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Le graffiti à  Beyrouth : trajectoires et enjeux dà¢â‚¬â„¢un art urbain émergent

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par Joséphine Parenthou
Sciences Po Aix-en-Provence - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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B. Le graffiti comme création d'une distinction entre identité privée et identité publique

Le graffiti participerait de cette sortie de l'appartenance communautaire en (re)créant une distinction entre identité privée, dans laquelle serait comprise l'appartenance religieuse, et identité

publique. Premièrement parce que le graffiti, plus que toute autre forme d'art, fait passer le blase au premier plan dans le processus de désignation des individus qui s'y adonnent. Ensuite, nous pourrions

questionner la manière dont le graffiti fait passer ces mêmes individus d'une identité essentielle, pour ne pas dire essentialisée, à une identité définie par la pratique, et donc en constante évolution.

1. Le blase comme système de dénomination indépendant de l'identité du graffeur

Nous revenons ici, brièvement, sur le rôle du blase, cette fois-ci en tant que système de dénomination indépendant de l'identité communautaire. Certes, l'importance du blase comme signature a déjà été abordée, mais son aspect social ne pouvait être directement traité : ce dernier n'est désigné qu'a posteriori par les graffeurs, par une sorte de réflexivité et de mise en discours de soi dans une perspective sociale, voire politique, plus qu'artistique. Ici, le blase vient gommer

purement et simplement toute référence à l'appartenance « Séparer l'Eglise de l'Etat ne suffit

communautaire dans l'identité artistique, ce qui, plus ; tout aussi important serait de

paradoxalement, se déverse sur l'identité privée. Lors des séparer le religieux de l'identitaire. »

observations, rares voire inexistantes sont les fois où les Les identités meurtrières, Amin

graffeurs, même amis, s'appellent par leur prénom. Cela peut Maalouf

parfois avoir l'effet inverse, à savoir que cette appellation par

le blase uniquement tend à effacer l'identité légale première, celle du prénom, au profit de la figure du graffeur. Kabrit n'est jamais appelé par son vrai nom, Raoul, à l'exception de sa famille, tout comme Spaz,

Sup-C ou Bob, qui s'appellent respectivement Raydan, Nassim et Ibrahim. On assiste à un passage sous silence de la dimension identitaire présente dans leurs prénoms, chrétien français pour le premier et musulman arabe, à connotation chiite ou sunnite pour les seconds.

La dénomination par le blase par les initiés, les clients ou les journalistes permet également d'être reconnu comme artiste et l'assignation identitaire devient impossible. Véhiculer des blases sans connotation

religieuse replace au premier plan la valeur artistique de l'individu et, a fortiori, sa personnalité ou son avatar. À la différence d'autres artistes, les graffeurs ne sont plus tant définis comme un « peintre libanais d'origine chrétienne » ou un « compositeur de jazz druze », mais uniquement par leur personnalité artistique ; la vie et l'identité privées restent en dehors de la sphère publique. A priori banale, cette différenciation entre identité privée et identité publique est réellement novatrice au regard du

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traumatisme laissé par la guerre civile. À Beyrouth, l'élimination physique systématique de civils aux checkpoints de quartiers, entre autres, se décidait sur la base de l'appartenance communautaire mentionnée sur la carte d'identité, et de la connotation religieuse du nom de famille lorsqu'un doute subsistait. La mention de la confession sur les papiers officiels, en raison du système institutionnel communautaire instauré à l'indépendance, en 1943, a progressivement effacé toute distinction entre vie ou croyance privée et identité publique ou légale. L'opération inverse, qui s'avère plus être une conséquence des conventions liées au graffiti qu'à une volonté consciente des graffeurs, recrée cette démarcation et cette vie privée. Par suite, on la retrouve dans les entretiens avec les acteurs, que ce soit par leur réticence à parler de leur appartenance communautaire ou par la volonté claire de cantonner la confession à la sphère privée.

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