS
Figure 2. Appréhension des pratiques sanitaires
d'après Jodelet, 2013
Ces premières réflexions quant à la posture
En définitive, la présente étude tentera
de s'inscrire dans ce paradigme et cette approche pluridimensionnelle
compréhensive des phénomènes de santé, où
les pratiques et comportements sanitaires sont envisagés comme la
rencontre de l'individu et du social. Ces aspects de l'approche
théorico-méthodologique choisie ne sont pas sans rappeler ceux du
regard psychosocial de Moscovici (1984) et de la théorie des
représentations sociales qu'il a mis en application pour la
première fois lors de son ouvrage sur La psychanalyse, son image et
son public (1961).
C. La théorie des
représentations sociales appliquée aux phénomènes
et comportements de santé
Après avoir développédans les
précédentes parties l'objet santé à travers le
prisme des sciences sociales et les choix épistémologiques dans
son appréhension, il convient désormais de présenter le
regard des représentations sociales appliqué à
l'étude des phénomènes sanitaires.
Dans un premier temps, il s'agit de rappeler les liens entre
les domaines de la santé et des représentations sociales. En
effet, qu'il s'agisse de la psychanalyse (Moscovici, 1961), de la santé
et de la maladie (Herzlich, 1969), ou de la santé mentale et de la folie
(Jodelet, 1989), les études princeps issues de la théorie des
représentations sociales ont relation avec la santé. Jodelet
rajoute qu'une deuxième vague d'études s'est concentrée
sur des maladies ou pratiques spécifiques, sur la promotion de la
santé et la prévention de la maladie, avant de voir naître
dans un troisième temps une attention portée sur les
représentations dont font l'objet les personnes faisant
l'expérience de la maladie ou du handicap, leur stigmatisation ou les
relations développées avec elles (2013).
A titre d'exemple, il convient de présenter l'ouvrage
devenu référence de Herzlich pour illustrer ce que peuvent
apporter les représentations sociales à l'étude de l'objet
santé. En appliquant la nouvelle théorie développée
par Moscovici quelques années plus tôt (1961), elle propose
« une conception pluraliste de la santé »
(Herzlich, 1996, p. 79-80), idée selon laquelle il n'existe pas une,
mais des santés. Trois conceptions principales en sont
proposées ;la santé comme vide, pensée comme
l'absence de maladie, la santé comme capital ou réserve, et la
santé comme équilibre, qui se présente comme une valeur
comprenant un bien-être psychologique, physique, un ressenti. De
même, la maladie est représentée selon trois
modèles, la maladie destructrice, la maladie libératrice et la
maladie métier. Ainsi, au gré de l'expérience, de la
culture, l'individu juge de son état de santé et en
développe une représentation active, c'est-à-dire
directement impliquée dans l'interprétation et l'action.
Cette étude permet de rappeler le constat qu'avait fait
Moscovici quelques années plus tôt ; ce qui importe n'est
pas tant la réalité que le rapport qu'entretient
l'individu avec elle, notamment pour les questions de maladie et de
santé. Elle permet également de souligner que la santé et
la maladie ne sont pas l'affaire des seul·e·sexpert·e·s de
la santé, mais bien de tout·e individu en tant que
concerné·e par l'expérience. En somme, la santé est
aussi l'« objet profane d'une pensée
sociale » (Morin, 2004, p 39).
Au-delà du contenu des représentations autour de
la santé et de la maladie, de leur dimension symbolique et de leur
finalité profane, un élément reste à traiter, celui
du social. Le social, c'est aussi la dimension symbolique de
la connaissance, ce qui construit et donne du sens aux vécus de
santé et de maladie, ce qui en fait un savoir
partagé (Morin, Apostolidis, 2002). De plus, les cognitions et
comportements relatifs à la santé et à la maladie sont des
lieux « éminemment chauds, [c'est à dire]
imprégnés de processus affectifs faits de
préférences et de répulsions témoignant ainsi de
leur caractère sensible teinté d'enjeux sociaux »,
d'interaction entre l'individuel et le social (Dany, Apostolidis, 2012, p.69).
C'est également de cette perspective-là que peut être
éclairée la mise en relation entre ordre biologique et ordre
social qu'illustre la maladie en tant que réalité
représentée.
« Nos représentations ne nous renseignent pas
seulement sur la relation que nous entretenons avec les
phénomènes corporels et notre propre état de santé,
mais sur les relations qu'à travers eux, nous entretenons avec les
autres, avec le monde et l'ordre social. »
Herzlich, 2001, p.198.
En définitive, l'étude des
représentations sociales permet de prendre en considération le
rôle de la culture et des valeurs, l'articulation entre connaissances
savantes et profanes, l'implication des facteurs sociaux et culturels dans la
construction des savoirs et de leurs objets. C'est cette approche
multidimensionnelle et holistique qui confère sa pertinence à la
théorie des représentations sociales pour appréhender
l'objet santé ''(Jodelet, 2013). Une deuxième partie sera donc
consacrée à l'approfondissement et au développement de
celle-ci.
II. Le regard des
représentations sociales
Cadre fécond pour analyser les facteurs psychologiques,
relationnels et sociaux de la pensée sociale (Dany, Apostolidis, 2012),
les représentations sociales seront présentées ici
à travers leur définition et opérationnalisation (A), les
mécanismes de leur formation, l'ancrage et l'objectivation (B), ainsi
que leur lien avec la pensée et les pratiques sociales (C).
A. Les représentations sociales,
une théorie, des approches
Héritée du concept de représentation
collective de Durkheim, et inspirée de Piaget et de Freud, (Moscovici,
2003), la théorie des représentations sociales occupe une place
certaine dans le champ de recherches sur la connaissance en psychologie
sociale. Moscovici les décrit comme un « corpus
organisé de connaissances et une des activités psychiques
grâce auxquelles les hommes rendent la réalité physique et
sociale intelligible, s'insèrent dans un groupe ou un rapport quotidien
d'échanges, libèrent les pouvoirs de leur
imagination » (1976, p. 27). Sa fonction première est
ainsi d'interpréter la réalité en entretenant avec elle
des rapports de symbolisation et en lui attribuant des significations. La
représentation sociale permet l'élaboration des comportements et
la communication entre individus ou groupes ; elle est dirigée vers
la maitrise de l'environnement et évolue à travers les
interactions et les échanges.
En somme, le concept de représentation sociale renvoie
aux produits et processus caractérisant la pensée de sens commun,
forme de pensée pratique, socialement élaborée,
marquée par un style et une logique qui lui sont propres et
partagée par les membre d'un même ensemble social ou culturel
(Jodelet, 1997). Elles sont sociales par leur mode d'élaboration,
à savoir les interactions et expériences communes, et par leur
objet, social.
En tant que théorie, elle est une voie
privilégiée d'accès au sens commun, elle permet
d'interpréter les comportements, les conduites et les actions, de se
saisir de l'histoire en train de se faire. Théorie paradigmatique, sa
portée est compréhensive et explicative, prédictive
seulement locale. (Apostolidis, 2005). Appliquée à la
santé, elle présente plusieurs intérêts ; d'une
part elle propose un modèle d'analyse de la pensée
sociale, en considérant les facteurs psychosociaux de sa
production et de sa fonction, l'individu comme sujet-acteur compris dans un
contexte culturel, et sa logique de maitrise de l'environnement. D'autre part,
elle se propose modèle d'articulation entre
« systèmes de pensée et systèmes de
comportements, des relations (orientation, légitimation) entre
pratiques et représentations sociales, dans et par la
considération de la correspondance entre « situations
sociales » et « modalités de connaissance et
d'action » » (Apostolidis, Dany, 2012, p. 71).
En outre, il existe trois approches pour
appréhender les représentations sociales, inspirées de
l'ouvrage sur la psychanalyse de Moscovici (1961), à laquelle se rajoute
une quatrième d'après la classification de Molinier et
Guimelli(2015). La première, l'approche structurale -ou théorie
du noyau central, proposée par Abric (1976), est axée sur la
structure et l'organisation des représentations sociales. La
deuxième, l'approche dynamique -ou positionnelle- a été
développée par Doise (1990) et s'intéresse à
l'insertion sociale de l'individu ou de sa relation avec l'alter. La
troisième, l'approche socio-génétique -ou anthropologique,
mise en évidence par Jodelet (Kalampalikis, Apostolidis, 2016), met
l'accent sur les conditions et processus en jeu dans l'émergence des
représentations sociales. Enfin, l'approche dialogique, explorée
par Marková (2007), porte son attention sur le rôle du langage et
de la communication. Il conviendra ici de ne développer que l'approche
socio-génétique, dont sera inspirée cette étude.
Héritée de la psychologie collective et
inspirée de la phénoménologie sociale, deux
spécificités caractérisent principalement cette approche
et la distinguent des autres. D'une part, les objets choisis doivent être
situés, holistes, complexes et systèmes, selon le postulat
« tout objet représentationnel est tensionnel ».
D'autre part, l'accent est mis sur la posture méthodologique, ouverte et
compréhensive, et le « polythéisme
méthodologique » est de mise. En définitive,
l'approche socio-génétiques'applique à
« saisir l'objet représentationnel comme
phénomène dynamique, sa génèse comme une
trajectoire dans le temps présent et l'histoire, son expression en tant
que connaissance sociale et pratique, fruit des conjonctures historiques,
politiques et culturelles et de la communication sociale »
(Kalampalikis, Apostolidis, 2016, p.70). Ici, la représentation sociale
est une pensée sociale de nature constituée et constituante, et
est appréhendée tant comme produit que comme processus.
En définitive, il convient de garder à l'esprit
la définition du concept des représentations sociales de Jodelet,
de convoquer les fonctions de sa théorie selon Apostolidis et Dany et de
s'inspirer de l'approche socio-génétique pour construire et
poursuivre la réflexion de cette recherche.
B. L'ancrage et l'objectivation, deux
mécanismes de formation des représentations sociales
En étudiant la manière dont une science
pénètre la société et donc le sens commun,
Moscovici a mis en évidence deux processus majeurs impliqués dans
la formation d'une représentation sociale (voir figure 3).
D'après Jodelet, ils témoignent de la façon dont le social
transforme une connaissance en représentation, et de celle dont cette
représentation transforme le social ;
« Comment le social intervient-il dans
l'élaboration psychologique que constitue la représentation
sociale, comment cette élaboration psychologique intervient-elle dans le
social ? »
Jodelet, 1997, p370.
Ainsi, pour l'auteure, l'intervention du social dans
l'objectivation se traduit dans l'agencement et la forme des
connaissances relatives à l'objet. Elle a pour fonction de rendre
concret l'abstrait, et se définit comme une opération imageante
et structurante. En pratique, elle permet de réduire la
complexité de l'environnement social au moyen de trois étapes
(Moscovici, 1961). La première est la transformation iconique,
c'est-à-dire la sélection et décontextualisation. Il
s'agit de trierles informations en fonction de critères culturels et
normatifs pour ne conserver que celles en accord avec notre système de
valeurs. La deuxième étape, la schématisation, consiste
à former un noyau figuratif qui organise et rend concrètes les
informations. Enfin, pour accorder à ce noyau un statut
d'évidence et un rôle de constitution de la réalité,
la troisième et dernière étape est la naturalisation.
Quant à l'ancrage, il est
l'enracinement social de la représentation et de son objet. Ce
mécanisme rend familier l'étrange, en intégrant la
nouveauté dans un cadre de pensées préexistant. Pour cela,
le nouvel objet est comparé à ceux d'une catégorie
familière, il est classifié, nommé. Il s'agit de lui
assigner du sens, de l'intégrer cognitivement dans un système
d'interprétations et un réseau de significations. A noter que les
deux processus ne sont pas indépendants et fonctionnent ensemble, de
manière dialogique. Leur distinction opère également dans
le rapport qu'ils entretiennent avec l'existant. Alors que l'ancrage est
dirigé vers l'intérieur et la stabilité, l'objectivation
est elle dirigée vers l'extérieur, le changement.
Figure 3. Schematic depiction of the sociogenesis of social
representations. Schématisation de la sociogénèse des
représentations sociales. (Wagner et al. 1999.)
C. Les représentations sociales,
lien entre pensée et pratique sociales
Comme développé dans les parties
précédentes, les représentations sociales sont une forme
de pensée sociale, caractérisée par le savoir de sens
commun, ayant une visée pratique. Selon l'approche
socio-génétique, ces deux éléments, la connaissance
sociale et la pratique, sont les deux faces d'une même pièce qu'il
convient ici d'approfondir.
D'une part, l'objet de la théorie des
représentations sociales -voire de la psychologie sociale (Moscovici,
2001), est le sens commun. Il s'agit de savoir comment la science, en
pénétrant la société, se transforme en connaissance
ordinaire, en sens commun. Ce dernier s'oppose au savoir scientifique, et
revêt une assise sociale et culturelle ; en ce sens, elle fait
consensus au sein d'un groupe, elle est collective et partagée.
Dirigé vers la maîtrise de l'environnement et
caractérisé par l'oralité, il précède la
science et l'éducation pour former ce que Moscovici appelle les
« protosciences populaires » (Moscovici, 2001,
p.25). La communication et la diffusion de la science peuvent contribuer au
développement de la science en la transformant en un nouveau sens
commun, qu'il nomme post-sciences populaires. Cette considération pour
le savoir populaire n'est pas sans rappeler une évolution des paradigmes
en santé ; depuis les années 1970, l'approche paternaliste
des sciences médicales s'est effacée suite aux insuffisances du
modèle biomédical et aux mobilisations des associations de
malades, conférant une nouvelle place aux patient·e·s et le
développement de la démocratie sanitaire. L'attention
est désormais portée sur les savoirs et connaissances, non pas
vers les producteurs·ices de la science, mais vers ses
utilisateurs·ices. Comme le modèle des représentations
sociales, cette vision rompt avec une approche asymétrique et
hiérarchique de la transmission du savoir, outil de pouvoir.
D'autre part, les représentations sont des guides pour
l'action, elles orientent les pratiques. Abric, qui s'est notamment
attaché à les étudier, en propose la définition
suivante ; « elles sont des systèmes d'action
socialement structurés et institués en relation avec des
rôles » (1994, p.263). En 1971, il en propose une
illustration à travers une situation expérimentale. Deux
tâches sont proposées à des groupes d'individus, soit de
résolution de problème, soit de créativité. En
fonction de la présentation de la tâche à réaliser,
congruente ou non, les performances ne sont pas les mêmes, ce qui montre
ainsi que les représentations influent sur les comportements sociaux. En
fait, les représentations et les pratiques entretiennent une relation
dialectique, et l'analyse de toute pratique sociale nécessite la prise
en compte du contexte socioculturel et matériel dans lequel elle se
développe, ainsi que son mode d'appropriation par l'individu ou le
groupe concerné. De plus, pour qu'elle continue d'exister et qu'elle se
maintienne, une pratique doit nécessairement s'inscrire et
s'intégrer dans un cadre de pensées préexistant, un
« système de valeurs, de croyances et de
normes » (Abric, 1994, p. 288).
En définitive, la théorie des
représentations socialespropose une approche contextuelle,
compréhensive et phénoménologique des comportements et
pratiques sanitaires, eten tant que concept, une double fonction de perception
et de guide d'action ; en ce sens, elle se présente comme cadre
théorique pertinent pour l'analyse des phénomènes de
santé. Une dernière partie sera alors consacrée à
la présentation d'un phénomène sanitaire et de son
contexte sociopolitique, l'auto-gynécologie.
III. De la
gynécologie à l'auto·gynécologie
Il s'agira dans une dernière partie de présenter
le phénomène de santé étudié,
l'auto-gynécologie. Encore peu connu, il sera présenté
à travers le contexte sociohistorique de sa naissance et de son
évolution, en passant par la gynécologie (A) et le
self-help (B).
A. La femme, un patient
comme les autres ?
Premièrement, il parait intéressant de relever
les particularités du rapport du système de santé aux
femmes et à leur corps. Historiquement considérée comme un
« homme manqué », dont les parties génitales
sont celles d'un homme, mais à l'intérieur, la médecine
-et la société- reconnaît ensuite à la
femme une « nature féminine » basée sur la
faiblesse et la prédestination à la reproduction (Laqueur, 1992).
Deuxièmement, la médicalisation de la sexualité et de tous
les phénomènes qui entourent la maternité conduit au
XIXème siècle à la naissance de la gynécologie et
de l'obstétrique comme disciplines médicales à part
entière. Cela contribue à améliorer la prise en charge de
la santé des femmes, puisque le taux de mortalité maternelle
passe de 1% à 1 pour 10 000 (Vidal&Salle, 2017).
Toutefois, la naissance de la gynécologie n'est pas
seulement liée à l'amélioration de la santé, mais
s'inscrit également dans un contexte politique. En effet, malgré
l'objectivité et la neutralité associées à la
science et donc à la science médicale, les conceptions de la
sexualité et de la santé publique entrainent une politique de
contrôle des comportements et des populations à travers la
santé sexuelle (Adam et al., 2016). C'est ce que Foucault (2004) nomme
la biopolitique, lorsque l'exercice du pouvoir ne porte non plus sur
le territoire mais sur la vie des individus. C'est dans cette perspective que
se développe la médecine gynécologique.
« Fruit de la bicatégorisation sexuée,
elle se distingue, parmi les spécialités médicales
actuelles, par sa focalisation sur une catégorie dont on n'est pas
censé·e pouvoir sortir, le sexe. Son pendant, qui n'a d'existence
qu'anecdotique, serait l'andrologie. Ainsi, le rendez-vous périodique
chez la ou le gynécologue perpétue et renforce une
asymétrie fondamentale dans la surveillance sociale et le traitement
médical des classes de sexe. »
Ruault, 2015, p. 35.
B. La crise de la
gynécologie et l'auto-gynécologie
En dehors des caractéristiques historico-politiques de
sa création, la discipline gynécologique est aussi
traversée d'actualités et d'enjeux qui conditionnent son
application et son évolution. Particularité française,
elle se divise entre la gynécologie obstétrique et la
gynécologie médicale, créée en 1963 pour la
promotion de la contraception, la lutte contre les maladies sexuellement
transmissibles, la diminution des actes chirurgicaux et la prise en charge des
troubles de la ménopause (Terris, 2016). Le nombre de
gynécologues médicaux a baissé de 41,6 % de 2007 à
2017 en raison de l'harmonisation des lois européennes au sujet des
spécialités médicales. En décembre 2017, un dossier
du journal Le Monde titre ainsi « Consulter un
gynécologue : la grande galère ». Enfin, la
gynécologie est traversée depuis quelques années par des
actualités polémiques, notamment avec l'épisiotomie, le
« point du mari », les violences obstétricales ou
les touchers vaginaux enseignés à l'université sur des
patientes endormies3(*).
Face à ces controverses, le Collège National des
Gynécologues Français regrette un
« gyneco-bashing », qui ne correspondrait pas à la
réalité.
Dans un deuxième temps, il parait inévitable de
situer l'auto-gynécologie au regard du self-help, qui fait le
lien entre pratiques gynécologiques controversées et
auto-gynécologie. Ainsi, on peut lire sur le site internet
« gynandco », qui propose une liste de
praticien·nessafe, que l'auto-gynécologie est une pratique
qui était enseignée dans les années 1970 lors des luttes
féministes pour l'avortement. Le MLAC, Mouvement pour la Liberté
de l'Avortement et de la Contraception, ou le Women'sHealth Collective de
Boston, se battent la santé des femmes, et s'élèvent
contre la médicalisation de la naissance, et les discours paternalistes
et moralisateurs des gynécologues (injonction à la
procréation, stigmatisation des sexualités...). Le
self-help gynécologique, ou auto-gynécologie, est promu
et se développe comme pratique politique de la santé à
travers l'échange de savoirs et d'expériences, en dehors de
l'institution médicale qui représente un frein à
l'autonomie et à la liberté de choix.
« Le mouvement self-help est né
aux États-Unis au sein du mouvement féministe de la fin des
années 1960 (Women'sLiberationMovement). Ce mot self-help n'a
jamais eu de traduction satisfaisante en français : s'aider
soi-même, auto-assistance, entraide entre femmes... Il s'agit d'un
mouvement de réappropriation du corps qui a commencé par la
pratique de l'auto-examen gynécologique avec l'aide d'un spéculum
et d'un miroir. Cette découverte, pratiquée en groupe,
délie les langues et ouvre des discussions favorisant les prises de
conscience sur notre relation au corps, à la sexualité, sur la
santé et sur les rapports de pouvoir entre hommes et femmes ou encore
avec le monde médical »
Rina Nissim,2014, introduction
Enfin, il conviendra de présenter
l'auto-gynécologie actuelle, à travers des pistes de
réflexion autour de la documentation profane disponible. Aujourd'hui en
France, le phénomène de l'auto-gynécologie semble
être porté par Martin Winckler, médecin et écrivain
critique à l'égard de la prise en charge médicale
actuelle, et PoussyDrahma, militante se définissant comme une
« alter-gynécologue » parcourant la France dans un
camion où sont organisés des ateliers d'auto-gynécologie.
A la lueur de l'histoire de la gynécologie et de celle du
self-help, l'auto-gynécologie se présente comme une
pratique sanitaire avec des enjeux de réappropriation de son corps, du
savoir, et d'émancipation de l'institution médicale,
décrite comme paternaliste et potentiellement violente. Elle
amène également des questionnements sur la promotion de la
santé, la place des patientes et donc la démocratie sanitaire. En
définitive, dans une perspective de santé publique,
l'auto-gynécologie parait aussi intéressante que peu
étudiée.
Problématisation
Il s'agira donc de mobiliser l'outil des
représentations sociales (RS), en ce qu'il permet de s'inscrire dans un
paradigme compréhensif et holiste, pour étudier un
phénomène sanitaire encore peu exploré,
l'auto-gynécologie. En dehors de toute considération
médicale, même si la personne n'a pas raison sur le plan
sanitaire, elle peut avoir ses raisons sur le plan social.
Toute représentation n'est pas sociale, et cette
étude n'a pas tout à fait vocation à s'intéresser
aux RS de l'auto-gynécologie. Il s'agit davantage de tenter de se saisir
du phénomène de l'auto-gynécologie, et de partir à
sa rencontre à l'aide du regard des représentations sociales.
Approche multi-niveaux d'un phénomène de perception et d'action,
la théorie des RS permet alors d'envisager l'auto-gynécologie
comme un monde social à la rencontre de la connaissance de sens commun,
fruit de l'expérience et des modèles de pensée transmis
à travers l'éducation, la tradition, la communication sociale.
En définitive, il s'agit de s'intéresser
à l'auto-gynécologie en tant que comportement de
santé ; en tant que phénomène social dans son
ensemble, grâce à une approche holiste, multi-niveaux ; en
tant que pratique sociale, à la rencontre de la culture, des
représentations, et de l'expérience ; en tant que
représentations, sanctionnées par la pratique, influencées
et influençant le cadre de pensée préexistant ; en
tant que savoir de sens commun, à la rencontre du profane et du
scientifique ; en tant que pensée sociale inscrite dans le champ
psychosocial de la personne et des groupes ; en tant que
représentations, dans ce qu'elles disent du rapport de l'individu au
social.
Méthodologie
Afin de répondre au mieux à la
problématique du sujet et de s'inscrire de manière
cohérente avec l'ancrage théorique, il conviendra de
présenter la méthodologie utilisée. Ses principaux points
sont l'orientation qualitative (I), la méthode de l'entretien (II)
etl'approche du terrain (III).
I. De la
méthodologie qualitative
Le positionnement méthodologique qualitatif parait
indubitablement le plus approprié à cette étude ;
d'une part, il répond à ses objectifs de prise en compte de la
complexité du monde social étudié ainsi que de la
co-construction des significations et des réalités par l'individu
et son contexte. De plus, les caractéristiques du terrain (contexte peu
connu, complexe, ancré dans un réseau de significations) sont peu
compatibles avec une méthodologie quantitative (Santiago
Delefosse&Carral Del Rio, 2017).
D'autre part, compte tenu de la problématique et des
caractéristiques du terrain présentées ci-dessus, le
positionnement qualitatif semble s'imposer pour garantir la cohérence de
la posture théorico-méthodologique. Il existe
deux principales raisons de s'y attarder d'après Jodelet (2003), une
volonté d'approche holistique, et une épistémologie
socio-compréhensive -« le monde social comme monde
interpersonnel et expériencé comme signification, le rôle
des significations et la nécessité d'une démarche
compréhensive » (Dany, 2016, p. 87).
II. L'outil
méthodologique de l'entretien
A. La méthode de l'entretien
Le recueil des données autour de
l'auto-gynécologie est réalisé grâce la
méthodologie de l'entretien individuel.D'une part, l'entretien
qualitatif a été choisi pour restituer la pratique de
l'auto-gynécologie dans son contexte. En effet, cet outil permet de
rendre compte des systèmes de valeurs, de normes, de
représentations, de symboles propres à une culture ou
sous-culture. D'autre part, la théorie des représentations
sociales est caractérisée par l'étude de la tension entre
l'individu et la société, à travers une
appréhension ternaire des faits sociaux : une relation entre le
sujet individuel, le sujet social, et l'objet (Moscovici, 1984). C'est dans
cette approche dialogique que sont réalisés les entretiens.
Par ailleurs, l'objet de recherche, l'auto-gynécologie,
est encore peu connu. L'entretien semble être l'outil idéal pour
se saisir d'un monde social non exploré, dont on ne veut pas
présumer à priori (Blanchet&Gotman, 2007). Afin de produire
un discours autour d'un objet pouvant être complexe, tout en respectant
le caractère exploratoire de la recherche, la méthode choisie se
trouve entre l'entretien semi-directif et l'entretien non-directif. Une seule
question explicite est posée en début d'entretien, et les
relances qui viennent alimenter le discours de l'interrogée n'existent
qu'en fonction de son propre discours. Ainsi, aucun thème n'est
abordé par l'intervieweur·se sans que le sujet ne l'ait
initié au préalable bien qu'un guide d'entretien constitué
de questions de relances soit élaboré à partir de
différents thèmes (voir annexeII.1).
Enfin, le choix de la méthode a également
été conditionné par la modestie de ce projet de
recherche ; sa visée exploratoire ne saurait satisfaire la rigueur
et l'exigence que suppose la théorie des représentations
sociales. Ainsi, malgré l'intérêt de la
multi-méthodologie ou « triangulation »
(« stratégie alternative de recherche pour fonder une
démarche épistémologique et empirique
contextualisée dans les études en psychologie »,
Apostolidis, 2005, p.15), il sera ici question de se concentrer autour d'un
unique outil méthodologique.
B. Le guide d'entretien
Un guide d'entretien (voir tableau I) a été
élaboré autour de thématiques semblant saillantes pour le
sujet de l'auto-gynécologie. Après une phase de test à
l'aide d'un entretien exploratoire, il s'est avéré que tous les
thèmes avaient été abordés spontanément, et
très rapidement. Par la suite, les entretiens ont alors
été envisagés avec un regard plus ouvert et un rôle
moins directif.
La question inaugurale, « j'aimerais que l'on
parle d'auto-gynécologie. Que pouvez-vous m'en dire, qu'évoque
pour vous l'auto-gynécologie ? » a été
inspirée du protocole d'Apostolidis (1994) lors de son enquête sur
les représentations sociales de la sexualité et du lien affectif.
A la suite de l'entretien, une fiche signalétique4(*) a été
distribuée, à laquelle ont été ajoutées des
questions au sujet du suivi et des expériences gynécologiques des
participantes. Les différentes réponses proposées à
la question des raisons du suivi gynécologique ont été
basées sur les divers motifs de consultation gynécologique
prévus par la profession et recensés par le Collège
National des Gynécologues et Obstétriciens Français.
Tableau I. Guide d'entretien
Composition du guide d'entretien
|
Illustrations
|
Consigne de départ
|
« J'aimerais que l'on parle
d'auto·gynécologie. Que pouvez-vous m'en dire ?
Qu'évoque pour vous l'auto·gynécologie ? »
|
Les thèmes du guide - relances seulement si
abordés spontanément :
-Le rapport à l'institution médicale
(expériences et perceptions)
-Le rapport à la gynécologie (différence
avec d'autres domaines de santé)
-Le savoir (expertise, connaissances ou expériences)
-La biographie auto-gynécologique (porte
d'entrée, pratiques, valeurs)
|
-Pensez-vous que ... de quelle manière ?
-Selon vous... ?
-A votre avis ... ?
-Que pouvez-vous me dire par rapport à ... ?
-Qu'évoque pour vous... ?
-Pouvez-vous développer au sujet de... ?
|
Passation d'un questionnaire pour identification
socio·démographique et informations supplémentaires
|
-Âge, niveau scolaire, profession, engagements
militants, caractéristiques et régularité du suivi,
grossesse, contraception, pathologie gynécologique
|
III. L'approche du terrain
de l'auto-gynécologie
A. Prise de contact et recrutement
La phase de recrutement s'est avérée complexe,
relativement aux particularités et spécificités de
l'auto-gynécologie. En effet, le phénomène de
l'auto-gynécologie n'a de réalité matérielle qu'en
certaines occasions particulières, comme par exemple lors
d'organisations d'ateliers ou de débats sur le sujet. Les personnes ou
collectifs intervenant lors de ces événements n'existent
que de manière ad hoc, et les associations organisant ces
événements ne sont pas directement impliquées dans
l'auto-gynécologie. En outre, l'ancrage virtuel de
l'auto-gynécologie, s'il permet à ce mouvement de se
développer en accord avec ses valeurs d'accès démocratique
au savoir, le rend difficile à appréhender en pratique.
Le recrutement des participantes a été
réalisé à travers deux méthodes. La première
méthode a consisté à intégrer des groupes sur les
réseaux sociaux spécialisés dans les sujets de
l'auto-gynécologie (DIY gynéco&co, gynécologie
naturelle) et de publier un appel à témoignages. La
deuxième méthode comprenait le contact par mail d'associations ou
collectifs engagés dans la promotion de la santé
gynécologique et susceptibles de promouvoir l'auto-gynécologie.
Pour chacune de ces approches, trois phases ont été
respectées ; la demande explicite de participation, suivie de la
demande de partage, puis dans un dernier temps la demande de suggestion
d'autres contacts - la méthode dite « boule de
neige ». Pour respecter la confidentialité des participantes
invitées à répondre à la recherche via Facebook,
une adresse mail a été créée (
temoignages.autogyn@gmail.com).
Cette méthode ne vise pas à recruter un
échantillon statistiquement représentatif, mais bien à
découvrir les caractéristiques de ce monde social sans en
présumer a priori.
B. Caractéristiques et rencontre de
la population
A l'instar du choix de l'outil méthodologique, le
recrutement de la population s'est fait en accord avec la visée
exploratoire de cette étude. Aucun critère
socio-démographique n'a été discriminé, exception
faite du lieu principal d'habitation ; pour pallier le biais que pourrait
constituer le manque d'accessibilité au système de soins dans la
pratique de l'auto-gynécologie, seules des femmes habitant des moyennes
à grandes villes ont été interrogées, soit dans des
conditions approximativement identiques d'accès aux soins.
Par ailleurs, les entretiens ont été
réalisés de deux manières différentes, en face
à face ou via un logiciel de communication audio et vidéo, Skype.
Ce choix a été motivé par deux raisons. La première
tient aux caractéristiques du terrain évoquées plus haut,
mal connu, difficile d'accès et potentiellement infiniment
étendu. Il s'est en effet avéré plus productif de recruter
des sujets qui ne pouvaient pas être rencontrés effectivement,
particulièrement au vu du mode de recrutement, lui-même virtuel.
La seconde motivation tient à la cohérence de la démarche
exploratoire de l'étude. Réaliser des entretiens virtuels a
permis d'élargir les critères géographiques de
l'étude, ainsi que de saisir des opportunités de diversifier les
profils rencontrés.
Résultats
Après avoir présenté dans un premier
temps les caractéristiques de l'échantillon interrogé (I),
il conviendra de s'attarder sur l'élaboration de la grille d'analyse
(II). Enfin, les principaux résultats seront abordés à
travers trois sous-parties pour répondre au mieux aux
problématiques de recherche (III).
I. Présentation de
l'échantillon
Au total, après six désistements, seize
personnes ont été interrogées. Exclusivement
composé de femmes cisgenres5(*), l'échantillon couvre une tranche d'âge
de 19 à 39 ans. Les participantes sont réparties sur neuf villes
françaises.
Au niveau gynécologique, seules quatre participantes
n'ont pas recours à la gynécologie institutionnalisée.
Treize sont nullipares, une a accouché et deux ont un projet actuel de
grossesse. Sur cinq participantes concernées par une pathologie
gynécologique, une seule est décrite comme non bénigne,
l'endométriose.
Enfin, quant au contexte de l'entretien, la moitié
(huit sur seize) a été interrogée via le logiciel Skype,
l'autre moitié a été rencontrée chez la
participante ou dans un espace de co-working. Ils auront duré de 35
minutes à 1h34, avec une moyenne d'1h08 par entretien.
Toutes les caractéristiques sociodémographiques
ainsi que les fiches signalétiques contenant les informations
complémentaires sont disponibles en annexesIII.1 et III.2.
II. Construction de la
grille d'analyse
Deux des seize entretiens n'ont pas pu être
réalisés dans des conditions normales de production (interruption
de l'entretien au milieu de la discussion et absence de volonté de
témoigner réalisée tardivement). Ne pouvant être
comparés aux autres, ils ont été écartés du
corpus de données analysées.
Conformément au choix
théorico-méthodologique de cette recherche, la constitution des
codes et catégories dérive de l'étude attentive des
données produites. Ainsi, un processus itératif de
familiarisation avec les données et de révisions du
système de catégories émergées a permis
l'élaboration d'une grille d'analyse. Cette grille a ensuite servi
à la catégorisation systématique des entretiens6(*).
Chaque entretien a
été l'objet d'un codage sur Atlas.ti, logiciel
d'étiquetage réflexif permettant les itérations
nécessaires au développement de la grille d'analyse, à la
catégorisation des données et à sa conceptualisation
(Lejeune, 2016).
A la suite de ce processus de construction des
catégories, sept thèmes se sont révélés
pertinents pour l'analyse systématique du corpus (voir tableau
II) ; le rapport à l'institution médicale rend compte des
perceptions, représentations, expériences de l'individu avec le
corps médical.Le rapport à la gynécologie comporte
également les expériences, perceptions et représentations
de l'individu de l'institution médicale gynécologique, ainsi que
les différences avec le reste des corps médicaux, et les
problématiques d'ordre gynécologique. Le rapport au soin rend
compte des pratiques et expériences de soins de l'individu, mais aussi
de son rapport à la santé et à la maladie. Le rapport au
savoir met en évidence la place du savoir, scientifique ou profane, dans
le discours, qu'il s'agisse de ses sources, de sa conception, des formes de sa
transmission. La catégorie du rapport à la communauté
auto-gynécologique comporte les liens avec le groupe des personnes
concernées par l'auto-gynécologie, ses apports, les
références et figures de l'auto-gynécologie. Le rapport au
corps et à l'intimité met en évidence la relation que les
participantes entretiennent avec elles-mêmes, avec leur
féminité, leur corps et en particulier la sphère
gynécologique. Enfin, la dernière catégorie, le rapport au
monde, comporte les valeurs, convictions, normes, croyances plus
générales des participantes, leur application et leurs liens avec
l'auto-gynécologie.
Tableau II. Les sept catégories
émergées de l'analyse thématique
LE RAPPORT A L'INSTITUTION MEDICALE
|
Perceptions, représentations,
expériences de l'individu avec le corps médical
|
LE RAPPORT A LA GYNECOLOGIE
|
Expériences, perceptions et
représentations de l'individu de l'institution médicale
gynécologique, différences avec le reste des corps
médicaux, et les problématiques d'ordre gynécologique
|
LE RAPPORT AU SOIN
|
Pratiques et expériences de soins de l'individu, rapport
à la santé et à la maladie
|
LE RAPPORT AU SAVOIR
|
Place du savoir, sources, conception, formes de sa
transmission
|
LE RAPPORT A LA COMMUNAUTE
AUTO-GYNECOLOGIQUE
|
Liens avec le groupe des personnes concernées par
l'auto-gynécologie, apports, références et figures de
l'auto-gynécologie
|
LE RAPPORT AU CORPS
|
Relation avec soi, sa féminité, son corps et en
particulier la sphère gynécologique
|
LE RAPPORT AU MONDE
|
Valeurs, convictions, normes, croyances, leur application et leur
lien avec l'auto-gynécologie
|
III. Présentation et
interprétation des résultats
Afin de répondre aux objectifs de recherche, il
conviendra de présenter l'analyse des résultats au sein de trois
parties. La première, directement issue de grille d'analyse, rendra
compte, à travers le regard des RS sur l'auto-gynécologie, du
rapport entre l'individu et le social (A). Le deuxième point explicitera
leur inscription dans le cadre psychologique et social préexistant (B).
Enfin, le dernier point sera centré autour des processus de formation
des RS, c'est-à-dire de la manière dont pénètre le
savoir gynécologique dans le sens commun des personnes concernées
(C). A noter que la séparation de ces parties ne tient qu'à une
facilitation de présentation des résultats, puisque leurs
contenus ne peuvent exister les uns sans les autres.
A. Le regard des RS sur
l'auto-gynécologie, les rapports de l'individu au social
Au-delà de la distribution d'opinions au sujet de
l'auto-gynécologie, l'analyse des résultats propose de
s'intéresser au rapport au monde des personnes concernées par
l'auto-gynécologie.Ainsi, la démarche inductive de l'analyse a
permis d'organiser l'ensemble du contenu des discours au sujet de
l'auto-gynécologie autour de sept thématiques, chacune traduisant
un rapport intra-individuel, inter-individuel, positionnel ou
idéologique au monde (voir figure 4). Pour chaque idée
développée seront présentés simultanément
des extraits, choisis pour leur typicité, ainsi que leur analyse et
interprétation.
1. UN RAPPORT A L'INSTITUTION MEDICALE
2. UN RAPPORT A LA GYNECOLOGIE
7. UN RAPPORT AU MONDE (SYSTEME DE VALEURS)
L'AUTO-GYNECOLOGIE, UN RAPPORT A L'ORDRE SOCIAL
3. UN RAPPORT AU SOIN
6. UN RAPPORT AU CORPS, A LA FEMINITE
ET A L'INTIMITE
4. UN RAPPORT AU SAVOIR
5. UN RAPPORT A LACOMMUNAUTE
AUTO-GYNECOLOGIQUE
Figure 4. L'auto-gynécologie comme rapport à
l'ordre social
1. Rapports à l'institution
médicale
Le rapport à l'institution médicale est un des
thèmes les plus présents dans le discours des sujets. Il ne
s'agit pas ici de décrire quelle relation chaque interrogée
entretient avec son médecin et quelles ont été les
expériences bonnes ou mauvaises avec l'institution
médicale ; l'intérêt se situe davantage dans le fait
de relever le rapport à l'institution médicale dans un discours
sur l'auto-gynécologie.
On retrouve ainsi différentes perceptions,
représentations et expériences avec le corps médical.De
manière significative, les interrogées abordent une
posture théorique critique face à l'institution
médicale. Elle est associée à un
« business » (Florence), à un outil de
« contrôle social » (Alice), ou au
« patriarcat » (Maud), dont les pratiques sont
teintées de sexisme, d'homophobie, de transphobie, d'infantilisation, de
jugements et de paternalisme. Les consultations sont trop expéditives,
manquent de bienveillance et de considération pour la personne
qu'est la patiente en dehors de ses pathologies. Le savoir
possédé par la ou le médecin est gardé jalousement
et est associé au pouvoir ; en ce sens, le fait de ne pas consulter
est vu comme une forme d'émancipation.
Par ailleurs, quant aux expériences vécues,
elles ne reflètent pas parfaitement les représentations de
l'institution médicale. Ainsi, les personnes interrogées
décrivent de bonnes relations médecin-patiente, et à
l'exception d'une participante (Prune), pas de réticence
particulière à la consultation.
2. Rapports à la
gynécologie
Ensuite, le rapport à la gynécologie nous
renseigne quant aux expériences, aux perceptions et
représentations de l'individu de l'institution médicale
gynécologique, mais aussi des différences avec le reste des corps
médicaux, et les problématiques d'ordre gynécologique.
D'une part, les discours relatent de mauvaises
expériences avec un·e gynécologue, à travers de la
brutalité (Lola, Eve, Prune, Magali), du sexisme, de l'homophobie, du
jugement (Florence, Melissa, Lola, Prune, Amandine), des erreurs de diagnostic
(Lola, Maud), une absence d'écoute et de respect des choix (Clara,
Charlotte, Magali, Morgane, Florence), du slut-shaming7(*) (Caroline), des
humiliations, de la psychophobie (Charlotte).
La représentation de la consultation
gynécologique est donc très négative ; en ce qu'elle
peut faire subir aux femmes, elle représente un danger potentiel. Avoir
un suivi gynécologique serait le fruit d'une pression normative, et peut
être remis en question. C'est ici que se trouve la différence avec
le reste de l'institution médicale, car la gynécologie est en
lien avec l'intimité, et place la patiente dans une position de
vulnérabilité plus qu'une autre spécialité.
D'autre part, le rapport à la gynécologie est
intéressant car il permet de déconstruire des idées
préconçues sur l'auto-gynécologie. En effet, à la
lueur des données, et malgré les mauvaises expériences et
perceptions de l'institution gynécologique, elle n'est pas une pratique
sanitaire qui s'exerce en dehors d'elle.En fait, plus qu'un renoncement ou un
non-recours à la gynécologie institutionnalisée,
l'auto-gynécologie permet de redéfinir la relation
médecin-patiente. Tant sur la forme que sur le fond : les
femmes interrogées expriment des attentes précises d'une
consultation gynécologique et de son déroulement, comme demander
la permission avant d'effectuer un acte,ne pas demander de se
déshabiller entièrement, prévenir avant d'effectuer un
acte, l'expliquer. Par ailleurs, la relation tend à être plus
horizontale, moins asymétrique, grâce à un
intérêt pour le savoir gynécologique, le recours à
plusieurs avis, afin de se sentir légitime pour finalement avoir le
choix ou même refuser. La ou le gynécologue est perçu non
plus comme l'unique référence ou l'unique recours en termes de
santé gynécologique, mais une possibilité, une aide
envisageable.
Alice : « Maintenant je me laisserais plus,
plus traiter pareil dans un entretien, quoi. Parce que, parce que je saurais
pourquoi j'y vais, [...] j'ai quand même besoin de la compétence
de l'autre, mais en tout cas si ça contredit mon propre ressenti et ma
propre analyse je crois que ça me questionnera, je vais peut-être
plus facilement remettre en question ce que dit le professionnel. Avant ouais,
je me serais plus sentie moi en doute, ah mince je comprends pas comment je
fonctionne. Moi il m'est pas arrivé des trucs de fou, mais par exemple,
juste, bah que, qu'on prévienne quand on introduit un spéculum
dans mon vagin, juste ça c'est le minimum, quoi ! Et qu'on m'explique ce
qu'on est en train de me faire. Juste maintenant je crois que j'arrive
à le demander, et dire maintenant je me sens pas très bien,
est-ce que vous pouvez m'avertir, enfin voilà. »
3. Rapports au soin
Le rapport au soin nous renseigne quant aux pratiques et
expériences de soins de l'individu, ainsi que sur son rapport à
la santé et à la maladie. Les pratiques et les
représentations des soins sont très variées selon les
participantes, qu'il s'agisse du recours à l'homéopathie,
à la gemmothérapie, à une médicamentation chimique,
aux antibiotiques ou à la phytothérapie. Malgré ces
variations dans les pratiques, on retrouve des perceptions communes avec une
valorisation des traitements naturels en théorie, mais un recours aux
traitements médicamenteux lorsque le problème rencontré
est « urgent », « grave »,
« douloureux », ou lorsqu'on ne peut « pas faire
autrement ». Pour la sphère gynécologique, le soin est
particulièrement tourné vers la promotion de la santé,
avec de l'auto-observation et surtout la capacité de
s'auto-diagnostiquer. Cela représente du
« self-care » (Charlotte), de la
« sérénité » (Magali), ou de
manière plus générale, une
« réappropriation de sa santé » (Florence).
On retrouve un schéma typique de soin
gynécologique autour de l'auto-observation (visuelle ou
tactile, régulière ou ponctuelle), l'auto-diagnostic (via des
échanges entre profanes ou par reproduction d'un diagnostic
déjà rencontré), et l'auto-soin (huiles essentielles,
huiles végétales, yaourt, vinaigre, ail, plantes...).
Le discours des participantes sur le recours aux soins est en
fait tourné autour du pouvoir que permet le savoir sur
sa santé. Il s'agit de savoir, de comprendre, pour avoir le choix sur la
manière d'envisager le soin, et ne pas se « donne[r]
l'entière responsabilité de [s]e soigner » (Clara), et
« connaître [s]es limites » d'autosoin (Alice). C'est
ainsi que s'expliquent les pratiques variées ; malgré les
choix différents que font les participantes face aux possibilités
de soin, leur point commun est d'être au courant de ce panel de choix et
d'être consciente d'en faire un.
Magali : « s'autonomiser c'est aussi pouvoir
dire non en fait, c'est aussi pouvoir... pouvoir savoir ce dont on a
besoin »
4. Rapports au savoir
Le rapport au savoir traite de la place du savoir, de ses
sources, de sa conception, de ses formes ainsi que de sa transmission. Il
s'agit d'une catégorie importante dans le discours des participantes,
qui est assimilée à une véritable pratique de
l'auto-gynécologie à part entière.
En effet, les fondements de l'auto-gynécologie semblent
résider dans le savoir autour de la gynécologie. Les
interrogées évoquent un réel intérêt, voire
une « passion » (Prune, Lola, Mélissa) pour la
gynécologie, l'anatomie, les cycles menstruels. Elles décrivent
une « réappropriation du savoir
gynécologique » (Charlotte, Amandine, Alice, Eve,
Clara, Magali, Maud, Mélissa) et regrettent un cruel manque
d'informations à ce sujet de manière générale. Ce
savoir est souvent décrit comme appartenant autrefois aux femmes
non-professionnelles, qui le transmettaient aux femmes de leur entourage. Cette
représentation du savoir gynécologique est alors associée
à la figure de la sage-femme, de la sorcière, de la
guérisseuse ancestrale, dont le savoir a été
récupéré par l'institution médicale.
Ces premières considérations sont
également liées à un pan important du savoir, le
savoir expérientiel. Être concernée,
ressentir, expérimenter un vécu apporte une
légitimité dans le savoir, que le ou la professionnelle de
santé ne peut pas remettre en question.
Eve : « C'est la réappropriation du
pouvoir. De son pouvoir. De la connaissance de soi, et de bah voilà on
gère, et on a pas besoin d'écouter quelqu'un extérieur
à soi qui, qui nous fait croire qu'il sait mieux que
nous. »
Caroline : « ouais puis `y a ce côté
aussi `fin c'est mon corps, je le vis tous les jours alors je veux bien que `y
ait des personnes qui connaissent un grand spectre des symptômes, qui ont
un savoir plus élargi, mais mon corps c'est quand même moi qui le
vis, quoi. »
Dans certains discours, cette légitimité à
savoir tend à un naturalisme et un essentialisme des capacités de
« la » femme à gérer la sphère
gynécologique.
Eve : « Moi j'ai vraiment cette confiance que
le corps de la femme est fait pour enfanter etc., et plus on lui laisse faire
sa vie tranquillement, à partir du moment où on laisse la femme,
où elle est détendue, où on lui fait confiance où
on l'encourage à se faire confiance, à s'écouter, et
euh... voilà quoi, le corps il a tout ce qu'il faut là où
il faut pour que ça fonctionne bien »
Les sources de savoir sont variées, sur un
continuum de profane à scientifique. Ainsi, des
participantes reconnaissent avoir recours à des livres de
médecines (Eve : « des bouquins de médecins, des
trucs un peu costauds quoi »), d'articles scientifiques (Lola :
« j'essaie de chercher en anglais, et puis j'essaie de passer par
Google Scholar et des sites un peu scientifiques des fois pour trouver vraiment
des articles »), de vulgarisation scientifique (Prune :
« Et après j'ai plein d'ouvrages de vulgarisation, sur la
gynéco, sur la contraception »), mais également
beaucoup d'échanges de conseils entre personnes concernées
(Charlotte : « l'échange, c'est vraiment pour moi une
encyclopédie, c'est mon Wikipédia à moi, [rires], `y a
toujours des gens plein de bon sens et plein de bons conseils »). Il
est intéressant de noter que les professionnel.les de santé
peuvent également constituer une source de savoir -ce qui n'est plus
tout à fait surprenant compte tenu de la collaboration possible
évoquée dans le rapport à la gynécologie. Ainsi,
poser des questions à sa gynécologue et échanger davantage
avec elle permet aussi de développer des connaissances en
gynécologie, et favorise donc la pratique de l'auto-gynécologie.
De même, la transmission du
savoirgynécologiquese développe autourdes
échanges et des conseils entre personnes concernées, dans des
groupes spécialisés (virtuels ou des ateliers ponctuels) ou entre
proches. Les femmes interrogées mettent l'accent sur l'importance de
transmettre ces savoirs aux plus jeunes, via l'éducation, et de le
démocratiser.
En définitive, le savoir est un élément
clé de l'auto-gynécologie, puisqu'il est compris comme
outil de pouvoir -face à sa santé, face à
son corps, face à l'institution médicale- et reconnu comme une
forme de « self-empowering » (Florence).
5. Rapports à la communauté
auto-gynécologique
Le rapport à la « communauté
auto-gynécologique », virtuelle au sein de groupes
consacrés, ou réelle à l'occasion de rencontres
ponctuelles, rend compte de ses apports et des liens entretenus avec elle,
ainsi que des figures de références évoquées.
Premièrement, certains noms de personnes ou de collectifs sont
systématiquement cités, comme les sitesGynandco et Paye ton
Gyneco, le collectif Gynepunk, la naturopathe et écrivaine Rina Nissim,
le médecin et écrivain Martin Winckler, ou
l'autodésignée alter-gynécologue PoussyDraama. Cela montre
qu'une certaine culture se construit autour de
l'auto-gynécologie, et que les bases de
références sont communes.
Deuxièmement, la communauté
auto-gynécologique constitue un ensemble d'apports pour les
interrogées. Elles évoquent ainsi un regard
déculpabilisant, de la bienveillance, du respect, une liberté de
parole, du réconfort, du soutien face aux pratiques abusives, une
solidarité voire une sororité, une démystification du
savoir gynécologique. En fait, les apports de la communauté
auto-gynécologique semblent se construire comme les
qualités faisant défaut à la gynécologie
institutionnalisée.
Charlotte : « tes choix sont pas remis en
question en fait, et tu trouves justement dans ces groupes
d'auto-gynécologie, on prend le package, quoi. On te prend tout entier
toute entière avec ce que tu es qui tu es avec tes aspirations tes
croyances ce que tu veux, ce que tu veux pas etc. Or en médecine tu
deviens un vagin, tu deviens une vulve, t'es pas toi »
Les liens avec cette communauté dépendent
principalement de la source de l'auto-gynécologie ; si la personne
concernée a découvert les pratiques de l'auto-gynécologie
et continue de s'instruire au sein de groupes consacrés, le lien avec la
communauté auto-gynécologique sera de toute évidence plus
fort qu'une personne qui fait vivre sa pratique de l'auto-gynécologie de
manière plus personnelle ou parmi des groupes de proches réunis
par autre chose que l'auto-gynécologie.
6. Rapports au corps, à
l'intimité et à la féminité
Le rapport au corps, à l'intimité, à la
féminité est une thématique particulièrement
importante pour les personnes interrogées. En effet, il semble
être la fonction même de l'auto-gynécologie :
renouer une relation positive avec soi (voir figure 5page 34).
De fait, bon nombre de participantes racontent pratiquer
l'auto-gynécologie alors qu'elles ne sont jamais malades, donc en dehors
de tout soin (Prune, Eve, Lola, Clara, Caroline, Amandine), ou pratiquer la
symptothermie en dehors de toute volonté contraceptive (Caroline, Prune,
Amandine, Florence). Ce qui peut sembler a priori incohérent trouve en
en fait son explication dans la dimension symbolique du
soin : prendre soin de soi, de son corps, y être attentive
et l'aider.
Le discours est construit autour de deux pôles
antagonistes, le positif et le négatif, l'amour de son corps et le rejet
de son corps. Ainsi, les participantes décrivent des relations parfois
problématiques avec leur corps, leur sexe ou leur
féminité, dues à des violences concrètes, comme des
violences sexuelles, ou des violences symboliques, comme le poids des normes et
des stéréotypes. Elles évoquent la difficulté
d'être une femme dans une société patriarcale, les
complexes, les tabous autour du corps, du sexe féminin. Ces
difficultés rencontrées sont combattues à travers une
démarche d'empowerment présente chez
l'ensemble des participantes, pour lesquelles il s'agit d'oser se regarder,
d'être curieuse de soi, de démystifier son corps et son sexe, de
ne plus être dans la culpabilité, la honte ou le dégout,
pour avoir confiance en soi et apprendre à se connaître et
à s'aimer.
Caroline : « Oui, par exemple les
auto-prélèvements, et... ouais les
auto-prélèvements, et pour les glaires, bah ça m'a permis
de mieux me connaitre, et aussi avoir moins honte de mon corps, de me dire en
fait c'est nat..., `fin de me le dire tous les jours c'est naturel, c'est
normal de le faire, c'est ton corps, c'est pour voir comment il fonctionne, au
fur et à mesure c'est rentré, pour contrer justement le «
ooh le sexe des femmes c'est sale », voilà »
Prune : « Euh, ça m'apporte un regard
bienveillant sur moi-même, une meilleure compréhension de mes
humeurs, des choses qui fluctuent, que je comprenais pas avant, vraiment. Donc
ça m'apporte ça, je sais pas si c'est une force, une
fierté, une fierté, ouais, je suis assez fière en
fait »
Ainsi, l'auto-gynécologie est une pratique qui permet
de mettre en application cette volonté d'instaurer une relation positive
à soi, au regard de ce qu'elle constitue une manière de prendre
soin de soi et particulièrement des parties les plus intimes de son
corps.
7. Rapports au monde
Enfin, la dernière catégorie, le rapport au
monde, nous renseigne sur les principes, les croyances, les convictions, les
normes des participantes, ainsi que leur application et lien avec
l'auto-gynécologie. Cette thématique est intéressante car
elle met en évidence l'ancrage de l'auto-gynécologie dans
d'autres valeurs plus larges. Aucune question du guide d'entretien
n'étant prévue à ce sujet, leur récurrence n'est
pas anodine.
Sur l'ensemble des discours des participantes
interrogées, la grande majorité (seules trois participantes ne
l'évoquent pas explicitement) est emprunte de
féminisme explicite. Les participantes évoquant
le féminisme indiquent qu'elles ont découvert
l'auto-gynécologie grâce à leur militantisme, et que cette
pratique leur permet de mettre en application leurs croyances et valeurs.
Maud : « Et puis peut-être le
côté féministe aussi de l'auto-gynécologie, `y avait
vachement ce côté féministe... moi c'est par ce
biais-là que je me suis sentie encore plus féministe, c'est
peut-être lié au fait que la gynécologie institutionnelle
ça marchait pas et qu'on savait pas grand-chose sur notre corps, «
ah, un truc du patriarcat ! » [rires]. C'est aussi le fait
d'être plus féministe qui me fait aller vers
l'automédication bizarrem', `fin... tu vois ? »
On retrouve également des valeurs
écologistes, et un intérêt pour
l'environnement chez la grande majorité des participantes (Eve,
Mélissa, Maud, Florence, Morgane, Lola, Caroline, Charlotte, Louise,
Amandine). L'auto-gynécologie est alors une alternative possible, une
pratique éthique en accord avec ces valeurs.
Mélissa : « on va se retrouver avec
plein de gros problèmes sanitaires mondiaux en Occident à cause
d'antibiotiques, et je pense que c'est une manière de contrôler un
peu mieux ce qu'on prend »
B.L'inscription des
représentations autour de l'auto-gynécologie dans des cadres
psychosociaux préexistants : la pensée et la pratique
Ces premiers résultats nous permettent
d'appréhender de manière plus concrète les
représentations de l'auto-gynécologie et leur inscription dans
d'autres cadres de références préexistants. Un
développement en est proposé à travers la figure 5, qui
matérialise la génèsede l'auto-gynécologie en
fonction de ses ancrages culturels.
Figure 5. Génèse et fonction de
l'auto-gynécologie
CULTURE + REPRESENTATIONS + EXPERIENCES =
OPERATIONNALISATION DE L'AUTO-GYNECOLOGIE
En définitive, la pratique de l'auto-gynécologie
naît d'une combinaison de l'expérience, en tant que rencontre
entre les dimensions sociales, interactives, cognitives, psychiques ou
émotionnelles du sujet, de sa culture et de ses représentations.
L'analyse des données fait état de facteurs déterminants,
le premier lié à des problématiques autour du
corps, de l'intimité et de la féminité, et le
deuxième lié aux ancrages dans des valeurs,
qu'il s'agisse de l'intérêt pour la nature, du féminisme,
et/ou de la remise en cause de l'institution médicale. Ainsi, en
fonction de la position d'une participante sur le continuum des valeurs
représenté par les bulles à gauche du schéma,
l'opérationnalisation de l'auto-gynécologie se retrouvera au
même endroit sur le continuum des représentations de
l'auto-gynécologie situé à droite du schéma.
Enfin, l'implication du sujet dans l'auto-gynécologie
est liée à sa fonction, qui vient nourrir et apporter une valence
positive à la relation à soi. Les différentes pratiques de
l'auto-gynécologie en fonction de leur inscription dans des
systèmes de valeurs, croyances et normes seront présentées
et développées à l'aide d'exemples.
L'auto-gynécologie, une
pratique cristallisée par un ancrage dans un système de
valeurs
Les représentations de l'auto-gynécologie
semblent se cristalliser autour de trois idées principales, qui peuvent
être liées et imbriquées entre elles ou non.
Caractérisées par une visée pratique, elles renvoient
chacune à une mise en application de l'auto-gynécologie
différente.
L'auto-gynécologie
comme pratique sanitaire alternative naturelle
La première représentation, autour des soins et
de la santé naturelle, est issue de représentations
préexistantes autour des valeurs du "naturel". Le discours des
participantes concernées par cette représentation se
développe autour d'une valorisation des médecines et traitements
alternatifs naturels, ainsi qu'une dévalorisation et d'un rejet des
médications traditionnelles chimiques. Les pratiques
d'auto-gynécologie, comme pour les soins dans d'autres domaines de
santé, se développent autour de soins naturels,
pour éviter d'avoir recours à des traitements
médicamenteux. Cette représentation se développe et
évolue autour de la
tension« naturel-artificiel ».
Maud : « les antibio ça finit par abimer
la flore intestinale, `fin ça fait pas trop le tri entre les bonnes et
les mauvaises bactéries quand ça attaque euh... du coup j'essaie
d'éviter au maximum les médicaments forts, quand je peux faire
autrement, je fais même les plantes euh... les huiles essentielles... des
trucs doux » ; « Euh... ça a été
jusqu'à me mettre une gousse d'ail dans le vagin, pour soigner une
mycose, [rires] »
Morgane : « Bah... pour faire simple, j'ai
quasiment jamais pris d'aspirine, de Spasfon, euh... en gros les
médicaments génériques je connais que de nom, les
antibiotiques je connais que de nom c'est... quand je suis malade, alors j'ai
jamais été très malade, genre j'ai fait des gastros quoi
ou des petits trucs classiques, mais généralement je suis malade,
`fin j'ai un rhume une fois par an en gros, et, et après ben quand je
suis enrhumée `fin je mets de l'huile essentielle de Ravinstara sur le
torse, et je prends des capsules à l'origan, je dors beaucoup, et puis
euh... alors c'est sûr que ça met trois, quatre jours contre un ou
deux jours pour des médocs plus costauds, mais je sais que j'ai pas de
répercussion sur le foie, sur l'état général quoi,
je préfère ça. » ; « Donc
ouais j'essaie aussi de faire ça de manière naturelle, quand...
pour tout mon corps. » ; « j'avais des rapports
avec mon mec après quand ça me brûlait je mettais de
l'huile de nigelle, bien efficace. Euh j'utilisais l'huile de coco comme
lubrifiant, après j'ai eu, à un moment j'avais eu je sais plus un
petit bouton je sais plus ce que c'était, genre une petite verrue, enfin
je sais pas si c'était vraiment une verrue, enfin bon j'avais un bouton
quoi sur les grandes lèvres il me semble, et je sais plus ce que j'avais
mis dessus... mais il me semble que c'était une huile à
appliquer... »
Eve : « c'est être à l'écoute
de cette partie-là du corps ou de ce qu'elle peut avoir à dire,
c'est de faire des choix qui ne vont pas contre sa nature, je dirais,
c'est-à-dire que par exemple pendant un moment, j'ai pris la pilule, et
puis je me suis vite rendue compte que ça n'allait pas du tout, donc
j'ai arrêté ça, donc pas de molécules
chimiques » ; « Quand je sais pas comment faire au
naturel, ou quand je suis pressée, ou quoi, il m'arrive de prendre de la
chimie, mais c'est rare. Mais j'ai été élevée aussi
dans un contexte de famille qui utilise quasiment pas de médicaments, et
on fait par soi-même, ouais. »
L'auto-gynécologie
comme outil militant féministe
En outre, l'auto-gynécologie peut également
être considérée et appréhendée comme un outil
de militantisme, issu des valeurs féministes des participantes. La
découverte de l'auto-gynécologie s'est faite grâce à
des milieux féministes, sa pratique est vécue comme une
mise en application des valeurs et revendications, et elle
vient ainsi nourrir dans une dynamique réciproque le
féminisme.Les pratiques liées à l'auto-gynécologie
comme outil militant, contrairement à sa conception comme pratique
sanitaire, sont davantage abstraites et théoriques. Plus que de prendre
soin de sa santé et de lutter contre la maladie, elles se situent
davantage autour de la réflexion, du soutien des pairs, de la
dénonciation et de la revendication. Ici, la dichotomie à
élucider semble être le rapport
« soumission-émancipation ».
Miléna : « Donc j'ai commencé
à lire des choses, sur la pilule, sur les règles, et puis
ensuite, j'ai trouvé les groupes Facebook qui parlaient de ça
plus précisément, d'abord c'était plutôt les groupes
féministes, et après plus les groupes axés vraiment
gynécologie » ;
« Et c'est particulier la gynécologie, parce
que c'est quelque chose qui est spécifique, je pense que
déjà on y connaît encore moins de choses, qu'il y a encore
un tabou dessus, et puis c'est spécifique aux femmes, ou en tout cas aux
personnes qui ont des utérus quoi, et c'est un moyen de domination comme
un autre, de garder le pouvoir sur le corps des femmes, et
voilà » ;
« alors pour moi y a un énorme pouvoir qui
oppresse les femmes là-dessus quoi, `fin quand je dis les femmes, je dis
les personnes avec utérus, et ouais, je suis pas encore hyper au point
là-dessus. Mais... voilà, `fin c'est un truc qui au quotidien, je
sais que moi je veux faire ça dans ma vie quoi, dans tous les cas
même si je deviens pas, `fin j'ai pas fait d'études de
médecines, peut-être que je travaillerai pas au planning, je sais
pas comment va se dérouler ma vie, mais dans tous les cas je ferai au
moins une permanence, une fois par semaine, et je pense y aura des personnes,
et on parlera et je dirai ce que je sais moi et on partagera nos
savoirs »
Caroline : « Toutes les alternatives, nature,
tout ça... j'ai aussi d'autres valeurs qui sont importantes à ce
niveau-là, comme mon féminisme... » (exemple
militantisme + nature) ;
« Oui pour moi en fait ça a été
les deux, ça a été le féminisme qui a
apporté l'auto-gynécologie, parce que bah ça a
été le féminisme qui m'a fait connaître Gynandco,
ça a été quand j'ai commencé à rentrer dans
la réflexion féministe, que je suis allée sur un lien de
Gynandco, et euh du coup ouais, l'évolution entre les deux correspond,
j'essaie d'être plus indépendante, j'essaie de ne pas culpabiliser
de mon corps, j'ai moins, j'ai pas honte de mon corps. Ça a
été, ouais, auto-gynécologie et féminisme, pour moi
ça se complète »
Léna : « On est dans une
société tellement sexiste que... Je pense que je suis
tombée sur des... des `fin sur le groupe ou sur des articles qui
traitent de l'auto-gynécologie j'ai trouvé ça vraiment
intéressant, que les femmes elles puissent, `fin se soigner
elles-mêmes, et justement pas avoir, à passer `fin à
être obligées d'aller chez des médecins qui vont
éventuellement être sexistes etc. et c'est peut-être aussi
reprendre contrôle de son corps, je trouve que c'est vraiment militant,
voilà »
L'auto-gynécologie
comme remise en question de l'institution médicale
Enfin, une troisième conception de
l'auto-gynécologie se développe autour de la remise en cause de
l'institution médicale et se construit comme moyen
d'accéder à l'autonomie. Dans le discours des
participantes, cette représentation s'articule autour d'une
méfiance face à la figure toute-puissante du médecin et
à son savoir unique, une redistribution des rôles
médecin-patient·e pour tendre à plus d'horizontalité.
De plus, l'évocation de vécus directs ou indirects de violences
ou maltraitances médicales influence également la conception et
la pratique de l'auto-gynécologie, amenant quelques fois jusqu'au
renoncement au recours à la gynécologie
institutionnalisée. De ces appréhensions découlent une
pratique de l'auto-gynécologie en parfaite autonomie, pour se
libérer de la consultation, ou une pratique en collaboration avec la ou
le professionnel de santé, pour se réapproprier la consultation.
Là encore, la représentation se développe autour d'un
duel, « actif-passif ».
Prune : « je dirais l'auto-gynécologie
c'est une façon de... de bien connaître son corps, d'être
active finalement sur... alors, si on utilise l'auto-gynécologie comme
un moyen de contraception, pour moi c'est vraiment un moyen d'être
très active, de contrôler. »
Florence : « Bah pour moi c'est le fait de
reprendre mon pouvoir dans la mesure où je considère que euh...
aujourd'hui, enfin... l'humain en général, en particulier
aujourd'hui et en plus en particulier les femmes, on a tendance à s'en
remettre à quelqu'un d'autre pour plein de choses, et à pas
assumer nos propres responsabilités dans plein de
domaines »
Eve : « gérer soi-même cette
relation, et savoir si de temps en temps il y a un truc qui, qui déconne
ou quoi, savoir être à même, en fait, de, de, de
répondre soi-même à ça, sans avoir besoin d'aide
extérieure. »
Melissa : « Pour moi ça évoque le
fait de, de reprendre un pouvoir de connaissances, c'est de, de pas toujours
être dans une position où on est toujours complètement
dépendant du corps médical, ouais, c'est de pouvoir se soigner
soi-même »
Maud : « Euh ouais ! `fin d'arriver à me
diagnostiquer ce qui nous gêne ou ce qu'on veut améliorer, sans
l'avis d'un médecin extérieur... euh euh, et savoir quelle
réponse on donne à ça, sans l'avis de UNE personne
référente enfin on peut avoir l'avis même de plusieurs
personnes référentes mais on se fait un jugement, à la fin
on tranche soi-même »
Alice : « Et que le but, c'est, pour moi, de
l'auto-gynéco, c'est plus de s'approprier des trucs, et de
connaître ses limites, et en fait les limites moi j'en ai plein, j'ai
juste la mycose où je gère à peu près parce que je
sais ce qui m'arrive, mais voilà c'est aussi le truc de si un jour c'est
un peu différent, je saurai aller dire ce que je veux, dans un entretien
gynécologique, et je pourrais poser mes limites, et aussi j'aurais
analysé c'est quoi un bon entretien gynéco »
Charlotte : « Je dirais aussi que ces groupes
d'auto-gynécologie sont un vrai soutien, pour moi, qui me permet de
mettre peut-être de côté tu vois certaines... approches,
certaines pratiques »
Amandine : « C'est un peu beaucoup
d'énergie vu que je vais pas mal chez le médecin en ce moment
pour d'autres trucs, j'en peux plus. Autant le faire moi-même
quoi »
C. Interprétation au
regard des mécanismes d'ancrage et d'objectivation
Comme présenté lors de la partie
théorique, les mécanismes d'ancrage et d'objectivation servent
à expliciter le processus de formation d'une représentation
sociale. Ici, leur analyse permet de répondre à un des
questionnements principaux de cette étude, l'instrumentalisation et la
transformation du savoir gynécologique dans le sens commun qui permet la
pratique de l'auto-gynécologie. Comment le savoir gynécologique
devient-il auto-gynécologie ? De quelles manières l'ancrage
et l'objectivation permettent l'intégration du savoir
gynécologique ?
L'interprétation des résultats au regard de ces
deux mécanismes ont mis en lumière trois manières
d'objectiver et d'ancrer le savoir scientifique autour de la
gynécologie. Il conviendra de les présenter et de les illustrer
à l'aide de schémas.
1. Le savoir
gynécologique représenté autour de la consultation
gynécologique ; un protocole observation-diagnostic-soin, et une
figure experte
En premier lieu, le savoir gynécologique est mis en
parallèle avec la consultation gynécologique. Il semble
s'objectiver et s'ancrer d'une part autour de la figure
experte et d'autre part autour du protocole
thérapeutique. L'objectivation s'opère autour de figures
sélectionnées et décontextualisées comme le
spéculum ou la figure savante, et l'ancrage intervient alors
respectivement en faisant le lien avec les significations associées au
protocole thérapeutique observation-diagnostic-soin (voir figure 6).
Amandine : « ça m'évoque des
spéculums pour faire des... Ouais, de l'autoexamen, j'allais dire auto
consultation » ;
« [l'auto-gynécologie peut être
adaptée à toute les situations], oui, mais si tu connais des gens
vraiment assez informés sur le sujet »
On retrouve ici l'image du spéculum et de l'examen de
consultation, ainsi que la présence d'un·eexpert·e, qui n'est
pas nécessairement un·e gynécologue, dans la deuxième
citation.
Deux constats peuvent ainsi être faits dans
l'opérationnalisation de l'auto-gynécologie. Premièrement,
sa pratique est donc une sorte de reproduction, matérielle ou
symbolique, de la consultation sur la base des trois étapes
d'observation de diagnostic et de soin. Ensuite, elle se construit dans un
rapport à l'autre, reconnu comme détenteur de
savoir. Cet autre, figure savante,peut être une personne
concernée, mais aussi une personne professionnelle. Dans ce cas, la
consultation est alors envisagée comme une collaboration en dehors de la
relation asymétrique traditionnelle rejetée.
Caroline : « la première sage-femme qui
nous mettait à disposition un miroir, pour qu'on puisse, `fin du mieux
possible quoi, pour voir en même temps ce qu'elle, ce que elleelle
pouvait voir, nous expliquer ce qui allait se passer, donc `fin pour l'instant
ça a été un peu, `y a certaines choses ça a
été l'auto-gynécologie accompagnée »
Figure 6. L'ancrage et l'objectivation du savoir
gynécologique autour de la consultation gynécologique
2. Le savoir
gynécologique comme attention portée à l'appareil
génital féminin.
Par ailleurs, le savoir gynécologique semble
pénétrer le sens commun des femmes concernées par
l'auto-gynécologie en se construisant autour de l'appareil
génital féminin. Il est objectivé sous l'image du
vagin et de la vulve, se trouvant ainsi décontextualisé
des facteurs de risques, des pathologies, des liens entre les organes de
l'appareil génital. L'ancrage se fait alors autour des valeurs
antinomiquesassociées au sexe féminin, le tabou, le
caché, l'intime, la honte, l'inconnu, l'interdit en opposition à
ce qu'il faut assumer, voir, autoriser, jouir, revendiquer (voir figure 7).
Caroline : « Oui, par exemple les
auto-prélèvements, et... ouais les
auto-prélèvements, et pour les glaires, bah ça m'a permis
de mieux me connaitre, et aussi avoir moins honte de mon corps, de me dire en
fait c'est nat..., `fin de me le dire tous les jours c'est naturel, c'est
normal de le faire, c'est ton corps, c'est pour voir comment il fonctionne, au
fur et à mesure c'est rentré, pour contrer justement le «
ooh le sexe des femmes c'est sale », voilà »
Alice : « ça a plus ou moins un rapport
avec l'auto-gynéco, mais un peu, j`avais trop envie de faire une
exposition de... de vulves en fait, mais des nôtres ! et qu'on s'auto
prenne en photo, de faire des autoportraits de vulves, parce que je me suis
rendue compte déjà qu'on était un peu, qu'on avait toutes
un peu honte, déjà, de notre sexe, on l'avait jamais trop
regardé, voilà pour moi c'était un peu ça, ce truc
d'oser se regarder, oser se prendre en photo, oser l'exposer
aussi »
Ici, l'opérationnalisation de l'auto-gynécologie
se fait dans la nouvelle relation construite avec son sexe, de
manière matérielle ou symbolique. Il semble par ailleurs
intéressant de relever que cette manière de former une
représentation de l'objet scientifique rappelle la fonction de
l'auto-gynécologie explicitée à travers la figure5 p 34.
Ici, la représentation du savoir gynécologique autour du sexe
féminin permet de tisser cette nouvelle relation à soi et
à son corps.
Eve : « c'est aussi avoir un rapport à
soi dans la non culpabilité plaisir, donc c'est voilà, c'est
lâcher de ce côté-là, et s'autoriser à bah
à se masturber, et à être ok avec ça, voilà,
par exemple »
Figure 7. L'ancrage et l'objectivation du savoir
gynécologique autour de l'appareil génital féminin
3. Le savoir
gynécologique comme sagesse populaire féminine
Enfin, le savoir gynécologique est
représenté comme un savoir autrefois
possédé et transmis entre femmes, volé ensuite
par l'institution médicale. L'objectivation de ce savoir se
matérialise à travers des figures de femmes savantes comme la
guérisseuse, la sorcière ou la sage-femme au Moyen-Âge.
Magali : « y avait l'utilisation des plantes, y
avait aussi, plus une transmission, de, mettons la guérisseuse ou la
sorcière comme on peut dire, qui existe plus, en fait. »
Mélissa : « c'est un savoir en fait, qui
avant était détenu par les sages-femmes, les sorcières
quoi, et qu'on a perdu »
L'ancrage se fait quant à lui dans la
légitimation à savoir, et à se servir de
ce savoir. Le savoir gynécologique est la propriété des
femmes et des profanes, donc en tant que profane mais en tant que femme, je
deviens experte. Les conclusions tirées de cette intégration du
savoir gynécologique dans le sens commun se rassemblent autour de cet
adage : qui mieux que moi peut me connaître et connaître mes
besoins ?
Charlotte : « Je trouve que dans les
avancées scientifiques et médicales, on est arrivé.es
où c'était vachement bien [...] ça a facilité la
vie à plein de gens c'est super chouette, je dirais que du coup la
contrepartie de ces avancées, c'est qu'on s'est un petit peu perdu.es
sur euh... nos connaissances profondes, et je trouve que, alors, c'est un
discours un peu ciscentré, mais sur la connaissance de la femme qui peut
mieux maitriser le savoir de la femme, que des femmes ? »
En pratique, l'auto-gynécologie née de cette
représentation du savoir gynécologique se matérialise
à travers un intérêt pour le savoir
gynécologique comme une fin en soi, et une volonté de
transmission entre profanes.
Figure 8. L'ancrage et l'objectivation du savoir
gynécologique comme sagesse populaire féminine
Discussion
Synthèse et liens
entre les résultats
Une compétence des
patientes
Ces différents résultats permettent d'apporter
des éléments de réponses quant aux interrogations sur
l'auto-gynécologie.Premièrement, en tant que comportement de
santé, elle se dessine sur un continuum de l'auto-observation-au sens
d'attention portée à sa santé gynécologique-
à l'auto-soin -au sens de traitement face à un symptôme.
Ces compétences sont le fruit de savoirs théorique et
expérientiel, développés et transmis entre personnes
concernées, et conservés au sein de la communauté
auto-gynécologique.
Une mise en pratique de la
théorie
Il s'agit d'une pratique sociale qui, comme l'écrit
Abric, ne peut exister que parce qu'elle s'ancre dans un système de
valeurs, de normes et de croyances préexistant. Ainsi, la pratique de
l'auto-gynécologie s'inscrit dans trois cadres principaux, la
valorisation du soin naturel, le militantisme féministe et la remise en
question de l'institution médicale. Ces représentations guident
et orientent la pratique auto-gynécologique, qui devient une
façon de se soigner naturellement, de mettre en application une forme
d'émancipation et d'être active de sa santé. Elles se
développent autour de couples d'idées antinomiques qui ne sont
pas sans rappeler le concept de thémâta de Moscovici et Vignaux
(1994). On retrouve ainsi les dichotomies naturel/artificiel,
émancipation/soumission et passif/actif, qui nous renseignent sur la
genèse et l'évolution des connaissances autour de
l'auto-gynécologie.
Une instrumentalisation du
savoir scientifique gynécologique
L'auto-gynécologie, c'est
aussi une forme d'intégration du savoir scientifique
gynécologique, afin de s'en servir. Les mécanismes d'ancrage et
d'objectivation de Moscovici ont mis en lumière les façons dont
pénétrait ce savoir gynécologique dans le sens commun,
principalement autour de trois voies différentes ; autour de la
consultation gynécologique, avec une reproduction du protocole de soin
et une relation à une figure experte ; autour de l'attention
portée à l'appareil génital féminin, avec une
démarche d'empowerment ; autour de la sagesse
féminine populaire, avec des figures de sorcières et de
guérisseuses, et la légitimité de l'expertise en tant que
femme profane.
Un rapport à l'ordre
social établi
Au-delà de la distribution d'opinions et de
l'état des lieux des différentes pratiques à propos de
l'auto-gynécologie, le regard des RS nous proposent d'analyser ce que
nous disent ces représentations du rapport au monde, comme le
relève Herzlich, que l'on peut classer avec les quatre niveaux d'analyse
de Doise (1982).Dans un premier temps, au niveau intra-individuel, qui
s'intéresse à la perception et à l'organisation des
expériences de l'individu en dehors des interactions,
l'auto-gynécologie fait état d'un certain rapport au corps,
à l'intimité et à la féminité. On y retrouve
l'importance de la dimension symbolique du soin afin de développer une
relation positive à soi et à son corps, face aux agressions
extérieures.
Au niveau inter-individuel, qui s'appuie sur la dynamique des
relations entre les individus en dehors de leurs positions dans la
société, l'auto-gynécologie met en évidence un lien
avec la communauté auto-gynécologique. Cette dernière
connaît une série de qualités qui viennent palier les
défauts de l'institution médicale.
Troisièmement, le niveau positionnel s'intéresse
quant à lui au statut et à la position des individus en
interaction. Dans le domaine de l'auto-gynécologie, le rapport à
l'institution médicale et à la l'institution
gynécologique, qui expose une posture critique face aux
professionnel·le·s de santé, s'inscrit dans ce niveau
d'analyse.
Enfin, le niveau représentationnel ou
idéologique rend compte d'une vision plus globale, à propos des
croyances et valeurs plus générales de l'individu. Au sein de
l'auto-gynécologie, il se retrouve à travers trois points ;
le rapport au soin, qui met en lumière les représentations de la
santé et de la maladie ainsi que les croyances autour des soins ;
le rapport au savoir, qui présente son importance pour les individus, sa
place au sein de la communauté auto-gynécologique et sa
représentation ; le rapport au monde, qui fait état des
systèmes de valeurs, normes et croyances plus
générales.
En définitive, l'auto-gynécologie nous renseigne
donc sur un certain rapport au monde, et tend à se présenter
comme une forme d'émancipation de l'ordre social
établi.
Retours et ouvertures sur
la théorie
Bien que le phénomène de
l'auto-gynécologie soit un objet peu exploré, d'autres concepts
théoriques peuvent être mis en lien avec la présente
étude. Il s'agira notamment de la situer au regard de
l'automédication, de la diffusion du savoir sur internet, et de
l'empowerment.
L'auto-gynécologie,
une forme d'automédication
Premièrement, l'auto-gynécologie peut être
appréhendée au regard de l'automédication -ce que
rappellent d'ailleurs la majorité des personnes interrogées.Dans
son ouvrage l'automédication ou les mirages de l'autonomie,
Fainzang (2012) définit ce concept comme l'attitude qui consiste
à faire, devant la perception d'un trouble de santé, un
auto-diagnostic et à se traiter sans avis médical. D'après
une enquête CSA-CECOP de 2006, 55% des personnes interrogées
voient l'automédication comme une gestion autonome de sa santé,
qui serait un moyen d'éviter de passer par la médiation
d'un·epraticien·ne ou de s'émanciper de son autorité.
Les résultats de son étude montrent quatre modèles de
raisons et raisonnements de l'automédication ; on retrouve le
modèle empirique, où face à des symptômes familiers,
l'individu répète le diagnostic professionnel, le modèle
moral, où le rapport intime au corps (comme des hémorroïdes
ou de l'herpès) entraine une préférence pour un auto-soin,
le modèle substitutif, où l'automédication se
présente comme un choix défensif face à des consultations
infructueuses ou décevantes, et le modèle cognitif, où le
symptôme va être non reconnu par les médecins,
interprété ou connu personnellement par le sujet.
L'auto-gynécologie peut tout à fait être
appréhendée à travers ces quatre modèles,
puisqu'elle relève d'un rapport au corps et à l'intime, à
l'institution gynécologique et au soin. Alors que Fainzangfait
état d'un « mirage de l'autonomie » dans le
système de santé, qui serait confondue avec un simple
consentement et donc réduite au choix d'accepter ou non un traitement,
l'automédication, et ici l'auto-gynécologie, se présentent
comme des phénomènes traduisant une contestation de
l'autorité médicale mais aussi et surtout de la compétence
médicale. Ils conduisent inévitablement à repenser le
rôle des (non-)patient·e·s et à envisager un
développement des partenariats de soin.
Internet, outil
privilégié de diffusion du savoir auto-gynécologique
Cité comme principale source d'informations et de
savoir, le média Internet occupe une place stratégique dans
l'auto-gynécologie. La diffusion du savoir autour de la santé sur
Internet permet une forme de réappropriation des connaissances et de
l'expertise par les profanes ;
« Cet outil contribue à libérer le
patient de la domination biomédicale, parce qu'il démocratise
l'accès au savoir, permet l'émergence d'une expertise
individuelle et collective et surtout basée sur un savoir
expérientiel, différente de celles des cliniciens, et l'ouvre
à des modalités alternatives de soins favorisant
l'empowerment des individus à l'égard de leur
santé»
Thoër et al.,2008, p. 39
Les personnes concernées par l'auto-gynécologie
semblent en effet utiliser Internet comme outil de démocratisation du
savoir. Son utilisation recouvre des pratiques variées, comme le suivi
ou la publication sur des groupes spécialisés sur les
réseaux sociaux, la consultation de sites scientifiques médicaux
ou vulgarisés, de promotion de la santé ou de recommandations.
Ces sources sont diversifiées afin de pouvoir permettre un cumul et une
confrontation des informations pour se donner la possibilité -ou le
pouvoir- de critiquer et de choisir.
L'auto-gynécologie
à l'aune de l'empowerment
De plus, les résultats de cette étude ne sont
pas sans rappeler l'approche de l'empowermentdeNinacs (2008),
processus par lequel les individus et les collectivités
acquièrent la capacité d'exercer un pouvoir, état d'avoir
la capacité de l'exercer et de façon autonome. Il propose
plusieurs instances d'empowerment, individuel, organisationnel et
communautaire, liées et interdépendantes. L'empowerment
individuel est caractérisé par la participation,
c'est-à-dire les droits de parole, de consentement, les
compétences, acquisition progressive et connaissances, habiletés
techniques et pratiques, l'estime de soi ainsi que la conscience critique,
collective, sociale et politique (voir figure 9). Ces aspects sont
également interdépendants, et sont la condition à
l'émergence de l'empowerment communautaire.
COMPETENCES
Connaissances et habiletés pratiques, techniques
requises
PARTICIPATION
Assistance, droit de parole, droit d'être entendu·e,
droit décisionnel
CONSCIENCE CRITIQUE
Conscience individuelle, collective, sociale, politique
ESTIME DE SOI
Amour de soi (légitimité), vision de soi
(compétences), confiance en soi (reconnaissance)
Figure 9. Les caractéristiques de
l'empowerment individuel selon Ninacs, 2008
Ces quatre caractéristiques se retrouvent dans le
phénomène de l'auto-gynécologie ; ainsi, dans une
démarched'interventions en promotion de la santé pourrait
être envisagéel'application du modèle de Ninacs, notamment
pour approfondir l'empowerment communautaire. Il permettrait
d'imaginer de nouvelles perspectives de coopérations en santé
gynécologique.
Limites
Malgré l'attention portée à la
réalisation de cette recherche, certains points auraient permis d'en
améliorer la qualité. D'une part, il aurait été
intéressant de profiter des perspectives de la triangulation, comme le
rappellent la théorie des représentations sociales et notamment
l'approche socio-génétique. Au-delà d'une
vérification empirique de validité, la triangulation se propose
comme véritable « stratégie alternative de
recherche pour fonder une démarche épistémologique et
empirique contextualisée dans les études en
psychologie » (Apostolidis, 2005, p.17). Ainsi, il aurait
été intéressant de mettre en place d'autres
méthodologies de recueil de données et d'envisager des
outils interdisciplinaires ; l'analyse de presse, l'analyse d'un corpus
documentaire ou la méthode de l'observationlors d'un atelier
auto-gynécologique permettraient de s'intéresser à
l'évolution de la pensée sociale autour de
l'auto-gynécologie, ainsi que de se saisir davantage du rôle de la
communication sociale, essentiel dans la théorie des RS.
D'autre part, outre l'intérêt de la triangulation
pour le perfectionnement de l'étude de l'auto-gynécologie en tant
que phénomène social, cette recherche aurait pu être
améliorée au sein de deux points. Premièrement, il est
à noter que le recrutement des participantes s'est principalement fait
au travers de groupes ou pages Facebook consacrées. Or, l'implication
dans des mouvements d'auto-gynécologie sur les réseaux sociaux
témoigne déjà d'un intérêt et d'un
investissement particuliers. Il est possible d'imaginer une pratique de
l'auto-gynécologie plus personnelle et moins militante, en dehors de ces
réseaux explorés. Par ailleurs, les conditions de
réalisation des entretiens n'ont pas été les
mêmes ; en dehors du fantasme de neutralité et de parfaite
reproduction du contexte entre les différents entretiens, ils ont ici
été réalisés via deux canaux, Skype ou en face
à face. Cela n'a semble-t-il pas impactéle fond du discours des
interrogées, mais une particularité naît quant à la
forme, puisque les entretiens réalisés virtuellement ont
duré en moyenne plus longtemps que les autres, et les participantes ont
évoqué plus aisément des sujets parfois très
sensibles.
Conclusion
En définitive, cette recherche sur
l'auto-gynécologie s'est proposée de se pencher sur la pratique
sanitaire de l'auto-gynécologie grâce au regard holiste des
représentations sociales. Ce dernier a permis de mettre en
lumière les manières dont pénètre le savoir
gynécologique dans le sens commun, les façons sont se
mêlent pratiques de l'auto-gynécologie et pensée sociale
autour de la santé, du féminisme ou de l'institution
médicale. Au-delà de la finalité sanitaire, le
comportement auto-gynécologique, en ce qu'il représente une
émancipation de l'ordre social établi, nous renseigne sur un
rapport au monde.
Ces différents éléments nous permettent
de proposer une définition de l'auto-gynécologie. Il s'agit d'une
pratique sanitaire qui consiste à promouvoir la santé
gynécologique de manière plus naturelle, plus active et
émancipée. Au-delà de la dimension de la santé,
cette pratique trouve sa pérennité dans sa fonction de nourrir
une relation à soi positive.
Par ailleurs, le phénomène de
l'auto-gynécologie semble traduire un malaise dans la relation
médecin-patient·e et propose d'élargir les perspectives de
coopérations en santé gynécologique. Démarche
d'empowerment et pratique d'auto-gestion, il redéfinit le
rôle des patientes et ouvre la voie à la reconnaissance de leur
parole et de leurs compétences. Ces considérations invitent
à réfléchir, au-delà des constatations empiriques,
aux possibilités de mise en application de ces compétences ;
comment imaginer un partenariat de soin, nécessaire à
l'évolution vers une réelle démocratie sanitaire ?
Comment valoriser la réflexivité, essentielle dans un
modèle de promotion de la santé pensé comme un ensemble de
coopérations entre personnes capables de réfléchir et
disposant de leur libre arbitre (Jouet, Las Vergnas& Noël-Hureaux,
2014) ?
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Marková, I., Duveen, G., & Rose, D. (1999). Theory and Method of
Social Representations. Asian Journal of Social Psychology,
2.
Résumé
Phénomène sanitaire peu exploré,
l'auto-gynécologie présente des enjeux certains pour la
psychologie sociale de la santé. A l'heure du paradigme de la
démocratie sanitaire et des actualités controverses qui
traversent l'institution gynécologique, cette pratique impose la
reconnaissance du savoir et des compétences des patientes. Cette
recherche se propose, grâce au regard holiste et situé des
représentations sociales, de découvrir cette pratique sociale
multi-déterminée et pluri-raisonnable. L'analyse de seize
entretiens individuels met alors en lumière la façon dont se
développe l'auto-gynécologie comme intégration du savoir
scientifique gynécologique, mise en application d'un système de
croyances et valeurs préexistant, et outil symbolique de
l'émancipation de l'ordre social établi.
Mots-clés :
auto-gynécologie ; phénomène social de
santé ; expertise profane ; représentations sociales
Abstract
Self-gynaecology, as an unknown health practice,presents
specific issues for social health psychology. Considering the paradigmatic
change to sanitary democracy and the actual controversies about gynaecologist
practices, self-gynaecology requires the recognition of the patients' knowledge
and expertise. Thanks to the social representations theory, this research
discusses this multidetermined phenomenon in a holist and contextualized way.
The analysis of sixteen interviews brings to light the way self-gynaecology is
developing, by integrating scientific gynaecologist knowledge, applying a
beliefs and values system, and allowing a symbolic emancipation of the existing
social order.
Key-words: self-gynaecology ; social health
phenomenon ; lay-experts ; social representations
Resumen
Fenómeno sanitario poco estudiado, el
autoginecología tiene un claro interés para la psicología
social de la salud. En la era de la democracia sanitaria y en vista de las
controversias actuales sobre la ginecología, esa práctica
requiere el reconocimiento del saber y de las competencias de las pacientes.
Ese estudio propone, gracias a la perspectiva holística de la
teoría de las representaciones sociales, una investigación de
esapráctica multifactorial. El análisis de dieciséis
entrevistas individuales pone de relieve cómo se desarrolla el
autoginecología como integración del saber científico
ginecológico, aplicación de un sistema de creencias y valores
preexistente e instrumento simbólico de la emancipación del orden
social existente.
Palabras clave: autoginecología;
fenómeno social sanitaria ; conocimiento profano ; representaciones
sociales
* 1 Les règles
d'écriture inclusive sont disponibles dans le Manuel
d'écriture inclusive proposé par le Haut Conseil à
l'Egalité entre les femmes et les hommes (HCE), notamment consultable
sur le site du gouvernement.
* 2 Le tableau comparatif
récapitulatif complet est disponible en annexe I.1.
* 3 Voir à ce sujet
les articles du Monde « Derrière le point du mari, le
traumatisme de l'épisiotomie » du 18 avril 2014, de
Libération « Episiotomie, derrière la polémique,
une vraie violence » du 25 juillet 2017 ou du Figaro
« Toucher vaginal sans consentement, une pratique bien
réelle » du 28 octobre 2015.
* 4 Voir annexe II.2.
* 5 Le terme cisgenre
s'oppose à celui de transgenre, caractéristique de la
transidentité. S'il n'est pas directement question de
transidentité ici, il nous est néanmoins apparu important de le
relever pour deux raisons. La première est qu'il s'agit d'une
donnée sociodémographique significative dans un sujet concernant
le rapport au corps et à l'institution médicale. La seconde
explication tient à la cohérence épistémologique de
cette étude, qui tend à se développer au plus près
du monde social interrogé ; la majorité des participantes
ayant évoqué leur identité cisgenre, il convient de ne pas
l'ignorer dans la restitution des résultats.
* 6 Un tableau complet des
analyses des entretiens est disponible en annexe III.3.
* 7 Le slut-shaming
se définit comme la stigmatisation ou la culpabilisation des femmes au
regard d'attitudes ou d'aspects physiques jugés provocants ou trop
ouvertement sexuels.
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