3- Les textes en vigueur
Au plan de la théorie étatique, la terre, mieux
le territoire, est un des trois éléments constitutifs de
l'État. Sans territoire, l'on ne peut parler d'État. En plus de
la population, il faut un support géographique ou physique sur lequel le
pouvoir doit s'exercer. Par ailleurs, les richesses et les investissements
proviennent et portent essentiellement sur la terre. D'où l'importance
accordée au territoire. La terre apparaît donc comme un support du
pouvoir politique et économique. L'avoir (pouvoir économique) est
le support allié du pouvoir politique. Sans ce support qu'est la terre,
sans cette assiette, aucun de ces deux pouvoirs ou aucun des pouvoirs ne peut
se tenir «debout ». Les différentes conceptions de la terre,
son statut et sa nature juridique ont fait que dans certains systèmes
juridiques, la terre n'est pas susceptible d'appropriation. En traduction de
l'expression selon laquelle la terre est un bien héritée des
ancêtres, elle appartient à l'État.
L'une des constantes en droit moderne est que la
propriété foncière est essentiellement individuelle. Elle
s'acquière par la procédure de l'immatriculation. Deux
régimes fonciers continuent de nos jours à coexister en pays
massa : le régime coutumier et le régime moderne. Leurs actions
qui revêtent deux formes sont soient directes, soient indirectes. Le but
poursuivi était d'organiser « une meilleure répartition
et une plus judicieuse utilisation de la terre » (Kabo, 1990:2018).
L'enjeu
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de ces politiques est d'arriver par le contrôle de
l'accès à la terre à mettre à la disposition de
ceux qui peuvent effectivement la mettre en valeur et à leur accorder
toutes les garanties qu'il faut sur cette terre pour les inciter à s'y
installer et à y investir.
III- AMENUISEMENT DES RESSOURCES FONCIÈRES ET
COMPÉTITION POUR L'ACCÈS À LA TERRE
La question foncière apparait plus complexe dans un
monde où le nombre de la population ne fait que grandir. En pays massa,
plusieurs facteurs expliquent la recrudescence des litiges fonciers. Ces
facteurs sont d'ordres historique, politique, climatique et social.
1- Les causes historiques issues de la colonisation
Historiquement, avant la colonisation, les Massa vivaient dans
les plaines inondables qui, dès les premières pluies se
transformaient en marécage, avec une principale activité la
pêche et quelquefois la chasse.
Cela dit, les litiges fonciers en pays massa n'éludent
pas la colonisation qui, dès son implantation eut un impact
considérable sur la société massa. D'entrée de jeu,
il convient de rappeler que les Massa bien qu'agriculteurs, n'aimaient pas
labourer, parce que selon eux, « Dieu » a tout mis à leur
disposition33. Vers 1914-1918 il y'avait la présence des
Blancs sur le territoire massa. Dès son arrivée, l'administration
coloniale chercha des auxiliaires qui devaient transmettre facilement les
ordres émanant de la haute hiérarchie. Ces auxiliaires furent
trouvés auprès des chefs traditionnels dont l'audience
auprès de leurs administrés était un atout à
exploiter au profit du colonisateur (Armi, 2005:43). Cette démarche
conduisit à bien de dérapages dans la mesure où l'on
assista à l'émergence de nouvelles « chefferies
traditionnelles » dont l'existence et les attributions n'avaient rien en
commun avec les chefferies traditionnelles authentiques. Elle fut
nécessaire à la perception de l'impôt et à la
création des cultures utiles à l'économie
française. Pour quadriller la population
33Entretien avec Fanga Augustin le vendredi 23 juin
2017 à biliam-oursi I.
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massa, l'administration coloniale instaura une chefferie de
type fulbé et conformément à sa logique territoriale
propre, divisa le pays en cantons, villages et quartiers.
C'est ainsi que l'on assiste à la naissance ou à
l'intronisation du premier Chef, auxiliaire des colons, dans le canton Koumi,
puis dans les autres localités. L'institution d'une chefferie a
créé un type d'accaparement des richesses tout à fait
étranges à la prospérité qu'un Massa traditionnel
pouvait espérer (Dumas-Champion, 1984:33). Les chefs ont usé de
leur pouvoir pour s'enrichir notamment en occupant des grands espaces
après l'indépendance. Comme conséquence à cette
situation, des actes d'insubordination et de contestation de la part des
populations éclatent parce qu'ils jugeaient égoïste
l'attitude des chefs auxiliaires qui considéraient la terre comme la
leur. Dans la foulée, le rapport de l'homme à la terre connait un
changement radical.
Ajouté à cela, le départ de la
société française (SEMAB) après les
indépendances, eut des conséquences considérables sur la
configuration spatiale. La presque totalité des terres appartenant
à ladite société se trouve dorénavant entre les
mains des populations. Elles ont fait l'objet de partage non équitable
suscitant la réaction des populations qui, entre-temps ont pris
goût pour la culture de la nouvelle filière (riz et coton).
Après deux, trois générations, le pays
massa connait une pression démographique et les espaces se
rétrécirent. Les fils ne connaissant pas l'emplacement exact de
leur champ procèdent par la revendication des champs d'autres
familles34. Ainsi, apparait les premiers conflits latents entre
familles dans le canton koumi avec comme base le partage des parcelles de
terre.
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