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La marque de l'impermanence dans les expositions du palais de Tokyo

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par Thomas Bizien
Université Paris III - Sorbonne Nouvelle - Master 1 de médiation culturelle 2010
  

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ANNEXE 1

L'IDEE D'IMPERMANENCE DANS L'ART
APPERCU HISTORIQUE

Dans l'art, l'expression du fugitif, de l'éphémère, exprime la métamorphose plastique du rapport qu'entretient l'artiste à sa propre impermanence. Puisque la sensation d'impermanence présuppose la prise de conscience par l'artiste de la nature mortelle des êtres et des choses, l'idée d'éphémère traverse l'histoire de l'art. Il s'agit ici d'en donner un bref aperçu, afin de démontrer l'importance de cette idée, afin aussi de poser les bases théoriques sur lesquelles repose ce mémoire. Ce retour historique veut aussi tendre à prouver, alors que Marc-Olivier Wahler affirme vouloir « tourner le dos à l'histoire de l'art170 », qu'une analyse de la programmation permet, au niveau du champ sémantique des oeuvres exposées, de montrer une filiation entre création contemporaine et programme esthétique moderne.

Comme toutes les choses sensibles, les belles choses ne durent pas. Lorsque Socrate discute avec le sophiste Hippias d'Elis, le premier lui demande ce qu'est la beauté, et Hippias de répondre, « Tu sauras donc, puisqu'il faut te dire la vérité, que le beau, c'est une belle jeune fille.171» La notion du beau est ici reliée à une apparition fugitive, à une image convenant à un lieu et à un moment déterminé, qui disparaîtra inéluctablement l'instant suivant. Il est aussi intéressant de noter la réticence de certains philosophes antiques à laisser une trace matérielle. Socrate, Diogène, Antisthène n'ont jamais formulé leurs pensés par écrit. Dans l'intellect, elles sont en permanence réactualisées par les expériences sensibles. La mise en pratique de ces idées prend place à un moment et dans un lieu déterminé.

A l'opposé, la notion du beau classique repose sur une série de principes esthétiques immuables qui recouvrent des idées normatives que l'art aurait pour tache de décliner. En ce sens, la toile représente un lieu fermé où la beauté peut régner car figée, elle n'a plus prises aux circonstances du temps. Dans cette optique,

170 « Marc-Olivier Wahler. L'art contemporain dans son champ élargi », Veronica Da Costa. Revue Mouvement, Juillet À Septembre 2009

171 Platon, Hippias majeur

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il ne saurait y avoir de sens, que par l'entremise d'une trace matérielle durable, sa pérennité étant le gage de sa viabilité.

À partir du XVIIe siècle, notamment grâce aux efforts technologiques qui permettent sa mesure, « s'accentue la perception d'un temps réellement instantané.172 » Ces dires sont confirmés par Jean Starobinski, qui remarque qu'à la même époque, une césure s'opère au niveau des relations qui lient le beau à l'éternel.

« On s'éloigne au XVIIe siècle de la conception d'un temps circulaire ou immobile, pour commencer à imaginer un temps irréversible.173 »

Devant la prise de conscience de la fuite du temps, les artistes commencent à représenter l'éphémère. Une esthétique prend progressivement forme sur ce thème. Goethe, sans pour autant dire que la marque de l'éphémère fasse la beauté, eu l'idée que seul l'éphémère soit porteur du beau :

« Pourquoi suis-je éphémère, ô Zeus ? dit la Beauté Je n'ai fait beau, dit Zeus, que le seul éphémère174 »

Avec l'industrialisation croissante, le chemin de fer qui s'instaure, les mentalités du XIXe siècle commencent à percevoir le temps non plus dans sa linéarité homogène, mais comme une discontinuité fragmentée, comme une succession d'instants à intervalles irréguliers. Un parmi d'autres, le tableau Pluie, vapeur, vitesse (1844) de Turner illustre à merveille la mise en figure mobile du monde. Le temps passe d'une dimension de l'histoire à celle de l'instantané.

En contact avec l'art et les philosophies de l'Extrême-Orient, les artistes européens se retrouvent puis s'inspirent du concept de l'impermanence, présent pour exemple dans le bouddhisme, dont il est l'une des idées clefs. Van Gogh collectionnera des estampes japonaises inspirées par le thème du ukiyo-e, dont la conscience du mouvement ininterrompu forme le clair de son concept spirituel. Magnifiées dans la

172 Heinrich Wölfflin, Réflexions sur l'histoire de l'art, 1940

173 Jean Starobinski, La Mélancolie au miroir, Julliard, 1989

174 Goethe, « L'Amour, la rosée, les fleurs et la jeunesse » in Les Saisons, 1790

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représentation du ressac de vague, ces images offrent une allégorie du temps insaisissable.

À son tour, Baudelaire définit la modernité comme le passage d'un idéal du beau, extérieur à la prise du temps, à un beau impulsif, évolutif et changeant. Est moderne le culte du présent plus que de l'immuable, le culte du transitoire plus que de l'éternel. Le présent rentre dans le champ d'action, l'expression de l'impermanence venant la valoriser. En quête d'honnêteté vis-à-vis du réel, sa restitution s'impose dès lors comme l'un des enjeux de l'esthétique moderniste. Contre le beau normé, Baudelaire célèbre le fugitif et le transitoire. Dans Le peintre de la vie moderne, il loue les esquisses de Constantin Guy, car elles mettent en valeur l'éphémère de l'apparence. Cet article de L'Art romantique permet de faire un rapprochement entre l'expression de l'impermanence et les enjeux modernistes. Le poète écrit :

« La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, la moitié de l'art dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable. [...] Cet élément transitoire, fugitif, dont les métamorphoses sont si fréquentes, vous n'avez pas le droit de le mépriser ou de vous en passer. En le supprimant, vous tomberez forcément dans le vide d'une beauté abstraite et indéfinie.175 »

Les peintres de la seconde moitié du XIXe siècle tentent de capter les changements fugitifs du ciel, les variations lumineuses qu'offrent les différentes heures du jour. Leurs peintures montrent la fugacité de l'instant, l'impermanence du temps. Ainsi, les études de Monet sur la cathédrale de Rouen, comme sa série sur les Nymphéas, révèlent la métamorphose incessante de la réalité, le caractère éphémère et relatif de l'apparence, de sa perception et des certitudes qui y prennent racine.

Les mouvements artistiques du XXe affirment à leur tour la volonté de transfigurer le transitoire, de montrer le mouvement. « Le monde s'est enrichi d'une beauté nouvelle, la beauté de la vitesse » écrit Marinetti en 1909. Le poète promet d'abolir le temps et l'espace et de les remplacer par la vitesse perpétuelle et universelle,

175 Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, 1863

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comme Hippias, d'aimer « la beauté d'une sensation ou d'une émotion en tant qu'elle est unique et destinée à s'évanouir immédiatement.176 »

Marcel Duchamp aborde le problème de la représentation du mouvement, et se sert du cubisme et du futurisme pour créer un art dynamique. Dans son Nu descendant un escalier, il fait fusionner le concept de simultanéité futuriste, la restitution successive d'une action, saccadée comme sortant d'un objectif photographique, et le concept de simultanéité cubiste, qui représente latéralement le sujet, au même moment, des faces et du côté. Picabia proposera d'ailleurs le concept d'« instantanéisme ». Ces recherches trouveront un aboutissement dans la Roue de bicyclette de Duchamp, roue mobile, animée, « qui concrétise son message par le mouvement physique.177 »

Les recherches sur le mouvement, le temps et les changements se font encore plus explicites au tournant des années 1960. La mondialisation entrainant une « culture des flux et des instabilités mondialisées178», ces pratiques accompagnent les bouleversements de la société. L'histoire de l'art du vingtième siècle opérerait ainsi le passage d'une évocation du mouvement à l'utilisation de cette impermanence comme espace d'élaboration de l'oeuvre. En d'autre terme, à l'évocation du temps que privilégie le classicisme, les artistes du )()(e siècle institue un rapport plus concret entre art et temps, y substituant plus volontiers une relation d'expérience. Ces pratiques peuvent êtres regroupés comme suit :

D'un côté, des oeuvres dont la matérialité est empreinte d'instabilité. L'Arte Povera utilise des matériaux pauvres. Le Land Art, les pratiques in situ, inscrivent par le contexte où elles prennent place, les oeuvres dans des exigences de périssabilité. Déplaçant des énormes monticules de terre, Robert Smithson modèlent une spirale dans une crique. À la merci de l'eau, ce symbole de la fuite du temps s'érode inéluctablement.

176 F.T. Marinetto, Manifeste futuriste, Le Figaro, 20 février 1909

177 Pontus Hulten, La liberté substituve ou le mouvement en art, 1955

178 Christine Buci-Glucksmann, Esthétique de l'éphémère, Galilée, 2003

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De l'autre, dans la ligne sensible des performances dadaïstes d'Hugo Ball au Cabaret Voltaire, Nicolas Bourriaud nomme « art de l'attitude179 » ces interventions en prises directes avec le réel. Les performances interagissent dans le temps, prenant acte dans l'instant. Les happenings des actionnistes viennois, le mouvement Fluxus, le Body Art, inscrivent leurs pratiques dans l'éphémère, pour annuler les barrières qui séparent l'art de la vie. En exemple, John Cage s'accapare de la philosophie Zen. Lui rendant hommage, l'exposition Rolywholyover, organisée en 1995 au Gugghenheim Museum montrait les aboutissants de cette pratique. Pour rendre l'insaisissable, l'exposition changeait d'apparence chaque nouvelles journées.

Il ne faut cependant pas perdre de vue, qu'un art de l'éphémère À un art où les oeuvres déploient dans leur autonomie, une action, un mouvement À n'a pu être rendu possible que par le développement des techniques permettant de le documenter. L'essor de la photographie, de la vidéo et des captations sonores ont permis, en enregistrant ses différentes phases de mutations, de rendre perceptible l'ensemble du cycle de vie de l'oeuvre. À la manière du tableau, objet fixe nécessaire aux impressionnistes pour exprimer le furtif, ces pratiques ont besoin d'archive pour exister.

« La prise en compte du caractère éphémère des choses, ainsi que le souci de les sauvegarder pour l'éternité, est un des principaux moteurs de l'allégorie.180 »

Puisque des moyens techniques cherchent à conserver dans des formes durables ses formes impermanentes, les oeuvres qui jouent sur l'éphémère sont remplies de paradoxe. En soi, cette documentation a permis d'accepter progressivement l'idée et la réalisation d'une oeuvre éphémère. Ne sont plus liées, la valeur et la persistance dans le temps, de sorte que le caractère éphémère de l'oeuvre d'art n'a plus la plus centrale importance.

179 Nicolas Bourriaud, Formes de vie, op. cit.

180 Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand, Flammarion, Paris, 1985

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