II - Une prérogative parentale exclusive
36. Notre société reconnaît à
chaque parent le droit de former moralement l'enfant en fonction de sa propre
expérience, de ses convictions, de ses croyances personnelles. Les
parents ont, en principe le pouvoir et la liberté d'orienter moralement
l'enfant en procédant à sa circoncision. Il s'agit d'un droit
parental exclusif. Cette exclusivité de principe signifie que les
parents n'ont pas à recueillir le consentement préalable de
l'enfant en bas âge (A) et qu'ils n'ont pas à craindre une
immixtion émanant des tiers (B). Mais le juge peut indirectement
contrôler ce choix, prérogative parentale ne signifiant pas
pouvoir discrétionnaire (C).
A - Indifférence du consentement de l'enfant
37. Les attributs de l'autorité parentale se
manifestent sous la forme d'un rapport d'autorité : les père et
mère ont un pouvoir de commandement, l'enfant un devoir
d'obéissance (art 371). Ce devoir d'obéissance est le pendant de
l'autorité parentale. En tant que manifestation de l'autorité
parentale, la circoncision n'est pas, en principe, subordonnée au
consentement de l'enfant qui en est l'objet.
38. Toutefois, les textes internationaux38 ont
imprimé leur marque sur la réforme de l'autorité parentale
dont la finalité est ouvertement, depuis 2002, l'intérêt de
l'enfant. Par ailleurs, le nouvel article 371-1 du Code civil, dans son
troisième alinéa, dispose que « les parents associent
l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son
degré de maturité ». L'autorité parentale est
perçue par le législateur de 2002 comme une mission
évolutive.
39. La question qui se pose est donc celle de savoir si, par
exception, le grand enfant (d'un certain âge et d'un certain degré
de maturité) peut prétendre à une certaine autonomie en
matière religieuse, à l'égard des opinions
professées par ses parents?
36 Carbonnier estimait que la religion de l'enfant
était plus une question de jus sanguinis que de puissance
paternelle Sa théorie visait à préserver, pendant la
minorité de l'enfant, l'immutabilité du lien religieux. Ceci afin
d'éviter les fluctuations abusives en cas de dissentiment parental et le
risque pour le juge d'avoir à apprécier le choix selon
l'intérêt de l'enfant. Mais cette théorie n'a pas
reçu d'écho en jurisprudence. L'affaire de la mineur de
Versailles y a mis définitivement un terme. (TGI Versailles du 24
septembre 1962, note Carbonnier, Recueil Dalloz 1963, page 52).
37 Traité de droit français des religions, sous
la direction de Francis Messner, Pierre-Henri Prélot, Jean-Marie
Woehrling, Litec groupe LexisNexis, page 608.
38CESDH et ses protocoles additionnels ; convention
ONU relatives aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 ; art 24§1 de la
charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.
Plus précisément encore, son consentement
à sa propre circoncision est-il, dans ces conditions, requis ?
40. L'évolution du droit positif consacre une timide
tendance à reconnaître une autonomie religieuse de l'enfant vis
à vis de ses parents. La liberté religieuse de l'enfant est
reconnue par l'article 14 de la convention de New-York39. Mais la
portée de cette notion est assez floue et son application encore
hasardeuse. La France ne reconnaît pas de véritable
majorité religieuse. Celle-ci existe pourtant en droit comparé :
14 ans en Alle-magne40 et 16 ans en Suisse41 .
41. Quant à l'audition de l'enfant, elle est
prévue par le Code civil pour les mineurs de plus de 13 ans (articles
373-2-11, 388-1 et décret n° 2009-572 du 20 mai 2009). Mais en
pratique, les enfants de plus de 13 ans ne sont entendus que si l'un des
parents au moins le demande et le procès-verbal d'audition n'est pas
toujours établi42 .
42. Cette prise en compte embryonnaire du consentement de
l'adolescent à son éducation religieuse, combinée à
certaines dispositions du Code de la Santé publique (prévues
notamment aux articles L. 1111-443), font penser que la circoncision
doit être soumise au consentement du grand enfant. Mais cette
éventualité reçoit peu d'échos en jurisprudence.
Elle n'a été rencontrée que dans deux décisions de
justice. Dans une première espèce l'enfant est alors
âgé de 11 ans (CA Lyon 25 juillet 2007*) et dans une seconde ils
est âgé de 7 ans (CA Rennes 3 juillet 2008*)44. Cette
rareté des cas dans lesquels le consentement de l'enfant à sa
circoncision est pris en compte, s'explique par le jeune âge auquel les
enfants sont circoncis. L'enfant circoncis (ou à circoncire) aura, en
règle générale, moins de 7 ans. Un abaissement sensible
mais progressif de cet âge est par ailleurs constaté par les
sociologues45.
39La Convention de New-York, ratifiée par la
France en juillet 1990, affirme dans son article 14 le droit de l'enfant
à « la liberté de pensée, de conscience et de
religion ».
40Loi allemande sur l'éducation religieuse des
enfants du 15 juin 1921.
41Article 277 alinéa 3 du Code civil suisse
: « L'enfant âgé de seize ans révolus a le droit de
choisir lui-même sa confession ».
42V. CA Toulouse, 2 févr. 1988 : D. c/ Dame E.,
obs., Rubellin-Devichi, RTD civ. 1990,p. 735.
43 Article L. 1111-4 C. Santé publique, alinéa 1
: « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte
tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les
décisions concernant sa santé ». Alinéa 6 : « Le
consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être
systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa
volonté et à participer à la décision (...).
»
44 CA Rennes 3 juillet 2008* : La Cour accueille la demande de
la mère et fait interdiction au père de circoncire l'enfant
« sans son accord » et celui de la mère. Aucune motivation
n'est donnée. En l'espèce, l'enfant avait intégré
les craintes de sa mère notamment du chef de la circoncision et vit mal
l'opposition qui règne entre ses parents dont il se sait
déjà l'enjeu.
CA Lyon 25 juillet 2007* :
nécessité de l'accord de l'enfant, alors âgé de 11
ans. Le juge, en se prononçant, prend soin de rappeler l'âge de
l'enfant.
18
45M. Chebel, préc., page 15.
43.
19
La loi allemande votée le 12 décembre 2012 n'a
pas jugé nécessaire de subordonner la circoncision de l'enfant
à son consentement préalable.
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