CONCLUSION GENERALE
La PPE depuis 2001, par le biais d'un crédit
d'impôt récupérable, a une fonction redistributive centrale
à travers l'incitation au retour à l'emploi et au maintien de
l'activité (particulièrement par l'intéressement des
minimas sociaux). Elle ne cherche pas cependant à compenser
l'insuffisance des revenus liée à une faible durée de
travail annuelle. Elle ne concerne que les actifs au travail ayant des revenus
se situant entre
0,3 et 1,4 SMIC (triple condition de ressources,
d'activité, et de revenu et configuration du foyer fiscal : voir annexe
5). Elle se pose en double lutte : celle contre la pauvreté laborieuse,
en redistribuant du pouvoir d'achat aux travailleurs et aux ménages
pauvres, et celle contre les trappes à inactivité (et l'exclusion
sociale qui peut en découler), en créant un écart entre
revenu d'activité et d'inactivité, rendant le travail plus
rémunérateur (Making work pay) sur l'exemple proche des
dispositifs britannique et américain. La PPE, instrument de soutien aux
bas revenus, est à la fois une mesure sociale et fiscale (effet global),
qui permet de majorer le taux de salaire net sans accroître le coût
salarial, en maintien d'une rentabilité des entreprises et d'une
compétitivité du modèle français (Périvier,
2003). La PPE est d'autre part une mesure contra cyclique, venant en
amortisseur de chocs exogènes, et elle permet également
d'éviter « l'effet Matthieu » (consistant à donner
davantage à ceux qui ont déjà : c'est-à-dire
accorder des avantages sociaux plus élevés aux classes moyennes
qu'aux classes pauvres) (Elbaum, 2011). Enfin, elle induit un principe
Méritocratique, au sens du proverbe du XVème siècle «
aidez-vous et le ciel vous aidera » : au sens
«travaillez et l'Etat vous aidera » (aide
par le travail).
D'initiative socialiste, partant du contexte économique
et politique de son époque, mais aussi d'exemples étrangers
l'ayant en partie inspirée, la PPE est passée par plusieurs
réformes et revalorisations, l'ayant « modelée » et
« précisée » au fil du temps et des périodes
d'alternance et de cohabitation vécues depuis 1981, traduisant ainsi la
volonté des gouvernements successifs de soutenir le revenu des
travailleurs modestes autrement que par les revenus du travail (Bonnefoy et
al, 2009). La PPE, au travers de ses différentes
réformes, a contribué à gommer certaines
externalités négatives découlant
d'inégalités sociales. Cependant, il subsiste encore des niveaux
d'inégalité moralement et socialement inacceptables (Piketty,
1997).
Ce dispositif a cependant toujours suscité de riches
interrogations : la Prime pour l'emploi a-t-elle un impact redistributif,
stimule-t-elle l'emploi (Pisany-Ferry in OFCE, 2003), notamment l'emploi des
femmes (Cahuc, 2002), est-elle socialement juste (Dupond, Sterdyniak, 2001),
est-elle compréhensible, attractive, et efficace (Sirugue, 2013),
peut-elle poursuivre plusieurs objectifs en même temps (Dupond,
Sterdyniak, 2001) ? Enfin, quelles perspectives d'avenir pour la Prime pour
l'emploi (Sirugue, 2013) ?
68
Une reformulation simplifiée du questionnement permet
de poser une question plus claire : pourquoi la Prime pour l'emploi n'a-t-elle
pas fonctionné, et quelles sont ses perspectives d'avenir ? (question
centrale).
L'analyse a été conduite à l'aune de la
pertinence, de l'efficacité, et de l'efficience du dispositif de la
Prime pour l'emploi (problématique), s'appuyant sur un comparatif avec
des dispositifs étrangers présentant des similitudes avec la PPE
(l'EITC américain et le WFTC britannique), et
s'appuyant notamment sur les cadres théoriques proposés par
Charles O. Jones (analyse séquentielle des politiques publiques) (Jones,
1970), par Pierre Muller (Analyse cognitive des politiques publiques) (Jobert,
Muller, 1987 ; Muller 2000, 2013 ; Muller, Surel, 2000), et par Amartya Sen,
s'agissant des aspects de justice sociale (Approche par les
capabilités) (Sen, 2003).
En réponse à la question de Pisany-Ferry en
2003, et selon la démonstration et l'analyse menées, il peut
être affirmé que l'objectif de redistribution de la PPE n'est pas
atteint. La redistribution est insuffisante en volume, et
décentrée par rapport à la réelle cible de la
pauvreté, même laborieuse. En effet, la Prime pour l'emploi n'a
qu'un effet redistributif limité, de part un ciblage insuffisant et de
part la modicité des montants distribués (Legendre et al.,
2004). D'autre part, elle ne bénéficie qu'aux personnes en
emploi, les plus démunis, les personnes sans emploi, ou à temps
très partiel, ne font en effet pas partie de la cible. De ce fait, 84,5
% des bénéficiaires de la PPE ne sont pas en situation de
pauvreté (Cour des comptes 2006 ; Cour des comptes, 2011), et «
la Prime pour l'emploi ne réduit que de 0,5 point le taux de
pauvreté des personnes en emploi » (Bonnefoy et
al., 2008 - 2 : p. 4).
Enfin, son « décentrage » vient de
l'exclusion de son bénéfice des personnes ayant des revenus
d'activité inférieurs à 0,3 SMIC, et son extension
à des personnes ayant des revenus d'activité supérieurs
à 1,4 SMIC. Cet aspect, à l'évidence, amoindrit le
caractère purement redistributif de la PPE dans la mesure où la
prise en compte de certaines situations familiales permet notamment à
des personnes disposant d'un revenu d'activité atteignant 2,1 SMIC d'en
bénéficier (Bonnefoy et al., 2008 - 2).
Déjà en 2008, il pouvait être lu que
« la PPE devrait disparaître au profit du RSA qui en
récupérerait ainsi l'enveloppe budgétaire »
(Cahuc et al., 2008 : p. 158), et que du moins, dans tous les cas, il
conviendrait d'organiser autrement son recentrage sur les premiers
déciles : « ce serait un objectif que d'annuler
dès que possible la prime dont bénéficient les 50 % plus
aisés » (Cahuc et al., 2008 : p. 159). Dans
tous les cas « aujourd'hui, la PPE est particulièrement
diluée, ce qui est largement dénoncé... ... Ce
constat justifie d'envisager des mesures de recentrage »
(Hirsch, 2008 : p. 197).
« Quoi qu'il en soit, l'introduction de la
PPE a permis de réduire le taux moyen des prélèvements
nets sur les individus les plus modestes appartenant à un ménage
mono-actif qui ne pouvaient profiter des baisses d'impôts car ils
étaient non imposables » (Périvier, 2003 : p.
307).
69
En réponse à la question de Pisany-Ferry en
2003, il peut être affirmé que la PPE a un impact très
faible sur l'offre de travail et très incertain sur l'emploi. En
augmentant le gain financier procuré par l'emploi, la PPE cherche
à stimuler l'offre de travail. Mais, en réalité, la prime
peut exercer deux types d'effets antagonistes sur les comportements
d'activité :
-un effet de substitution : la hausse de la
rémunération du travail rend celui-ci plus attractif que
l'inactivité (impact positif) ;
-un effet de revenu : l'augmentation du pouvoir d'achat de
chaque heure travaillée permet aux individus, à revenu constant,
de travailler moins (impact négatif).
La Prime pour l'emploi peut par ailleurs décourager
l'activité du second travailleur dans les couples biactifs, en raison de
la contrainte du plafond de revenu global, calculé au niveau du
ménage (Cour des comptes, 2006). De plus, les dispositifs fiscaux
proposant des crédits d'impôt aux ménages dont un des
membres, préalablement inactif, reprend un emploi, visent à
augmenter l'offre de travail, mais leur efficacité reste toutefois
faible tant que leur impact anticipé est réduit par les effets
désincitatifs d'autres transferts (Fougère, 2006).
L'ensemble des études menées montrent que
l'impact de la PPE sur l'offre de travail est positif mais faible (de + 0,2
à +0,4 % selon les études). Egalement, les enquêtes
réalisées auprès des ménages corroborent ces
conclusions : en juin 2003, dans leurs réponses à l'enquête
de l'INSEE, 3 % seulement des ménages interrogés ont
indiqué être incités par la PPE à « reprendre
une activité », 4 % seulement à « travailler davantage
» et 31 % à « continuer à travailler » (Bonnefoy
et al., 2008 - 2).
L'effet sur l'emploi est encore plus incertain que sur celui
de l'offre de travail, l'efficacité de la PPE sur l'emploi étant
tributaire du contexte économique général.
En réponse à la question de Cahuc en 2002, les
évaluations disponibles montrent que la PPE n'a qu'un impact très
faible sur l'emploi, notamment sur celui des femmes (Laroque, Salanié,
2002 ; Périvier, 2003). L'une des études conclut que la PPE ne
permettrait qu'une hausse du taux d'emploi de 0,2 point (de 47,3 à 47,5
%) pour les femmes, et de 0,3 point (de 84,6 à 84,9 %) pour les hommes
(Cour des comptes, 2006). Enfin, des trappes à inactivité
demeurent pour certains groupes d'individus (Anne et l'Horty, 2002), notamment
pour les femmes (Jamet, 2006 ; Margolis, Starzec, 2005). Certes, la PPE n'a pas
pour seul but de stimuler l'emploi, mais compte tenu de son coût
budgétaire, son rapport coût/efficacité est faible
(Bonnefoy et al., 2008 - 2).
Selon la Cour des comptes en 2006, le montant de la PPE est
à la fois trop faible pour créer un réel effet
d'incitation de retour à l'emploi et mal distribuée (Cour des
comptes, 2006).
70
En réponse à la question de Dupond et Sterdyniak
en 2001, en 2006 les magistrats de la rue Cambon soulignaient que le choix
n'avait pas été fait entre deux objectifs : inciter à la
reprise d'un emploi et redistribuer du pouvoir d'achat à des
travailleurs à faible revenu (Cour des comptes, 2006). A cet
égard, et selon eux, la PPE n'est pas un outil adéquat pour
accroître l'emploi et en même temps pour venir en aide aux
travailleurs les plus pauvres. Pour être potentiellement efficace, un
instrument d'incitation au travail doit être individualisé.
À l'opposé, pour être redistributif, un transfert doit
tenir compte de l'ensemble des ressources du ménage afin d'en faire
bénéficier les plus pauvres. Ainsi, le même instrument ne
peut être à la fois incitatif et redistributif. Or ces deux
objectifs sont bien assignés à la PPE. De ce fait, le dispositif
n'atteint ni l'un ni l'autre (Allègre, Périvier, 2005-2 ;
Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, 2005 ; Cour
des comptes, 2011). Il serait également illusoire d'espérer
concevoir un dispositif miraculeux qui permettrait d'atteindre de multiples
objectifs dans le même temps (Allègre, 2013).
Sur le plan de sa mise en oeuvre, et selon l'analyse
menée en application des cadres théoriques de Charles O. Jones
(analyse séquentielle des politiques publiques) et de Pierre Muller
(Analyse cognitive des politiques publiques) il est constaté que la PPE
n'a pas subie de critique ou tension majeure de l'opinion publique (les
critiques sont plutôt arrivées des personnalités
politiques, toutes tendances confondues, et ont été
inhérentes à la pertinence et aux impacts même du
dispositif). L'imbrication de cette mesure sectorielle dans le
référentiel global (RGS) s'est réalisée sans
tension particulière, elle a été naturellement
intégrée et acceptée. Une particularité se
dégage du dispositif de la PPE : s'agissant d'une mesure fiscale (et
sociale), la PPE dispose d'un mode de décision publique réduit :
Gouvernement, Assemblée Nationale, Loi de finances publiques
(Doligé, 2008), avec la participation, pour son époque, du
commissariat général au Plan (CGP), du Conseil d'analyse
économique (CAE) ou du cabinet du Premier ministre (Colomb, 2012-1).
Outre les aspects de cohésion sociale, d'emploi, et de travail, la PPE
met en oeuvre, pour l'essentiel, le Ministère des finances.
En réponse à la question de Dupond et Sterdyniak
en 2001 concernant le respect des principes de justice sociale, selon la
démonstration et l'analyse menée, il peut être
affirmé que la PPE, tout en gommant certaines inégalités,
est créatrice d'autres inégalités sociales. D'une part
elle ne concerne que les actifs au travail, par opposition aux chômeurs,
et d'autre part, elle ne concerne que la part de la population percevant plus
de 0,3 SMIG (par troncature). Cette double condition d'activité et de
niveau de revenu, particulièrement dans le cadre actuel de
présence d'un chômage de masse structurel, et par opposition
à la situation du début des années 80, fait que la PPE est
génératrice d'injustices sociales vis-à-vis des personnes
privées d'emploi, et vis-à-vis des travailleurs à certains
temps partiels (très partiels). Elle est également
créatrice d'inégalité entre personnes pauvres avec ou sans
emploi. Enfin, elle met en exergue l'effet Matthieu : donner à ceux qui
ont déjà, puisque « la Prime pour l'emploi ne profite
donc pas majoritairement aux plus pauvres » (Clerc, 2006), mais
seulement à ceux qui travaillent (Barnaud, Bescond, 2006).
71
Concernant les femmes, la balance entre le coût de la
sous-traitance de certaines tâches au sein du foyer, le coût de la
garde des enfants, et le salaire que les femmes reçoivent si elles
travaillent, peut être créatrice de trappe à
inactivé structurelle et spécifiquement féminine. Le fait
que cet aspect ne concerne que les femmes, en opposition aux hommes, et ce dans
un contexte d'absence d'aides spécifiques venant atténué
cet état de fait, est créateur d'une injustice sociale de
genre.
En point positif, le système d'attribution de la PPE
(automatisation fiscale et crédit d'impôt) permet toutefois de
contrer le phénomène de non-recours aux droits sociaux (Warin,
2010), ce qui va en faveur, à cet égard, d'une
égalité des chances.
Les politiques sociales pourraient, dans une approche non
monétaire, intervenir au titre des capabilités au sens
de Sen. Par exemple, s'agissant de la PPE, il pourrait être adjoint, en
complément ou en remplacement d'une partie de l'aide monétaire,
une palette de services concernant les freins à la reprise ou au
maintien dans l'emploi. Il est une fois de plus dommage que les personnes sans
emploi ou faiblement employées (en dessous de 0,3 SMIC) ne puissent
bénéficier de la PPE, tant sur le plan pécuniaire que sur
celui des capabilités qu'il serait possible de mettre (ou
remettre) en oeuvre. Cet aspect est d'autant plus dommageable pour les femmes
et/ou les personnes à charge de dépendants. En effet, c'est
précisément cette catégorie de personnes qui subit le plus
de privations au sens de Sen (Sen, 2003).
A la lumière des enseignements ainsi obtenus quelle
réponse apporter à la question centrale : pourquoi la Prime pour
l'emploi n'a-t-elle pas fonctionné, et quelles sont ses perspectives
d'avenir ?
En résumé, la Prime pour l'emploi
présente trois principaux défauts qui altèrent son
efficacité incitative et redistributive. Le dispositif est peu
ciblé (premier défaut) et induit de faibles montants unitaires
distribués (second défaut). Enfin, la Prime pour l'emploi manque
de visibilité tant pour ses bénéficiaires effectifs que
pour ses bénéficiaires potentiels (troisième
défaut). Au final, la PPE a un impact limité tant sur l'offre de
travail et l'emploi que sur son aspect redistributif (Cour des comptes,
2006).
Le manque de visibilité de la Prime pour l'emploi lui
tient à trois facteurs. D'abord, la prime n'est perçue qu'avec un
important décalage dans le temps (9 à 18 mois). Ce
décalage, dû au rattachement de la PPE à l'impôt sur
le revenu, affaiblit le message selon lequel « le travail paie »
(Making work pay) (Arnaud et al., 2008 ; Attali, 2008 ; Cahuc
et al., 2008 ; Cour des comptes 2006 ; Cour des comptes 2011). Afin
d'y remédier, la loi de finances pour 2004 a instauré un
système d'acompte pour certains demandeurs d'emploi et titulaires de
minima sociaux reprenant une activité. Mais, complexe, mal connu et mal
compris, ce dispositif est très peu utilisé (Cour des comptes,
2006).
En second lieu, la complexité du mode de calcul de la
PPE et de ses conditions d'attribution et de versement a pour
conséquence qu'un bénéficiaire sur quatre de la
72
PPE, une année donnée, n'est pas en mesure de
déterminer si, au vu de son comportement d'activité, il en
bénéficiera encore l'année suivante. Ce manque de
prévisibilité affecte de la même façon les personnes
qui reprennent pour la première fois une activité professionnelle
(ils ignorent si elle leur ouvrira droit à la prime).
Ce manque de visibilité affaiblit d'autant plus la
dimension incitative de la PPE que les personnes concernées font souvent
face à d'importantes contraintes de liquidité (Cour des comptes,
2006).
Enfin, et en réponse à la question de Sirugue en
2013, l'information faite sur la Prime pour l'emploi est lacunaire (Bonnefoy et
al., 2008 - 1), tel que le démontre les annexes 6, 7, et 8 :
les enquêtes « terrain » réalisées ont
démontré une faible connaissance du dispositif,
particulièrement en catégorie « employés et ouvriers
» (essentiellement le coeur de cible de la PPE). La prime étant un
avantage fiscal et non un élément de paie, elle ne figure pas sur
le bulletin de salaire. A cet égard, une forte communication aurait
été nécessaire pour faire clairement percevoir le
dispositif au grand public. Mais le service public de l'emploi ne relaie pas
l'information auprès des demandeurs d'emploi, ce qui représente
une incohérence. L'ANPE70/71, par exemple, ne
formulait aucune instruction visant à ce que la question de la PPE soit
abordée lors des entretiens d'accompagnement. Le constat est similaire
dans les autres administrations et services sociaux (caisses d'allocations
familiales, ASSEDIC, centres communaux d'action sociale (CCAS)). La Prime pour
l'emploi souffre de ce fait d'un réel déficit de
notoriété : si une enquête de l'INSEE a montré que
81 % des ménages interrogés avaient déjà «
entendu parler » de la PPE, cela signifie, a contrario, que
près de 20 % d'entre eux ignoraient jusqu'à son existence (Cour
des comptes, 2006). Ce point très important constituerait, selon la Cour
des comptes en 2006, une des raisons essentielles de l'échec du
dispositif sur l'incitation au travail (Cour des comptes, 2006).
La PPE a fait l'objet de critiques
répétées de la Cour des comptes, qui la juge trop
complexe, pas assez redistributive et illisible. La complexité du
barème de la PPE rend effectivement sa lisibilité difficile
(Legendre et al., 2004).
Pour conclure sur le dispositif de la PPE, il peut être
souligné en point positif que d'aspect financier (matériel et
repérable) le dispositif a permis des actions immatérielles
(discours, etc.) valorisant son existence, et l'intérêt
porté à la pauvreté (laborieuse notamment), aux
inégalités, et à l'exclusion sociale. D'autre part, bien
que créant une segmentation (les assujettis et les non assujettis), elle
a permis de préserver une confidentialité, évitant la
stigmatisation (car utilisant le canal fiscal).
L'évaluation de l'impact de la PPE est difficile
à mettre en oeuvre dans une analyse «
coût-bénéfice », la Prime pour l'emploi étant
de montant réduit mais d'assiette large (contrairement au modèle
du « Earned Income Tax Credit » américain et du
« Working
70 Agence nationale pour l'emploi (ANPE).
71 Pôle-Emploi aujourd'hui a le même
comportement, après renseignement pris par téléphone le 11
juin 2015 auprès de Madame Sophie Sourisse, conseillère emploi
à l'agence de Saint-Chamond dans la Loire.
73
Family Tax Credit » britannique qui comprennent
des montants plus importants car ciblés sur une population
réduite, donc plus facilement mesurable). L'optimalité
résiderait dans une solution permettant de réaliser le meilleur
arbitrage entre la redistribution souhaitée et la perte
d'efficacité économique qu'elle engendre, tout en
préservant le principe de justice sociale.
La difficulté récemment rencontrée par le
gouvernement pour baisser les cotisations sociales salariées sur les bas
salaires (mesure censurée par le Conseil constitutionnel) a
relancé le débat sur les réformes des dispositifs
existants pour les plus bas revenus: la Prime pour l'emploi et le Revenu de
solidarité active (Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation
des politiques publiques (LIEPP), 2014 ; Ministère des Finances et des
Comptes Publics, Secrétariat d'Etat au Budget, 2014). La tentation de
désactiver une dépense « passive » a été
à plusieurs reprises abordée. De plus, malgré que l'Europe
ait été favorable à une époque aux incitations
financières des Etats membres pour l'emploi (« afin de
rendre l'emploi attrayant et d'encourager les hommes et les femmes à
rechercher, occuper et conserver un emploi »), le Conseil
européen déclarait pour la France que « le
système d'incitation et les finances publiques auraient tout à
gagner de la suppression de la PPE, compte tenu notamment de son coût
budgétaire (environ 4 milliards d'euros par an) ». La
PPE, présentée comme la seule voie efficace de soutien aux bas
revenus, était en fait dénoncée depuis plusieurs
années comme étant une « dépense passive »
(Gomel, Serverin, 2013).
Les débats sur la fusion de la PPE avec le RSA
activité ont eu lieu à l'Assemblée nationale et au
Sénat. La loi de finances rectificative pour 2014 fait annonce du projet
de Prime d'activité, par fusion du RSA activité et de la PPE,
pour une mise en oeuvre en 2016. Elle annonce également, à cet
effet, la suppression de la PPE (en appui des conclusions du rapport Sirugue et
du rapport Lefebvre et Auvigne sur la fiscalité des ménages)
(Assemblée Nationale, 2014 ; Auvigne et Lefebvre, 2014 ; De Mongolfier,
2014 ; Mouiller, 2014 ; Puren, 2015 ; Sirugue, 2013).
La PPE doit donc disparaître fin 2015 au profit d'une
Prime d'activité. Pour l'économiste Thomas Piketty, auteur de
l'ouvrage Pour une révolution fiscale, la suppression de la PPE
est une bonne chose car elle est versée avec un an de retard
(Lévêque, 2012).
Concernant l'évolution annoncée du dispositif
pour 2016, il est à souligner que déjà en 2000, soit avant
le vote instituant la PPE, le rapport Belorgey72 sur les minima
sociaux, les revenus d'activité, et la précarité,
préconisait d'approfondir les débats autour de
l'éventuelle fusion des minima sociaux et de leur relation avec les
autres prestations, et de prolonger les réflexions du rapport
Boissonnat73 sur la continuité de la protection sociale et la
sécurisation de la relation de travail (« flexicurité
», stratégie de Lisbonne,
72 Jean-Michel Bélorgey est un Énarque
(promotion Turgot). Il est membre du Conseil d'État dont il
présida la Section du rapport et des études jusqu'au 3 novembre
2009.
73 Jean Boissonnat est un économiste,
journaliste et homme de presse français.
74
2000). Ce rapport proposait d'étudier l'articulation
des minima sociaux et des revenus d'activité, pour en apprécier
les conséquences sur les incitations à l'activité, et
émettait des propositions visant à harmoniser les minima sociaux
et à encourager l'activité (et à plus long terme à
rechercher une articulation entre minima et dispositif social et fiscal).
Plus récemment, le diagnostic dressé dans le
rapport Sirugue est relativement consensuel : RSA activité et PPE
n'atteignent pas les objectifs d'incitation et de redistribution. Le rapport
souligne ainsi que les effets redistributifs des deux instruments sont
limités et l'impact sur le retour et le maintien dans l'emploi est
relativement faible. Il souligne toutefois que le fait de rapprocher les deux
dispositifs dans cette critique est trompeur puisque leurs limites proviennent
de spécificités diamétralement opposées.
En effet, la PPE est un crédit d'impôt
essentiellement individualisé, dont le montant maximal est atteint au
niveau d'un SMIC à temps plein. Son impact redistributif est
faible : le dispositif verse de faibles primes à
beaucoup de foyers (il bénéficie à 6,3 millions de foyers
fiscaux pour un montant moyen mensuel de 36 euros, en 2012), ce qui dilue son
éventuel impact incitatif (Allègre, 2013). « De
plus, la PPE n'est pas particulièrement ciblée sur les plus
pauvres : près de 30 % des foyers fiscaux bénéficiaires
ont un niveau de vie supérieur à la médiane nationale
» (Allègre, 2013 : p. 1).
Concernant le RSA activité, « il
s'agit d'une prestation sociale « familialisée »
bénéficiant à environ 700 000 foyers pour un montant moyen
de 170 euros mensuel, en 2012. Le dispositif est ciblé sur les foyers
les plus pauvres : environ les deux tiers des dépenses sont
perçues par des ménages des deux premiers déciles de
niveau de vie. En fait, la limite redistributive du RSA activité est
liée au non-recours à la prestation, estimé à 68 %
en 2011 » (Allègre, 2013 : p. 2). Selon certains
auteurs, le passage du recours partiel au plein recours au RSA activité
ferait sortir près de 500 000 individus de la pauvreté
(Allègre, 2013). « Si les motifs de non-recours sont
multiples, deux causes essentielles peuvent être mises en avant : la
complexité des formalités de demande et la non-demande volontaire
(par peur de stigmatisation, peur de devoir rembourser des sommes indues ou
dans une volonté d'autonomie...) -le RSA activité restant
associé à l'image de minimum social- ces deux explications
étant évidemment complémentaires »
(Allègre, 2013 : p. 2).
Le rapport Sirugue proposait l'instauration d'un dispositif
hybride entre RSA activité et PPE qui se substituerait aux deux
instruments74 (Sirugue, 2013). « La Prime
d'activité serait individualisée mais sous conditions de
ressources familiales (de même que la PPE) ; elle serait maximale pour
des revenus équivalent à 0,7 SMIC, donc plus faibles que pour la
PPE, mais plus élevés que pour le RSA activité. La
prestation serait versée mensuellement et reposerait sur une
déclaration de revenus trimestrielle (de même que le RSA
activité) » (Allègre, 2013 : p. 2).
« Le rapport propose de « compenser les effets de
l'individualisation du complément financier » avec des mesures
à destination des enfants (complément enfant,
74 Sachant que l'OCDE en mars 2013 arrivait aux
mêmes conclusions : l'idée de fusion de la PPE et du RSA (OCDE,
2013).
75
majoration de l'Allocation rentrée scolaire) »
(Allègre, 2013 : p. 3). « En termes d'incitation
au travail, la réforme proposée permet, pour les couples,
d'augmenter les gains de retour à l'emploi du travailleur additionnel -
le plus souvent la femme - ce qui serait plutôt favorable à
l'égalité au sein des couples. Toutefois, l'individualisation
avec prime maximale au niveau de 0,7 SMIC comporte un risque : celui du
développement de l'offre et la demande d'emplois au SMIC à temps
partiel long (4/5e) » (Allègre, 2013 : p.
5).
Déjà évoqué en avant-gardisme en
2008, pour finalement une application avortée en 2009 (Mongin, 2008), la
PPE va enfin être abandonnée en 2016 au profit d'une « Prime
d'activité » (fusion de la PPE et du RSA activité), allant
peut-être en direction du modèle américain ou britannique,
suivant le paradigme international, l'Etat semblant se positionner en Etat
régulateur. La future prime d'activité touchera en effet moins de
bénéficiaires mais sera plus efficace au travers de sommes
distribuées plus substantielles (Julia, 2015).
« La fusion des deux aides devrait permettre
de créer une prime plus cohérente, elle sera versée tous
les mois mais calculée par trimestre. Et concentrée sur les
travailleurs qui gagnent entre 570 et 1360 euros nets, soit entre 0.5 et 1.2
SMIC. Elle devrait au final concerner 4 millions de
bénéficiaires, et pour une enveloppe de 4 milliards d'euros. Ce
qui correspond au budget du RSA activité et de la Prime pour l'emploi
cumulés. Son montant maximum avoisinera les 200 euros. Autre
nouveauté, cette prime sera ouverte aussi aux 18/25 ans qui n'ont pas
accès aujourd'hui au RSA. Ce qui répond à une demande
forte des associations caritatives » (Julia, 2015).
« Fusionner les deux aides va permettre d'en créer une
nouvelle - la Prime d'activité - plus incitative et mieux ciblée.
Une aide non fiscale qui sera accordée à toute personne dont les
revenus ne dépassent pas 1,2 SMIC par mois
(1 734 € sur la base du SMIC 2014), et dont
le montant maximal pourrait atteindre 215 € par mois pour ceux gagnant
moins de 0,7 SMIC par mois » (Puren, 2015).
La Prime activité touchera 4 à 5 millions de
bénéficiaires (Puren, 2015).
Cependant, bien que l'assiette des bénéficiaires
soit plus réduite et que les montants distribués soient plus
importants, sur le modèle britannique et américain, la fourchette
de bénéfice ouverte (de 0.5 à 1.2 SMIC pour la Prime
d'activité, contre une fourchette de 0.3 à 1.4 SMIC pour la PPE)
semble ne rien résoudre, en ces périodes de présence d'un
chômage de masse structurel, au problème de la pauvreté
liée à l'absence d'emploi ou à celle
représentée par un temps de travail discontinu ou très
partiel. Toutefois, au sein du nouveau dispositif, il est à
constaté qu'un choix a enfin été fait en faveur de
l'incitation au travail, préférentiellement à celui de la
redistribution des revenus.
« Grande est notre faute, si la misère
de nos pauvres découle non pas de lois naturelles, mais de nos
institutions »
(Charles Darwin, Le voyage du Beagle in Laroque, Salanié,
2000)
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