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L'erreur dans les réalisations écrites d'élèves marocains. état des lieux de leurs performances écrites, interrogations sur son statut et sur les modalités de sa gestion dans les documents officiels et dans les pratiques d'enseignement.


par Sarah TAMIMI
Université du Maine - Master 2 Didactique des Langues et l’enseignement du FLE  2019
  

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2.2. L'interférence et le transfert linguistiques

De manière générale, l'interférence linguistique est décrite comme un phénomène d'influence des structures linguistiques de la langue source L1 sur celles de la langue cible L2. Mackey60(*) la définit comme étant « l'emploi lorsque l'on parle ou que l'on écrit dans une langue, d'éléments appartenant à une autre langue. » D'après G. Bibeau61(*), malgré les réserves émises par Lado sur son hypothèse, on avait l'habitude, jusqu'en 1967,de dire que les erreurs commises en L2 étaient toutes des erreurs d'interférences dues à la suppléance de la langue maternelle L1 pour des éléments linguistiques non encore maitrisés de L2. Et ce n'est qu'au début des années 70 qu'on a commencé à utiliser le mot « transfert », emprunté à la psychologie et à la psychanalyse, pour décrire les éléments de L1 qu'on retrouve dans L2. L'interférence est considérée comme négative, c'est à dire comme une faute, comme quelque chose qui crée difficulté, qui bloque ou retarde l'apprentissage, alors que le transfert peut être vu comme un phénomène positif qui manifeste qu'il s'est passé quelque chose qui enrichit le lieu d'arrivé du transfert, qui aide à avancer vers l'objectif visé. Ainsi, quoique les termes « interférence » et « transfert » recouvrent la même réalité, à savoir l'apparition en L2 de structures de L1, le mot « transfert » a l'avantage de contenir l'idée de passage, que ne suggère pas le mot « interférence ».

Plusieurs formes d'interférence ou de transfert peuvent se manifester dans l'apprentissage des langues étrangères. Selon Gilbert Bibeau62(*), Lado parlait déjà en 1957 d'interférences au niveau de la prononciation, dans la grammaire (morphologie et syntaxe), dans le vocabulaire et la sémantique, dans l'écriture et dans la culture. Donnons quelques exemples de ces formes, dont certains observés par nous-mêmes lors des stages effectués au Maroc, et d'autres décrits par des chercheurs marocains.

a) Les interférences phonologiques : L'élève marocain aura beaucoup de difficultés à prononcer des phonèmes qui n'existent pas dans l'arabe dialectal (sa langue maternelle) ou encore dans l'arabe standard (sa première langue de scolarisation). Par exemple les voyelles [y] comme dans tu, [e] ou [?] comme dans lait ou dès, [ã] comme dans en ou dans, ... ; ainsi que les consonnes p et v. Ces phonèmes vont tourmenter l'appareil vocal de l'élève marocain, qui tentera tant bien que mal de les adapter à sa langue première à travers les sons que cette dernière lui procure. Ainsi, le mot musique serait transformé oralement (voire à l'écrit) en « misique », le mot bâtiment se transformerait en « batima », ..., puisque les phonèmes (u) et (an) n'existent pas dans sa langue première L1. En principe, l'enseignant devrait être conscient du système phonologique de la langue maternelle de l'élève afin qu'il puisse concentrer son enseignement sur les points délicats. L'expression orale et l'apprentissage de la lecture demandent donc beaucoup d'entrainement de la part de l'élève marocain.

b) Les interférences prosodiques : Ce type d'interférences est très proche des interférences phonétiques. Ces interférences peuvent augmenter ou diminuer selon les objectifs de l'enseignement de la langue seconde L2. Ici, le substrat suprasegmental de la langue maternellereste si fort que l'élève marocain pourrait êtreparfois sourd par rapport aux intonations et la ligne mélodique de la phrase en langue française (le rythme, l'intonation, l'accent), et c'est pourquoi lorsqu'il prononce une phrase en français, il pourrait être amené à la prononcer comme s'il prononce une phrase dans sa langue maternelle.

Ces deux types d'interférences ne sont pas, à notre avis, si importants dans la mesure où l'objectif prioritaire de l'apprentissage du français par l'élève marocain est de savoir lire et écrire dans cette langue, et non pas de la parler dans son milieu social. D'ailleurs, comment peut-on contraindre l'élève marocain à imiter l'accent parisien alors que celui-ci n'est pas la norme en France ? Les marseillais se conforment-ils à cette norme phonétique, pourtant imposée aux élèves marocains par les instructions officielles ? Ne pourrait-on pas parler dans ce cas d'un français d'accent marocain ?

c) Les interférences morphologiques : ce type d'interférences peut toucher aussi bien la morphologie flexionnelle que la morphologie dérivationnelle, bien que celles-ci soient présentes dans la langue maternelle de l'élève, mais pas de la même façon : les articles, le genre et le nombre des noms et des adjectifs, les pronoms personnels compléments, les verbes, .... Bien évidemment, il est très difficile de séparer l'étude morphologique de la syntaxe et du lexique : la forme graphique d'un mot dépend de sa place dans la phrase (morphosyntaxe ou morphologie flexionnelle). Elle est également liée au lexique par le processus de formation des mots.

Le choix des articles ou plus généralement des déterminants pose des problèmes à la plupart des élèves marocains, et la différence du genre ou du nombre des noms entre le français et l'arabe dialectal ou l'arabe standard pourrait être la source de cette difficulté. Les exemples suivants sont extraits de la recherche réalisée par Badr Elhounda63(*) auprès d'élèves marocains du secondaire : « Je me souviens, j'ai pris un sandwitch et j'ai eu mal à la ventre. » ; « le responsable de cette accident. » ; Ici, le genre des mots ventre et accident est féminin en arabe dialectal et en arabe standard. Quant à l'erreur « sandwitch », il se peut que le « t » ajouté au mot « sandwich » résulte de la présence du « t » dans la prononciation de ce mot. Par contre, nous ne partageons pas l'interprétation de l'auteur quand il dit que l'erreur « le cheveu » dans l'expression « mon frère dormais. Je le coupais le cheveu. » est due au recours de l'arabe marocain : le terme « cheveu », dit-il, est employé au singulier en arabe marocain, ce qui n'est pas vrai, puisqu'il est également employé au pluriel : « ???ar » =  « cheveux » est le pluriel de « ??ra » = « cheveu ».

L'omission des articles indéfinis ou partitifs est également une erreur fréquente chez les débutants arabophones, puisqu'ils le sont surtout dans l'arabe dialectal. Ainsi, on retrouve ce genre d'erreurs chez plusieurs élèves marocains : « Je bois vere de thé » au lieu de « Je bois un verre de thé » ou simplement « Je bois du thé » ; « J'ai achete pantalon et chemise » au lieu de « J'ai acheté un pantalon et une chemise »; « J'habite dans joli grande ville » au lieu de « J'habite dans une jolie grande ville » ; etc. En fait, l'arabe standard utilise l'article défini « al » dont on trouve la trace dans beaucoup de mots français empruntés de l'arabe comme « alcool », « algèbre », « alchimie », « alfa », « algorithme », « almanach ». L'article défini « al » est accolé au nom qu'il actualise et n'en ai pas séparé comme c'est le cas pour le français. Il utilise également l'article indéfini, mais de manière implicite, sous forme de ce que l'on appelle le « tanwin » ou « article zéro ». Essayons d'expliquer ce phénomène à travers l'exemple « J'ai acheté un pantalon et une chemise ». En arabe dialectal, on dit «?ritsrwalwqami?a ». En arabe standard, on dit « i?tarajtusirwâlanwaqamî°an ». En arabe dialectal, il n'y a pas le tanwin « an » qui permet d'indiquer que les mots « sirwâl » = « pantalon » et « qamî° » = « chemise » sont indéfinis. Signalons de passage que le mot « chemise » et le verbe « acheter » sont d'origine arabe. En fait, selon HaysanSafar64(*), des étudiants de la faculté de traduction et d'interprétation de Mons en Belgique ont démontré que plus de 2500 mots utilisés dans la langue française sont d'origine arabe. Ce phénomène d'emprunt de la langue française à la langue arabe est exprimé par le lexicologue français Jean Pruvost65(*) dans son livre un peu provocateur « Nos ancêtres les arabes. Ce que notre langue leur doit. » Le phénomène inverse existe également : l'arabe dialectal emprunte de nombreux mots français : « tomobila » =  « automobile », « cousina » = « cuisine », « toubiss » = « autobus », « lbatima » = « le bâtiment » « salgotte » = « sal gosse », « tolanti » = « talentueux », « chanti » = « chantier », etc.

Et justement sur ce point, nous ouvrons une parenthèse pour décrire le phénomène de diglossie dû à la différence entre l'arabe dialectal considéré comme première langue (ou langue maternelle) de la majorité des marocains, et l'arabe standard considéré comme langue seconde ou la première langue de scolarisation de la plupart des élèves marocains. La diglossie est la coexistence de deux formes différentes d'une même langue, l'arabe standard (ou arabe classique) d'une part et l'arabe dialectal (la darija) avec ses différents parlers selon les régions. C'est un phénomène extrêmement pénible, qui pèse beaucoup sur l'apprentissage des langues à l'école. Sans vouloir dévaloriser les dialectes et les patois locaux, ce phénomène existe partout. Après la chute et le déclin de la civilisation arabo-musulmane, l'illettrisme, l'absence de formation, d'éducation et d'enseignement ont engendré d'autres ombres (des dialectes locaux) à la langue arabe classique qui était pourtant seule à bord jusqu'à la moitié du 10ème siècle66(*). Ces dialectes locaux sont en fait la même langue, mais prononcés de manière plus facile : au lieu d'articuler, c'est moins articulé ; au lieu de placer les mots dans un ordre grammatical précis, ça ne l'est pas, etc. Ces dialectes touchent essentiellement la vie quotidienne de tous les jours et ils ne peuvent pas s'élever dans des domaines tels que la littérature, les sciences, la philosophie, la religion, .... Par ailleurs, ces dialectes ne sont pas généralement écrits, puisqu'ils n'ont aucune norme grammaticale. Malheureusement, bien que la langue arabe standard soit utilisée aussi bien dans la presse, les médias, les livres et les écoles, dès que l'élève quitte l'école et rentre chez lui, ce n'est plus dans la langue standard de l'école qu'il continue à parler, mais dans le dialecte local, dialecte qui est extrêmement différent d'une région à l'autre. Par conséquent, ce phénomène de diglossie constitue un handicap non seulement à l'apprentissage du français, mais également à l'apprentissage de l'arabe classique.

Le phénomène existe aussi dans certains pays européens, mais à un degré moindre. Par exemple en France, la langue orale a toujours pris des libertés avec la grammaire, surtout dans les dernières décennies avec l'émergence des médias sociaux. Le français parlé simplifie de nombreux éléments. D'après Alain Rey, « la grammaire orale supprime la double négation, pulvérise les structures sujet-verbe-complément, fait disparaitre les inversions interrogatives. »67(*) Ainsi, « Ce n'est pas » devient « C'est pas », « il y a » devient « y a », « il faut » devient « faut », « je suis » devient « chui », « je ne sais pas » devient « ché pas », « il ya un problème » devient « y a un blème », « Ne t'inquiète pas » devient « t'inquiète pas » et avec internet « tkt », « ça va ? » suffit pour demander « comment vas-tu ? » etc. La conjugaison se réduit également à son temps le plus basique : le présent. Les participes passés ne s'accordent plus : « Y a une chose que je t'ai pas dit », dit-on au lieu de « Il y a une chose que je ne t'ai pas dite. » Ainsi, « plus les expressions sont employées fréquemment, plus on se les approprie, plus on les réduit et ... plus l'on s'éloigne de la règle écrite. »68(*)

Dans plusieurs phrases en arabe dialectal ou en arabe standard, il y a absence des verbes d'état. Ce sont les phrases dites nominales composées de deux mots, dont le premier est le sujet de la phrase appelé le « mubtada' » (l'inchoatif). Il peut représenter une personne ou une chose.Il est décrit ou précisé par le « khabar » de la phrase (l'attribut). L'élève marocain pourrait être amené à formuler certaines phrases en français en les calquant sur le modèle des phrases nominales69(*) : « L'accident mauvaise. » au lieu de « L'accident est malheureux. »70(*)

Des difficultés peuvent également se manifester au niveau des adjectifs possessifs : « Je me suis lavermes yeux »71(*)  au lieu de « Je me suis lavé les yeux. »ou « J'ai lavé mes yeux ». Par contre, nous ne partageons pas l'interprétation faite par l'auteur au sujet de l'erreur : « Je me lève mon bras pour voir s'il est cassé. »72(*) Selon lui, il s'agit d'une erreur causée par une interférence avec l'arabe marocain, et il ajoute que l'expression correcte est : « Je me lève le bras pour voir s'il est cassé ». En fait l'erreur de l'élève est d'avoir utilisé le verbe pronominal « se lever ». Il s'agit en fait d'une sur-généralisation : l'élève est habitué à employer le verbe « se lever » dans plusieurs contextes : « Je me lève le matin », « Je me lève quand le professeur entre en classe », etc. L'élève a peut-être généralisé l'emploi de ce verbe dans une situation qui ne le demande pas, et l'expression correcte est : « Je lève mon bras pour voir s'il est cassé. »

Le dédoublement du sujet très fréquent en arabe dialectal conduit plusieurs élèves à faire de même en s'exprimant en français : « ils parlaient les gens dans la fête. »au lieu de « Les gens discutaient pendant la fête. »73(*) . Par contre, dans la phrase « elles dansaient bien les filles dans ce mariage. », il n'y apas vraiment d'interférence comme le suggère Badr El Houdna, mais plutôt un transfert positif. Le problème se situe dans le choix du temps. L'élève aurait dû utiliser le passé composé au lieu de l'imparfait : la phrase « elles ont bien dansé les filles dans ce mariage » est acceptée dans le langage oral. À l'écrit, on préférera l'expression : « Les filles ont bien dansé dans ce mariage. »

d) Les interférences morphosyntaxiques : La syntaxe est peut-être le domaine le plus fertile où peuvent se manifester des interférences, puisqu'il y a une différence substantielle dans la structure syntaxique des phrases entre la langue arabe (avec ses deux formes dialectale et standard) et le français. Donnons quelques exemples extraits de productions écrites d'élèves marocains du collège ou du lycée :

- Les pronoms personnels compléments : Dans l'arabe dialectal ou l'arabe standard, ces pronoms sont accolés au verbe, alors qu'ils en sont dissociés en français : [ÒõÑúÊõåõ] transcrit en [zurtuhu]. Ici, le pronom complément en bleu est accolé au verbe en rouge. La traduction littérale (le calque) donnerait l'expression erronée « J'ai visitélui » au lieu de « Je l'ai visité » pour un lieu et « Je lui ai rendu visite » pour une personne. Les exemples suivants sont extraits des travaux de Chami Moussa (1986) et de Badr El Houdna (2015) : « Je demande à lui » au lieu de « Je lui demande » ; « Je vois le » ou « je vois lui » au lieu de « Je le vois » ; « ma mère frappa nous » au lieu de « ma mère nous frappa » ; .... Plus généralement, si en français, le pronom complément d'objet est postposé au verbe, l'élève marocain l'utilise après le verbe, puisqu'en arabe le pronom personnel est suffixé au verbe.

- Les verbes transitifs et intransitifs et le choix des prépositions adéquates : La confusion dans le système des prépositions accompagnant les verbes est également source de beaucoup de difficultés pour les élèves arabophones : « Les gens parlaient sur des sujets différents. » au lieu de « Les gens discutaient de sujets divers. » ; « Il n'écoute pas à son père » au lieu de « Il n'écoute pas son père. » ; « Les serviteurs donnaient des gâteaux pour les invités. » au lieu de « Les serviteurs donnaient des gâteaux aux invités. »  En fait, ce genre de difficultés pourrait également toucher des étudiants de niveau très avancé, comme en témoigne l'avant dernière phrase de l'extrait ci-après du mémoire de master d'une étudiante algérienne74(*) : « ... le premier chapitre sera consacré à la description du corpus et à la méthodologie du travail où l'on parlera du public ... » et non « on va parler sur le public ... » En fait, l'arabe standard offre la préposition «?? » très proche de « de » ou « du »

- Le mauvais choix du pronom relatif : La forme des pronoms relatifs en français dépend généralement de leur fonction, alors qu'elle ne l'est pas en arabe dialectal : « le chanteur a un micro qu'il se sert. » au lieu de « le chanteur a un micro dont il se sert. » Ici, l'élève introduit la subordonnée relative par le pronom relatif « que » au lieu de « dont » qui est inexistant dans le système grammatical de l'arabe dialectal et l'arabe standard. D'ailleurs, contrairement à l'arabe standard où il y a plusieurs formes de pronoms relatifs, l'arabe dialectal ne dispose que du seul pronom relatif « lli »

e) Les interférences lexicales ou sémantiques : Ce type d'interférences peut se produire à plusieurs niveaux : les verbes, les adjectifs, néologismes, etc. Donnons quelques exemples :

Les verbes apporter, amener, emmener ont, en arabe dialectal, un seul verbe qui est utilisé indifféremment aussi bien pour les personnes que pour les choses.En conséquence, on trouve souvent les expressions suivantes dans les productions écrites d'élèves marocains :« J'apporte mon père » au lieu de « J'amène mon père » ; « J'ai prit mon frère à la maison. » au lieu de « J'ai emmené mon frère à la maison. ». On peut rajouter à cette catégorie des erreurs de calque sur l'arabe dialectal comme « Je coupe la route »pour dire « Je traverse la route » ou « Je frappe le téléphone » pour dire « Je donne un coup de téléphone » ou tout simplement « Je téléphone ». L'élève n'aurait pas commis ces erreurs s'il se référait à l'arabe standard qui offre les verbes « traverser »et « téléphoner ». D'autres interférences peuvent toucher les adjectifs ou la création de néologismes :« Les personnes grandes aimaient la musique andalouse. »au lieu de « Les personnes âgées aimaient la musique andalouse. » ; «  Je ne veux pas chomager comme mon frère. » au lieu de «  Je ne veux pas chômer comme mon frère. »Ici, le verbe « chomager » est un « néologisme » créé par une compétence linguistique propre à l'élève en faisant une dérivation à partir du mot « chômage » En fait, le processus de dérivation en arabe se fait plutôt en sens inverse, du verbe vers le nom, car la plupart des noms dans cette langue dérivent d'un verbe qui est généralement trilitère (formé de trois lettres) et non l'inverse comme le prétend B. El hounda.75(*) D'ailleurs, nous ne partageons pas certaines interprétations de cet auteur. Par exemple, la phrase « petits et grands étaient heureux » est considérée par cet auteur comme erronée alors qu'elle ne l'est pas pour nous. De même, nous considérons la phrase « mon voisin a fait un accident » comme un transfert positif, bien que l'élève aurait dû dire « mon voisin a eu un accident. »

Pourtant, cette approche analytique des langues s'est révélée insuffisante. En effet, on a observé que des locuteurs de langues maternelles différentes peuvent produire des erreurs identiques en L2, erreurs qui sont donc spécifiques à la langue cible. De plus, plusieurs erreurs prévues par l'analyse contrastive peuvent ne pas se produire. Par exemple, Burt et Delay76(*) réfutent toute influence de la langue première au cours de l'apprentissage d'une langue seconde. Ces deux auteurs, dans plusieurs travaux, expliquent les erreurs des apprenants par une constatation purement linguistique et soutiennent que ces dernières sont le résultat d'un mauvais traitement des données de la langue cible et non de la conséquence de l'influence de la langue première. Les erreurs considérées par Lado comme des interférences sont désormais interprétées comme des surgénéralisations incorrectes des règles de la langue étrangère.

Kelleman77(*) met en cause non seulement la thèse avancée par Lado mais également que celle de Burt et Dulay. Selon cet auteur, si on fait des comparaisons des deux langues L1 et L2 juste pour prédire les erreurs, on fait abstraction de l'apprenant que l'on considère comme une machine. Il y a des erreurs prédites par l'analyse contrastive qui n'ont pas lieu et il y a des erreurs qui se produisent alors qu'elles ne devraient pas avoir lieu. Pour Kelleman, deux apprenants de même langue maternelle L1 qui apprennent une même langue étrangère L2 ne font pas forcément les mêmes erreurs, car c'est le sujet apprenant, et non la structure de la langue, qui détermine les contraintes des transferts translinguistiques. C'est l'apprenant lui-même qui évalue la distance entre les deux langues et qui décide, selon un marquage psycholinguistique, si oui ou non s'effectue le transfert. Ce traitement, strictement individuel, varie d'un apprenant à un autre et évolue au cours de l'apprentissage et diffère en fonction de plusieurs paramètres, notamment celui de la langue étrangère objet de l'apprentissage.

Dans le même ordre d'idées, Besse et Porquier78(*), concluent que des erreurs prévues par l'analyse contrastive ne se produisent que rarement, occasionnellement selon les individus et les circonstances d'apprentissage ou pas du tout. Par ailleurs, d'après ces deux auteurs, plusieurs erreurs survenant au cours de l'apprentissage d'une langue étrangère donnée sont partagées par des apprenants de langues premières distinctes (ce qui réconforte dans un sens la thèse de Burt et Dulay) et il y a également des erreurs, présentées comme des interférences, qui sont commises aussi bien par les allophones que par les natifs.

En fait, dès 1967, Pit Corder79(*) publie un article dans lequel il critique l'approche contrastive, en particulier son interprétation des erreurs. Il affirme qu'une partie d'entre elles sont plutôt des erreurs indépendantes de L1, dues à des procédés d'apprentissage ou au fonctionnement intellectuel telles que les erreurs de généralisation hâtive (overgeneralisation), d'analogie ou de simplification. Par exemple, lorsque l'élève marocain écrit « Mon ami est bavardeur » au lieu de « Mon ami est bavard. », c'est qu'il a peut-être généralisé au verbe bavarder la forme substantive « chanteur », « coiffeur » « voleur » valable pour les verbes « chanter », « coiffer », « voler ».

Ainsi, un autre paradigme de recherche proposé par Corder et Selinker80(*) fut lancé dès les années 70. Ce nouveau paradigme déplace l'attention du pôle de l'enseignement des langues étrangères vers celui de leur apprentissage par les locuteurs. Par ailleurs, ces réflexions coïncident avec la résurgence des théories cognitivistes et innéistes qui ont eu, à l'époque, une large audience. À la suite de cet article, plusieurs chercheurs commencent à faire dans leurs travaux la distinction entre les erreurs d'interférence ou de transfert et celles qui n'auraient pas leur origine dans la langue maternelle des apprenants. Diverses catégories d'erreurs ont été alors proposées dans ces travaux. On trouve par exemple la classification erreurs interlinguales produites sous l'influence de la langue source (interférences ou transferts) vs erreurs intralinguales qui concernent directement le système linguistique de la langue cible. On trouve également la classification erreurs de performance vs erreurs de compétences.Les premières correspondent à des erreurs d'inattention ou ce que l'on appelle communément des fautes. Elles sont souvent dues à l'oubli d'une règle, à la fatigue, au stress, à la rapidité du discours ou autres facteurs psychologiques. Dans ce cas, l'apprenant peut les reconnaitre puisqu'il connait la règle et il est capable de se corriger. Par contre, les erreurs de compétence, dites systématiques, sont des erreurs qui proviennent de l'acquis intériorisé de l'apprenant, de sa compétence provisoire. Elles témoignent de la connaissance imparfaite de la langue cible et, en général, le niveau de l'apprenant ne lui permet pas de les corriger : « il s'agit des erreurs que l'apprenant ne peut pas corriger. L'apprenant en commet non pas à cause d'une inaptitude mais à cause de son niveau de connaissance de la langue étrangère étudiée à un moment donné. » (Besse H et Porquier R, 1991, p 209)

Ainsi cette nouvelle dimension issue de l'approche contrastive consiste à observer et analyser les erreurs au lieu de les prédire. L'analyse contrastive fut quelque peu supplantée en lui préférant « l'analyse des erreurs »pour des fins d'identification de l'état momentané de l'apprentissage. Désormais, Les erreurs ne sont plus des fautes, mais des marques d'apprentissage, des étapes franchies vers la maitrise de la langue cible. Néanmoins, toutes sortes de difficultés se posent dans l'identification des erreurs et leur interprétation. La meilleure illustration de ces difficultés est la contradiction profonde qui existe entre les chercheurs dans l'interprétation des erreurs.81(*)

Les recherches actuelles tentent à réconcilier différentes démarches : dans l'apprentissage d'une langue étrangère, l'apprenant utilise, certes les connaissances de sa langue maternelle, mais en même temps, il fait des hypothèses sur la langue cible. Il ne s'agit donc plus d'opposer, mais d'associer une analyse contrastive et une observation des erreurs des apprenants. Ainsi, l'analyse contrastive et l'analyse des erreurs ont entrouvert un nouveau champ d'investigation, celui d'étudier l'expression de l'activité cognitive du sujet apprenant une langue étrangère et l'évolution du système de règles qu'il utilise dans une perspective développementale.

* 60 W. Mackey cité par Francis Debyser, 1970, p 34.

* 61Gilles Bibeau. Op.cit, pp 7-8

* 62Gilles Bibeau. Op.cit, p 8

* 63 Badr El Hounda, 2015, pp 35-36

* 64 Voir sitographie

* 65 Voir Sitographie.

* 66 Voir Sitographie. Haysan Safar L'influence de la langue arabe sur les autres langues

* 67 Cité par Jennifer Wunsch dans l'article « Les échappées libres du français parlé » Le point, Hors série, Novembre 2018, p 43

* 68 Jennifer Wunsch « Les échappées libres du français parlé » Le point, Hors série, Novembre 2018, p 43.

* 69 B. El Hounda. Op.cit, p 37

* 70B. El Hounda. Op.cit, p 37

* 71B. El Hounda. Op.cit, p 37

* 72B. El Hounda. Op.cit, p 37

* 73B. El Hounda. Op.cit, p 38

* 74 BEN AFOU Sabrina. Mémoire de Master : « Difficultés rencontrées par les étudiants de français au niveau de la production écrite. Cas des étudiants de 1ère année licence de l'université Mohamed Boudiaf à M'sila », 2014-2015

* 75 Badr El Houdna, 2015, p 41.

* 76 Cités par Chelli Amirouche (2011), p 161

* 77Cité par Chelli Amirouche (2011), pp 161-162

* 78 Cité par Chelli Amirouche (2011), p 162

* 79 Cité par Gilles Bibeau, 1988, p 8.

* 80 L. Selinker 1972 « Interlanguage » IRAL, vol 10 n°3. Cité par G. Bibeau (1988) p 23.

* 81 Des exemples sont donnés par Gilles Bibeau dans G. Bibeau, 1988, pp 9-10. Nous avons nous-mêmes des points divergents à ce sujet avec Badr El Houdna.

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