Chapitre III : Les dimensions de la pauvreté
haïtienne
Le niveau élevé de la pauvreté en
Haïti n'est point un sujet de controverse. Indépendamment de
l'approche considérée, les indicateurs conduisent à un
constat similaire : la majorité de la population vit en situation de
pauvreté.
Suivant l'approche monétaire, nous avons vu que
jusqu'à 76 % de la population haïtienne vit en dessous du seuil de
pauvreté avec moins de 2 dollars par jour, alors que 56 % évolue
dans des conditions d'extrême pauvreté, avec moins d'un dollar par
jour. Malheureusement, cette approche reflète seulement une situation
globale et ne fournit pas des détails pour mieux appréhender les
manifestations de la pauvreté. Est-ce pourquoi avons-nous choisi de
prioriser pour notre travail l'approche en termes de pauvreté humaine et
sociale qui renvoie, elle-même, à la satisfaction des besoins de
base. Donc, nous nous intéressons à l'approche non
monétaire de la pauvreté, tout en admettant que celle-ci est dans
une large mesure une conséquence de la pauvreté monétaire.
De plus, ce choix se justifie par l'objet de notre étude, car il sera
mieux facile de saisir les interpénétrations entre croissance
démographique et pauvreté.
Nous supposons que la pauvreté haïtienne
revêt une dimension multiple. Cette dernière se traduit à
travers un certain nombre de manques et de besoins non-satisfaits. Ces manques
et besoins touchent à des domaines divers dont les fondamentaux sont :
la santé, l'éducation, l'alimentation, le logement et
l'accès à l'eau potable.
3.1.- Accès aux soins de santé
Les problèmes de santé sont criants en
Haïti. Le niveau de l'offre en services de santé, que ça
soit en termes de qualité ou de quantité, demeure une grande
préoccupation. Les infrastructures sanitaires sont inadéquates et
insuffisantes. La quantité de personnels formés en matière
de santé est très limitée.
Pour mieux dégager l'impact de l'accroissement
démographique sur l'accès aux services de santé, nous
allons analyser le comportement de certains indicateurs pour la période
qui concerne cette étude, c'est-à-dire de 1980 à 2003.
45
3.1.1.- Accès aux services de santé de la
reproduction
46
Afin de mieux déterminer le niveau d'accès aux
services de santé, nous utiliserons plusieurs indicateurs. Parmi les
indicateurs de santé, particulièrement fondamentaux pour notre
travail, nous allons considérer dans un premier temps :
- le taux de prévalence de la contraception ;
- le pourcentage d'accouchements réalisés par un
personnel de santé entraîné.
Pour apprécier le degré d'utilisation de la
contraception, on utilise généralement le taux de
prévalence de la contraception (moderne ou traditionnelle).
L'Enquête Haïtienne sur la Prévalence de la Contraception
(EHPC) réalisée en 1983 révèle un taux de
prévalence de la contraception moderne de 3,9 %. L'EMMUS I,
réalisé en 1987 a mentionné un taux de prévalence
de la contraception de 5 %, contre un taux de 13,2 %
révélé par l'EMMUS II pour l'année 1993. Pour
l'année 2000, 22,3 % des femmes haïtiennes en âge de
procréer avaient recours aux méthodes de contraception modernes,
alors 5,8 % utilisaient des méthodes de contraception traditionnelles.
D'après le MSPP44, 32 % des femmes en age de procréer
ont utilisé, en 2003, la contraception.
Le constat est qu'il y a eu une amélioration en terme
d'utilisation des contraceptifs à travers la période prise en
compte dans cette étude. Mais les résultats obtenus restent
nettement en deçà des objectifs fixés. (par qui, quand et
de combien ?)
À propos du pourcentage d'accouchements
réalisés par un personnel de santé entraîné,
le taux a été de 20 % en 1983, selon l'OMS (Cf). En 1994, le
pourcentage d'accouchements réalisés par un personnel de
santé qualifié a été de 46,3 % (EMMUS II). Les
résultats de l'EMMUS III (2000) font état d'un pourcentage de 24
%. Donc, une baisse significative a été enregistrée par
rapport à 1994. Particulièrement en 2000, l'écart entre le
milieu urbain et le milieu rural est considérable. En effet, 52 % des
femmes vivant en milieu urbain bénéficient du service d'un
personnel qualifié au moment de leur accouchement, contre seulement 11 %
dans le monde rural. Dans l'arrière-pays, il est
généralement de coutume de recourir au savoir-faire des
sages-femmes au moment des accouchements. Leur méthode n'était
pas considérée comme intégrant une pratique
médicale à part entière. Ce n'est que vers les
années 2000 qu'une école formelle destinée aux
sages-femmes a vu le jour à Port-au-Prince.
44 MSPP, Plan d'action ministériel 2006-2007, 2006, 11
pages
47
3.1.2.- Accès aux services de santé de
base
L'accès aux services de santé n'a pas
été un indicateur collecté fréquemment par les
enquêtes auprès des ménages45 . Il a
été généralisé surtout par les
enquêtes Démographiques et Sanitaires, en l'occurrence les EMMUS.
La définition de « l'accès aux services de santé de
base » a connu aussi des évolutions à travers les EMMUS. En
1987, l'indicateur était défini par la présence d'un
centre de santé dans le centre ou la zone d'habitation ; en 1994-95 et
en 2000 par la proportion de ménages (en fait la proportion de femmes en
union) situés à une distance nécessitant un temps
inférieur à 60 minutes pour se rendre au centre de santé
le plus proche46. Jacques Charmes (2002) a signalé que le
rapport mondial 2001 sur le développement humain, déjà,
n'avait pas tenu compte de cet indice pour calculer l'IPH -1 en raison du
manque de données récentes et fiables. De plus, dans le cas de
l'accès aux services de santé de base, il s'agit d'un indicateur
d'accès, non d'utilisation, ni de qualité. Dès lors, il
peut être extrêmement trompeur47.
Les données concernant l'accès aux services de
santé de base en Haïti varient donc suivant les sources, tout en
gardant, certaines fois une tendance proche. Selon l'OPS/OMS, 60 % de la
population avait accès aux services de santé de base en 1991. De
son coté, le PNUD fait état d'un pourcentage moyen de 50 % de la
population ayant accès aux services de santé de base, pour la
période allant de 1985 à 1993.
Les données avancées par le Ministère de
la Santé Publique et de la Population ne permettent pas de parler
amélioration en termes d'accès aux services de santé de
base, comparés aux données fournies par l'OPS/OMS et le PNUD.
Selon le MSPP48, 60 % de la population seulement disposait d'un
accès aux services de base à la fin de 2003. Par contre, les
données fournies par les EMMUS montrent clairement une tendance à
l'amélioration. De 24,4 % en 1987 (EMMUS I), l'accès aux services
de santé de base est passé à 60,4 % en 1994 (EMMUS II),
pour atteindre le niveau de 84,7 % en 2000 (EMMUS III).
Pour les besoins de ce travail, nous nous en tenons aux
données fournies par les EMMUS, en raison surtout de l'unicité de
source.
Tableau # ... : Proportion de
ménages ayant accès aux services d'eau potable et de santé
en Haïti, de 1986-87 à 2000.
45 Jacques Charmes, Les indicateurs de développement
humain en Haiti, Juin 2002
46 Idem
47 Idem
48 MSPP, Plan d'action ministériel 2006-2007, 2006, 11
pages
48
|
EBCM I
1986-87
|
EMMUS I
1987
|
EMMUS II
1994-95
|
EBCM II
1999-2000
|
EMMUS III
2000
|
Eau potable
|
28,6
|
45,3
|
46,2
|
43,8
|
65,5
|
Electricité
|
21,9
|
29,6
|
31,3
|
32,5
|
33,7
|
Assainissement
|
45,8
|
47,9
|
48,3
|
44,5
|
44,1
|
Services de santé
|
|
24,4
|
60,4
|
|
84,7
|
Source : Jacques Charmes, Les indicateurs de développement
humain en Haiti, Juin 2002
3.1.3.- L'indice de masse corporelle
Le poids à la naissance est le déterminant le
plus important des chances de survie, de croissance, de développement et
du statut nutritionnel d'un enfant. L'insuffisance pondérale à la
naissance touche une proportion considérable de petits enfants
haïtiens. Mais, de 1994 à 2000, on a constaté une baisse du
pourcentage des enfants affectés, passant de 27,5 % à 17,3 %. Cet
indicateur est très important pour nous dans la mesure où il
donne également une idée de l'état nutritionnel de la
mère.
Tableau # ... : Proportion d'enfants de
moins de 5 ans souffrant de malnutrition.
|
NSSS 1978
|
HNS 1990
|
EMMUS II
1994-95
|
EMMUS III
2000
|
Insuffisance pondérale (poids pour âge)
|
37,4
|
26,8
|
27,5
|
17,3
|
Retard de croissance (taille pour âge)
|
39,6
|
33,9
|
31,9
|
22,7
|
Emaciation (poids pour taille)
|
8,9
|
4,7
|
7,8
|
4,5
|
Sources : National Nutrition Status Survey, 1978
; Haiti's Nutrition Situation in 1990, EMMUS II, EMMUS III.
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