c. Les restructurations des maternités
En France, comme je l'ai souligné
précédemment, le modèle dominant pour donner naissance
à un enfant est l'accouchement en maternité. Cependant, le
paysage de celles-ci s'est fortement modifié ces quarante
dernières années.
Premièrement, en 1972, le décret Dietrich
entraîne la fermeture des maternités tenues par des
sages-femmes (la maternité de Bénouville dans Calvados, tenue par
des sages-femmes ferme ses portes en 1973, après la mise en application
de ce décret par exemple). Seules les maternités avec des
médecins subsistent.
En 1998, deux décrets (les numéros 98-899 et
98-900) concernant les établissements de santé publics et
privés qui pratiquent de l'obstétrique modifient le Code de la
santé publique (Legifrance). Ces décrets
prévoient que les établissements qui perdent leurs autorisations
obstétriques deviennent des « Centres Périnataux de
Proximité » (CPP), (ce sont des établissements où les
parturientes peuvent venir effectuer des consultations pré et
post-natales). Ils prévoient la présence de sages-femmes dans ces
centres, et au moins un gynécologue-obstétricien, certains
centres disposent même de pédiatre et de psychologue pour les
futurs parents. .
31
Dans ces décrets, un minimum de quinze lits par
structure est requis afin de poursuivre l'activité. Progressivement, des
« normes de plus en plus strictes d'encadrements » sont
prises22. Ces prescriptions entraînent des changements
à la fois internes et externes au niveau de l'organisation des
établissements de santé, et la fermeture des petits
établissements (avec moins de quinze lits).
D'autre part, ces décrets conduisent vers une nouvelle
organisation des maternités en trois niveaux de soins :
- Le niveau 1 concerne les maternités avec uniquement
une unité d'obstétrique et disposant au minimum de quinze lits.
Elles s'adressent aux nouveau-nés sans complications majeures.
- Le niveau 2 correspond aux maternités
composées d'une unité d'obstétrique et d'une unité
de néonatalogie (pour les prématurés).
- Le niveau 3 est accordé aux maternités
comportant : une unité d'obstétrique et une unité de
néonatalogie, mais aussi une unité de réanimation
néonatale qui permet d'assurer des actes spécialisés
à un nourrisson qui présenterait une détresse
sérieuse ou un risque vital.
L'offre de soins en maternité a donc était
fortement restructurée : « la plus large recomposition conduite
à ce jour dans le système hospitalier français
»23. Ces règles plus strictes ont entraîné
une diminution de 20% des maternités entre 2002 et 2012. Les fermetures
ont concerné majoritairement les petites maternités. C'est cette
restructuration qui a modifié le paysage des maternités en France
et a entraîné leur diminution. L'objectif de ces mesures
était de rendre l'acte de l'accouchement plus sûr, en
22 Despres P., Guerer A et Yon A ., « La
santé observée en Basse-Normandie, Autour de la naissance »,
ORS, 2015
23 Rapport d'information du Sénat 2014-2015, La
situation des maternités en France, 2015, Paris.
32
privilégiant des maternités moins nombreuses, mais
mieux équipées au niveau du plateau
technique.
Figure 6: Evolution du nombre d'établissement et de
lits en France
Entre 1996 et 2012, (voir le tableau ci-dessus) un
tiers des maternités ont fermé. Le nombre de lits a
également diminué considérablement entre les années
1996 et 2002 (27%). Le nombre de maternités quant à lui, a
particulièrement diminué entre 2002 et 2012 (-20%). Cela signifie
que le nombre de lits a baissé dans un premier temps puis, celui des
maternités dans un second temps. En effet, le recul des
maternités et du nombre de lits atteint 33% en seize ans (1996-2012).
Enfin, le nombre de lit par structure est en moyenne à trente-deux
lits24 en 1996 contre trente-trois lits25 en 2012, peu de
changements donc.
J'en conclus qu'une fermeture de maternité
n'entraîne pas une augmentation de lit dans les autres maternités
car la moyenne de lits par maternité reste stable. La suppression des
petites maternités n'a pas contraint les plus grandes maternités
à s'agrandir.
24 (26
159/815=32,1)
25 (17
733/544=32,6)
33
Comme le souligne le rapport de la DREES26
(Direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques),
ce sont les maternités de type 1 qui sont les plus touchées par
les fermetures. Ces petites maternités n'avaient pas assez de lits pour
continuer d'exercer, tel que l'imposaient les décrets de 1998. Elles ont
donc été les premières touchées.
En 2010, on dénombre cent-cinquante-deux
maternités de type 1 en moins sur le territoire français qu'en
2001. Certaines de ces maternités se sont reconverties en centres
périnataux de proximité (CPP) et sont destinés à
l'offre locale. Ces centres ne réalisent pas d'accouchement, mais des
consultations pré et postnatales, et des cours de préparation
à la naissance. Ils entrent dans les « objectifs du Plan
périnatalité 2005-2007, et permettent
Figure 7: Le nombre de maternités en France depuis
1972
26 Baillot A., Evain F., « Les
maternités : un temps d'accès stable malgré les fermetures
» in Etudes et résultats Drees, N°814, Octobre
2012.
34
de maintenir une offre périnatale de proximité,
en lien avec les services de protection maternelle et infantile (PMI) et les
sages-femmes libérales ».27
Le graphique ci-dessus illustre le fait que malgré une
courbe des naissances plutôt stable (environ 800 000 par an), le nombre
de maternités en France a lui décliné
considérablement : de 1747 maternités en 1972 à 545 en
2012. Soit une diminution de 68%, plus de la moitié des
maternités ont donc fermé sur cette période. Entre 1972 et
1996, la diminution des maternités est de l'ordre de 53 % alors qu'entre
2000 et 2012, la diminution est de 22%. Certes, l'étendue des
périodes est différente, mais elle permet d'évaluer la
tendance. La fermeture des maternités n'est pas une tendance
récente, elle est amorcée depuis plus de quarante-cinq ans. En
effet, depuis la création des niveaux de maternité, on remarque
que ce sont les structures les moins techniques, soit de niveau 1 qui sont
touchées (avec une diminution de 42% entre 2000 et 2012).
Les fermetures des petites maternités sont
également le résultat d'un manque de praticiens et/ou d'incidents
nécessaires lors d'un accouchement, l'un pouvant entraîner
l'autre. Le recrutement de médecins, particulièrement des
anesthésistes (en raison de leur pénurie) apparaît comme la
raison principale des nombreuses fermetures. L'ARS préconise qu'une
maternité où les naissances sont inférieures à
mille par an possède sur place, ou d'astreinte, au moins : une
sage-femme, un pédiatre, un anesthésiste et un
gynécologue-obstétricien. Et cela, 24/24h et toute
l'année. Cette contrainte a fait fuir les médecins des petites
structures car leurs gardes sont plus fréquentes étant
donné qu'ils sont peu nombreux.
27 Baillot A., Evain F., « Les
maternités : un temps d'accès stable malgré les fermetures
» in Etudes et résultats Drees, N°814, Octobre
2012.
35
Le développement de la médecine est aussi une
cause de ces fermetures en France. L'accouchement est devenu un acte
considérablement médicalisé pour la sécurité
et le confort des parturientes. La péridurale est l'exemple même.
« Cette anesthésie locale, qui réduit les douleurs de
l'accouchement, est apparue au début des années 1980 de
manière confidentielle (moins de 4 % des naissances)
»28. Elle s'est développée très rapidement
et a été remboursée par la Sécurité sociale
en 1994. En 2012, la péridurale est utilisée pour 76 % des
naissances. Sur le graphique (voir ci-dessous, figure 8), le
remboursement de la péridurale par la Sécurité Sociale en
1994 se perçoit, elle gagne 42 points entre 1981 et 1994, le confort
lors de l'accouchement est meilleur et moins douloureux pour les femmes.
Figure 8: Hausse de la médicalisation lors de
l'accouchement
28 Durand A-A ., « Pourquoi le nombre de
maternités a été divisé par trois en quarante ans ?
», in Le Monde, les décodeurs, 1 avril 2016.
36
La médicalisation de l'accouchement peut se voir par le
nombre de césariennes réalisées. Selon une étude de
l'Inserm, un quart des césariennes pourraient être
évitées29. En effet, « 28% des césariennes
avant travail étaient potentiellement évitables en 2010 » ce
qui représente environ 24 000 interventions chaque année. Les
déclenchements (injections d'hormones ou mécaniquement) ont
doublé en trente ans. Bien que certaines césariennes soient
réalisées pour des raisons médicales, d'autres seraient
faites par « convenance ». Cette médicalisation n'est pas
assez remise en cause selon la Haute Autorité de la Santé (HAS).
D'après elle, les femmes ne seraient pas suffisamment au courant du fait
qu'elles peuvent refuser un déclenchement, et même une
péridurale30. Le terme de violence obstétricale est
souvent retenu pour parler de ces divers abus.
Dans un article du journal Le Monde31,
Franka Cadée, responsable des échanges internationaux à
l'Association royale des sages-femmes néerlandaises (KNOV), explique
qu'aux Pays-Bas, même « à l'hôpital, le recours
à l'anesthésie péridurale reste marginal » (18 %,
contre 76 % en France). En France, l'objectif est de créer des grands
plateaux techniques performants comme la Suède. Cependant, en
Suède32, la part de césarienne est inférieure
à la France avec 17,5% en 2015, alors que les accouchements sont
réalisés dans de grandes structures. La médicalisation de
l'accouchement est donc encore très présente en France.
L'offre hospitalière a connu des recompositions
importantes dans sa globalité, celles-ci se sont traduites par des
regroupements, des transferts, voire des fermetures de services.
29
www.epopé-inserm.fr
30 Durand A-A ., « Pourquoi le nombre de
maternités a été divisé par trois en quarante ans ?
», in Le Monde, les décodeurs, 1 avril 2016.
31 Durand A-A ., « Aux Pays-Bas, accoucher
à domicile n'est pas un projet alternatif, c'est juste normal », in
Le Monde, Société, 22 août 2016.
32
http://swedishhospital.com
37
Cependant, malgré la concentration de l'offre de soins,
les femmes ne mettent pas plus de temps pour se rendre à la
maternité : en 2001, la moitié des femmes accèdent
à une maternité en moins de dix-sept minutes. La part des
accouchements réalisés à plus de trente minutes du
domicile est stable (23 %). En effet, le seuil « jugé souhaitable
» dans le Schéma régional d'organisation des soins (SROS)
est de trente minutes. Il conviendrait de mettre à jour ces chiffres,
afin d'analyser l'état actuel de l'accessibilité de l'offre de
soins depuis 2010, car de nombreuses fermetures ont eu lieu depuis. En 2008, un
sondage révèle que « 17% des Français avaient
été contraints de renoncer à des soins en raison de motifs
liés à l'éloignement géographique », des
inégalités d'accessibilité géographique
persistent.
De plus, l'hôpital est souvent le premier employeur de
la ville (de l'agent d'entretien au chirurgien par exemple), il fait «
rayonner une ville de la même façon que l'université
». Selon S. Fleuret33 , « le secteur hospitalier
n'échappe pas au mouvement global de concentration des entreprises et de
recherche d'économie d'échelle, [c'est-à-dire qu'on] a
cherché à supprimer les activités faisant doublon, ou
à regrouper les structures qui les proposaient. Les maternités
ont connu ces restructurations tout autant ». En effet, certaines ont vu
leurs activités se transformer en centre périnatal de
proximité (CPP), alors que d'autres ont fermé
définitivement et ont cédé la place à une
activité différente de celle de l'obstétrique, telle que
des soins ambulatoires ou du long séjour gériatrique. La
comparaison peut être faite avec les écoles qui ferment en France
sous le terme de la démographie ou des politiques publiques.
33 Fleuret S., « Spécialisations
hospitalières et centralité », Données urbaines, vol
4., 2003, Anthropos, Cnrs, Insee, p. 367-375.
38
Ainsi, le système de santé en France et sa
sécurité sociale sont mis en place afin de se rapprocher au plus
près de l'équité voulue, au niveau du financement des
soins réalisés sur tout le territoire français.
Malgré tous, des inégalités au niveau de l'accès
aux soins subsistent : le relief, l'étendue du territoire
français et les restructurations réalisées qui font que
des services ont fermé peuvent en être la raison.
De plus, les moeurs et les doctrines des médecins, mais
également des citoyens sont différents d'un pays à un
autre. En France, l'acceptation de l'accouchement à domicile (AAD) n'est
pas encore à l'ordre du jour dans tous les départements, c'est
plutôt l'accouchement médicalisé en hôpital qui est
le plus souvent pratiqué, pour la sécurité des patientes
et de leurs enfants.
Les restructurations des maternités sont le
résultat de décrets, celui de Dietrich en 1972 et ceux
de 1998 notamment. Enfin, l'ex-région Basse-Normandie est l'une des
dernières régions à avoir mis en place cette
réorganisation agencée depuis plusieurs années dans les
autres régions. Cela pourrait expliquer les fermetures nombreuses et
récentes.
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