INTRODUCTION
De tous temps, la cité des Hommes a toujours
créé des lieux dédiés à l'innovation :
laboratoires, observatoires, expériences, études des langues,
réservés aux « chercheurs, savants et ingénieurs du
monde entier »1. Les villes les plus illustres de cette
innovation sont Babylone, Athènes, Bagdad, Pékin ... Les acteurs
de ces espaces dédiés étaient isolés du reste de la
population2, comme en témoignent les monastères du
Moyen-Âge3 mais aussi les modèles plus récents
des « campus universitaires » et des « technopôles »
: « On retrouve l'idée de créer des espaces de savoir
isolés, auto-suffisants et éloignés des tourments de la
vie moderne »4. Avec la mutation du monde tel que nous
commençons à le vivre aujourd'hui, avec notamment la
hausse de la place du numérique dans la vie quotidienne, les espaces de
savoirs, d'expérimentation et d'innovation évoluent eux aussi.
Nous sommes aujourd'hui dans un monde qui se tourne de plus en plus vers une
économie de la connaissance5. C'est le cas par exemple de
l'hybridation des lieux en notamment tiers-lieux. Ces tiers-lieux
souvent positionnés au coeur des villes, cherchent à s'ouvrir,
à diffuser et à partager les innovations et les connaissances
avec le reste de la Cité6.
Ainsi, récemment, la chaîne de café
états-unienne Starbucks a été l'une des premières
à mettre en place le wifi gratuit pour accueillir des travailleurs, mais
aussi à proposer des espaces aménagés pour être
« favorables à l'échange et à la discussion tout
comme à la lecture et au travail »7. On parle alors de
tiers-lieu : un lieu qui n'est ni le domicile, ni le lieu de
travail8,9. Instinctivement, un tiers-lieu se
définit comme un espace hybride, dans lequel les relations
hiérarchiques ne sont pas présentes comme au travail, lieu de
diffusion des connaissances, de pluridisciplinarité, d'incitation au
do it yourself10 et à l'apprentissage11,
lieu d'expérimentation et d'innovation. Il existe plusieurs natures de
tiers-lieux, dont les tiers-lieux culturels : « notre hypothèse est
que nous assistons à l'émergence d'une nouvelle catégorie
de tiers-lieux, les tiers-lieux culturels »12. Par ailleurs, A.
BURRET mentionne le fait qu'un tiers-lieu peut être créé de
toute part artificiellement, pouvant être aussi bien physique que
virtuel,
1 Les tiers-lieux, une notion à
expérimenter et co-construire, R. BESSON
2 IBID
3 IBID
4 IBID
5 Les tiers lieux culturels - Chronique d'un
échec annoncé, R. BESSON
6 IBID
7 Les tiers-lieux, espaces d'émergence et
de créativité, P. GENOUD, A. MOECKLI
8 The great good place Ray OLDENBURG
9 Annexe 1 : portrait de R. OLDENBURG
10 Faire soi-même (traduction)
11 Les églises protestantes haïtiennes
de Martinique : des tiers lieux d'éducation et d'intégration ?,
M. BLAISE
12 Supra 5
6
7
Les tiers-lieux culturels, outils de la démocratisation
culturelle ?
E. PESCHAUD
comme les réseaux sociaux sur Internet13.
Nous choisissons ici de ne mobiliser que les tiers-lieux culturels
physiques.
Il est donc légitime d'aborder ce nouvel objet culturel
(ou non) qu'est le tiers-lieu et de s'interroger sur sa potentialité
à devenir un outil de démocratisation culturelle, ou non,
à l'ère de la révolution numérique.
La littérature scientifique s'intéresse à
l'aspect social des nouveaux lieux culturels, comme les friches industrielles
et autres lieux qui n'étaient pas originellement dédiés
à la création. Toutefois, la recherche universitaire et
scientifique autour de ces lieux reste assez floue et peu fournie14.
Quelle est donc la définition d'un tiers-lieu si les différents
acteurs qui y sont liés ne tendent que difficilement à s'accorder
sur sa définition ? Cette notion englobe tous les lieux qui ne sont pas
consacrés à une seule activité, avec des
caractéristiques communes. Les tiers-lieux peuvent avoir une multitude
de formes : un FabLab qui mobilise surtout la notion de do it yourself, un
makerspace ou un espace de coworking, espaces consacrés au travail ou
encore naître de la mutation d'une friche en tiers-lieu. Les tiers-lieux
peuvent être vus comme des outils répondant à diverses
vocations : l'agriculture, l'économie, le social etc. Le tiers-lieu
n'est donc pas uniquement à vocation culturelle15. L'une des
spécificités du tiers-lieu est le croisement des disciplines :
« les tiers-lieux ne sont pas restreints à un secteur particulier
». L'horizontalité des relations entre les personnes
fréquentant ces lieux caractérise les tiers-lieux. Ainsi, la vie
en communauté et la réduction voire la suppression des relations
hiérarchiques fait partie de l'innovation sociale du lieu. Les
tiers-lieux sont des espaces d'échanges, des lieux différents des
autres lieux publics de passage comme une gare16.
Ces « espaces inédits »17 n'ont
pas encore de terminologie propre puisque les politiques culturelles actuelles
ne parviennent pas à s'accorder sur une nomenclature. On parle alors de
friches culturelles, de friches industrielles, de lieux intermédiaires,
de lieux alternatifs etc. Ces lieux permettent davantage de création et
d' « expression citoyenne ».
La question d'institutionnaliser les lieux alternatifs se pose
aujourd'hui à des collectivités publiques : comment sortir des
« schémas institutionnels »18 classiques ? La
singularité des projets semblent être l'un des principaux
obstacles à cette reconnaissance par les politiques publiques
culturelles de ces nouvelles formes d'expressions dans des lieux `alternatifs'.
De plus, les artistes ont tendance à s'approcher de ces lieux pour
acquérir une certaine forme de liberté, et pouvoir être
indépendants et
13 Refaire le monde en tiers lieu, A.
BURRET
14 Annexe 16 : entretien avec R. BESSON
15 Annexe 10 : infographie sur la création de
tiers-lieux
16 Les tiers-lieux, espaces d'émergence et
de créativité, P. GENOUD, A. MOECKLI
17 Introduction Culture & Musées :
Friches, squats et autres lieux : les nouveaux territoires de l'art ?, E.
MAUNAVE
18 IBID Questions à F. LEXTRAIT
8
Les tiers-lieux culturels, outils de la démocratisation
culturelle ?
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