III.II - LES IMPLICATIONS D'UNE RELATION DE MEFIANCE
BANQUE-PME SUR LA CROISSANCE DU CAMEROUN
Le rôle du système bancaire dans
l'activité économique peut être diversement
appréhendé. Toutefois, sa contribution au niveau de
l'investissement et partant de la croissance d'un pays a fait l'objet d'une
attention particulière dans la littérature économique.
Ainsi, SCHUMPETER (1912), soulignait déjà la grande importance
des banques dans le fonctionnement du système économique, et leur
apport bénéfique à la croissance à travers le
financement de l'innovation. BENCIVENGA ET SMITH (1991) montrent qu'une bonne
gestion du risque de liquidité par le secteur bancaire permet
d'augmenter la part de l'épargne allouée aux placements davantage
productifs tout en
32 C'est l'article 23 du Décret
Présidentiel du 13 juin 1984 qui exige la libération d'un
autofinancement de 20 % par les PME
33 Cité par ATTOUH (1988)
Relation Banque-Entreprise et croissance économique
au Cameroun
gardant un niveau d'épargne constant. Ces auteurs
établissaient par là et de façon théorique une
relation positive entre le secteur bancaire et la croissance économique.
Pour tout dire, la théorie économique indique que les banques ont
la possibilité d'influencer positivement (à travers le
financement des entreprises) la croissance. La question qui se pose à ce
niveau de l'analyse est celle de savoir si dans un univers où la
relation banque-PME est emprunte de méfiance comme c'est le cas
actuellement au Cameroun, quelles pourraient en être les implications
aussi bien sur l'investissement des entreprises que sur la croissance ? .
III.II.1 - LES IMPLICATIONS SUR L'INVESTISSEMENT DES
ENTREPRISES
Au cours de la décennie 90, les banques se sont peu
engagées dans le financement de l'économie pour deux raisons : la
restructuration du système bancaire n'était pas encore
achevée et la nouvelle politique de la BEAC reposant sur la
programmation monétaire avait restreint considérablement la marge
de manoeuvre des banques dans leur politique de crédit.
Sur le plan sectoriel, une enquête menée par DIAL
(1993) et la Direction de la Statistique et la Comptabilité Nationale
(DSCN) a montré que pour l'exercice 1990/91, 85 % des industries de 20
employés et plus avaient besoin d'un crédit pour financer leurs
investissements. Parmi celles-ci, 70 % avaient eu des difficultés
à l'obtenir. Le coût du crédit était
évoqué par 28 % des industries et le fait que les banques
prêtent difficilement par 42 %.
Sur le plan macroéconomique, les crédits
à l'économie ont diminué de 27 % en terme réel de
1993 à 1994, et de 10 % en 1995. Entre 1995 et 1997, cette tendance ne
s'est pas améliorée, et les crédits ont encore
diminué de 17 % en terme nominal (JOSEPH, 1998). Sans entrer dans les
détails, il s'en est suivi une faible capacité d'investissement
(Banque Mondiale, 1995 ; NDJANYOU, 2001 ; KAMGNIA, 2002 ; FMI, 2003).
En réalité, le constat général
était celui d'une atonie du crédit, les banques sont devenues
frileuses et s'engagent peu dans le financement de l'économie (JOSEPH,
1998). La baisse des crédits illustre aussi le fait que suite à
la dévaluation, l'Etat a apuré une bonne partie de ses
arriérés de paiement auprès des entreprises qui ont moins
sollicité les banques. Par ailleurs, la part des crédits
accordés à l'Etat a considérablement progressé
depuis les premières restructurations de 1989, passant de 10 % à
31 % des crédits totaux accordés par les banques et ce
malgré l'exclusion à partir de 1991 des bilans des banques
liquidées. Du point
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65
Relation Banque-Entreprise et croissance économique
au Cameroun
de vue des banquiers, les mesures accompagnant la
dévaluation ont permis d'alléger la dette extérieure, mais
n'ont pas concerné la dette de l'Etat et ce sont les banques qui
continuent de la financer de manière indirecte.
Le taux de couverture des crédits par les
dépôts atteignait 110 % au 31 août 1996 contre 89 % en 1985,
avant le déclenchement de la crise. Entre la fin de l'année 1995
et avril 1997, cette tendance ne s'est pas améliorée, et les
crédits à l'économie ont diminué de 17 % (en
nominal). Depuis cette date, l'évolution s'est beaucoup
améliorée (voir annexe 2). En effet, après une diminution
de l'ordre de 2 % en 2004, la variation des crédits à
l'économie est redevenue positive et a atteint 11,2 % en 2005. De plus,
il faut noter une prédominance des crédits à court terme
qui représente 85 % des crédits accordés, car autant il
n'y a presque plus de banques de développement dans le paysage bancaire,
autant les banques commerciales hésitent encore à financer les
projets inscrits dans le moyen et long terme. A ce niveau de l'analyse, il
serait intéressant d'analyser l'incidence des crédits à
court terme sur l'investissement
En effet, Il convient de rappeler ici que dès 1972
année d'entrée en application des Accords de Brazzaville, le CNC
, après avoir analysé l'évolution des crédits
à moyen et long termes au Cameroun, a constaté la
régression de la contribution des banques créatrices de monnaie
au financement des programmes d'équipement conçus dans le cadre
des plans de développement économique et social34, et
le CNC de conclure : « on peut regretter que l'intervention du
système bancaire au financement dans le domaine du moyen et long termes
aient été moins nettes »35. Dans cette
perspective, il est possible d'affirmer ici à la suite de ATTOUH (1980)
que ces différentes réflexions du CNC sont toujours
d'actualité aujourd'hui dans la mesure où l'évolution par
terme des crédits n'a pas fondamentalement changé depuis cette
date.
Il reste que le crédit à court terme n'est pas
une mauvaise chose en soi. Bien plus, on ne peut pas dire à priori que
le fait qu'il constitue la majorité des moyens de financement
distribués par les banques au Cameroun soit un handicap pour la
croissance et le développement économique. Le crédit
à court terme permet en effet aux entreprises de financer leur
exploitation, sans oublier que lorsque le crédit à court terme
permet aux entreprises de commercialiser leurs productions, il joue alors un
rôle stabilisateur dans la mesure où il permet aux entreprises de
dégager leur autofinancement. Toutefois, pour que
34 Cameroun : Rapport d'Activité du CNC 1972, cité
par ATTOUH (1980)
35 Idem
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66
Relation Banque-Entreprise et croissance
économique au Cameroun
l'impact du crédit à court terme soit positif,
il faut que les activités qu'il finance se traduisent par une
augmentation de la production ; dès lors, la distinction entre
crédit à court terme et crédit à moyen et long
terme devient l'élément important pour juger des effets sur
l'économie d'une structure donnée du crédit. On va alors
constater une prépondérance des crédits à court
terme finançant en priorité le secteur tertiaire. Comme le
souligne ATTOUH (1980), la concentration des crédits à court
terme dans les activités de commerce est une survivance de
l'économie de traite de la période coloniale ;
l'indépendance n'a rien modifié dans la structure des
crédits à l'économie distribués par les banques et
dans une telle structure des crédits, l'investissement productif tient
une place moins importance. Le CNC du Cameroun avait il est vrai et ce
dès 1972, s'inquiétait déjà des conséquences
sur l'économie du pays de la quasi-inexistence des crédits
à moyen et long termes. Le CNC n'a pas manqué de déplorer
cette situation en affirmant « il est à craindre que la baisse du
rythme de croissance de notre économie d'une part, l'effet de stagnation
du financement à moyen et long termes d'autre part, ne deviennent un
handicap sérieux pour le développement »36
Il est vrai, lorsqu'on regarde l'évolution des
crédits à l'économie, on constate bien qu'ils progressent
régulièrement, ce qui signifie que les banques participent
effectivement au financement de l'économie. Cette affirmation doit
cependant être nuancé si on se réfère au taux
d'endettement qui est déterminé en posant :
Crédit au secteur privé
Taux d'endettement =
PIB
Les calculs ont été effectués en
éclatant les crédits au secteur privé en crédits
à court terme et en crédits à moyen et long termes. Les
résultats obtenus sont repris dans le Tableau 4 à partir duquel
il est possible de faire les observations suivantes :
? Les résultats obtenus confirment la faible proportion
des crédits à moyen terme et la quasi-inexistence des
crédits à long terme indispensables au financement de
l'investissement. Cette situation aurait pour cause la faiblesse du processus
de transformation des maturités des dépôts courts en
crédits longs comme cela a été souligné plus haut.
Ce
36Idem
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67
Relation Banque-Entreprise et croissance économique
au Cameroun
processus il faut le noter, a toujours été la
caractéristique première de l'intermédiation
financière
? Les résultats obtenus indiquent une évolution
à la baisse du taux d'endettement aussi bien losrqu'on considère
le total des crédits au secteur privé que les crédits
à moyen et long termes également au secteur privé.
Tableau 4 : Crédits par terme sur crédits au
secteur privé (en %)
ANNEES
|
CT
|
MT
|
LT
|
TOTAL
|
% CT
|
% MT
|
% LT
|
TOTAL en %
|
PIB en Millions de CFA
|
TOTAL /PIB en %
|
MT+LT /PIB en %
|
2000
|
527931
|
137487
|
35097
|
700515
|
75,3
|
19,7
|
5,0
|
100,0
|
4643683,784
|
15,1
|
3,7
|
2001
|
582362
|
147528
|
30198
|
760088
|
76,6
|
19,5
|
3,9
|
100,0
|
4816554,628
|
18,8
|
3,6
|
2002
|
620701
|
183163
|
30577
|
834441
|
74,4
|
21,9
|
3,7
|
100,0
|
5439889,164
|
15,3
|
3,9
|
2003
|
649493
|
225241
|
33034
|
907768
|
71,5
|
24,8
|
3,6
|
100,0
|
6816922,506
|
13,3
|
3,8
|
2004
|
627180
|
247297
|
30412
|
904889
|
69,3
|
27,4
|
3,3
|
100,0
|
7887678,368
|
11,4
|
3,5
|
2005
|
643303
|
298218
|
35316
|
976837
|
65,8
|
30,6
|
3,6
|
100,0
|
8293928,755
|
11,7
|
4,0
|
2006
|
654283
|
306548
|
38628
|
999459
|
65,4
|
30,6
|
3,8
|
100,0
|
8976533,196
|
11,1
|
3,8
|
2007
|
697649
|
340361
|
45050
|
1083060
|
64,4
|
31,5
|
4,1
|
100,0
|
10215890,56
|
10,6
|
3,7
|
2008
|
810992
|
414344
|
57396
|
1282732
|
63,2
|
32,4
|
4,4
|
100,0
|
11661128,21
|
11,0
|
4,0
|
2009
|
825814
|
495723
|
57334
|
1378871
|
59,9
|
35,9
|
4,2
|
100,0
|
11690571,3
|
11,8
|
4,7
|
Source: Calcul de l'auteur à partir des données
des Rapports d'activité de la BEAC
Au-delà des implications de la relation de
méfiance entre banques et entreprises sur l'investissement, il est
également intéressant de cerner ces implications dans un cadre
plus général à savoir, celui de croissance
économique.
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