5. Etat de lieu de l'implantation effective du Port de
Kribi
Le point de vue actuel des populations
Les chefs du Villages : En juillet 2015, nous
avons rencontré les principaux chefs des villages du Paysages culturel
de la Lobé et voici l'essentiel de nos entretiens : ils ont tous
répondu aux mêmes questions.
Sa Majesté Jean Blaise TSAGA
-DI-GUI, Chef du Village Mbeka'a : D'après
le chef, son village à l'origine se trouvait par la zone
désormais occupée par la SOCAPALM6. Ils ont
été obligés de se recaser là où ils sont
aujourd'hui.
A votre avis quel est l'impact de la construction du PORT
sur l'environnement (fleuve et mer, champs, animaux etc.) ?
L'implantation de la SOCAPALM dans cette zone avant le projet
du port, a détruit les forêts, les sites d'initiations, et les
vrombissements des engins empêchent le repos paisible de la population.
Le tracé de l'autoroute dans un premier temps passait dans la SOCAPALM.
Celui-ci a été repris deux fois par la DIPD et l'autoroute qui
était prévu passé par la SOCAPALM a été
déviée à cause du taux élevé du
dédommagement que l'Etat devrait verser à cette
société. Conséquence les Mbéka'a sont à
nouveau contraints de céder une bonne partie de leurs terres au
détriment de l'autoroute. A cet effet, les habitations sont
détruites, les cultures, les forêts, la pharmacopée sont en
train de disparaitre. Depuis le début des travaux,
5 Idem.
6 Société Camerounaise de Palmeraies
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les animaux de la forêt ont fui. L'apport d'une nouvelle
route est certes un plus pour le développement, l'entrée
principale des chutes de la lobé a été
améliorée, et les travaux sont toujours en cours. Pour le fleuve
lobé, les travaux prévus ne sont pas encore
réalisés.
Quel est l'impact sur le plan économique
(opportunité de travail, de formations, d'études etc.) ?
Les jeunes du village ne sont pas formés pour un
quelconque travail important. Ils sont relégués à des
tâches minables ne rapportant rien au village. Ils
préfèrent vaquer à leurs tâches habituelles.
Les chefs traditionnels ne sont pas au centre du
développement. Ils sont assujettis par les autorités de
Yaoundé et Kribi. Conséquence le dédommagement n'est pas
louable à cause des terrains non titrés. Des textes de lois et
décret ou toute autre sont brandis pour prendre en charge seulement les
terrains titrés. Et le fameux dédommagement est arbitraire
parfois à tête chercheuse car les premières listes de
dédommagement ne comportent pas tous les ayants droit. Et depuis le
début de ce projet, les populations n'ont pas encore été
indemnisées.
Depuis le début de ce projet, le coût de la vie a
changé dans cette zone. L'inflation est à la mode sur tous les
produits. A titre d'exemple, le poisson qui se vendait en tas se vend
désormais en kilos les prix ont doublés voire même
triplés.
Quel est l'état actuel du volet traditionnel avec
cette proximité ? (Cultes, rites, espaces sacrés, etc.)
La destruction des sites rituels et espaces sacrés a
commencé avec l'implantation de la SOCAPALM, et se trouve dans une
avancée considérable aujourd'hui avec ce projet. Nous assistons
à un déplacement important des populations pygmées de la
zone. Les rites ne peuvent plus être accomplis.
S.M. BIKOUO Henri, Chef du Village
Ndoumalè :
A votre avis quel est l'impact de la construction du PORT
sur l'environnement (fleuve et mer, champs, animaux etc.)
La destruction des sites rituels et espaces sacrés a
commencé avec l'implantation de la SOCAPALM, et se trouve dans une
avancée considérable aujourd'hui avec ce projet. Nous assistons
à un déplacement important des populations pygmées de la
zone. Les rites ne peuvent plus être accomplis. La SOCAPALM a
été la toute première société à
causer un grand désastre dans ces villages. Elle a détruit les
ruisseaux, les arbres. Les populations qui vivaient des travaux
champêtres ont tout perdu après son installation et les riverains
n'ont pas été indemnisés. Les palmiers sont plantés
à 1m des fleuves contrairement aux normes
47
prévues. Une autre situation assez embarrassante plane
sur les riverains. Celle de la non prise en compte des droits fonciers
coutumier par l'Etat. Les terres sans titre foncier sont arrachées aux
populations qui les détiennent depuis des décennies aujourd'hui.
Et tous ceux qui ont entrepris les démarches pour l'établissement
des titres fonciers ont été enroulés dans l'étau de
la procédure, savamment menée par les responsables de ces
services. C'est après plusieurs plaintes portées des chefs
traditionnels auprès des autorités compétentes que
certaines situations de titres fonciers se sont décantées.
Actuellement les sociétés installées sur
ce site sont : HEVECAM, SOCAPALM, Rio Tinto Alcam, EDF Suez (Gaz de France),
Une compagnie d'aluminium, une société chinoise qui s'occupent de
la construction des points de traitement des eaux pour le ravitaillement du
port en eau profonde. Les riverains déplorent le déversement des
boues et d'autres produits inconnus dans le fleuve la lobé,
rendant ainsi les bains impossibles.
La Scan water (Société Nationale des eaux) ne
désert pas la population. Les compagnies chinoises et d'autres
sociétés installées dans le coin détruisent
plutôt les routes et les buses qu'elles ont trouvées sur le site
avec leurs voitures. Il n'y a pas d'assainissement du milieu mais une
dégradation assez considérable des infrastructures trouvés
avant le lancement des travaux.
Quel est l'impact sur le plan économique
(opportunité de travail, de formations, d'études etc.) ?
Sur ce plan le bilan est assez déplorable. Au
début du projet, tous les riverains étaient enthousiastes dans
l'idée de trouver du travail et de voir leur village se
développer. Le sort est mitigé. Les jeunes des villages ne sont
pas recrutés et le manque de travail n'a pas changé. Les quelques
jeunes (au nombre de 5 maxi) qui sont employés, ne sont pas
enregistrés. La main d'oeuvre est chinoise. Tous ceux qui sont partis
d'autres régions à la recherche du travail dans cette zone
dorment à la belle étoile au risque des piqures de serpent et
tout autre accident, pour ne pas se voir employer.
Actuellement, la souffrance grandissante au sein de cette zone
a déjà donné naissance à une révolte interne
des riverains que les chefs traditionnels essayent tant bien que mal de
maitriser mais ils ont peur que leurs populations se retournent contre eux, car
taxés de complicité.
Les chefs traditionnels déplorent le manque de
collaboration entre les autorités administratives et les riverains. Ces
derniers qui signent des documents officiels délimitant ainsi les
parcelles de terrains dans cette zone ne connaissent même pas les limites
des parcelles. Et ce désordre crée de véritable
problème entre les sociétés et les riverains. Le
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tonnage n'est pas respecté, les projets mettent les
populations en insécurité, et au finale, les autorités
administratives se remplissent les poches en ignorant la réalité
que subissent les populations. Et pour couronner, sur ce tronçon de 9
Km, il n'y a pas d'école, pas d'hôpital pour ne citer que ceci.
Quel est l'état actuel du volet traditionnel avec
cette proximité ? (Cultes, rites, espaces sacrés, etc.)
Beaucoup de traditions et rites sont en train de disparaitre
à cause de l'implantation de ces sociétés. Les lieux
sacré et espaces sont détruits et aucune mesure concrète
n'est pas visible pour la pérennisation. Les riverains subissent tous la
pression des sociétés et cette pression est dictée par les
autorités.
S.M EKO Roosevlt, Chef du village
Lobé
À votre avis quel est l'impact de la construction
du PORT sur l'environnement (fleuve et mer, champs, animaux etc.)
La pollution est inévitable si les pouvoir publics ne
prennent pas les mesures à temps. Il est important de veiller sur le
recyclage des déchets des sociétés qui vont s'installer
sur ces sites ainsi que les bateaux qui vont accoster. Mais comme nos
dirigeants sont laxistes, avares et égoïstes, nous sommes
très sûres que le chaos est inéluctable.
Les dirigeants et les acteurs économiques de notre pays
continuent à prendre les affaires et les investissements publics
à la légère, simplement pour satisfaire leurs
égoïsmes et intérêts personnels. Le tronçon
routier Kribi-port est insignifiant compte tenu du trafic qu'il va supporter.
Pour le moment tout va bien mais si nous faisons une projection dans 10 ou 15
ans après, cette route à grand trafic, sera comparée
à une route de quartier modernisée.
Nous assistons aujourd'hui à un achat important de
terrain. Et ce déferlement est orchestré par les autorités
compétentes c'est-à-dire les sous-préfets, les personnels
du cadastre et domaine etc. En bref c'est une mafia comme nous avons l'habitude
de le voir en occident qui s'est déjà installée ici. Et ce
sont les pauvres et les faibles qui subissent. Les autochtones moins avertis et
avides d'argent sont trompés dans la vente des terrains. Par exemple,
pour une parcelle de 2000 m2, ils peuvent recevoir une somme de 500
000 F CFA (environ 763.36€) et une vieille automobile restaurée
à hauteur de 200 000 FCFA (environ 305.34€) dont les pièces
de rechange sont rares et chères et qui peut avoir vue l'âge de la
voiture, une valeur marchande de 800 000 F CFA(1221.37€). Au final, la
voiture roule pendant une ou deux semaines et surviennent les pannes. Tout le
reste d'argent quand celui-ci n'a pas servis à
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faire des fêtes, sera encore investis dans ledit
véhicule et finalement va être garée dans la cour de ce
dernier, signe d'une affaire conclue. Des exemples pareils sont
légions.
Quel est l'impact sur le plan économique
(opportunité de travail, de formations, d'études etc.)?
Le volet économique est un autre maillon de la chaine
qui nous préoccupe. Rien n'a été fait à ce niveau
et les résultats que nous avons aujourd'hui ne sont pas surprenants.
Aucun jeune d'un village quelconque n'a une formation requise pour les
sociétés qui se sont installées ou qui vont s'installer.
Les quelques jeunes qui ont été employés dans ces
sociétés gagnent des sommes d'argent minable à savoir
35000 F CFA/mois (53.43€). Tous ont préféré
abandonner ces emplois pour retrouver leur activité de pêche
où un seul tour en mer leur rapporte plus de 35000 F CFA. En faisant un
calcul simple c'est-à-dire 35000 F CFA/ jour, et en travaillant pendant
10 jours, ils ont un gain de 350 000 CFA (environ 530.43€). Conclusion ces
travaux mal payés ne sont pas importants. Mais il ne se fait pas tard
pour qu'on forme les jeunes. C'est pourquoi j'ai pris sur moi de créer
un CETIC7 qui va de la 1ere à la
2ème année. Il renferme comme filière, la
maçonnerie, la menuiserie, l'électricité, la
comptabilité. Les jeunes formés pourront prétendre
à des meilleurs emplois et salaire.
Depuis l'installation de ces sociétés, l'on
constate une augmentation du cout de vie. Ce sont les nécessiteux qui
payent les frais et non les nantis.
Quel est l'état actuel du volet traditionnel avec
cette proximité ? (Cultes, rites, espaces sacrés, etc.)
Ce volet est celui qui fait encore le plus mal. Toutes les
espaces sacrés sont vendus. Nous pouvons citer l'achat d'un
cimetière de à proximité du village Mbéka'a. Les
rites qui se pratiquent au niveau des cours d'eau sont menacés de
disparition parce que les cours eaux commencent à se polluer. Dans 10
ans ou plus qu'en sera-t-il ? Plusieurs sites de rituels et touristiques ont
été détruites au détriment de la construction du
port. Si rien n'est fait les traditions, les cultes, les rites et tous les
autres espaces sacrés vont totalement disparaitre.
S.M BeundeEvilaLudwing, Chef du Village
deBwambè :
A votre avis quel est l'impact de la construction du PORT
sur l'environnement (fleuve et mer, champs, animaux etc.)
Les populations autochtones ont salué l'avenu de ce
projet en sachant que les villages vont connaitre l'évolution à
travers la construction des écoles, hôpitaux, et surtout
7 Collège d'Enseignement Technique, Industriel
et Commercial.
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l'amélioration du niveau de vie de chaque famille par
le biais des indemnisations des terrains qui vont être faites. Mais aussi
que les jeunes vont être formés et trouver des emplois
décents. Mais la réalité actuelle a causé un
dégout chez les riverains qu'ils auraient souhaité que ce projet
n'existât point. Les fleuves sont déviés
transformés, nous assistons à un vaste déplacement des
animaux, les habitants sont obligés de partir un peu plus loin dans les
forêts pour recréer d'autre champs. Les indemnisations sont
partielles. Au lieu de venir résoudre un problème, le projet en
crée plutôt une multitude. La déforestation déplace
les populations de leurs zones d'occupations vers d'autres. Si ce rythme
incessant continu, est- ce que le recasement sera possible ? C'est autant de
questions que se posent les riverains. Les autorités ont parlé de
recasement des populations vers de nouveaux sites, mais c'est un leurre parce
que les travaux qui sont envisagés concernent plutôt les futurs
employés du port. Les terres sont arrachées, et les populations
ne sont pas recasées et seront obligées de se débrouiller
comme elles peuvent.
Quel est l'impact sur le plan économique
(opportunité de travail, de formations, d'études etc.) ?
Il n'y a pas d'opportunité pour les riverains. Aucune
structure de formation n'a été implantée malgré la
demande faite par les chefs traditionnels et les populations lors des
différentes rencontres avec les autorités avant le lancement du
projet.
Les sociétés installées pour
l'implantation du port n'emploient pas les riverains. Si on prend le cas de la
centrale à Gaz, les noms des ingénieurs camerounais retenus n'ont
pas été pris en compte. Tous les travailleurs viennent de la
Suisse, du Canada et d'autre pays. La société chinoise CHEK
n'emploie aucun jeune du village, RAZEL8 a recruté par
village quelques jeunes par rapport à ce projet. Même les
sociétés Camerounaise (FNE) n'encouragent pas les jeunes du
village. Les travaux et les formations sont faits pour les personnes venant
d'ailleurs au détriment des jeunes du village.
Pas de projet d'étude environnemental sur le terrain.
Toutes les études se sont faites dans les bureaux ignorant ainsi les
réalités du terrain.
Quel est l'état actuel du volet traditionnel avec
cette proximité ? (Cultes, rites, espaces sacrés, etc.)
Les chefs traditionnels observent impuissamment comment les
sites sacrés, les sites réservés aux rites et lieux de
cultes sont en train d'être détruites. Pour le moment l'extension
du projet ne touche pas encore tous les sites sacrés. Néanmoins,
nous déplorons la destruction
8 Filiale nationale de l'Entreprise
française de construction et des travaux publics RAZEL-BEC
51
du rocher sacré (le Rocher du Loup) sur lequel le port
passe. Et cette situation empêche actuellement toute manifestation
culturelle.
Lors de notre dernière visite sur le site, nous avons
eu l'opportunité d'assister à la réunion des collectifs de
tous les chefs de la région qui sont touchées par le projet du
Port. Les chefs déploraient les promesses non tenues et
l'indifférence des responsables du port à ce propos, et mettaient
en oeuvre les stratégies pour manifester leur colère et
indignation auprès du chef de l'Etat, face au pillage et à la
destruction du site mais plus encore le Trafic des indemnisations et des titres
fonciers orchestré par les autorités administratives.
Les Associations des jeunes (pécheurs et guides) :
La plupart des jeunes de ces villages sont soient
pécheurs, soient guides et sont tous regroupées au sein d'un
collectif d'association. Ils s'organisent pour l'entretien des plages,
notamment celle des Chutes de la Lobé, et s'occupent aussi de la
restauration au bord des chutes de la Lobé. Ils assurent aussi en
général la sécurité du site ça faut-il le
préciser il est encore ouvert. Lors de ma dernière visite sur le
site en Avril 2016, j'ai eu l'opportunité de les rencontrer sur la plage
au bord des chutes.
Comment appréciez-vous la présence du Port
sur votre site ? Quels sont les avantages et les inconvénients ?
Notre site a toujours été convoité par
les grands projets, par tous les Ministères qui défilent ici,
mais avec le Projet du Port, nous nous sommes dit, nous allons sortir du
chômage. Ils nous ont promis du travail, des formations, nous pensions
que notre vie allait changer. Mais si vous nous voyez tous réunis ici
à la plage pour vaquer à nos occupations, c'est que rien n'a
changé.
Les chinois sont racistes et amènent des
employés de la Chine. Nous n'avons jusqu'alors
bénéficié d'aucune formation. Ils nous utilisent comme
manutentionnaires et nous font travailler plus de 15 heures par jour. Nous
devons portez des charges lourdes manuellement qui mettent notre santé
en péril et pour un salaire dérisoire. Alors nous avons
préservé notre santé et préférons nous
occuper de la pêche notre activité première.
Quels sont donc en dehors de la pêche vos occupations
actuelles ?
Nous avons ici beaucoup de petites associations reconnues par
les autorités administratives locales, mais nous sommes tous
regroupés au sein d'un collectif d'Association ou nous avons des
pécheurs, des restaurateurs, des guides. Avant nous n'étions pas
organisés mais nous avons déjà des guides
spécialisés pour les chutes, pour le fleuve Lobé et pour
tous les autres sites ; Nous nous occupons aussi de la sécurité
et de la propreté
52
de la plage. Mais nous avons un gros problème de
sécurité, car depuis le problème du Port, les gens font
main basse sur le site, regardez à titre d'exemple, nous avons vu ici un
Monsieur qui a débarqué ici avec des engins et ont commencez
à tout couper, à tout défricher, en disant qu'il est
envoyé par la Première Dame de la Républiques pour
construire un hôtel. Vous vous imaginez, construire un Hôtel
à cet endroit c'est détruire la beauté du site ? Nous
avons voulu nous y opposer mais il avait une sorte de bandes de « gorilles
armés ». Alors nous avons fait appel à l'autorité
administrative qui a fait suspendre les travaux. Ce qui devrait être un
signe que c'était une arnaque. Nous ne savons comment défendre
notre site de ce type d'envahisseurs qui n'hésitant pas à usurper
les identités des hautes personnalités de la République
pour nous arnaquer. Nous n'avons plus rien à dire sur notre site ? Non
nous voulons nous défendre désormais et trouver des bonnes
stratégies.
Les représentants des femmes au foyer des villages
du site:
En tant que femme autochtones ou vivant sur le site
comment apprécier vous la présence du Projet du Port ?
Vous savez que notre principale activité ici est les
champs et la pêche des crevettes. Mais depuis la présence de ce
projet, nos champs sont détruits et nos terres ne nous appartiennent
plus. Alors nous n'avions plus que la pêche des crevettes pour survivre,
même ces crevettes-là, nous n'en avons plus, car la plupart
meurent à cause de l'eau du fleuve devenue insalubre. Nous aurons voulu
que le Port nous aide à moderniser notre pêche jusque-là
artisanale, de manière à être plus présente sur la
marche dont la demande devient de plus en plus nombreuse avec tous ses
étrangers sur le site. Mais rien de tout cela a été faite,
au lieu de cela, ils tuent nos crevettes et ne prennent pas aucune protection
pour les protéger. Ils nous avaient pourtant promis de préserver
nos crevettes et notre poisson, c'est la seule richesse que nous avons de la
nature, si tout s'en va, c'est la famine et la mort qui va suivre.
Le conseil exécutif des chefs traditionnels.
Lors de notre séjour sur le site en Avril 2016 nous
avons eu l'opportunité de rencontrer quelques chefs traditionnels sur le
site à l'issue d'une réunion de crise sur les problèmes
dans leur territoire, notamment avec le Projet du Port de Kribi. Nous n'avions
pas l'autorisation d'assister à la réunion, mais ils ont
accepté de nous accorder un entretien.
Quelles sont l'état des promesses que vous ont fait
les responsables du Port et quelle est la situation actuelle sur le site
d'après vous ?
Aucune des promesses faites par le Port ou de nos propositions
n'ont été tenues. Ils nous ont promis que la tranquillité
et la sécurité des populations sur le site serait
préservées, mais à ce jour le sommeil est désormais
perturbé à cause des camions qui passent en
53
permanence et de surcroit à une vitesse dangereuse.
D'autre par les signes de la pollution sur le fleuve deviennent
évidentes, car l'eau a désormais en couleur jaunâtre. Le
projet de l'autoroute empiète sur le développement, il entraine
la destruction des terrains et des maisons, ainsi que des cultures
champêtres, l'agriculture devient inexistante et la famine s'installe
dans les villages.
L'indemnisation promise a été bafouée, et
donnée à moitié. Les évaluations y relatives ont
été mal faites, elles n'ont pas tenu compte de la valeur
sentimentales de nos biens immobiliers et au final, nous nous posons la
question de savoir si le développement de la ville de Kribi est pour qui
et au profit de qui ?
En parlant de la localisation, délocaliser une
population est la tuer, et en plus la non implication des populations
elles-mêmes dans ce processus est plus grave encore. Nous
déplorons le fait que tout ce qui se passe sur le site se passe sans
nous, nous ne sommes impliqués dans aucune décision qui engage
nos vies, notre communauté, et l'avenir de nos enfants, il n'existe
aucune plateforme de rencontre, ou de dialogue entre nous populations
riveraines et les décideurs.
1. La situation en temps réel sur le
site
La situation telle que vécue sur le terrain et ainsi
évoquée donne un sentiment de perplexité assez
poussé. En effet , pour les responsables du Complexe Industrialo
Portuaire de Kribi (CIPK), le projet dans ses avantages est
indéniablement une opportunité de croissance de l'Economie sur le
plan national et sous régional, mais plus encore pour la ville de Kribi
et de villages environnants qui devraient être les
bénéficiaires directs , en terme de développement, et
d'éducation mais également en terme de réduction de la
pauvreté en pourvoyant des formations professionnelles et des emplois
aux jeunes natifs du site. Mais pour les différents acteurs sur le
terrain, la situation est toute autre car il ressort de ces différentes
consultations le désespoir, la déception, mais plus encore un
sentiment de révolte. Les promesses attendues ne sont pas
réalisées, les initiatives futuristes du site sont prises et
décidées sans l'implication de la communauté ce qui
résultent des solutions non adéquates et inadaptées aux
besoins réels des ayants droits ; par exemple, en ce qui concerne la
solution trouvée pour la délocalisation, les populations
autochtones se reconnaissent pas dans ce nouveau site. En effet, les personnes
déplacées sont des peuples du bord de l'eau. L'eau est
l'élément vital de leur survie, le support de leur croyances
spirituelles, le vivier inestimable et indispensables dont l'attachement
indéfectible va bien plus au-delà d'une simple raison de
proximité, mais d'un héritage ancestral qui englobe les us et les
coutumes transmises de
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génération en génération ,au fil
des temps. Ce peuple de pêcheurs peut-il dès lors se transformer
en chasseurs, en devenant désormais des délocalisés dans
une zone de forêt ? Cette inquiétude rejoint celle de la
protection des traditions et des lieux sacrés. Cependant, de notre
entretien avec le Responsable de l'Environnement du site, il ressort que le
CIPK rassure qu'ils n'aient pris aucune initiative en ce qui concerne ce
domaine, laissant toute la responsabilité aux populations riveraines,
celles-ci rétorquent que le développement lié au Projet
est une nuisance extrême pour leurs lieux de cultes.
Sur le plan socioéconomique, c'est une sourde
révolte qui revient dans toutes les consultations, les jeunes ne sont
pas formés, ne peuvent prétendre aux emplois qualifiés,
ils sont généralement employés comme manoeuvre et sont
sous-payés, se sentent exploités et préfèrent
rentrer à leurs activités premières qui sont la
pêche et le guidage, mais plus encore ils se sentent frustrés de
voir des personnes étrangères venir de très loin pour
travailler sur le Projet. Mêmes les jeunes diplômés sont
délaissés au profit des jeunes non originaires de la
région qui arrivent sur recommandations par des pistons. La frustration
est d'autant plus grande que les populations se plaignent des manipulations
frauduleuses sur le calcul des indemnités d'expropriation et que les
listes seraient ne remplies de personnes fictives, inconnues des villageois,
détenteurs de titres fonciers faux ou fictifs, et cela se seraient faits
avec la complicité des autorités administratives. Ce qui est
rejeté en bloc par les responsables du Port qui affirment que les
personnes concernées par les premières indemnisations ont
utilisé leur argent à d'autres fins, et se voyant démunis,
cherchent par ces subterfuges, à extorquer encore de l'argent pour de
nouvelles indemnités. De même, d'après le Responsable de
l'environnement du CIPK, pour justifier les noms inconnus par les autochtones
sur les listes des ayants droits, il est possible que des acquéreurs des
terrains ne soient pas tous originaires de la région et
bénéficient légalement des indemnisations prévues
par la règlementation en vigueur.
Lors de la réunion du collectif des Chefs
traditionnels, l'une des recommandations était de multiplier les recours
auprès de l'autorité suprême jusqu'à ce que justice
soit faite.
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