II- LA GESTION DES EFFECTIFS DU RTS-T
Au début du XXe siècle, l'augmentation
importante des effectifs de l'armée coloniale était avant tout
liée à la politique d'expansion coloniale144. De ce
fait, le développement des régiments de tirailleurs
sénégalais fut un mobile supplémentaire pour la France
d'accentuer sa position et son influence dans les territoires qu'elle dominait
et qu'elle envisageait s'accaparer.
140 Ils pouvaient notamment choisir d'incorporer les troupes
d'Infanterie, de cavalerie, Artillerie, génie et du train.
141 A. Guyon, 2017, p. 231.
142 M. André Leclerc, 1998, Le soldat et le
politique. Paris, Albin Michel, p. 81.
143 Ibid., p. 101.
144 M. André Leclerc, 1998, p. 11.
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Ainsi, le corps de troupe coloniale comme nous l'avons vu,
avait une composition hétérogène constituée de
soldats noirs et d'officiers métropolitains. Cependant, il est à
présent question de nous pencher sur le traitement des effectifs du
RTS-T.
Mais avant tout, il convient de rappeler que, le
régiment des tirailleurs sénégalais du Tchad a ceci de
mémorable qu'il était lié à la Métropole par
des engagements assortis le plus souvent de primes aux soldes divers. Ainsi,
dans l'optique de mieux cerner ces différences au sein du RTS-T, il
serait question ici de nous appesantir sur les questions liées aux
pécules, à la formation et à aux traitements sanitaires du
RTS-T.
A- La question des pécules au sein du RTS-T
Le corps du régiment des tirailleurs
sénégalais basé sur le territoire du Tchad fut l'une des
armées les plus dynamiques et les plus sollicitées au sein de
l'AEF. Même s'il est vrai que les questions des soldes au sein des
troupes coloniales restent un sujet peu mis en évidence, il est
indéniable qu'elle cristallise les relations
colonisateurs-colonisés à un moment de son histoire.
De ce fait, il est question ici d'aborder cette question sous
deux angles : les pécules des engagés et celui des
déplacés. Toutefois, il est aussi question de mettre en
évidence les aspects sombres du paiement des pécules souvent
minoré.
1-Les indemnisations du RTS-T au sein du
territoire
Au sein du régiment des tirailleurs
sénégalais du Tchad, la question de rémunération
des effectifs était diverse en fonction de la position qu'on occupait.
Si, les soldes perçues étaient différentes, force est
cependant de remarquer que le traitement était également
différent. C'est dans cette mouvance que plusieurs articles venaient
régulés les indemnisations des hommes qui servaient les
intérêts du drapeau français.
De ce fait, les avantages pécuniaires étaient
accordés en CFA145 aux appelés à l'instar des
engagés volontaires ou aux réengagés mais à des
soldes divers. Ainsi, le tirailleur sénégalais du Tchad
dès qu'il contractait un engagement au sein du RTS-T percevait une
indemnité de 0,25Cfa mensuellement146. Selon le même
décret mais dans l'article 5, les indemnités des
145 Cette monnaie coloniale dénommée
Communauté Financière Africaine (CFA) a servi dans les colonies
sous domination d'AOF et d'AEF entre 1880 et 1958 avant d'être
remplacée par le FCFA (Franc de la communauté Française
d'Afrique). Le CFA était arrimer au FF (Franc Français) et, 1CFA
valait 0.02FF.
146 Annuaire du Gouvernement Générale de l'AEF,
Arrêté du 15 Décembre 1912, Article 2.
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tirailleurs sénégalais appelés à
se déplacer à l'intérieur du territoire étaient
dédommagées à hauteur de 0.27CFA ainsi que sa
famille147.
Ceci reste des données publiées dans les
Journaux Officiels tenus par la Métropole et rédigés par
l'administration coloniale, elles ne sont pas toujours fidèles à
la réalité. En effet, certaines réactions et
événements nous amène à remettre en question
l'objectivité de ces données à l'instar des incidents du
01 Décembre 1944 à Thiaroye148. En outre, de
nombreuses réalisations cinématographiques149 vont
également à l'encontre de ces données liées aux
paiements des pécules.
Cette initiative était instaurée à
priori pour motiver la population du territoire du Tchad à
intégrer les rangs du RTS-T. Cependant, le contexte de tension
d'après 1911 fit changer les choses et c'est peut-être la raison
qui poussa la Métropole dès 1912 à diversifier la bourse
des soldats locaux. C'est dans cet élan que, pour dynamiser plus ses
troupes, la France fixa l'indemnité de pensions comme le mentionne le
décret des curricula du 30 Août 1914150. Mais, ces
pécules étaient différents pour les tirailleurs
sénégalais appelés à se déplacer.
2-Les pécules pour déplacés hors du
territoire
L'engagement des tirailleurs sénégalais par la
France dans l'optique de les intégrer dans leurs rangs fut une pratique
sans cesse grandissante. Cet acte marquait symboliquement un nouveau rapport
entre colons et colonisés par le simple fait qu'ils se côtoyaient
désormais dans un contexte qui les obligeaient à s'unir. C'est
ainsi que, Marc Michel les qualifiaient de « frères d'arme ».
Si par ailleurs, nous avons vu que l'engagement avait un coup, lorsqu'on
rejoignit le corps du RTS-T, cette rémunération était
différente lorsque les tirailleurs sénégalais
étaient appelés à servir hors de leur territoire.
En effet, si le rôle premier des tirailleurs
était de défendre leur territoire ou du moins celui dont la
France souhaitait se faire maitre, ces derniers pouvaient être
déployés loin de leur circonscription voire de leur colonie
d'origine. C'est en ce sens que cette section entend s'intéresser aux
primes alloués aux tirailleurs déplacés hors du territoire
du Tchad. Ainsi, si
147 Annuaire du Gouvernement Générale de l'AEF,
Arrêté du 15 Décembre 1912, Article 5.
148 Les incidents du camp de Thiaroye au Sénégal
sont restés célèbres du fait du massacre des tirailleurs
sénégalais qui réclamaient leurs pécules
après avoir combattu auprès de la France. Tandis que, la France
évoquait la mort de 30 tirailleurs survenus après une mutinerie,
des enquêtes ont révélé que pas moins de 300
tirailleurs ont été massacrés à tort.
149 On peut notamment citer, « Le camps de Thiaroye'
» de Sembene Ousmane, « Au nom de la mémoire » de David
Asouline.
150 ANT, Annuaire du Gouvernement Générale de
l'AEF, Arrêté du 30 Aout 1914, article 1.
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l'article 4 du décret relatif à l'emploi des
soldats locaux se penchait également sur les primes de
déplacés hors de leur colonie, cette ordonnance stipulait que
:
Au cas où les tirailleurs sénégalais
seraient appelés à servir hors de leur colonie d'origine et
qu'ils ne seraient pas autorisés à emmener leur famille, une
allocation journalière de 0fr.25 sera payée à leurs femmes
avec accroissement de 0.05Cfa par enfant de moins de 12 ans. Si les enfants
sont orphelins de mère, l'allocation qui leur sera acquise sera
payée à la personne qui en a la charge, faisant fonctions de
tuteur désigné par le chef civile ou militaire de circonscription
ou de subdivision151.
Mais, au vu des nombreux incidents liés parfois aux
paiements des pécules, cette ordonnance se présentait en fait
comme un « simulacre de bonne foi » de la part de la France. Car, le
caractère philanthropique de ce décret peut être remis en
question, surtout que, aucune action même mémorielle n'a
été entreprise pour conserver la mémoire de ces
tirailleurs sénégalais au Tchad.
C'est en s'insurgeant contre cet acte de « bonne foi
» que les paroles de Mbaidené Nadine152 sont
intéressantes, elle estime que : « les tirailleurs
sénégalais du Tchad ont servi les intérêts de la
France inutilement, la preuve flagrante est qu'il n'existe même pas une
rue qui porte leur faits d'arme ou même la construction d'un monument
censé rappeler leur engagement aux cotés de la
France».
Des soldes pécuniaires alloués aux tirailleurs
sénégalais, nous pouvons dire qu'elles ont constitués des
moyens efficaces pour enrouler les tirailleurs sénégalais dans
les régiments. Même si, l'applicabilité des décrets
relatifs au paiement de ces divers soldes est remis en question, force est
cependant de constater que, les tirailleurs sénégalais
particulièrement ceux du Tchad ont servi avec loyauté la France.
Toutefois, comment étaient traités au quotidien ces effectifs de
plus en plus grandissants ?
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