CONCLUSION
Nous avons vu, que d'un point de vue sociologique, la chambre
d'isolement est une construction sociale. L'intérêt de cette
construction sociale est de normaliser un comportement étiqueté
déviant ou le comportement des soignants.
Notre problématique de départ était une
démarche compréhensive du processus de définition de la
pratique de la mise en chambre d'isolement. A travers le travail d'analyse,
nous avons pu mettre en évidence quelques facteurs normatifs structurant
les conceptions des acteurs et participant à caractériser la
pratique de la chambre d'isolement de thérapeutique. Décomposer
le processus de mise en chambre d'isolement c'est entrer dans un monde
soignant, dans leur structuration du réel. La psychiatrie est un monde
ou l'hétérogénéité des théories et
des conceptions participent en permanence à définir la
trajectoire du patient. Strauss et Schatzman (1966) nous permettent d'illustrer
notre approche de la construction sociale de la mise en chambre d'isolement.
Ces derniers considèrent « l'institution psychiatrique moderne
comme une arène professionnelle qui rassemble différents
professionnels, avec des schémas de carrière différents,
des idéologies concernant le traitement, des conceptions divergentes les
uns des autres en tant que professionnels, et des degrés divers
d'engagement par rapport à l'institution dont ils font partie ».
Cet extrait résume notre approche du monde de la psychiatrie et montre
que c'est plus le sens que l'acteur donne à sa pratique qui permet de
situer la dimension thérapeutique que le fruit d'une conception
soignante collective et pensée. Comme l'écrit Livia
Velpry16 (2005), ce n'est donc pas la nature de l'activité
qui lui confère un caractère thérapeutique. Comme nous
l'avons vu, ce caractère s'exprime sur la trajectoire à
différents moments de la prise en charge soignante.
16Article étudié en séminaire des
doctorants du réseau nationale « Santé et
Société » dont le thème est le travail
thérapeutique en psychiatrie.
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A l'issue de cette enquête qualitative, nous pouvons
dire que la dimension culturelle n'impacte pas clairement la conception
thérapeutique de la chambre d'isolement. On ne retrouve pas de
dichotomie des conceptions de la chambre d'isolement en comparant les deux
établissements. Néanmoins, les facteurs normatifs qui justifient
cette pratique ne sont pas toujours issus de la clinique. Il me semble normal
entre parenthèses que les acteurs construisent chacun un temps et une
conception thérapeutique différentes. En effet, les facteurs
à l'origine de la mise en chambre d'isolement ne sont pas toujours
légitimes aux yeux des soignants. Dans ces conditions, le paradoxe
d'exigence thérapeutique et d'impératifs de
sécurité, reste supportable en déplaçant la
légitimité du soin à un autre moment. En effet, comme
Goffman l'a mis en évidence dans « Asiles » (1968), la seule
façon de rendre ce paradoxe supportable c'est de faire tomber la
barrière entre le monde soignant et le patients, à certains
moments. De la sorte, une ambiance de libération est créée
pour les fêtes de fin d'année ou la barrière entre
reclus et soignants tombe permettant d'apporter un semblant de
liberté et de baisser les tensions liées aux contraintes de
l'enfermement. Ainsi le soignant rationalise sa pratique en conceptualisant un
sens thérapeutique de la chambre d'isolement permettant
d'échapper en partie à l'injonction paradoxale : du soin et de la
contrainte. La catégorie « variable » illustre simplement que
le sens thérapeutique est une construction sociale
négociée et stable mais temporaire.
Avant de conclure, je souhaite parler du glissement
sémantique qui a lieu a propos de la chambre d'isolement. Dans certains
hôpitaux la chambre de soin intensif remplace le terme de chambre
d'isolement. Ce terme me parait leurrant. Le glissement sémantique est
révélateur du travail de clarification des pratiques soignantes,
notamment par le biais le respect des recommandations de l'ANAES (1998). Mais
la chambre d'isolement doit garder son nom car rien ne permet de dire
aujourd'hui qu'elle est thérapeutique. Renommer cette pratique de
soignante c'est donner l'illusion de faire un travail efficient et respectueux
des droits des patients et de leur dignité. Mais nous l'avons vu
à travers notre enquête que l'institution psychiatrique fabrique
parfois de l'isolement dans l'isolement. J'invite le lecteur à la
réflexion en revenant à notre citation
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anonyme : « Celui qui ne connaît que la psychiatrie,
ne connaît même pas la psychiatrie ».
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