PARTIE 2
Les limites au développement des musiques
actuelles dans le Gâtinais.
Analyses et compréhension des difficultés
rencontrées.
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I. Inégalités spatiales et territoriales,
quels effets ?
1.1. L'inégale répartition des
équipements facteur d'inégalité de pratiques
Nous l'avons vu, le principal constat observable sur le
territoire seine-et-marnais est le déficit d'équipement au nord,
à l'est, et au sud. La corrélation de ces disparités avec
la nature rurale du territoire tendrait à témoigner d'un
désintérêt des politiques publiques pour une part notable
de la population et de ses besoins. L'enjeu des politiques étant aussi
bien de répondre à la forte demande sociale en matière
musicale, comme étant l'une des activités culturelles
préférées des Français100, que de
permettre de développer les conditions d'accès aux
équipements, aux services culturels et aux lieux de proximité
« avec une répartition géographique compensant les
déséquilibres centre/périphérie, zones
urbaines/zones rurales, Paris/régions, etc. »101.
Le Conseil Supérieur des Musiques Actuelles, mis en
place en 2004, à la demande des acteurs et professionnels du secteur, a
souligné, dans son Plan pour des politiques nationales et
territoriales concertées en faveur des musiques actuelles,
l'importance des Concertations territoriales pour combler les
inégalités sociales et territoriales à travers, notamment,
la proposition d'élaborer les «schémas territoriaux de
développement des musiques actuelles»102. Cette
proposition aboutira à la circulaire du 31 août 2010, dont
l'objectif est de développer les SOLIMA103 et de
dégager des perspectives d'avenir pour les lieux de Musiques Actuelles.
Ces schémas visent à prendre en compte l'intérêt de
« l'équité territoriale », en rappelant que «
le maillage territorial, permettant de répondre â la demande
dans le respect des diversités des musiques actuelles, est loin
d'être achevé ». Cette circulaire met en avant «
les écarts territoriaux » en matière d'aménagement,
de diffusion, de production et d'apprentissage, surtout en territoires
ruraux.
Et c'est notamment en matière de pratiques amateurs que
ses écarts peuvent générer de véritables
inégalités. Concrètement cela se traduit par des constats
plutôt négatifs des musiciens sur leur propre territoire :
« Il manque des locaux de répétition, il manque des
studios, ouais il
100 Sondage de la SACEM conduit par Sofres de mai 2005,
indique que près de 74 % des Français estiment ne pas pouvoir se
passer de musiques, devenues un des loisirs culturels
préféré des français. En 2011, près d'un
français sur deux (47%) déclare que la musique est une de leur
activité culturelle préférée, la plaçant en
troisième position après la lecture et la
télévision.
101 Berthod-Weber, Rapport de soutien de l'état aux
musiques actuelles, 1998, p.55
102 CSMA, Plan pour une politique nationale et territoriale
des musiques actuelles, 2004
103 Schémas d'Orientation de développement des
Lieux de Musiques Actuelles
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manque vraiment des structures d'accompagnement des
artistes. Y'a pas beaucoup de structures donc euh...malheureusement, on fait du
bruit, ça embête les voisins. »104 La
concentration des lieux structurants sur la frange urbaine entraîne, sur
le reste du département, un déficit d'accompagnement des jeunes
formations musicales. Selon nos constats, le nombre d'espaces de
répétition n'est que de trois : au FLC de Fontainebleau, à
la MJC La Scala, et de manière moins permanente, à la Tête
des Trains. Si l'on estime le nombre de groupes amateurs sud seine-et-marnais,
ayant déjà une activité de diffusion, entre soixante et
quatre-vingts formations musicales locales, il est difficile d'envisager que
les équipements présents sur le territoire puissent accueillir
à l'année l'ensemble de ses groupes. De plus, on peut remarquer
que le manque de personnel dédié rend la transmission complexe.
Comment former quand on ne l'est pas soi-même ?
Les dispositifs destinés au repérage et au
développement des formations musicales sont eux aussi concentrés
sur les zones urbaines du département et bénéficient
difficilement aux groupes ruraux105. Une situation qui peut
s'expliquer par la faible visibilité de ces dispositifs, et le manque de
projets similaires organisés entre les seules structures du
Gâtinais. Bien évidemment, ce serait à tort d'imaginer que
ces structures ne souhaiteraient pas développer ce type de dispositifs,
en témoigne les soirées « tremplin » et la dizaine de
musiciens accompagnés chaque année dans la diffusion et
l'élaboration scénique de leurs projets musicaux. Toutefois, on
peut s'interroger sur la véritable portée de ses
expériences comparées aux programmes « complets »
proposés par les structures dédiées en matière
d'accompagnement aussi bien technique qu'artistique (gestion sonore,
utilisation et réglage du matériel, arrangement, coaching,
prévention des risques auditifs, etc.). Les répétitions
sont donc bien souvent organisées chez les particuliers, dans les
sous-sols des pavillons, les caves, les granges ou les bâtiments
agricoles, qui deviennent les lieux de rendez-vous des copains amateurs de
musique et plus largement de leur proche entourage, leurs premiers fans.
Les mêmes difficultés se présentent en
matière d'enregistrement. Passage obligé des groupes en
développement, l'enregistrement d'un support sonore est une étape
cruciale dans le
104 Propos recueillis d'après l'interview
réalisé par l'association Musiqafon dans le cadre du projet
« La culture, le 77 et moi » initié par le projet Place Aux
Jeunes par le Service Jeunesse de Seine-et-Marne. Les jeunes répondants
sont des lycéens de Nemours et Fontainebleau.
105 Les dispositifs recensés par le réseau Pince
Oreilles sont : le Mégaphone, élaboré entre la Boîte
de Concert, à Pontault Combault, et le Pub ADK à Roissy-en-Brie ;
le FÔG (Formations Ô Groupes) rassemble lui L'Empreinte, à
Savigny-le-Temple, Le Potomak, à Brie-Comte-Robert, L'Oreille
Cassée, à Combs-la-Ville, et La Citrouille à Cesson ; et
Eureka, mis en place entre Les Cuizines de Chelles, et File7 à
Magny-le-Hongre.
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parcours d'un artiste ou d'un groupe. Globalement, la
diffusion, la répétition et l'enregistrement sont des
activités intimement liées au sein des équipements
dédiés aux musiques actuelles, traduisant une volonté
d'intégration cohérente et même indispensable. Les studios
de répétition de type sociétés commerciales, sont
généralement à l'initiative de professionnels du secteur
musical, ou de musiciens désireux de répondre par leurs propres
moyens à la demande locale. Il en résulte parfois un manque de
visibilité et une inadéquation entre le besoin d'être
accompagné et la prestation de service purement commerciale. Certains
développent leur propre home studio mais cela ne va pas sans
investissement, ni sans un minimum de connaissances techniques, qui bien
souvent relèvent de l'autodidactie.
Aussi, il ne faut pas sous-estimer l'impact de cette situation
inégalitaire sur le propre parcours des artistes et les
difficultés que peuvent représenter le passage du statut
d'artiste local à celui d'artiste d'envergure départemental. Une
évolution qui nécessite, à un certain stade, d'être
repéré, pour au moins espérer être programmé
dans un espace entièrement dédié à la diffusion des
musiques actuelles, en milieu urbain. Les difficultés qui en
découlent, lorsque l'offre est insuffisante ou insatisfaisante, peuvent
parfois alimenter un réel sentiment d'injustice. L'isolement territorial
et ses conséquences en matière d'éloignement des services
et des espaces de pratiques peuvent désavantager les populations
rurales, et notamment les jeunes. Si inégalités de pratiques et
inégalités territoriales peuvent ainsi être
corrélées, elles peuvent également présenter un
caractère cumulatif, notamment si l'on est jeune et rural.
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