Groupes armés et conditions socioéconomiques de la population de Shabunda au sud-Kivu.par Jacques LUTALA KATAMBWE Université de Lubumbashi - Licence en sciences politiques et administratives 2020 |
1.2. Les causes de l'émergence des groupes armés à l'Est de la RD Congo.Depuis la conclusion de l'accord politique pour la gestion de la transition en RD Congo, le fait de favoriser des groupes armés rapporte des avantages politiques de moins en moins importants au niveau national. Cependant, l'exploitation de la mobilisation armée a continué à donner accès à des postes et des positions de pouvoir dans les forces armées nationales. Une des raisons de la dévalorisation politique de la mobilisation armée au niveau national est que le réseau clientéliste présidentiel a renforcé son emprise sur l'appareil d'Etat et la société. La période de transition (2003 - 2006) n'a pas permis de stopper la prolifération des groupes armés et de rétablir l'autorité de l'Etat. Dans la plupart des cas, les responsables Maï-Maï ne disposaient pas du pouvoir de négociation, de la cohésion interne et de l'accès privilégié aux réseaux clientélistes à Kinshasa nécessaires pour décrocher des postes de responsabilité au sein des forces de sécurité de l'après-guerre. Cela explique en partie pourquoi des îlots de résistance armés sont restés actifs dans plusieurs zones. Il en résulte l'apparition de tendances autoritaires et une entente politique moins inclusive, comme le démontrent des restrictions croissantes imposées à des acteurs politiques considérés comme dangereux. La nature plus exclusive et plus répressive de cet accord politique a influencé la mobilisation armée dans l'Est du Congo. Des groupes armés sont intégrés dans des réseaux sociaux complexes qui s'étendent du niveau local aux niveaux de la nation, des sous-régions et du monde, et qui font intervenir des acteurs étatiques et non étatiques. Ces groupes entretiennent des liens de nature variable avec les hommes politiques, les milieux d'affaire, les autorités locales et les forces de sécurité du gouvernement opérant parfois comme des mandataires ou des alliés dans certaines opérations militaires. Plusieurs de ces relations peuvent être considérées comme des mécanismes de protection, avec des dimensions à la fois coercitives et non-coercitives. D'un côté, les groupes armés imposent des contributions aux populations et aux opérateurs économiques dans le cadre de systèmes de protection mafieux (le racket), mais également dans le cadre de mécanismes plus globaux de gouvernance et de recours à l'autorité. De l'autre côté, les gens peuvent prendre l'initiative de solliciter que ces groupes interviennent pour eux, notamment pour les protéger, mais aussi dans d'autres buts, comme par exemple pour renforcer leur position dans un conflit ou pour protéger leurs marchandises dans des régions peu sûres. En ce qui concerne les autorités locales, la protection des groupes armés est également recherchée pour imposer des décisions administratives et pour obtenir le dessus dans des luttes de pouvoir. C'est le mauvais fonctionnement des mécanismes de gouvernance civile et la piètre performance de l'appareil étatique de sécurité qui nourrissent la demande de protection auprès des groupes armés. Cette demande provient également du fait que les gens qui ne sollicitent pas cette protection sont dans une position moins favorable que ceux de leurs concurrents et adversaires qui, eux, ont des protecteurs puissants. En outre, les mécanismes de protection sont devenus, dans une certaine mesure, une pratique normale adoptée par des portions relativement importantes des élites politiques et économiques de l'Est de la RD Congo. Une des choses qui prouvent cette normalisation, c'est que de plus en plus de groupes armés sont animés par des entrepreneurs politico-militaires de bas niveau - des chefs coutumiers, des membres des autorités locales, des officiers de second rang - et non pas principalement, comme dans le passé, par des chefs issus des élites nationales et régionales. Ces entrepreneurs politico-militaires de plus bas niveau, soutenant la mobilisation armée, sont en partie mécontents de l'accord politique de la transition, du fait à la fois de leur propre position dans le champ de cette entente et de la nature de l'ordre socio-politique dans son ensemble. Beaucoup de groupes armés expriment des vues anti-establishment, sans pour autant avoir une vision ou des objectifs politiques globaux. Par conséquent, contrairement à l'image de purs criminels qu'on se fait communément des groupes armés, la mobilisation armée continue à avoir une dimension politique claire. C'est cela qui explique aussi pourquoi certains groupes armés reçoivent un soutien populaire relativement important : les gens sont, parfois, dégoûtés du régime qui gère le pays et des insuffisances de l'appareil d'Etat et approuvent l'idée de l'autodéfense, particulièrement dans un contexte de conflit intense entre les communautés. Le fait que la mobilisation armée ait une dimension politique n'implique pas nécessairement que les groupes armés devraient être traités comme des acteurs politiques légitimes. Ces groupes ne peuvent pas simplement être pris comme des représentants des communautés qu'ils prétendent défendre. Il est difficile de satisfaire nombre de leurs exigences politiques parce que ces dernières semblent être discriminatoires par nature. D'autres de leurs exigences se rapportent à l'accès à l'appareil d'Etat, dans des positions administratives élevées, et à la fourniture de services publics améliorés, par exemple pour les routes et les centres de soins. Satisfaire à de telles exigences risque de créer des motivations pour que d'autres les imitent et se mobilisent militairement pour réclamer des avantages semblables. Dans cette veine, beaucoup de politiques gouvernementales passées, élaborées pour contrer les groupes armés - et notamment l'intégration dans l'armée - ont eu des effets contre - productifs, en créant des mécanismes d'incitation faussés. Tous les efforts consentis à l'attention des entrepreneurs politico-militaires devraient éviter de répéter cette erreur, et plutôt chercher à utiliser la carotte et le bâton à parts égales. Il est également nécessaire de trouver le bon équilibre entre traiter la dynamique structurelle qui nourrit la mobilisation armée et s'occuper des groupes armés actifs. Ce dilemme entre une action à long terme et une action à court terme s'applique également à la question de l'inclusion. Cela nous renvoie à faire une analyse sur les causes externes. 1.2.1. Les causes externesElles peuvent se résumer en trois à savoir la course aux ressources naturelles dont regorgent le Sud-Kivu en général, la faiblesse de la réaction de la communauté internationale face aux crimes graves commis à grande échelle dans cette contrée et le retrait des armées étrangères autrefois présentes en RD Congo. Ainsi, pour ce qui est des causes liées à la course aux matières premières, on peut citer les enjeux économiques fondés essentiellement sur le désir des États voisins et mêmes des grandes puissances occidentales, ainsi que des multinationales d'avoir le contrôle sur les ressources naturelles dont regorgent le pays. C'est ce désir-là qui les pousse à soutenir et au besoin à créer de toutes pièces certains groupes armés en RD Congo, ou des prétendues rébellions qui vont chercher à exploiter quelques causes internes pour avancer leurs revendications politiques, et pourront même être dirigées par un homme de paille pour donner une apparence interne au conflit, mais le vrai but, c'est l'accès aux ressources naturelles existantes. Une des illustrations de cette réalité c'est notamment le rapport du groupe d'experts de l'ONU sur le pillage des ressources naturelles de la RD Congo (2002). Dans ce rapport en effet, un lien est établi entre le pillage des ressources naturelles et la poursuite de la guerre en RD Congo. Et dans sa résolution 1457 du 24 janvier 2003, le Conseil de Sécurité a noté avec préoccupation que "le pillage des ressources naturelles et d'autres richesses de la RD Congo se poursuit et constitue l'un des principaux éléments qui entretiennent l'émergence des groupes et conflits armés dans la région et exige donc que tous les États concernés prennent immédiatement des mesures pour mettre fin à ces activités illégales qui perpétuent le conflit et l'émergence des groupes armés, entravent le développement économique de la RD Congo et exacerbent les souffrances de sa population"62(*). Dans le rapport précité, les experts de l'ONU avaient établi une liste des personnalités tant congolaises (issues tant du gouvernement que des rébellions et milices) qu'étrangères, dont notamment des Rwandais, des Ougandais et des Burundais occupant des fonctions aussi bien politiques que militaires, qui étaient impliquées dans le trafic d'armes violant ainsi l'embargo sur les armes en RD Congo. Pour ce qui est de la faiblesse de la réaction de la communauté internationale face aux crimes graves qui se commettent et continuent à se commettre en RD Congo, les moyens utilisés pour ce pillage sont eux-mêmes hautement criminels. Ainsi pour faciliter le pillage des ressources naturelles en RD Congo, des meurtres à grande échelle sont commis, causant ainsi des déplacements de populations réduites à des conditions de vie pouvant entraîner leur destruction. Face à cette horreur, on constate malheureusement la faiblesse de la réaction de la communauté internationale, tant le Conseil de Sécurité que les autres États qui se montrent réticents à déclencher des poursuites sur la base de la compétence universelle. On constate en outre que, ce sont les mêmes auteurs de la tragédie de l'Est de la RD Congo qui définissent les grandes lignes de la politique sous régionale en Afrique des grands lacs. Une autre cause qui nous semble intermédiaire est celle liée à la prolifération des milices à la suite de retrait des armées étrangères en RD Congo en vertu des accords de paix, notamment l'accord dit global et inclusif. Comme le dénonce un des nombreux rapports du Secrétaire Général des Nations-Unies : "Le vide du pouvoir qui a succédé au retrait des forces de défense rwandaises, puis les forces de défense du peuple ougandais et burundais a entrainé la prolifération des milices Maï-Maï. Ces milices ont lutté pour s'assurer le contrôle des zones stratégiques où se trouvent les ressources lucratives et qui étaient précédemment détenues par les forces étrangères"(63(*)). Cet extrait du rapport du Secrétaire Général de l'ONU insiste sur le vide créé par le retrait des troupes étrangères. Mais il semble minimiser le fait que c'est souvent ces mêmes armées étrangères qui créent ces milices pour pérenniser leur présence dans le territoire congolais sous une forme moins officielle. Ainsi l'analyse des causes de liées à la prolifération des groupes armés à l'Est de la RD Congo, selon qu'elles sont internes ou externes, mérite bien d'être aborder dans les lignes qui suivent. * 62 https://www.un.org/fr/sc/repertoire/2000-2003/00-03_5_French.pdf, consulté le 26/06/2018 * 63 Résolution 1457du Conseil de sécurité des Nations Unies |
|