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La prime pour l'emploi (PPE) un outil de politique publique à  fonctions multiples, un sujet permanent de réforme et de redéfinition.

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par Thierry GATINES
UPMF Grenoble 2  - Master 2 Evaluation et management des politiques sociales 2015
  

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LISTE DES ENCADRES

Encadré 1 : Conditions d'éligibilité à la prime pour l'emploi au titre

des revenusde2001 ... ... ... ...

..........12

Encadré 2 : Les instruments de soutien des bas taux de salaires... ...

.....15

Encadré 3 : Le Working Families Tax Credit (WFTC)... ... ...

....21

Encadré 4 : L'Earned Income Tax Credit (EITC)... ... ......

...21

Encadré 5: Quelques remarques à mi-chemin entre redistribution et

incitation à l'emploi ... ... ...

.............24

Encadré 6 : Les réformes successives de la PPE... ... ...... 32

Encadré 7 : Quelques chiffres sur la PPE... ... ... ...... .....35

XI

LISTE DES ANNEXES

Annexe 1 : Description du modèle de micro simulation Ines ... 87

Annexe 2 : Schéma de présentation du modèle Ines... ... ... ....88

Annexe 3 : Brève description du modèle de micro-simulation

MYRIADE... ... ... ...... ... ..........89

Annexe 4 : Récapitulatif de l'évolution du barème de la PPE depuis

sa création... ...... ... ... ......... .....90

Annexe 5 : Comment se calcule la PPE d'un foyer fiscal ... ... 91

Annexe 6 : Enquête PPE Pôle-Emploi Saint-Chamond (Loire)... ... ... 92

Annexe 7 : Enquête PPE Viadeo (base contacts) 93

Annexe 8 : Enquête PPE LinkedIn (base contacts) 94

1

INTRODUCTION GENERALE

Le cadre général du sujet est celui des politiques publiques sociales. Il concerne la redistribution des revenus, en aide aux bas salaires1, la fiscalité, en réduction des inégalités, et l'incitation à l'emploi (reprise et/ou maintien de l'activité professionnelle) (Direction de l'information légale et administrative, 2015). « À la fin des années 1990 émerge en France un débat important sur les thèmes de l'incitation au travail des titulaires de minima sociaux et de la pauvreté de certains travailleurs. Ce débat conduit notamment en 1998 au renforcement du mécanisme d'intéressement des minima sociaux (RMI, API)2. Plus largement, une réflexion s'engage sur l'opportunité d'instaurer, comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, un dispositif à la fois destiné à encourager l'emploi et à réduire la pauvreté des travailleurs. Une Prime pour l'emploi (PPE) est finalement créée en 2001, « afin d'inciter au retour à l'emploi ou au maintien de l'activité »3 en complétant les revenus des travailleurs faiblement rémunérés. Depuis sa création, la Prime pour l'emploi a été réformée et revalorisée à plusieurs reprises, traduisant la volonté des gouvernements successifs de soutenir le revenu des travailleurs modestes autrement que par les revenus du travail » (Bonnefoy et al., 2009 : p. 87). A la même époque, les réformes des aides au logement et de la taxe d'habitation, avec l'arrivée de la Prime pour l'emploi, ont eu à la fois des objectifs d'incitation et de redistribution, à un moment où la diminution de l'impôt sur le revenu conduisait à rechercher des compensations pour les ménages à revenus modestes ou moyens (Elbaum, 2007).

Sur le principe, « la Prime pour l'emploi est un dispositif, mis en place en 2001, prenant la forme d'un crédit d'impôt, sur le modèle du Earned Income Tax Credit américain et du Working Family Tax Credit britannique » (Elbaum, 2011 : p. 331). « La Prime pour l'emploi (PPE) est une aide au retour à l'emploi et au maintien de l'activité professionnelle. Elle est attribuée aux personnes exerçant une activité professionnelle salariée ou non salariée sous conditions de ressources. Son montant est calculé en pourcentage du revenu d'activité. Elle est déduite de l'impôt sur le revenu à payer ou versée directement au bénéficiaire s'il n'est pas imposable. Pour percevoir la PPE, il suffit de remplir les rubriques concernant cette aide sur la déclaration d'impôts ». (Ministère du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle, et du Dialogue social, 2015). La Prime est croissante jusqu'au SMIC, puis décroissante ensuite (Hagneré, Trannoy, 2001).

En pratique, « la Prime pour l'emploi (PPE) est attribuée aux foyers fiscaux dont l'un des membres au moins exerce une activité professionnelle et dont les revenus ne dépassent pas certaines limites. Il s'agit d'un crédit d'impôt : le montant de la PPE est, selon le cas, automatiquement déduit de l'impôt sur le revenu à payer, ou versé par chèque ou virement du Trésor public » ( Service-public.fr, 2015). La PPE est « individuelle » car son calcul porte sur le montant du salaire individuel et le droit est conditionné à une activité

1 « Par convention, les bas salaires sont les salaires inférieurs aux deux tiers du salaire médian de l'ensemble de la population » (Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), 2015).

2 Revenu minimum d'insertion (RMI) et Allocation parent isolé (API).

3 Extrait de l'exposé des motifs de la loi du 30 mai 2001.

2

minimale individuelle, mais la condition de ressources repose elle sur les revenus globaux du ménage (Périvier, 2003).

« Selon la définition classique qu'en donne Jean-Claude Thoenig4 ("L'analyse des politiques publiques" in Traité de science politique sous la direction de Leca et Grawitz, 1985), une politique publique est un programme d'action propre à une ou plusieurs autorités publiques ou gouvernementales. Les politiques publiques sont donc des outils et des moyens mis en oeuvre par les pouvoirs publics pour atteindre des objectifs dans un domaine particulier de la société. Elles recouvrent un vaste champ d'intervention possible » (Le Politiste, 2012).

L'intérêt du sujet est représenté par la singularité du dispositif de la PPE. Elle est considérée comme « une innovation très importante dans le paysage socio-fiscal » (Courtioux, Le Minez, 2004 : p. 617). En effet, la Prime pour l'emploi est vertueuse au-delà de ses objectifs premiers5. A ce titre, elle permet par exemple de créer un écart entre revenu du travail et revenus d'inactivité, de contrer les « trappes à inactivité »6 et les « trappes à pauvreté », d'être une mesure à effet global (système socio-fiscal), d'être une mesure contra cyclique, venant en amortisseur de chocs exogènes (la crise de 2008, par exemple), ou encore d'éviter « l'effet Matthieu »7 (consistant à donner davantage à ceux qui ont déjà : c'est-à-dire accorder des avantages sociaux plus élevés aux classes moyennes qu'aux classes pauvres) (Elbaum, 2011).

La Prime pour l'emploi est-elle en accord avec le principe de justice sociale ? (aspect sociologique : primer des actifs au travail quand plus de 3 500 000 actifs sans emploi étaient inscrits en catégorie A sur les listes de Pôle-Emploi à fin avril 2015 ? (Ministère du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle, et du Dialogue social, 2015 - 2). Le dispositif de la PPE suscite de nombreuses interrogations. Par exemple, la Prime pour l'emploi ne devrait-elle pas porter un autre nom ? Quelle est sa principale fonction aujourd'hui ? Pour quelles raisons cette mesure est-elle appelée si souvent à être réformée ? La Prime pour l'emploi n'est-elle pas victime de sa fonction multiple ?

Modifiée régulièrement depuis sa création en 2001, la PPE est d'ailleurs à nouveau appelée à être réformée en 2016. L'intérêt du sujet est donc également représenté par son actualité.

4 Jean-Claude Thoenig est un sociologue d'origine suisse, il est directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

5 « Donner un supplément de revenu aux personnes qui occupent un emploi faiblement rémunéré, afin d'inciter à la reprise d'emploi » (Elbaum, 2011 : p. 330), « abonder les revenus des ménages comportant des salariés faiblement rémunérés » (Elbaum, 2011 : p. 331).

6 « On parle de « trappe à inactivité » pour décrire une situation où la reprise d'un emploi faiblement rémunéré par un allocataire de minimum social conduit à une stagnation, voire une baisse du niveau de vie, de telle sorte que celui-ci pourrait « préférer » demeurer dans le dispositif d'assistance » (Sénat, 2015). « Désigne les incitations éventuelles qui encourageraient une personne à demeurer inactive (cas des allocataires de minima sociaux ou des dispensés de recherche d'emploi) ou ne pas accepter de reprendre un emploi alors qu'elle est au chômage, en raison de la perte des avantages sociaux auxquels elle devrait alors renoncer » (Alternatives économique, 2015).

7 En référence à la formule de l'Evangile selon Matthieu : « A celui qui a, il sera beaucoup donné et il vivra dans l'abondance... ».

3

Ce dispositif a toujours suscité de riches interrogations : il existe en effet une multitude de questions autour de la PPE, provenant de nombreux auteurs.

Les principales questions retenues sont : la Prime pour l'emploi a-t-elle un impact redistributif, stimule-t-elle l'emploi (Pisany-Ferry in OFCE, 2003), notamment l'emploi des femmes (Cahuc, 2002), est-elle socialement juste (Dupond, Sterdyniak, 2001), est-elle compréhensible, attractive, et efficace (Sirugue, 2013), peut-elle poursuivre plusieurs objectifs en même temps (Dupond, Sterdyniak, 2001) ? Enfin, quelles sont les perspectives d'avenir pour la Prime pour l'emploi (Sirugue, 2013) ?

Les propositions et préconisations des auteurs sont également nombreuses (thèses en présence). Il peut être cité, à titre d'exemple, des propositions alternatives à la PPE comme la ristourne de Contribution sociale généralisée et de Contribution au remboursement de la dette sociale (CSG/CRDS) (votée à l'automne 2000 mais censurée par le Conseil constitutionnel) ou l'Allocation compensatrice de revenu (ACR), proposition formulée par Roger Godino8 en 1999 (Arnaud et al., 2008 ) ; une faveur en direction d'aides puissantes mais limitées dans le temps, au moment où des efforts sont demandés aux familles, soit à l'occasion du retour à l'emploi, d'une mobilité géographique ou d'un changement de métier (Brongniart, 2006) ; une volonté de réforme des règles de revalorisation du salaire minimum, des minima sociaux et des prestations liées à l'activité (unifier les minima sociaux et les prestations liées à l'activité, en améliorant leur lisibilité et l'activation des dépenses, et ouvrir les minima sociaux et ces prestations à tous les adultes dès 18 ans), un allégement des cotisations sociales et des minima salariaux de branche (Cahuc et al., 2008) ; une volonté de simplifier de façon importante l'ensemble des prestations sociales, en fusionnant le Revenu de solidarité active « activité » (RSA activité) et la Prime pour l'emploi (Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 2013) ; et enfin les douze propositions du rapport Sirugue, rapport précurseur de la réforme à venir, fusionnant en 2016 le RSA activité et la PPE, et créant ainsi la Prime d'activité) (Sirugue, 2013).

En position de neutralité face aux thèses en présence, une réponse sera apportée aux questions centrales retenues. Ces réponses s'articuleront autour d'une reformulation simplifiée du questionnement : pourquoi la Prime pour l'emploi n'a-t-elle pas fonctionné, et quelles sont ses perspectives d'avenir ?

Le sujet sera traité à l'aune de la pertinence, de l'efficacité, et de l'efficience du dispositif de la Prime pour l'emploi (problématique).

La PPE, dispositif appliqué en France, sera comparé aux Earned Income Tax Credit (EITC) américain et au Working Family Tax Credit (WFTC) britannique, afin d'établir les similitudes et différences, et d'essayer d'identifier les raisons de l'échec relatif du dispositif français. L'analyse couvrira toute la période d'application de la PPE, de 2001 à

8 Roger Godino a notamment été conseiller du Premier ministre Michel Rocard.

4

aujourd'hui, et abordera spécifiquement chacune des réformes et revalorisations appliquées au modèle originel. La réforme majeure de la PPE prévue pour 2016 (nouvelle Prime d'activité venant remplacer la Prime pour l'emploi), ne sera abordée qu'en prolongement avec l'actuel dispositif afin d'en dégager les grandes orientations politiques et stratégiques. Le sujet de la Prime d'activité ne sera volontairement pas abordé dans le détail. Enfin, la difficile gestion administrative de la PPE, ayant été confrontée à des difficultés d'adaptation à des situations familiales ou professionnelles de plus en plus mouvantes (Elbaum, 2007), sera de la même façon volontairement mise de côté dans l'analyse générale du dispositif étudié.

Dans un premier temps, la genèse de la Prime pour l'emploi sera présentée : le problème social à résoudre, les acteurs de l'époque, le contexte politique. A la suite, un historique sera fait des réformes et revalorisations opérées.

Dans un deuxième temps, le dispositif sera présenté sous sa forme actuelle, en mettant en évidence ses points forts et ses points faibles, du point de vue de sa pertinence, de son efficacité, et de son efficience (problématique et questions de Sirugue en 2013). Il sera distinctement vérifié si les deux objectifs de la PPE sont atteints : l'impact redistributif et la stimulation de l'emploi (l'emploi des femmes en particulier) (questions respectives de Pisani-Ferry en 2003 et de Cahuc en 2002). Il sera également vérifié si ces deux « missions » sont en mesure de cohabiter : est-ce qu'un dispositif peut poursuivre deux objectifs distincts ? (question de Dupond, Sterdyniak en 2001 ; Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, 2005 ; Cour des comptes, 2011).

Enfin, une toile de fond permettra d'observer la PPE sous l'angle de la justice sociale (question de Dupond, Sterdyniak en 2001). Il sera question de vérifier si la PPE créé et/ou gomme des inégalités sociales. Il sera également question de savoir si elle apporte une aide adaptée et équitable aux travailleurs, particulièrement aux femmes en situation d'emploi. Enfin, le dispositif sera abordé, tant sur le plan pécuniaire que sur celui des capabilités, selon la grille d'analyse proposée par Amartya Sen (Sen, 2003), afin de dépasser l'approche seulement monétaire des situations de pauvreté laborieuse. Lors de la conclusion, l'avenir du dispositif sera évoqué (question de Sirugue en 2013).

Le matériau empirique utilisé dans l'analyse, en argumentation et outil de démonstration, sera tiré des travaux existant sur la PPE depuis sa création. En effet, le sujet dispose d'une complétude bibliographique permettant de traiter la problématique et d'apporter ainsi réponse à la question centrale. Cependant, deux enquêtes « terrain » viendront compléter ce matériau : l'une, réalisée au sein de l'agence Pôle-Emploi de Saint-Chamond (Loire) en questionnement des demandeurs d'emploi présents sur la connaissance qu'ils ont du dispositif de la PPE (enquête de notoriété), et l'autre, de même nature, réalisée via les réseaux sociaux professionnels Linkedin et Viadeo (Network) sur une cible de cadres en activité (catégorie de personnes non concernée par le dispositif du fait de leur niveau de revenus). Enfin, deux exemples, l'un américain et

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l'autre britannique9, seront utilisés à titre de comparatif dans l'analyse des impacts de la PPE. En effet, ces outils suivent le même objectif et sont de même nature que le dispositif français (crédit d'impôt).

Les cadres théoriques utilisés en démonstration des critères de pertinence, d'efficacité, et d'efficience, seront les grilles d'analyse de Charles O. Jones (analyse séquentielle des politiques publiques) (Jones, 1970), et de Pierre Muller (Analyse cognitive des politiques publiques) (Jobert, Muller, 1987 ; Muller 2000, 2013 ; Muller, Surel, 2000). Le cadre théorique utilisé en démonstration du critère de justice sociale sera la grille d'analyse d'Amartya Sen (Approche par les capabilités) (Sen, 2003).

La spécificité de l'analyse présentée, en réponse à la question principale, réside dans une approche non monétaire des problèmes que le dispositif est sensé résoudre, notamment du point de vue des principes de justice sociale10 (Sen, 2003). Elle réside aussi, dans une projection, rendue possible par la réforme annoncée en 2016 (transformation de la Prime pour l'emploi en Prime d'activité), permettant d'envisager l'analyse du dispositif du point de vue de sa transversalité temporelle (passé - présent - futur), et de vérifier, à la lumière de sa trajectoire, si le dispositif prend la direction d'un solutionnement offrant plus de pertinence, d'efficace, et d'efficience.

Le sujet sera traité à l'aide d'un plan en deux parties. Une première partie présentera le dispositif de la PPE (chapitre I) : sa genèse, le problème et le besoin social, le contexte de l'époque, les exemples étrangers, la réponse apportée, l'évolution du dispositif dans le temps selon ses différentes réformes et revalorisations.

Une deuxième partie (chapitre II) traitera de l'actualité du dispositif : son impact en redistribution des revenus (réduction des inégalités et aide aux bas salaires), son impact en stimulation de l'emploi, l'analyse du dispositif actuel à l'aide des cadres théoriques (analyse séquentielle et cognitive : du besoin social au dispositif, du problème social au rôle des acteurs, l'approche par les référentiels). La PPE sera abordée sous l'angle de la justice sociale (réduction ou création d'inégalités), notamment par une approche non monétaire (Sen, 2003). La conclusion générale permettra l'ouverture du sujet vers l'avenir du dispositif : la Prime d'activité à horizon 2016.

9 L'Earned Income Tax Credit américain (EITC), et le Working Families Tax Credit britanique (WFTC)

10 Selon l'Organisation des Nations unies (ONU), « La justice sociale est fondée sur l'égalité des droits pour tous les peuples et la possibilité pour tous les êtres humains sans discrimination de bénéficier du progrès économique et social partout dans le monde. Promouvoir la justice sociale ne consiste pas simplement à augmenter les revenus et à créer des emplois. C'est aussi une question de droits, de dignité et de liberté d'expression pour les travailleurs et les travailleuses, ainsi que d'autonomie économique, sociale et politique » (ONU, 2015).

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand