Groupes armés et conditions socioéconomiques de la population de Shabunda au sud-Kivu.par Jacques LUTALA KATAMBWE Université de Lubumbashi - Licence en sciences politiques et administratives 2020 |
Chapitre II. CONTEXTES ET LES CAUSES DE L'EMERGENCE DES GROUPES ARMES A L'EST DE LA RD CONGONous allons épingler, dans ce chapitre, d'abord les contextes et les causes générales liées à la prolifération des groupes armés en RD Congo, surtout dans sa partie Est en les spécifiant selon que ces causes sont internes et externes. Ensuite, nous dégagerons les contextes et les causes spécifiques liées à la prolifération des groupes armés à Shabunda. Enfin, nous présenterons les groupes armés à Shabunda et stratégies de leur éradication par les pouvoirs publics. Section 1. Les contextes et les causes de l'émergence des groupes armés à l'Est de la RD Congo.Ainsi que l'indique l'intitulé de cette section de notre travail, nous présenterons respectivement les contextes de l'émergence des groupes armés à l'Est de la RD Congo et les causes de l'émergence des groupes armés à l'Est de la RD Congo, selon qu'elles sont externes et/ou internes. 1.1. Les contextes de l'émergence des groupes armés à l'Est de la RD CongoAu-delà de leur diversité et de la singularité de chaque trajectoire, l'émergence des groupes armés reste éminemment liée à la problématique de la fragilité de l'État. La persistance des violences politiques dans le pays traduit indéniablement la faiblesse des mécanismes institutionnels internes de régulation sociale et de redistribution des richesses. En l'absence de jeu démocratique et de mécanismes impartiaux d'arbitrage, les contradictions et les oppositions sociales entrainent dans nombre de cas l'antagonisme armé. La présence ancienne de groupes armés au Congo oriental, qui remonte au milieu des années 90 et même avant cette date dans plusieurs régions, a instauré ces groupes en acteurs à part entière d'ententes politiques locales. C'est pourquoi il est important de parler en quelques lignes sur l'éclosion exacerbée des groupuscules à l'Est de la RD Congo. Ø L'éclosion exacerbée des groupuscules armés à l'Est de la RDC La plupart des groupes armés actuellement présents dans l'Est de la RDC sont le résultat direct des première (1996-1997) et deuxième (1998-2003) guerres du Congo-Kinshasa et de la période de transition qui s'ensuivit (2003-2006), se concluant par les élections de 2006. Cependant, l'origine de nombre des groupes qui se constituèrent pendant ces deux guerres est plus ancienne. Voilà pourquoi il est impératif d'analyser sur le promoteur direct des groupes armés actifs à l'Est de la RD Congo ainsi que sur les guerres du Congo comme matrice de la mobilisation armée à l'Est de la RD Congo. a. Promoteur direct des groupes armés actifs à l'Est de la RDC Confronté à l'épuisement de ses ressources et à de fortes pressions internationales à la fin de la guerre froide, Mobutu annonça en avril 1990 une transition vers une démocratie multipartite. Toutefois, il chercha subrepticement à faire échouer le nouveau processus de démocratisation en divisant et affaiblissant l'opposition. L'un des moyens qu'il employa consista à entretenir les antagonismes ethniques. Les divisions ethniques furent aggravées par la perspective des élections qui mirent en exergue la question de l'octroi de la citoyenneté aux descendants d'immigrants rwandais. Sous Mobutu, l'érosion progressive des services publics et l'interdiction des partis politiques avaient entraîné la prolifération des groupes communautaires dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud - Kivu. Dans les années 1990, ce sont ces groupes d'autodéfense communautaire, appelés « mutuelles », qui furent à l'origine de la mobilisation électorale et de la formation des partis politiques. Plusieurs de ces organisations, notamment la Mutuelle des agriculteurs de Virunga (MAGRIVI), une mutuelle Hutue sous l'égide de Mr Muhozi, lancèrent leurs propres milices, témoignant ainsi de la nature communautaire de ces premiers mouvements de mobilisation(53(*)). D'autres groupes furent constitués à la même époque pour remettre en question l'ordre politique existant. Au début des années 1990, les Kasindiens, un groupe armé issu de la communauté Nande, dans la région de Ruwenzori, s'en prirent à l'autorité de chefs coutumiers. Ce phénomène se propagea jusqu'aux régions voisines de Beni et Lubero, où la milice Ngilima du commandant Kaganga, mêlée à des activités de racket de protection locale, décida de contester le pouvoir de Mobutu. Ces groupes influencèrent la formation d'autres milices rurales, notamment les Batiri (dominés par les Hunde de Masisi) et les Katuku, qui oeuvrèrent d'abord dans le sud du Walikale parmi les Nyanga, puis également parmi les Tembo de Bunyakiri54(*). C'est à cette époque que beaucoup de commandants des groupes armés aujourd'hui actifs débutèrent leurs carrières, notamment le général Padiri Bulenda, Bigembe Turinkino, Akilimali Shemongo et Robert Seninga(55(*)). Ces milices furent exploitées par les pouvoirs publics et les hommes politiques locaux dans le cadre de conflits anciens relatifs au foncier et à l'autorité coutumière. Ces conflits furent attisés par des développements socioéconomiques de grande ampleur, comme l'intensification des pressions démographiques et foncières, la hausse de la pauvreté et le déclin des infrastructures et des capacités réglementaires de l'Etat. En 1993, des dizaines de milliers de réfugiés burundais arrivèrent au Sud-Kivu suite à la guerre civile déclenchée par l'assassinat de Melchior Ndadaye, Président du pays élu démocratiquement, issu de l'ethnie Hutu. Vint ensuite le génocide rwandais de 1994, qui poussa 30.000 à 40.000 miliciens Hutus et soldats des Forces armées rwandaises (FAR), dont la plupart avaient été impliqués dans le génocide, à franchir la frontière, aux côtés d'un million de réfugiés civils. Ils apportaient des armes, un esprit de radicalisme et une mentalité axée sur la polarisation ethnique. Regroupés dans les camps de réfugiés, ces combattants commencèrent à lancer des attaques transfrontalières contre le Rwanda(56(*)). Cette menace sécuritaire poussa le gouvernement nouvellement établi à Kigali, en coordination avec l'Ouganda, l'Angola et d'autres pays de la région, à former une coalition régionale d'insurgés pour dissoudre les camps de réfugiés/garnisons dans le Kivu et renverser le Président Mobutu. b. Les guerres du Congo, matrice de la mobilisation armée à l'Est de la RDC La première guerre du Congo éclata en 1996 suite à l'insurrection, appuyée par le Rwanda, de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL). Elle déclencha une mobilisation armée dans tout l'Est du pays. Tandis que certains groupes se mobilisèrent contre l'invasion, d'autres se mirent à soutenir la rébellion de l'AFDL. Bien que ces milices aient provoqué une forte insécurité dans les zones rurales et alimenté des tensions constantes au sein des communautés, elles restèrent morcelées, de faible envergure et repliées sur elles-mêmes, incapables d'influencer la situation au-delà de leurs fiefs locaux. Ce fut lors de la deuxième guerre du Congo qui éclata lorsque les relations se détériorèrent entre le Président Laurent-Désiré Kabila et ses partisans rwandais, que ces milices se mirent à prospérer, avec le soutien de Kinshasa et des groupes armés étrangers. Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), soutenu par le Rwanda et l'Ouganda, occupa rapidement des grandes parties de l'Est du pays. La guerre au front se trouvant dans une impasse, Kinshasa envoya des fonds et des armes aux groupes armés qui opéraient dans les zones placées sous le contrôle du RCD, nommant certains leaders Maï-Maï, officiers supérieurs de l'armée nationale. Il forma également des alliances avec les derniers éléments des ex Forces Armées Rwandaises (FAR) et des Interahamwe (Ceux qui attaquent ensemble), une organisation paramilitaire hutue rwandaise arrivée dans l'Est de la RDC en 1994 et connue par la suite sous le nom de Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), ainsi qu'avec le Conseil National Burundais pour la Défense de la Démocratie-Forces de Défense de la Démocratie (CNDD-FDD)(57(*)). Petit à petit, les guerres du Congo modifièrent la nature des groupes armés, les milices rurales ancrées au niveau local se retrouvant mêlées à des réseaux dirigés par des élites des secteurs politiques et des affaires. Ces réseaux de milices favorisèrent et, en même temps, furent encouragés par le développement d'une économie de guerre stimulée par la taxation illégale, la contrebande et le racket. Si cette économie permit à certains de s'enrichir rapidement, des millions de civils en dépendirent pour leur survie et n'eurent souvent pas d'autre choix que de collaborer avec les groupes armés(58(*)). La montée en puissance des dirigeants militaires, qui s'impliquèrent étroitement dans l'administration locale, affaiblit encore davantage les structures de l'autorité et la cohésion sociale. Alors que, dans les années 1990, les milices s'appuyaient sur le soutien des chefs coutumiers et des communautés locales, ces liens s'affaiblirent lorsque les leaders militaires devinrent autonomes dans leur manière de dégager des revenus et furent aidés par leurs relations à Kinshasa, avec des groupes armés étrangers et des réseaux commerciaux régionaux. En même temps, le vaste recrutement de jeunes fit apparaître une génération militarisée de plus en plus détachée des chefs coutumiers, des anciens des villages et des parents. Etant désormais moins dépendants et moins redevables à l'égard des autorités locales, le comportement des groupes armés envers les civils se détériora, et les exactions physiques, le travail forcé et la taxation illégale devinrent légion(59(*)). Dans son rapport Judith Verweijen(60(*)) examine les relations entre la stabilité de l'entente politique nationale et l'instabilité dans l'Est, à travers le prisme de l'évolution et des caractéristiques historiques des ententes politiques à ces deux niveaux. Afin de comprendre les politiques actuelles du gouvernement national, dominé par le réseau clientéliste présidentiel, en réaction à l'activité des groupes armés dans l'Est, il est nécessaire d'identifier les enjeux politiques, socio-économiques et militaro-stratégiques que cette activité représentait pour l'ex - Président Joseph Kabila et ses réseaux de pouvoir. Suivant des patrons de comportements historiques, c'est-à-dire hérités de l'ère coloniale, le réseau clientéliste présidentiel s'efforce d'exercer un contrôle direct sur les principales régions politiques et économiques...(61(*)). En conséquence, l'ex-Président précité a pris très peu d'initiatives à l'intention des petits groupes armés situés dans des zones rurales enclavées de l'Est du pays, particulièrement quand ceux-ci ne sont ni puissants militairement, ni importants géopolitiquement. D'ailleurs, ce conflit profitait indirectement à Joseph Kabila, sous forme de ressources clientélistes, y compris celles résultant des opérations militaires et de l'afflux d'aide internationale. En raison de la fragmentation profonde du paysage militaire et de la réduction récente de l'ingérence étrangère, la grande majorité des dizaines de bandes armées non étatiques opérant actuellement dans l'Est du Congo ont des effectifs squelettiques. C'est là à la fois une cause et un résultat de l'amoindrissement de l'importance des groupes armés dans l'arène politique nationale. Au cours de la période de transition (2003-2006) qui a suivi la seconde guerre du Congo, après l'accord de partage du pouvoir conclu entre les ex-belligérants, la manipulation de groupes armés restait un moyen d'action politique très apprécié. Cela permettait de transmettre des réclamations politiques et d'accéder à des positions de pouvoir importantes dans l'appareil politico-administratif et dans les forces de sécurité. * 53WILLAME,J-C., Banyarwanda et Banyamulenge. Violences ethniques et Gestion de l'identitaire au Kivu, Paris, L'Harmattan, 1997, p. 64. * 54VLASSENROOT, K., Violence et constitution de milices dans l'Est du Congo : le Cas des Maï-Maï, Paris, L'Harmattan, 2002, p. 115 * 55Padiri devint le leader du plus grand groupe Maï-Maï de Bunyakiri et se retrouva à la tête d'un organisme de coordination des Maï-Maï au Sud-Kivu. Bigembe fut le leader d'un groupe armé Hutu au Sud-Masisi où il était chef du secteur de Katoyi. Akilimali était un Nyanga Maï-Maï, il a rejoint Padiri et est aujourd'hui colonel dans l'armée. Robert Seninga était en 1993 l'un des plus importants commandants Hutus. Député provincial, il participe à la politique des milices. * 56PRUNIER, G., Guerre mondiale africaine : Congo, Génocide rwandais et la catastrophe continentale, Oxford, Presse universitaire d'Oxford, 2009, pp. 24-29 * 57Le CNDD-FDD était un mouvement politico-militaire dominé par les Hutu et dirigé par Léonard Nyangoma. Peu après sa création en 1994, son aile armée passa dans les territoires d'Uvira et de Fizi au Sud-Kivu, un mouvement actuellement au pouvoir au Burundi. * 58VLASSENROOT, K., Op. cit, p. 33 * 59VLASSENROOT, K., Op. cit, p. 33 * 60VERWEIJEN, J., Une instabilité stable Ententes politiques et groupes armés au Congo, Londres, Valley Institute | projet usalama, 2016, pp. 8-9 * 61Idem |
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