Accueil et influence d'a rebours dans la littérature fin-de-sièclepar Nada Arfaoui Université de Nantes - 1 ère année de Master de recherche en littérature française et comparée 2018 |
ConclusionAprès cette étude, il est possible de tirer plusieurs conclusions. Nous sommes partis d'une analyse comparatiste de trois oeuvres de la littérature française : À Rebours de Huysmans, Monsieur de Phocas de Jean Lorrain et Sixtine de Remy de Gourmont. Tout en nous intéressant à la réception et à l'influence de l'oeuvre huysmansienne, nous avons constaté qu'à la fin du siècle, les écrivains veillent à se conformer à une certaine vogue littéraire. En effet, lors de sa création, À Rebours a déçu les horizons d'attente, en l'occurrence les maîtres de l'école naturaliste et notamment Zola: «il s'arrêta brusquement et l'oeil devenu noir, il me reprocha le livre, disant [...]que je brûlais d'ailleurs mes vaisseaux avec un pareil roman[...] il m'incita à rentrer dans la route frayée»1. L'oeuvre de 1884 a subi des critiques acerbes sous prétexte que sa trame, ses thèmes et son style inaccoutumés ne s'inscrivent pas dans une histoire littéraire puisque toute littérature dérive d'une littérature antérieure. Cependant, la succession des interprétations à l'époque, a joué en faveur de l'auteur et de son ouvrage: les critiques littéraires se sont rendues compte de l'importance de l'écart esthétique que porte À Rebours. Le génie littéraire de Huysmans jalonne la fin du XIXème siècle et un bon nombre d'écrivains vont marcher sur ses pas. Notre étude, tout en abordant deux exemples phares, qui s'inscrivent dans la même lignée d'À Rebours, souligne le souci qu'avaient les auteurs à cette époque de s'accommoder à la tendance littéraire. Nous parvenons dans cette étude à saisir l'importance des études réceptives dans le parcours d'une oeuvre littéraire. En mesurant l'influence d'À Rebours sur la littérature fin-de-siècle, nous avons constaté le rôle majeur qu'ont joué les études de réception dans le retentissement de l'oeuvre de 1884. Cette dernière a constamment oscillé entre des critiques acerbes et des critiques bienveillantes et constructives, qui ont participé à véhiculer son nom. Les études de réception constituent un domaine relativement bien identifié au sein de la recherche en littérature, singulièrement de la recherche comparatiste. En tant que comparaison entre trois ouvrages, notre étude rentre dans cette logique de réception. En effet, il ne s'agit plus de s'interroger sur la valeur d' À Rebours et l'oeuvre décadente en général mais plutôt il est question de confirmer cette valeur. 1 Joris-Karl HUYSMANS, op.cit [préface] 61 Plusieurs points peuvent résumer les apports cruciaux de cette étude. À la charnière des deux domaines complètement différents: littérature et psychologie, cette étude ne touche pas seulement des données littéraires et fictionnelles mais influence d'une manière ou d'une autre la personnalité même du lecteur. En effet, se lire comme une fiction n'est pas une aberration nous éloignant de la réalité, il s'agit bien au contraire d'un moyen de nous en rapprocher. la fictionnalisation des sujets névrosés permet une prise de distance avec les éléments qui leur posent problème et par là mieux se comprendre soi-même. Cette étude nous montre bien à quelle aide fondamentale peuvent parvenir littérature et psychologie, leviers l'un pour l'autre si on les sollicite tels quels. Cette pensée ne réduit pas la littérature à une forme de thérapie mais entend simplement que parmi d'autres richesses, elle possède cette ressource. Loin de d'être un simple miroir permettant au lecteur de se voir et de se juger, les névropathes occupent le devant scène dans les ouvrages décadents pour provoquer une réflexion sur l'humanité: une incitation de réformer les comportements induits par des caprices aveuglants. Cette dimension éducative se décèle via les conduites irréfléchies des personnages, qui s'auréolent la plupart du temps avec des conséquences désastreuses. On cite en l'occurrence l'incrustation d'un joyau dans la carapace de la tortue, qui a mis fin à la vie de l'animal dans l'oeuvre huysmansienne ou encore cette poursuite obsessionnelle de la transparence glauque couronnée par un meurtre dans Monsieur de Phocas. En analysant la construction de la personnalité des personnages décadents, nous nous rendons compte de la complexité des problèmes psychiques qu'ils endurent. Cependant, les écrivains proposent en contrepartie une alternative. L'étroitesse du lien entre la névrose et l'art dans toutes ses expressions est flagrante dans les trois textes. Quoique stimulateur de la névrose, l'art s'impose comme une solution de contournement efficace. L'exemple de Hubert d'Entragues illustre parfaitement l'idée, le héros de Sixtine, tout en s'adonnant à l'écriture romanesque, a pu se défendre contre sa névrose. Dans notre réflexion, nous avons aussi montré que la structure même des oeuvres est représentative de cet état psychique déséquilibré. La déconstruction romanesque, la discontinuité et le brouillage renvoient au désordre intérieur des personnages. En fait, les auteurs décadents estiment que les techniques traditionnelles du récit échouent à rendre compte de l'instabilité fin-de-siècle. Notre étude met en avant cette révolution formelle et la cristallise. Cependant, ce désir abusif de conformer forme et fond aurait pu nous mener à d'autres pistes, synonymes de moins de liberté pour le lecteur. Si le style décousu permet de communiquer les tourments psychiques des personnages et de libérer les auteurs des contraintes des normes classiques, il pourrait tout de même influencer négativement le lecteur. Suite à la renonciation à la linéarité et à la cohérence, le lecteur pourrait lui aussi à tour de rôle renoncer à la lecture du roman. Pire encore, si l'appréciation du roman conditionne une identification au personnage, le lecteur des ouvrages décadents pourrait risquer à son tour son équilibre psychique. Au cas 62 d'une prise de distance vis-à-vis au personnage principal du roman, il serait aussi clair que le lecteur va rompre avec la lecture de ce roman parce que la possibilité de s'attacher à la lecture d'un livre sans pour autant éprouver une certaine sympathie à l'égard de ses personnages, reste très faible. La position du lecteur à l'égard des textes décadents demeure une zone d'ombre à explorer. 63 |
|