CHAPITRE 2 / PRÉSENTATION DE DONNÉES
ISSUES DE L'ENQUÊTE
Cette seconde partie est consacrée à la
description monographique, au sens straussien du terme (Strauss 1990), du monde
formel de la psychiatrie. Nous procédons à l'analyse comparative
des deux établissements présentés en première
partie. Quatre grands axes sont explorés à travers chaque analyse
comparative.
La démarche comparative est faite en utilisant
sensiblement le même plan. Nous commençons par décrire le
rôle des acteurs impliqués dans le processus de mise en chambre
d'isolement ou de mise sous contentions. Ensuite, les normes constitutives des
conceptions ou philosophies de soin sont développées. Les normes
permettent de comprendre les mécanismes, les fondements d'une conception
(Becker, 1988) et donc de saisir comment le monde de la psychiatrie est un
ordre négocié, stable, mais toujours de manière
temporaire. Puis, le processus de mise en chambre d'isolement ou de mise sous
contentions est analysé. Enfin, nous explorons le monde
thérapeutique. La chambre d'isolement est-elle thérapeutique ?
Qu'est-ce qui est thérapeutique ? Quand la dimension
thérapeutique apparaît-elle ? C'est ce que nous allons explorer et
essayer de comprendre en comparant ces deux mondes.
Nous conclurons dans un troisième temps, en
réalisant la synthèse comparative des monographies et en faisant
le point sur nos hypothèses de départ ainsi que sur la
problématique.
33
I « Présentation de l'établissement
A »
Le cadre architectural date de 1862. C'est sous l'égide
du Baron Haussmann que furent construits les principaux bâtiments. La
construction reflète la pensée psychiatrique de son temps.
Parchappe (1853), Inspecteur général du service des
aliénés, qui inspira la conception architecturale des asiles du
19eme pensait que « la valeur médicale des
systèmes de construction » passait par un classement successif des
aliénés car c'est en cela que « se mesure le progrès
».
Néanmoins, les pensées évoluent et dans
cet hôpital la philosophie de soin est d'utiliser les contentions pour
faire face aux situations de violence, en opposition avec l'inscription
historique de ses murs.
Comme je le développe dans la première partie,
la culture de l'établissement oriente les modalités de soin, en
s'affranchissant parfois de certaines pratiques, comme l'isolement. La
trajectoire du patient du patient est donc conditionnée dès son
entrée dans l'hôpital par la culture institutionnelle de
l'établissement d'accueil. L'utilisation des contentions ou de la
chambre d'isolement est un élément dépendant de la
structure dans laquelle il est intégré.
I.1 « Les acteurs de l'institution »
Nous présentons les différents acteurs importants
dans le cadre de l'enquête menée ; ceux qui participent à
l'action de mise ou non en chambre d'isolement.
I.1.1 « Le leader institutionnel »
Le chef de service est un psychiatre responsable d'une
unité de soin, destinée à accueillir les patients dans le
cadre d'une hospitalisation sous la contrainte ou en hospitalisation libre. Il
est le responsable médical et administratif de l'organisation des
34
soins et travaille en collaboration avec les cadres de
santé. Le chef de service est un acteur primordial car sa philosophie de
soin oriente les modalités de prise en charge. Il imprime sa
stratégie de soin à l'équipe (psychiatres ; cadres de
santé ; infirmiers).
« Moi je me suis reconnu dans les valeurs qu'exige le
médecin chef, ça s'est incontournable. » (cadre
supérieur de santé)
« ...ici on a essentiellement des patients en HO et
en HDT, malgré cela la porte reste ouverte et on n'utilise pas
nécessairement de chambre fermée. La philosophie est
imprimée par le chef de service, lui il le porte et il y tient, il le
fait redescendre sur l`équipe médicale et les
infirmiers.»
Dans cette unité les portes sont ouvertes, mais
l'unanimité de cette pratique n'est pas de mise. La philosophie de soin
imprimée par le chef de service ne répond pas forcément
aux attentes des autres acteurs. La responsabilisation des soignants demandent
une supervision du travail afin d'être en adéquation avec
l'exigence du travail demandé.
« Moi je trouve qu'on utilise plus les contentions,
enfin je trouve que ça augmenté, c'était assez rare, mais
j'ai l'impression souvent maintenant qu'il y a une demande des équipes,
c'est freiné parce que c'est pas l'optique du service, mais si
c'était pas freiné (rire) il pourrait y avoir une utilisation
beaucoup plus importante, on sent qu'on en parle plus en tout cas. »(cadre
supérieur de santé)
La prépondérance du chef de service est
importante car sa stratégie de soin peut même être en
opposition avec celle revendiquée par l'établissement. Pour cet
établissement le secteur Y constitue le contre exemple en ayant une
chambre d'isolement.
« Alors si vous voulez il y a une chambre d'isolement
en face elle est au secteur Y, y en a une et peut être au secteur
ZÉ » (cadre supérieur de santé)
Néanmoins, le poids de la personnalité du chef
de service semble être un élément important dans la
continuité de l'application de la philosophie de soin.
« Si c'était quelqu'un d'autres je pense qu'il
y aurait des pavillons de fermés d'abord et d'une, parce que c'est pas
facile un pavillon ouvert, donc ça demande une responsabilisation des
soignants et des patients sur le fait que la porte soit ouverte. » (cadre
supérieur de santé)
35
Enfin, le rôle des médecins est, entre autres, de
prescrire du traitement médicamenteux ainsi que des mises sous
contention, souvent intégrés dans une démarche
protocolisée.
« Éil existe des mises de contention en
chambre fermée avec un protocole de mise en chambre... »
(cadre supérieur de santé service B)
|