Gestion durable des adductions d'eau villageoises au Béninpar Femi COCKER Université d'Abomey Calavi - Master en droit option: marchés publics et partenariat public privés 2018 |
Chapitre 1 : Un cadre juridique appropriéL'acte juridique principal régissant le secteur de l'eau est la loi sur la gestion des ressources en eau, dénommée le « Code de l'eau », qui a été adoptée par la loi n° 2010-44 du 24 novembre 2010. Elle fixe les frais ou taxes dus aux autorités en charge conformément à l'application du principe « usager-payeur »36. Les frais constituent la contribution financière des usagers commerciaux calculée sur la base du volume d'eau prélevée (ou utilisée ou mobilisée). Selon cette loi, ces frais ou taxes devraient servir au financement des activités du secteur de l'eau. Cette loi fait également référence à l'organisation des services relatifs à l'eau, mais ne précise pas dans le détail les rôles et les responsabilités des différents acteurs en matière d'approvisionnement en eau notamment pour ce qui est de l'élaboration des politiques, de la réglementation et de la prestation de services. La définition des rôles et des responsabilités se fonde donc sur plusieurs textes de loi, y compris la loi sur la gestion des ressources en eau et la loi sur la décentralisation. Parmi les autres actes juridiques pertinents figure le décret portant création des comités de bassin37 adopté en septembre 2011, qui définit le cadre pour la planification et la gestion des ressources en eau. Le décret pris en février 2001 fixe les normes de qualité de l'eau potable38. La République du Bénin a retenu l'accès à l'eau potable comme l'une des priorités de la Stratégie de Croissance pour la Réduction de la Pauvreté (SCRP) et a adhéré aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Il en résulte qu'avec la mise en oeuvre d'un cadre juridique approprié accompagné du contexte de la décentralisation, des progrès ont été enregistrés en matière d'accès à l'eau potable aux populations rurales, comme le confirme des OMD déjà atteints en 2015. Toutefois, les besoins grandissants des populations ont déjà rattrapé ces progrès qui sont aujourd'hui dépassés. La promulgation en 2010, de la loi portant gestion de l'eau en République du Bénin axée sur la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) ; l'adhésion du Benin aux objectifs post 2015, c'est-à-dire aux Objectifs de Développement Durable (ODD), qui visent l'accès universel à l'eau potable à l'horizon 2030; le lancement d'une nouvelle ère de gouvernance de l'action publique avec l'élection d'un nouveau Président en avril 2016 sont 36 Ce principe vient de l'adoption des recommandations de la GIRE et permet de compenser les quantités prélevées par une taxe ou redevance qui servira à la protection et à l'entretien des ressources en eau. 37 Décret n°2011- 621 du 29 septembre 2011 portant création, attributions, composition, organisation et fonctionnement des comités de bassin en République du Bénin. 38 Décret no 2001-094, du 20 février 2001, fixant les normes de qualité de l'eau potable en République de Bénin. 14 autant de nouveaux paramètres qui sont venus booster le secteur de l'eau au Bénin. La Gouvernance est marquée entre autres par des réformes audacieuses pour «Relancer de manière durable le développement économique et social du Bénin». Ce cadre juridique a contribué à l'obtention (Section I) des avancées perceptibles dans le secteur de l'eau en général et particulièrement dans la gestion durable des infrastructures d'AEP, mais il a enregistré tout de même (Section II) des difficultés indéniables qui ont freiné parfois le processus mis en place. Section I Des avancées perceptiblesL'environnement juridique dans le secteur de l'eau au Bénin a contribué à l'amélioration du taux de desserte en eau potable. En effet, le taux de desserte en eau potable en milieu rural, cadre de la présente étude a globalement connu une progression régulière sur la période 20102015 passant de 57,2 % en 2010 à 67,6 % en 2015, pour une cible OMD fixée à 67,3 % en 201539. Il convient de noter que ce taux n'a pu être stabilisé et a connu une baisse. Ce recul, qui n'a pas permis de consolider les acquis de la contribution du secteur à l'atteinte des OMD. Cela s'explique entre autres, par la chute des réalisations de points d'eau après l'atteinte des OMD due au scandale du « PPEA II », l'accroissement annuel de la population qui baisse le taux lorsque les réalisations ne suivent pas et également les taux de panne élevés. En effet, les ouvrages en panne ne sont pas pris en compte dans le calcul du taux de desserte. Le maintien des avancées et leur amélioration, a besoin (§1) d'une procédure de sélection du partenaire innovante conduisant à (§2) une gestion efficiente des AEV. §1 Une procédure de sélection du partenaire innovante Le secteur de l'Approvisionnement en Eau Potable est un secteur sensible et vital qui a donc besoin d'un traitement particulier et d'une attention soutenue. Les études et travaux de construction des Adductions d'Eau Villageoises requièrent une technicité spécifique. Pour sélectionner les prestataires, il faut donc passer par (I) l'identification du partenaire et dans les étapes suivantes, organiser les (II) procédures de suivi des travaux. A. L'identification du partenaireL'identification du partenaire requière des préalables. Dans le fonctionnement actuel, c'est la commune, maître d'ouvrage, qui conduit le processus conformément au code des marchés 39 Plan national de développement 2018-2025, Bénin révélé, Cotonou, 2017, p. 65. 15 publics. En effet, il y a d'abord un avis de manifestation d'intérêt à l'issue duquel des bureaux d'études et entreprises sur la base des critères bien élaborés sont short-listés pour participer à l'appel d'offres. Le processus est d'abord conduit pour le choix du bureau d'études et c'est après qu'il est repris pour la sélection de l'entreprise devant conduire les travaux de construction de l'AEV. En effet, le bureau d'études mène des études préalables de faisabilité et d'Avant-Projet Détaillé (APD) qui serviront de boussole aux travaux à réaliser. Il contribue également au processus de sélection des entreprises. Conformément au code des marchés publics en harmonie avec le dossier type d'appel d'offres, l'appel d'offres contient les procédures, les spécifications techniques et le modèle de marché ou contrat. La commune étant le maître d'ouvrage, elle sollicite l'assistance-conseils de la Structure Déconcentrée de l'Etat (SDE) concernée par l'activité. Dans le cas d'espèce, c'est le Service de l'Eau de la Direction Départementale de l'Eau et des Mines qui assiste la commune dans le processus. Le Service de l'Eau veille à la régularité des aspects techniques, à la conformité du dossier avec les exigences du code des marchés publics et oriente la commune vers les structures compétentes en cas de litige lorsque toutes les voies de recours pour un règlement à l'amiable sont épuisées. Les Partenaires Techniques et Financiers accompagnent l'Etat à travers l'appui au budget général de l'Etat. Les communes sont servies à travers le Fonds d'Aide au Développement Communal (FADeC). C'est le cas du Programme Pluriannuel d'appui au secteur de l'Eau et de l'Assainissement (PPEA). Le PPEA I s'est focalisé sur le financement des ouvrages simples, Forages équipés de Pompes à Motricité humaine et des forges à gros débit qui serviront les AEV pour assurer la disponibilité de la ressource en vue de préparer le PPEA II qui a priorisé le financement des ouvrages complexes, les Adductions d'Eau Villageoises inter-villages et inter-arrondissements. C'est ce programme qui a contribué à l'atteinte des OMD en 2015. Mais malheureusement, il a connu une fin fâcheuse. Le Gouvernement a entrepris des démarches en vue de faire sanctionner les agents de l'État impliqués dans ce scandale « affaire PPEAII » dans laquelle il est reproché aux personnes impliquées, l'utilisation de plusieurs milliards de FCFA à des fins autres que celles dudit projet, même si plus tard, la justice a prononcé, en avril 2017, un non-lieu sur ce scandale qui a secoué le pays en 201540. Pour rendre le transfert de compétences efficace et permettre aux techniciens communaux de se former auprès des cadres expérimentés, l'Etat fait réaliser les grands travaux par les Structures Déconcentrées de l'Etat 40 Plan national de développement 2018-2025, Bénin révélé, Cotonou, 2017, p.136 16 qui transfèrent progressivement les connaissances théoriques et pratiques aux agents communaux. La capitalisation de ces expériences leur permettra de mieux jouer leur rôle de maître d'ouvrage que leur confère la loi sur la décentralisation. Les difficultés qui jonchent ce chantier s'observent dans le manque de personnel et ou de cadre de niveau requis ayant le profil pour assimiler les nouvelles techniques spécifiques au secteur. La politisation à outrance des décisions techniques vient parfois baisser les performances. L'exemple qui fait l'unanimité est l'instabilité au poste des Chefs Services Techniques et des Responsables Eau et Assainissement des Communes pour ce qui concerne le secteur de l'Eau. Ces techniciens sont parfois remplacés par l'autorité communale pour des raisons personnelles. Cette pratique a pour conséquence directe le perpétuel recommencement. Les nouvelles personnes recrutées ou affectées au poste sans l'expérience et le bagage nécessaire pour tenir le poste ne donnent naturellement pas les résultats escomptés. Il faut reprendre encore toutes les compétences déjà transférées et les formations données avec la nouvelle équipe avec le risque de tout reprendre au prochain changement. Heureusement, le Message Radio (MR) du Ministre de la Décentralisation et de la Gouvernance Locale, suspendant le recrutement de personnel dans les collectivités locales, vient atténuer la situation. En effet, ce MR41 invite les Préfets à faire surseoir par tous les Maires des communes respectivement sous tutelles, le recrutement de personnel au sein des collectivités locales jusqu'à la mise en place de la structure découlant de l'application de la loi n° 2015-18 du 23 février 2017 portant statut général de la fonction publique conformément aux articles 382 et 384. Par conséquent, il est interdit au Préfet l'approbation d'actes de recrutements de personnels communaux. Il reste les mouvements de personnel à l'interne à coloration politique et inopportuns qui font que le problème n'est pas entièrement solutionné. Mais c'est déjà une avancée notable pour l'évolution du secteur qui ne cesse d'innover. Après la sélection classique de prestataire pour la réalisation des travaux, l'Etat par soucis de soulager le plus grand nombre de personnes, se propose d'expérimenter le partenariat public-privé. Selon les articles 17 et 18 de la loi n°2016-24 du 28 juin 2017, portant cadre juridique du partenariat Public-Privé en république du Bénin, l'identification du partenaire est guidée par l'économie et l'efficacité du processus, la liberté d'accès, l'égalité de traitement, la reconnaissance mutuelle et la transparence des procédures. Les modes de passation sont l'appel 41 Message Radio n°068/MDGL/DC/SGM/DGCL/SA du 07/02/2018, Objet : Suspension recrutement personnel dans collectivités locales. (Copie du Message Radio en annexe 4) 17 d'offres, l'entente directe et l'offre spontanée. Même les offres spontanées font l'objet d'une mise en concurrence dans les conditions prévues par ladite loi. L'esprit de la loi étant de permettre à un maximum de prestataires de participer au processus dans l'équité et le respect des règles de l'art. Pour le projet de construction de grands systèmes d'AEV, l'Etat a opté prioritairement pour l'appel d'offres international précédé d'une pré-qualification. L'avantage ici est que la porte est ouverte pour les firmes internationales ayant l'expertise, le poids financier et technique nécessaires pour supporter les réalisations. Ainsi l'Etat est libéré des détails et s'occupe des grandes orientations, de l'encadrement, de la supervision et du recadrage au besoin. Il a donc le temps de conclure avec le partenaire le mode de règlement qui est le mieux adapté à l'activité et qui profite aux différentes parties. Les risques de chantiers inachevés sont amoindris. Le partenaire s'efforce à réaliser des travaux de qualité puisque c'est dans l'exploitation de l'ouvrage qu'il se fera progressivement rembourser. Le bon retour sur investissement en dépend à plus d'un titre. Nombre de pays aujourd'hui, y compris ceux dits développés font recours au PPP pour la réalisation d'infrastructures en raison notamment de la souplesse du système de financement, de la qualité de l'offre de service et par ricochet des opportunités en matière de création d'emplois. En effet, des projets tels que les autoroutes à péage, construction d'Adductions d'Eau Villageoises sont générateurs d'emploi aussi bien au moment de l'exécution que de l'exploitation et contribuent de ce fait à la réduction du taux de chômage. En plus de ces éléments, le PPP présente d'autres avantages. Le fait de confier la construction et la gestion des infrastructures à un partenaire privé, dans un contexte particulier de contraintes budgétaires du pouvoir public ; compte tenu de l'urgence et du caractère sensible et vital de l'eau, l'Etat déjà en retard dans sa politique d'approvisionnement en eau potable, avec un taux de desserte en chute, 40 %42 en 2018, ne peut pas attendre de mobiliser toutes les ressources financières et de s'approprier en son sein toute la technologie et les compétences techniques nécessaires pour la construction et la gestion des infrastructures d'AEP. Ceci est d'autant plus vrai que l'Etat a besoin d'approvisionner sa population en eau potable pour lui éviter la consommation des eaux de sources douteuses qui pourraient affecter la santé et empêcher la masse laborieuse de vaquer à ses activités. Dès que les maladies hydriques s'installent, les enfants et les femmes sont les premiers affectés, l'éducation est perturbée et les activités génératrices de revenu en prennent un grand coup. Cela 42 Taux de desserte, disponible sur: www.eaubenin.bj, consulté le 21/03/2019 à 18h12mn 18 agit sur les indicateurs du produit intérieur brut qui baissent. L'économie s'en ressent et les conséquences sont immédiates sur le développement du pays. Alors qu'avec un partenaire privé qui a les capacités financières et techniques adéquates, un partenariat « gagnant-gagnant » peut se révéler bénéfique pour tous. D'une part, l'Etat jouit d'un service pour lequel il n'a même pas encore les moyens de se l'offrir. Son objectif serait atteint parce que les collectivités territoriales son accompagnées dans leur mission de fournir de l'eau potable en quantité recommandée à la population. La convention Etat/Commune serait ainsi une expérience réussie. D'autre part, le partenaire serait satisfait de faire des affaires et recouvrer progressivement son investissement et son bénéfice conformément aux clauses du contrat avec la fierté morale d'avoir soulagé des personnes en détresse. La délégation de la maîtrise d'ouvrage ; Comme définie dans la loi sur la décentralisation, la commune est maître d'ouvrage, mais par défaut de compétence, elle se fait assister. En son article 108, la loi n° 97-029 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin stipule que dans l'exécution des opérations qui découlent de ses compétences et sous sa maîtrise d'ouvrage, la commune peut déléguer, se faire assister, concéder, affermer, sous-traiter ou passer contrat. Dans le partenariat entre l'Etat et la commune, le partenaire privé vient jouer une partie du rôle de l'Etat et des communes pour booster les réalisations des infrastructures d'AEP et accélérer les résultats. Mais cela ne diminue en rien l'autorité de l'Etat et des communes. Ils continuent de jouer leur rôle de régularisation, de contrôle et de supervision. La personne publique contrôle l'exécution du contrat de partenariat, notamment du respect des objectifs de performance particulièrement en matière de développement durable. L'échelonnement des coûts sur la durée conformément au tableau de remboursement établi par le contrat ; Conformément aux clauses du contrat, le partenaire privé peut percevoir des redevances dans l'exploitation du système d'AEV. Généralement financés par l'endettement classique, les projets d'infrastructures sont par essence les dépenses les plus lourdes pour les États et le remboursement de ces concours financiers classiques s'échelonne sur des durées moyennes de 10 à 30 ans. Le paiement des travaux peut être étalé pendant toute la durée du contrat, mais, rien n'interdit d'en prévoir un paiement plus rapide et donc moins coûteux. C'est ainsi, si on prend l'hypothèse d'un versement fixe annuel, que la personne publique doit toujours être en mesure de savoir, par exemple, quelle part est liée au remboursement des emprunts souscrits. Dans le cas de la gestion des AEV, ce remboursement sera beaucoup plus efficace parce que la distribution de l'eau génère vite des ressources croissantes au fil du temps. 19 Après l'identification du partenaire concrétisée par la signature du contrat, il faudrait mettre en place la procédure de suivi des travaux. |
|