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La marque de l'impermanence dans les expositions du palais de Tokyo

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par Thomas Bizien
Université Paris III - Sorbonne Nouvelle - Master 1 de médiation culturelle 2010
  

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II. Le temps manipulé ou comment rendre compte de son instabilité

Tentant de restituer les dynamiques inhérentes aux fluctuations du vivant, les oeuvres présentées ici racontent le chancellement du monde, l'inconstance de la réalité. Pour se rendre intelligibles, elles appuient leurs rhétoriques sur la durée, qu'elles incarnent ou qu'elles représentent. Pour ces oeuvres, faire du temps et de son impermanence un objet d'art en marche fonctionne comme une obsession : incorporer la sensation du temps, la vivre, la communiquer au spectateur. Mais comment signifier ce flux ininterrompu de la temporalité ? Alors que dans le chapitre précédent, les artistes parvenaient à incorporer dans l'objet, le flux inhérent à la marche du temps, le corpus ici présenté montre des oeuvres à la matérialité statique, mais qui parvienne dans leur contenu, à signifier un déplacement temporel. Mettant en place des environnements dans lesquels le spectateur peut pénétrer, certains artistes usent de ce relatif isolement pour lui faire passer la succession de momentanée. (chap.1) Résurgence de la peinture classique, des artistes utilisent le thème de la vanité, dont ils sculptent les motifs. Posées dans l'espace, ces pièces rendent compte de la fuite inéluctable du temps. (chap.2) Et si la fin est certaine, certains travaux entrevoient la mort pour ce qu'elle invalide, la vie entière. (chap.3)

II.1 Des fluctuations de la pensée

II.1.a - La décomposition du mouvement et la culture cinématographique

À la fin du XIXe siècle, les avancées techniques de la photographie permettent la restitution objective du mouvement, notamment par les chronophotographies d'Etienne Jules Marey. En shootant rapprochées, des actions en train d'être réalisées, son fusil photographique permet à l'image d'émaner saccadé, les différentes phases constituantes de son mouvement. Le présentant sous les différents aspects qui forme son unité vagabonde, il restituait quasi scientifiquement le migratoire. Exposée à l'occasion de l'exposition collective Dynasty, l'oeuvre de Bettina Samson rappelle cette conquête scientifique du visible. Avec Warren, 1/4 de

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seconde en Cinémascope63, l'artiste présentait sept bustes alignés sur une rampe. Rappelant les photogrammes d'une scène de film, elle présentait décomposé, un mouvement qui rappelait du même coup, l'idée d'une action furtive.

La chronophotographie influence la peinture du XIXe siècle. Mais alors que la photographie reste emprunte d'un certain académisme, notamment dans la composition, les peintres redoublent de stratagème pour tenter de représenter le mouvement que la machine a rendu perceptible. C'est la raison d'être de l'impressionnisme. Synthétisant cette représentation du fugitif, les mouvements d'avant-gardes du début du XXe siècle incorporeront ensuite dans leurs travaux, le cinéma naissant. En tant que nouveau langage, le cinéma offre à la modernité la capacité d'enregistrer le mouvement. La première oeuvre d'art qui en tire les conséquences, c'est la Roue de bicyclette de Marcel Duchamp, « la première oeuvre cinématographique en son principe64 », c'est à dire la première qui, sans en imiter les formes, tire parti de ce nouveau langage. En faisant tourner la roue posée sur un tabouret, le spectateur instaure, par le biais de la réalité elle-même, le mouvement. La culture cinématographique ouvre ainsi la voie à une approche processuelle du déplacement dans l'art. Et l'influence de l'art cinématographique sur l'art contemporain reste aujourd'hui un point capital. Les oeuvres présentées dans cette partie ont en effet toutes en commun d'exprimer leur contenu dans le temps. Présentée pour l'exposition Une seconde, une année, l'oeuvre de Zilvinas Kempinas est un ensemble de ventilateur qui propulse en apesanteur le négatif d'un film. Intitulé Flying Tape,65 cette bande magnétique de plusieurs mètres flottent dans les airs, ses ondoiements comme autant d'actes furtifs qui dansent sur le vide. Chacune de ses oscillations rappelle le « matérialisme aérien » dont parlait Gaston Bachelard, la restitution du mouvement, de ces chutes et de ces hauts, en étant une partie prenante.

63 Fig. #19

64 Nicolas Bourriaud, Formes de vie, Denoël, 1999

65 Fig. #20

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II.1.b - Mécanismes cérébraux dévoilés

L'être est constitué par des flux incessants de processus physiques et mentaux qui changent continuellement. Toutes les choses sont transitoires, il n'existe aucune entité stable, d'édifice mental durable. Comment rendre plastiquement compte de ces flots d'états d'âmes, de l'impermanence des fluctuations qui nous constitue ? La réalisation à partir des années 1960 d'« environnements66 », des sculptures tridimensionnelles où le spectateur peut entrer, est l'occasion pour les artistes de mettre au jour des oeuvres qui proposent des atmosphères. L'inscription de ces environnements dans un volume important leur permet de susciter plus que de ne signifier, de rester ouvert à une multitude d'interactions et d'interprétations possible. Le premier directorat du Palais de Tokyo67 a proposé quatre installations qui proposaient chacune à leurs façons une cartographie instable et évolutive du mentale de l'être. Ses oeuvres avaient toutes en commun de ne pas essayer de toucher à la perfection, mais de rendre intelligible les fluctuations de la pensée.

Les oeuvres de Rebecca Horn sont marquées par la culture cinématographique que nous évoquions précédemment. Son oeuvre est en effet fortement marquée par l'idée de processus, la plupart de ces pièces étant des machines à actionner :

« Mes travaux ont plus à voir avec la littérature et le cinéma qu'avec les autres arts, plus avec des séquences d'images et de mouvements qu'avec la peinture.68 »

Rebecca Horn installait en 2003 dans l'espace d'une des alcôves du Palais de Tokyo une installation gigantesque, Lumière en prison dans le ventre de la baleine.69 Cloisonné depuis l'extérieur, le spectateur qui venait à y rentrer découvrait une pièce sombre. En son centre, il pouvait voir à une trentaine de centimètres du sol Pendulum with Black Bath (Pendule avec bain noir), une cuve en aluminium contenant de l'eau noire. Accrochée au plafond, une perche électrique oscillait dans

66 Le premier à utiliser cette expression est Edward Kienholz

67 Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, 2002-2006

68 Entretien de Germano Celant avec Rebecca Horn, in Rebecca Horn, publié à l'occasion de l'exposition Rebecca Horn, musée de Grenoble, 1995

69 Fig. #21

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le liquide, laissant la trace d'un cercle, la représentation d'une pendule à son extrémité. Sur les murs, des projecteurs vidéos faisaient danser des extraits de poèmes de Jacques Roubaud, tel que « éphémère, sans épaisseur mais sphérique70 », ainsi que d'autres poèmes, écrits par l'artiste elle-même. Entre ces halos lumineux d'encre nocturne et le bac de résine au sol survenait un champ de tension dont les visiteurs devenaient l'axe mouvant. Ils accomplissaient ainsi une ronde, danse qui a de tout temps symbolisé le renouveau. En tournant la tête vers les auréoles, un mouvement d'ellipse recréait l'instabilité de la marche de la pensée, mesurée par le pendulier.

Pour son exposition personnelle au Palais de Tokyo, Exposition universelle 1, Jota Castro présentait Brains71 (2005). L'artiste assemblait bout à bout des tourniquets, similaires à ceux du métro, auxquels avait été adjoint, comme une cage de sécurité, un enclos de barreaux où le spectateur allait prisonnier. Une fois inséré, il devait enclencher ses portes pour se permettre d'avancer. L'installation mettait dans le monde sensible les formes d'allégorie des processus du raisonnement. Comme une idée, chaque sas permettait d'accéder à un autre, mais la progression se faisant, empêcher de retourner au point de départ. L'artiste tentait ici de faire un parallèle avec les processus de la pensée, bâtissait l'oeuvre sur les étapes de la créativité. Symbolisant « toutes les limites, frontières et obstacles qu'il faut dépasser pour créer » l'installation souhaitait être « la métaphore du cerveau au cours d'une psychanalyse.72 »

La perpétuelle transformation de la marche de la pensée trouve aussi dans l'installation d'Arthur Barrio un honnête écho. En 2005, à l'occasion de l'année du Brésil en France, le Palais de Tokyo présentait le travail de cet artiste brésilien. Intitulé Réflexion...(s)...73 l'exposition prenait place dans l'espace d'une alcôve. Coupé de l'extérieur par un rideau noir opaque, le spectateur devait franchir ce perron pour littéralement rentrer dans l'installation. Calfeutré, l'espace d'exposition émanait sombre, une atmosphère de chaos. Jamais en pleine lumière, l'artiste avait

70 Rebecca Horn : Lumière en prison dans le ventre de la baleine, Hatje Cantz, 2003

71 Fig. #22

72 Jota Castro, Catalogue publié à l'occasion de l'exposition Exposition universelle 1, Palais de Tokyo, Paris Musée, 2005

73 Fig. #23

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aménagé une pénombre ponctuée de sources lumineuses, une manière pour lui d'inciter à une concentration de la perception, de rendre perceptible « la réalité dans sa totalité74 ». L'artiste disposait dans l'espace des matériaux pauvres, éphémères et précaires, issus de la vie quotidienne : des déchets, des rebuts, ainsi que des matériaux organiques comme le pain, le café, le sang et de la laque des Indes. Un vieux sofa éreinté rythmait aussi l'espace. En désordre, ces éléments jonchaient le sol qui apparaissait dès lors comme abandonné. Envisageant l'art comme un processus dynamique, Arthur Barrio récuse en effet « le sens d'objet fini, statique et immuable de l'oeuvre d'art pour l'envisager comme action.75 » Son refus de l'oeuvre d'art comme matérialité fixe profite en ce sens à la mise en place d'ambiance en lien direct et immédiat avec la vie. La durée de l'installation était ainsi calquée de l'ordre de la durée du vivant, de ses différents états jusqu'à l'abandon, la disparition, puisque rien n'est récupérable. L'esthétique de non-forme de « Réflexion...(s)... » usait donc du perpétuel développement. Évolutive, l'oeuvre incorporait les flux de vie, rompait le calme du matériel monolithique stable. Il concrétisait en cela son ambition, « réveiller le sensoriel de son sommeil rationnel.76 » Détournant l'art de la domination de l'image, son installation amenait le spectateur vers le royaume de l'expérience. Et ce désordre suscitait chez lui le vacillement de ces perceptions.

« C'est une immense jouissance que d'élire domicile dans le nombre, dans l'ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l'infini.77 »

Instabilité des formes du monde, l'installation d'Arthur Barrio disait tout le monde en état de chancellement, la réalité en état d'inconstance, la relativité de toute permanence. L'impression de chaos qui en ressortait était la tentative d'exprimer cette finitude qui serait non une fin mais une impossibilité de conclure, l'inachèvement laissant ouvert le champ de l'interprétation. Souhaitant « éviter toute pensée architecturale78 », Arthur Barrio restituait au Palais de Tokyo le momentané. Comme les idées qui se développent jusqu'à l'épuisement de leurs propres logiques et dynamiques, son installation avait aussi un caractère indéterminé, imprévisible et

74 Cité dans Ligia Canongia , " Barrio Dynamite ", Artur Barrio, Modo Ediçoes, 2002

75 Léa Gauthier, Arthur Barrio, impropre à la consommation humaine, Frac Provence-Alpes-Côte d'Azur, 2005

76 Joao Fernandes, Arthur Barrio : Records, Fundaçao de Serralves, 2000

77 Charles Baudelaire, Curiosités esthétiques, 1868

78 Léa Gauthier, Op. cit.

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éphémère. En constante évolution et transformation, l'artiste construisait un univers peuplé de signes et de symboles qui rendait compte de la psyché, capturait le spectateur pour l'immerger dans une perception sensorielle, rendant ainsi compte des fluctuations de temps, de son impermanence. Marinetti exprime d'ailleurs bien cette incapacité à pouvoir explicitement rendre compte de l'expérience intérieure, en cela que la réalité envahit l'être de fragments déconnectés, de discordances embrouillées :

« Dans la vie quotidienne, nous ne sommes en général confrontés qu'à des éclairs d'argumentation, rendus momentanés par notre expérience moderne (...) et qui restent dans nos esprits comme une symphonie fragmentaire et dynamique de gestes, de mots, de lumières et de sons.79 »

Tenant d'un art qui fait du corps le centre de la production artistique, Arthur Barrio mettait en avant l'expérience sur l'image et l'objet. L'oeuvre se situait ainsi plus dans la réception, dans l'espace mental suscité que dans la disposition cacophonique de son installation.

En 2003, Mathieu Briand créait un environnement80 dans l'espace d'une alcôve du Palais de Tokyo. Rendu hermétique par l'adjonction d'une porte étanche, le spectateur était invité à se déchausser avant d'y pénétrer. Guidé par une fréquence continue d'onde sonore, il pénétrait dans une atmosphère moite. Quatre tonnes de talc, déversées par l'artiste, constituait un sol fait de particules si fines que le tapis de poudre blanche devenait nuage au moindre pas. De plus, la pièce était plongée dans une atmosphère sombre, seulement éclairée par un laser vert qui offrait à dix centimètres du sol, une source de lumière vacillante. Un bassin d'eau salée rythmait l'espace en son centre, au fond duquel l'eau était si sombre que le spectateur pouvait croire nager dans le néant. Marchant pied nu sur ce sol instable, l'immersion dans cette plastique virtuelle donnait forme à un moment suspendu. Provoqué par les pas, le voile blanchâtre du talc redéfinissait les enveloppes corporelles et estompait les contours de l'espace, faisait voler en éclats l'illusion des contours

79 Filippo Tommaso Marinetti, Le théâtre futuriste synthétique, 1915

80 Fig. #24

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définis de notre corps. Comme un ensemble d'atome qui s'assemblerait avant de se séparait, l'installation illustrait bien le principe cher à Merleau-Ponty de l'appartenance du corps à l'espace et de la notion de corps comme composant sensible de l'espace.81 Car l'artiste parvenait à mettre au point une unité éclectique fait d'images fugaces et de stabilité éphémère. Et utilisant l'image mouvante des projections pour représenter le fugitif, Mathieu Briand faisait un lien entre le tangible et l'insaisissable, le mental et les sens.

Le titre de son exposition, Le Monde flottant, est d'ailleurs la traduction française du concept japonais d'ukiyo-e, littéralement le « royaume de l'éphémère ». À ce propos, l'éphémère À ou l'idée d'impermanence - est au coté des notions d'impersonnalité et d'insatisfaction, un concept central du bouddhisme. Cette religion considère en effet l'éphémère comme un aspect immuable de la réalité, parce que la vie est précisément bâtie sur « une concomitance de causes et d'états transitoires voués à disparaître en même temps que les effets produits.82 » Mettant l'accent sur « les mécanismes et les processus du changement83 », l'oeuvre instaurait un rapport ambivalent entre le sujet, le spectateur et l'environnement qu'il pénétrait entièrement. Sans direction univoque, l'installation s'articulait autour de la multiplicité des positions, semblait vouloir susciter le sentiment d'errance, montrait l'individu comme un être décomposé. Et le spectateur retrouvait bien dans l'installation du Palais de Tokyo tout le lexique de l'impermanence bouddhique, dans toute l'ampleur de son champ sémantique : glisser, échapper, voguer, inconstance. Intégrant la structure, le visiteur devait supporter la donnée temporelle qu'elle lui imposait. Induit intuitivement dans l'installation, le spectateur retrouvait la quatrième dimension de l'art, le temps. Provoquant chez lui des « images-flux84 », « ce temps non pulsé, ce temps flottant, ce temps libéré de la mesure régulière ou irrégulière85 ».

81 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1990

82 Nicoletta Celli, Le Bouddhisme, fondements, pratiques, civilisations, Hazan, 2007

83 Isabelle Caparros & Fabienne Vernet, « Les atomes qui constituent la peinture ne sont pas rouges » in Mathieu Briand, Op. cit.

84 Christine Buci-Glucksmann, Esthétique de l'éphémère, Galilée, 2003

85 Gilles Deleuze, Conférence sur le temps, IRCAM, 1978

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II.1.c À Le temps contrôlé

Lors de la session Cellard Door (févr.-avr. 2008), l'ensemble des espaces d'expositions du Palais de Tokyo était confiés à l'artiste français Loris Gréaud. Il y incorporait une temporalité propre. De midi à quatorze heures, puis de vingt heures à minuit, l'exposition était éteinte, même si elle restait libre d'accès pour les visiteurs. L'éclairage était réduit au minimum, les vidéos étaient en bernes. L'exposition n'était réellement fonctionnelle que de quatorze à vingt heures. Allumée par un technicien, l'activation de l'exposition faisait partie du temps de la visite. À la cime d'une forêt d'arbre calcinés éparpillée sous la verrière, Loris Gréaud accrochait une sphère gigantesque, aux couleurs changeantes comme translucides. Intitulé Forêt de poudre à canon (bulle)86, cette pièce divisait cet espace d'exposition en une seconde temporalité, rythmant l'espace dans la durée. En fonction du moment où le spectateur la regardait, la sphère se dilatait jusqu'à sa disparition lumineuse, avant de commencer le cycle d'un nouveau départ. Dans l'obscurité, cette sphère était en perpétuelle fluctuation, métamorphosant l'endroit à chaque pas, de l'ombre à la lumière. Son cartel était lui-même présenté sur un petit pupitre qui s'allumait et s'éteignait en intermittence. Semblable à une respiration lente et tranquille, cet éclairage en mouvement obligeait le spectateur à patienter afin de pouvoir lire correctement les indications qu'il contenait. Ainsi l'exposition produisait « non pas un temps différent, mais des différentiels temporels modulables selon l'emploi qu'en fera le visiteur.87 » Elle rappelait en cela l'installation d'Olafur Eliasson à la Tate Moderne. En 2003, l'artiste danois présentait à Londres The Weather Project, une énorme forme sphérique qui rappelaient les variations du soleil, du jaune brûlant à l'orange crépusculaire. Ces deux installations rendaient compte des instabilités lumineuses, des variations perpétuelles qui agissent dans la nature.

Visible uniquement de nuit, l'exposition de Tobias Rehberger, sous le premier directorat du Palais de Tokyo, adoptait aussi une temporalité propre. Intitulé Night Shift, elle ouvrait au coucher de soleil pour ensuite fermer à minuit. Normalement définie comme une entité stable, l'exposition adoptait une dynamique en calque sur l'écoulement du temps. Ces horaires d'ouverture spécifiques la liaient au cycle

86 Fig. #25

87 Marc-Olivier Wahler, « Interview avec Loris Gréaud » in Palais 05, 2008

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naturel du jour et de la nuit. Les variations de lumière formaient ici aussi l'élément fondamental de cette exposition nocturne. Constamment changeantes, les installations, présentées sous l'espace de la verrière, étaient équipées de dispositifs phosphorescents qui proposaient une autre perception du temps et de l'espace. S'inspirant du crépuscule avec lequel s'ouvrait chaque jour l'exposition, les installations gagnaient en intensité lumineuse à mesure que la nuit se faisait plus sombre. Elles rendaient compte d'une forte oscillation perceptible, en usant de ce temps cinématographique que nous évoquions plus haut. Tobias Rehberger présentait aussi une vidéo représentant le ciel parisien et ces variations en accéléré. Filmée en point fixe depuis le parvis du Trocadéro, cette vidéo montrait le demi-cercle de la fuite infinie du soleil.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus