Au Commencement était le Verbe
En supposant que Mirabeau se trouvait en possession de textes
d'autrui pour composer son ouvrage, comment pourrait-on identifier ces sources,
les propos initiaux qui lui auraient servi d'inspiration ? On les retrouverait
aisément en étudiant les visées axiologiques et les
constructions idéologiques de l'Erotika Biblion, mais il est
fort probable que l'intention initiale des sources textuelles ait
été confondue, voire détournée.
Pour éclaircir l'étendue des ressources de
Mirabeau, nous nous sommes employés, dans un premier temps, à
rechercher les ouvrages cités dans le texte afin de vérifier
l'exactitude des citations et de saisir la signification des curieux
mélanges de culture qui ponctuent le discours. Puis, en étudiant
le degré de subversion entretenu dans le style et en catégorisant
les détournements des sources textuelles, nous avons été
en mesure d'esquisser le positionnement axiologique de l'auteur
vis-à-vis de ses sources, ainsi que de définir son
éthos masqué subtilement derrière une stylistique
savante mobilisant elle-même les propos d'autrui. Que ce soit par le
degré d'altération des citations, ou par les expressions et
tournures de phrase qui semblent propres à l'auteur, la manière
de recomposer les sources servant d'inspiration est la manifestation la plus
visible d'une intention de l'écriture. Mais comme bien souvent, il est
plus facile de savoir comment un texte littéraire est construit que de
trouver les raisons de sa conception, surtout lorsque le texte présente
des curiosités idéologiques.
Puisque Mirabeau semble se dévoiler
particulièrement lorsqu'il contextualise une source ou une citation, on
pourrait penser que l'ouvrage a d'abord été conçu comme la
façon la plus originale de penser et de commenter ces sources. Et si la
raison de sa conception était réductible à la
volonté de traiter les lectures et auteurs qui ont servi de passe-temps
vertigineux au sein d'une solitude, l'Erotika Biblion ne serait-il
plus qu'un patchwork de commentaires déliés sur des textes
éclectiques ? En un sens, il est enfermé depuis deux ans, pour la
quatrième fois et de façon arbitraire par lettre de cachet
à la demande de son père. Il en ignore les raisons ; il ne cesse
de les demander aux autorités compétentes tout au long de sa
détention ; il espère pouvoir s'en dégager ; et surtout,
il souhaite défendre sa liberté. Le sentiment d'impuissance
certainement, l'amène à protester vivement contre toutes les
formes de pouvoir arbitraire et despotique1. Grâce à
l'Erotika Biblion, il aurait trouvé un sujet bien familier, la
sexualité, lui permettant d'exercer sa parole - exercice primitif du
pouvoir2 -,
1 On relève parmi sa production
littéraire à Vincennes, un traité politique significatif
et univoque d'un rapport séditieux avec le pouvoir royal ; voy. Des
Lettres de cachet et des prisons d'État : ouvrage posthume
composé en 1778, Hambourg, 1782. N.B : Il est possible que
l'ouvrage ait été imprimé de son vivant, et publié
après sa mort ; sinon « ouvrage posthume » serait en
contradiction avec la date de publication.
2 Pour Pierre Serna, exercer la parole dans une vue
contestataire du pouvoir reviendrait à une forme de requête au
12 - Au commencement était le Verbe
de répondre aux auteurs et productions
littéraires faisant autorité en la matière,
d'éclairer l'héritage historique qui expliquerait logiquement les
convenances de la sexualité - vues comme une privation de
liberté. Il pourrait accuser l'abscondité des raisons privant
l'individu de liberté en démontrant qu'elles reposent sur la
superstition, la crainte du péché, et un interdit
chimérique divin. Car, pour autant que l'on puisse prêter à
son ouvrage une intention spécifique, Mirabeau ne lui donne aucune fin
particulière lorsqu'il le présente à Sophie de Monier.
Il t'amusera [ce manuscrit] : ce sont des sujets bien
plaisants, traités avec un sérieux non moins grotesque, mais
très décent. Croirais-tu que l'on pourrait faire dans la
Bible et l'antiquité des recherches sur l'onanisme, la
tribaderie, etc. etc. enfin sur les matières les plus scabreuses
qu'aient traité [sic] les casuistes, et rendre tout cela lisible,
même au collet le plus monté, et parsemé d'idées
assez philosophiques ?1
Les raisons de la conception de l'Erotika Biblion ne
sont pas explicitées ; et pourtant, elles ont fait office de
justification systématiquement discriminatoire pour perpétrer et
poursuivre la censure dans la production littéraire de l'auteur. Pour
l'essentiel, l'ouvrage était réduit à l'expression
obscène d'une sensualité bridée par la captivité,
ou ramené au besoin de se procurer rapidement des moyens afin de
pourvoir aux besoins matériels immédiats. Devant l'absence totale
de justification de l'oeuvre, il faudrait s'abstenir de lui prêter une
sur des critères autres que littéraires, ou tout au plus
maintenir sa pertinence hors de toute appréciation de l'état de
l'auteur, matériel et émotionnel, même s'il s'agit de
contraster cet « écart » au vu de toute sa production
littéraire2 . Notons que les sensibilités se
rencontrent lorsqu'il s'agit d'incorporer l'ouvrage dans la production
littéraire de Mirabeau ; le paradoxe, né d'une pensée
politique sérieuse côtoyant l'obscénité, divise
l'opinion qu'on se forme de lui, et plutôt que de le laisser poursuivre
sa course infernale, on souhaiterait presque le rayer d'un trait de plume ;
peut-être pour absoudre l'auteur devant le tribunal des belles lettres,
quitte à faire l'impasse sur le poids de ses écrits clandestins
dans sa pensée politique. Inutile de dire que c'est amputer
l'héritage idéologique de Mirabeau que de fermer les yeux sur
l'Erotika Biblion ; et selon des considérations plus
générales, choisir la cécité face à
l'altérité revient à se priver des perspectives
pertinentes pour formuler une problématique. Ce qui reviendrait à
ne pas pouvoir répondre aux enjeux qui regardent l'appréhension
présentée par des sujets gênants, en établissent une
juste
pouvoir en place. Dans la logique du déclassé,
l'auteur qui décrit ou conteste les rouages du pouvoir offre un
négatif de la réalité permettant de mieux la renverser ;
ses écrits apparaitraient alors comme un chantage dont l'enjeu est le
reclassement de sa propre classe écartée de ses
prérogatives et de ses richesses par la monarchie absolue
instaurée par Louis XIV. Voy. « Sade et Mirabeau devant la
Révolution française », Pierre Serna, dans Politix,
vol. 2, n°6, printemps 1989, pp. 75-79.
1 Lettre à Sophie, le 21 octobre
1780, dans Lettres originales, écrites du donjon de Vincennes,
pendant les années 1777, 78, 79 et 80, recueillies par P. Manuel,
T. IV, Paris, Chez J. B. Garnery, 1792, page 298.
2 Louis Barthou qualifie l'ouvrage d'inavouable
et ramène la production littéraire de Mirabeau à un
gaspillage prodigieux de son talent, ce qui n'était apparemment pas le
sentiment de leur auteur. Voy. Mirabeau, Louis Barthou, Figures du
passé, Paris, Hachette, 1913, page 69.
- 13
compréhension et en conditionnent un certain degré
de tolérance.
La somme de savoir nécessaire pour rédiger
l'Erotika Biblion s'étend jusqu'à une époque
très ancienne, Mirabeau souhaite remonter aux origines spirituelles de
la sexualité. En joignant la sexualité et la philosophie - deux
matières toujours mises de pair dans la littérature
pornographique du XVIIIe siècle -, il dévoile l'esprit
de l'ouvrage sans pour autant justifier son champ d'étude, sa
problématique et son corpus.
Ce n'est pas un ouvrage pornographique, car sa
prétention est érudite ; c'est une recherche, une
curiosité dont la fin n'est pas définie et qui articule au souci
de plaire à son lecteur, celui de l'instruire. La confection de
l'Erotika Biblion a nécessité l'étude de divers
auteurs souvent plagiés à la virgule près dans l'ouvrage.
Or, le plagiat présentait le risque d'une confusion inhérente
à la composition d'un texte assemblé à partir de sujets
initialement différents ; mais non sans cohérence, les propos
initiaux adhèrent et correspondent au sujet central du texte,
malgré la divergence des sources : de
l'Encyclopédie1 au manuel de guerre de Santa
Cruz2, la sexualité a une place prépondérante
dans l'Erotika Biblion, elle lui transmet cette cohérence qui
rend le texte si curieux. Aussi, l'intention la plus évidente de
Mirabeau est de reconstruire une spiritualité primitive faisant de la
sexualité, une injonction originelle. Échafaud idéologique
de son ouvrage, son rapport au sacré ne concerne pas seulement le
christianisme, mais aussi les mythologies antiques grecques, égyptiennes
et judaïques. Il leur suppose des traditions et des pratiques communes
à propos de la sexualité, (telles que la circoncision, le
rôle des institutions dans l'éducation sexuelle, la
féminité en tant que vecteur transcendantal et divin) pour les
établir comme des coutumes courantes et répandues dans
l'Antiquité, afin de les comparer de façon originale avec les
pratiques contemporaines ; toute loi axiologique promulguant l'abstinence ou
l'interdit sexuel serait alors une hérésie. Les civilisations
antiques servent d'éléments de comparaison avec la
contemporanéité ; aussi, l'étude de Mirabeau en serait
presque diachronique s'il n'y avait cette recherche des origines qui
apparaît comme une déduction d'envergure visant à asseoir
la sexualité comme une spiritualité originelle, la
préoccupation première, la raison d'être de
l'humanité.
Souvent décrié comme un ouvrage se contentant de
décrire la perversion des Anciens, l'Erotika Biblion contient
pourtant des démonstrations plus subtiles si l'on relie les motifs et
les problématiques repris d'un chapitre sur l'autre. Sa source de
prédilection étant la Bible, notamment les livres de
l'Ancien Testament, il ramène la sexualité à une
transcendance originale. Pour ce faire,
1 Encyclopédie ou Dictionnaire
raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une
société de gens de lettres, 17 tomes, Paris, Chez Briasson,
David, Le Breton et Durand, 1751-1765.
2 Réflexions militaires et politiques de
Monsieur le marquis de Santa Cruz de Marzendo, traduites de l'espagnol, La
Haye, Chez Jean Vau Duren, 1734.
14 - Au commencement était le Verbe
Mirabeau construit d'abord la sexualité originelle par
l'étude de différentes spiritualités pour la confirmer
dans l'Écriture. Mais la recherche de cette sexualité n'est
jamais explicite. Elle n'apparaît pas dans un absolu fracassant le rythme
du texte, elle se fait dans un rapport constant à différentes
spiritualités, contemporaines ou anciennes. Le rapport constant des
sources anciennes avec la Bible caractérise le texte par
l'objectivité, qui apparaît alors comme savant. Mirabeau
écrit dans un style savant : son écriture mobilise une
érudition éclectique dont la prétention est de traiter
objectivement son objet sans trancher ou écarter les
aspérités problématiques. La démarche se veut
scientifique : il s'agit de construire une connaissance méthodique par
la formulation d'hypothèses adoptées par des faits ou par les
textes. Mirabeau dédaigne l'exercice exégétique ; pour
lui, l'inspiration divine revient à une connaissance sans fondement
produisant une idée arbitraire des ordres divins.
Le texte serait presque limpide s'il n'était pas
ponctué d'une charge subversive et comique, inhérente à
l'usage de l'ironie. Et comme l`objet de l'ouvrage était
déjà hardi, on pourrait se demander si l'humour ne le dessert pas
plus qu'il ne lui est secourable.
Spiritualité, sexualité, et philosophie sont les
ingrédients clefs de l'Erotika Biblion, alors comment
s'organise la subversion dans la cohérence du texte ? Dans sa lettre
à Sophie, Mirabeau confesse le souci de traiter sa recherche
décemment, de façon à la rendre recevable et
compréhensible. Les soucis de cohérence, de décence, et de
pertinence impliquent une écriture proche de son sujet. Et en même
temps, le ton objectif instaure suffisamment de distance avec le sujet pour ne
pas heurter les convenances, d'où peut-être l'emploi de l'ironie.
La particularité du style de Mirabeau est de trouver une juste mesure
entre la dénonciation et l'approbation forcée de ce qu'il lit
dans la Bible. Mais l'irone est bien plus qu'un secours stylistique.
Les propos ironiques procèdent d'un double discours repérable par
le ton comique, largement inspiré de Voltaire, ou par des marques
dissonantes prenant la forme de noms célèbres, de
témoignages inventés par Mirabeau pour nourrir l'argumentation de
crédit et de véracité. L'intention de l'écriture se
complexifie. D'une part, ce double discours malmène les
préjugés et les bienséances au regard d'un progrès
spirituel, moral et artistique ; mais d'autre part, l'ironie présente le
risque de renverser l'argumentation par dissonance avec la gravité
requise selon les conventions, pour traiter des conceptions sérieuses
d'un sujet si sensible, la sexualité. D'ores et déjà, on
peut diviser les effets ironiques en deux fonctions : démontrer que
seuls les préjugés sont à l'origine d'un interdit sur la
sexualité, et procurer du crédit et de la véracité
par effet de dissonance aux sources inventées pour appuyer
l'argumentation.
Notre analyse identifie les procédés d'une
ironie « savante » par une étude stylistique abordant l'oeuvre
comme une unité, une composition originale pour en dégager une
première cohérence d'ensemble ; dans un second temps, nous
isolons quelques procédés d'ironie savante pour illustrer le
concept de dissonance et interpréter plus significativement la
charge subversive du style dans la
- 15
cohérence de l'ensemble de l'oeuvre. Nous classons
ensuite les références citées par Mirabeau selon leur
affinité religieuse pour situer plus exactement l'héritage
théologique de son interprétation des mythes.
La production littéraire de Mirabeau est riche : il
traduit les Elégies de Tibulle, des contes, écrit des
traités politiques, de médecine, des sermons religieux, un
abrégé de grammaire française, entretient des
correspondances abondantes et s'adonne même au roman-mémoire. Son
style, vif et incisif, se prête particulièrement à des
genres composés pour l'oralité (le sermon, le conte et la
poésie) ; mais son écriture n'en est pas moins
protéiforme, car à chaque genre pratiqué, son expression
s'enrichit du lexique agréé, témoin d'études
poussées sur les sujets abordés. Rappelons qu'il est avant tout
un redoutable orateur qui défend sa propre cause devant les magistrats,
lors de maints procès dirigés contre lui, qu'il a dirigé
ensuite, en quelques phrases, un acte protestataire vers un mouvement qui
s'autoproclame Assemblée Nationale1 , et que sa vocation
politique l'amène naturellement à concevoir la langue comme un
outil puissant au service d'une cause.
On pourrait considérer que la littérature lui
apparaît de même, comme un investissement volontaire
requérant de l'application et du travail, et que toute
intentionnalité d'écriture repose sur un enjeu propre, une cause,
une conception personnelle à défendre ou à reconstruire.
En conséquence, on devrait retrouver une certaine cohérence
axiologique entre l'Erotika Biblion et ses autres écrits, ou du
moins établir différentes logiques pour assimiler le projet
anthropologique de l'ouvrage avec une idéologie de la liberté et
du bonheur inhérente à sa production littéraire.
D'ailleurs, cette recherche de cohérence est formulée dès
les premières pages dans l'introduction de Jean-Pierre Dubost.
Pour expérimenter les articulations toujours nouvelles
et toujours risquée de l'éros et de la raison, Mirabeau ne
choisit pas, comme le fait Sade, de mêler intimement les ruses de la
fiction à l'érudition. Il préfère séparer
les genres, en écrivant parallèlement deux textes
complémentaires et foncièrement différents - d'un
côté un roman libertin, Ma Conversion ou Le Liberté de
qualité, et de l'autre Erotika Biblion
[...].2
Il peut être difficile de catégoriser un genre
« savant » ou « érudit » en littérature,
surtout pour comparer deux textes, l'un relevant de la fiction, et l'autre de
l'érudition ; d'autant plus que l'Erotika Biblion relève
des deux à la fois. Par les procédés d'écriture en
revanche, on pourrait établir un style articulant la fiction et
l'érudition sous couvert d'un ton général : l'ironie
savante.
1 23 juin 1789, Henri-Evrard, marquis de
Dreux-Brézé, grand maître des cérémonies,
communique l'ordre royal dispersant l'Assemblée Constituante. Alors que
les députés du Tiers-Etat hésitaient sur le comportement
à adopter, seul Mirabeau se lève et prononce la locution
engageant la révolution française, que la tradition
déformera : « Allez dire à ceux qui vous envoient que nous
sommes ici par la volonté du peuple, et qu'on ne nous en arrachera que
par la puissance des baïonnettes. »
2 Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, ed. cit, page 7.
16 - Au commencement était le Verbe
Le ton savant de l'Erotika Biblion pourrait d'abord
se comprendre comme le désir d'assimiler l'objet de sa
démonstration, la sexualité, à l'objectivité.
De facto, sa première fonction est de diminuer la charge
licencieuse et déplacée d'un tel objet, et d'en constituer le
coeur d'un raisonnement recevable et digne d'être argumenté. Par
ailleurs, Mirabeau définit lui-même son style comme passable, non
pas médiocre, mais recevable et honnête ; un style adaptable selon
le ton de son objet, comme une capacité à livrer une
pensée propre, son caractère, son esprit et ses sentiments sans
choquer les conventions et la bienveillance du lecteur.
Mon style est passable, parce qu'il est à moi ; parce
que communément j'ai le ton de la chose que je dis ou que
j'écris, attendu que je ne dis et que je n'écris que ce que je
pense : c'est là, je crois, le grand secret. Suivre son caractère
propre, la tournure naturelle de son esprit et les inspirations du
sentiment.1
Il paraît étrange de considérer
l'expression de soi comme une convention stylistique recevable. D'ailleurs, on
recense dans l'Erotika Biblion2, 64 occurrences d'un pronom
personnel à la première personne renvoyant à
l'auteur-narrateur. Et malgré le titre de l'ouvrage, on constate
curieusement que le ton employé est différent de celui
adopté dans la littérature érotique de l'époque.
Pourtant, on y traite essentiellement d'érotisme (31 anecdotes
concernant la sexualité) tout en maintenant son objet à distance
par un ton savant, un style objectif et apparemment neutre. Contrairement
à ce que le titre laisserait supposer, l'ouvrage n'est en rien
pornographique. C'est même tout l'inverse ; grâce à des
renforts de raisonnement et des références savantes, le ton
s'approche plus d'un essai que du récit pornographique. Mirabeau a
pourtant déjà versé dans les textes pornographiques, et
les idées en la matière ne lui manquaient pas pour renouveler le
genre3. Rien de tel dans l'Erotika Biblion, car
l'association entre la sexualité et le savoir l'amène à
construire un discours appuyé par des éléments discursifs
plagiés sur autrui, et par conséquent cadencé par des
allusions et des citations provoquant des variations sémantiques et
stylistiques dans le texte. De facto, le discours étale une
richesse lexicale qui l'aide à être reçu comme un texte
érudit traitant de sexualité4. Ponctué par la
première
1 Lettres à Sophie, le 28
décembre 1778, dans Lettres originales, écrites du donjon de
Vincennes, pendant les années 1777, 78, 79 et 80, recueillies par P.
Manuel, T. II, éd. cit, page 445.
2 L'ouvrage de référence pour notre
travail est l'édition princeps ; Errotika Biblion,
`Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome,
de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Cote Enfer 1286 de la
Bibliothèque Nationale de France.
3 On lui prête bien des écrits
licencieux dans le genre pornographique, mais le seul attesté par sa
correspondance est Le Libertin de qualité, ou Confidences d'un
prisonnier au château de Vincennes, Auri Sacra fames, écrites
par lui-même, éd. cit. Son originalité provient de la
nature du moteur de la narration : l'argent. Auri Sacra fames
(l'exécrable faim de l'or) constitue la qualité d'un libertin qui
ne se prête plus aux femmes par désir charnel mais par
rémunération, faisant ainsi la différence avec le libertin
de moindre qualité, mal éduqué, mal contrôlé.
Voy. « Ma conversion, ou la puissance satirique du grotesque
», Valérie Van Crugten-Andre, dans Lumen : travaux choisis de
la Société canadienne d'étude du dix-huitième
siècle, vol. 15, 1996, pages 215 à 228.
4 Par exemple, le dernier chapitre, « La
Linguanmanie », relève un nombre significatif de termes
empruntés à l'érudition hellénistique pour accuser
les déviances des pratiques et des institutions d'ordre sexuel dans
l'Antiquité. Le dispositif éditorial procède d'une ironie
savante en donnant leur définition et plus de détails en langue
originale dans les notes de bas de page.
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personne en tant que témoin d'une situation initiale
dont l'étonnement justifie la dissertation, le discours opère une
distanciation caractérisant le texte par l'objectivité.
Alors pourquoi parlons-nous d'ironie savante ? Parce que la
fiction est invitée dans l'argumentation à grands renforts de
preuves factices ou par stratégie argumentative. Nous la mettons en
évidence en étudiant la dissonance et la charge
subversive du discours après avoir dégagé la
cohérence générale de l'ouvrage.
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