Incidence des journées villes mortes sur les activités des entreprises commerciales en ville de Butembo.par Steeven MATHE KOMBI Université Officielle de Ruwenzori - Grade en sciences économiques 2019 |
PREMIER CHAPITRE : CADRE THEORIQUECe chapitre, entièrement consacré aux notions de base, donne une vue panoramique et une lumière sur les acceptions et les définitions mises au point par certains auteurs. Ainsi, les concepts de journée ville-morte, l'entreprise et le commerce font l'objet de cette partie du travail. Le bref aperçu de la ville de Butembo clôturera ce chapitre. I.1. Notion de journée "ville-morte"I.1.1. Origine du motL'idée des "villes-mortes" est née du refus gouvernemental de convoquer une conférence nationale au Cameroun vers les années 90. En effet, la conférence nationale souveraine est devenue le point focal de la contestation politique au Cameroun au lendemain du procès Monga-Njawé. Ainsi, « illusionné par le cours des événements dans d'autres pays d'Afrique et d'Europe de l'Est, l'opposition anticipait vraisemblablement une chute rapide du régime, omettait par là même d'élaborer de véritables stratégies de conquêtes du pouvoir à la fois cohérentes et crédibles »8(*). L'expression « ville-morte », forgée dès le XVIII siècle par les premiers voyageurs, explorateurs ou archéologues, marque leur stupeur et leur fascination devant des citées oubliées ou inconnues qu'ils pensent découvrir en étant les premiers à les pénétrer depuis des siècles : on songe aux villes mortes de la Syrie du Nord, révélées notamment par l'archéologue français Melchior de Voguë en 1862. Mais, la locution échoue à circonscrire un objet clairement identifiable. Une première tentative de définition consisterait à introduire, dans le cadre d'une lecture opérée au prisme de l'archéologie, l'idée d'une étendue de vestiges provenant d'une civilisation ancienne et dont l'ampleur ou la monumentalité balaie le vocable réducteur de la ruine. Depuis l'époque classique, la ruine est un motif de la mélancolie doublée d'un blason du passé ou de l'histoire, dont la littérature et la peinture romantiques ont réactualisé les valeurs et promu le pittoresque, comme l'ont montré les travaux de Roland Mortier9(*), Michel Makarius?10(*) ou Sabine Forero-Mendoza11(*). Mais la ville morte procède par extension radicale et spectaculaire de la ruine qui ne peut guère autre chose qu'un fragment détaché d'un ensemble toujours plus vaste et à jamais perdu. Son imaginaire est multiple, qui puise aux mythes de l'Atlantide (la ville engloutie) ou de Sodome et Gomorrhe (les villes ruinées et détruites), mais aussi aux découvertes archéologiques de la fin du XVIII et du début du XIX siècle (Herculanum ou Pompéi). Du romantisme de Théophile Gautier (Arria Marcella, 1852) au symbolisme de Georges Rodenbach (Bruges-la-Morte, 1892), les « villes-mortes » développent tout au long du XIX siècle un imaginaire et une poétique de l'archéologie-fiction ou de l'« inquiétante étrangeté », dont Freud a exploré la signification en 1907 dans sa fameuse interprétation de la Gradiva de Jensen (1903)12(*). De Gautier à Jensen, précisément, un imaginaire de la ville morte s'est constitué et en quelque sorte figé, dont les topoï sont à la fois limités en nombre, récurrents en fréquence et, par là même, soumis à d'infinies variations. Ces éléments soulignent combien la « ville-morte » ne se caractérise pas exclusivement par sa réalité topographique, sa position géographique ou son étendue physique. Les sites d'époque romaine et byzantine, en dépit de leur désignation, témoignent d'un mode de vie essentiellement rural et non d'une situation urbaine. La « ville-morte » peut donc n'être qu'un village, comme l'attestent les ghost towns de l'Ouest américain, parfois composées d'une seule rue, dont les westerns ont fait un lieu commun, au risque de l'usure. La bourgade désolée d'Oradour-sur-Glane, détruite le 10 juin 1944 par les soldats nazis de la Division Das Reich13(*), l'indique aussi, en dépit de son spectacle médusant qui a tant retenu l'attention des photographes14(*). Soulignons donc ici que la qualification de la « ville-morte » est ailleurs, c'est-à-dire dans les projections et les impressions qu'elle produit sur ceux qui en sont les spectateurs directs ou par délégation. Mais si ses dimensions spatiales s'avèrent secondaires, et peuvent parfois se résumer à quelques bâtiments, comment dès lors la distinguer des ruines ? Plus qu'une question d'étendue, la distinction entre ces deux notions semble alors pour partie dépendre de leur état de conservation et de leur transmissibilité. Là où les ruines offrent au regard les traces parcellaires d'un passé que l'imagination doit reconstituer à ses frais ou à sa guise, la « ville-morte » trouble la contemplation : elle exige d'être arpentée comme les héros de Gautier ou de Jensen ne cessent de revenir sur les lieux, car une grande partie de son « décor » a été conservée, comme embaumée, donnant l'illusion d'avoir été peu altérée par le temps. Dans cette perspective, la « ville-morte » relève moins d'une logique spatiale que d'une mise en question du temps. Cet espace déserté ou abandonné incite en premier lieu à s'interroger sur l'origine du départ de sa population, et ces causalités constituent la chronique des développements économiques la ville californienne de Bodie rappelant les heures glorieuses de la ruée vers l'or, ou celle de Kolmanskop en Namibie, construite en 1908 pour exploiter les mines de diamant, des spéculations immobilières hasardeuses des lotissements qui n'ont jamais trouvé leurs habitants, des catastrophes économiques, technologiques ou naturelles l'emblématique Pripiat en Ukraine, désertée après l'explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl ou Detroit ravagée par la crise, des destructions massives de la guerre industrielle à Berlin, Dresde ou Hiroshima. Ces situations nourrissent le travail d'un photographe comme Mathieu Pernot qui, dans sa série. Le Grand Ensemble15(*), confronte des cartes postales des décennies 1960-1970 représentant, en vue aérienne, l'habitat de masse vide de toute vie et des photographies de leur destruction opérée par implosion dans le cadre des politiques d'urbanisme des années 2000-2010. Réalité matérielle et phénomène historique, la ville morte n'est pas circonscrite par sa seule fonction testimoniale. Elle est façonnée par la pluralité des regards qu'elle suscite et qui la métamorphosent en une construction visuelle, symbolique et culturelle, diffusée et déplacée, parfois même détournée, au gré des usages et des vogues : du savant à l'artiste, de l'archéologue au photographe, de l'écrivain au cinéaste, sans négliger le touriste dont la présence peut s'avérer pesante voire colonisatrice, comme à Venise... La ville morte provoque, chez tous ceux qui s'en emparent avec des mobiles variés, de multiples réappropriations qui viennent bousculer l'ordre des temporalités. Devenue un espace muséifié, elle interroge la place accordée au passé dans nos sociétés, soutenant un questionnement « d'où venons-nous ? » sur les civilisations qui nous ont précédés et dont l'héritage ne nous paraît pas toujours direct, puisque la distance, le voyage et l'exotisme interfèrent souvent dans l'appréhension des sites. À l'inverse, elle peut tout autant se conjuguer au présent, et de manière temporaire, comme en témoigne la pratique de nombreuses opérations « ville morte » qui consistent à faire disparaître, pour un temps déterminé, toute trace d'activité humaine dans un espace urbain qu'il s'agisse d'arrêter les activités commerciales, avec la fermeture de magasins, ou de simuler la mort des habitants, même pendant quelques minutes, comme le 17 mai 1973, à Mazamet, dans le cadre d'une action en faveur de la sécurité routière. Ces manifestations servent à exhiber toute une gamme d'émotions publiques, allant de l'opposition politique à l'expression du deuil, à la suite d'un fait divers. Dans tous les cas, la « ville-morte » s'érige en une expérience qui consiste à (faire) découvrir ou redécouvrir une cité figée dans l'abandon, pétrifiée dans la mort et suspendue dans une temporalité indéfinie implicitement promise à l'éternité. C'est sans doute ce qu'a compris Théophile Gautier, qui lui sert de trame et de ressort pour ArriaMarcella, mais qui confère aussi à son conte fantastique une efficacité matricielle.Passée au tamis des représentations et des imaginaires, la « ville-morte » se transforme en un écran fantasmatique sur lequel écrivains, cinéastes, photographes et artistes projettent la hantise de la disparition, en ré-agençant dans le présent de la création les signes d'une réalité historique avérée, afin de mettre en question l'identité des personnages mais aussi la fragilité de notre civilisation. On pense ici à l'esthétique sensationnaliste du Ruin porn, que Detroit a suscitée dans l'oeil des photographes contemporains. C'est dans cette perspective que la littérature et le cinéma, à travers les genres de l'anticipation et du fantastique, ont souvent recourus au motif de la « ville-morte », en mettant en scène les déambulations d'individus isolés dans des centres urbains désertés du roman de Richard Matheson, Je suis une légende (1954), jusqu'à la récente série télévisée à succès, Walking Dead (2010), qui confronte d'emblée son héros incrédule à une ville vidée de toute sa population. La disparition de toute vie des grandes mégapoles, en premier lieu New York, constitue ainsi un topos privilégié des récits post-apocalyptiques ( Le Monde, la chair et le diable , de Ranald MacDougall, 1959), pour nous rappeler à quel point la vie humaine est précaire, face à la faune et la flore qui y reprennent rapidement leurs droits, comme nous pouvons le voir tant dans le volet de l'affrontement de la Planète des singes (2014), que dans les reportages photographiques ou des documentaires rapportés des environs de Tchernobyl16(*). Entre refoulement et expression du désir, les « villes-mortes » sont l'envers des mégapoles modernes et le revers de la Grande Ville comme emblème du capitalisme triomphant. Rien d'étonnant, dans cette perspective, que Paris, consacrée « capitale du XIX siècle » par Walter Benjamin, ait pu être perçue, dans les gravures et les photographies de ses destructions du printemps révolutionnaire de 1871, ou dans les témoignages de journalistes et d'écrivains de retour après la Semaine sanglante, comme une « ville-morte », vidée de toute présence humaine, comparée notamment par Gautier à une moderne Pompéi17(*). Les arts visuels, à travers des photographies et des installations, ont également questionné nos pratiques de l'espace urbain en proposant de « vider la ville », comme dans les travaux de Nicolas Moulin (Vider Paris, 2001)18(*), de Matt Logue (Empty L.A., 2009) ou Masataka Nakano (Tokyo No body, 2000). Si les oeuvres de ces plasticiens ont chacune leur singularité Nakano refuse d'utiliser les retouches informatiques, quand Moulin intervient sur ses photographies pour en modifier lourdement le contenu, elles partagent le même désir de mettre notre rapport à la ville. Car la dissocier de ses habitants relaie la vision angoissante d'un environnement urbain, qui suggère la possibilité de notre absence, témoignant ainsi de l'emprise des réseaux spatiaux et des technologies sur notre quotidien. Destinée à un avenir de fantôme, la « ville-morte » procède de l'inconscient urbain, dont les guerres et les catastrophes du XX siècle ont promu un imaginaire des cités désertées et figées, muséifiées et fétichisées, comme l'a esquissé l'urbaniste Mike Davis dans son essai Dead Cities19(*). À l'heure du postmodernisme et de la culture de masse, les « villes-mortes » hantent le cinéma et la bande dessinée. Elle fait penser au cycle des Cités obscures de François Schuiten et Benoît Peters (1983-2009), la photographie plasticienne et le photoreportage, la peinture et la littérature, dont elles sont bien plus que le décor impressionnant sous l'apparence duquel elles semblent se donner à voir. Le doute et le trouble attachés à la « ville-morte » ne sont pas un apanage des artistes et des écrivains. Les États politiques et les États-majors militaires ont su en comprendre toute l'efficacité. Pendant la Grande Guerre, on a commencé d'aménager un faux Paris, dans les boucles de la Seine banlieusarde, pour tromper les bombardements de l'ennemi20(*) ; durant la Seconde Guerre mondiale, au fin-fond du désert américain, des répliques de quartiers entiers de villes allemandes ont été construites pour y expérimenter l'efficacité de la guerre chimique sur les populations civiles21(*). La « ville-morte » est un leurre, une illusion, un mirage ; c'est aussi un puissant ferment de l'imaginaire. Pour SARAH Berthiaume, « Villes-mortes », c'est une ville romaine ensevelie par le Vésuve en 79 avant Jésus-Christ; c'est une ville minière de la Côte-Nord désaffectée en 1984; c'est une ville d'Asie centrale occupée par l'OTAN depuis 2003; c'est un quartier de divertissement fondé en 2006 à Brossard, au Québec. C'est Pompéi, la foudroyée; Gagnon ville, l'agonisante; Kandahar, la martyre; DIX30, le zombie. Elle précise que les « Villes-mortes », sont aussi, et surtout, une réflexion sur l'origine, l'éphémère, la catastrophe, le deuil, le vide, l'espoir. Ce sont les quatre face-à-face entre l'humain et l'immobilier. Quatre chroniques nécrologiques douces-amères. Quatre grandes morts qui surviennent dans quatre petites vies. Le concept « Villes mortes », est un regroupement des quatre contes sur quatre filles vivantes qui racontent leur relation avec une « ville-morte »22(*). Au-delà de l'origine du concept journée-ville morte, telle que présentée ci-haut, nous avons essayé de définir ce concept pour mieux comprendre son sens actuel et surtout sa logique dans ce travail de recherche. * 8Manga KUOH, Cameroun. Un nouveau départ,Harmattan, Paris, 1996, P 80 * 9Roland Mortier, La poétique des ruines en France, Genève, Droz, 1974 * 10Michel Makarius, Ruines. Représentations dans l'art de la Renaissance à nos jours, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2011, P 112 * 11Sabine Forero-Mendoza, Le temps des ruines. Le goût des ruines et les formes de la conscience historique à la Renaissance, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Pays/Paysages », P 200 * 12Sigmund Freud, Le Délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen, précédé de Gradiva, fantaisie pompéienne par Wilhelm Jensen, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1991, P190 * 13SarahFarmer, Oradour : arrêt sur mémoire, Paris, Calmann-Lévy, 1994. P 67 * 14Voir, entre autres, dans une abondante bibliographie, Michel Frizot (dir.), Du côté d'Oradour, photographies de Arno Gisinger, Gilles Plazy, Philippe Bertin et Fabrice Picard, Paris, Filigranes éditions, 1998 * 15Mathieu Pernot, Le Grand Ensemble, Cherbourg-Octeville, Le Point du jour, 2007. Voir aussi le catalogue de sa rétrospective, La traversée, Paris/Cherbourg-Octeville, Jeu de Paume/Le Point du jour, 2014 * 16Voir par exemple le documentaire d'Antoine Bamas et Luc Riolon, Tchernobyl, une histoire naturelle, Camera Lucida Productions/Arte France/CNRS, 2009 * 17Bertrand Tillier, La Commune de Paris, révolution sans images ? Politique et représentations dans la France républicaine (1871-1914), Seyssel, Champ Vallon, coll. « Époques », 2004 ; Éric Fournier, Paris en ruines. Du Paris haussmannien au Paris communard, Paris, Imago, 2008 * 18Bertrand Tillier, « Vider Paris, modifier Paris. Autour des photographies de Nicolas Moulin », Sociétés &Représentations, n° 34, automne 2012, p. 177-183. * 19Mike Davis, Les Prairies ordinaires, coll. « Penser/Croiser », Dead Cities, Paris, 2009 [2002]. * 20Xavier Boissel, Paris est un leurre. La véritable histoire du faux Paris, Paris, Éditions Inculte, 2012. * 21Mike Davis, Dead Cities, op. cit. P 21 * 22Cécile Barraud, villes mortes, villes à l'agonie. Écriture du ravage dans Le quatrième mur de SorjChalandon, Université Paris VII, 12 avril 2016 |
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