3- Les aléas climatiques et la pauvreté
Une grande partie du Tchad est occupée par le
désert. Ce phénomène naturel influence
considérablement sur les régions voisines. Il est la cause du
déplacement de certaines personnes vers une autre localité.
3-1 contrainte naturelle
La plupart des hommes dépendent de l'environnement pour
vivre. La terre est un bien recherché tant par les communautés
sédentaires que par les agro-pasteurs pour la culture de rente et la
culture vivrière. Les pâturages sont essentiels pour les pasteurs
mais aussi pour les agriculteurs installés qui possèdent du
bétail. Ceux qui sont
36C'est l'abréviation de commando. Ce sont les
opposants du régime de Hissein Habré.
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installés peuvent être soit de petits exploitants
soit de grands propriétaires pratiquant l'agriculture
mécanisée.
Le Tchad, pays situé dans la zone sahélienne
n'échappe pas au changement climatique. À partir des
années 1970, des graves perturbations sont apparues dans la
pluviométrie, avec des retards fréquents d'installation des
pluies et une réduction des quantités. Ces modifications ont
entraîné une baisse de la productivité des pâturages
et ont réduit les zones propices à l'agriculture et à
l'élevage. Agriculteurs et éleveurs sont à la recherche
constante de terres, mais ont peu changé leurs modes de production
(Souapibé Pabamé Sougnabe, 2003:4). Ces contraintes naturelles et
environnementales sont la cause des mouvements des populations surtout
éleveurs vers les localités favorables aux besoins des animaux.
Ainsi, la transhumance des éleveurs en quête de pâturages et
des points d'eau du nord vers le sud du pays depuis quelques décennies
demeure permanente. Ces mouvements mettent en contacte des types
d'activités différentes et des hommes différents (Armi,
2005:5). La différence qui existe entre ces hommes provient de leur
culture respective et de leurs structures sociopolitiques et économiques
fortement influencées par la disponibilité des milieux en
ressources naturelles.
Les sècheresses des années 1970 et de 1985 et la
désertification qui s'en est suivie ont été un facteur
déclencheur de conflits dans le milieu rural. Durant cette
période, le nombre de têtes du cheptel bovin du Tchad est
estimé à 4,5 millions. La plus grande partie se concentre dans la
zone sahélienne. La zone soudanienne compte moins de 100 000
têtes. Mais en 1992, au moins 26% du cheptel national se trouve dans la
zone soudanienne (Oumar Goumaîna, 2012:71-72). La désertification
qui en résulte de la péjoration climatique et des
activités abusives des hommes sur la nature cause la raréfaction
ou la réduction des ressources naturelles qui sont : l'eau, le
pâturage herbacé ou arboré. Cette situation se
décline par une compétition acharnée pour l'accès
aux ressources de la terre.
Ainsi, la cohabitation entre les éleveurs venus du nord
et les agriculteurs autochtones apparaît violente aujourd'hui. Les
conflits sont devenus de plus en plus nombreux et parfois meurtriers. On est
loin de cerner l'ensemble de leurs causes. Dans
56
les zones rurales, les conflits naissent dans la mesure
où les éleveurs en provenance du nord avec un élevage
extensif, ne suivent pas les couloirs de transhumance. Un troupeau de 500
têtes est souvent accompagné d'un petit enfant qui, n'ayant pas le
contrôle, laisse les boeufs dévaster les champs. Les agriculteurs
n'ayant d'autres choix que de riposter, se trouvent confronter à un
ennemi bien plus fort qu'eux37. En plus de cela, les éleveurs
seraient soutenus par les autorités administratives et disposeraient
d'armes à feu.
Photo 5 : Campement des éleveurs peuls à
Djarabou.
![](Acces--la-terre-et-conflit-au-tchad-cas-du-pays-massa-XXe-au-XXIe-siecle9.png)
Cliché :Kampété Dieudonné
Kingué, 28 juin 2017.
37 Entretien avec Khamis officié de la police
judiciaire de la Brigade de recherche de Bongor, le lundi 26 juin 2017.
3-2 La pauvreté
Pour éviter la faim, les populations vivant dans les
périphéries de Bongor et bien plus dans les villages
reculés sont tentées de mettre leur terre en location aux profits
des familles en manque nanties. Ces familles sont généralement
des étrangers qui, par vague de migration ont intégré la
région. Ce sont généralement des commerçants, des
généraux, et autres cadres de la région.
D'autres, en particulier les chefs des cantons Bongor, Moulkou
et Nguelendeng, profitent de leur titre pour vendre des hectares aux nanties
bien que la loi n'autorise pas la vente d'un terrain de plus de cinq hectares
à un individu. Ce qui fait que les terrains aux abords de la voie
bitumée, depuis Nguelendeng jusqu'à l'entrée de Bongor
sont vendus par les chefs de canton. Ces grands espaces sont transformés
en vergé par les nouveaux propriétaires. Ce qui fait que les
champs qui, autrefois servaient de culture de mil, ont été
transformés en vastes vergés.
La vente des terres par les chefs est la cause des conflits
qui souvent opposent les ex propriétaires aux étrangers qui les
exploitent. L'exemple patent de cette situation est observable dans le Canton
Bongor, Moulkou et Tougoudé38. Dans une situation de
chômage, la terre reste une source facile de revenu, il suffit de la
vendre pour récupérer des sommes importantes d'argent.
D'où l'accroissement des litiges par le moindre défaut d'honorer
la redevance est une cause de résiliation du contrat d'amodiation.
57
38 Entretien avec le chef de secteur de l'ANADER
Djonyang Laurent le lundi 07 août 2017 à Bongor.
58
Photo 6 : Espace autrefois utilisé pour la culture
du mil transformé en verger de manguiers.
![](Acces--la-terre-et-conflit-au-tchad-cas-du-pays-massa-XXe-au-XXIe-siecle10.png)
Cliché : Kampété Dieudonné
Kingué, 13 octobre 2017.
Cette pratique perdure et les terrains qui ont dans le
passé fait l'objet de vente sont aujourd'hui devenus des grandes
forêts fruitières. Généralement les nouveaux
propriétaires de terrains emploient les ex propriétaires pour
s'en occuper. Ces derniers bénéficient en plus de la vente un
salaire qui peut dans ce contexte assurer la survie de leur famille.
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Photo 7 : Une forêt de manguiers à
l'entrée nord de Bongor.
![](Acces--la-terre-et-conflit-au-tchad-cas-du-pays-massa-XXe-au-XXIe-siecle11.png)
Cliché : Kampété Dieudonné
Kingué, 13 octobre 2017.
Pour ce qui est de la location ou de prêt, Il s'agit ici
des familles qui, par manque des moyens pouvant leur permettre d'exploiter
leurs champs, sont contraintes de les mettre en location aux individus capables
de l'exploiter. Après plusieurs années de mise en culture, les
usufruitiers s'arrogent la propriété des champs. Inversement, les
familles dépossédées des champs après une, deux
générations sont confrontées à un problème
d'espace. Elles s'élargissent tandis que leurs champs deviennent
insuffisants, le besoin d'autres espaces se fait sentir. Ainsi les
propriétaires commencent par réclamer les terres qu'ils avaient
mises en location. Cette situation conduit souvent aux conflits latents mais
aussi violents entre les deux camps.
60
4- La croissance démographique.
Les migrations et les taux élevés
d'accroissement interne ont favorisé une forte croissance
démographique dans la zone soudanienne, dont la population a
doublé en 30 ans, passant de 1 300 000 habitants en 1960 à 2 500
000 en 1993 (Djapania (1996) cité par Souapibé Pabamé
Sougnabe, 2003:4). La forte natalité occasionne l'augmentation de la
population sur une terre intacte. Dans ce contexte de forte croissance interne,
les terres de culture deviennent de plus en plus rares et insuffisantes pour
répondre aux besoins de la population tout entière. Cette
situation rend problématique le rapport des hommes à la terre, ce
qui génère des conflits dans tout le pays Massa. Ces conflits qui
pour la plupart se justifient par le manque d'espace, sont fréquents
puisque l'agriculture demeure et reste la principale activité. En
voulant satisfaire leurs différents besoins, les hommes se disputent la
terre.
Aussi, la pression pastorale s'est-elle
particulièrement accentuée dans tout le pays Massa, sous l'effet
du développement des troupeaux villageois et surtout de la forte
descente des troupeaux transhumants, fuyant les nombreuses sécheresses
issues des aléas climatiques et des activités abusives d'hommes
sur les terres. Cette démographie caractérisée par la
transhumance de l'extérieur vers l'intérieur du pays, a
favorisé une extrême croissance animale et humaine. Ainsi la
saturation d'hommes et d'animaux dans le territoire massa a renforcé la
pression sur l'espace et les oppositions entre les différents usagers.
Même si la densité moyenne de la population et la charge moyenne
du cheptel ne donnent pas une idée précise de leur
répartition réelle dans les différentes localités
(Souapibé Pabamé Sougnab, 2003:4), il faut dire cependant qu'il y
a un sérieux problème quant à la gestion d'espace.
61
En somme, la croissante démographique issue aussi bien
du taux élevé de natalité que du mouvement des
éleveurs dans le pays Massa, a eu des conséquences sur la
société massa. Cette situation a conduit progressivement au
rétrécissement des espaces exploitables. Ainsi les relations
entre les différentes populations, compte tenu des pressions sur les
terres, dégénèrent souvent en conflit. Ces conflits qui,
dans le passé les opposaient aux peuples voisins, sont devenus
réguliers à cause du manque de la terre, elle-même
causée par le nombre élevé de la population. Ils opposent
pour la plupart de cas les agriculteurs entre eux et les agriculteurs aux
éleveurs avec des conséquences considérables sur la
société.
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