Chapitre 1. Mise en contexte et problématique
1.1 De l'émergence des études sur
l'émigration secondaire
L'émigration secondaire internationale est une
migration des personnes vivant dans un pays autre que leur pays de naissance,
vers un autre pays. Ainsi, divers termes ont été utilisés
par les chercheurs qui s'y sont intéressés : migration
secondaire, migration tertiaire, migration par étapes, migration en
série, migration multiple, migration en plusieurs étapes,
migration triangulaire, ré-migration et migration indirecte. (Nekby,
2006; Sorana et al, 2015; Oishi, sd; Larramona, 2013; Anju, 2011; DeVoretz and
Ma, 2002; Aydemir et Robinson 2008; Lam, 1996; Ossman, 2013; Greenwood &
Young, 1997). Tous ces termes font référence au même
processus de migrants entreprenant des étapes1 de
durée substantielle dans plusieurs pays de destination (Anju, 2012).
Les questions en rapport avec cette forme de migration sont
récentes parce que la migration internationale a été
pendant longtemps analysée comme un mouvement unique et unidirectionnel
d'un pays d'origine vers un pays de destination (Oichi, 2012). Pourtant, les
trajectoires migratoires peuvent s'avérer plus complexes ; les migrants
peuvent notamment s'installer successivement dans plusieurs pays en adoptant
soit une migration de transit soit se retrouver dans un schéma de
mobilité circulaire (Oichi, 2012 ; Sorana et Eleonora, 2015 :69).
Peu d'études ont mesuré l'intensité de
l'émigration secondaire parce que sa mesure n'est pas aisée. Deux
de ces études, menées à des périodes
différentes combinant les données administratives, des
enquêtes et de recensement, ont approximé l'émigration
secondaire aux Etats-Unis et au Canada. Aux Etats-Unis, l'étude de
Takenaka (2007) combinant les données de recensement (US Census 2000),
l'enquête sur les nouveaux immigrants (NIS) de l'Université de
Princeton (2003), les statistiques d'immigration recueillies par les services
de citoyenneté et d'immigration des États-Unis (USCIS, 2000), et
les statistiques de visa (Plusieurs années), a trouvé que 12,5%
de tous les immigrants admis aux États-Unis en 2000 venaient de pays
autres que ceux dans lesquels ils étaient nés. Cette proportion
se chiffre à 16% au Canada, estimation obtenue grâce aux dossiers
tenus par Emploi et Immigration Canada sur chaque immigrant admis
légalement au cours de la période 1968-1988 (Greenwood et Young,
1997).
1 Ces termes sont par conséquent
interchangeables et sont utilisés comme tels dans la suite du texte
selon que les auteurs consultés en font références.
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Actuellement, à peine, quelques études
empiriques ont été menées pour expliquer pourquoi certains
immigrants partent dans d'autres pays au lieu de rester dans le premier pays
dans lequel ils ont migré. (Takenaka, 2007 ; Larramona, 2013 ; Kelly
2013, Triandafyllidou, 2013, Sorana et Eleonora, 2015). Ces études
montrent que les facteurs qui expliquent les trajectoires de migrations
multiples ou de l'émigration secondaire internationale dépendent
aussi bien des caractéristiques individuelles des candidats potentiels
à l'émigration secondaire que des réalités
socio-économiques et politiques des pays de destination et d'origine.
Ces études sont qualitatives et quantitatives et menées dans des
contextes différents.
Les études qualitatives révèlent que la
multiplication des mouvements internationaux est devenue une stratégie
de mobilité récurrente adoptée notamment lors des
périodes de crise économique, crise politique et échec
d'intégration (Anju, 2011 ; Schapendonk, 2012, Benton & Petrovic,
2013, Beenstock, 1996, Humphries et al, 2009). C'est le cas, en particulier, de
certains travailleurs semi-qualifiés et non qualifiés aux
Philippines qui accumulaient stratégiquement des expériences de
travail ailleurs avant de postuler à des postes d'aides-soignants des
personnes âgées au Canada où ils finissaient par
s'installer et regrouper leurs familles (Oichi, 2008).
Les études quantitatives mettent en exergue d'une part,
les caractéristiques individuelles des candidats potentiels à
l'émigration secondaire qui sont d'ordre social, économique et
culturel (Greenwood et al. 1997; Nekby, 2006) et d'autre part,
révèlent l'importance notamment de réseaux familiaux et
personnels voire transnationaux et de facteurs institutionnels dont les
politiques migratoires et le processus d'intégration (Boyd, 1989 ;
Touré, 2015 ; Van Liempt, 2011 ; Beenstock, 1996).
Parmi les facteurs socio-économiques, Nekby (2006) a
mis en exergue le niveau d'éducation et de revenu. S'intéressant
à la migration secondaire et de retour en Suède, à l'aide
de données de Statistics Sweden (SCB), Nekby (2006) est arrivé
à la conclusion selon laquelle les immigrants qui quittaient la
Suède pour d'autres pays avaient un niveau d'éducation et de
revenu plus élevés que ceux qui s'installaient en Suède.
Au niveau d'instruction et de revenu s'ajoute d'autres caractéristiques
individuelles telles que l'âge et les aptitudes ou capacités
linguistiques. Greenwood et Young, (1997), à l'aide des dossiers
conservés par Emploi et Immigration Canada sur chaque immigrant
légalement admis au cours de la période 19681989, ont
trouvé que les migrants secondaires -qu'ils qualifient des immigrants
géographiquement indirects- ont tendance à être plus
âgés, plus scolarisés et plus qualifiés par
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rapport aux migrants directs (immigrants
géographiquement directs). Ces auteurs renchérissent, que s'ils
ne sont pas nés dans un pays anglophone ou francophone, les immigrants
indirects ont plus de chances de parler couramment le français et
l'anglais que les migrants directs nés dans ces pays.
S'agissant de l'importance de réseaux, l'étude
de Boyd, (1989) a montré que les liens avec des migrants à
l'étranger encouragent les individus à migrer en diminuant les
risques et les couts et en augmentant les bénéfices liés
au mouvement. Ces liens aident les migrants pendant leur voyage, en leur
évitant notamment d'être exploités ou de subir des mauvais
traitements, mais aussi contribuent à alimenter les aspirations pour des
nouvelles destinations à travers le partage d'information (Bang Nielsen,
2004). Ainsi, la présence de membres de la famille ou d'amis dans le
pays de destination constitue un tremplin vers une migration multiple (Van
Liempt, 2011) jouant ainsi le rôle de facilitation et de motivation
(Schapendonk, 2012).
Pour ce qui est des facteurs institutionnels, Beenstock (1996)
a abordé la question de la migration secondaire sous l'angle de
l'intégration :"Failure to Absorb: Remigration by Immigrants into
Israël". Il s'est proposé d'analyser dans quelle mesure
l'échec de l'intégration -prenant en compte l'Emploi et le
logement comme variables d'intérêt- est-il lié à la
migration secondaire en Israël. Son étude a
révélé que la migration des immigrants vers un pays tiers
n'était pas nécessairement due au chômage mais plutôt
à des difficultés d'intégration sociale telle que la
langue et le logement. Ainsi, la propension à la migration augmente si
l'immigré n'a pas obtenu un logement permanent. Au logement permanent
s'ajoute la problématique liée à la citoyenneté
comme l'un des facteurs explicatifs de l'émigration secondaire. A ce
sujet, l'étude de Humphries et al (2009), sur l'intention de partir au
Canada, aux États-Unis et en Australie auprès des
infirmières philippines et indiennes en Irlande, a montré que
l'incertitude quant aux droits de résidence et à
citoyenneté (en particulier pour les enfants) influence positivement la
décision des infirmières migrantes de quitter l'Irlande.
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