Existe-t-il une stratégie géopolitique de l'aide publique au développement de la France au Sahel ?par François De Block Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Ecole Normale Supérieure - Master 2 Géopolitique 2019 |
III - Vers une inflexion de la politique de coopération de la France en faveur du Sahel3.1 Les nouvelles orientations de la politique de développement de la France3.1.1 Les nouvelles orientations encourageantes du CICID 2018Les caractéristiques atypiques de l'aide française que sont l'importance du canal multilatéral et la prééminence des prêts concessionnels dans l'aide bilatérale sont connues et ont déjà fait l'objet de six rapports parlementaires demandant une réorganisation de la politique d'aide au développement et de ses canaux ainsi qu'une réorientation stratégique de l'aide française vers les pays pauvres prioritaires, en proposant d'accroître la part des dons et des subventions dans le budget de l'Etat. Ces rapports n'avaient jusqu'ici pas été pris en compte au sommet de l'Etat, en dépit du manque de satisfaction généré par la situation de l'aide française auprès des parlementaires, des ONG et des spécialistes du développement international45(*). Sous la présidence de François Hollande, les questions sahéliennes ont d'abord été abordées sous un prisme militaire et sécuritaire, laissant peu de marges de manoeuvre pour une redéfinition de la politique de développement de la France en faveur de la région. L'arrivée d'Emmanuel Macron à la présidence de la République en 2017 a semble-t-il fait évoluer la situation. Le nouveau chef de l'Etat s'est engagé en juillet 2017 à porter l'aide publique au développement de la France à 0,55% du revenu national brut (RNB) à l'horizon 2022, alors qu'elle représentait 0,42% en en 2017.Cela implique un effort budgétaire majeur sur la mission « aide publique au développement ». Le président de la République a également fait montre d'une volonté politique de remettre l'aide publique au développement au service des pays les plus fragiles et des pays prioritaires de la coopération française. Les objectifs fixés par la nouvelle présidence de la République, au défaut d'être inscrits dans la loi de finances 2018 (votée en 2017), se sont vus reflétés dans les conclusions et les orientations du CICID qui s'est réuni en février 2018. A cette occasion, des orientations prometteuses ont été dégagées, en particulier concernant la répartition de la distribution de l'aide entre le canal bilatéral et le canal multilatéral46(*). Celle-ci a en effet été redéfinie au bénéfice du bilatéral : les conclusions du CICID visent à ce que l'accroissement de l'aide publique au développement bénéficie au deux-tiers au canal bilatéral et un tiers pour le canal multilatéral. De plus, les conclusions du CICID précisent que les dotations en dons de l'AFD pour des projets bilatéraux devront être augmentés de 1 milliards d'euros supplémentaires en 201947(*). Ces orientations ont bien été transcrites dans le projet de loi de finances (PLF) 2019 : la mission aide publique au développement a vu ses autorisations d'engagement augmenter de 1 milliard d'euros en dons à partir de 2019.,ce qui représente une augmentation conséquence en comparaison des années précédentes. Figure 32 - Evolution des autorisations d'engagements en dons de l'AFD sur 2015-2019 ( en millions d'euros)Sources : chiffres des projets de loi de finance (2015-2019) Cette mesure vise à permettre à l'AFD d'intervenir de manière significative dans les pays pauvres où la France dispose d'intérêts géopolitiques majeurs, et a vocation à cibler en premier lieu les Etats de la bande sahélo-saharienne47(*). Le CICID de 2018 a dressé les contours d'une nouvelle matrice de la politique de développement qui se veut plus stratégique, en se réorientant vers les dons et l'aide bilatérale. Cela permettrait ainsi à la France de financer les secteurs stratégiques dans ses Etats prioritaires et de reprendre le contrôle de son aide publique multilatérale et de davantage peser dans les décisions de financement des institutions multilatérales de développement en bénéficiant d'un effet de levier bien plus étendu qu'auparavant. Ces conclusions sont par ailleurs reprises dans le rapport parlementaire du député Hervé Berville pour la modernisation de l'aide publique au développement, qui propose notamment une augmentation de l'aide bilatérale, la création d'un cadre d'un "partenariat global dans un document stratégique unique exposant la vision de la France à long terme dès 2019 ainsi qu'une programmation pluriannuelle des engagements financiers de la France et de sa stratégie en matière d'aide au développement, formalisée une loi d'orientation qui devrait être votée à l'automne 2019.Il suggère aussi la création d'une commission d'évaluation indépendante pour s'assurer de l'efficacité des actions. * 45 https://www.senat.fr/rap/r15-728/r15-728_mono.html. « Sahel - Repenser l'aide publique au développement » * 46 https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/releve_de_conclusions_du_comite_interministeriel_de_cooperation_internationale_et_du_developpement_-_08.02.2018_cle4ea6e2-2.pdf * 47Lafourcade, O., & Michailof, S. (2018). Examen des nouvelles orientations de la politique française de coopération. |
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