II. Le temps manipulé ou comment rendre compte de
son instabilité
Tentant de restituer les dynamiques inhérentes aux
fluctuations du vivant, les oeuvres présentées ici racontent le
chancellement du monde, l'inconstance de la réalité. Pour se
rendre intelligibles, elles appuient leurs rhétoriques sur la
durée, qu'elles incarnent ou qu'elles représentent. Pour ces
oeuvres, faire du temps et de son impermanence un objet d'art en marche
fonctionne comme une obsession : incorporer la sensation du temps, la vivre, la
communiquer au spectateur. Mais comment signifier ce flux ininterrompu de la
temporalité ? Alors que dans le chapitre précédent, les
artistes parvenaient à incorporer dans l'objet, le flux inhérent
à la marche du temps, le corpus ici présenté montre des
oeuvres à la matérialité statique, mais qui parvienne dans
leur contenu, à signifier un déplacement temporel. Mettant en
place des environnements dans lesquels le spectateur peut
pénétrer, certains artistes usent de ce relatif isolement pour
lui faire passer la succession de momentanée. (chap.1) Résurgence
de la peinture classique, des artistes utilisent le thème de la
vanité, dont ils sculptent les motifs. Posées dans l'espace, ces
pièces rendent compte de la fuite inéluctable du temps. (chap.2)
Et si la fin est certaine, certains travaux entrevoient la mort pour ce qu'elle
invalide, la vie entière. (chap.3)
II.1 Des fluctuations de la pensée
II.1.a - La décomposition du mouvement et la
culture cinématographique
À la fin du XIXe siècle, les
avancées techniques de la photographie permettent la restitution
objective du mouvement, notamment par les chronophotographies d'Etienne Jules
Marey. En shootant rapprochées, des actions en train d'être
réalisées, son fusil photographique permet à l'image
d'émaner saccadé, les différentes phases constituantes de
son mouvement. Le présentant sous les différents aspects qui
forme son unité vagabonde, il restituait quasi scientifiquement le
migratoire. Exposée à l'occasion de l'exposition collective
Dynasty, l'oeuvre de Bettina Samson rappelle cette conquête
scientifique du visible. Avec Warren, 1/4 de
36
seconde en Cinémascope63, l'artiste
présentait sept bustes alignés sur une rampe. Rappelant les
photogrammes d'une scène de film, elle présentait
décomposé, un mouvement qui rappelait du même coup,
l'idée d'une action furtive.
La chronophotographie influence la peinture du XIXe
siècle. Mais alors que la photographie reste emprunte d'un certain
académisme, notamment dans la composition, les peintres redoublent de
stratagème pour tenter de représenter le mouvement que la machine
a rendu perceptible. C'est la raison d'être de l'impressionnisme.
Synthétisant cette représentation du fugitif, les mouvements
d'avant-gardes du début du XXe siècle incorporeront
ensuite dans leurs travaux, le cinéma naissant. En tant que nouveau
langage, le cinéma offre à la modernité la capacité
d'enregistrer le mouvement. La première oeuvre d'art qui en tire les
conséquences, c'est la Roue de bicyclette de Marcel Duchamp,
« la première oeuvre cinématographique en son
principe64 », c'est à dire la première qui, sans
en imiter les formes, tire parti de ce nouveau langage. En faisant tourner la
roue posée sur un tabouret, le spectateur instaure, par le biais de la
réalité elle-même, le mouvement. La culture
cinématographique ouvre ainsi la voie à une approche processuelle
du déplacement dans l'art. Et l'influence de l'art
cinématographique sur l'art contemporain reste aujourd'hui un point
capital. Les oeuvres présentées dans cette partie ont en effet
toutes en commun d'exprimer leur contenu dans le temps. Présentée
pour l'exposition Une seconde, une année, l'oeuvre de Zilvinas
Kempinas est un ensemble de ventilateur qui propulse en apesanteur le
négatif d'un film. Intitulé Flying Tape,65
cette bande magnétique de plusieurs mètres flottent dans les
airs, ses ondoiements comme autant d'actes furtifs qui dansent sur le vide.
Chacune de ses oscillations rappelle le « matérialisme
aérien » dont parlait Gaston Bachelard, la restitution du
mouvement, de ces chutes et de ces hauts, en étant une partie
prenante.
63 Fig. #19
64 Nicolas Bourriaud, Formes de
vie, Denoël, 1999
65 Fig. #20
37
II.1.b - Mécanismes cérébraux
dévoilés
L'être est constitué par des flux incessants de
processus physiques et mentaux qui changent continuellement. Toutes les choses
sont transitoires, il n'existe aucune entité stable, d'édifice
mental durable. Comment rendre plastiquement compte de ces flots d'états
d'âmes, de l'impermanence des fluctuations qui nous constitue ? La
réalisation à partir des années 1960 d'«
environnements66 », des sculptures tridimensionnelles où
le spectateur peut entrer, est l'occasion pour les artistes de mettre au jour
des oeuvres qui proposent des atmosphères. L'inscription de ces
environnements dans un volume important leur permet de susciter plus que de ne
signifier, de rester ouvert à une multitude d'interactions et
d'interprétations possible. Le premier directorat du Palais de
Tokyo67 a proposé quatre installations qui proposaient
chacune à leurs façons une cartographie instable et
évolutive du mentale de l'être. Ses oeuvres avaient toutes en
commun de ne pas essayer de toucher à la perfection, mais de rendre
intelligible les fluctuations de la pensée.
Les oeuvres de Rebecca Horn sont marquées par la
culture cinématographique que nous évoquions
précédemment. Son oeuvre est en effet fortement marquée
par l'idée de processus, la plupart de ces pièces étant
des machines à actionner :
« Mes travaux ont plus à voir avec la
littérature et le cinéma qu'avec les autres arts, plus avec des
séquences d'images et de mouvements qu'avec la peinture.68
»
Rebecca Horn installait en 2003 dans l'espace d'une des
alcôves du Palais de Tokyo une installation gigantesque,
Lumière en prison dans le ventre de la baleine.69
Cloisonné depuis l'extérieur, le spectateur qui venait
à y rentrer découvrait une pièce sombre. En son centre, il
pouvait voir à une trentaine de centimètres du sol Pendulum
with Black Bath (Pendule avec bain noir), une cuve en aluminium contenant
de l'eau noire. Accrochée au plafond, une perche électrique
oscillait dans
66 Le premier à utiliser cette expression est Edward
Kienholz
67 Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans,
2002-2006
68 Entretien de Germano Celant avec Rebecca Horn,
in Rebecca Horn, publié à l'occasion de l'exposition
Rebecca Horn, musée de Grenoble, 1995
69 Fig. #21
38
le liquide, laissant la trace d'un cercle, la
représentation d'une pendule à son extrémité. Sur
les murs, des projecteurs vidéos faisaient danser des extraits de
poèmes de Jacques Roubaud, tel que « éphémère,
sans épaisseur mais sphérique70 », ainsi que
d'autres poèmes, écrits par l'artiste elle-même. Entre ces
halos lumineux d'encre nocturne et le bac de résine au sol survenait un
champ de tension dont les visiteurs devenaient l'axe mouvant. Ils
accomplissaient ainsi une ronde, danse qui a de tout temps symbolisé le
renouveau. En tournant la tête vers les auréoles, un mouvement
d'ellipse recréait l'instabilité de la marche de la
pensée, mesurée par le pendulier.
Pour son exposition personnelle au Palais de Tokyo,
Exposition universelle 1, Jota Castro présentait
Brains71 (2005). L'artiste assemblait bout à bout
des tourniquets, similaires à ceux du métro, auxquels avait
été adjoint, comme une cage de sécurité, un enclos
de barreaux où le spectateur allait prisonnier. Une fois
inséré, il devait enclencher ses portes pour se permettre
d'avancer. L'installation mettait dans le monde sensible les formes
d'allégorie des processus du raisonnement. Comme une idée, chaque
sas permettait d'accéder à un autre, mais la progression se
faisant, empêcher de retourner au point de départ. L'artiste
tentait ici de faire un parallèle avec les processus de la
pensée, bâtissait l'oeuvre sur les étapes de la
créativité. Symbolisant « toutes les limites,
frontières et obstacles qu'il faut dépasser pour créer
» l'installation souhaitait être « la métaphore du
cerveau au cours d'une psychanalyse.72 »
La perpétuelle transformation de la marche de la
pensée trouve aussi dans l'installation d'Arthur Barrio un honnête
écho. En 2005, à l'occasion de l'année du Brésil en
France, le Palais de Tokyo présentait le travail de cet artiste
brésilien. Intitulé
Réflexion...(s)...73 l'exposition prenait place dans
l'espace d'une alcôve. Coupé de l'extérieur par un rideau
noir opaque, le spectateur devait franchir ce perron pour littéralement
rentrer dans l'installation. Calfeutré, l'espace d'exposition
émanait sombre, une atmosphère de chaos. Jamais en pleine
lumière, l'artiste avait
70 Rebecca Horn : Lumière en prison dans le
ventre de la baleine, Hatje Cantz, 2003
71 Fig. #22
72 Jota Castro, Catalogue publié
à l'occasion de l'exposition Exposition universelle 1, Palais
de Tokyo, Paris Musée, 2005
73 Fig. #23
39
aménagé une pénombre ponctuée de
sources lumineuses, une manière pour lui d'inciter à une
concentration de la perception, de rendre perceptible « la
réalité dans sa totalité74 ». L'artiste
disposait dans l'espace des matériaux pauvres,
éphémères et précaires, issus de la vie quotidienne
: des déchets, des rebuts, ainsi que des matériaux organiques
comme le pain, le café, le sang et de la laque des Indes. Un vieux sofa
éreinté rythmait aussi l'espace. En désordre, ces
éléments jonchaient le sol qui apparaissait dès lors comme
abandonné. Envisageant l'art comme un processus dynamique, Arthur Barrio
récuse en effet « le sens d'objet fini, statique et immuable de
l'oeuvre d'art pour l'envisager comme action.75 » Son refus de
l'oeuvre d'art comme matérialité fixe profite en ce sens à
la mise en place d'ambiance en lien direct et immédiat avec la vie. La
durée de l'installation était ainsi calquée de l'ordre de
la durée du vivant, de ses différents états jusqu'à
l'abandon, la disparition, puisque rien n'est récupérable.
L'esthétique de non-forme de « Réflexion...(s)... »
usait donc du perpétuel développement. Évolutive,
l'oeuvre incorporait les flux de vie, rompait le calme du matériel
monolithique stable. Il concrétisait en cela son ambition, «
réveiller le sensoriel de son sommeil rationnel.76 »
Détournant l'art de la domination de l'image, son installation amenait
le spectateur vers le royaume de l'expérience. Et ce désordre
suscitait chez lui le vacillement de ces perceptions.
« C'est une immense jouissance que d'élire domicile
dans le nombre, dans l'ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et
l'infini.77 »
Instabilité des formes du monde, l'installation
d'Arthur Barrio disait tout le monde en état de chancellement, la
réalité en état d'inconstance, la relativité de
toute permanence. L'impression de chaos qui en ressortait était la
tentative d'exprimer cette finitude qui serait non une fin mais une
impossibilité de conclure, l'inachèvement laissant ouvert le
champ de l'interprétation. Souhaitant « éviter toute
pensée architecturale78 », Arthur Barrio restituait au
Palais de Tokyo le momentané. Comme les idées qui se
développent jusqu'à l'épuisement de leurs propres logiques
et dynamiques, son installation avait aussi un caractère
indéterminé, imprévisible et
74 Cité dans Ligia Canongia , " Barrio Dynamite
", Artur Barrio, Modo Ediçoes, 2002
75 Léa Gauthier, Arthur Barrio, impropre
à la consommation humaine, Frac Provence-Alpes-Côte d'Azur,
2005
76 Joao Fernandes, Arthur Barrio : Records,
Fundaçao de Serralves, 2000
77 Charles Baudelaire, Curiosités
esthétiques, 1868
78 Léa Gauthier, Op. cit.
40
éphémère. En constante évolution
et transformation, l'artiste construisait un univers peuplé de signes et
de symboles qui rendait compte de la psyché, capturait le spectateur
pour l'immerger dans une perception sensorielle, rendant ainsi compte des
fluctuations de temps, de son impermanence. Marinetti exprime d'ailleurs bien
cette incapacité à pouvoir explicitement rendre compte de
l'expérience intérieure, en cela que la réalité
envahit l'être de fragments déconnectés, de discordances
embrouillées :
« Dans la vie quotidienne, nous ne sommes en
général confrontés qu'à des éclairs
d'argumentation, rendus momentanés par notre expérience moderne
(...) et qui restent dans nos esprits comme une symphonie fragmentaire et
dynamique de gestes, de mots, de lumières et de sons.79
»
Tenant d'un art qui fait du corps le centre de la production
artistique, Arthur Barrio mettait en avant l'expérience sur l'image et
l'objet. L'oeuvre se situait ainsi plus dans la réception, dans l'espace
mental suscité que dans la disposition cacophonique de son
installation.
En 2003, Mathieu Briand créait un
environnement80 dans l'espace d'une alcôve du Palais de Tokyo.
Rendu hermétique par l'adjonction d'une porte étanche, le
spectateur était invité à se déchausser avant d'y
pénétrer. Guidé par une fréquence continue d'onde
sonore, il pénétrait dans une atmosphère moite. Quatre
tonnes de talc, déversées par l'artiste, constituait un sol fait
de particules si fines que le tapis de poudre blanche devenait nuage au moindre
pas. De plus, la pièce était plongée dans une
atmosphère sombre, seulement éclairée par un laser vert
qui offrait à dix centimètres du sol, une source de
lumière vacillante. Un bassin d'eau salée rythmait l'espace en
son centre, au fond duquel l'eau était si sombre que le spectateur
pouvait croire nager dans le néant. Marchant pied nu sur ce sol
instable, l'immersion dans cette plastique virtuelle donnait forme à un
moment suspendu. Provoqué par les pas, le voile blanchâtre du talc
redéfinissait les enveloppes corporelles et estompait les contours de
l'espace, faisait voler en éclats l'illusion des contours
79 Filippo Tommaso Marinetti, Le
théâtre futuriste synthétique, 1915
80 Fig. #24
41
définis de notre corps. Comme un ensemble d'atome qui
s'assemblerait avant de se séparait, l'installation illustrait bien le
principe cher à Merleau-Ponty de l'appartenance du corps à
l'espace et de la notion de corps comme composant sensible de
l'espace.81 Car l'artiste parvenait à mettre au point une
unité éclectique fait d'images fugaces et de stabilité
éphémère. Et utilisant l'image mouvante des projections
pour représenter le fugitif, Mathieu Briand faisait un lien entre le
tangible et l'insaisissable, le mental et les sens.
Le titre de son exposition, Le Monde flottant, est
d'ailleurs la traduction française du concept japonais d'ukiyo-e,
littéralement le « royaume de l'éphémère
». À ce propos, l'éphémère À ou
l'idée d'impermanence - est au coté des notions
d'impersonnalité et d'insatisfaction, un concept central du bouddhisme.
Cette religion considère en effet l'éphémère comme
un aspect immuable de la réalité, parce que la vie est
précisément bâtie sur « une concomitance de causes et
d'états transitoires voués à disparaître en
même temps que les effets produits.82 » Mettant l'accent
sur « les mécanismes et les processus du changement83
», l'oeuvre instaurait un rapport ambivalent entre le sujet, le spectateur
et l'environnement qu'il pénétrait entièrement. Sans
direction univoque, l'installation s'articulait autour de la
multiplicité des positions, semblait vouloir susciter le sentiment
d'errance, montrait l'individu comme un être décomposé. Et
le spectateur retrouvait bien dans l'installation du Palais de Tokyo tout le
lexique de l'impermanence bouddhique, dans toute l'ampleur de son champ
sémantique : glisser, échapper, voguer, inconstance.
Intégrant la structure, le visiteur devait supporter la donnée
temporelle qu'elle lui imposait. Induit intuitivement dans l'installation, le
spectateur retrouvait la quatrième dimension de l'art, le temps.
Provoquant chez lui des « images-flux84 », « ce temps
non pulsé, ce temps flottant, ce temps libéré de la mesure
régulière ou irrégulière85 ».
81 Maurice Merleau-Ponty,
Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1990
82 Nicoletta Celli, Le Bouddhisme,
fondements, pratiques, civilisations, Hazan, 2007
83 Isabelle Caparros &
Fabienne Vernet, « Les atomes qui constituent la peinture ne sont pas
rouges » in Mathieu Briand, Op. cit.
84 Christine Buci-Glucksmann,
Esthétique de l'éphémère, Galilée,
2003
85 Gilles Deleuze,
Conférence sur le temps, IRCAM, 1978
42
II.1.c À Le temps contrôlé
Lors de la session Cellard Door (févr.-avr.
2008), l'ensemble des espaces d'expositions du Palais de Tokyo était
confiés à l'artiste français Loris Gréaud. Il y
incorporait une temporalité propre. De midi à quatorze heures,
puis de vingt heures à minuit, l'exposition était éteinte,
même si elle restait libre d'accès pour les visiteurs.
L'éclairage était réduit au minimum, les vidéos
étaient en bernes. L'exposition n'était réellement
fonctionnelle que de quatorze à vingt heures. Allumée par un
technicien, l'activation de l'exposition faisait partie du temps de la visite.
À la cime d'une forêt d'arbre calcinés
éparpillée sous la verrière, Loris Gréaud
accrochait une sphère gigantesque, aux couleurs changeantes comme
translucides. Intitulé Forêt de poudre à canon
(bulle)86, cette pièce divisait cet espace d'exposition
en une seconde temporalité, rythmant l'espace dans la durée. En
fonction du moment où le spectateur la regardait, la sphère se
dilatait jusqu'à sa disparition lumineuse, avant de commencer le cycle
d'un nouveau départ. Dans l'obscurité, cette sphère
était en perpétuelle fluctuation, métamorphosant l'endroit
à chaque pas, de l'ombre à la lumière. Son cartel
était lui-même présenté sur un petit pupitre qui
s'allumait et s'éteignait en intermittence. Semblable à une
respiration lente et tranquille, cet éclairage en mouvement obligeait le
spectateur à patienter afin de pouvoir lire correctement les indications
qu'il contenait. Ainsi l'exposition produisait « non pas un temps
différent, mais des différentiels temporels modulables selon
l'emploi qu'en fera le visiteur.87 » Elle rappelait en cela
l'installation d'Olafur Eliasson à la Tate Moderne. En 2003, l'artiste
danois présentait à Londres The Weather Project, une
énorme forme sphérique qui rappelaient les variations du soleil,
du jaune brûlant à l'orange crépusculaire. Ces deux
installations rendaient compte des instabilités lumineuses, des
variations perpétuelles qui agissent dans la nature.
Visible uniquement de nuit, l'exposition de Tobias Rehberger,
sous le premier directorat du Palais de Tokyo, adoptait aussi une
temporalité propre. Intitulé Night Shift, elle ouvrait
au coucher de soleil pour ensuite fermer à minuit. Normalement
définie comme une entité stable, l'exposition adoptait une
dynamique en calque sur l'écoulement du temps. Ces horaires d'ouverture
spécifiques la liaient au cycle
86 Fig. #25
87 Marc-Olivier Wahler, «
Interview avec Loris Gréaud » in Palais 05, 2008
43
naturel du jour et de la nuit. Les variations de
lumière formaient ici aussi l'élément fondamental de cette
exposition nocturne. Constamment changeantes, les installations,
présentées sous l'espace de la verrière, étaient
équipées de dispositifs phosphorescents qui proposaient une autre
perception du temps et de l'espace. S'inspirant du crépuscule avec
lequel s'ouvrait chaque jour l'exposition, les installations gagnaient en
intensité lumineuse à mesure que la nuit se faisait plus sombre.
Elles rendaient compte d'une forte oscillation perceptible, en usant de ce
temps cinématographique que nous évoquions plus haut. Tobias
Rehberger présentait aussi une vidéo représentant le ciel
parisien et ces variations en accéléré. Filmée en
point fixe depuis le parvis du Trocadéro, cette vidéo montrait le
demi-cercle de la fuite infinie du soleil.
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