8 - Lumières sur l'Erotika Biblion de
Mirabeau
en place. Mais loin de relire l'idéologie de Mirabeau
avec les thèses de Foucault1, la problématique doit se
fixer sur un point de départ : Mirabeau, à la manière d'un
théologien, intègre-t-il son système idéologique
dans les vues de Dieu ? Et comment justifie-t-il l'absolu d'une telle
volonté ? Finalement, se fait-il l'ennemi des institutions religieuses ?
Qui vise-t-il ? L'ouvrage, est-il construit comme une critique politique, donc
comme une accusation formelle d'imposture à l'encontre de
l'Église ? Ces questions sont déjà plus pertinentes, car
elles chercheraient à caractériser le texte par sa
réception par la Congrégation de l'Index ; mais en
vérité, elles reviennent à se demander si Mirabeau a
écrit pour lui-même ou pour un autre. Cette dernière
question est extrêmement féconde : Erotika Biblion,
écrire une Bible ! n'est-ce pas se prendre pour le
prophète de Dieu : Moïse ? Quel rapport entretient-il avec ses
propres écrits, avec ceux des autres ? Et de quelle façon se
sent-il inspiré ? Dès lors, ce genre de problématique
insère un degré d'ironie inhérent à l'ouvrage.
Voilà qui nous permettrait de juger plus objectivement et plus
sûrement de son intention. Nous avons dit que Mirabeau écrit dans
la perspective d'élaborer et de justifier intellectuellement une
idée de Dieu pour procurer toute la cohérence nécessaire
à son projet anthropologique.
Il s'agirait plutôt d'interroger son rapport au divin
dans le sein de l'idéologie de l'époque, celle des
Lumières, faite d'un profond rejet des systèmes
métaphysiques et d'une volonté de gratifier l'homme de la juste
maîtrise de sa vie et de son destin. À ce niveau, de quelle
façon Mirabeau établit-il la nature divine de son projet
anthropologique ? Ses fins politiques sont-elles en adéquation avec
l'idéologie des Lumières ? Définirait-il le progrès
dans un rapport au sacré ? Le conçoit-il dans un
déterminisme divin ? Mirabeau a répondu à ces
dernières questions, preuve que son ouvrage procède d'une
cohérence approfondie par des réflexions affinées. Aussi,
elles nous guideront lors de ce travail. En même temps que le
développement de la pensée de Mirabeau, nous prendrons le soin de
clarifier les articulations logiques nécessaires à son projet
anthropologique. Aussi, il nous a semblé pertinent d'aborder ces
questions par trois grandes parties : le Verbe, la Religiosité, et la
Politique ; autrement dit, le rapport à l'Écriture - dans son
sens large : stylistique et sacralité - aboutit à un rapport
significatif avec Dieu qui se prolonge dans l'élaboration d'un
système politique que Mirabeau conçoit comme un rapport du
législateur avec le bien commun ou souverain bien.
Le rapport à l'écriture dans un premier temps,
nous permettrait de clarifier les procédés ironiques
employés par Mirabeau afin de jauger du degré de subversion
entretenu dans sa stylistique savante. La principale difficulté
consiste, non pas à distinguer ses propres écrits des pillages
opérés chez les autres, mais à concevoir l'ouvrage comme
résultant d'une intention propre et personnelle
1 Cf. Histoire de la sexualité, Michel
Foucault, 3 tomes, Paris, Gallimard, 1976 et 1984.
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qui se laisserait appréhender dans la cohérence
de son ensemble. Il faut rechercher une unité de composition en
étudiant, chapitre après chapitre, les différents emplois
des pronoms personnels, rechercher les tournures de phrase qui lui sont
propres, relier les motifs, les figures, les problématiques reprises
d'un chapitre à l'autre, et définir une structure type qui
revient le plus souvent quand une démonstration est
élaborée. Comme il nous faut relever les écrits d'autrui
pour ce travail, nous en profitons pour évaluer, et si possible
authentifier, les sources et références utilisées. La
religiosité dans un deuxième temps, est l'étude du rapport
au divin permettant de justifier le projet anthropologique. Mirabeau
élabore son idée de Dieu dans un rapport à la
sexualité comme le point de départ, la preuve et le témoin
de l'existence divine. Comme la sexualité est perçue à
travers des pratiques qui ont évolué, il suffirait de
définir la jouissance comme le point central de ses conceptions
théologico-politiques s'il ne relevait pas la déviance des
désirs sexuels et leur portée funeste comme un obstacle à
l'épanouissement d'une société. Il en vient même
à élaborer l'esquisse d'une philosophie où la femme est
à la fois réceptrice et émettrice de sensation sexuelle ;
il caractérise enfin le sexe féminin et ses attraits sur l'autre
sexe comme la manifestation d'une volonté divine, preuve de son
existence et de sa toute-puissance. Notre problématique interroge la
portée d'une telle puissance divine, et avec elle, la notion du
progrès et de la perfection que nous confrontons avec la lecture que
Jean-Pierre Dubost propose dans son introduction à
l'ouvrage1. Nous en profitons pour augmenter l'étude de la
charge ironique du discours. Enfin, la dernière partie est toute
politique et ambitionne de reconstruire le système anthropologique de
Mirabeau, génie politique de son temps. Disséminé dans les
chapitres, ce système retrouve toute sa cohérence une fois
reconstruit autour du rôle du législateur - position centrale dans
la réflexion politique de Mirabeau - dont l'autorité repose sur
les moeurs de son peuple, définis comme des goûts particuliers et
des désirs naturels à satisfaire. Utilitariste, Mirabeau fixerait
le bien commun et le spécifierait selon le bien naturel et le souverain
bien ; deux conceptions différentes du bien qu'il partage entre le
déterminisme naturel, la reproduction, et le déterminisme divin,
l'accomplissement propre. L'homme, croyant que son devoir envers Dieu se
situerait au-delà des choses sensibles, est capable de détourner
les desseins naturels de la reproduction ou de dédaigner l'appel de ses
pulsions ; Mirabeau a prévu une réponse adaptée à
chacune de ces contrariétés. À la fin de la partie, nous
exposons une éventuelle source, originale, qui l'aurait directement
inspiré.
1 Jean-Pierre Dubost s'acquitte de la
perfectibilité et du progressisme selon l'idéologie de Mirabeau
en ramenant le premier chapitre « Anagogie » à
l'avènement futur d'un métamorphisme
généralisé, selon le mythe diderotien. Le progrès
reviendrait à un investissement sensoriel qui évoluerait avec
l'ancienneté de l'humanité et son contrôle sur
l'environnement. Nous en dirons l'essentiel et citerons les exemples lors de
l'analyse. Voy. Erotika Biblion, édition critique par
Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 13.
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