B - Contexte politique de l'époque et exemples
étrangers
Tant le contexte politique d'une époque, assorti de ses
acteurs, que les exemples étrangers de dispositifs proches ou
similaires, participent à la création de
référentiels. Ils sont donc à considérer afin de
situer la genèse de la PPE.
1 - Le contexte politique de l'époque
Président d'Action contre la Faim de 1999 à
2000, Roger Godino a été conseiller du premier ministre Michel
Rocard de 1988 à 1991 et intimement associé à la
création du RMI. Il avait proposé en 1997 la création
d'une Allocation compensatrice du revenu (ACR) destinée à
permettre aux individus travaillant à temps partiel de percevoir une
fraction dégressive du RMI tant que leur revenu total (activité
et fraction du RMI) n'excédait pas le revenu net d'activité d'un
salarié travaillant à temps plein au SMIC. Cette proposition a
fait l'objet de nombreux commentaires et d'études, jusqu'à ce
que, en mai 2001, le gouvernement de Lionel Jospin, dans une décision
des plus importantes de sa législature selon Piketty, lui
préfère le dispositif de la Prime pour l'emploi (Gravel,
2002).
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« La PPE était en fait l'improvisation
accidentelle d'une année préélectorale, mais
consolidée par les gouvernements Raffarin et Villepin »
(Mongin, 2010) : « Défendue par
Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi, l'idée d'un crédit
d'impôt prenant la forme d'un remboursement de la Contribution sociale
généralisée (CSG) a été
écartée... ... au profit de l'allègement direct de la CSG
sur les bas salaires, préconisé par Laurent Fabius. Le ministre
de l'Economie et des Finances avait un argument massue à faire valoir
auprès du Premier ministre : contrairement au crédit
d'impôt, techniquement difficile à mettre en place, les
allègements de CSG, appliqués directement sur la fiche de paie,
permettaient une hausse du pouvoir d'achat des salariés modestes
dès janvier 2001, donc juste avant les municipales. Va donc pour
l'allègement de CSG. Et puis patatras. Le 19 décembre, le Conseil
constitutionnel annule la mesure, déséquilibrant au profit des
ménages aisés le plan de baisses d'impôts
présenté par Fabius le 31 août. Le gouvernement devait
trouver d'urgence une solution de
rechange30. Du coup, Matignon a
ressorti des tiroirs l'idée du crédit d'impôt,
rebaptisé... ... par Lionel Jospin Prime pour l'emploi »
(Raulin, 2001 - 2)
La Prime pour l'emploi (PPE), instaurée en 2001 en
France, relève d'une logique qui consiste à rendre l'emploi plus
rémunérateur afin d'encourager les individus à travailler.
L'utilisation à cette fin de la fiscalité, et plus
précisément du crédit d'impôt, n'est pas nouvelle.
« La décision d'adopter en France l'instrument fiscal
novateur que constitue la PPE a également été
influencée par la mise en place de crédits d'impôt sur le
revenu aux Etats-Unis (Earned Income Tax Credit (EITC) créé en
1975) et au Royaume-Uni (Working Families Tax Credit (WFTC) créé
en 1999 puis réformé en 2003), pour stimuler l'activité et
lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres »
(Cour des comptes, 2006 : p. 285). Ces
expériences étrangères ont fourni un terrain d'analyse
fertile concernant les effets incitatifs et redistributifs des crédits
d'impôt (Périvier, 2003). En effet, à cette époque,
les politiques visant à favoriser le retour à l'emploi des
bénéficiaires de la protection sociale se multipliaient
déjà en France. Elles n'étaient donc pas cantonnées
aux pays anglo-saxons où dominait le répertoire libéral de
protection sociale (Palier, 2008).
Sur un fond de débat important sur l'impôt
négatif et l'allocation universelle qu'il était susceptible de
représenter en 2000 (Vanderborght, 2001), Michel Rocard avait fait une
large promotion du crédit d'impôt (Rocard, 2001).
Enfin « ... à la suite de l' «
affaire de la cagnotte fiscale » qui dégageait « un
trésor fiscal caché », le gouvernement était
appelé à produire une mesure favorable au pouvoir d'achat des
ménages» (Colomb, 2012 - 1 : p. 32).
30 « Le projet de loi portant création de la
PPE s'est improvisé en quelques semaines, après que le Conseil
Constitutionnel eut annulée en décembre 2000 la ristourne de
Contribution sociale généralisée (CSG) que le gouvernement
avait initialement prévue. Le rapporteur du projet à
l'Assemblée Nationale, D. Migaud, traduisait son embarras ainsi : «
Il n'est guère courant que la Commission des finances ait à
connaître dans l'urgence, au mois de janvier, mais instructif de relire
l'exposé des motifs malingre et décalé qui fait suite
à cette entrée en matière » (Mongin, 2008 : p.
442).
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« Eléments de division de la gauche :
Pourquoi la mesure divise-t-elle à gauche ? Rien de
«théologique» là-dedans. D'inspiration
ultralibérale (le concept a été créé par
l'économiste américain Milton Friedman), le crédit
d'impôt est un élément central des politiques sociales des
Etats-Unis et du Royaume-Uni, pays où la réduction des
inégalités est loin d'être une priorité. L'Earned
Income Tax Credit et le Working Family Tax Credit justifient au contraire
là-bas l'absence de salaire minimum légal. De quoi susciter une
crainte diffuse dans les rangs de la gauche française : la
généralisation du crédit d'impôt ne menace-t-elle
pas à terme l'existence du SMIC ? Réponse de Jean Pisani-Ferry,
ancien conseillé de Dominique Strauss-Kahn et membre du Conseil
d'analyse économique, dans Libération... : L'Etat n'a aucun
intérêt à ce que les bénéfices du
crédit d'impôt reviennent aux entreprises. Pour baisser les
salaires, il faudrait que l'employeur le puisse. L'existence du SMIC l'en
empêcherait. Le crédit d'impôt conforte le SMIC, il ne
l'affaiblit pas.» (Raulin, 2001 - 2).
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