Mémoire de fin d'études
Thaïs ABOUT 5A D2P1
ÉTAT FRANÇAIS ET ASSOCIATIONS
DE
SOLIDARITÉ INTERNATIONALE :
Quel partenariat pour le développement
?
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Sous la direction de Monsieur Jean-Louis Guy
REMERCIEMENTS
Je tiens d'abord à remercier Monsieur Jean-Louis Guy
d'avoir accepté d'encadrer ce travail, d'avoir été
disponible et de m'avoir aiguillée, même à distance.
Merci à toute l'équipe de la DGM/CIV du
Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères qui m'a
accueillie durant mon stage de fin d'études, et au sein de laquelle j'ai
beaucoup appris. Un merci particulier à Maëlle Bouvier, mon
maître de stage, qui m'a formée sur la thématique de l'aide
publique au développent et ses enjeux et qui m'a laissé
accéder à certains documents du Ministère pour mener mes
recherches. Cela a considérablement informé ce travail et
éclairé ma perception du milieu de la solidarité
internationale en France.
Enfin, je remercie mes camarades du parcours D2P1, avec qui
cela a été un plaisir d'étudier pendant ces deux
dernières années à l'IEP. De façon plus
générale, je souhaite remercier Sciences Po Toulouse et nos
professeurs de nous avoir appris à réfléchir, à
questionner la société et nos aprioris.
Résumé : La notion de
partenariat entre pouvoirs publics et ONG est utilisée depuis des
décennies dans le discours officiel. Elle n'est pourtant pas si simple
dans la réalité, du fait des traditions politiques, des moyens
financiers et de certaines ambivalences inhérentes aux relations entre
ces deux entités.
Mots clefs : État / Associations /
Partenariat / Développement / Solidarité internationale
Sciences Po Toulouse n'entend donner aucune approbation aux
opinions émises dans les mémoires. Ces opinions doivent
être considérées comme propres à leurs
auteurs.
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2.2) UN CADRE POLITIQUE ET INSTITUTIONNEL
FRANÇAIS PORTEUR : LE QUINQUENNAT 2012-
2017 ENGAGE EN FAVEUR DU DEVELOPPEMENT ET DE LA
SOLIDARITE INTERNATIONALE 38
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
I) UNE TRADITION POLITIQUE FRANÇAISE LIMITANT
LA MONTÉE EN
PUISSANCE DES ASSOCIATIONS DE SOLIDARITÉ
INTERNATIONALE ? 6
1) LA FRANCE ET L'AIDE PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT
6
1.1) L'AIDE PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT : ELEMENTS DE
COMPREHENSION 7
1.2) L'AIDE PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT
FRANÇAISE QUI TRANSITE PAR LES ASSOCIATIONS DE
SOLIDARITE INTERNATIONALE 13
2) ÉTAT FRANÇAIS ET ASSOCIATIONS DE
SOLIDARITE INTERNATIONALE : DES
RELATIONS AMBIGUËS 18
2.1) L'ESPRIT JACOBIN FRANÇAIS FACE A
L'ESPACE D'ACTION DES ASSOCIATIONS DE SOLIDARITE
INTERNATIONALE 18
2.2) UN ENVIRONNEMENT MALGRE TOUT FAVORABLE AUX
ASSOCIATIONS DE SOLIDARITE
INTERNATIONALE 22
II) RELATIONS ENTRE ÉTAT FRANÇAIS ET
ASSOCIATIONS DE SOLIDARITÉ INTERNATIONALE : AVANCÉES
CONTEMPORAINES MAJEURES ET NOUVEAUX
ENJEUX 28
1) UN CONTEXTE INTERNATIONAL PROPICE A
L'ACCELERATION DU
PARTENARIAT EN FRANCE 28
1.1) RENFORCEMENT DES ONG SUR LA SCENE
INTERNATIONALE 29
1.2) L'ANNEE 2015 : POINT D'ORGUE D'UN NOUVEAU
PARADIGME DU DEVELOPPEMENT 32
2) DES EVOLUTIONS DETERMINANTES AU NIVEAU NATIONAL
35
2.1) RENOUVEAU STRUCTUREL DES ASSOCIATIONS DE
SOLIDARITE INTERNATIONALE 35
3) POINTS DE VIGILANCE A L'EGARD DE CE PARTENARIAT
RENOUVELE 47
3.1) L'ENJEU DE L'INDEPENDANCE DES ASSOCIATIONS DE
SOLIDARITE INTERNATIONALE 47
3.2) LA PROFESSIONNALISATION DES ASSOCIATIONS EN
FRANCE : UN GLISSEMENT VERS LE
MONDE DE L'ENTREPRISE ? 51
CONCLUSION 56
BIBLIOGRAPHIE 59
ANNEXES 63
LISTE DES SIGLES
*Dans l'ordre alphabétique
AFD : Agence Française de
Développement
AMP : Agence des Micro-Projets
APD : Aide Publique au Développement
ASI : Association de Solidarité
Internationale
D : Contrat de Désendettement et de
Développement
CAD : Comité d'Aide au
Développement
CCCE : Caisse Centrale de Coopération
Économique
CCFOM : Comité Central Français
pour l'Outre-Mer
CICID : Comité Interministériel de
la Coopération Internationale et du Développement
CIT : Cadre d'Intervention Transversal
CNDSI : Conseil National du Développement
et de la Solidarité Internationale
COP 21 : Conférence des Parties à
la Convention-Cadre des Nation unies sur les Changements Climatiques
CRID : Centre de Recherche et d'Information pour
le Développement CSUD : Coordination SUD
(Solidarité, Urgence, Développement)
DFID : Department For International Development
(institution au Royaume-Uni consacrée au développement et
à la coopération internationale)
DGCID : Direction Générale de la
Coopération Internationale et du Développement
DGM : Direction Générale de la
Mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement
international
DGM/CIV : Délégation pour les
Relations avec la Société Civile et les Partenariats DPO
: Division du Partenariat avec les ONG
FFEM : Fonds Français pour
l'Environnement Mondial
FRIO : Fonds de Renforcement Institutionnel et
Organisationnel HCCI : Haut Conseil de la Coopération
Internationale
LOP-DSI : Loi d'Orientation et de Programmation
relative au Développement et à la Solidarité
Internationale
MAAIONG : Mission d'Appui à l'Action
Internationale des ONG
MAE : Ministère des Affaires
étrangères (appellation générique)
MEAE : Ministère de l'Europe et des
Affaires étrangères (appellation depuis les élections de
2017)
OCDE : Organisation de Coopération et de
Développement Économiques
ODD : Objectifs de Développement
Durable
OECE : Organisation Européenne de
Coopération Économique
OMD : Objectifs Millénaires pour le
Développement
ONG : Organisations Non Gouvernementale
ONU : Organisation des Nations Unies
PAS : Programme d'Ajustement Structurel
PCPA : Programme Concerté
Pluri-Acteurs
PED : Pays En voie de Développement
Pra-OSIM : Programme d'Appui aux Organisation de
Solidarité Issues des Migrations
PPTE : Pays Pauvres Très
Endettés
RNB : Revenu National Brut
RRMA : Réseaux Régionaux
Multi-Acteurs UE : Union Européenne
1
INTRODUCTION
Le 11 juillet dernier, Gérald Darmanin, Ministre de
l'Action et des Comptes publics, a annoncé son plan de restructuration
financière pour dégager 4,5 milliards d'économies d'ici la
fin de l'année. Près de 7 % de ce budget (282 M Eur) ont
été ponctionnés sur l'enveloppe du Ministère de
l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE), dont la moitié
(140 M Eur) concerne l'aide publique au développement (APD)
française. Ce coup de rabot passé sur les crédits
budgétaires amputera l'APD de 5 %1.
Cette décision politique remet en question la dynamique
partenariale favorable de ces dernières années entre les pouvoirs
publics et les organisations non gouvernementales (ONG). Plus encore, elle
remet en question la philosophie, impulsée par les récents
rendezvous internationaux (adoption des Objectifs de Développement
Durable (ODD) par les Nations unies en septembre 2015, Conférence
d'Addis Abeba, Accord de Paris de décembre 2015É), selon laquelle
tous les acteurs (publics, privés, solidaires) doivent être
réunis et travailler ensemble dans une approche participative et
transversale. En effet, alors que les crises socio-économiques et
écologiques s'intensifient, cette baisse de l'APD affaiblit
l'élan actuel pour le progrès mutuel et le développement
durable. Philippe Jahshan, le président du collectif d'ONG Coordination
SUD, a qualifié cette décision d'« inacceptable » dans
son communiqué de presse2. Et pour cause : plus que l'APD
d'État à État, stratégique pour la France, c'est
l'APD destinée aux ONG qui risque de diminuer
considérablement.
Pourtant, la France a, depuis quelques années,
été force de proposition et a su développer un cadre de
dialogue aussi symbolique qu'efficace avec la société civile
française3, d'autant plus accéléré dans
un contexte international favorable.
1 Cf. Annexe 1 : dessin dans Le Monde
par Colcanopa, 12/07/2017.
2 Cf. Annexe 2 : communiqué de presse
de Coordination SUD, 11/07/2017.
3 La société civile telle que
définie par le Comité d'Aide au Développement (CAD) de
l'Organisation de Coopération et de Développement
Économiques (OCDE) regroupe : ONG ; fondations ; entreprises sociales ;
sociétés coopératives ; syndicats ; autres entités
ad hoc définies pour récolter des fonds dans un but
précis.
2
Aujourd'hui, au regard de l'apparition de ces vents
contraires, il est intéressant de se pencher sur la nature du
partenariat entre État et ONG, son périmètre, ses nouveaux
enjeux et ses limites.
L'interpénétration entre État et ONG est
évidente dans des relations internationales où l'État
n'est plus le seul acteur. Dès le début des années 1970,
des auteurs tels que Robert Keohane et Joseph Nye soutiennent que percevoir la
politique internationale comme interétatique n'a plus de sens, dans la
mesure où elle est devenue transnationale, reposant sur des interactions
multiples dans lesquelles les États jouent certes leurs rôles,
mais aux côtés d'autres acteurs transfrontières. James
Rosenau parle d'ailleurs des « acteurs hors souveraineté » en
désignant, notamment, les organisations non gouvernementales (ONG).
Ainsi, quels sont les liens établis entre ces acteurs
et l'État français, et quelles sont les
spécificités en matière de développement et de
solidarité internationale ?
Plusieurs auteurs se sont intéressés à ce
sujet, par exemple, Charles Condamines dans Les ONG et les pouvoirs
publics4, ou encore Guillaume Devin dans Les ONG et les
pouvoirs publics : le cas de la coopération et du
développement5. Cependant, ces travaux datent
des années 1980/1990 (voire début des années
20006) et ne tiennent donc pas compte des évolutions
récentes, depuis 2012 notamment, incontournables pour comprendre les
dynamiques actuelles. Ayant effectué un stage de 5 mois au
Ministère des Affaires étrangères au sein de la
Délégation en lien avec les ONG (DGM/CIV) et étant
actuellement en stage à la Division du Partenariat avec les ONG (DPO) de
l'Agence Française de Développement, j'ai eu la chance
d'être « aux premières loges » des relations entre
les
4 Condamines Charles, Les ONG et les pouvoirs
publics in Tiers-Monde, Tome 29, n°116, 1988,
p. 12291236.
5 Devin Guillaume, Les ONG et les pouvoirs
publics : le cas de la coopération et du développement, in
Pouvoirs, n°88, 1999, p. 75-78.
6 Faure Jean-Claude, L'État et les ONG :
pour un partenariat efficace, Paris, La Documentation française,
2002, 216 pages.
3
pouvoirs publics et les ONG, de pouvoir mesurer leurs
subtilités et les nouveaux enjeux qui les sous-tendent, en étant
au coeur de l'actualité.
J'ai eu accès et me suis appuyée sur des travaux
de recherche et de nombreux rapports récents produits par les pouvoirs
publics (Ministère des Affaires étrangères, Agence
Française de Développement), mais aussi sur des
déclarations et communiqués de presse du monde associatif
français (Coordination SUD). J'ai également participé
à des réunions - en tant qu'observatrice - du Conseil National du
Développement et de la Solidarité Internationale (CNDSI), et
à des rendez-vous non officiels réunissant collectifs d'ONG et
Ministère. Ces moments de rencontre auxquels j'ai pu assister m'ont
aidée à développer ma réflexion.
De prime abord, il convient de s'intéresser aux termes du
sujet.
Il n'existe aucune définition des ONG. C'est la Charte
des Nations unies qui, en 1945, fait mention pour la première fois d'ONG
(article 71 consacré aux dispositions du Conseil économique et
social), afin de faire la distinction entre organisations gouvernementales et
organisations non gouvernementales. Définir ce qu'est une ONG reste
vaste et complexe : il est très difficile de parvenir à une
définition satisfaisante qui soit à la fois suffisamment
explicite et fondée sur des bases théoriques, mais qui puisse
également être opératoire, et enfin qui fasse consensus. En
2000, le Conseil d'État français désigne les ONG comme
« une catégorie très vaste... définie par
soustraction ». Marcel Merle, sociologue, définit les ONG comme
« tout groupement, association ou mouvement constitué de
façon durable par des particuliers appartenant à divers pays en
vue de la poursuite d'objectifs non lucratifs ». De fait, elles couvrent
un large spectre d'organisations hétérogènes et diverses
par leur statut, leur mode de gouvernance, leurs missions, leur taille, leur
modèle économique, etc. Philippe Ryfman, avocat
spécialiste en droit des associations et fondations, propose de
qualifier d'ONG les entités qui réunissent l'ensemble de ces
cinq
4
caractéristiques7 :
- La notion d'association (soit le regroupement de personnes
privées) avec un projet non lucratif au bénéfice d'autrui
;
- La forme juridique d'association à but non lucratif,
selon les droits nationaux ;
- Le fait d'être un espace autonome par rapport à
l'État ou à des puissances privées ; L'État ne doit
pas être à l'origine de la création de l'ONG, même si
celle-ci peut avoir des liens avec lui. La même autonomie doit exister
face à l'économie privée, l'Église, des sectes ou
des groupes criminels ;
- La référence à des valeurs impliquant,
en même temps qu'un engagement librement consenti, la volonté
d'inscrire l'action associative dans une dimension citoyenne
insérée dans un cadre démocratique. L'ONG devient ainsi
l'un des segments de ce que l'on appelle la « société civile
» ;
- Le caractère transnational de l'action : une action
qui est menée dans un autre pays (que le pays d'origine) où elle
cherche à défendre les droits humains ou à intervenir pour
la protection de l'environnement et le développement durable.
Dans cette continuité, nous nous limiterons aux
organisations à but non lucratif actives dans la solidarité
internationale et le développement. Dans le contexte français, il
s'agit des associations de solidarité internationale (ASI), associations
loi de 1901 dont l'activité principale est la solidarité
internationale. Elles seront appréhendées dans leur
globalité, c'est-à-dire sans les différencier par rapport
à leur taille ou thématique8.
Quant à l'État, il sera entendu au sens des
pouvoirs publics impliqués dans l'aide au développement et les
relations avec les associations de solidarité internationale.
7 Ryfman Philippe, Les ONG, coll.
Repères, Paris, La Découverte, 2004, p.15.
8 Thématiques des associations de
solidarité internationale en France : 1) ASI actives dans l'Urgence et
la Réhabilitation (aide humanitaire) ; 2) ASI actives dans
l'Éducation au développement et à la solidarité
internationale (EADSI) et le plaidoyer, parmi lesquelles se retrouvent les
collectifs ; 3) ASI actives dans le Volontariat ; 4) ASI actives dans le
Développement. Cf. Coordination SUD, Argent et associations
de solidarité internationale 2006-2011, 2015.
Aujourd'hui, la plupart des ministères et
entités publiques sont d'une manière ou d'une autre en dialogue
avec les ASI. Cependant, nous allons nous concentrer sur leurs principaux
interlocuteurs, à savoir l'Agence Française de
Développement (AFD), le Ministère de l'Europe et des Affaires
étrangères (MEAE), la Primature et la Présidence de la
République.
Nous nous intéresserons, dans ce mémoire, au
cadre partenarial global existant entre la France et les associations de
solidarité internationale. Nous nous poserons la question suivante :
quels sont les contours du partenariat entre l'État
français et les associations de solidarité internationale
?
Le partenariat, au sens général, peut être
défini comme « la relation entre deux ou plusieurs entités
pour la mise en oeuvre d'un projet, qui repose sur la coopération [...],
sur des compétences données et doit s'inscrire dans la
durée »9. Dès lors, plusieurs questions
surviennent : quelles rencontres, connaissance, reconnaissance, confiance ces
deux entités s'accordent-elles ? Pour y répondre, nous aborderons
dans un premier temps l'ambiguïté de ces relations du fait des
traditions politiques et institutionnelles françaises
(I), pour ensuite apprécier les progrès
contemporains en matière de dialogue entre État et associations
de solidarité internationale, tout en abordant les limites et enjeux de
ce partenariat renouvelé (II).
5
9 Site de Coordination SUD, 2009.
6
I) UNE TRADITION POLITIQUE FRANÇAISE LIMITANT LA
MONTÉE EN PUISSANCE DES ASSOCIATIONS DE SOLIDARITÉ INTERNATIONALE
?
Lorsque l'on analyse le partenariat entre l'État
français et les associations de solidarité internationale (ASI),
on doit considérer la tradition sociopolitique particulièrement
centralisatrice de la France. Cette singularité engendre
évidemment des relations complexes entre la force publique et les
acteurs non étatiques, dont les associations de solidarité
internationale.
Nous allons étudier ces ambiguïtés sous
deux angles : la participation de la France à l'aide publique au
développement, et plus généralement l'espace
accordé aux ASI en France.
1) La France et l'aide publique au
développement
L'aide publique au développement (APD) désigne
les apports publics de ressources fournis aux pays en développement,
sous forme de dons, de prêts subventionnés ou de remises de dette,
dans le but de favoriser le développement économique et
l'amélioration des conditions de vie dans les pays
bénéficiaires de l'APD10. En France, l'APD est mise en
oeuvre par l'Agence Française de Développement (AFD).
L'APD est aujourd'hui l'un des outils majeurs de la
solidarité internationale. Quelle est donc la position française
en la matière ? Quels sont les montants décaissés ?
Quelles sont les évolutions récentes en matière d'aide
publique française allouée aux associations de solidarité
internationale ?
10 Cf. Annexe 3 : la liste des pays
éligibles à l'APD est établie par le CAD. Elle englobe les
148 pays les moins avancés (PMA), à revenu faible ou
intermédiaire, basé sur le revenu national brut (RNB) par
habitant calculé par la Banque mondiale. Elle est redéfinie tous
les trois ans.
7
1.1) L'aide publique au développement :
éléments de compréhension Contexte
historique et théorie des 0,7 %
La genèse de l'APD se joue au sortir de la Seconde
Guerre mondiale, au commencement de la Guerre froide. En 1944 ont lieu la
conférence de Bretton Woods et la création de la Banque
mondiale11, avec cette idée - chère à Roosevelt
- de joindre toutes les forces, aussi bien soviétiques qu'occidentales,
pour reconstruire les pays détruits pendant la guerre. Mais l'URSS
n'ayant pas souhaité ouvrir ses comptes, le « Plan de
rétablissement européen » dit « Plan Marshall »
voit le jour uniquement pour soutenir le camp occidental. Le plan Marshall a
combiné urgences politique et économique. Il s'agissait, d'une
part, d'éradiquer la pauvreté, vue comme le terreau du
communisme, et d'autre part d'ouvrir de nouveaux marchés pour les
industries américaines. En 1948 est créée l'Organisation
européenne pour la Coopération économique
(OECE)12, visant à répartir ces aides dans le cadre du
Plan Marshall. Un Comité d'Aide au Développement (CAD),
chargé de coordonner l'aide entre les différents
bailleurs13, est créé en 1961 au sein de l'OCDE.
La période est donc favorable à une vision
« classique » de l'aide, partisane du don à travers un «
État développeur »14. Les économistes de
l'époque valident ces élans en faveur de l'APD et son
augmentation. Selon l'économiste Pierre Jacquet, cette approche dite
« quantitative » de l'aide au développement va être
impulsée par les économistes keynésiens Roy Forbes Harrod
et Evsey Domar au milieu du XXe siècle, et sera au fondement
de l'objectif du 0,7 % du revenu national brut (RNB) consacré à
l'APD dans les années 1970, repris en 2002 lors du Consensus de
Monterrey15. Une de leurs principales
11 Initialement « Banque internationale pour la
Reconstruction et le Développement » (BIRD).
12 L'Organisation européenne pour la
Coopération économique (OECE) a été
rebaptisée « Organisation de Coopération et de
Développement économiques » (OCDE) en 1961.
13 Le CAD compte aujourd'hui trente membres
qui doivent réunir certains critères : l'existence de
stratégies, de politiques et de cadres institutionnels garantissant la
possibilité de mise en oeuvre d'un programme de coopération pour
le développement ; un effort d'aide ayant atteint un niveau
conséquent ; l'existence d'un système de suivi des
performances.
14 Baron Catherine et Peyroux Élizabeth,
Services urbains et néolibéralisme : approches
théoriques et enjeux de développement, in Cahiers
d'études africaines n° 202-203, 2011, p. 370.
15 Cf. infra.
8
hypothèses était que tout objectif de croissance
peut se décliner en besoin d'investissement. Cela a permis de chiffrer
le besoin d'épargne étrangère des pays en
développement : pour un objectif de croissance de l'ordre de 5 % par an,
le besoin de financement externe a été évalué
à environ 1 % du RNB des pays industrialisés - les flux
privés en représentant un tiers - d'où cet objectif de 0,7
% du RNB pour l'APD. C'est ainsi qu'en octobre 1970, l'Assemblée
générale des Nations unies adopte une Résolution selon
laquelle « chaque pays économiquement avancé accroîtra
progressivement son aide officielle au développement des pays en voie de
développement et s'efforcera particulièrement d'atteindre, au
milieu de la décennie au plus tard, un montant minimum en valeur nette
de 0,7 % de son produit national brut aux prix du marché ».
Ces thèses ont eu une grande influence sur les
scènes nationale et internationale, bien que seulement une
poignée de pays d'Europe du Nord ait tenu parole16.
Critiques sur l'efficacité de l'aide
L'efficacité de l'aide publique au développement
est néanmoins rapidement contestée. Dès la fin des
années 1970, les représentants du Tiers-Monde dénoncent
l'approche néocolonialiste de l'APD. Par ailleurs, les « effets
pervers » de l'aide sont décriés, tant sur le plan politique
(octroi de financements à des États corrompus)
qu'économique (choix de mauvais projets : « éléphants
blancs »). Surtout, l'enjeu stratégique qu'était le «
containment », i.e. la nécessité pour le
bloc de l'ouest d'endiguer le communisme, disparaît à la fin des
années 1980 avec la chute du mur de Berlin et la dislocation de l'URSS.
En outre, les pays développés connaissent à ce
moment-là des contraintes économiques et budgétaires
liées aux crises successives du prix du pétrole. L'APD s'en
retrouve donc ébranlée et en forte baisse.
Simultanément, émergent les plans d'ajustement
structurels (PAS), reflets du durcissement économique de l'époque
suite à la dépression des pays riches. Ils rompent avec le
keynésianisme dans l'air du temps. En effet, suite au Consensus de
Washington17, cette
16 Pour plus d'informations sur les 0,7 % :
http://www.oecd.org/fr/cad/stats/45539389.pdf
17 Ce Consensus correspond aux propositions faites
en 1989 par l'économiste John Williamson, chercheur à l'Institute
for International Economics [Williamson J., 2003]. Les dix recommandations
qu'il préconisait en direction de l'Amérique latine
étaient : discipline budgétaire ; réorientation de la
dépense publique ; réforme
9
conception d' « État développeur »
précédemment évoquée laisse place à la
figure du marché. L'accent est mis sur les échecs des
stratégies de développement suivies dans les décennies
précédentes, qui se sont caractérisées par une
faible croissance et des problèmes d'ajustement et de dette dans les
années 198018.
Cependant, cette approche ultralibérale va montrer ses
limites lors des crises successives des années 1990 (notamment la crise
asiatique de 1997). Très vite, on se rend compte des erreurs commises et
un « nouveau consensus de Washington »19, tacite, se met
en place. En réalité, ce n'est pas vraiment un renouvellement. La
doctrine reste la même : on garde un référentiel que l'on
peut qualifier de néo-libéral, c'est-à-dire que le
rôle de l'État est mis de côté, tout en
intégrant un volet social aux PAS pour promouvoir un « ajustement
à visage humain ». Plusieurs axes entrent alors en compte : la
centralité du capital humain, le principe de ciblage et la
gouvernance20.
C'est dans cette logique qu'en 1996, Bryan Atwood (ancien
délégué américain et Président du CAD)
décide qu'il faut avant tout s'intéresser aux objectifs de
l'aide. C'est ainsi que paraît le rapport du CAD intitulé «
Le rôle de la coopération pour le développement à
l'aube du XXIe siècle » qui constitue une étape
importante dans la fabrication du nouveau paradigme mondial de l'aide au
développement. S'ensuit en 1998, sur la base des travaux des deux
économistes Burnside et Dollar, le rapport de la Banque mondiale «
Assessing Aid : If Commitment, Money. If not, Ideas » faisant
valoir que l'efficacité de l'aide est fonction de la gouvernance des
pays, des politiques macro-économiques de qualité, etc.
On voit donc l'apparition du principe de sélectivité des pays
bénéficiaires pour une allocation optimale de l'aide : aucun
financement de la part de la Banque mondiale tant que des réformes de
« bonne gouvernance » ne sont pas conduites en interne dans les pays
en voie de
fiscale ; libéralisation financière ; adoption
d'un taux de change unique ; libéralisation des échanges ;
élimination des barrières à l'investissement direct
étranger ; privatisation des entreprises publiques ;
dérégulation des marchés ; prise en compte des droits de
propriété.
18 La crise mexicaine de 1982 est emblématique
de ce point de vue, et sert souvent de date de référence.
19 Williamson et Kuczynski ont réuni un
groupe d'économistes d'Amérique latine et des États-Unis
pour faire un bilan de ce qui avait été fait au niveau de la
politique monétaire, sociale et fiscale, mais aussi du rôle de
l'État, du système financier, de l'éducation, de
l'économie politique et des marchés du travail. Cette
enquête a abouti à la publication d'un livre : Kuczynski P. P.,
Williamson J. (éd.), 2003, After the Washington Consensus :
Restarting Growth and Reform in Latin America, Washington, Institute for
International Economics (« Après le consensus de Washington :
redémarrage de la croissance et réformes en Amérique
latine »).
20 Ces nouveaux paradigmes ont été
largement influencés par Amartya Sen (prix Nobel d'économie 1998)
qui remet l'humain au coeur du développement avec son concept
désormais célèbre de « capabilité ».
10
développement (PED).
Ces changements de paradigmes induisent une remise en question
de la toute-puissance de l'APD et des flux financiers. On reconnaît ainsi
que la croissance des économies et le développement social
dépendent d'autres facteurs que de l'APD, et on commence à
associer les concepts de « développement » et de « lutte
contre la pauvreté ». C'est ainsi que voient le jour, sur la base
des recommandations du rapport du CAD de 1996, les Objectifs Millénaires
du Développement (OMD)21 en 2000, adoptés par les
Nations et recouvrant d'importants enjeux tels que la réduction de
l'extrême pauvreté et de la mortalité infantile,
l'accès à l'éducation, l'égalité des sexes,
la lutte contre les épidémies.
Les évènements du 11 septembre 2001 aux
États-Unis vont accroître l'impact de la Déclaration des
OMD et galvaniser l'opinion en faveur de la coopération internationale
et d'une hausse des ressources externes permettant aux pays les moins
avancés d'échapper à la pauvreté. L'APD va donc
retrouver un nouvel élan ; ici encore, on peut y lire
l'intérêt des pays donneurs : endiguer les migrations pour
éviter les « chocs de civilisation »22 et ainsi
lutter contre le terrorisme.
En mars 2002, les hauts responsables politiques des grandes
puissances sont réunis à Monterrey au Mexique (Conférence
sur le financement du développement) et décident de
l'augmentation de l'APD, les pays donateurs étant invités
à y affecter 0,7 % de leur RNB, pour revenir à l'objectif
porté pendant les années 1970. On réaffirme donc les 0,7 %
comme but à atteindre pour l'ensemble des pays du G8. La
popularité de l'APD a été réaffirmée en 2015
à l'occasion du Sommet d'Addis Abeba sur le financement du
développement. Pour autant, on ne revient pas à une approche
comptable de l'APD considérant la qualité de l'allocation des
ressources comme donnée objective ; on apprécie désormais
l'ensemble des facteurs exogènes et endogènes, comme la
qualité des institutions, l'existence d'infrastructures, la
capacité d'absorption du pays, etc. Cependant, si ces variables
sont à prendre en compte, elles n'exonèrent pas les donneurs de
faire des efforts et ne signifient pas que les PED peuvent se passer
d'augmenter leur investissement.
21 Cf. Annexe 4 : Les 8 Objectifs du
Millénaire pour le Développement illustrés.
22 Théorie du politologue américain
Samuel Huntington dans son essai The Clash of Civilizations and the
Remaking of World Order, 1996, 368 pages.
11
Le cas français
En matière d'APD, la France est peu ou prou
considérée comme le « mauvais élève ». En
effet, bien qu'elle soit l'un des principaux donneurs mondiaux23 et
qu'elle se situe légèrement au-dessus de la moyenne des membres
de l'OCDE24, son APD équivaut à 0,37 %25 du
RNB français : l'objectif des 0,7 % est donc loin d'être atteint.
La tendance est globalement à la baisse sur les dix dernières
années, même si certains efforts ont été consentis :
par exemple, la France a été force de proposition en
matière de financements innovants en suggérant la création
d'un impôt mondial sur les billets de vols internationaux en 2006 ; ou
encore en proposant de taxer les transactions financières à
hauteur de 0,005 % en 2009, lors de la conférence de Paris. Enfin, le 29
décembre 2016 dans le cadre de la nouvelle loi de finances, le Parlement
a acté une augmentation de 14 % du budget alloué à l'aide
au développement en 2017, soit l'équivalent de 452 M Eur
supplémentaires par rapport à 2016.26
Cependant, la comparaison avec les autres pays
développés est sans équivoque : les pays d'Europe du Nord
(représentant à eux seuls 15 % de l'aide mondiale) sont au-dessus
de la barre des 0,7 % depuis plus de trente ans, et connaissent une progression
constante (bien que leur APD en volume soit moins importante que celle de la
France). Quant au Royaume-Uni, la croissance de ses crédits est continue
et portée depuis le début des années 2000 par un consensus
politique bipartisan, conduisant à atteindre les 0,7 % en 2013, objectif
effectivement rempli. Une loi a d'ailleurs été adoptée en
2015, scellant l'engagement du pays à consacrer à l'APD 0,7 % de
son RNB. L'Allemagne a elle aussi atteint cet objectif en 2016.
23 La France est le cinquième contributeur
(en volume) derrière les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne
et le Japon. Ë noter que les États-Unis et le Japon n'ont pas
atteint les 0,7 % mais sont des gros contributeurs en volume.
24 La moyenne de l'OCDE est de 0,31 % (en pourcentage
du RNB) consacré à l'APD.
25 Soit 9 milliards d'euros. (60 % de l'APD globale
est bilatérale, donc directement mise en oeuvre par la France. 40 % est
multilatérale et sert à soutenir les programmes d'organisations
internationales : l'UE (54 %) ; la Banque mondiale (11 %) ; les fonds et
programmes des Nations unies (5 %) ; les banques régionales et les fonds
verticaux (30 %) : Banque africaine de développement, Fonds pour
l'Environnement Mondial (FEM), UNITAID, etc. Source : Department of
international development, Statistics on international development,
October 2014.
26 Cf. Annexe 14 : Courrier confidentiel
datant de mars 2017 de Coordination SUD à destination de Jean-Marc
Ayrault (ancien Ministre des Affaires étrangères).
12
Dans son rapport sur l'aide publique au
développement27, Henri de Cazotte souligne que les efforts et
méthodes français sont en décalage avec ceux des pays
énoncés supra, notamment sur le plan politique : en
France, il n'y a pas d'entente transpartisane au niveau de l'aide au
développement, qui est donc soumise aux clivages et alternances
politiques.
La composition même de l'APD française est remise
en cause puisqu'elle intègre les annulations de dettes, les prêts
bonifiés au secteur privé, les bourses d'étudiants
étrangers ou l'aide au retour des immigrés. D'ailleurs, l'APD
française avait atteint un pic de 0,57 % du RNB en 2010 grâce au
mécanisme des D (Contrats de désendettement et de
développement) qui ont permis de « gonfler »
momentanément les chiffres. Enfin, le fait qu'une partie de l'aide
française soit liée (i.e. conditionnée à
des contrats d'entreprises françaises) est une source de critiques
récurrentes, notamment de la part des associations de solidarité
internationale.
27 De Cazotte Henri (Agence Française de
Développement), Chercher l'accord sur l'aide publique au
développement, 2017, p. 13.
13
1.2) L'aide publique au développement
française qui transite par les associations de solidarité
internationale
Le montant de la part d'aide publique au développement
attribuée aux associations de solidarité internationale fait
l'objet d'un fort plaidoyer de la part des ASI et de leurs collectifs. Comment
est-elle organisée en France ? Quelles en sont les principales critiques
?
· Le transfert du dispositif d'appui aux initiatives
des ONG à l'Agence française de Développement
L'Agence Française de Développement (AFD) est
une institution financière publique28 (son capital est
détenu par l'État français) qui met en oeuvre la politique
de développement internationale de la France. Elle est placée
sous la tutelle à la fois du Ministère de l'Europe et des
Affaires étrangères, du Ministère de l'Action et des
Comptes publics et du Ministère des Outre-mer. Créée en
1941 par De Gaulle sous le nom de « Caisse Centrale de la France Libre
», l'agence a progressivement élargi son champ de
compétences. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Pierre
Mendès France décide de charger l'institution du
développement économique et social de l'Outre-mer. Elle devient
donc la Caisse centrale de la France d'Outre-mer (CCFOM) le 2 février
1944, tout en conservant sa charge d'émission monétaire. À
la suite de l'indépendance de nombreuses colonies françaises, la
CCFOM devient la Caisse centrale de coopération économique (CCCE)
et étend ses compétences vers les PED. La réforme de la
coopération française de 1998 transforme la CCCE en l'Agence
Française de Développement. Aujourd'hui, l'AFD est un groupe,
ayant intégré le Centre d'études financières,
économiques et bancaires (CEFEB), l'institution financière
PROPARCO (financement du secteur privé) et le Fonds Français pour
l'Environnement Mondial (FFEM).
La date clé à retenir concernant l'APD qui
transite par les ASI est sans doute le 1er janvier 2009. Cette
année-là, le Ministère des Affaires
étrangères est réorganisé sous l'impulsion de
Bernard Kouchner dans le cadre de la RGPP29 : davantage de pouvoir
tech-
28 L'AFD est un établissement public
à caractère industriel et commercial (EPIC). En tant
qu'établissement de crédit spécialisé, il est
soumis à la loi bancaire. Son conseil d'administration comprend 16
membres nommés par décret, dont 6 représentants de
l'État.
29 Révision Générale des
Politiques Publiques : lancée par le gouvernement en 2007, cette
réforme a eu pour
14
nique est confié à l'AFD, dont le cofinancement
des initiatives des ASI françaises. En France, l'AFD devient donc le
principal interlocuteur des ASI pour le financement de leurs projets et
programmes. En effet, le MEAE ne joue plus qu'un rôle secondaire dans le
financement des associations de solidarité internationale
françaises30, et est désormais principalement bailleur
des ONG étrangères31, notamment via les
services de coopération et d'action culturelle (SCAC) des ambassades.
À l'AFD, l'appui apporté aux initiatives des
ASI est piloté par la Division du Partenariat avec les ONG (DPO). Il
s'agit du dispositif « Initiatives ONG », doté d'une logique
propre : le droit d'initiative32, c'est-à-dire la
valorisation et la confiance dans les idées des ASI, leur apport
qualitatif, leurs connaissances du terrain. Les projets éligibles sont
les projets « pays » et « multi-pays ». En fonction des
types d'intervention, des taux de cofinancement sont fixés. En 2016, ce
sont 72 M Eur de dons, 96 projets financés (73% de projets sur le
terrain et 27% de projets d'intérêt général en
France) et 79 ONG soutenues.
Au-delà du financement des initiatives des ASI, l'AFD
contribue également :
- à l'appui à l'innovation, au travers de la
Facilité d'innovation sectorielle pour les ONG (dispositif FISONG)
33 et des financements du Fonds français pour l'environnement
mondial (FFEM) ;
- au financement des interventions dans les contextes de
fragilité, de crise et de post-crise (dispositif APCC).
objectif de diminuer la dépense publique, en
renforçant parallèlement la qualité et l'efficience de
l'action publique.
30 À travers le Centre de Crise et de Soutien
(CDCS) du Ministère dédié aux opérations
d'urgence.
31 Cf. Chiffres détaillés
partie suivante (p. 17).
32 Le droit d'initiative est défini par
Coordination SUD comme : « la possibilité reconnue par les pouvoirs
publics, qu'a une ONG (ou un groupe d'ONG) de soumettre au financement public
sous forme de subvention, un projet (ou programme) répondant à
des besoins spécifiques et qui a été impulsé,
défini et conçu par l'ONG (ou par le groupe d'ONG) en partenariat
avec les populations bénéficiaires et les structures locales, au
titre de la contribution de ce projet (ou programme) à
l'intérêt général ».
33 Les financements FISONG sont octroyés
annuellement à travers deux appels à propositions de 2,5 M Eur
chacun, soit un montant annuel cumulé de 5 M Eur.
15
De plus, un nouvel instrument a été
créé en 2015 à destination des grandes ASI
françaises : la CPP34 qui met en place un allègement
des règles de cofinancement pour les projets d'intérêt
général, une simplification des procédures d'instruction
et de suivi des projets, etc. D'autres directions thématiques
de l'AFD financent des ASI sur des programmes précis, notamment le
Département Santé de l'Agence qui subventionne des ONG
médico-sociales.
· Au niveau infra national : la coopération
décentralisée
En matière d'APD attribuée aux ONG, les
territoires français jouent également un rôle non
négligeable, notamment à travers la coopération
décentralisée35. Il est donc important de les
évoquer même s'il s'agit de bailleurs non-étatiques.
Stricto sensu, la coopération
décentralisée désigne l'établissement de relations
de long terme entre collectivités territoriales françaises et
étrangères.36 Les partenariats établis dans ce
cadre doivent faire l'objet d'une Convention comme l'exige la loi Oudin-Santini
du 25 janvier 2007 relative à l'action extérieure des
collectivités territoriales. La loi précise que ce sont les
collectivités territoriales signataires de la Convention qui sont
maîtres d'ouvrage du partenariat de coopération
décentralisée, et qu'elles assument donc conjointement la
responsabilité du partenariat, même si elles ont la
possibilité de déléguer la maîtrise d'ouvrage
à un établissement public ou encore à une association
privée. Ainsi, les ONG se trouvent souvent opératrices des
projets mis en oeuvre dans le cadre de la coopération
décentralisée.
De plus, la plupart des collectivités ont mis en place
des mécanismes de financement spécifiquement destinés aux
ONG, hors coopération entre autorités locales. À titre
d'exemple, la Région Île de France a mis en place l'outil de
financement ARAMIS pour financer des microprojets de solidarité
internationale en vue d'atteindre les objectifs du
34 La convention de partenariat pluriannuel (CPP)
vise à sortir de la logique de financement de projets et à
apporter un financement structurel à l'ASI dans la durée, sur la
base d'un programme stratégique pluriannuel assorti d'objectifs, d'axes
stratégiques d'intervention et d'indicateurs de résultats.
35 Cependant, la baisse des dotations aux
collectivités récemment annoncée par le nouveau
gouvernement risque d'impacter les ressources territoriales de la
solidarité internationale.
36 Site du Réseau Rhône-Alpes d'appui
à la coopération internationale (Resacoop) :
http://www.resacoop.org/la-definition-francaise-de-la-cooperation-decentralisee
16
millénaire (OMD). L'aide publique au
développement des collectivités territoriales fait donc
pleinement partie de l'APD de la France, même si elle n'est pas
comptabilisée par le CAD de l'OCDE et qu'elle est
particulièrement liée aux changements politiques locaux.
· Une aide considérée comme insuffisante
par les associations de solidarité internationale
L'APD qui transite par les associations de solidarité
internationale est le gage concret de l'importance que l'État leur
accorde. Or, il est vrai qu'en France, le niveau de celle-ci est bas. La
dernière étude sur l'argent et les ressources des associations de
solidarité internationale, pilotée par Coordination SUD (CSUD)
37 , établit que les ressources publiques représentent
en moyenne 40 % des ressources des ASI, tandis que 60 % sont d'origine
privée. Parmi les ressources publiques, on remarque que les ASI
reçoivent principalement des fonds internationaux (plus de 70 %, contre
seulement 30 % de ressources publiques françaises).
L'augmentation de l'APD transitant par les ASI fait l'objet
d'un plaidoyer permanent de la part des ASI38. En se fondant sur les
propositions de CSUD, leur principale revendication est la suivante : «
faire transiter 1 milliard d'euros d'APD par les ONG françaises de
solidarité internationale à l'horizon 2022 ». Cette demande
s'appuie sur le montant des crédits publics que le Royaume-Uni accorde
à ses ONG39 ; mais cet objectif paraît
irréalisable, puisque pour l'instant la France accorde le dixième
de ce montant aux ASI.
Néanmoins, même si l'augmentation de ces
crédits saurait difficilement s'inscrire dans les volumes
souhaités par les ASI, c'est grâce à ces pressions que le
gouvernement a effectivement réagi. Un effort d'augmentation a ainsi
été mené depuis 2012 suite à
37 Coordination SUD, Argent et associations de
solidarité internationale 2006-2011, 2015. (Coordination SUD est le
collectif français des associations de solidarité internationale,
fondé en 1994. Vidéo de présentation ici :
https://www.youtube.com/watch?v=lra8ClgNUtQ)
38 Cf. communiqués et
évènements organisés par Coordination SUD autour de ce
thème :
·
https://www.coordinationsud.org/wp-content/uploads/manifeste-elections2017-vf-SOUS-EMBARGO.pdf
·
https://www.coordinationsud.org/wp-content/uploads/2014-22-10-CP-Coordination-SUD-7-ans-de-baisse-des-cr-dits-de-l-27APD-1.pdf
·
https://www.youtube.com/watch?v=vKJEW3YRLb4
39 Cf. Annexe 7 : Comparaison sur
l'année 2011 entre la France et le Royaume-Uni relativement à
l'APD qui transite par les ONG.
17
l'engagement pris par François Hollande de doubler la
part d'APD bilatérale transitant par les ASI. Une hausse de l'aide
bilatérale qui transite par les ASI a été effectivement
enregistrée.
Pour illustrer cela, on peut s'appuyer sur l'étude de
la Délégation pour les relations avec la Société
civile et les Partenariats (DGM/CIV) du Ministère de l'Europe et des
Affaires étrangères. Cette étude, menée depuis
2015, recense l'ensemble des fonds publics directs transitant par les
associations françaises de solidarité internationales sur la
période 2011-2016. Ainsi, l'étude actualisée en juin 2017
sur les décaissements 201640 montre qu'à la suite de
cet engagement, la part de l'APD bilatérale transitant par les ASI est
passée de 1,91 % à 3,20 % entre 2012 et 201641. Elle a
donc augmenté de 1,6 %. En volume financier, cela représente 157
M Eur en 2016. L'AFD est à l'origine de plus de la moitié de ces
fonds (56 %) tandis que le MEAE les finance à hauteur de 27
%42. Les collectivités territoriales sont également
une importante source de financement puisqu'elles représentent 15 % des
fonds publics.
La France est donc très en deçà de cette
moyenne, son aide transitant par les ASI représentant 3,2 % de son APD
alors que la moyenne de l'OCDE s'établit à 12 %. Elle occupe
l'avant-dernière place des pays de l'OCDE.43
Ainsi, la France, comparativement aux autres pays riches,
n'est pas engagée en termes d'aide publique au développement :
que ce soit pour l'atteinte des 0,7 % du RNB consacré à l'aide,
ou le montant des crédits publics transitant par les associations de
solidarité internationale44. Les récentes annonces du
gouvernement en matière de coupes budgétaires laissent d'ailleurs
présager une stagnation, voire une baisse de ces crédits pour les
années à venir.
40 J'ai moi-même réalisé cette
étude lors de mon stage de 5A au MEAE. Bien qu'une partie de
l'étude soit publiée ici :
http://www.data.gouv.fr/fr/datasets/r/3db5564a-9106-4307-8b74-76c24273172f,
certaines données sont confidentielles. Je les ai utilisées dans
ce mémoire avec l'accord de mon ancienne tutrice de stage.
41 En se basant sur les données provisoires
du CAD de l'OCDE relatives à l'APD bilatérale française en
2016, estimée à 4 928 M Eur. Cf. Annexe 6.
42 À noter que la tendance s'inverse lorsqu'il
s'agit des ONG étrangères (MEAE : 52 % ; AFD : 28 %).
43 Site OCDE (2017), APD par secteur (indicateur).
doi: 10.1787/0cdda497-fr (Consulté le 17 août 2017)
44 Cf. Article du Monde (08/04/2015)
http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/04/08/aide-publique-au-developpement-la-france-a-la-traine
4611438 3234.html
2) État français et associations de
solidarité internationale : des relations ambiguës
Selon Philippe Jahshan, Président de Coordination SUD,
« la France se caractérise par un partenariat entre pouvoirs
publics et ONG qui reste faible, lorsque l'on compare notamment avec le
modèle britannique. En matière de coopération
internationale, la culture française met en oeuvre une
coopération d'État à État, jacobine et
centralisée ».
Dans quelle mesure cela est-il avéré ?
2.1) L'esprit jacobin français face
à l'espace d'action des associations de solidarité
internationale
Le jacobinisme désigne, selon le petit
Larousse, « une doctrine démocratique et centralisatrice
professée sous la Révolution par les jacobins et les montagnards
».
La France, un État fort et centralisé
Un État centralisé se fonde sur trois grands
principes : il considère que seule la coordination centrale peut initier
les activités de la société ; il estime que seul
l'État est capable d'arbitrer entre l'intérêt
général et l'intérêt particulier ; et enfin, il
considère que seule la raison centrale peut orienter l'action de la
société civile. La France est l'archétype de l'État
centralisé. Comme l'indique le journaliste Pascal-Emmanuel
Gobry45, « la France s'est construite par l'émergence
d'un pouvoir central, au point qu'on puisse presque dire que l'histoire de
France est l'histoire de la centralisation ». L'une des illustrations les
plus pertinentes en est sans doute la Révolution française de
1789, qui aboutit à une aspiration : fonder l'unité. La
période postrévolutionnaire a largement été
marquée par une volonté d'unifier la patrie et d'affirmer
l'indivisibilité de la République. Alexis de Tocqueville, dans
De la démocratie en Amérique, critique cette
prétention française à doter l'État d'une
responsabilité sociale totale, à détruire les corps
intermédiaires et donc l'autonomie locale. Il défend
l'idée selon laquelle seules les institutions non-étatiques
telles que les associations peuvent servir de contrepoids face à
l'État (pour empêcher la tyrannie).
18
45 Article de Pascal-Emmanuel Gobry, Site
français d'information en ligne Atlantico, 2 mars 2012.
19
Aujourd'hui, même si la Constitution française
affirme que « l'organisation de la République est
décentralisée », en pratique le pays présente encore
de nombreux critères de centralisation, dont notamment l'omnipotence
géographique, économique et politique de Paris qui concentre tous
les lieux de pouvoirs.
L'État français est donc un État fort,
possédant un champ de responsabilités élargi. Ainsi, on
explique aisément que la coopération soit restée une
affaire d'État, ou relève en tout cas de la chose publique. Comme
l'explique Guillaume Devin46, « les traditions jacobines et
centralisatrices ajoutées au « domaine réservé »
ont verrouillé depuis longtemps la coopération française
entre les mains de l'exécutif. »
Conséquences sur la place accordée aux
associations de solidarité internationale
Cet héritage jacobin a engendré des relations
de compétition et de défiance entre l'État et les ASI. Ces
dernières aspirent souvent à prendre en charge des
problèmes relevant de la sphère publique (santé publique,
aide aux personnes âgées, éducation populaire,
etc.) et empiètent donc sur l'espace classique de
l'État. Selon Michel Offerlé, l'association procède en
effet de l'entreprise politique, c'est-à-dire de « ces groupements
ou regroupements de représentations qui sont ponctuels ou durables, que
leurs porte-paroles font agir pour promouvoir, à titre principal ou
accessoire, la défense d'intérêts sociaux de quelque nature
que ce soit [É] »47
Ainsi, dans le cadre de l'étude sur la contribution
des acteurs de la société civile à la politique de
développement française48, il a par exemple
été observé « une méfiance de la part de
certains institutionnels français (et notamment de la part de certains
ambassadeurs) à l'égard de la société civile (en
particulier des ONG). »
Par ailleurs, l'une des caractéristiques majeures des
ONG est le rapport aux puissances
46 Devin Guillaume, Les ONG et les pouvoirs
publics : le cas de la coopération et du développement, in
Pouvoirs, n°88, 1999, p. 75-78.
47 Michel Offerlé, Sociologie des groupes
d'intérêt, Paris, Montchrestien, 1998, p. 28-37.
48 Ministère de l'Europe et des Affaires
étrangères (via Cabinet Ernst & Young),
Évaluation de la contribution des acteurs de la
société civile à l'action de développement et de
solidarité internationale de la France (2009-2015), novembre 2016,
p. 122.
20
publiques, avec comme objectif la limitation de leur pouvoir
et la constitution d'un espace autonome de la sphère de
compétences des États. En France surtout, les ASI se sont souvent
positionnées en « contre-pouvoir », en garde-fous
vis-à-vis de la force publique. Il convient en ce sens de rappeler les
grandes familles historiques d'ONG49:
- Anglo-saxonne, fondée sur la
complémentarité avec le gouvernement ;
- Scandinave, basée également sur la
collaboration avec le champ politique et le secteur privé ;
- Méditerranéenne, caractérisée
par une « mise en tension » avec le pouvoir. La France fait partie de
cette dernière catégorie.
Au sein des deux premières catégories, la
présence étatique est plus faible, la tradition politique plus
libérale et les initiatives privées sont davantage
encouragées. En effet, comme le montre Henri de Cazotte50,
les institutions des pays anglo-saxons tels que le Royaume-Uni et les
États-Unis laissent un grand espace politique à la
société civile, qui est de son côté très
organisée, riche, avec un écosystème entremêlant
ONG, universités, think tanks, fondations, églises...
Dans ces pays, les entités « État » et « ONG
» ont su « tisser des interactions de qualité » et se
renforcer mutuellement.
La troisième catégorie, en revanche, accorde la
priorité aux idées et positions défendues, aux programmes,
à l'identité politique. Les positions idéologiques sont
davantage tranchées, contestataires, et il est plus difficile de se
regrouper entre acteurs différents. En France, cette culture de
contradiction et d'impertinence est très présente et va
s'affirmer d'autant plus dans les années 1970 au sein des ASI, avec la
création de Médecins Sans Frontières (MSF). C'est le
début de ce que l'on appellera le « sans-frontiérisme
», et, avec lui, celui d'une opposition aux gouvernements par le refus de
s'inscrire dans le jeu politique et de « choisir son camp » en
fonction des ententes étatiques et des désaveux politiques.
La compréhension et la communication entre ASI et
pouvoirs publics ont donc été
49 Isola Solène, Mémoire de fin
d'études, Les stratégies d'alliances des ONG
françaises au sein de collectifs : révélatrices d'une
spécificité hexagonale ?, IEP de Grenoble, 2014, p. 9.
50 De Cazotte Henri (Agence Française de
Développement), Chercher l'accord sur l'aide publique au
développement, 2017, p. 13.
21
longtemps difficiles, voire inexistantes.
Pour les raisons structurelles précédemment
évoquées, la France a longtemps privilégié une
diplomatie exclusivement étatique en matière de
développement et de coopération internationale, en
développant par exemple très largement son réseau culturel
et ses ambassades à travers le monde (elle constitue le troisième
réseau diplomatique mondial derrière les États-Unis et la
Chine).
22
2.2) Un environnement malgré tout favorable
aux associations de solidarité internationale
Certes, le modèle français est peu propice
à la montée en puissance des associations de solidarité
internationale en comparaison du modèle outre-Manche, mais il n'est pas
un obstacle au dynamisme du monde associatif. Une liberté garantie et
des institutions renouvelées et plus horizontales sont autant d'atouts
que la France a su mettre en place en faveur du tissu associatif.
L'État français, garant de la liberté
d'association
À la fin du XVIIe siècle, on est
face à une négation de l'espace associatif. Comme
évoqué, à la Révolution française, les
associations et tous les corps intermédiaires sont regardés avec
méfiance. Il y a l'idée que seul l'État peut incarner
l'intérêt général. Paradoxalement, la
Révolution française est féconde en matière
d'associations (création de nombreux clubs politiques notamment). La loi
Le Chapelier de 1791 interdit toute coalition, toute association
professionnelle constituée autour d'intérêts communs ;
cette loi va être utilisée pour limiter l'essor du mouvement
associatif : des congrégations religieuses à droite, et du
mouvement ouvrier à gauche.
Plus d'un siècle plus tard, la loi du 1er
juillet 1901 instaure un droit indispensable à l'exercice de la
démocratie, aujourd'hui reconnu comme fondamental : le droit
d'association, dont l'article 2 reconnaît le principe de la
liberté de formation : « Les associations de personnes pourront se
former librement sans autorisation ni déclaration préalable
[É] »51. À cela s'ajoute la reconnaissance
d'utilité publique (RUP), conférée par l'article 10, qui
accorde à certaines associations une reconnaissance spécifique de
la part des autorités publiques et des ressources additionnelles.
L'association obtient donc à cette époque une
reconnaissance incontestable, même si l'État n'en reste pas moins
le seul à prétendre incarner l'intérêt
général.
Au cours du XXe siècle et plus
précisément depuis les années 1970, la liberté et
le
51 ç noter qu'à l'étranger,
de nombreux régimes imposent un certain nombre de mentions obligatoires
dans les statuts des associations. Généralement, la
personnalité juridique ne s'obtient qu'après enregistrement de
l'association auprès des autorités publiques (ministères
ou tribunaux).
23
droit d'association n'ont cessé d'être
confortés. En 1971, le Conseil Constitutionnel intègre le droit
d'association dans le bloc de constitutionnalité, et érige la
liberté d'association en principe à valeur constitutionnelle (DC
n°71-44, 16 juillet 1971). La loi du 9 octobre 1981 modifie la loi de 1901
et accorde le droit d'association à des étrangers résidant
sur le territoire français, alors que les associations
étrangères étaient soumises jusque-là à
l'autorisation du Ministre de l'Intérieur.
Depuis une quarantaine d'années, le
développement des associations a connu un bond sans
précédent. On compte aujourd'hui environ 1,3 million
d'associations de la loi de 1901 en France, et 50 000 associations se
créent chaque année52. En matière de
solidarité internationale, environ 3000 ASI sont comptabilisées.
300 d'entre elles ont une envergure nationale et une centaine sont reconnues
internationalement, surtout en matière d'aide d'urgence (les «
French Doctors » de MSF notamment). Le secteur associatif totalise environ
13 millions de bénévoles, et emploie près de 2 millions de
salariés53. L'ensemble du budget associatif représente
47 milliards d'euros.
Tout ceci est à mettre en parallèle avec
l'atrophie progressive, constatée depuis une dizaine d'années, de
l'espace civique laissé aux ONG dans de nombreux pays au niveau de leur
liberté d'association, de réunion et d'expression. Cette
situation a fait l'objet d'un rapport spécial devant la Commission des
Nations unies pour les Droits de l'Homme en 201354.
Le rapport souligne les restrictions imposées aux
organisations non gouvernementales, notamment dans leur capacité
à obtenir des financements55, souvent conçues dans le
seul but de réduire au silence les voix critiques et dissidentes. Le
nombre de pays adoptant des législations restrictives a augmenté,
de même que le nombre d'exactions, souvent meurtrières, commises
à l'égard des défenseurs des droits. De nombreux
gouvernements réorganisent l'environnement institutionnel de la
participation citoyenne, instaurent des obstacles juridiques pour restreindre
le fonctionnement des ONG leurs marges
52 Avec un solde de 37 000 par an, entre les
naissances et les disparitions d'associations.
53 Ce qui représente 8 % de l'emploi
privé, et 3,2 % du RNB.
54 Commission des Nations unies pour les Droits de
l'Homme, Rapport du rapporteur spécial sur les droits de s'associer
et de se réunir librement, Maina Kiai, 24 avril 2013.
55 Cf. la situation de la Hongrie :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/04/10/en-hongrie-vers-une-liste-d-agents-de-l-etranger
5108652 3214.html
24
d'autonomie par rapport à l'État. La France,
malgré tout, peut se féliciter de laisser un espace sain et libre
à ses associations, garanti au plus haut niveau de l'État, par
les lois et la Constitution.
Des institutions dédiées à la
coopération internationale : les réformes de 1998 et 2009
La France a également mis en place des réformes
ambitieuses pour la coopération internationale, et, à travers
elles, a renforcé sa collaboration avec les ONG.
Historiquement, la politique de coopération
française était « dédoublée ». Le
Ministère de la Coopération, créé en 1960 par de
Gaulle, avait la spécificité d'être exclusivement
consacré à l'Afrique et plus particulièrement aux
anciennes colonies françaises en Afrique de l'Ouest. Quant au
Ministère des Affaires étrangères, ses compétences
concernaient la coopération culturelle, scientifique et technique avec
le reste du monde.
En février 1998, Lionel Jospin initie la
réforme du dispositif de coopération français
(Décret n° 98-66 du 4 février 1998) engendrant le
regroupement de l'ensemble des services chargés du développement
dans une seule direction générale du Ministère des
Affaires étrangères. L'objectif était surtout
d'intégrer le volet « coopération et développement
» à la politique étrangère française,
permettant ainsi une certaine rationalisation de la politique de
coopération internationale. Néanmoins, l'un des objectifs «
collatéraux » visés était de développer des
synergies avec les opérateurs privés (ONG, entreprises...),
objectif qui a été rempli. En effet, cette nouvelle architecture
a vu naître la DGCID en 1999 (Direction Générale de la
Coopération Internationale et du Développement), direction
combinant les compétences de l'ex-Ministère de la
Coopération et certains services du Ministère des Affaires
étrangères56. Une Mission spéciale au sein de
la DGCID a été créée afin de gérer la
coopération avec ASI et leur octroyer des cofinancements : la Mission
pour la Coopération Non Gouvernementale (MCNG)57.
En matière de partenariat avec les ONG, le CICID
(Comité Interministériel de la Coopération Internationale
et du Développement) a été mis en place en 1998, en
56 Dotée d'un budget de plus d'un milliard
d'euros en 2000, soit 50 % du budget total du Ministère des Affaires
étrangères.
57 La MCNG est ensuite devenue la MAAIONG -
Mission d'Appui à l'Action Internationale des Organisations Non
Gouvernementales
25
remplacement de l'ancien Comité interministériel
d'aide au développement58. Autorité politique fixant
annuellement les orientations de la politique de coopération
française, il visait également à renforcer la coordination
interministérielle et la coordination avec les acteurs non
étatiques, dont les ONG. Enfin, la création du Haut Conseil de la
Coopération Internationale (HCCI) témoigne également de
cette volonté de faire participer la société civile et les
ONG à la politique de coopération. Celui-ci, inauguré en
novembre 1999, comprenait soixante membres, dont des représentants de la
« société civile » et des élus locaux, et
était chargé de remettre des avis consultatifs.
Cette réforme a donc initié des changements
qui, bien qu'incomplets, ont eu le mérite de donner une place plus
importante aux ASI.
Les changements de 2009 ont encore davantage approfondi cette
dynamique. En effet, les conclusions du CICID de 2009 ont exprimé la
volonté de voir les ONG plus fortement associées à l'APD
pour que leur expertise et sensibilité enrichissent la diplomatie.
Ainsi, a notamment été mis en place le Centre de Crise et de
Soutien (CDCS) au sein du Ministère des Affaires
étrangères, chargé de gérer les crises à
l'étranger nécessitant une aide humanitaire d'urgence (à
travers le « Fonds d'Urgence Humanitaire »). Le CDCS attribue
également des fonds aux ONG dans le cadre de missions humanitaires.
En outre, suite au transfert des compétences
opératoires à l'AFD, la Direction de la mondialisation, des
partenariats et du développement (DGM) a remplacé la DGCID du
Ministère des Affaires étrangères. La DGM est avant tout
un organe ayant vocation à réguler la mondialisation et
d'anticiper les grandes transformations mondiales en trouvant des financements
innovants, dans la logique de la RGPP et de la réduction du
déficit public. Néanmoins, un département «
société civile » y a été greffé afin
que le Ministère conserve des relations avec les ONG ; la
Délégation pour les relations avec la société
civile (DGM/CIV) est donc née au sein de la DGM du Ministère des
Affaires étrangères. Au contact des directions thématiques
et géographiques et des autres ministères, cette
Délégation alimente et coordonne les réflexions
stratégiques liées à l'intervention des ONG. En soutien au
dispositif « Initiatives ONG » de l'AFD, la DGM/CIV assure la
coordination de la position du Ministère sur chaque projet d'ONG soumis.
De plus, elle
58 Le CICID est présidé par le
Premier ministre et réunit tous les ministres concernés par les
questions de développement.
26
soutient le volontariat de solidarité, qui constitue un
élément important de la coopération du Ministère
avec les ONG. Cet appui repose sur une approche partenariale associant pouvoirs
publics et associations : l'État et une quarantaine d'associations ont
signé en 2009 la charte commune du volontariat international
d'échange et de solidarité (VIES) regroupant les
différentes formes de volontariat soutenus par le Ministère ; la
Délégation y consacre chaque année une enveloppe de 17 M
Eur. Pour mettre en oeuvre cette politique de soutien, la DGM/CIV s'appuie sur
l'ONG France Volontaires, opératrice du Ministère, qui assure la
gestion administrative des dispositifs et le versement des aides aux
associations.
27
In fine, il est vrai que l'État
français est un « mauvais élève » en
matière d'aide publique au développement, et de surcroît
d'aide publique au développement qui transite par les associations de
solidarité internationale. De par son habitus politique et son
histoire, la France a encore un long chemin à parcourir pour être
exemplaire dans sa collaboration avec les associations de solidarité
internationale.
Néanmoins, elle reste l'un des États les plus
impliqués dans le développement au niveau européen et
mondial, avec tout de même des flux financiers importants
décaissés vers les institutions multilatérales, les PED,
et des flux en progression vers les ASI. De plus, contrairement à de
nombreux pays, la France conserve et protège les droits et
libertés de son secteur associatif.
Enfin, le pays a mis en place des réformes
structurelles à la fin des années 1990 et s'est doté
d'institutions consacrées à la coopération internationale,
avec des liens de plus en plus étroits avec les ASI. Ces tentatives de
rapprochement, même à l'état embryonnaire, ne sont pas
anodines et témoignent d'un mouvement à l'oeuvre depuis le
début des années 1990 aux niveaux international et national, que
l'on va approfondir dans la partie suivante.
II) RELATIONS ENTRE ÉTAT FRANÇAIS
ET ASSOCIATIONS DE SOLIDARITÉ INTERNATIONALE : AVANCÉES
CONTEMPORAINES MAJEURES ET NOUVEAUX ENJEUX
Depuis quelques années, le rôle des associations
de solidarité internationale est reconnu par l'ensemble des acteurs
publics. Les évolutions progressives depuis les années 1990, tant
au niveau international que national, ainsi que les rendez-vous importants de
l'année 2015 ont acté le fait que les États ne disposent
plus de l'exclusivité en matière de développement et de
coopération internationale ; ils partagent désormais leurs
compétences avec les ASI, et sont donc amenés à
co-construire et co-agir à leurs côtés.
Cette partie se propose d'abord de revenir sur les temps
forts de ce renouvellement du partenariat État / ASI, pour ensuite les
questionner et apporter une réflexion critique.
1) Un contexte international propice à
l'accélération du partenariat en France
La fin des années 1980 voit naître le concept de
développement durable. Les ONG vont jouer un rôle majeur dans sa
promotion auprès des instances internationales, et leur plaidoyer va
finalement aboutir, trente ans plus tard, à l'adoption des ODD, à
la conférence d'Addis Abeba sur le financement du développement,
et enfin à la COP 2159.
Le portage politique de ces sujets et leur succès ont
fait prendre conscience aux décideurs de ce monde qu'ils devaient
désormais composer avec ces nouveaux acteurs. Cette montée en
puissance des ONG à l'international, et les nouveaux paradigmes qui en
découlent, vont ainsi influer sur les champs nationaux et les relations
entre l'État français et les ASI.
28
59 21è Conférence des Parties
à la Convention-Cadre des Nation unies sur les changements
climatiques.
29
1.1) Renforcement des ONG sur la scène
internationale Émergence du concept du
développement durable
La décennie 1980 est marquée par deux
catastrophes écologiques majeures : le Bhopal en Inde en 1984 et
Tchernobyl en 1986. En 1987, Gro Harlem Brundtland, Première ministre
norvégienne, préside la Commission Mondiale sur l'Environnement
et le Développement et produit un rapport intitulé « Our
common future » à la demande des Nations unies, qui va
constituer une rupture puisqu'il va impulser une prise de conscience mondiale
des problèmes environnementaux. C'est d'ailleurs la première fois
que l'expression « développement durable » sera
employée. Dans ce rapport, Mme Brundtland préconise un arbitrage
différent entre le bien-être humain et l'environnement.
Ces idées vont fortement inspirer le Sommet de la
Terre de Rio en juin 1992, qui entérine véritablement la notion
de développement durable, reposant sur trois piliers
interdépendants : économique, social et environnemental. En
réalité, ce processus était déjà à
l'oeuvre depuis la dernière décennie, avec notamment le rapport
« Halte à la croissance » produit par le Club de Rome
(think tank italien, également appelé « croissance
zéro ») qui connaît un succès international. Dans la
lancée, se crée le Programme des Nations unies pour
l'Environnement (PNUD) et a lieu le premier Sommet de la Terre à
Stockholm en juin 1972.
Le protocole de Kyoto, signé en 1997, crée
quant à lui un « mécanisme de développement propre
» avec la mise en place de fonds carbone alimentés par les
entités polluantes pour indemniser les victimes de leurs
émissions de gaz à effet de serre.
La conscience des périls sur l'environnement fait donc
son chemin dans l'opinion mondiale : la machine est lancée.
Les ONG au coeur de ces nouveaux enjeux
Ce courant de l'environnement et du développement
durable a été essentiellement porté par les ONG, surtout
anglo-saxonnes. Celles-ci se sont emparées de ces enjeux et ont
exercé une telle influence et expertise lors des négociations
internationales que certains observateurs ont défini cela comme de la
« diplomatie non gouvernementale ». De nouveaux guichets d'aide
internationale sont ouverts à ce moment-là, notamment le Fonds
pour l'environnement mondial destiné à financer
les biens publics mondiaux, à une époque où les bailleurs
internationaux sont dans une sorte d'immobilisme et de « fatigue » de
l'aide.
Le plaidoyer des ONG a surtout joué dans la production
de deux documents capitaux lors du Sommet de Rio : la Convention sur le Climat
(Convention cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques) et le
Document « ACTION 21 » (plan d'action pour le XXIe
siècle pour la protection de l'atmosphère, de la pollution, la
gestion des mers et des forêts...). Enfin, en 2012 a lieu la
Conférence « Rio + 20 » et sa déclaration «
L'avenir que nous voulons ». L'ONU y souligne la
continuité de sa pensée depuis le Sommet de 1992 et demande que
soient définis des objectifs communs de développement durable
fondés sur « ACTION 21 ». Un Open Working Group est
mis en place afin de travailler sur ces objectifs, composé de
représentants étatiques mais aussi d'ONG. Rio + 20 prépare
donc les ODD et la COP 21.
En somme, ce sont les ONG qui ont dynamisé les
institutions internationales et les États en faveur du
développement durable. À partir de là, elles ont
réussi à porter diverses thématiques de solidarité
internationale ; elles ont par exemple joué un rôle majeur dans la
rapidité avec laquelle a été signée la Convention
bannissant les mines antipersonnel en 1997.
Les organisations internationales ont saisi l'importance de
ces acteurs, qui sont un vecteur incroyable de mobilisation de l'opinion
publique mondiale, notamment grâce aux nouvelles technologies de
l'information et de la communication (NTIC). Les ONG bénéficient
de plus en plus du soutien des médias, et ont acquis une influence et
légitimité incontournable ; et donc, du pouvoir. Ainsi, à
partir de cette époque, l'ensemble du système onusien (UNESCO,
UNICEF, Banque mondiale, etc.), va progressivement organiser, voire
institutionnaliser ses relations avec les ONG à travers des avis, des
déclarations et des résolutions. Les ONG vont de plus en plus
bénéficier de « statuts consultatifs »60
auprès des organisations internationales et vont devenir experts
techniques, conseillers ou consultants des Nations unies.
Ces processus sont une réponse, sur le plan
international, à la montée en puissance des
30
60 Plus de deux mille ONG sont aujourd'hui
bénéficiaires de ces statuts dans le monde.
31
ONG ; une façon de reconnaître leur potentiel et
caractère désormais incontournable. À partir des
années 1980-199061, tous les événements
mondiaux, sommets, rencontres, etc., sont accompagnés d'un
forum parallèle tenu par des ONG.
L'essor des répertoires d'action62 comme le
plaidoyer et des thématiques telles que le développement durable
ou la protection de la planète s'explique aussi par une évolution
des sociétés. De revendications « matérialistes
» 63 et marxistes, on est allé vers des revendications dites «
post-modernistes », portées sur des considérations
universelles et non plus uniquement « de classe ».
61 Décennie que l'on nomme « la
décennie des ONG ».
62 Tilly Charles, Les origines du
répertoire d'action collective contemporaine en France et en
Grande-Bretagne, in Vingtième Siècle, 1984, Volume
n°4, n°1, p. 89-108.
63 C'est-à-dire portées sur le droit du
travail, les inégalités sociales, etc.
1.2) L'année 2015 : point d'orgue d'un
nouveau paradigme du développement
Comme l'analyse Armand Rioust de Largentaye (AFD) dans son
essai intitulé Regards sur la terre 2015, Construire un monde
durable, le « moment 2015 » est à la croisée de
l'agenda du développement et de l'environnement. Il constitue un moment
historique que l'on compare même au « moment Bretton Woods »,
tant il a concentré les énergies et affirmé un nouveau
modèle de développement, horizontal et incluant tous les
acteurs.
· Lancement des Objectifs de Développement
Durable (ODD) : universalité et horizontalité
Adoptés officiellement le 25 septembre 2015 par
l'Assemblée générale des Nations unies, les ODD reprennent
les fondamentaux des huit Objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD), mais s'appuient davantage sur Stockholm et Rio, et
sur les idées « universelles » de solidarité
véhiculées par les ONG au sein des instances
multilatérales internationales. Les dix-sept ODD64
s'assimilent donc à l' « ACTION 21 » déjà
évoquée ; ils intègrent de nouvelles dimensions,
inexistantes pour les OMD : le climat, la gouvernance, les
inégalités. On y reconnaît aisément les trois «
piliers » du développement durable (social, économique et
environnemental). Ils comportent un caractère global et doivent donc
s'appliquer aussi bien aux pays riches qu'aux pays pauvres.
Pourquoi des ODD ? La réponse est simple : à
cause du succès des OMD ; non pas en termes de réalisation des
objectifs, puisque la plupart des OMD n'ont pas été atteints
(celui qui l'a été de la façon la plus manifeste, i.e.
la réduction de la pauvreté de moitié par rapport
à 1990, l'a été en grande partie grâce à un
seul pays : la Chine). Mais ce succès se comprend en termes de
remobilisation de l'opinion en faveur de l'aide au développement.
Enfin, la question que soulèvent les ODD, à
travers l'intégration des dimensions du développement, est,
encore plus qu'auparavant, celle de la cohérence des politiques.
Universels, ces objectifs sont donc aussi locaux, et relèvent de la
responsabilité non seulement des différents États mais
aussi du tissu économique, de la société civile... Ils
favorisent une nouvelle dynamique de partenariat mondial et national pour le
développement durable, notamment à travers l'objectif n°17 :
« Des partenariats efficaces
32
64 Cf. Annexe 5 : Les 17 ODD
illustrés.
33
entre les gouvernements, le secteur privé et la
société civile sont nécessaires pour un programme de
développement durable réussi [É] Ils sont
nécessaires au niveau mondial, régional, national et local.
»
· De Monterrey à Addis Abeba : modernisation des
mécanismes de financement pour le développement durable
La troisième65 conférence sur le
financement du développement, qui s'est tenue à Addis Abeba du 13
au 16 juillet 2015, s'est conclue sur l'adoption du « Programme d'Action
d'Addis Abeba », approuvé le 28 juillet par l'Assemblée
Générale des Nations unies.
Le Consensus de Monterrey66, adopté en 2002
deux ans après l'adoption des Objectifs du Millénaire pour le
Développement, avait identifié les axes d'intervention pour
mobiliser les ressources financières nécessaires à
l'atteinte des objectifs de développement fixés par la
communauté internationale. Il préconisait ainsi d'accroître
la mobilisation des ressources financières nationales, de stimuler les
investissements directs étrangers et le commerce international,
d'augmenter l'aide publique au développement (relance de l'objectif
0,7%) et de traiter les questions de soutenabilité de la dette
(initiative « Pays Pauvres Très Endettés »).
Le Programme d'Action d'Addis Abeba s'inscrit naturellement
dans la continuité du Consensus de Monterrey, tout en présentant
des évolutions majeures liées à l'agenda post 2015 et
à la modernisation des outils de financement du développement.
En effet, le texte reconnaît d'abord
l'universalité des Objectifs de Développement Durable, qui
s'appliqueront à tous les pays du monde, et reconnaît la
nécessité d'actions et de réponses spécifiques et
innovantes. Il promeut ainsi des outils de financement multi-acteurs, à
effets « levier » pour l'investissement. L'APD, dont le volume a
augmenté depuis Monterrey, demeure un outil prioritaire pour les PMA et
les États fragiles, mais peut également susciter la mobilisation
de financements additionnels provenant d'autres sources, publiques et / ou
privées. L'engagement de l'Union Européenne sur l'objectif du
65 1- Monterrey (2002), 2- Doha (2008) et 3- Addis
Abeba (2015).
66 Cf. Rapport de la Conférence de
Monterrey :
http://www.ipu.org/splz-f/ffd08/monterrey.pdf
0,7 % est réaffirmé, et les autres pays de l'OCDE
sont encouragés à en faire de même.
Enfin, le Programme d'Action met en avant le rôle de la
philanthropie et des ONG, les montages en partenariats publics-privés
(PPP), et plus généralement la combinaison de ressources
publiques et privées.
Négociations sur le réchauffement
climatique
La 21è Conférence des Parties
à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques
a eu lieu à Paris du 30 novembre au 12 décembre, et s'est conclue
par un consensus sur l'accord de Paris limitant le réchauffement
climatique à deux degrés. Cet accord se situe dans la
lignée des ODD et de la Conférence d'Addis Abeba puisqu'il
réaffirme la nécessité d'une union de toutes les forces
(publiques, privées et issues de la société civile) pour
faire face au défi climatique. La forte mobilisation autour de cet
événement (groupes de travail ad hoc entre Ministres,
Sherpas, ONG, etc.) ont permis une co-construction entre l'État
et les ONG et ont donc d'autant plus renforcé le partenariat en faveur
du développement international.
Ainsi, ces trois grandes échéances
multilatérales de 2015 ont défini un agenda très ambitieux
pour la communauté internationale. L'ampleur de ces défis
interpelle tous les acteurs du développement (gouvernements, secteur
privé et ONG) dans leur capacité à travailler à
l'unisson. En effet, comme le rappelle Henri de Cazotte67, « le
partenariat est un des éléments essentiels crédibilisant
la mise en oeuvre des accords universels de 2015 ».
Ces dynamiques internationales ont concouru aux
évolutions de taille à l'oeuvre au niveau national
français, que l'on abordera dans une prochaine partie.
34
67 De Cazotte Henri (Agence Française de
Développement), Chercher l'accord sur l'aide publique au
développement, 2017, p. 16.
35
2) Des évolutions déterminantes au niveau
national
Les contextes international et national sont
interdépendants, se répondent l'un l'autre. Les évolutions
au niveau mondial, que l'on peut lire en deux temps (les années 1990 et
le « moment 2015 ») ont influé sur la structure du milieu
associatif français d'une part, et sur les initiatives du gouvernement
d'autre part. Dans cette sous-partie, nous allons examiner ces reconfigurations
du partenariat entre État français et associations de
solidarité internationale.
2.1) Renouveau structurel des associations de
solidarité internationale
En écho aux mouvements internationaux qui ont vu les
ONG internationales68 s'unir pour porter un plaidoyer fort, les ASI
françaises ont emboîté le pas, depuis le début des
années 1990, et se sont organisées en réseaux suivant
l'idée que « plus on est nombreux, plus on a de poids ».
Réseautage des associations de solidarité
internationale : une stratégie d'influence
La société civile française est riche.
Les ASI ont une vraie expertise, un savoir-faire, mais leur secteur est aussi
disparate, éclaté, ce qui nuit à leur efficacité :
difficulté de coordination, difficulté de visibilité dans
les médias, difficultés de dialogues avec les pouvoirs publics.
Au sein même des acteurs du monde associatif, on constate une faible
connaissance mutuelle, sauf dans les réseaux d'affinités
(origines proches, collaborations, etc.). On peut donc raisonnablement
s'égarer dans le paysage associatif français, au sein duquel les
grandes ONG font finalement office de repères, tant pour le grand public
que pour les pouvoirs publics.
Les ASI ont donc compris depuis une vingtaine d'années
que si elles restaient isolées, leur voix ne comptait pas. Avec les
grands événements internationaux et les prises de position
remarquées des ONG internationales, cette question de plaidoyer et
d'influence des pouvoirs publics est devenue très importante. Elles se
sont donc organisées en réseaux dès le début des
années 1990, afin de se renforcer, se coordonner et monter en
compétence.
68 Surtout les ONG britanniques, qui sont
très organisées et portent un plaidoyer puissant. Leur
structuration historique par collectif leur a permis de faire prendre
conscience de leur rôle politique.
36
Les réseaux permettent surtout d'apaiser les relations
avec les pouvoirs publics. Avec cette structuration en collectifs, le dialogue
avec les pouvoirs publics est recherché, enrichi, alors qu'avant il
était davantage dans la confrontation. Il n'en est pas moins efficace
pour autant. Il y a par exemple le cas de l'économie sociale et
solidaire (ESS) : alors que c'était une thématique peu visible il
y a encore dix ans, aujourd'hui, personne ne remet en cause l'ESS et une loi y
est dédiée (loi n° 2014-856 du 31 juillet
201469). D'autres exemples de plaidoyers réussis des ONG se
retrouvent dans les engagements de François Hollande pendant sa campagne
et son quinquennat 2012-2017.
Le partage des réflexions, des expériences, des
méthodologies et des pratiques inter-ASI concourent à un
débat sans cesse renouvelé sur les différents champs de la
solidarité internationale.
Principaux collectifs et soutiens de l'État
Les pouvoirs publics ont également encouragé
cette structuration du milieu associatif. Depuis vingt ans, l'État a en
effet soutenu la création de collectifs et de plateformes associatives
formelles constituées en association loi de 1901, chargés de
coordonner le dialogue inter-associatif et facilitant ainsi la collaboration
entre milieu associatif et pouvoirs publics français. Aujourd'hui, le
paysage est riche de ces structures 70 , et transparent. Chaque
collectif a une raison sociale claire, une gouvernance clairement
constituée (CA, Bureau...) ; les pouvoirs publics ont veillé
à n'encourager aucune concurrence entre collectifs de même nature
; la plus-value de chacune d'entre-elles doit être
démontrée et le soutien financier des pouvoirs publics fait
l'objet d'une négociation annuelle approfondie.
Voici deux fédérations majeures d'associations
(loi de 1901) chargées de mobiliser et de représenter les ASI
françaises auprès des pouvoirs publics français :
- Coordination SUD, déjà mentionnée dans ce
mémoire, est la coordination nationale des ONG françaises de
solidarité internationale.
Fondée en 1994, elle rassemble aujourd'hui plus de
cent-soixante-dix ONG humanitaires,
69 Cf. p. 38.
70 Cf. Annexe 11 : Autres collectifs
financés par l'État français.
37
d'aide au développement, de protection de
l'environnement, de défense des droits humains mais aussi
d'éducation au développement. Aujourd'hui, CSUD est le plus gros
collectif d'ASI. Elle est l'interlocuteur privilégié du MEAE et
de l'AFD en matière de relations avec la société civile et
participe à titre d'observateur aux comités de pilotage des
projets de la DGM/CIV. Elle contribue aussi à renforcer la
présence non gouvernementale française dans les grandes
conférences internationales. Le MEAE soutient cette coordination depuis
sa création.
- Le Centre de Recherches et d'Information pour le
Développement (CRID)
Fondé en 1993, le CRID est un collectif regroupant
cinquante-trois associations (parmi lesquelles notamment le CCFD-Terre
Solidaire, la CIMADE ou encore le Secours Populaire). Chargé d'organiser
la concertation entre ses membres impliqués dans des actions en France
d'éducation au développement, le CRID est un collectif puissant
et très structuré qui s'est repositionné récemment
comme chef de file en matière d'éducation au
développement. Le CRID a également pour vocation de coordonner
l'implication des ASI françaises dans les grands débats
internationaux (G8, Forum social mondialÉ71) ainsi que leur
action de lobbying. Membre fondateur de Coordination SUD et
représenté à son conseil d'administration, le CRID
renforce la concertation entre les ASI et publie régulièrement
des documents d'information et de réflexion, notamment via la
revue Crid'infos et les Cahiers de la solidarité. Le
MEAE et l'AFD soutiennent également ce collectif : environ 5 % de son
budget72 est issu de ces institutions.
Ainsi, les évolutions mondiales depuis 1990 et la
globalisation et complexification des enjeux de la planète, ont
amené les ASI à se structurer, en développant des
plateformes et des coalitions pour peser sur les décisions - tant au
niveau français qu'international - et interpeller les acteurs publics
sur le respect de leurs engagements, ou leur absence d'engagement.
71 Le Forum Social Mondial (FSM) a ouvert depuis
2001, à la demande des ONG, un espace de débat pluriel et
démocratique entre mouvements sociaux, ONG, syndicats, où sont
proposées des alternatives de développement et où sont
articulées les actions des différents acteurs. Ce lieu de
rencontre permet d'apprécier les courants portés par les
organisations non gouvernementales, les syndicats et les élus de
collectivités territoriales.
72 Subvention 2014 : 55 000 Eur. Budget de
l'association 2014 : 1 004 438 Eur.
2.2) Un cadre politique et institutionnel
français porteur : le quinquennat 20122017 engagé en faveur du
développement et de la solidarité internationale
Sous l'impulsion des changements internationaux
mentionnés précédemment, les modalités du dialogue
entre pouvoirs publics français et ASI ont sensiblement
évolué au cours de ces dernières années, vers
l'émergence d'un partenariat plus horizontal. En effet, en plus du
doublement de l'APD qui transite par les ASI promis par Hollande en 2012 et
quasiment effectué (1,9 % à 3,2 % entre 2012 et 2016), d'autres
évolutions conséquentes ont été impulsées en
France.
L'année 2012 constitue une étape importante
puisqu'à l'initiative de Pascal Canfin (Secrétaire d'État
au Développement et à la Francophonie) des Assises du
développement et de la solidarité internationale73 ont
été organisées. La tenue de ces Assises a
été l'un des engagements de la campagne de François
Hollande. Elles se sont réparties de novembre 2012 à mars 2013 et
ont réuni plus de six-cents représentants de l'État, de
collectivités territoriales et d'ONG autour de tables rondes sur les
thématiques suivantes : la vision du développement après
2015, année d'horizon des OMD ; le renforcement de l'efficacité
et la transparence de l'aide ; la cohérence des politiques publiques en
faveur du développement ; et enfin le renforcement des partenariats avec
les acteurs non-gouvernementaux du développement et de la
solidarité internationale. Au total, dix-neuf réunions ont eu
lieu, avec plus de deux-cent-cinquante contributions écrites.
De ces Assises ont découlé plusieurs initiatives
essentielles.
Des évolutions législatives et
administratives
Tout d'abord, la toute première loi d'orientation et
de programmation relative au développement et à la
solidarité internationale (LOP-DSI - loi n°2014-773) a
été adoptée par l'Assemblée nationale le 7 juillet
2014. Cette loi était une revendication centrale des ASI depuis des
années. Elle « reconnaît le rôle et la
complémentarité de l'ensemble des acteurs impliqués dans
la politique de développement et de solidarité internationale
» et dispose que les organisations de la société civile
bénéficient d'une expérience, d'une
38
73 Les premières depuis 1997.
39
expertise et d'une implication fortes dans la politique de
développement et de solidarité internationale de la France. Elle
définit également les priorités de la politique
française de coopération et fixe l'effort budgétaire
national en faveur du développement pour un cheminement crédible
vers les 0,7 % d'ici les cinq prochaines années.
Parallèlement à cette loi d'orientation et de
programmation, un certain nombre de progrès sont faits dans le sens
d'une meilleure reconnaissance du milieu associatif engagé dans la
solidarité internationale. Plusieurs exemples en témoignent :
d'abord, le 21 juillet 2014, une loi sur l'économie sociale et solidaire
(ESS) est promulguée. Cette dernière dispose que l'ESS est un
mode d'entrepreneuriat spécifique que les sphères publique et
privée doivent encourager en partenariat avec les acteurs associatifs.
Ensuite, cette même année, le label « Grande cause nationale
» est attribué à l'engagement associatif. Ce label a
notamment permis à nombre d'associations d'obtenir des diffusions
gratuites sur les radios et télévisions publiques pour organiser
des campagnes faisant appel à la générosité du
public.
Cette rénovation du partenariat s'inscrit plus
généralement dans la démarche du « choc de
simplification » portée par le gouvernement vis-à-vis des
associations. Deux rapports parlementaires de 2014 ont d'ailleurs
été consacrés à cette question : le rapport de la
commission d'enquête parlementaire présidée par M. Alain
Bocquet sur les difficultés du monde associatif, et le rapport de M.
Yves Blein sur les simplifications à mettre en place pour les
associations. Ainsi, à l'occasion du comité
interministériel pour l'égalité et la citoyenneté
du 6 mars 2015, l'ancien Premier ministre Manuel Valls a annoncé un
« New Deal » avec le secteur associatif. Ce dernier repose sur 4
actions phares :
- Une ordonnance (n°2015-904 publiée le 23
juillet 2015) visant à alléger le quotidien des associations.
Celle-ci comporte des dispositions d'ordre général portant
simplification des procédures de création, de transformation, de
déclaration et d'agrément des associations et des fondations
ainsi que des dispositions relatives au financement des associations et
fondations. L'article 7 simplifie les demandes de subvention des associations
en rendant homogène la présentation de ces demandes auprès
des financeurs publics sur la base d'un formulaire unique. L'article 8
rénove quant à lui la procédure de déclaration
d'appel public à la générosité instituée par
la loi n° 91-772 du 7 août 1991 au regard de l'évolution des
pratiques. Les autres ar-
ticles concernent particulièrement les associations
sportives et celles relevant de la loi du 9 décembre 1905 (associations
cultuelles).
- Une circulaire (n°5811-SG publiée le 29
septembre 2015) visant à décliner la mise en oeuvre
opérationnelle de la charte des engagements réciproques entre
l'État, les associations et les collectivités
territoriales74. En effet, Manuel Valls avait signé en
février 2014 une charte d'engagements mettant en avant le rôle
essentiel des associations dans la société, avec pour objectifs
de conforter la place des associations et des citoyens au sein des instances de
concertation ; rendre plus lisibles et transparents les critères de
subventions ; favoriser la création de lieux d'accueil, d'information et
de conseil aux associations.
Les enjeux de cette circulaire sont de sécuriser le
recours au subventionnement comme mode privilégié de
contractualisation entre les associations et les collectivités publiques
et de mieux assurer la compatibilité du modèle français de
la subvention avec le cadre communautaire (réglementation
européenne relative aux aides de l'État). Le
téléservice de demande de subvention en ligne est appelé
à se développer et à se substituer aux demandes de
subvention papier. Un groupe de travail composé de représentants
du secteur associatif, de collectivités territoriales et de
différents départements ministériels avait
été installé fin 2014 par la Direction de la jeunesse de
l'éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) du
ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. La circulaire a
désigné un correspondant chargé de la vie associative dans
chaque ministère pour suivre les engagements de l'État dans leurs
champs de compétence respectifs.
- Des mesures visant à favoriser l'engagement
bénévole, notamment celui des actifs (le sujet a fait l'objet
d'un rapport d'un groupe de travail piloté par le ministère de la
Ville, de la Jeunesse et des Sports et l'association Le Rameau) à
travers la « réserve citoyenne » lancée le 12 mai
2015.
- De nouveaux crédits dégagés pour le
secteur associatif, ciblant plus particulièrement les quartiers
prioritaires de la politique de la ville.
40
74 Consultable ici :
http://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/CharteEngagementsReciproques.pdf
41
Enfin, le 29 décembre 2016, la nouvelle loi de finances
a fait appliquer le Crédit d'impôt pour la
compétitivité de l'emploi (CICE) au secteur
associatif75 à partir de janvier 2017. Cette décision,
bien que tardive (elle intervient trois ans après le CICE destiné
aux entreprises), est révélatrice d'un effort de l'État,
ou tout du moins, d'une prise de conscience de ce dernier que les associations
constituent une force économique qu'il est pertinent de
renforcer76. Le système d'emplois aidés pour les
associations a également été réaffirmé par
le gouvernement Hollande, alors que le nombre de contrats aidés
enregistrés avait fortement baissé en 2010 sous Sarkozy suite
à la restriction du montant de l'aide versée par
l'État.77
· Des évolutions stratégiques
Un espace de concertation entre le gouvernement et la
société civile, le Conseil National du Développement et de
la Solidarité Internationale (CNDSI)78, a été
créé en 2014 par l'article 4 de la LOP-DSI qui dispose que «
la France reconnaît le rôle et la complémentarité de
l'ensemble des acteurs impliqués dans la politique de
développement et de solidarité internationale, notamment les
organisations non gouvernementales, les collectivités territoriales et
les entreprises ». Héritier du HCCI, ce Conseil est une instance
politique et stratégique de haut niveau qui a pour vocation de permettre
le dialogue régulier et ouvert entre l'État et l'ensemble de la
société civile sur les objectifs, orientations et moyens de la
politique française de développement. Les ASI y sont donc
représentées et très actives. Le CNDSI rassemble
cinquante-trois personnalités répartis en sept collèges,
représentant : les organisations non gouvernementales de
solidarité internationale ; les parlementaires ; les
collectivités territoriales ; les organisations syndicales ; les
représentants d'employeurs ; les acteurs économiques intervenant
dans le champ de la
75 Intitulé « Crédit d'impôt
de taxe sur les salaires » (CITS) pour les organismes à but non
lucratif.
76 Interview de Philippe Jahshan, Président de
Coordination SUD, dans Humanité :
http://www.humanite.fr/dommage-que-les-associations-naient-pour-lheure-pas-dinterlocuteur-au-gouvernement-636356
77 Cependant, la tendance semble encore s'inverser
puisque la Ministre du Travail Muriel Pénicaud a annoncé le 9
août dernier que le nombre de contrats aidés passerait de 456 000
à 280 000 pour 2018.
78 Le site France Diplomatie héberge
dorénavant un espace dédié à ce Conseil :
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/societe-civile-et-volontariat/le-conseil-national-pour-le-developpement-et-la-solidarite-internationale-cndsi/
42
solidarité internationale ; les organismes de recherche
scientifique ; et enfin huit personnalités étrangères
(dans une perspective d'ouverture en direction des partenaires internationaux).
Le secrétariat du Conseil est assuré par la DGM/CIV.
Le CNDSI était à l'origine organisé une
fois par an. Cependant, depuis 2015 et la préparation des grands
rendez-vous internationaux, il a trouvé sa vitesse de croisière
et a atteint un rythme de trois réunions par an. L'instance a donc
joué un rôle de catalyseur des dialogues stratégiques entre
ASI et pouvoirs publics lors des négociations internationales. En
complément de ces réunions formelles trimestrielles, des groupes
de travail ad hoc ont vu le jour, sur des thématiques
transversales identifiées par les membres du CNDSl. Leurs conclusions
sont traduites en notes à l'attention du MEAE et de l'AFD. La prochaine
réunion aura lieu le 14 septembre 2017 et inscrira vraisemblablement
à son ordre du jour la question du récent gel des crédits
de l'APD annoncé par Gérald Darmanin.
La volonté de renforcer la collaboration entre
pouvoirs publics et ASI s'est également confirmée dans le plan
d'orientation stratégique (POS) de l'AFD pour la période
20122016. L'Agence y définit le développement des partenariats
avec les ASI comme l'une de ses priorités. Le POS affirme l'attachement
de l'AFD aux relations avec les ASI et souligne sa volonté de renforcer
le dialogue sectoriel et le cofinancement des projets des ONG
françaises, tout en respectant leur indépendance et leur droit
d'initiative.
Par ailleurs, en novembre 2013 est adopté le premier
cadre d'intervention transversal (CIT) qui définit les grandes
modalités politiques du partenariat entre l'AFD et les ASI pour la
période 2013-2016.
Ce document couvre de manière transversale le secteur
des associations de solidarité internationale et se concentre
particulièrement sur les instruments financiers dédiés aux
ASI pour leur donner un cadrage général. L'élaboration de
ce CIT, qui s'inscrit dans le contexte de l'annonce du doublement de
l'enveloppe réservée au financement des initiatives des ASI, a
permis la tenue de nombreuses réunions de concertation et a
été saluée par l'ensemble des parties prenantes (ASI,
parlementaires, syndicats, entreprises...). Sa principale finalité a
été de valoriser l'expertise et la capacité d'influence
des ASI et d'améliorer le dispositif de financement de leurs
initiatives, tout en veillant à intégrer pleinement leur action
dans l'ensemble des activités de l'AFD.
Le CIT a finalement joué un rôle
d'accélérateur. Sur la période 2013-2016, le partenariat
entre l'AFD et les ASI s'est effectivement renforcé et
diversifié, pour inclure :
- Un dialogue institutionnel de haut niveau porté par
la Direction générale de l'AFD lors de rencontres
régulières avec Coordination Sud, sur les enjeux de l'agenda
international et français en matière d'aide au
développement, ainsi qu'avec les ASI de plaidoyer sur leurs grands
thèmes d'interpellation des institutions, en France comme à
l'international ;
- Un dialogue sectoriel informel, qui s'est nourri des
discussions autour d'un agenda international particulièrement riche. Le
dialogue s'est fortement développé dans les secteurs
traditionnels de collaboration entre l'AFD et les ASI comme l'agriculture,
l'éducation, la formation professionnelle, la santé, l'eau et
assainissement, et plus récemment le climat et l'environnement. Il doit
encore se développer dans les nouveaux secteurs d'intervention de l'AFD
(gouvernance et droits humains, numérique, éducation au
développement et à la solidarité internationale,
etc.) ;
- Une production de connaissances partagée, à
travers de nombreuses études et évaluations, permettant d'affiner
la connaissance par l'AFD des interventions des ASI, de leurs valeurs
ajoutées et des innovations qu'elles développent. Elle a
favorisé des analyses croisées entre acteurs sur leurs pratiques
respectives de développement, contribuant ainsi à leur
enrichissement mutuel. Actuellement, une réflexion est en cours
concernant la création d'un comité technique, sur le
modèle de l'actuel comité technique « Foncier et
développement », qui regrouperait les ASI, les institutions de
recherche et l'AFD avec la participation régulière d'acteurs du
Sud. Ce comité constituerait un lieu d'échange et de concertation
et permettrait la définition conjointe de questions de recherche.
Quant à la collaboration financière entre l'AFD
et les ASI, elle a représenté un montant significatif de 384 M
Eur de subventions sur la période 2013-2016, dont 63% ont
été financés par le dispositif « Initiatives ONG
». En 5 ans, ce dispositif a augmenté de 83%, passant de 45 M Eur
en 2012 à 77 M Eur en 2017. Les subventions hors dispositif «
Initiatives ONG » ont également cru, de 32M€ à
65M€ sur la période (soit + 103%).
43
Au cours de ces dernières années, l'AFD a donc mis
en place les bases d'une relation
44
partenariale solide avec les ASI, tant au niveau du dialogue
que des collaborations intellectuelles et financières. Ces dynamiques
ont favorisé une acculturation réciproque entre l'AFD et les ASI,
lui permettant de mieux appréhender leur valeur ajoutée.
Enfin, le Ministère de l'Europe et des Affaires
étrangères a édité, pour la première fois de
son histoire, un document politique reconnaissant la valeur et le rôle
majeur de la société civile, au côté de la force
publique, en matière de développement. En effet, les conclusions
du dernier CICID du 30 novembre 2016 avaient recommandé
l'élaboration d'un Document d'Orientation Politique (DOP)79
au premier semestre 2017 pour préciser les ambitions de la contribution
des acteurs de la société civile à la politique
française en matière de coopération internationale et de
développement. La construction de ce document a donc été
pilotée par la DGM/CIV (précédemment citée), en
concertation étroite avec l'ensemble des directions du Ministère,
de l'AFD ainsi que les représentants des associations via le
CNDSI.
Le livrable, publié le 17 mars 2017 et soutenu par
l'ancien Ministre Jean-Marc Ayrault :
- constitue le premier cadre de partenariat entre le MEAE et
les associations engagées dans l'aide au développement et la
solidarité internationale.
- souligne l'importance de l'attribution de moyens publics
aux ONG et répond en cela au plaidoyer des collectifs tels que
Coordination SUD.
- formalise la reconnaissance du rôle incontournable
des ONG dans l'aide française au développement.
- rappelle la nécessité de consolider la
relation avec les ONG qui constitue l'un des axes forts de l'adaptation aux
évolutions profondes de la vie internationale et doit devenir un levier
essentiel de la diplomatie de la France.
- s'engage à poursuivre les efforts d'augmentation de
l'APD transitant par les ONG françaises, en vue de se rapprocher
progressivement de la moyenne des pays de l'OCDE.
79 Ministère de l'Europe et des Affaires
étrangères, Document d'orientation politique relatif au
partenariat entre le ministère des affaires étrangères et
la société civile, mars 2017.
Consultable ici : Document d'Orientation Politique relatif
au partenariat entre le Ministère de l'Europe et des Affaires
étrangères et la société civile
45
- fixe les ambitions et les contours du partenariat avec les
ONG.
- appelle à un décloisonnement des acteurs et
des enjeux de développement au service d'une coopération plus
efficace et d'une diplomatie plus globale.
Ainsi, la volonté, sur le plan national, de renforcer
les ASI à travers un appui renouvelé et d'instaurer un dialogue
régulier renvoie aux transformations profondes à l'oeuvre sur la
scène internationale depuis les années 1990. À travers ces
récentes évolutions, la place des ASI dans la politique de
développement et de coopération internationale française
s'est progressivement imposée.
La prise de conscience actuelle est forte. En effet, les
crises mondiales se multiplient et se chronicisent. Leurs durées se
prolongent, leurs effets se propagent et leurs intensités varient. Leur
fondement socio-politique caractérise de façon accrue les enjeux
de cohésion sociale qui les sous-tendent. Les ONG restent fortement
exposées et interpellées pour y faire face, et les États
savent donc tout l'intérêt d'abandonner les politiques en silo et
de collaborer avec ces acteurs. Ils reconnaissent désormais leur double
rôle :
- de mobilisation des opinions publiques et de plaidoyer
auprès des autorités pour influencer les politiques nationales et
peser sur les négociations internationales.
- d'acteur de terrain, ayant une perception globale des
besoins des populations, et capable de mettre en oeuvre des actions de
développement, d'interventions humanitaires ou encore de fournir de
l'expertise.
De plus, d'un point de vue purement stratégique, il
apparaît qu'un État renforce la légitimité de sa
politique étrangère auprès des opinions publiques en
acceptant la dissonance des ONG et en intégrant leurs contributions dans
les processus de décision. Le transfert progressif de la décision
à un ensemble supranational rend indispensable que des organismes
intermédiaires comblent la distance entre le corps social et les
élites et fassent entendre auprès de ces dernières les
questionnements des sociétés civiles, afin de prévenir les
révoltes potentielles. Finalement, plutôt qu'à un
affaiblissement de l'État, les ASI contribuent à son
renforcement, si celui-ci joue le jeu. Les décideurs concernés
ont pris toute la mesure de l'importance des ONG, et du nécessaire
renforcement de ce partenariat.
46
Cependant, la tendance des autorités politiques
à développer une coopération croissante avec le secteur
non gouvernemental peut également traduire une intention de
contrôle du mouvement social, une volonté de domestiquer le
potentiel perturbateur des ASI. Nous allons, entre autres, aborder ce risque
dans la dernière sous-partie.
47
3) Points de vigilance à l'égard de ce
partenariat renouvelé
Si ces récentes évolutions montrent un
progrès dans les relations entre l'État français et les
associations de solidarité internationale, il n'en existe pas moins
certains écueils qu'il faut prendre en compte.
En effet, les nouveaux contours de ce partenariat
questionnent l'indépendance des ASI et les logiques de
professionnalisation qui rendent poreuse la frontière entre monde
lucratif et tissu associatif.
3.1) L'enjeu de l'indépendance des
associations de solidarité internationale
Comme on l'a vu, les compétences en matière de
solidarité internationale ne sont aujourd'hui plus le monopole des
États. Les ASI sont reconnues par les États et souvent même
soutenues par l'État, malgré l'appellation d'organisation «
non gouvernementale ». La question de leur indépendance est donc
cruciale. Si la spécification de « non gouvernemental »
n'exclut en rien les liens qui les unissent, elle suppose en tout cas que les
relations avec l'État ne relèvent pas d'une forme de
subordination ou de tropisme.
Cependant, cette question mérite réflexion dans
la mesure où les ASI sont des bénéficiaires de subventions
publiques, et par ailleurs fortement demandeuses de leur augmentation. Cette
revendication fait d'ailleurs partie de leur plaidoyer constant.
Les ambivalences des relations entre bailleur et
bénéficiaires
Depuis les années 1970-1980 et la « crise de
l'État providence » avec la diminution de ses pouvoirs
régaliens, l'État a eu tendance à déléguer
davantage de fonds et de compétences aux structures privées, et
les associations ont vu leur champ d'intervention s'amplifier. Outre l'impact
positif de cet accroissement des ressources analysé dans les parties
précédentes, il ne faut pas perdre de vue que plus les
associations reçoivent des financements publics, plus elles sont
dépendantes des volontés publiques, et moins elles ont
intérêt à s'opposer à l'État.
Ici encore, seules les grosses ASI très connues et
appréciées du grand public peuvent se permettre de refuser l'aide
de l'État. En France, la seule qui soit totalement exempte de
subventions est Médecins Sans Frontières (MSF). D'autres essayent
de limiter la part de
48
ressources publiques (le CCFD-Terre Solidaire la limite
à 10 %). Jean-Hervé Bradol, ancien président de MSF,
qualifie les ONG bénéficiaires de crédits publics d'«
ONG-BTP » ou encore de « godillots », sous-entendant que ces
structures sont finalement des sous-traitants de Paris, c'est-à-dire de
leur bailleur80. Enfin, il faut noter que certaines ASI ne sont pas
du tout « non gouvernementales », et sont officiellement adjointes de
l'État. C'est le cas de la Croix-Rouge française par exemple,
association loi de 1901 qui a le statut d'auxiliaire des pouvoirs publics.
On peut donc aisément remettre en question le fait que
les projets, les objectifs et les méthodes des associations de
solidarité internationale soient différents de ceux des
gouvernements, dans la mesure où ce dernier est leur bailleur. Un
rapport de force est instigué de facto. Par exemple, les
projets « Initiatives ONG » de la DPO de l'AFD ne sont pas
financés s'ils vont à l'encontre de la position politique de la
France sur tel ou tel sujet. L'ambassadeur du pays concerné doit
d'ailleurs exprimer un « avis d'opportunité » positif ou
négatif pour valider le projet avant la commission AFD.
Ces projets, censés correspondre au « droit
d'initiative » des ASI, sont en fait menés de manière
à être en adéquation avec les orientations
françaises. En 2016, 72,8 % des subventions publiques allouées
aux ASI ont permis de mettre en place des projets correspondant aux
thématiques prioritaires de la France (définies par le CICID de
2013). De la même façon, 36,3 % des financements sont
dédiés à des projets mis en oeuvre dans les « pays
pauvres prioritaires » définis par la France81.
Associations de solidarité internationale :
opérateurs de l'État ou contre-pouvoirs ?
Philippe Jahshan, Président de Coordination SUD, a
déclaré en octobre 2016 : « Nous n'avons pas vocation
à remplacer l'État, nous n'avons pas vocation à devenir
des béquilles sociales ou à reprendre à bas prix ce que
l'État ne souhaite ou ne peut plus faire »82. En effet,
beaucoup d'ASI arguent que le dialogue qu'entretient l'État avec elles
est
80 Article de Youphil du 12/04/2013 :
http://www.youphil.com/fr/article/06370-ong-argent-independance-humanitaire
81 Cf. Étude quantitative de la
DGM/CIV (MEAE) sur les fonds publics transitant par les ONG (actualisation
2016) :
http://www.data.gouv.fr/fr/datasets/r/3db5564a-9106-4307-8b74-76c24273172f
82 Interview de Philippe Jahshan, Pésident
de Coordination SUD, sur le forum du CIDES :
http://www.chorum-cides.fr/actualite/philippe-jahshan-president-du-mouvement-associatif-nous-ne-sommes-pas-les-prestataires-de-politiques-publiques-en-recul/
49
opportuniste et à sens unique, c'est-à-dire que
la puissance publique les considère avant tout comme des
opérateurs. Cependant, elles-mêmes renforcent cet écueil
malgré elles. Par exemple, à l'occasion du plaidoyer de CSUD pour
la campagne présidentielle de 2017, les associations ont
revendiqué une augmentation des financements qui leur sont
destinés. Pour appuyer cette demande, CSUD souligne que l'insuffisance
actuelle des financements aux ASI oblige ces dernières à se
tourner vers des bailleurs étrangers en s'adaptant à leurs
priorités (qui ne sont pas forcément celles de l'État
français). Cet argument à double tranchant illustre bien le
positionnement ambigu des ASI vis-à-vis de l'État, puisqu'il
revient à positionner celles-ci comme exécutantes de la
diplomatie d'influence, en contradiction avec leur forte revendication
d'indépendance. Dans un communiqué de presse de décembre
201683, Coordination SUD s'est même félicité des
conclusions du CICID du 30 novembre 2016, qui consacrent le rôle des ASI
dans la « mise en oeuvre de la politique de développement du
gouvernement français ».
La complicité croissante entre l'État et les
associations de solidarité internationale, que ce soit par les processus
de financements ou bien la multiplication des instances de concertation, ne
doit pas « dépolitiser » les associations et faire oublier que
leur but premier est l'intérêt général, et pour
l'atteindre, parfois même la lutte contre certaines actions des
États.
Les événements survenus à Calais en juin
dernier84 prouvent cependant que l'identité militante des
associations est toujours présente et que celles-ci peuvent se rebeller
contre l'État. En effet, onze associations (parmi elles le Secours
catholique, Care France, La Cimade et la Ligue des Droits de l'homme), pourtant
bénéficiaires de fonds publics, n'ont pas hésité
à porter plainte contre l'État devant le tribunal administratif
de Lille, afin d'exiger des autorités un « minimum
d'humanité » vis-à-vis des réfugiés : de l'eau
potable, l'accès à des toilettes et de quoi se nourrir de
façon minimale. Cette action intervient après les recours
déposés par la commune de Calais et le Ministère de
l'Intérieur début juillet, qui avaient refusé d'appliquer
la décision du tribunal administratif ordonnant, fin juin, que les
réfugiés aient accès aux services basiques quotidiens. Le
Conseil d'État dénonce
83 Communiqué de presse de CSUD 02/12/2016
:
https://www.coordinationsud.org/communique-de-presse/feuille-de-route-de-politique-francaise-matiere-de-developpement-avancees-encourageantes-ambiguites-demeurent/
84 Cf. Article de Libération
15/06/17
http://www.liberation.fr/france/2017/06/15/a-calais-les-associations-attaquent-l-etat-en-justice-pour-inhumanite
1577141
50
finalement une « atteinte grave et illégale
à une liberté fondamentale » et donne gain de cause aux
associations et aux migrants.
Ainsi, bien que le rapprochement entre l'État et les
ASI comporte des biais, les faits précédemment cités
nuancent l'assujettissement des associations aux pouvoirs publics. Finalement,
on peut dire que les ASI sont « autant soumises aux normes dominantes
qu'elles contribuent à les définir85 ». Cette
position intermédiaire dans laquelle se situent les ASI les expose
à des contraintes lourdes autant qu'elle leur confère un pouvoir
original, une capacité d'influence déroutante, car hybride.
D'ailleurs, si les ASI doivent s'appliquer à rester
des contre-pouvoirs, elles n'ont pas vocation à devenir des adversaires
de l'État. Leurs fins sont d'agir au nom des causes qu'elles
défendent et, s'il le faut, agir auprès des États pour
qu'ils s'y investissent. Cela confirme les propos de Philippe
Jahshan86 : « Nous pouvons être à la fois acteurs
de l'innovation et aiguillons des pouvoirs publics. L'objectif est de
travailler à un partenariat qui crée la
complémentarité, plutôt que d'être les prestataires
de politiques publiques en recul ».
85 Hervé Estelle, Mémoire de fin
d'études, Contraintes et pouvoir des ONG contemporaines, IEP de
Toulouse, 2010, p. 88.
86 Interview de Philippe Jahshan, Pésident
de Coordination SUD, sur le forum du CIDES :
http://www.chorum-cides.fr/actualite/philippe-jahshan-president-du-mouvement-associatif-nous-ne-sommes-pas-les-prestataires-de-politiques-publiques-en-recul/
51
3.2) La professionnalisation des associations en
France : un glissement vers le monde de l'entreprise ?
Sur le modèle des grosses ONG anglo-saxonnes, les ASI se
sont professionnalisées.
De quoi parle-t-on lorsque l'on évoque la
professionnalisation ? Il s'agit de transformer une activité pour la
rendre plus « professionnelle ». Si l'on se réfère au
monde des entreprises, cela revient à instaurer de profondes
modifications et des règles rigoureuses sur différents plans : le
budget, la stratégie d'action et de positionnement, la communication,
les ressources humaines, etc.
· Une croissante logique de marché
La généralisation des procédures
d'appels d'offres et d'appels à projets des bailleurs de fonds soumet
les associations aux logiques de marché de manière croissante. En
effet, ces évolutions suscitent des mises en concurrence pour
l'obtention des financements. Pour les ASI ayant peu de moyens et une expertise
technique limitée sur ces questions, le rapport de force est
défavorable et il est alors très difficile pour elles de «
remporter » un appel d'offre. Nicolas Laurent, Directeur
général d'Ingénieur sans Frontières, souligne les
enjeux de cette concurrence dans la revue semestrielle de l'association en 2010
: « Dans un contexte de précarité et de raréfaction
des ressources financières, la concurrence est rude. Les associations
sont de plus en plus sous l'emprise des politiques et des exigences de leurs
bailleurs pour lesquels l'efficacité est mesurée uniquement par
des indicateurs quantitatifs. Ainsi, les équipes salariées sont
surchargées et sous pression, leurs dirigeants étant
obnubilés par la croissance. Ces modes de fonctionnement sont de moins
en moins adaptés à des prises de décisions collectives et
réfléchies via une mobilisation d'administrateurs
bénévoles ».
Comme l'accès aux financements est de plus en plus
ardu, cela encourage plusieurs pratiques, notamment la volonté de se
démarquer auprès des pouvoirs publics. Cette recherche de
légitimité se traduit par une concurrence croissante entre les
organisations : aujourd'hui, une association se doit absolument d'être
transparente et experte dans un domaine ou une zone donnée. Pour
combiner ces deux aspects, les associations se dotent d'un personnel de plus en
plus technicisé, provenant principalement d'écoles de commerce,
ainsi que d'outils de communication professionnels inspirés du monde de
l'entreprise.
52
Qu'il s'agisse d'une volonté réelle des
associations, souvent par mimétisme, ou d'une demande extérieure
(des autorités, des bailleurs...), les tendances lourdes aujourd'hui
suivies par les ASI posent la question de leur glissement vers le monde
lucratif, du fait de l'adoption de plusieurs pratiques du secteur privé
entrepreneurial. C'est notamment le cas dans le domaine de la communication et
du marketing87, et cela pose question. Le discours associatif
peut-il être relayé par une communication standardisée
poussant à la consommation ? Ces techniques de communication sont
nombreuses et toutes ne sont pas accessibles, notamment pour les petites ASI
(création d'évènements médiatiques, spots
publicitaires). Quant aux autres (lobbying, mailing, produits
dérivés, sponsoring), elles présentent des dérives.
Beaucoup d'associations sont en effet tentées par la surenchère
symbolique qui a quelque fois conduit à des dérapages
éthiques. Comme l'explique Stéphanie Dupont88 : «
Alors que certains messages semblent "prendre en otage" le donateur (ou
plutôt sa conscience...) en ne lui proposant pas, dans le courrier
reçu, d'autre issue psychologique que celle de donner, certaines
associations font fi de toute éthique. Un exemple frappant est celui de
Handicap International qui, pour amener les destinataires à ouvrir la
lettre, a mis celle-ci dans une enveloppe timbrée d'un pays
étranger avec l'adresse écrite à la main. À
l'intérieur, la première chose que le destinataire voyait
était une mini béquille en bois ».
Dans cette dynamique de professionnalisation, le projet
associatif, et ainsi la spécificité même des ASI, peuvent
être menacés. Se pose alors la question de l'effacement de la
réflexion sur le fond du projet associatif au profit d'une course aux
résultats quantitatifs attendus par les bailleurs de fonds. Il en
découle une vraie tension dans la manière de faire cohabiter les
différentes identités de l'association : sociale, civique et
économique.
Néanmoins, selon François Bordes89,
c'est à l'association elle-même de se fixer des limites à
ne pas dépasser, « si elle ne veut pas tomber dans le racolage
publicitaire, ou dans une activité carrément qualifiée de
commerciale ». Leur système de gouvernance doit donc faire office
de garde-fou (procédure de contrôle interne, débat
partagé). Selon Philippe
87 Rapport de la Conférence Permanente des
Coordinations Associatives « Associations et logiques de marché
», juin 2009.
88 Dupont Stéphanie, Étude sur les
stratégies de communication des associations de solidarité
(2002).
89 Entretien avec François Bordes,
Maître de conférence au CELSA (École des hautes
études en sciences de l'information et de la communication) dans rue 89
(2007) :
http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20070815.RUE1363/les-ong-entre-communication-et-marketing.html
53
Jahshan, ces croisements entre le lucratif et le non lucratif
à l'oeuvre depuis trente ans sur le modèle anglo-saxon vont
très certainement se poursuivre. Il ajoute : « Je ne crois pas pour
autant à une disparation du modèle, plus traditionnel, s'il faut
le qualifier ainsi, d'un champ associatif porté par l'engagement
bénévole car, de fait, c'est un réservoir immense de
mobilisation »90.
· Associations de solidarité internationale :
véritables acteurs du changement ?
Ces enjeux de la professionnalisation
précédemment cités révèlent les
contradictions au sein des ASI, liées à la volonté de
concilier une identité militante avec des contraintes structurelles
croissantes qui favorisent un isomorphisme institutionnel.
Par ailleurs, ces dynamiques de professionnalisation
impliquent une mutation du rôle même des ASI. Ce
phénomène est résumé sur le site de Coordination
SUD : « Créées il y a vingt ou trente ans pour être
opérateurs directs dans les pays du Sud, les ASI sont devenues au cours
des années 1990 avant tout des facilitateurs ou catalyseurs des
énergies des pays où elles agissent. Les ASI interviennent
désormais principalement en appuyant l'émergence d'organisations
locales à même de gérer et mettre en oeuvre les actions de
terrain ; elles se font de plus en plus souvent l'avocat de ces acteurs locaux
au Nord en développant des actions de plaidoyer ». Auparavant en
effet, les ASI intervenaient directement sur le terrain, que ce soit pour
former les acteurs locaux ou pour être elles-mêmes maîtres
d'ouvrage du projet et le conduire. Aujourd'hui, on va de plus en plus vers un
paradigme de « renforcement de capacités » des acteurs locaux,
modèle tiré des récentes évolutions internationales
et de la « philosophie ODD ».
C'est un changement majeur dans les méthodes de
travail des ASI et dans leur raison d'être. Cela induit plusieurs choses,
à l'oeuvre depuis une dizaine d'années :
- D'abord, une déconnexion avec le terrain, qui nuit
à l'efficacité des ASI mais qui engendre surtout une perte de
lien avec les bénéficiaires, et peut avoir l'effet inverse que
celui escompté : celui de renforcer l'auto-centrisme et de
scléroser l'innovation. En effet, l'une des caractéristiques des
ASI est d'être innovantes et à
90 Interview de Philippe Jahshan, Pésident
de Coordination SUD, sur le forum du CIDES :
http://www.chorum-cides.fr/actualite/philippe-jahshan-president-du-mouvement-associatif-nous-ne-sommes-pas-les-prestataires-de-politiques-publiques-en-recul/
l'avant-garde de courants d'opinions, proposant des solutions
à des questions dont les gouvernements ne se sont pas encore saisis. Tel
a été le cas pour l'environnement, le développement
durable, le SIDA, le commerce équitable, la responsabilité
sociale des entreprises, la diversité culturelle,
l'altermondialisationÉ Mais une telle capacité de
réflexion, de recherche et de proposition suppose le maintien en
activité des ASI sur le terrain ;
- Ensuite, cela induit un paradoxe. En effet, une association
n'est pas destinée à survivre : elle est vouée à
disparaître lorsqu'elle a accompli sa mission. Or, dans le nouveau
contexte, les ASI souhaitent se professionnaliser et donc pérenniser
leur existence. Il existe donc une forte contradiction avec l'idée
d'accompagner les partenaires locaux vers l'autonomie.
Il en découle une certaine hypocrisie : le paradigme
ODD s'est créé autour de critères devant régir la
relation entre partenaires « Nord / Sud », tels que la participation,
l'équité, la réciprocité, la reconnaissance et le
respect mutuels91. Pourtant, les ASI, poussées par un
contexte de plus en plus concurrentiel, prennent certaines positions
équivoques. En effet, j'ai pu observer, notamment lors de mon stage au
MEAE et de plusieurs réunions de travail avec CSUD, que les ASI
étaient par exemple en majorité opposées à
l'ouverture des financements « Initiatives ONG » de l'AFD aux ONG du
Sud, argumentant que les ASI françaises ont « déjà du
mal à survivre sans qu'une partie des fonds publics français
aillent au Sud ». Cette vision passéiste montre que la
professionnalisation des ASI peut amener à des postures à
l'encontre même du projet associatif, en totale contradiction avec
certaines de leurs revendications fortes, telles que la hausse de l'aide
publique à destination des PED. La mutation du rôle des ASI, due
à leur professionnalisation, finit par immobiliser leur force novatrice
et les rendre uniquement « actrices économiques » cherchant
à exister et prospérer.
Enfin, il faut également mettre en perspective l'
« horizontalité » promue par les ODD et la Conférence
d'Addis Abeba, et ce qu'elle suppose. Historiquement, les ASI se sont
fondées sur une culture du militantisme étrangère, sinon
hostile à l'entreprise. Or, les évolutions internationales
contemporaines érigent en principe fondamental le mélange des
54
91 Le partenariat : réciprocité et
(re)connaissance, Bulletin du COTA, Bruxelles, 2003, Éditorial.
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acteurs, les partenariats public / privé (qui
empruntent beaucoup à l'idéologie
néolibérale92) pour aboutir à des
décisions plus efficientes. En France, on a vu par exemple
l'éclosion des réseaux régionaux multi-acteurs (RRMA) ou
encore, dans les pays en développement, l'essor des programmes
concertés pluri-acteurs (PCPA). Dans ces instances se côtoient
aussi bien acteurs de la solidarité, pouvoirs publics et entreprises.
Cependant, cette horizontalité voulue n'impliquerait-elle pas une forme
de formatage des idées contestataires ? Dans leur essai Agir dans un
monde incertain (Essai sur la démocratie technique)93,
les auteurs Bruno Latour, Michel Callon et Yannick Barthe analysent les effets
de ces « forums hybrides », qui seraient finalement un outil de
légitimation de l'action publique, une manière d'éprouver
l'acceptabilité des décisions prises afin d'éviter le
conflit et de désamorcer les tentatives de contradiction ; une
façon de « faire parler pour mieux faire taire ».
En effet, pour « co-opérer
» et être véritablement partenaires, il faut avoir un projet
commun : est-ce possible pour des acteurs avec de tels écarts de
perception ? Il ne serait pas souhaitable que ce partenariat se consolide au
détriment de la force d'opposition et d'interpellation des ASI, et que
leur message soit édulcoré, perdu au sein de celui d'une
multitude d'acteurs indifférenciés. La nature des associations de
solidarité internationale doit être conservée : celle de
garde-fou du système, « ni entreprise, ni service public
».94
92 Baron Catherine et Peyroux Élizabeth,
Services urbains et néolibéralisme : approches
théoriques et enjeux de développement, in Cahiers
d'études africaines n° 202-203, 2011, p. 383.
93 Latour Bruno, Callon Michel, Barthe Yannick,
Agir dans un monde incertain (Essai sur la démocratie technique),
Paris, Seuil, 2001, p. 120.
94 Jacques Chirac, à l'époque
Président de la République, lors de la célébration
du centenaire de la loi de 1901.
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