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Le régiment des tirailleurs sénégalais du tchad (RTS-T) et la consolidation de l'empire colonial francais: de sa création et de son déploiement au Kamerun entre 1910-1918


par Samuel Djeguemde
Université de Douala - Master 2021
  

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B- Les facteurs exogènes de la création du RTS-T

Il s'agit ici de mettre en évidence des facteurs provenant hors du territoire du Tchad qui ont eu un impact sur la création du RTS-T. Il est question ici du plan Mangin et de l'acte politique du Président Armand Fallières lié à la volonté de mettre en place dans l'ensemble de l'AEF le corps des tirailleurs sénégalais.

101 Il s'agit d'une confrérie musulmane qui était basée à l'Est de la Lybie et au Nord du Tchad où elle a tenu une résistance à la colonisation française entre 1880 et 1920.

102 S. Deringil, 1990, « Les Ottomans et le partage de l'Afrique, 1880-1900 », In S. Deringil et S. Kuneralp (ed.), Studies on Ottoman Diplomatic History, Istanbul, pp. 121-133.

Ibid., pp. 135-146.

103 N. Lafi, 2015, « L'Empire ottoman en Afrique : perspectives d'histoire critique », Cahiers d'histoire. In, Revue d'histoire critique, n°128, pp. 59-70.

104 F. Jacques, 1991, La France et l'Islam depuis 1789, Paris, PUF, p. 36.

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1- Le plan Mangin

Le corps de tirailleur sénégalais du Tchad ne s'est pas mis en place du jour au lendemain, ce fut la résultante d'une conjugaison d'éléments. En effet, en ordonnant la création sous proposition de Louis Faidherbe du premier régiment des tirailleurs sénégalais en 1857105, Napoléon III pensait avant tout à sécuriser grâce à ces derniers les comptoirs coloniaux. Mais, au vu des tensions grandissantes en Europe mais aussi en Afrique, le générale Charles Mangin estimait que les Africains pouvaient susceptiblement constituer une armée « indigène ». Et, de ce fait, il matérialise ses ambitions par la publication d'un manifeste intitulé la Force noire.

Dans ce livre, il loue les qualités des Africains et estime qu'ils peuvent éventuellement servir de réservoir d'hommes pour la Métropole en cas de besoin. D'ailleurs, il y écrit à ce sujet que : « l'homme africain possède la rusticité, l'endurance, la ténacité, l'instinct de combat, l'absence de nervosité et une incomparable puissance de choc106 ».

Toutefois, la Métropole étant d'abord réticente à l'idée de donner son aval sur la mise en place de cette force noire se résout néanmoins à accréditer l'idée de Mangin suite aux tensions qui s'accentuaient entre puissances occidentales mais, aussi à cause de la crise démographique qui touchait la France. Ce plan consistait à doter chaque colonie sous joug français d'une force supplétive pour qu'une fois mise ensemble, elles constituent la plus grande troupe d'infanterie coloniale. Mais, le mobile principal défendu par le plan Mangin résidait dans le fait qu'il soutenait l'idée selon laquelle tous les noirs sauraient être de parfait soldats. A ce propos Charles Mangin déclarait que :

que ces populations habitent la clairière de la forêt équatoriale ou la steppe désertique, les régions montagneuses ou les vallées des grands fleuves, qu'elles soient groupées ou dispersées, elles ont toujours vécus en guerre, guerre de race, querelles de villages, chasses d'esclaves. Les luttes permanentes ont imprimé à la race noire, depuis des âges les plus lointains, un caractère guerrier qu'elle conservera forcément pendant de longs siècles107.

Ces propos de Mangin nous amène à penser en fait que la mise en place des régiments des tirailleurs sénégalais n'était rien d'autre que la cheville ouvrière de la conquête coloniale. Car, ce plan avait pour ambition l'utilisation des Noirs à des fins d'expansion coloniale.

Cependant, il est toutefois intéressant de noter que, la mise en place des régiments de tirailleurs sénégalais en AOF et en AEF fut avant tout une initiative consistant à protéger

105 A. Rivart, 2019, « A Plombières, Napoléon III crée l'unité française des tirailleurs sénégalais », https://www.vosgesmatin.fr.Consulté en ligne le 13-03-2021.

106 C. Mangin, 1910, p. 296. 107Ibid. pp. 226-228.

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l'empire colonial, mais, ce rôle initial fut très vite dépassé et, plus tard, les tirailleurs sénégalais interviennent dans les théâtres d'opération extérieurs (TOE).

Ainsi donc, la création du premier corps de tirailleur sénégalais du Tchad est une résultante lointaine du plan de Charles Mangin de faire du continent un réservoir immense de soldats au service de la France. Mais, le plan Mangin fut concrétisé par l'entremise des volontés politiques qu'il convient à présent de mettre en évidence.

2- La matérialisation de l'idée de création du RTS-T

Si, les querelles entre puissances occidentales à la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle ont à bien d'égard été des motifs qui ont conduit à l'occupation des territoires en Afrique et à la tracée de leurs frontières. Il est cependant intéressant de remarquer qu'elles ont par la même occasion conduis à la création des armées locales à l'instar du RTS-T sur le territoire du Tchad.

De ce fait, aux premières heures de l'expansion coloniale française au Tchad, la France avait mis sur pieds une force locale dès 1902 dénommée Bataillon du Chari (BDC)108. L'objectif de ce Bataillon était de parfaire les troupes coloniales mais, aussi de les suppléer lors de la conquête des zones inexploitées. C'est en cela que, le BC peut être considérée comme la force « indigène » ayant précédé le RTS-T. Mais, il convient aussi de rappeler que le BDC jouait le rôle de « police interne » car, chaque Brigade de ce Bataillon assurait la sécurité d'un cercle administratif.

Ce constat sous-tend l'idée selon laquelle les puissances européennes ont usé de divers moyens pour sauvegarder chacun leur colonie conquise.

C'est dans ce contexte que, la France décida de créer des forces supplétives à partir des populations qu'elle dominait sur son empire africain. De ce fait, s'il est attesté que l'initiative de mettre en place des régiments de tirailleurs sénégalais au service de la France trouve son origine chez Napoléon III, c'est en partie grâce à Charles Mangin que, cette initiative a été instaurée à l'ensemble de l'AOF puis à l'AEF. Et, il revenait à Martial Merlin109 de créer dans les 4 colonies de l'AEF un corps de tirailleurs sénégalais110.

C'est suite à ces initiatives que naquit le RTS-T après le décret du 10 Février 1910 émis par le Président français Armand Fallières.

108 E. Largeau, 1913, La situation du territoire militaire du Tchad au début de 1912, p. 75.

109 Martial Merlin fut un ancien administrateur colonial français. Il a servi en Afrique dans un premier temps en AOF puis en AEF entre 1908 et 1917 comme Gouverneur Générale de l'AEF.

110 SHD, Correspondance du Ministère de la Guerre au Ministre des colonies et des Affaires Etrangères, Arrêté du Président Armand Fallières relatif à la création du corps du régiment des tirailleurs sénégalais dans les colonies du Tchad, d'Oubangui-Chari, du Moyen-Congo et du Gabon, Cote GR 6H129-170.

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C'est à partir de cet acte fondateur que, le 15 Février 1910, Fort Lamy accueillait le tout premier régiment des tirailleurs sénégalais du Tchad alors fort d'un peu plus de 3000 tirailleurs sénégalais encadrés par 200 Officiers et sous-officiers métropolitains tous placé sous le commandement suprême de Victor Emmanuel Largeau111.

Mais, la mise en place du RTS-T visait avant tout à doter la France de militaires capable de parachever la conquête de l'intérieur du territoire du Tchad tout en disposant des hommes résistant aux maladies locales et au climat rude du Sahel.

La photographie ci-dessous est le camp de concentration du RTS-T à Fort-Lamy. C'est à partir de là qu'ont été préparés les bataillons qui ont été déployés au Kamerun à partir de 1914 dans le cadre de la Grande Guerre dont le but visé était de protéger le domaine colonial français.

Photo 2: La caserne principale du RTS-T à Fort-Lamy

Source : (c) Eric Déroo.

Cette photographie met en lumière le lieu de concentration du RTS-T et date de 1913. Elle a la capacité d'abriter entre 300 à 2800 tirailleurs encadrés par 200 à 300 officiers et sous-officier métropolitains112. Nous remarquons que son entrée est filtrée à la guérite par quelques

111 E. Largeau, 1913, p. 43.

112 SHD, Renseignements et compte rendu de la situation politique et militaire du territoire militaire du Tchad. GR 6H137.

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tirailleurs armés. Cependant, il convient aussi de noter que cette caserne fut bâtie sur l'emplacement actuel de la place de la nation de N'Djamena dans le 1er Arrondissement selon Mariam Adoum113.

Mais, il faut aussi rappeler que, l'épigraphe à son entrée témoigne des faits d'armes du Régiment de marche du Tchad (RMT) en Libye lors de la Deuxième Guerre mondiale (DGM). Mais, le RTS-T dispose également d'un insigne spécifique que nous pouvons observer ici-bas.

Photo 3: L'insigne du Régiment des Tirailleurs Sénégalais Tchad (RTS-T)

Source : (c) Djeguemde, Moundou, le 15-09-2021.

Cette image témoigne d'un emblème assez particulier. En effet, le dromadaire qui le caractérise est reconnu comme un animal pouvant supporter les contraintes environnementales les plus extrêmes. Cela traduit à priori la ténacité des tirailleurs qui servent sous cette bannière.

Ceci dit, cet insigne est constitué d'une croix de guerre pour les officiers et sous-officiers métropolitains ayant servi lors de la Grande Guerre en Europe mais aussi au Kamerun,

113 Entretien avec Mariam Adoum, N'Djamena le 17-12-2021.

cependant, il est rapporté que les tirailleurs de ce régiment n'ont reçu cette distinction qu'après leur fait d'armes à Koufra dans le cadre de la Deuxième Guerre mondiale mené par le Général Leclerc tel que nous renseigne Nguemadji Dabot114.

En dépit de ces observations, il est fort intéressant de relever que, la présence française au Tchad a entrainé la mise en place du RTS-T sensé être une force supplétive aux ambitions de cette dernière.

Le premier chapitre de ce travail a consisté à retracer la genèse, les mobiles de la présence française au Tchad et les éléments responsables de la mise en place du RTS-T. Au terme de cette analyse, il en ressort que les débuts de l'ère coloniale française au Tchad résultent de nombreux éléments entrepris par le comité de l'Afrique à partir de 1889. Ainsi, trois missions en l'occurrence ont amené la France à fortifier sa position sur ce territoire autant stratégique qu'indispensable à la volonté de cette dernière dans ce contexte de rivalités expansionnistes.

De ce fait, au vu du contexte qui prévalait, ce territoire fut utilisé comme une base arrière française et ce rôle se confirma surtout à l'entame de la Grande Guerre sur le continent africain ; Guerre qui vu le déploiement du RTS-T au Kamerun notamment à partir du front Nord.

Partant de ces constats, il convient dans le chapitre suivant de mettre en évidence la structuration et la gestion de ce régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad.

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114 Entretien avec Nguemadji Dabot, N'Djaména le 04-02-2022.

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CHAPITRE II : STRUCTURATION ET TRAITEMENT DU REGIMENT DES TIRAILLEURS SENEGALAIS DU TCHAD (RTS-T). 1910-1914

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Dans le but d'avoir des résultats après la mise en place du régiment des tirailleurs sénégalais du Tchad, la Métropole avait pensé à structurer puis à gérer les effectifs qui la composent. De ce fait, la hiérarchisation militaire étant l'une des premières règles de la grande muette, le RTS-T a à l'instar de toute armée obéit à cette logique.

Partant de ce constat, le présent chapitre entend dans un premier temps s'intéresser au noyau même du RTS-T ce qui sous-entend de mettre en exergue la diversité dans les recrutements autant chez les militaires locaux que, chez les militaires métropolitains. Car, si, la majorité de l'effectif du RTS-T fut majoritairement constitué de militaires locaux, force est également de constater que, un nombre conséquent de militaires venus de Métropole ont été incorporés à ce régiment. Suite à cette diversité au sein du RTS-T il était désormais question pour la métropole de penser la gestion de ces hommes qui, par la force des choses ont parfois été qualifiés de « frères d'armes ».

Il s'agit aussi de mettre en lumière la composition de ce corps car très peu d'études concernant l'ossature de ces régiments ont été menées. Ainsi, il est important dès lors de rappeler dans cette première section la composition du RTS-T ; ce qui sous-entend de revisiter leur différents modes de recrutement qui l'ont caractérisé puis, aborder la gestion de ce corps.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand