Accord-cadre d'Addis Abeba. Analyse de l'incidence sur la RDC six ans après.par Modeste Keta ibutshi Université Nationale Pédagogique - Licence 2018 |
III.2.3. Les engagements des pays de la région et le mécanisme du suivi.a) Le respect des engagements : question des rapports réels de forces Les huit engagements renouvelés des pays de la Région portent sur le respect des principes du droit international concernant la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États, le respect de la souveraineté nationale et de l'intégrité du territoire, la coopération judiciaire etc. Tous ces principes, les États de la Région y ont déjà souscrit non seulement de par leur adhésion aux organisations internationales ou régionales telles que l'ONU, l'UA, la CIRGL, mais aussi par la signature de nombreux accords de paix avec la RDC. On n'aurait donc pas du leur demandé de s'engager à les respecter, car cela est supposé acquis. La question qui se pose est celle de savoir pourquoi ils se permettent d'y déroger dans leurs relations et leur politique envers la RDC, même lorsque des accords dans ce sens existent et ont été signés. La réponse se trouve dans une des pratiques courantes dans les relations internationales. La société internationale est fondée sur le principe de la souveraineté nationale. Formellement, tous les gouvernements jouissent d'une voix égale dans le concert des nations. Conformément à l'article 2 de la Charte de l'ONU, ils sont libres d'agir de manière indépendante dans les domaines de leur politique interne ou de leurs relations extérieures. Mais dans la pratique, la capacité des États à exercer cette souveraineté varie considérablement en fonction des rapports réels de force sur le terrain. Les États diffèrent les uns des autres par la nature et la grandeur de leur territoire, par leur position géographique, par leur importance démographique, par l'importance de leur force militaire, et par leur capacité d'accéder aux ressources naturelles, par leur gouvernance et leur cohésion nationale. La scène internationale présente également une forte hétérogénéité économique et sociale, de la plus grande opulence à la pauvreté la plus extrême. Ces disparités n'apparaissent pas seulement dans les comparaisons entre les États, mais à l'intérieur des sociétés nationales. Elles exacerbent les conflits entre les gouvernements, entre les nationalités et les communautés ethniques qui se disputent la répartition des ressources économiques/ Elles déterminent des conceptions différentes de la politique internationale, rendant impossible ce minimum de convergence nécessaire à l'instauration d'un ordre stable et légitime. Les relations internationales sont enfin marquées par de grandes fractures idéologiques et culturelles. Cela marque la politique intérieure et extérieure des États. C'est ainsi que le parlement rwandais propage l'idée fausse selon laquelle le Kivu a toujours appartenu au Rwanda et soutient qu'il incombe à ce dernier d'assurer la protection des « Rwandophones » qui seraient persécutés en RDC. Or ces derniers sont et se reconnaissent congolais et ne se sentent aucunement concernés par les propos et les visées expansionnistes et hégémoniques de Kigali. Ils ne confondent pas nationalité et le fait de parler une langue. En de nombreux endroits de la frontière congolaise, des congolais ont en partage la même langue que leurs voisins des pays limitrophes, sans que cela prête à une quelconque confusion de nationalité ou à une exploitation subversive et cynique. Bref, la politique extérieure d'un État est toujours le reflet et le prolongement de sa politique intérieure. La RDC devrait en prendre la mesure. En effet, il n'y a pas de dissuasion diplomatique, sans dissuasion militaire. Il n'y a pas de diplomatie de puissance ou même d'influence, sans cohésion sociale interne et consensus national solides. Il n'y a pas de cohésion nationale sans une juste redistribution des richesses nationales. Les dirigeants politiques ne peuvent attendre ou exiger des sacrifices à un peuple auquel ils n'assurent pas un minimum de bien-être socioéconomique ou qu'ils excluent du partage des richesses pays. La faiblesse de la RDC est donc avant tout interne. Tant que l'État congolais sera faible, ses voisins ne se sentiront pas en devoir de le respecter et d'honorer leurs engagements à son égard. C'est ce qui s'est passé avec tous les accords de paix antérieurement signés et qui risque de se passer avec l'accord cadre de 24 février 2013. Négocier en position de faiblesse c'est s'exposer à la capitulation, sinon tout simplement, à la trahison. C'est en améliorant sa gouvernance que la RDC peut devenir un État capable de gérer et résoudre ses problèmes internes. C'est à cette condition qu'il peut espérer modifier les rapports de forces dans la région et jouer effectivement le rôle qui lui revient de moteur de paix, de stabilité et de développement, à l'intérieur comme à l'extérieur. Enfin, il n'est pas juste de contraindre la RDC à partager ses ressources naturelles avec ses voisins. La politique extérieure et commerciale relève de la souveraineté des États. Qu'il faille, dans ce domaine comme dans d'autres, tenir compte des déterminismes géographiques et faire montre de pragmatisme et de réalisme, s'impose. Mais il faut respecter le titre de propriété de la RDC sur son sol et son sous-sol et éviter de chercher à abuser des faiblesses et de difficultés temporaires du pays pour ignorer et violer ses droits et sa souveraineté. Du reste, l'existence de la CEPGL qui profitait principalement au Rwanda et au Burundi en instaurant entre eux et la RDC une zone de libre-échange, ne les a pas empêchés d'agresser la RDC et de continuer à la piller...Il appartient donc à la RDC de concevoir et de mettre en oeuvre un plan d'exploitation et de commercialisation de ses ressources naturelles et de définir, en conséquence, sa politique de coopération avec les autres États de la région et du monde. Aucun pays ne peut, en effet, vivre en autarcie. Et gouverner c'est prévoir. b) Les limites et des insuffisances des mécanismes du suivi Les mécanismes interne et externe du suivi de l'application de l'Accord cadre prévoient la nomination d'un envoyé spécial des Nations Unies, l'accompagnement et la supervision de cette application par les 11+4 et par les institutions financières internationales...Il est prévu également la révision et le renforcement du mandat de la MONUSCO, présente en RDC depuis 1999 ! Il faut à ce sujet affirmer que la communauté internationale ne peut valablement et efficacement se substituer au leadership congolais. Et les soldats étrangers ne viendront pas mourir pour la RDC, si les congolais eux-mêmes ne sont pas disposés à mourir pour la défense de la souveraineté et de l'intégrité du territoire de leur propre pays. Les Congolais et surtout leurs dirigeants ont à redécouvrir et à cultiver le sens sacré, du patriotisme, de la dignité, de l'honneur et de la vraie souveraineté qui correspond à la capacité de s'autodéterminer et de s'autogérer. Car la force d'un homme ou d'un peuple est avant tout spirituelle et morale. Plus de cinquante après l'accession du pays à l'indépendance, les Congolais devraient renoncer à pérenniser la mentalité anachronique d'assisté perpétuel et assumer leur souveraineté. La RDC devrait donc s'atteler à créer les conditions endogènes d'une gouvernance lui permettant de se doter de toutes les ressources nécessaires à l'exercice de sa souveraineté, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Aucun facteur étranger ne pourra suppléer durablement ou se substituer au déficit actuel dans ce domaine. Enfin, de par sa position géographique, l'importance de ses ressources naturelles potentielles, sa démographie et sa superficie, la RDC est le pays de la Région qui jouit de la capacité naturelle de sécuriser et de stabiliser ses voisins. Le leadership et l'hégémonie actuels des autres pays de la sous-région sont donc conjoncturels. Ils ne correspondent pas au déterminisme géographique et ne peuvent générer que des équilibres géopolitiques et géostratégiques fragiles, précaires et éphémères. Tant que la RDC jouait le rôle qui lui revient naturellement de leader dans la région, la paix et la stabilité ont été au rendez-vous. La modification de cette donne à la fin du règne sans partage de Mobutu a créé un déséquilibre géopolitique et géostratégique qui, à son tour, a ouvert la voie à l'instabilité et l'insécurité récurrentes que l'on connait aujourd'hui. Les pays voisins et, en particulier, l'Uganda et le Rwanda n'ont pas résisté à la tentation de profiter de la déliquescence de l'État en RDC pour faire main basse sur ses ressources naturelles et tenter de s'arroger une portion de son territoire. Très vite, les envahisseurs transformèrent la guerre d'agression en entreprise commerciale. Ils créèrent un réseau maffieux destiné à piller les ressources naturelles de la RDC. Le Rwanda et l'Ouganda trouvèrent dans ce commerce les moyens non seulement de financer la guerre et de se procurer les armes et les munitions, mais aussi de voler, de vendre et d'exporter d'importantes quantités de minerais extraits de la RDC, notamment, l'or, le coltan, la cassitérite, le diamant ainsi que d'autres ressources naturelles telles que le bois, la faune, la flore etc. Les rapports S/2001/357 du 12 Avril 2001, S/2001/1072 du 13 novembre 2001, S/2002/1146, du 16 octobre 2002 ; S/2003/1027 du 23 octobre 2003 ; S/2005/30 du 25 janvier 2005, et S/2008/773 du 12 décembre 2008,du Conseil de Sécurité des Nations Unies fournissent des données sur cette invasion, sur les pillages perpétrés par les envahisseurs, sur l'implication dans ce conflit et ce pillage, des réseaux internationaux étatiques et non-étatiques liés à la corruption, au trafic des armes, à la contrefaçon de l'argent et même au terrorisme. Ces rapports de l'ONU citent de nombreuses entreprises américaines, européennes voire asiatiques... qui tirèrent profit du pillage des ressources naturelles de la RDC. Certains de ces réseaux maffieux ont en partie survécu à la transition et au processus de démocratisation qui a abouti à la mise en place des institutions nationales et provinciales congolaises issues des élections. C'est eux qui, profitant de la mondialisation et du libéralisme sauvage qu'elle induit, ainsi que de la faiblesse de l'État congolais, entretiennent l'insécurité à l'ombre de laquelle ils peuvent poursuivre l'exploitation illégale et le pillage des ressources naturelles et, en particulier, des matières première stratégiques dont regorge la RDC. Même si en Afrique les États demeurent les acteurs essentiels de la régionalisation des conflits, il sied de souligner l'importance des réseaux commerciaux transnationaux, qui s'articulent aux économies de guerre afin d'alimenter des groupes armés et de créer des situations de « ni guerre ni paix » propices aux affaires et au trafic maffieux des matières premières stratégiques84(*). * 84 BADIE, B et S. TORLOTTI, L'État du monde, Paris, La découverte 2008, p. 108. |
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