Accord cadre d'Addis-Abeba : analyse de l'incidence sur la RDC six ans après.par Modeste Keta Ibutshi Université Nationale Pédagogique - Licence en relations internationales 2018 |
1. La SécuritéNationalPour Kenneth Waltz, la question majeure des relations internationales n'est pas ou n'est plus la quête d'un équilibre via la puissance, mais la recherche de la sécurité. L'idée de sécurité s'apparente fortement à celle de bien public. Traditionnellement, elle se réfère à la protection contre des agressions de type militaire (violence organisée provoquée par des États). Mais les unités politiques doivent aussi apprendre à se protéger contre la violence organisée au sein de réseaux internationaux connectant des acteurs appartenant à des sociétés civiles différentes, dont les causes psychologiques et sociologiques peuvent être très diverses30(*). Dans une acception évidemment extrême de la notion de violence, Bourdieu va jusqu'à parler de la « violence structurelle des marchés financiers »31(*). L'insuffisance du point de vue militaire est reconnue depuis longtemps à travers, typiquement, la notion de sécurité pour les approvisionnements « stratégiques ». Cette notion se rattache étroitement à la première, puisqu'une modification brutale dans les circuits de certaines matières premières ou ressources énergétiques (pétrole) peut rapidement conduire à la guerre. Progressivement, avec l'accroissement de l'interdépendance à travers la « mondialisation », puis les décloisonnements résultant de l'effondrement de l'Union soviétique, il a fallu étendre la notion de sécurité pour y inclure de nouvelles dimensions telles que l'économie au sens large (chocs macroéconomiques par exemple), l'environnement et l'écologie (effets externes locaux de type Tchernobyl, ou globaux de type effet de serre), ou encore la santé (trafics de drogue, sida, vache folle). Parmi les définitions contemporaines de la sécurité souvent citées, on s'arrêtera, à cause de son extrême généralité, sur celle d'Ole Woever (1993) : c'est « la capacité d'une société à conserver son caractère spécifique malgré des conditions changeantes et des menaces réelles ou virtuelles : plus précisément, elle concerne la permanence des schémas traditionnels de langage, de culture, d'association, d'identité et de pratiques nationales oureligieuses, compte tenu de nécessaires évolutions jugées acceptables32(*)». Le concept essentiel, dans cette définition, est celui d'identité, que l'on retrouve ainsi. Sur le plan phénoménologique, rien n'est plus difficile que de définir l'identité d'un objet complexe. « Comment se fait-il, se demande David Ruelle33(*), qu'un artiste donné produise de manière répétée des oeuvres ayant le même ensemble de caractères probabilistes, ensemble qui caractérise cet artiste particulier ? Ou prenons un autre exemple : comment se fait-il que votre écriture soit si unique, si difficile à imiter pour d'autres, et à déguiser pour vous ? » Voici la réponse proposée par le maître de la théorie du chaos : « Si l'on impose une condition globale simple à un système compliqué, alors les configurations qui satisfont à cette condition globale ont habituellement un ensemble de caractères probabilistes qui caractérise ces configurations de manière unique. » Ainsi « le fait qu'une oeuvre soit due à un certain artiste est [...] «la condition globale simple», et l' «ensemble des caractères probabilistes» de l'oeuvre est ce qui nous permet d'identifier l'artiste ». De même, la « condition globale simple » à la base de l'identité de la France est la combinaison de l'Etat et de la langue34(*), ce qui explique pourquoi la « crise de l'Etat » et « le déclin du français » affectent si durement nos compatriotes. Aux Etats-Unis, on dirait sans doute que la « condition globale simple » est la Constitution. Pour prendre un exemple d'une communauté qui ne coïncide pas avec un Etat, et qui en l'occurrence est fort désorganisée vis-à-vis de l'extérieur, on reconnaîtra que c'est la langue qui conditionne l'identité de la « nation arabe ». Sur le plan ontologique, tout Etat et plus généralement toute unité politique « comme chaque chose, selon sa puissance d'être, s'efforce de persévérer dans son être » (Spinoza). Pour cela, il lui faut s'adapter. On peut dire que l'Union soviétique est morte de la conjonction de deux facteurs étroitement liés : une « puissance d'être » déclinante (en termes moins philosophiques, on pourrait parler de l'affaiblissement de son soft power, au sens de Joseph S. Nye16°) et une incapacité chronique d'adaptation, conséquence d'un vice de fabrication qu'avait fort bien analysé George Kennan dans les années quarante et qu'un grand théoricien comme Karl Deutsch n'avait pas négligé dans ses analyses35(*). Le besoin de sécurité, au sens large, est certainement à la racine de toute notion d' « intérêt national ». Mais, face à une situation concrète, il est souvent difficile et parfois impossible de définir celui-ci de façon univoque, même dans une perspective à long terme. L'idée que l'intérêt national serait définissable de façon absolue, comme un objet qui existerait en soi parce qu'il découlerait du principe de survie identitaire, et que les instances décisionnelles n'auraient qu'à découvrir en chaque circonstance, est difficilement défendable. Le retrait de la France de l'organisation militaire intégrée de l'OTAN répondait-il par exemple à un impératif catégorique au nom de l'intérêt supérieur de la nation française, comme l'affirmait le général de Gaulle ? Une autre politique aurait-elle pu servir aussi bien cet intérêt ? Plus récemment, la question de savoir quel était l'intérêt de la France face à la situation créée par Milosevic dans la province serbe du Kosovo n'était nullement évidente. Et que dire, dans un tout autre genre, de la notion d' « exception culturelle » qui se rattache pourtant à l'idée de sécurité dans l'acception large du terme ? A cette indétermination fondamentale, on peut en rattacher une autre, ayant trait aux ambiguïtés de la notion de défensive en stratégie, comme lorsque l'on dit que la meilleure défense est souvent l'attaque. La question est particulièrement délicate, à l'époque contemporaine, pour les Etats dont la « puissance d'être » est en devenir, comme l'Irak depuis son indépendance, et qu'on ne saurait se contenter de classer dans la catégorie fort peu scientifique des « Etats voyous » (rogue states) de la littérature américaine. Saddam Hussein a perdu son pari en 1990, mais tout analyste des relations internationales s'efforçant d'être objectif doit se distancier de son ethnocentrisme naturel pour essayer de comprendre les points de vue des autres, ce qui ne veut pas dire les prendre à son compte. L'obligation intellectuelle de décentrage est essentielle pour l'intelligence des problèmes d'identité et de sécurité. Bien que la comparaison ait été souvent établie entre le dictateur de Bagdad et Slobodan Milosevic, il est clair que la politique de ce dernier au Kosovo fut d'une nature tout à fait différente, puisque du point de vue de la Serbie (et pas seulement de son régime), il s'agissait de préserver l'unité d'une vieille nation. * 30D. David, « Violence internationale : une scénographie nouvelle », dans RAMSES 2000, Ifri/Dunod, Paris, 1999. * 31P. Bourdieu, Contre-feux, Paris, Liber-Raisons d'agir, 1998, p. 46. * 32 O. Waever, « Societal Security : The Concept », in O. Waever, et al., Identity, Migration and the New Security Agenda in Europe, Pinter, Londres, 1993, pp. 17-40. * 33D. Ruelle, Hasard et chaos, Odile Jacob, Paris, 1991, pp. 156-157. * 34BraudelL, 'identité de la France, Arthaud-Flammarion, Paris, 1986. * 35Th. de Montbrial, Mémoire du temps présent, Flammarion, Paris, 1996, ch. IV et M.C. Smouts, op.cit., (2), p.12. |
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