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Existe-t-il une stratégie géopolitique de l'aide publique au développement de la France au Sahel ?


par François De Block
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Ecole Normale Supérieure - Master 2 Géopolitique 2019
  

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1.4 La présence chinoise dans la bande sahélo-saharienne : des relations avant tout économiquessans véritable engagement sécuritaire

La Chine fait partie des puissances émergentes qui ont massivement pris pied en Afrique depuis le début des années 2000. Elle y est présente pour des raisons essentiellement économiques et commerciales : la Chine s'est intéressée à l'Afrique subsaharienne comme fournisseur de matière premières, de pétrole et de certains minerais nécessaires à sa croissance en tant qu' « atelier du monde »31(*). Depuis 2009, la Chine est devenu le premier exportateur mondial et le premier partenaire commercial du continent africain. D'après le ministère chinois du commerce, la Chine a exporté en 2017 pour 97,4 milliards de dollars, et importé 75,3 milliards de dollars.La Chine importe d'Afrique du pétrole, des minerais et du bois et y exporte de biens de consommation, dont les téléphones portables, des médicaments, des machines et des véhicules. Dans les pays d'Afrique francophone, et en particulier dans les Etats du Sahel, cela s'est fait au détriment de la France : alors que les parts de marché à l'exportation de la France en Afrique ont été divisées par deux entre 2000 et 2017, celles de la Chine ont été multipliées par six, passant de 3% à 18%. Au Sahel, la Chine est ainsi en 2017, le premier partenaire commercial du Mali, du Niger et du Tchad, et se pose en rival économique de la France dans son pré-carré.

En ce qui concerne les investissements directs à l'étrangers chinois en Afrique, ceux-ci sont relativement faibles, les annuellement de l'ordre de 2 milliards de dollars, soit 4 % des investissements chinois à l'étranger. Même si ceux-ci de plus en plus distribués, d'un point de vue géographique comme sectoriel, ils sont encore largement concentrés aux secteurs pétrolier, des minerais, des télécommunications et des infrastructures. La stratégie chinoise en Afrique se veut partenariale et fondée sur le principe énoncé par les chinois du « gagnant-gagnant ». Sa priorité est de sécuriser les routes commerciales et son approvisionnement en matières premières, et d'offrir des débouchés à ses entreprises sur le continent, dans le cadre de sa stratégie des « Nouvelles routes de la soie ». Pour cela, elle mène une politique de coopération économique qui mêle à la fois les investissements, le commerce et les flux d'aide au développement. Il est cependant difficile de donner une estimation précise du montant de l'aide accordée par la Chine aux pays africains. Ces modalités d'intervention sont cependant connues : les trois modalités de l'aide sont les prêts bonifiés, les projets d'entreprises à cogestion et l'aide sans contrepartie. Cette dernière était estimée à « seulement » 3 milliards de dollars en 2014, tandis que les prêts et les projets d'entreprises représenteraient une part bien plus importante des flux financiers chinois en Afrique.32(*)La politique de coopération économique chinoise diffère des pratiques des bailleurs occidentaux en ce qu'elle n'est assortie d'aucune condition de réforme politique ou de respect des droits de l'Homme. De plus, contrairement aux bailleurs occidentaux, la Chine pratique une politique d' "aide liée", dans laquelle le pays bénéficiaire du prêt doit conclure en priorité des contrats avec des entreprises chinoises afin de mettre en oeuvre les projets financés. Beaucoup des prêts chinois sont également garantis par la livraison de matières premières, alors que les cours ont été globalement orientés à la baisse sur 2008-2017. Cela a pour effet de créer une nouvelle dynamique d'endettement dans les Etats africains ciblés par les projets et les prêts chinois. Le FMI alerte l'augmentation de la dette africaine, en particulier pour les pays déjà lourdement endettés comme la Mauritanie et le Mali. De plus, les pays confrontés aux fluctuations des prix des matières premières tels que le Nigéria et le Tchad sont les plus exposés à ce risque. 

Le véritable avantage de la Chine est sa capacité d'investissement rapide et massive. Elle dispose de réserves très importantes en devises, qui lui permettent de faire des prêts à des taux intéressants aux Etats africains (taux qui restent toutefois supérieurs aux taux concessionnels appliqués par les bailleurs de l'OCDE). La Chine est ainsi devenue le premier créancier de l'Afrique, en s'appuyant essentiellement sur la China EximBank, la banque publique d'import- export, et la China development Bank (CDB). Selon le CARI, un centre de recherche dépendant de l'Université américaine Johns Hopkins, Pékin aurait alloué 95 milliards de dollars de prêts en Afrique entre 2000 et 2017, dont 18,2 milliards pour l'Afrique de l'ouest. Sur la période 2000-2017, l'OCDE estime que les Etats sahéliens, à l`exception du Burkina Faso, ont reçu chacun entre 500 et 1000 millions de dollars de prêts de la part de la Chine.

Figure 14 - Les prêts de la Chine aux Etats d'Afrique de l'Ouest sur 2000-2017

L'aide économique et financière de la Chine est essentiellement tournée vers les pays d'Afrique de l'Est et les pays de l'Afrique de l'Ouest riches en pétrole et en gaz. En ce qui concerne le Sahel, la Chine a choisi d'adopter une approche bilatérale dans ses relations avec les Etats de la région, sur un petit nombre de secteurs permettant une rentabilité de long-terme pour les investissements chinois. La présence chinoise au Sahel se fait notamment sentir au Mali, au Niger et au Tchad33(*). Au Niger, la Chine investit principalement dans les domaines de l'énergie, des mines et de l'immobilier. Le pétrole et l'uranium sont les deux premiers produits importés par la Chine. La coopération militaire y est structurelle, mais non-opérationnelle : les partenariats sino-nigeriens dans le domaine militaires se traduisent par des ventes de matériels chinois (armes, chars) pour un montant de 50 M $ depuis 2006, mais les forces tchadiennes ne se montrent pas satisfaites de la qualité du matériel vendu.

Pour ce qui est du Tchad, la Chine y est présente dans le domaine pétrolier (1,28 md $ sur 2000-2016), les transports et les infrastructures (7,2 md $ sur 2000-2016)34(*). Elle est le premier partenaire commercial du pays et en importe surtout du pétrole ( 99% des importations en 2017). En ce qui concerne leur coopération militaire, la Chine continue de former des officiers tchadiens chaque année et quelques contrats d'armement ont été signés en 2007, 2008, 2010 et 2013 pour 61 m $ au total (blindés, lances-roquettes,etc.). Deux attachés de défense chinois sont présents de manière permanente au Tchad, ce qui illustre l'intérêt que porte la Chine à a stabilité de ce pays, situé aux marges du tracé des Nouvelles routes la Soie en Afrique. Enfin, la Chine est aussi présente au Mali dans le domaine des télécoms, l'industrie pharmaceutique et les infrastructures. Elle est le troisième partenaire commercial du pays et en importe essentiellement du bois (52% des importations en 2017) et des produits végétaux (31%).La proximité politique entre les deux Etats est ancienne : la Chine a été le deuxième pays à reconnaître l'indépendance du Mali en 1960. Sur le plan de la coopération militaire, le Mali a bénéficié depuis 2008 d'une assistance technique et logistique non-létale de la part de Pékin, sous la forme de véhicules et d'équipements légers35(*).

La stratégie mise en oeuvre par la Chine en Afrique de l'ouest est d'ordre économique et commerciale et ouvertement destinée à rééquilibrer la domination française (et occidentale) sur cet espace. La Chine souhaite ainsi devenir un acteur économique majeur en Afrique, et est solidement implantée dans des secteurs stratégiques au Sahel, où elle est en concurrence directe avec la France.

La politique de coopération sécuritaire de la Chine y est cependant effacée et peu opérationnelle, Pékin ne désirant pas se lancer dans des opérations militaires sur le continent. Aussi, sa contribution effective à la résolution de la crise sécuritaire au Sahel est très limitée : Pékin a déployé ses troupes au Sahel dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) de l'ONU en 2013, en soutien de l'opération Serval menée par la France. Les forces chinoises présentes au Sahel ne représentent que 3% des effectifs de la MINUSMA et jouent dans ce cadre un rôle essentiellement symbolique. Elles visent à démontrer la contribution de la Chine à la paix et à la stabilité de l'Afrique. Alors que la présence militaire de la France dans la bande sahélo-saharienne répond à des impératifs stratégiques, celle de la Chine lui sert à manifester sa « puissance retrouvée » et à gagner de l'expérience pour mener ses propres combats contre le terrorisme islamique dans le Xinjang. Les préoccupations de la Chine au Sahel sont la défense de ses intérêts économiques liés aux matières premières, et Pékin délaisse les enjeux sécuritaires qui sont assumés par les occidentaux36(*). Les vrais enjeux pour la Chine sont ailleurs : Pékin conçoit sa trajectoire actuelle comme une revanche sur les occidentaux qui l'ont « humilié » au XIXème siècle, revanche qui se prend en investissant massivement dans les territoires autrefois dominés par les Européens.Dans ce cadre, le Sahel joue un rôle périphérique sans grande importance stratégique pour la Chine, qui joue sur l'asymétrie des relations et de sa diplomatie de la dette pour accroître la dépendance économique des pays africains à son égard pour servir ses propres intérêts.

Au final, il semble que la puissance extérieure dominante dans la bande sahélo-saharienne reste bien la France. En dépit de son désengagement relatif dans la région depuis la fin de la guerre froide, son implication en première ligne sur le volet militaire et sécuritaire l'érige en acteur extérieur principal de la crise sahélo-saharienne. Mais quels sont les objectifs de l'intervention française au Sahel ? Sa politique de développement y est-elle en adéquation avec son implication militaire ?

* 31Delcourt, L. (2011). La Chine en Afrique: enjeux et perspectives. Alternatives sud, 18(1), 7-31.

* 32Hugon, P. (2010). Les nouveaux acteurs de la coopération en Afrique. International Development Policy| Revue internationale de politique de développement, 1(1), 99-118.

* 33LaFargUe, F. (2014). La Chine en Afrique. L'Afrique, nouveau terrain de jeu des émergents, 19.

* 34Cabestan, J-P. La présence chinoise au Sahel : le cas du Niger et du Tchad- Table ronde n°17/24 de l'Observatoire Stratégique et Politique de la Chine, cycle 2017-2018, 7 juin 2017

* 35Cabestan, J-P. La présence chinoise au Sahel : le cas du Niger et du Tchad- Table ronde n°17/24 de l'Observatoire Stratégique et Politique de la Chine, cycle 2017-2018, 7 juin 2017

* 36 http://institut-thomas-more.org/2018/09/03/chine-afrique-au-dela-des-interets-economiques-lindifference-reciproque/

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