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Etudes littéraires sur l’Erotika Biblion. Quand l’ironie sème le doute.


par Sylvain Haure
UNIVERSITE PAUL VALERY, Montpellier III - MASTER II Littérature française et comparée 2019
  

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8 - Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau

en place. Mais loin de relire l'idéologie de Mirabeau avec les thèses de Foucault1, la problématique doit se fixer sur un point de départ : Mirabeau, à la manière d'un théologien, intègre-t-il son système idéologique dans les vues de Dieu ? Et comment justifie-t-il l'absolu d'une telle volonté ? Finalement, se fait-il l'ennemi des institutions religieuses ? Qui vise-t-il ? L'ouvrage, est-il construit comme une critique politique, donc comme une accusation formelle d'imposture à l'encontre de l'Église ? Ces questions sont déjà plus pertinentes, car elles chercheraient à caractériser le texte par sa réception par la Congrégation de l'Index ; mais en vérité, elles reviennent à se demander si Mirabeau a écrit pour lui-même ou pour un autre. Cette dernière question est extrêmement féconde : Erotika Biblion, écrire une Bible ! n'est-ce pas se prendre pour le prophète de Dieu : Moïse ? Quel rapport entretient-il avec ses propres écrits, avec ceux des autres ? Et de quelle façon se sent-il inspiré ? Dès lors, ce genre de problématique insère un degré d'ironie inhérent à l'ouvrage. Voilà qui nous permettrait de juger plus objectivement et plus sûrement de son intention. Nous avons dit que Mirabeau écrit dans la perspective d'élaborer et de justifier intellectuellement une idée de Dieu pour procurer toute la cohérence nécessaire à son projet anthropologique.

Il s'agirait plutôt d'interroger son rapport au divin dans le sein de l'idéologie de l'époque, celle des Lumières, faite d'un profond rejet des systèmes métaphysiques et d'une volonté de gratifier l'homme de la juste maîtrise de sa vie et de son destin. À ce niveau, de quelle façon Mirabeau établit-il la nature divine de son projet anthropologique ? Ses fins politiques sont-elles en adéquation avec l'idéologie des Lumières ? Définirait-il le progrès dans un rapport au sacré ? Le conçoit-il dans un déterminisme divin ? Mirabeau a répondu à ces dernières questions, preuve que son ouvrage procède d'une cohérence approfondie par des réflexions affinées. Aussi, elles nous guideront lors de ce travail. En même temps que le développement de la pensée de Mirabeau, nous prendrons le soin de clarifier les articulations logiques nécessaires à son projet anthropologique. Aussi, il nous a semblé pertinent d'aborder ces questions par trois grandes parties : le Verbe, la Religiosité, et la Politique ; autrement dit, le rapport à l'Écriture - dans son sens large : stylistique et sacralité - aboutit à un rapport significatif avec Dieu qui se prolonge dans l'élaboration d'un système politique que Mirabeau conçoit comme un rapport du législateur avec le bien commun ou souverain bien.

Le rapport à l'écriture dans un premier temps, nous permettrait de clarifier les procédés ironiques employés par Mirabeau afin de jauger du degré de subversion entretenu dans sa stylistique savante. La principale difficulté consiste, non pas à distinguer ses propres écrits des pillages opérés chez les autres, mais à concevoir l'ouvrage comme résultant d'une intention propre et personnelle

1 Cf. Histoire de la sexualité, Michel Foucault, 3 tomes, Paris, Gallimard, 1976 et 1984.

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qui se laisserait appréhender dans la cohérence de son ensemble. Il faut rechercher une unité de composition en étudiant, chapitre après chapitre, les différents emplois des pronoms personnels, rechercher les tournures de phrase qui lui sont propres, relier les motifs, les figures, les problématiques reprises d'un chapitre à l'autre, et définir une structure type qui revient le plus souvent quand une démonstration est élaborée. Comme il nous faut relever les écrits d'autrui pour ce travail, nous en profitons pour évaluer, et si possible authentifier, les sources et références utilisées. La religiosité dans un deuxième temps, est l'étude du rapport au divin permettant de justifier le projet anthropologique. Mirabeau élabore son idée de Dieu dans un rapport à la sexualité comme le point de départ, la preuve et le témoin de l'existence divine. Comme la sexualité est perçue à travers des pratiques qui ont évolué, il suffirait de définir la jouissance comme le point central de ses conceptions théologico-politiques s'il ne relevait pas la déviance des désirs sexuels et leur portée funeste comme un obstacle à l'épanouissement d'une société. Il en vient même à élaborer l'esquisse d'une philosophie où la femme est à la fois réceptrice et émettrice de sensation sexuelle ; il caractérise enfin le sexe féminin et ses attraits sur l'autre sexe comme la manifestation d'une volonté divine, preuve de son existence et de sa toute-puissance. Notre problématique interroge la portée d'une telle puissance divine, et avec elle, la notion du progrès et de la perfection que nous confrontons avec la lecture que Jean-Pierre Dubost propose dans son introduction à l'ouvrage1. Nous en profitons pour augmenter l'étude de la charge ironique du discours. Enfin, la dernière partie est toute politique et ambitionne de reconstruire le système anthropologique de Mirabeau, génie politique de son temps. Disséminé dans les chapitres, ce système retrouve toute sa cohérence une fois reconstruit autour du rôle du législateur - position centrale dans la réflexion politique de Mirabeau - dont l'autorité repose sur les moeurs de son peuple, définis comme des goûts particuliers et des désirs naturels à satisfaire. Utilitariste, Mirabeau fixerait le bien commun et le spécifierait selon le bien naturel et le souverain bien ; deux conceptions différentes du bien qu'il partage entre le déterminisme naturel, la reproduction, et le déterminisme divin, l'accomplissement propre. L'homme, croyant que son devoir envers Dieu se situerait au-delà des choses sensibles, est capable de détourner les desseins naturels de la reproduction ou de dédaigner l'appel de ses pulsions ; Mirabeau a prévu une réponse adaptée à chacune de ces contrariétés. À la fin de la partie, nous exposons une éventuelle source, originale, qui l'aurait directement inspiré.

1 Jean-Pierre Dubost s'acquitte de la perfectibilité et du progressisme selon l'idéologie de Mirabeau en ramenant le premier chapitre « Anagogie » à l'avènement futur d'un métamorphisme généralisé, selon le mythe diderotien. Le progrès reviendrait à un investissement sensoriel qui évoluerait avec l'ancienneté de l'humanité et son contrôle sur l'environnement. Nous en dirons l'essentiel et citerons les exemples lors de l'analyse. Voy. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 13.

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