CHAPITRE III : LE FINANCEMENT BANCAIRE DES ENTREPRISES
AU CAMEROUN
Les PME tiennent une place essentielle dans les
économies des PVD. Elles créent des emplois à la mesure
des compétences locales et permettent la satisfaction à moindre
coût des besoins élémentaires. Le secteur des PME fait
preuve de plus de dynamisme que le secteur public dont la plupart des
entreprises restent à la recherche d'un véritable
équilibre. Il présente aussi un avantage d'autonomie par rapport
à certaines grosses entreprises privées trop dépendantes
de l'extérieur pour leurs approvisionnements ou pour leurs ventes. Une
enquête menée par le CRETES (Centre de Recherche et d'Etudes en
Economie et Sondage) montre que seulement 31% du financement des PME
camerounaises est d'origine bancaire, le reste étant fourni par les
tontines, l'épargne personnelle et accessoirement par la famille, les
fournisseurs et les autres sources étrangères. Ce résultat
de l'enquête de CRETES est la preuve que la relation banque-entreprise
est emprunte d'une certaine méfiance ; les deux parties se rejettent
mutuellement les causes de cette méfiance et s'accusent également
de manquer de professionnalisme.
Le présent chapitre a pour objet de présenter la
perception que chaque partie a de l'autre. Les deux parties on vient de le
souligner, entretiennent la méfiance dans leur rapport réciproque
et celle-ci peut être dévastatrice pour la croissance. Dans cette
optique, il s'agira dans un premier temps d'exposer les contours de cette
méfiance (I) avant d'analyser par la suite, ses implications sur la
croissance (II).
III.I - LA RELATION BANQUE-PME AU CAMEROUN : UNE
RELATION EMPRUNTE D'UNE MEFIANCE MUTUELLE
Quelles sont les raisons qui poussent les banques à
afficher une attitude réservée lorsqu'il s'agit de financer les
PME ? Quels sont les reproches que les PME adressent aux banques en rapport
avec leurs besoins de financement ? C'est à ces deux questions qu'on
tentera de donner une réponse dans les lignes qui vont suivre.
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Relation Banque-Entreprise et croissance économique
au Cameroun
III.I.1 - LES RAISONS D'UN ENGAGEMENT RESERVE DES BANQUES
CAMEROUNAISES DANS LE FINANCEMENT DES PME
L'enquête menée par DIAL et DSCN (1993)25
a montré que pour l'exercice 1990/91, 85 % des industries de 20
employés et plus ont eu besoin d'un crédit pour financer leurs
investissements. Parmi celle-ci, 70 % ont eu des difficultés à
l'obtenir. Le coût du crédit est évoqué par 28 % des
PME et le fait que les banques prêtent difficilement par 42 %. Bien que
l'échantillon d'entreprises interrogées soit trop faible pour
être représentatif (18 cas), des entretiens effectués en
mars 1996 avec les directeurs financiers de certaines industries confirment
cette tendance (l'annexe n° 4 présente la liste de ces entreprises)
: les petites et moyennes entreprises (étrangères ou
camerounaises) n'arrivent pas à se procurer du crédit, que ce
soit pour le financement de l'exploitation ou des investissements.
L'enquête a également révélée deux autres
réalités : premièrement, si les grandes entreprises
camerounaises n'ont pas de problèmes pour financer leur exploitation,
par contre, le financement des investissements est moins évident ;
deuxièmement les grandes entreprises étrangères n'ont pas
à proprement parler, de problème de financement justement parce
qu'elles disposent de sources de financement variées.
L'enquête de DIAL et de la DSCN a mis en évidence
une vérité : au Cameroun, les entreprises, qu'elles soient
petite, moyennes ou grandes, éprouvent beaucoup de difficultés
pour accéder au financement bancaire. Les raisons qui poussent les
banques installées au Cameroun à la méfiance dans le
financement des entreprises sont nombreuses et multiples. Mais dans le cadre de
ce travail, on se limitera à quelques raisons non moins
évocatrices à savoir : le caractère apparent de la
surliquidité bancaire, la contrainte des normes prudentielles, les
risques encourus par la banque dans le financement des PME, l'importance des
créances douteuses,
III.I.1.1 - LA SURLIQUIDITE APPARENTE DES BANQUES
Pour accorder un crédit26, de manière
générale, les banques ont les possibilités suivantes :
? octroyer une partie de l'épargne qu'elles viennent de
collecter,
25 Direction de la Statistique et de la
Comptabilité Nationale du Cameroun
26 Cette approche correspond à celles des
banquiers (les dépôts font les crédits), elle s'oppose
à l'approche macroéconomique (les crédits font les
dépôts).
Relation Banque-Entreprise et croissance économique
au Cameroun
? réorienter l'épargne préalablement
allouée qui leur est remboursée,
? récupérer des liquidités auprès
de la Banque Centrale en refinançant certains crédits non encore
arrivés à échéance,
? emprunter aux autres banques (via le marché
interbancaire), à la Banque Centrale, ou à l'étranger
(notamment auprès des maisons-mères)
La mobilisation des ressources par ces différents
canaux constitue la capacité d'offre de crédit. Au Cameroun,
cette capacité a été renforcée après la
restructuration des banques dans les années 90. En effet, à la
suite des réformes bancaires et monétaires de 1990, le vrai
défi était de favoriser la mobilisation par les banques de
l'épargne nationale, préalable indispensable à
l'investissement. Les dépôts à vue ont progressé de
30 % entre 1988 et 1990 et les dépôts à terme de 17 % entre
1988 et 1991 (JOSEPH, 1998). On peut légitimement attribuer ce regain de
confiance vis-à-vis du secteur bancaire à l'aboutissement des
réformes, et particulièrement à la mise en place du
marché monétaire au sein de la zone BEAC à partir de
juillet 1994. Toutefois, au cours de 1992 et 1993, l'anticipation de la
dévaluation a incité beaucoup de déposants à placer
leurs avoirs à l'étranger et notamment en France : entre le 31
décembre 1991 et le 31 décembre 1993, les dépôts
à vue ont chuté de 42 % et les dépôts à terme
de 18 %. Afin de stopper la fuite des liquidités, la fin de la
convertibilité extérieure du FCFA a été
déclarée en août 1993. Cette mesure fut
complétée en septembre 1993 par la fin de la
convertibilité des billets entre les deux zones UMOA (Union
Monétaire Ouest Africaine) et CEMAC. Certes, la fuite des
dépôts a été ralentie27 mais elle n'a pas
été stoppée car, de manière
détournée, de nombreux agents ont pu continuer à sortir
des billets. Par exemple, En 1995, les dépôts à vue ont
chuté de 16 % (en réel) et les dépôts à terme
de 12 % car les agents manquaient de confiance dans le système bancaire.
En effet, depuis le second semestre 1995, il était déjà
question de nouvelles restructurations qui ne pouvaient pas rassurer les
épargnants. Ainsi, pour éviter que leurs dépôts
soient bloqués, les agents ont retiré leurs liquidités du
système bancaire engendrant une situation proche de paniques bancaires
(AGLIETTA et MOUTOT, 1995). Entre décembre 1995 et avril 1997, les
dépôts à vue ont progressé de 3 % et les
dépôts à terme ont chuté de 21 % (en nominal). En
revanche, au cours de l'année 1997, la liquidité bancaire s'est
nettement améliorée dans son ensemble. Comme il apparaît au
graphique d'annexe 1, cette amélioration s'est
poursuivie de manière satisfaisante, car les variations ont
été par exemple de +53 % de 1997 à 2000, de +27 % de 2000
à 2003, et enfin plus de 100 % de 2003 à 2006.
27 La chute des dépôts bancaires est beaucoup moins
importante en 1993 qu'en 1992
Relation Banque-Entreprise et croissance économique
au Cameroun
Une autre réalité de cette évolution est
que la capacité d'offre de crédit n'est qu'apparente, dans la
mesure où les dépôts collectés sont essentiellement
à court terme qui ne peuvent être utiles qu'à la
distribution des crédits à court terme. Or, ces crédits
financent généralement les opérations de court terme
à rentabilité immédiate comme le commerce
général de distribution et l'import-export; ils ne peuvent donc
pas financer les investissements à moyen et long terme, parce que les
banques camerounaises à cause de la faible transformation des
dépôts à court terme en emplois en moyen et long terme. En
fait, la capacité de transformation par les banques de leurs
dépôts à cour terme en emplois longs étant
très limitée, les banques ne peuvent jouer qu'un rôle
marginal0 dans le financement des investissements des entreprises. Or dans la
structure passée et actuelle des ressources des banques, les
dépôts à court terme sont les plus importantes.
Il vient donc que constituée pour l'essentiel des
dépôts à court terme, la liquidité bancaire au
Cameroun n'est qu'apparente. D'ailleurs, certains dirigeants des banques ne se
privent pas des déclarations du genre « les banques camerounaises
se trouvent dans une situation de surliquidité en trompe oeil »
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