Les opérations d'aménagement olympique : intéret général ou intérêt de classe ? le cas de la complétude de l'échangeur Pleyel en vue des jeux olympiques de Paris en 2024par Aristide Miguel Université Sorbonne Paris Nord - Master 1 Politiques Publiques et Territoire 2021 |
Partie 2 : Les opérations d'aménagement olympiques face aux limites de la rationalitéSection 1 : Les Jeux Olympiques de Montréal comme traduction d'opérations d'aménagement pensées à court terme ? Les Jeux Olympiques de Montréal : stratégie de régénération urbaine C'est au cours de la 69e session du CIO - Comité international olympique - le 12 mai 1970 à Amsterdam que l'organisation des Jeux olympiques d'été est confiée ville de Montréal. Roman Roult, Sylvain Lefebvre et Jean-Marc Adjizian ont étudié la question du développement territorial par le sport à travers le cas du Parc olympique de Montréal. Malgré un coût des opérations 3 fois supérieur au montant estimé, Montréal est parvenu à devenir une ville majeure dans le domaine du sport68. Alors que depuis plusieurs années la tendance est à un usage des événements sportifs comme des leviers de transformation urbaine, Montréal n'a pas échappé à cette orientation. Figure 8 - Evolution des impacts urbains structurels des Jeux Olympiques d'été depuis 1896 68 Romain Roult, Sylvain Lefebvre et Jean-Marc Adjizian, « Régénération urbaine et développement territorial par le sport : Le cas du Parc olympique de Montréal », Norois [En ligne], 230 | 2014, mis en ligne le 30 juin 2016, consulté le 12 juin 2022. URL : http://journals.openedition.org/norois/5020 52 Source : Romain Roult, Sylvain Lefebvre, Le Stade olympique
comme vecteur de La construction du stade olympique de Montréal a été perçue comme un vecteur de développement urbain. Elle a généré le développement d'une économie des espaces d'accueil par laquelle les territoires en périphérie du stade se sont retrouvés insérés dans une dynamique « événementielle ». Ainsi, le stade n'était plus uniquement conçu comme le lieu dans lequel se tiennent les événements sportifs, mais il est devenu la place des spectacles urbains. La régénération urbaine de Montréal s'est alors construite autour de ce stade dont l'existence a participé au « (...) processus de branding» de la ville. Mais cette régénération urbaine tient en plusieurs points. Premièrement, à l'installation du stade en périphérie de la ville de manière à impulser l'émergence d'une activité commerciale, à l'amélioration des voies de communications et à l'augmentation de la valeur du foncier. Ensuite, la construction du stade a permis de transformer un territoire relativement peu attractif en un pôle majeur du sport. Enfin, la performance architecturale notable a contribué à changer l'image de la ville en lui conférant une dimension nouvelle et moderne. L'échec des perspectives post-olympiques des aménagements de Montréal : le cas du Stade olympique Si plusieurs études ont démontré l'importance des Jeux Olympiques dans leurs capacités à « (...) régénérer et reconvertir des quartiers entiers »69, plusieurs exemples ont malgré tout présenté les limites de ces capacités. Outre le déficit acquitté près de 30 après la fin des JO de Montréal, la question des aménagements olympiques s'est rapidement heurtée à des grands enjeux relatifs à leur gestion et à leur reconversion. Effectivement, malgré une dynamique post-olympique qui laissait présager une planification à long terme concluante, le contexte de crise et d'urgence dans lequel s'est décidée la construction du Stade olympique de Montréal a empêché la planification d'un programme d'insertion post-olympique. 69 Roult, Romain, et Sylvain Lefebvre. « Reconversion des héritages olympiques et rénovation de l'espace urbain : le cas des stades olympiques », Géographie, économie, société, vol. 12, no. 4, 2010, pp. 367-391. 53 En 1980, la Commission d'enquête sur le coût des JO de Montréal avait révélé que l'échec de la reconversion des infrastructures était notamment dû à un problème de « (...) surveillance des travaux défectueux », aux « (...) absences d'un budget global établi dès le début», ou encore à « (...) l'acquisition d'installations superflues et luxueuses (...) » ayant « (...) conduit à l'augmentation exponentielle des coûts et à la difficile reconversion de ces équipements ». Ainsi, les problèmes de reconversion sont nés d'une dichotomie évidente entre les besoins de la ville et la construction d'un stade davantage de nature artistique que sportive. Alors que la non-étude de l'insertion des infrastructures olympiques a été dévoilée en 1977 suite à un rapport élaboré à la demande du Gouvernement du Québec, toutes les stratégies visant à sa réutilisation ont échoué. Plus encore, en 2008, André Gourd, président de la RIO - Régie des Installations Olympiques du Québec - avait déclaré que la priorité ne résidait plus dans la mise en place d'une stratégie de reconversion du stade, mais plutôt dans une atténuation de l'impact économique de ce dernier (environ 25 millions par an). Section 2 : Les opérations d'aménagement olympique face aux limites de la perception et du calcul Limites financières et écologiques Thomas Junod a étudié les impacts des événements sportifs et si bon nombre de villes candidates s'imaginent pouvoir utiliser les JO comme des outils de transformation urbaine, plusieurs exemples - notamment Athènes en 2004 ou Pékin en 2008 - ont permis de révéler que les retombées attendues étaient parfois bien loins de celles espérées70. En premier lieu, Thomas Junod indique que le bilan financier est largement à relativiser. En effet, les villes candidates ne sont pas assurées de récupérer les sommes investies, et la question de la rentabilité et du bénéfice économique - sur lequel repose l'intérêt général - n'est pas nécessairement évidente. Ainsi, en 2007, alors que le projet des Jeux d'hiver de Sotchi annonçait un coût d'organisation d'environ 1,2 milliard de dollars, le montant final approchait, lui, près de 12 milliards de dollars. 70 Junod, Thomas. "Grands événements sportifs: des impacts multiples." Finance Bien Commun 1 (2007): 92-98. 54 Cette question de dépassement des coûts semble revenir de manière récurrente et Wladimir Andreff avait déjà tenté de comprendre pourquoi le coût des JO était nécessairement sous-estimé71. De Londres à Sotchi en passant Turin et Salt Lake City, toutes ces villes ont été marquées par une augmentation du budget initial d'organisation des JO. Si Thomas Junod nous indique que « (...) l'héritage d'un événement, notamment sur les dimensions économiques, urbaines, infrastructurelles, sociales et sportives du territoire organisateur, ne peut pas être visible au moment des festivités », Wladimir Andreff précise, lui, que le déficit entre les « (...) coûts anticipés ex ante et coûts observés ex post est inhérent au processus d'enchères lui-même ». La question de la « malédiction du vainqueur de l'enchère »72 serait alors davantage liée à un acte délibéré visant à conforter l'organisation des JO en écartant les études d'impact économique portant sur une phase post-olympique caractérisée par un ralentissement de l'activité économique, qu'à une réelle limite dans le calcul des retombées économiques. Figure 9 - Tableau du coût ex ante comparé de la ville olympique sélectionnée Source : Wladimir Andreff, Pourquoi le coût des jeux
olympiques est-il toujours sous-estimé ? 71 Andreff, Wladimir. "Pourquoi le coût des Jeux Olympiques est-il toujours sous-estimé? La «malédiction du vainqueur de l'enchère»(winner's curse)." Papeles de Europa 25 (2012): 3-26. 72 La malédiction du vainqueur des enchères ou malédiction du gagnant est une phénomène par lequel le gagnant d'une vente aux enchères propose davantage que la valeur réelle de l'offre. 55 Patrice Bouvet s'est lui aussi penché sur la question des retombées des événements sportifs. Selon lui, les études d'impact ex ante des événements sportifs sont fondées sur le principe de multiplication73. Si le principe est pour le moins compliqué, je le résumerai ici de manière à ce qu'il soit entendu par le plus grand nombre. Le principe de multiplication porte sur l'étude de trois phénomènes résultant de l'organisation des événements sportifs par les économistes : « (...) les conséquences sur l'emploi, les conséquences sur la demande et les conséquences en termes de revenu ». Ainsi, on part du principe que l'organisation d'un événement nécessite des dépenses supplémentaires qui s'ajoutent aux dépenses courantes d'un territoire donné. Le phénomène qui engendre des dépenses supplémentaires repose sur l'idée que les dépenses relatives à l'organisation entraînent elles-mêmes d'autres dépenses : c'est le principe de multiplication. Si Bouvet reconnaît que ce principe est quelque peu confus pour les « non économistes» et bien le principe ait été critiqué, notamment à cause de sa logique qui ne définit pas d'où provient l'épargne initiale permettant de procéder à la première dépense relative à l'organisation d'un événement, la logique du principe de multiplication vise à présenter l'organisation d'événements sportifs comme nécessairement encline à une augmentation significative des coûts d'opération d'aménagement. Outre l'aspect économique qui laisse percevoir la limite de la rationalité dans la mise en place des opérations d'aménagements olympiques, la question écologique est aussi une question relativement peu étudiée. Jean-Jacques Gouguet a étudié la nécessité de penser les événements sportifs autrement. Selon lui, plusieurs problèmes environnementaux sont déjà à déplorer: « (...) réchauffement climatique, perte de biodiversité, pénurie d'eau, effondrement des stocks halieutiques, déforestation, épuisement et destruction des sols arables, diffusion de produits toxiques »74. Ainsi, l'obligation de penser les événements sportifs autrement découle d'une analyse effectuée par Jean-Jacques Gouget sur l'impact environnemental des grands événements sportifs. Ainsi, par exemple, en 2010, « (...) l'empreinte de la coupe du monde de football en 73 Patrice Bouvet, « Les « retombées » des évènements sportifs sont-elles celles que l'on croit ? », Revue de la régulation [En ligne], 13 | 1er semestre / Spring 2013, mis en ligne le 25 juin 2013, consulté le 12 juin 2022. URL : http://journals.openedition.org/regulation/10215. 74 Gouguet, Jean-Jacques. « L'avenir des grands événements sportifs : La nécessité de penser autrement », Revue juridique de l'environnement, vol. , no. HS15, 2015, pp. 95-115. 56 Afrique a été estimée à 2,8 millions de tonnes équivalent CO2 » - dont la plupart émise par les mobilités - , presque 8,5 fois celle de la coupe du monde de 2006. Dès lors, on comprend que malgré une volonté des Jeux Olympiques de Paris de considérablement réduire les émissions de CO2, la question de la mobilité risque de très largement conduire à une empreinte carbone très largement au-dessus des estimations. Les limites du projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel Dans son avis du 6 février 2019, l'Ae a fait part d'un certain nombre de limites concernant le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel. La première limite portait sur une faible intégration de la question de la transition énergétique, et notamment celle relative à la pollution atmosphérique. En effet, selon l'Ae, alors que la France s'est engagée par l'accord de Paris75 à limiter ses émissions de gaz à effet de serre, l'Ae a indiqué qu'il semblerait que « (...) les maîtres d'ouvrages (...) éludent ou minorent régulièrement le rôle de la modification dans l'induction de trafic par rapport à la tendance dite naturelle» et qu'ils « (...)arguent (...) l'absence d'effet de l'infrastructure sur le trafic évoqué plus haut (...) pour justifier la neutralité de l'infrastructure en matière d'émissions de gaz à effet de serre »76. Une deuxième limite notifiée par l'Ae porte sur la question de la compensation des impacts sur les milieux naturels. Par ses mots, l'Ae précise que « (...) les justifications du choix des sites de compensation ne sont que trop peu explicitées dans les études d'impact», que « (...) les raisons du choix final n'étaient pas fournies » et que plus encore, « (...) le ratio de compensation retenu par le maître d'ouvrage a semblé dans certains cas inférieur à ceux fixés par le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux applicable ». Enfin, la dernière limite présentée par l'Ae concerne des réflexions trop limitées sur l'intermodalité et l'urbanisme. Alors que les projets routiers visent à répondre à des problèmes de mobilité, l'Ae précise qu'il est nécessaire pour la maîtrise d'ouvrage de « (...) définir des mesures coordonnées pour maîtriser et structurer les développements urbains et l'intermodalité » afin d'éviter de faire accroître « (...) le nombre de personnes qui subissent les risques sanitaires liés aux pollutions et aux nuisances sonores du trafic routier ». 75 En 2015, 55 pays ratifient le traité de Paris relatif au réchauffement climatique. Par cette signature, les États signataires se sont engagés à atténuer les effets du changement climatique. 76 Avis n°2019-N06 du 23 janvier 2019 de l'Autorité environnementale sur les projets d'infrastructures de transport routier. 57 Aujourd'hui, d'autres questionnements vis-à-vis des limites du projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel commencent peu à peu à émerger. En effet, alors que le dépassement des coûts des Jeux Olympiques a déjà été l'objet de plusieurs études, notamment celles de Wladimir Andreff77, la question du dépassement des coûts des JO de Paris semble plus que jamais d'actualité. Si en effet le budget de 6,2 milliards d'euros avait été un atout dans l'attribution des JO à Paris, en 2021, l'Inspection général des finances a souligné qu'un risque de dépassement de près de 500 millions d'euros était à prévoir. Aussi, en avril 2022, la Chambre régional de la Cour des comptes d'Ile-de-France a publié un rapport faisant part d'une bonne gestion des fonds publics par Plaine Commune, mais soulignant un danger résultant, d'une part, de la convention de 35 millions d'euros signé avec la SOLIDEO pour contribuer au financement des infrastructures olympiques, et d'autre part, du projet de Franchissement urbain Pleyel d'un montant de 221 millions d'euros - dont près de 57 million encore à payer. La Chambre régionale de la Cour des comptes d'Ile-de-France a aussi mentionné le risque d'écart qui pourrait se creuser après les Jeux Olympiques de Paris entre les communes limitrophes de Paris et celles plus en marge, non seulement suite à l'implantation des commerces dans les communes du sud, mais aussi grâce qu'une meilleure desserte assurée par le Grand Paris Express. Mais cette question de dépassement de budget pousse d'autant plus à la réflexion dans le cas du projet d'aménagement d'échangeur Pleyel. En effet, l'on pourrait se retrouver, comme l'indique Wladimir Andreff, dans une situation dans laquelle le contribuable se retrouve, tout comme l'a été le contribuable canadien, a payé le déficit des Jeux Olympiques, notamment via un impôt local. Alors, à l'image de leurs homologues canadiens, les habitants dyonisiens - du quartier Pleyel - seraient amenés à payer le déficit de Jeux Olympiques, qui leur coûteraient non seulement d'un point de vue sanitaire et environnementale, mais aussi d'un point de vue social, avec des retombées économiques et des aménagements olympiques qui ne leur profiteraient pas. 77 Andreff, Wladimir. "Les dépassements de coût des Jeux Olympiques: Paris doit-elle candidater à n'importe quel prix?." Quel Sport? 27 (2015). 58 Partie 3 : Le projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel comme
traduction Section 1 : Le projet d'aménagement du système d'échangeurs Pleyel : La conception utilitariste de l'intérêt général face aux objectifs de développement durable L'adoption des mesures de développement durable C'est en 1987 qu'est popularisé l'objectif du développement durable suite au rapport de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement dirigée par Gro Harlem Brundtland. Cette notion est rapidement devenue un qualificatif renvoyant à développement contrôlé et écologiquement responsable tel qu'il avait déjà été pensé à la fin des années 60. Alors que le développement durable s'articule autour de la « (...) viabilité économique, (...) la viabilité environnementale (...) et l'équité sociale» et que son objectif est de « répondre aux besoin du présent sans compromettre la capacité des générations à répondre à leurs propres besoin »78, le bilan depuis la conférence de Rio en 1992 - lors de laquelle est adopté l'Agenda 21 - reste malgré tout bien en-dessous des objectifs préalablement fixés. En 1992, la France, tout comme 183 autres pays signataires, adopte l'Agenda 21. Cet Agenda, composé de 27 principes visant à mettre en place un développement durable d'ici la fin du XXIe siècle, a par la suite été consacré juridiquement suite à l'intégration des objectifs de développement durable au sein du code de l'environnement. Le chapitre 28 de l'Agenda 21 accorde une place particulière aux collectivités territoriales dans la mise en oeuvre de plans d'actions visant à répondre aux objectifs de développement durable. Ainsi, comme nous l'indique Guillaume Danneels, on a pu observer l'émergence d'un Agenda 21 local au début des années 200079. En France, c'est à la suite d'une réunion interministérielle en juillet 2006 qu'est définie la base sur laquelle s'appuieront les Agenda 21 locaux (voir tableau ci-dessous). Figure 10 - Tableau des cinq finalités majeures du développement durable 78 Godard, Olivier. "Le développement durable: paysage intellectuel." Natures Sciences Sociétés 2.4 (1994): 309-322. 79 Danneels, Guillaume. « L'Agenda 21, outil du développement durable local », I2D - Information, données & documents, vol. 53, no. 1, 2016, pp. 32-33. 59
Source : Guillaume Danneels, L'Agenda 21, outil du développement durable local (2016) Toutefois, alors que les collectivités territoriales sont perçues comme une déclinaison permettant au mieux de répondre aux objectifs de développement durable à une échelle moindre, Christine Gagnon, dans son étude portant sur la question de l'Agenda 21 local dans les collectivités territoriales québécoises, indique que ce dernier, en tant qu'outil de développement durable, reste très largement sous-utilisé par les collectivités. Plus encore, alors que la stratégie locale doit être le résultat d'une réflexion collective impliquant les habitants, les associations et les acteurs politiques et économiques, la question de démocratie locale et participative reste encore aujourd'hui sujette à de nombreux manquements. La question des Jeux Olympiques et du développement durable a été pensée dès 1992, comme l'indique Séverine Niel80. En effet, à la suite de la conférence de Rio, le CIO a reconnu la responsabilité environnementale et écologique peu après la conférence de Rio, et en 1995, l'environnement devient le troisième pilier de l'Olympisme avec l'institution de la commission « sport et environnement » du CIO. Ceci étant dit, l'adoption de ces principes n'auront pas empêché les scandales environnementaux des JO de Pékin, ou encore les évictions des classes populaires suite aux JO de Rio. 80 Niel, Séverine. "Les relations entre le mouvement olympique et sportif et le développement durable." Cahiers de l'INSEP 37.1 (2006): 23-26. 60 Figure 11 - Les étapes d'un agenda 21 local Source : tarn.educagri (2008) Le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel : les opérations d'aménagement olympique à l'épreuve du développement durable En 2013, « (...) consciente de la nécessité d'une transition écologique et sociale », la municipalité de Saint-Denis a adopté son Agenda 21. Par cette initiative, la ville entendait alors agir sur la mobilité, le logement, la pollution de l'air ou encore la pauvreté. D'après ses propres mots, 5 enjeux prioritaires étaient à traiter :
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Cependant, la question du projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel vient quelque peu présenter le difficile alliage entre un projet d'ordre économique et des motivations de transition écologique et respect de l'environnement. En effet, si la municipalité de Saint-Denis n'a, depuis 2013, publié aucun rapport annuel de développement durable - alors que la rédaction du Rapport Annuel de Développement durable est une obligation pour les collectivités de plus 50 000 habitants dans un souci de transparence de l'action publique -, le département de Seine-Saint-Denis a, quant à lui, publié son rapport annuel en matière de développement durable pour l'année 2020 (seul rapport disponible au moment de l'étude). Dans ce rapport, plusieurs points tendent à nous pousser à la réflexion quant au projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel et à la situation du groupe scolaire Anatole France, dans un contexte pourtant orienté autour de la mise en place de mesures de développement durable. En effet, alors que le conseil départemental de Seine-Saint-Denis indique avoir développé, conjointement avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), un dispositif de lutte contre les nuisances sonores dont les objectifs visaient à notamment à « (...) sensibiliser les publics vulnérables au risque auditif, dans les collèges notamment »82, le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel prévoit, lui, de s'étendre à quelques mètres du groupe scolaire, et bien qu'un écran végétal soit prévu pour isoler l'école et la circulation piétonne du trafic routier, la DiRIF avait malgré tout reconnu que cette proposition n'avait fait l'objet d'aucune étude et que plus encore, son efficacité n'était pas garantie83. Ensuite, le second point intéressant porte sur la garantie d'un « (...) environnement sain dans les structures accueillant des enfants ». Le département de Seine-Saint-Denis, qui est à « (...) la charge des crèches et des collèges », a affirmé la responsabilité de la collectivité « (...) vis-à-vis de ses usager.e.s afin que ceux-ci.celle-ci ne soient pas exposés à des polluants qui peuvent avoir un impact négatif sur leur santé ». C'est ainsi que le département « (...) est (...) logiquement engagé dans un certain nombre d'actions visant à (...) améliorer l'environnement intérieur et extérieur ». Pourtant, alors que le département a adopté la Charte 81 « Agenda 21 | Ville de Saint-Denis ». Ville de Saint-Denis | Accueil, ville-saint-denis.fr/agenda-21. Consulté le 12 juin 2022. 82 Rapport annuel de développement durable du 12 novembre 2020 du département de Seine-Saint-Denis 83 Entretien avec la DiRIF, réalisé le 23 février 2022. 62 Villes et territoires sans perturbateurs endocriniens84 visant « (...) en particulier (...) les tout-petits, population la plus exposée et la plus sensible aux perturbateurs endocriniens », et alors qu'une récente étude menée par l'association Générations Futures85 a indiqué que l'air pollué - aussi bien en ville qu'en campagne - contenait des pesticides dont les 2/3 sont des perturbateurs endocriniens, le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel pourrait très largement augmenter la pollution aux abords du groupe scolaire Anatole France. En 2021, Airparif - organisme agréé par le ministère de l'Environnement sur la surveillance de la qualité de l'air en Île-de-France - avait affirmé que les niveaux de pollution dans le quartier Pleyel étaient élevés mais « (...) similaires à l'ensemble du territoire en Île-de-France ». Alors que Ralph Epaud - pédiatre pneumologue au CHU de Créteil - indiquait que « (...) la pollution est une menace sanitaire à long terme » et que « (...) les enfants sont plus vulnérables parce qu'ils sont à un moment où les voies aériennes se développent », le maire de Saint-Denis déclarait quant à lui que si « (...) l'on devait respecter les nouvelles normes de l'OMS, il n'y aurait plus d'école à Saint- Denis ». Section 2 : Le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel : responsabilités sociales des Jeux Olympiques ou limites du développement durable ? La question sociale comme fondement récent du développement durable Jean-Luc Dubois et François-Régis Mahieu expliquent que la dimension sociale du développement durable est particulièrement récente. Elle provient notamment d'une réflexion portant sur la pérennisation de la pauvreté et de l'accroissement des inégalités dans une période caractérisée par une dynamique de croissance relativement perceptible. Si en effet la durabilité du développement repose sur « (...) l'accessibilité aux biens et services, la constitution des capacités, et l'équité intra et intergénérationnelle »86, Jean-Luc Dubois et François-Régis Mahieu précisent que l'action publique ne respecte pas toujours ces paramètres, entraînant ainsi un certain nombre de dysfonctionnements. Plus encore, alors qu'aujourd'hui l'intervention publique tend principalement à réduire la pauvreté, l'éviction 84 En 2017, à la suite d'un colloque européen, une charte est proposée aux collectivités afin de réduire l'exposition aux perturbateurs endocriniens. 85 En 2022, l'association des médecins contre les pesticides et Générations Futures ont publié un rapport concernant la teneur de l'air pollué en perturbateurs endocriniens. 86 Dubois, Jean-Luc, et François-Régis Mahieu. "La dimension sociale du développement durable: réduction de la pauvreté ou durabilité sociale?." Développement durable (2002): 73-94. 63 de la question de l'évolution des inégalités ne fait que croître le risque de « non-durabilité sociale »87. Léa Sébastien et Christian Brodhag ont eux aussi tenté de comprendre la profondeur sociale du développement durable. Si l'une des propositions du rapport Brundtland entendait dans ses objectifs « (...)favoriser un état d'harmonie entre les êtres humains et entre l'homme et la nature », la réalité a semble-t-il quelque peu effacé la question de l'harmonie entre les humains des grandes lignes du développement durable88. En effet, Léa Sébastien et Christian Brodhag expliquent que la question sociale s'est heurtée à deux oppositions : la première privilégiant une approche portant sur la protection de tous les êtres vivants - écocentrée - et la seconde portant sur la protection exclusive des êtres humains - anthropocentrée. Toutefois, la question sociale, intimement liée à la question économique, a piégé les acteurs politiques dans une conception du développement durable, soit, en tant que modernisation écologique, soit, en tant que croissance économique raisonnable. Parce qu'en effet, le développement durable a longtemps renvoyé à deux problématiques : l'environnement et l'économie. La question de l'insertion du social au sein du triptyque a alors été minoré à la fois par les anthropocentristes et les écocentristes. Si la dimension sociale au sein d'objectifs de développement durable souligne la nécessité d'une développement soutenable reposant sur une structure sociale à même de trouver « (...) des solutions aux tensions nées d'un développement déséquilibré », elle s'est heurté à une logique voulant, soit, l'intégrer au sein d'une dimension environnementale du développement durable, soit, l'insérer au sein d'une dimension économique. Alors que partout la pauvreté et les inégalités croissent et que ces croissances contribuent à exacerber les tensions sociales, et alors que les objectifs du développement durable visent à pacifier les rapports humains, l'incapacité des politiques publiques à répondre aux déséquilibres sociaux tend à favoriser la création de structures solidaires extra-étatiques tels que les associations, ou les collectifs citoyens. Au surplus, l'objectif principal de la dimension sociale du développement durable tend davantage à prévenir le conflit social qu'à répondre aux dysfonctionnements sociales résultant d'un développement économique dévergondé. 87 La durabilité sociale renvoie à une harmonie entre les individus entre eux. 88 Sébastien, Léa, et Christian Brodhag. "A la recherche de la dimension sociale du développement durable." Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie Dossier 3 (2004). 64 Les limites de la durabilité sociale : le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel comme exemple d'une injustice sociale ? Les Jeux Olympiques ont fait de la question sociale et environnementale un des piliers de leur pensée, et d'ailleurs, le CIO en a même fait son faire-valoir. En effet, la dimension sociale des JO portent sur de multiples aspects. Premièrement, elle porte sur une organisation et une tenue des Jeux Olympique qui doit se faire conformément au respect des grands principes sociaux et environnementaux érigés comme nécessaires à la mise en place d'un développement durable - notamment par le sport - et à l'amorçage d'un développement urbain. Secondement, elle touche à la question de l'héritage des aménagements olympiques. En effet, alors que Cécile Collinet et Pierre-Olaf-Schut nous apprennent que la question de l'héritage social des JO a longtemps été effacé au détriment d'une étude portant sur l'héritage économique des Jeux Olympiques89, l'étude de la dimension sociale des JO a permis d'observer des changements dans la pratique sportive, « (...) l'adhésion des populations à l'événement (...) » ou encore l'inclusion sociale. La question de l'inclusion sociale se situe au coeur de l'étude du projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel puisqu'elle vise à comprendre comment une partie de la population se trouverait évincée d'une problématique à laquelle est pourtant rattachée. En octobre 2021, paraît un rapport rédigé par l'UNICEF et le Réseau Action Climat concernant l'impact de la pauvreté dans l'exposition à un air pollué, et dans lequel est mentionné le cas du projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel. Ce rapport nous indique qu'en France, près de 3/4 des enfants respirent un air pollué et que le trafic routier constitue une des principales sources de pollution atmosphérique. On y apprend aussi que les enfants sont exposés de manière hétérogène à la pollution à l'air. Ainsi, le constat de l'UNICEF est que 21 % des enfants vivent en situation de pauvreté et que la majorité des populations pauvres logent dans des villes où les niveaux de pollution atmosphérique sont les plus élevés. 89 Collinet, Cécile, et al. "L'articulation des temporalités dans les politiques de prévention du vieillissement. La prise en compte des activités physiques et sportives comme outil d'anticipation du bien vieillir." Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines 19 (2014). 65 Mais la question sanitaire de la complétude de l'échangeur Pleyel révèle aussi un manquement dans la politique de développement durable. En effet, alors que la durabilité sociale invite à la recherche de consensus entre les acteurs, le rapport de l'UNICEF, à travers le cas du projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel, mentionne la difficulté des catégorie socio-économiques les moins favorisés à « (...) rendre visible et à faire connaître aux décideurs publics une situations d'injustice sociale en matière d'exposition de l'air »90. Daniel Cefaï avait étudié la question des difficultés dans la construction des problèmes publics et avait notamment fait part de la méconnaissance des mécanismes institutionnels91. Cette méconnaissance des mécanismes institutionnels par les groupes les moins favorisés est d'autant plus notable si l'on se penche sur les JO de Rio où des familles contraintes de quitter leur propriété n'avaient pu obtenir gain de cause essentiellement suite à leur incapacité à user de l'appareil juridique. Ainsi, alors que les objectifs du développement durable visent essentiellement à l'équité intra et intergénérationnelle, le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel, notamment par la qualification des revendications citoyennes comme « (...) excessif par rapport à l'intérêt de l'opération », participe en quelque sorte à l'accroissement des inégalités sociales et environnementales des générations présentes et futures. 90 UNICEF et Réseau Action Climat. De l'injustice sociale dans l'air : pauvreté des enfants et pollution de l'air. Unicef France, oct. 2021. 91 Cefaï, Daniel. "La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques." Réseaux. Communication-Technologie-Société 14.75 (1996): 43-66. 66 Le deuxième chapitre a été l'occasion pour nous d'opérer une critique de l'intérêt général du projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel en partant d'une analyse marxienne de la notion. En effet, alors que l'intérêt général est consacré juridiquement, la critique marxienne nous a permis d'observer les oppositions conceptuelles qui continuent de persister dans qualification de cette notion. Ainsi, on a pu, en retournant au fondement sémantique de l'intérêt général, penser ce concept comme étant davantage la réponse aux besoins d'un groupe précis - présenté comme une classe dominante - qu'à la satisfaction des besoins de la société en tant que collectif unifié. Ensuite, notre interrogation a consisté à réfléchir sur la légitimité de l'action publique à travers des procédés de questionnement issus notamment des études de Pharo. Ces outils nous ont permis de remettre en question la légitimité du projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel de manière objective, en faisant reposer notre analyse sur la dissemblance entre la législation étatique et son application concrète suivant une problématique donnée. Enfin, le dernier point de ce chapitre consistait à comprendre les limites de l'intérêt général du projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel, notamment suite à une difficile conciliation entre la conception utilitariste de ce dernier et la nécessité de répondre aux objectifs de développement durable pourtant fondement de la pensée olympique. 67 CHAPITRE 3 : LA COMPLÉTUDE DE L'ÉCHANGEUR PLEYEL : VERS L'ÉMERGENCE D'UN INTÉRÊT GÉNÉRAL INDIVIDUEL? 68 Le dernier chapitre de ce mémoire vise à comprendre comment la complétude de l'échangeur Pleyel traduit l'émergence d'un nouveau type d'intérêt général. Alors que nous avons vu précédemment que l'intérêt général était la réponse à un besoin de la société, nous verrons que cette réponse aux besoins peut aussi renvoyer à un pan donné de la société. Alors, cette fragmentation de l'intérêt général peut être déclinée à un territoire, à une localité ou même à l'individu. Le premier point de ce chapitre portera sur une étude de l'intérêt général « territorialisé », et notamment la compréhension de la manière dont la complétude de l'échangeur tend à le faire émerger. Ensuite, nous verrons comment la déclinaison local de l'intérêt général traduit une volonté de mettre en place des mécanismes démocratiques de proximité, et comment les limites de cette déclinaison locale tendent à produire un intérêt général « individuel » légitimé par l'expérience personnelle des individus. 69 |
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