1.4 Le rôle de la direction
générale du Trésor dans le dispositif institutionnel de
coopération pour le développement
L'architecture actuelle du dispositif français de
coopération pour le développement a été
fixée par le décret du 4 février 1998. Cela a eu pour
conséquence de réformer en profondeur la politique de
coopération internationale de la France, en supprimant le
ministère de la Coopération et en créant le comité
interministériel de la coopération pour le développement
(CICID). Présidée par le Premier ministre, cette instance
réunit l'ensemble des ministères participant à la
politique transversale de l'aide publique au développement. Le CICID
définit les orientations géographiques et sectorielles de la
politique de développement française, et veille à sa
cohérence des moyens mis en oeuvre, au regard des objectifs
fixés. Le décret a de plus acté la transformation de la
Caisse française de développement en « Agence
française de développement », opérateur-pivot de
la politique de coopération, chargée de la grande partie son
exécution financière.
Le décret a également créé une
direction générale pour la coopération sous
l'autorité d'un secrétariat d'État placé sous
tutelle du ministère des Affaires étrangères. En outre, ce
décret a renforcé progressivement l'AFD, qui est ainsi devenu
« l'opérateur pivot « de la coopération
française sous une double tutelle du ministère des Affaires
étrangères et du ministère de l'Économie et des
finances. La suppression du ministère de la Coopération, a
créé une dichotomie du pilotage de l'aide publique au
développement de la France, qui est toujours d'actualité.
Enfin, un cadre de dialogue formel avec la
société civile avait été mis en place au travers du
Haut Conseil à la coopération internationale (HCCI), placé
également auprès du Premier ministre et regroupant l'ensemble des
acteurs de la société civile et du monde académique. En
addition à cela, une Commission coopération au
développement (CoDev) réunissant de façon paritaire le
ministère des Affaires étrangères et les ONG permettait de
traiter de l'ensemble des sujets sectoriels et opérationnels relevant de
leur partenariat. Ces deux structures, très appréciées de
la société civile, ont permis d'instaurer un dialogue
structuré et formel entre le ministère des Affaires
étrangères et les Organisations de la société
civile (OSC) et d'affermir la position de celles-ci.
De fait, ce système a globalement fonctionné
jusqu'en 2007, date à laquelle HCCI et CoDev ont été
supprimés dans le cadre de la Révision générale des
politiques publiques (RGPP) et un conseil stratégique créé
auprès du ministre des Affaires étrangères en
remplacement. Cette instance ne s'est réuni que deux fois sur toute la
durée du quinquennat 2007-2012, et le CICID une seule fois en 2009.
Enfin, l'AFD s'est vu transférer par le ministère des Affaires
étrangères le cofinancement des OSC à partir de 2009.
L'année 2007 marque également la fin d'une longue tradition
française où l'aide au développement était
incarnée par un engagement personnel au sommet de l'État.
Le système français de coopération se
caractérise par une organisation complexe avec des
responsabilités éclatées. Elle comprend les deux
ministères compétents en matière de politique de
développement que sont le Ministère des affaires
étrangères et le Ministère des finances, des instances
d'orientations, et les agences de l'Etat.
Figure 6 - Architecture
institutionnelle de la politique de coopération de la France
Source : Rapport du conseil économique, social et
environnemental (CESE)
Au niveau ministériel, le pilotage de la politique de
coopération est co-assuré par la Direction générale
de la mondialisation (DGM) du MEAE et la Direction générale du
Trésor de Bercy. La DGM est chargée de mettre en oeuvre et de
suivre le programme 209 « solidarité à l'égard
des pays en développement », qui engage des fonds sous formes
de dons et d'aide-projets sur le canal bilatéral. L'action de la DG
Trésor en matière d'aide au développement, et les
crédits de son programme 110, sont articulés selon trois
actions :
· L'aide économique et financière
multilatérale regroupe les contributions de la France aux institutions
multilatérales d'aide au développement, banques et fonds
sectoriels (action 1);
· L'aide économique et financière
bilatérale finance principalement les interventions d'aide
bilatérales de l'AFD (action 2);
· Le traitement de la dette des pays pauvres recouvre les
annulations de dettes décidées dans le cadre du club de Paris et
impliquant une indemnisation des operateurs (action 3)
Cette responsabilité administrative et
budgétaire est principalement partagée entre les
ministères des Finances et des Affaires étrangères. Cette
pratique historique est la cause d'une répartition à la logique
contestable, fondée sur la nature de l'aide. Ainsi, la conduite de
l'aide multilatérale entre le Trésor (représentation de
l'État auprès des institutions financières
multilatérales) et les Affaires étrangères
(représentation devant les institutions onusiennes) traduisent une
complexité organisationnelle et pose les questions de
l'efficacité de cette politique publique. Si le Ministère des
affaires étrangères a récupéré l'exercice de
la cotutelle de l'AFD depuis 1998, la relation institutionnelle entre le
Trésor et l'AFD est plus ancienne et plus solide en raison des liens
historiques qui unissent ces deux structures. Héritière de la
caisse centrale de la France libre, devenue Caisse centrale des outre-mer en
1944 puis Caisse centrale de la coopération économique en 1958,
celle-ci avait, en plus de sa mission d'assistance financière, une
mission d'essence monétaire avec l'émission et la gestion de la
monnaie des outre-mer. Ces attributions étaient déjà
supervisées par le Ministère de l'économie, dont la
stratégie africaine était articulée avec celle de l'agence
de coopération. La Direction générale du Trésor
est ainsi le « ministère superviseur historique » de
l'institution chargée de la coopération économique, la
nature financière intrinsèque de ses activités
étant incluses dans le champ de compétences et de supervision du
Trésor.
En outre, la Direction du Trésor avait la
responsabilitéì de la zone franc et de l'aide fournie au titre de
l'ajustement structurel, alors que sa Direction du Commerce s'attachait
aÌ maximiser les opportunités commerciales liées aÌ
l'APD, en particulier durant les premières décennies
postcoloniales. Le Ministère de l'Economie administrait une fraction
particulièrement importante du budget de l'aide (représentant
environ 40 % en 2002), soit bien plus que pour n'importe quel autre pays
donateur du CAD. Les relations structurelles et historiques entre le
Trésor et l'AFD, ainsi que leur culture politique et économique
commune, font du Trésor un élément influent de
l'architecture institutionnelle de la coopération française.
Lors de la refonte du dispositif de coopération
français en 1998, qui a vu la création de l'AFD et la disparition
du Ministère de la coopération, la Direction du Trésor
s'est vu conférer la cotutelle de l'AFD avec le Ministère des
affaires étrangères. Ce double contrôle, et
l'émergence du MEAE comme un ministère partenaire du
Trésor, a surtout renforcé la complexité du dispositif de
coopération. La position du Trésor dans ce dispositif, si elle
reste essentielle, a été toutefois érodée par la
montée en puissance relative du MEAE sur les questions de
développement, après absorption des équipes du
Ministère de la coopération. Le MEAE utilise notamment son
réseau d'ambassadeurs afin de coordonner les actions et projets de l'AFD
sur le terrain. En dépit d'un retrait relatif sur le plan
opérationnel, le Trésor conserve toutefois solidement sa
compétence de représentation de la France dans les instances
multilatérales de développement et peut s'appuyer sur son
réseau international de services économiques régionaux
pour connaître la situation économique et financière des
pays en développement et leurs besoins en matière d'assistance
technique. Le pilotage de la politique d'aide au développement se fait
désormais dans le cadre d'instance de concertations (CICID, CNDSI) avec
le Ministère des affaires étrangères et l'ensemble des
acteurs concernés.
L'AFD a tiré profit de la disparition du
ministère de la Coopération pour s'affirmer comme l'institution
la plus compétente, techniquement, en matière de
développement. Sous tutelle conjointe des ministères des Affaires
étrangères et des Finances est devenue l'« opérateur
pivot » de mise en oeuvre de l'aide française au
développement. A l'instar des autres agences de coopération
européennes, elle est imprégnée, d'un
référentiel libéral d'efficacité et de
sélectivité de l'aide, elle promeut une coopération
mêlant prêts et dons, élargie aux biens publics mondiaux et
aux pays émergents, qui dépassent le cadre des priorités
stratégiques historiques de l'aide française, traditionnellement
tournée vers l'Afrique et la Méditerranée.
Depuis 2012, des efforts ont été engagés
au sommet de l'Etat pour mettre à jour la politique française de
développement, la rendre plus démocratique et plus visible au
travers de la loi d'orientation de 2014, recréer un cadre de dialogue
multi-acteur, renforcer l'AFD et simplifier un partie de son schéma
relatif à la coopération technique et à l'expertise.
Le 7 Juillet 2014 a été votée la
première loid'orientation et de programmation relative aÌ la
politique de développement et de solidarité internationale
(LOPDSI - Loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014).
Cette loi permet de renforcer le contrôle
démocratique et d'améliorer l'évaluation de l'aide au
développement : elle octroie au Parlement la possibilité de
débattre des critères d'attribution des aides ou de ses
destinataires, ce qui relevait auparavant du domaine réservé de
l'exécutif (jusqu'ici, le Parlement ne faisait que voter le budget des
ministères).
L'adoption de la LOP-DSI et les réformes
engagées, si elles ont apporté de la modernité sur le fond
et relativement amélioré les conditions de la transparence de la
politique de développement, ne se sont pas pour autant attaquées
au coeur du schéma institutionnel français et n'ont pas permis de
le simplifier. Celui-ci se caractérise toujours à la fois par une
volonté théorique (parce que le CICID se tient de façon
épisodique, ce qui témoigne de la lourdeur du dispositif actuel)
de mobilisation interministérielle renforcée et cohérente
de ce point de vue avec l'esprit des ODD, mais par une complexité
réelle due à une dispersion des lieux de décision et
à un affaiblissement effectif et continu des capacités de
pilotage et des moyens du secrétariat d'État au
Développement.
Dans les faits, l'autonomie acquise par l'AFD vis-à-vis
de ses tutelles a réduit la fluidité des relations entre le
Trésor et l'Agence. Si le Ministère de l'économie est
toujours présent afin d'orienter les grandes décisions
stratégiques de la politique de développement, l'AFD dispose de
sa propre stratégie interne et d'une logique financière autonome,
qui l'amène à étendre son champ d'action au delà
des géographies et secteurs définis par la coordination
interministérielle. La complexité du pilotage de la politique
d'aide au développement est accentuée par la bicéphalie du
dispositif. Le poids qu'occupe le ministère des finances dans ce
dispositif rend peu probable la création d'un ministère de la
coopération de plein droit, comme le suggère la Cour des comptes
dans son rapport d'évaluation de 2012 sur la politique d'aide au
développement. La DG Trésor, de par son expertise
économique et financière, son réseau
décentralisé, sa proximité historique avec l'AFD et sa
capacité à transfuser régulièrement certains de ses
agents et cadres vers l'agence, reste un maillon central de la politique d'aide
au développement de la France.
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