B. LES CARACTERES DU TROUBLE ANORMAL DE VOISINAGE
Pour que la théorie des troubles anormaux de voisinage
puisse trouver application, il est nécessaire de remplir deux
critères cumulatifs : il faut identifier un « trouble causé
aux voisins » (1) et il faut que ce trouble ait un
caractère anormal, excessif (2).
1. Un trouble causé aux voisins. Le
trouble doit nécessairement être causé entre
voisins : la théorie des troubles anormaux de voisinage, comme
son nom l'indique, ne concerne que les rapports de voisinage. Mais il y a ici
un problème de périmètre : faut-il interpréter la
notion de voisinage de manière restrictive ou large ? Dans le
domaine environnemental, il y a lieu de faire une petite nuance.
La jurisprudence a progressivement retenu une
conception large de la notion de voisinage. Cela
entraîne 3 conséquences :
1ère conséquence: la
théorie s'applique bien évidemment à la protection du
voisinage immédiat dans les rapports entre propriétaires, mais il
peut y avoir une protection du voisinage plus éloigné dès
que l'atteinte est certaine : la protection s'étend à toute la
zone touchée par le trouble anormal ;
2ème conséquence :
la qualité de l'auteur du trouble est indifférente
: il peut s'agir du propriétaire du fonds, d'un
copropriétaire, du locataire de l'immeuble ou encore de l'entrepreneur
qui effectue des travaux sur le fonds du propriétaire voisin (il est
alors « voisin occasionnel »). Il peut également s'agir de
l'auteur direct : celui qui fait du bruit, qui pollue..., ou de l'auteur
indirect : par exemple, le propriétaire d'un appartement donné en
location peut être condamné à réparer le dommage
résultant d'un trouble de voisinage créé par son
locataire, et ce même s'il a mis en
54MULENDEVU MUKOKOBYA R., droit civil les
biens, notes de cours dispensées en G2, inédit,
faculté de Droit, ULPGL/GOMA, 2018-2019, pp.58-60. La grande partie des
explications liées aux troubles anormaux de voisinage trouve sa grande
référence dans les notes de ce cours.
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demeure son locataire de cesser les nuisances. Le
propriétaire peut de même être condamné solidairement
avec l'entrepreneur qui réalise des travaux sur son fonds.
3ème conséquence :
la qualité de la victime du trouble est indifférente
: la victime peut être le propriétaire, le locataire ou
un simple occupant. La victime peut également être indirecte :
même si le propriétaire ne réside pas sur le fonds, et ne
subit donc pas personnellement les nuisances, il peut agir sur le fondement de
la théorie du trouble anormal de voisinage. La réparation du
trouble peut être demandée par toute victime, quel que soit son
titre d'occupation.55
Les juges exigent également que le trouble
dépasse les inconvénients normaux de voisinage. Ils doivent
identifier un trouble anormal : comment le définir ?
2. Un trouble anormal. Il est difficile de
cerner ce qu'est un trouble anormal : où commence l'anormalité ?
N'importe quelle nuisance ne suffit pas, il existe des inconvénients
normaux de voisinage que tout le monde doit supporter et subir sans pouvoir en
demander réparation. Ce n'est que si le trouble devient anormal que le
juge peut s'en saisir pour indemniser la victime.
Le principe est que l'appréciation du caractère
anormal du trouble relève du pouvoir souverain des juges du
fond.
Pour apprécier le caractère anormal du trouble, les
juges utilisent 2 critères cumulatifs :
· un critère de fréquence
: les troubles de voisinage supposent une certaine
répétition. Les exemples sont nombreux : bruit, privation
d'ensoleillement, obstruction de la vue, chant d'un coq... Il doit s'agir de
troubles durables, persistants, ou se produisant à intervalles
réguliers, mais pas forcément permanents ;
· un critère de gravité
: le trouble doit être suffisamment grave, en tenant compte des
circonstances de temps et de lieu : par exemple, le bruit est-il produit la
nuit ou le jour ? s'agit-il d'un environnement urbain ou rural ? La pollution
a-t-elle lieu en zone résidentielle ou industrielle ? Ces
éléments doivent permettre de constater un dépassement de
la norme de tolérance. Pour les cas
des antennes relais, les populations riveraines sont victimes
de pollution, bruits, préjudice permanents parce que les antennes
relais constituent une véritable menace.
En pratique, les faits retenus comme causant des
troubles de voisinage sont très divers. De plus en plus se
développe un droit à la qualité de la vie, à la
protection de l'environnement, et même un droit au repos et un droit
à l'esthétique environnementale avec la notion de
préjudice visuel ou esthétique, surtout en milieu rural. Il
existe également un impératif de protection du paysage, qui prend
une dimension internationale.56
55 R. MULENDEVU, Op.cit., p. 61
56 Idem
59L. MALCHAIR, Les études d'impact
environnemental en République Démocratique du Congo : outil pour
qui, pour quoi ?, in revue nature et progrès
Belgique-valériane, no 122.
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Il sied d'ajouter que la notion de trouble est entendue de
façon large comprenant tant des nuisances sonores que visuelles,
olfactives, matérielles, économiques ou
sanitaires.57
La théorie du trouble anormal est au coeur de toutes
les études du fait qu'elle est flexible et les conditions pour engager
la responsabilité se trouvent être allégées. Pour
preuve, l'article Article 1244 de l'avant-projet sur la réforme du Droit
français de la responsabilité civile propose que :
« Le propriétaire, le locataire, le
bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser
à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d'ouvrage ou
celui qui en exerce les pouvoirs, qui provoque un trouble excédant les
inconvénients normaux de voisinage, répond de plein droit du
dommage résultant de ce trouble.
Lorsqu'une activité dommageable a été
autorisée par voie administrative, le juge peut cependant accorder des
dommages et intérêts ou ordonner les mesures raisonnables
permettant de faire cesser le trouble».58
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