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Le régiment des tirailleurs sénégalais du tchad (RTS-T) et la consolidation de l'empire colonial francais: de sa création et de son déploiement au Kamerun entre 1910-1918par Samuel Djeguemde Université de Douala - Master 2021 |
I- LA COMPOSITION DES EFFECTIFS DU RTS-TAvant tout propos, il convient de rappeler que, l'une des raisons ayant motivé notre choix de nous pencher sur la structuration du RTS-T est l'hétérogénéité des hommes qui la composent. Partant de ce constat, il est question ici de mettre en évidence les différents modes de recrutement au sein de cette infanterie de troupe coloniale. Dans l'optique d'y parvenir, il est question au préalable d'aborder tour à tour les méthodes de recrutement à la fois chez les tirailleurs sénégalais également chez les militaires métropolitains. A- Les modes de recrutements au sein du RTS-TLa question de l'armée est à priori antérieure dans la plupart des colonies africaine à l'occupation du continent par les puissances impérialistes comme le rappel Marielle Debos115. Mais, il faut cependant rappeler que les armées précoloniales étaient surtout constituées de prisonniers de guerre et d'esclaves dans les royaumes durant le Moyen-Age africain116. 115 M. Debos., 2003. Le métier des armes au Tchad. Le Gouvernement de l'entre deux guerre. Paris, Karthala, p. 23. 116 J. Ki-Zerbo, 1972, Histoire de l'Afrique noire d'hier à demain, Paris, Hatier, pp. 95-103. 48 Avec l'avènement des impérialistes occidentaux, les populations du continent particulièrement celle du territoire du Tchad a été diversement réquisitionnée pour bâtir les régiments de tirailleurs sénégalais censés défendre la cause française. Partant de là, il est intéressant de remarquer que certains groupes ethniques du territoire du Tchad ont été jugées plus aptes à livrer des guerres à la suite de certains « stéréotypes coloniaux », qui sous-tendait que, les populations qui s'adonnaient à l'agriculture au détriment de l'élevage étaient dotées d'un physique plus imposant et par conséquent constitueraient de meilleurs soldats117. C'est en allant dans le même sens que, Marc Michel118 estimait que les ethnies de savanes étaient considérées comme plus guerrières que les populations des zones forestières et côtières et par conséquent recrutées prioritairement. On constate que ces stéréotypes ont volé en éclat et ont fait place assez rapidement à la réalité qu'offraient les velléités expansionnistes, ce qui a du coup amené la France à mobiliser le maximum d'hommes dans le but de les déployer sur les TOE. Toutefois, il est question à présent de voir comment s'est fait les recrutements des tirailleurs sénégalais on dénombre de ce fait 03 types d'engagements : le volontariat, le réengagement et la conscription Le 1er mode de recrutement ; l'engament dit volontaire fut le premier mode de recrutement pour les populations locale du territoire du Tchad. En effet, si les mobiles liés à leur endurance, courage et témérité ont été très tôt mis en avant pour justifier leur enroulement dans les corps de troupe coloniale comme le pense Bekiri119. Il convient de rappeler que c'est en revanche l'ordonnance du Président Armand Fallières de 1910 qui posait véritablement les bases de leur incorporation et de leur engagement au sein des troupes d'infanterie coloniales120. Il fixait les modalités d'engagement concernant notamment l'âge minimal et maximal des postulants. A priori, ces derniers devaient être âgés de 18 ans au moins et 35 ans au plus pour s'engager au sein du RTS-T121. Mais, cette thèse dénié d'objectivité n'est pas du tout de l'avis de Djimrabeye Dayanne qui estime que122, « il est difficile de concevoir le fait que, nos prédécesseurs aient eu des actes 117 Entretien avec Mbaihormon Narcisse, Moundou le 06-12-2021. 118 M. Michel, 2003, Les Africains et le Grande Guerre. L'appel à l'Afrique, (1914-1918), Paris, Karthala, p. 15. 119 Entretien avec Bekiri, Moundou le 11-10-2021. 120ANT, JO-AEF, 1910, la Quinzaine coloniale n°2, Le Gouverneur des colonies, Décret du 15 Décembre 1910, sur le recrutement des indigènes dans les colonies de l'AEF, p. 31. 121ANT, Arrêté du Gouverneur des colonies Martial Merlin, Article Premier. Les conditions d'engagement des indigènes au sein des régiments des tirailleurs sénégalais au Tchad, en Oubangui-Chari, au Moyen-Congo et au Gabon, p. 43. 122 Entretien avec Djimrabeye Dayanne. Moundou le 12-09-2021. 49 de naissance pour permettre aux autorités coloniales de les enrouler avec exactitude en ce temps ». Ceci dit, on est en droit de penser que ce n'était qu'un volontariat de façade, car, aucun enjeu ne semblait être à l'avantage de ces engagés au sein du RTS-T. Cependant, il faut noter que, la population locale du Tchad engagée « volontairement » était utilisée à séant aux desseins de la Métropole. Mais, ce volontariat semblait se limiter aussi avec certaines obligations notamment celle de servir hors du territoire du Tchad. A ce sujet, cette ordonnance stipulait que : « Tous les militaires indigènes, appelés ou liés par contrat, peuvent en toute circonstance être désignés pour continuer leurs services hors de leur groupe de colonies d'origine sous les réserves prévues par les décrets sur le recrutement 123 ». Toute somme, les engagements dits volontaire n'ont été en fait que des stratagèmes mis en place pour justifier la volonté de la France de paraitre comme une puissance respectant les libertés et le droit des assujettis. Car, en plus de revêtir des aspects plus moins obligeant cette méthode de recrutement était loin d'être du consentement des engagés. La seconde méthode de recrutements des tirailleurs sénégalais: le réengagement mettait à nue cette « contrainte voilée » que cachait l'engagement volontaire. Le 2nd mode de recrutement ; le réengagement. Cette seconde méthode de levée des tirailleurs sénégalais est un des aspects les moins évoqués des modes de recrutement en période coloniale. En effet, ce type de levée s'inscrit dans la continuité de la circulaire du 15 Décembre 1910124. Ainsi, cette ordonnance accordait la possibilité aux tirailleurs sénégalais des groupes de l'AOF et de l'AEF de poursuivre leur carrière militaire sous le drapeau français. Cela traduisait ainsi la volonté de la France de conserver sous leur domination des soldats déjà expérimentés ce qui leur facilitait les choses car, de ce point de vue, les tirailleurs sénégalais avaient déjà reçu une instruction militaire et par conséquent possédaient une expérience des armes à feu et des techniques de guerre moderne. 123 ANT, JO-AEF, 1910, la Quinzaine coloniale n°2, Le Gouverneur des colonies, Décret du 15 Décembre 1910, sur le recrutement des indigènes aux colonies Article.2 .Titre I, Obligation du service des tirailleurs sénégalais hors de leur territoire. 124 ANT, JO-AEF, 1910, la Quinzaine coloniale n°2, Le Gouverneur des colonies, Décret du 15 Décembre 1910, sur le recrutement des indigènes aux colonies Article 3 .Titre I, Obligation du service des tirailleurs sénégalais hors de leur territoire. 50 Cependant, il faut aussi rappeler que si le réengagé pouvait servir au sein du RTS-T au moins pendant quatre, cinq voire six années, il ignorait cependant quand son service militaire pourrait prendre fin. En effet, les tirailleurs sénégalais pouvaient servir comme réengager sur une durée comprise entre 03 et 15 ans selon que la Métropole avait besoin d'un capital humain125. C'est dans ce sens qu'en temps de guerre par exemple, les tirailleurs sénégalais étaient insérés pendant de longues périodes au sein du RTS-T comme l'atteste l'ordonnance du 23 Décembre 1914126. C'est en allant dans le même sens, qu'Anthony Guyon127 estime pour sa part que : « les Tirailleurs sénégalais étaient d'une façon ou d'une autre liés à la Métropole et de ce fait, il ne leur revenait pas le droit de se désengager de l'armée quand ils le désiraient ». Ce qui nous amène à faire la remarque qu'il s'agissait en fait d'une contrainte imposée aux tirailleurs sénégalais qui allaient à l'encontre des libertés tant vantées par les nations dites « civilisatrices » censées être des modèles. En revanche, le dernier mode de recrutement des tirailleurs sénégalais mettait ouvertement en exergue ce que les deux types de recrutements précités n'évoquaient pas directement. Le 3ème mode de recrutement ; il s'agit ici de la conscription ou exercice militaire obligatoire : si, les recrutements dits volontaires et les réengagements étaient les modes de recrutements prônés aux premières heures de la constitution des troupes coloniales, la conscription encore appelée service militaire obligatoire par contre était une référence et s'imposait surtout en période de. En effet, le recrutement par conscription était considéré comme le plus « ignoble » des modes de recrutement car, il a entrainé des nombreuses conséquences. Il a séparé des familles, provoqué une décadence des bras valides et retardé la croissance démographique du continent comme nous rappelle Rachid Bourchareb à travers son film intitulé « Indigènes128 ». En outre, la levée par conscriptions peut être perçue comme le service militaire obligatoire par excellence mis en avant par la France dont furent victimes les Africains en générale et la population du territoire du Tchad en particulier. 125 Entretien avec Avouksouma Didier, N'Djaména le 11-12-2022. 126 Archives du CEFOD, 1914, Fond Tchad, Cote 963 42, Circulaire interministérielle sur les durées des engagements et rengagements des indigènes coloniaux résidant en Afrique Equatoriale Française pendant la guerre. p. 3. 127 A. Guyon, 2017, p. 53. 128Rachid Bourchareb, Film « Indigènes ». Consulté en ligne le 10-02-2022. http://www.ina.fr.. 51 S'il est notoire que le recrutement par conscription des tirailleurs sénégalais était moindre avant 1914. Force est de constater que, c'est à partir de cette période qu'on remarque qu'il passe au premier plan ceci du fait du grossissement du RTS-T résultant en parti des tensions sans cesse grandissantes entre Européens. C'est en allant dans ce sens qu'Helene Almeida Topor129 affirmait que : « la Grande Guerre fut un catalyseur dans la conscription dans l'ensemble de l'empire colonial africain ». Cependant, il faut également noter que, ce sont les chefs de circonscriptions qui avaient la charge de satisfaire les quotas d'hommes dans leur cercles130. C'est à ces fins que les neuf circonscriptions du territoire du Tchad ont été sollicitées afin de fournir des Hommes qui ont constitué l'essentiel du RTS-T131. Néanmoins, pour atteindre leur but, les chefs de cercles avaient recours aux méthodes peu conventionnelles pour recruter les soldats comme l'affirme Djadjingar Francis132 qui estime que les chefs de circonscription mettaient la pression au sein des familles pour se faire livrer des bras valides et lorsque les quotas n'étaient pas atteints, de véritables razzias étaient organisées dans les villages. D'ailleurs, ces propos trouvent tout leur sens dans l'ordonnance du 15 Décembre 1914 qui stipule la levée massive des « indigènes » dans le cadre de la guerre133. Malgré le caractère explosif des recrutements sur le territoire du Tchad, il y' a eu cependant des résistances à ces pratiques peu philanthropes qui foulaient au pied la dignité humaine. La première résistance à cette pratique était la fuite des hommes de leur village qui voyaient d'un mauvais oeil leur enroulement dans l'armée pour mener des opérations dont ils ignoraient parfois le sens. C'est dans cette optique que le film de Benjamin Braillard134 intitulé « les troupes coloniales pendant la Première Guerre mondiale135 » met en avant l'opposition des Africains face aux réquisitions dans le cadre de la Grande Guerre. En plus de cela, parfois on arrivait même à des affrontements ouverts entre opposants à cette pratique et autorités coloniales. 129H. Almeida Topor, 1973, « Les populations dahoméennes et le recrutement militaire pendant la Première Guerre mondiale », in, Revue d'histoire d'Outre-Mer, n°36, pp.196-201. 130Entretien avec Bedoum Antoine. Douala le 23-09-2021. 131 Il convient cependant de rappeler que, les premiers chefs de circonscriptions du territoire du Tchad jusqu'en 1944 étaient tous Français. Ils exerçaient une pléthore des pressions sur les autorités traditionnelles et les chefs de villages qui devaient fournir un quota d'hommes qui constitueraient la base du RTS-T. 132 Entretien avec Djadjingar Francis, Moundou le 15-12-2021. 133 Archives du CEFOD, 1914, Fond Tchad, Tchad, 963 32, Circulaire interministérielle sur les engagements et rengagements des indigènes coloniaux résidant en Afrique Equatoriale Française, p. 3. 134 Benjamin Braillard « Les troupes coloniales pendant la Première Guerre mondiale », Film documentaire produit par le CNC. https://www.cnc-aff.Consulté en ligne le 10-02-2022. 135 Entretien avec Ursule Touroukounda. Moundou, le 21-12-2021. 52 Ce fut le cas à l'Est du territoire, au Ouaddaï, plus précisément à Abécher ou depuis l'occupation de cet espace par la France, de vives voix s'étaient opposées à leur présence jusqu'en 1917 donnant suite au massacre des leaders musulmans136. En effet, l'enroulement des hommes dans l'armée coloniale devenait de plus en plus difficile. En s'opposant à cette pratique, la population de Abécher s'était rendu coupable devant les autorités coloniales qui, avaient perpétré un massacre au coupe-coupe tel que l'estime Mahamat Adoum137. Selon ses propos, le massacre de Abécher fut une attaque des militaires coloniaux en pleine séance de prière ; une attaque surprise au coupe-coupe qui eut lieu entre 4h et 5h du matin. Ce massacre est resté ancrée dans les mémoires collectives des populations de ces régions. On constate à travers la diversification des modes de recrutements que la France a usé de nombreux moyens pour recruter au sein de la population du territoire du Tchad à travers différentes méthodes. Elle n'a pas hésité à utiliser les moyens les plus drastiques pour gonfler son armée. En revanche, le mode de recrutement des militaires métropolitains faisant parti du RTS-T était différent de celui de leurs « frère d'arme » africains. |
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