Les relations entre l'État et les acteurs non
gouvernementaux, du secteur privé non lucratif ou lucratif, sont
devenues de plus en plus importantes depuis une trentaine d'années.
D'abord, la crise économique structurelle et le déficit des
comptes publics ont engendré une délégation des
compétences classiques de l'État à ces autres acteurs, qui
se sont donc considérablement développés. Ensuite, la
globalisation non seulement économique et financière mais aussi
des risques (climat, terrorisme, criminalité internationale...) a
acté la nécessaire collaboration de ces différents acteurs
aux échelles locales, nationales et mondiales pour faire face à
ces enjeux nouveaux.
En matière de relations entre l'État
français et les associations de solidarité internationale, on se
trouve tout à fait dans ce registre : il s'est constitué au fur
et à mesure un espace d'interaction entre les deux entités.
À partir des années 1980-1990, les ONG
internationales se coordonnent en réseau et pilotent de grandes
campagnes de plaidoyer pour promouvoir auprès des instances
multilatérales des sujets tels que le développement durable et la
lutte contre le changement climatique. Le succès de ces actions de
lobbying et la visibilité croissante des ONG ont incroyablement accru
leur légitimité auprès des populations et des
décideurs, et en ont fait des acteurs à part entière du
développement et de la solidarité internationale.
Ces tendances à l'international se sont traduites par
des changements au niveau français. En écho à l'action des
ONG internationales, les associations de solidarité internationale se
sont organisées en réseau pour peser vis-à-vis des
pouvoirs publics. Elles se sont ainsi renforcées mutuellement, en
favorisant leur connaissance du secteur et en s'accordant sur des
éléments de plaidoyer clairs auprès des pouvoirs publics.
Le dialogue entre État et ONG a donc connu d'importantes
évolutions durant cette période, impulsées à la
fois par le milieu associatif et par la force publique, qui a largement soutenu
ces restructurations.
Pourtant, la tradition politique française, très
centralisée et verticale, n'offre pas un cadre idéal aux
associations de solidarité internationale. Aujourd'hui encore, des zones
d'ombres persistent, notamment en matière d'aide publique au
développement qui transite par les ASI, où la France se classe en
avant-dernière position au sein de l'OCDE.
Néanmoins, les grands rendez-vous internationaux qu'a
connus l'année 2015 ont accéléré la dynamique
partenariale entre pouvoirs publics et ASI en France. Parallèlement, le
quinquennat 2012-2017 a été particulièrement engagé
en la matière, avec plusieurs décisions politiques et mesures
législatives phares qui ont favorisé une meilleure reconnaissance
du tissu associatif et un dialogue apaisé.
Cependant, au sein de ce cadre rénové, des
carences persistent.
Premièrement, les petites associations de
solidarité internationale sont exclues des mécanismes de
financements publics. Ainsi, la plupart disparaissent ou fusionnent, ce qui a
pour conséquence la perte de la diversité du paysage associatif
français, qui constitue pourtant une force d'innovation et de
proposition en matière de développement. Cet écueil est
structurel puisqu'il est inhérent aux évolutions du milieu
associatif français, qui se calque de plus en plus sur le modèle
anglo-saxon composé en majorité de très grosses structures
de plaidoyer.95
La professionnalisation grandissante des ASI, dans un
contexte concurrentiel d'accès aux financements et de recherche de
légitimité, questionne en profondeur leur nature et constitue un
enjeu majeur de ce nouveau paradigme à l'oeuvre depuis les années
1990. Par ailleurs, un point d'attention particulier doit être
donné à la question de l'indépendance des ASI. En effet,
si les sphères publiques et associatives s'interpénètrent
et s'influencent l'une l'autre dans le cadre de ce partenariat, leurs relations
sont forcément déséquilibrées. L'État
détient malgré tout le monopole de la décision en dernier
lieu, et c'est lui qui finance les associations. Il y a donc un danger que les
ASI, pour garder des liens avec la puissance publique, déroge à
leur statut de contre-pouvoir.
Enfin, la volonté de dialogue avec toutes les parties
prenantes de la coopération internationale (État, entreprises,
etc.) ne doit pas pour autant niveler les positions : les associations
existent d'abord pour protéger l'intérêt
général universel ; ce qui n'est pas forcément l'objectif
de l'État, ni celui des structures privées.
En tout état de cause, ces évolutions demeurent
fragiles, rien n'est acquis. Les contextes internationaux et nationaux
évoluent au gré des mutations géopolitiques, des rapports
de force, des grandes tendances philosophiques et économiques d'une
époque. De
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95 En Europe, ce sont les ONG britanniques qui
possèdent les plus gros budgets propres.
58
fait, il n'y a pas de « mobiles » dans la structure
des relations entre l'État français et les ASI : le partenariat
que ces deux acteurs entretiennent est soumis à beaucoup de variables et
est particulièrement fluctuant.
L'éclosion de la pression populiste à travers
le monde, les récentes déclarations de Donald Trump sur le
retrait des États-Unis de l'Accord de Paris pourraient ralentir la
dynamique internationale actuelle et avoir un « effet papillon » sur
le partenariat entre l'État et les associations de solidarité
internationale en France. Les prises de position du gouvernement d'Emmanuel
Macron sur la baisse de l'APD française inquiètent
également l'avenir des relations État / ASI. Bien que le
Président ait affirmé son engagement pour le développement
à l'occasion de sa rencontre avec Bono et Rihanna le 25 juillet
dernier96 ou encore de son discours à la semaine des
ambassadeurs le 29 août dernier97, la visibilité reste
limitée sur ce que deviendront les progrès enregistrés sur
le dernier quinquennat.
96Cf. Communiqué de presse de
Coordination SUD du 25 juillet 2017 :
https://www.coordinationsud.org/wp-content/uploads/250717-CP-Coordination-SUD-APD-l%E2%80%99annonce-pr%C3%A9sidentielle-doit-se-traduire-dans-les-faits-VF.pdf
97 Cf. Discours d'Emmanuel Macron à
l'ouverture de la Conférence des Ambassadeurs
http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-a-l-ouverture-de-la-conference-des-ambassadeurs/