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Le graffiti à  Beyrouth : trajectoires et enjeux dà¢â‚¬â„¢un art urbain émergent

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par Joséphine Parenthou
Sciences Po Aix-en-Provence - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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2. Un défaitisme au sein de la jeunesse beyrouthine perceptible chez les graffeurs

Cette limitation de la portée revendicative et engagée du graffiti se comprend également au regard du contexte libanais et de la position des jeunes beyrouthins dans celui-ci. N'étant pas uniquement graffeurs, ces acteurs sont aussi des jeunes, confrontés aux problèmes sociaux, économiques et politiques d'un pays en difficulté : crise économique profonde, institutions faibles, instabilité régionale et nationale, démons de la guerre civile toujours présents, actes terroristes répétés, absence de président révélant une crise politique de long terme ne constituent que certains éléments d'une liste plus longue. Ces critiques prennent la forme de « coups de gueule » momentanés lorsque la situation est perçue comme insupportable. L'instabilité du Liban tend à être considérée, par une partie des jeunes beyrouthins, comme constitutive de leur pays voire comme une donnée culturelle. Pour le photographe Patrick Mouzawak comme pour le designer Elias el-Haddad, « le Liban refait les mêmes erreurs depuis 2000 ans et puis, bon, à chaque fois on prend pour les autres » (entretien avec Patrick Mouzawak, juillet 2015). Ce sentiment d'être « condamné à reproduire » les mêmes erreurs et que la transmission culturelle « reçue et offerte en héritage suppose l'éternel retour »164 restent fortement ancrés dans les esprits. La période Hariri offrait, selon Elias, l'espoir de pouvoir vivre dans un pays plus stable, reconstruit et pacifié, mais il s'est vite éteint avec l'assassinat du Premier ministre en 2005. L'échec du printemps de Beyrouth et la guerre israélo-libanaise de 2006 auraient définitivement enterré cet espoir ; suite au décès d'étudiants lors des manifestations et du conflit, Elias, comme beaucoup de ses amis qui étaient présents et actifs dans ce « mouvement pour la démocratie », a préféré émigrer en France.

163 Interview de Phat2 par Brian GONNELLA, disponible à l'adresse http://www.bombingscience.com/index.php/blog/viewThread/9889.

164 KATTAR, Antoine, op. cit., p. 94

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Face au contexte actuel et à ce défaitisme ambiant, les graffeurs témoignent une peur de l'engagement et de la dévolution de leur pratique à une cause politique ou sociale. Les déceptions issues des dernières manifestations les ont rendus méfiants face à toute forme de mobilisation, même celle d'août 2015. Bien que Meuh, Spaz ou Exist soient effectivement descendus graffer sur les murs installés au Grand Sérail, quartier général du Premier ministre, leur implication est restée très marginale par rapport au reste de la population. Elle a, aussi, stagné en deçà de ce qu'ils auraient souhaité réaliser dans l'idéal, soit si ça avait, selon eux, une chance de fonctionner. Leur attitude est emprunte de doute, puisqu'ils souhaitent s'engager, Kabrit sentant par exemple que « c'était là-bas qu'[il] devait vraiment faire une pièce de malade (...) qu'[il] devait être être présent et tout », afin d'être en accord avec son discours sur le graffiti comme expression des sentiments de la population. Lors d'un entretien en avril 2016, la peur que le Liban ne soit au bord d'une nouvelle guerre, civile ou militaire, le rend d'autant plus sceptique quant au rôle que pourrait avoir l'art :

- Raoul : en voyant l'histoire du pays, l'histoire de la mentalité des gens, c'est un peu évident que ça va

partir un peu dans la direction de... And I do not want to invest energy and time in trying to make it, you know, feel like going to a better direction and either as a support.

- De supporter que ça parte en...

- Raoul : non supporter, je sais pas, une révolution. Je sais pas pourquoi, c'est que je sens que je fais un

peu de la, de l'âge des gens qui ont pu faire un petit mouvement, qu'ils ont pu tu vois secouer le truc... Alors que nous on est des gros hypocrites.

- Dans quel sens ?

- Raoul : dans le sens qu'on a pris part dans, on critique tellement genre tu nous écoutes en train de

parler à Batroun, ou bien qu'on va changer le monde et on va supporter à fond et on va peindre le Liban, on est une nouvelle génération au monde alors que, y a eu la merde, et nous on était à Batroun et on fumait, on écoutait de la musique, on s'en foutait. On s'en foutait pas mais c'est juste comme si, comme si on prétend qu'on veut en faire partie. I know in my case it's not worth it because it wouldn't go anywhere... (...) Y a de la merde partout, y avait tout le monde qui faisait le rebelle et la rébellion dans la rue and... I don't know, I think we had so much revolutions that didn't get anywhere, maybe I'm too pessimistic but most revolutions didn't go anywhere because of people eventually. And... and I think I'm afraid of disappointment. Of investing so much love and effort and that, in the end, people turn against each other.

Le spectre de la guerre civile, présenté comme le plus grand risque d'une révolution ou de la dégradation de l'État libanais, reste fortement ancré dans l'esprit des graffeurs. Ils préfèrent le statu quo, voire l'escapisme par le graffiti. Spaz et Exist expliquent leur engagement, a posteriori certes, comme la seule manière qu'ils ont trouvé pour supporter leur situation (« I was searching for a small way of freedom... like a way to reach existence in such world, to be heard, to inspire people »). Ce type de réaction, loin d'être

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chose rare, renvoie aux « barrières physiques et psychologiques dressées par la guerre »165 de 2006, traumatismes rendus avec une grande attention esthétique dans le roman graphique scénarisé par Joseph Safieddine, Yallah Bye.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand