La lutte contre l'exclusion sociale des enfants et jeunes en situation de rue à Bamako. Analyse de l'expérience de samu social Mali.( Télécharger le fichier original )par Aboubacar TRAORE là¢â‚¬â„¢Institut National de Formation des Travailleurs Sociaux de Bamako - Téchnicien Supérieur en Travail Social. Option: Développement Social et là¢â‚¬â„¢économie solidaire. 2014 |
INTRODUCTION :Le présent mémoire traite de la problématique de l'exclusion sociale des enfants et jeunes en situation de rue à Bamako, un phénomène nouveau, mais préoccupant vu son ampleur. Ce phénomène est lié à plusieurs facteurs, et l'on pourrait citer en premier lieu l'urbanisation exponentielle de la ville de Bamako depuis le début des années 2000. Mais cette situation est à la fois révélateur d'un développement économique inégalement réparti sur le territoire national, et d'une mutation vers les centres urbains des populations des campagnes. Cette croissance urbaine mal maîtrisée génère une population grandissante de personnes vivant en situation de grande précarité et de marginalisation dans la capitale du Mali. Parmi celle-ci, les enfants et les jeunes de la rue sont aujourd'hui une source d'attention particulière, non seulement pour les autorités politiques et administratives mais également pour les collectivités et l'ensemble des acteurs de la protection de l'enfance. Il convient de rappeler ici la définition « enfant de la rue » retenue par les acteurs du domaine. Il s'agit d'une population d'enfants vivant en permanence dans la rue, de jour comme de nuit, ce qui signifie une rupture profonde avec leur famille. Cette rupture exclut l'enfant de la protection familiale et sociale d'ordre physique, affectif, ou éducatif et de la possibilité d'avoir un représentant légal. Cette définition ne recouvre donc pas l'ensemble des enfants vivant dans la rue, mais plutôt, ceux qui n'ont plus que la rue pour vivre. Cette distinction entre « enfant de la rue » et « enfant dans la rue » est ainsi résumé par Bernard PIROT : « les enfants de la rue désignent ainsi un enfant en rupture totale avec sa famille, dans laquelle il ne peut pas ou ne veut pas retourner. De ce fait il vit et dort en permanence dans la rue. [...] A la différence des enfants de la rue, les enfants dans la rue ne sont pas en rupture totale avec leur cellule familiale et ils gardent le plus souvent un contact régulier avec leurs parents. Ils passent cependant la plus grande partie de leur temps dans la rue pour y travailler, jour et nuit s'il le faut »1(*). Si de plus en plus la communauté internationale recommande de parler d'enfants en situation de rue, le choix a été fait de conserver, pour plus de clarté, la terminologie « enfant de la rue ». Si l'origine et les causes de leur arrivée en rue ont été cernées récemment (2010) par l'étude « Nous venons tous d'une maison » du Samusocial Mali2(*), diverses études et recensements conduits à Bamako3(*) ont fourni une estimation sur une fourchette très large variant de 400 à 4000 enfants. Le Samusocial a pour sa part, depuis sa création D'octobre en 2001, à la date du 31 décembre 2014, identifié 2931 enfants et jeunes et suit chaque année une cohorte d'environ 700 à 800 d'entre eux4(*). En outre, la crise politico-militaire qui s'est installée au Mali à partir de janvier 2012 vient aggraver cette situation de base. Dans un pays coupé en deux, où le Nord est tombé sous le joug des extrémistes armés, les populations fuyant l'emprise des islamistes affluent dans la ville de Bamako par milliers. Ces populations déplacées, dans un premier temps auprès de leurs propres familles, proches ou connaissances, viennent accélérer la précarisation grandissante des couches les plus pauvres de la société. Au bout de ce processus, les enfants sont les premières victimes, poussés vers la mendicité ou les « petits métiers de la rue », ils basculent dès lors dans la vie en rue et la spirale de l'exclusion sociale dans laquelle ils s'engouffrent les réduit rapidement au stade de la simple survie dans la rue. Privés de protection et d'affection, sans soutien familial, les enfants de la rue sont exclus des structures sanitaires, sociales et éducatives de droit commun et sont trop faibles ou trop désocialisés pour se rendre d'eux-mêmes vers les structures d'aide existantes telles que les centres d'accueil et d'hébergement. Leur état, tant au niveau physique que psychologique, se détériore donc très vite, d'autant qu'ils sont confrontés à des conditions de vie très dures dans la rue. Ils n'ont pas d'autre choix que de développer des stratégies de survie dans la rue en se forgeant de nouveaux repères, par le biais notamment de l'appartenance à un groupe d'enfants et d'une identification à un territoire dans la rue. Dans un document datant de 1994, le chef de division de l'Action Sociale de l'époque, M.AttaherMaiga, résume ainsi que l'on peut retenir de l'enfant de la rue nécessitant une protection spéciale : « Qu'il est plus sale et parait plus misérable que les enfants de son âge. Il souffre plus de la faim et est plus violent et méfiant. Sa vie n'est pas facile ; il rencontre l'hostilité presque partout où il va ... il est considéré comme indésirable, malhonnête et fauteur de trouble. Chaque adulte pense qu'il a un droit sur lui et il est victime d'une répression sans fondement. On pourrait presque dire qu'il est préventivement traité comme délinquant. Il est dépouillé de tous ses droits élémentaires ». Motivation du choix du sujet: Notre intérêt pour le phénomène des enfants et jeunes des rues s'explique à la fois par des raisons d'ordre personnel et subjectif et des motivations d'ordre scientifique. En effet, de nos jours à Bamako, la capitale du Mali, le spectacle frappe l'attention de tout visiteur. Au-delà des infrastructures modernes pouvant susciter l'admiration, des enfants prennent d'assaut les grandes artères, rivalisant avec les engins de circulation, occupant les places publiques et déambulant dans les stations de service, devant les mosquées tout comme dans les marchés. L'enfant a droit à l'éducation, aux soins de la santé et doit être inséré dans la société dans laquelle il vit. Le temps de l'enfance est synonyme d'amour parental, de protection familiale, de joie, d'univers ludiques, d'apprentissage en société. Pourtant, pour des milliers d'enfants et jeunes, ce temps-là n'est ou ne sera qu'un triste et sombre souvenir, qu'il leur faudra essayer d'atténuer ou effacer, souvent en vain, une fois devenus adultes. Les enfants de la rue vivent trop souvent dans des conditions déplorables et sont l'objet d'abus de toutes sortes. Ils sont nombreux à souffrir de maladies diverses en raison de leurs conditions de vie déplorables. Beaucoup d'entre eux n'ont pas fréquenté l'école. Notre sensibilité à ce drame est l'une des raisons qui nous ont poussés à nous intéresser à ce thème. Aussi, nous voudrions apporter notre contribution à une meilleure compréhension du phénomène des enfants et jeunes des rues, un passage obligé pour le combattre efficacement. Nous nous intéresserons particulièrement aux interventions du Samusocial Mali, une organisation de la société civile malienne qui a dédié son intervention à la lutte contre l'exclusion sociale des enfants et jeunes des rues à Bamako. Problématique Essentiellement urbain, le phénomène des enfants et jeunes des rues est relativement récent en Afrique et particulièrement au Mali, pays longtemps marqué par le collectivisme où, dit-on, l'enfant appartient à tous. C'est seulement avec l'avènement de la démocratie au début des années 1990, que des ONG et quelques individualités ont alerté l'Etat, l'opinion nationale et internationale sur l'existence des enfants en situation de rue à Bamako qui développent des stratégies de survie en dehors de la famille. Aussi, l'Etat a-t-il placé le phénomène des enfants des rues dans son cadre stratégique de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Ainsi, grâce aux soutiens des partenaires au développement en l'occurrence l'Unicef et Enda Tiers Monde- Mali, des centres d'écoute et/ou de formation ont été créés pour la prise en charge des enfants en situation difficile en général et des enfants des rues en particulier. Le décret N°02-067/P-RM du 12 Février 2002 a même réglementé la création et les modalités de fonctionnement des institutions privées d'accueil, d'écoute, d'orientation ou d'hébergement pour enfants, comme pour attester que l'Etat accorde un grand prix à la gestion des enfants ayant besoin de mesures spéciales de protection afin que ceux-ci ne versent dans la petite ou la grande délinquance. Dans cette logique, tous les intervenants du secteur orientent leurs prestations dans le sens de la lutte contre l'exclusion sociale (octroi de l'hébergement, des soins de santé, d'habits, des apprentissages scolaires et/ou de métier), prestations vainement destinées à tirer ces jeunes de leur mode de vie non normative car, selon les responsables de centre d'écoute, toutes les actions menées dans ce sens ont montré leur limite. Nonobstant les efforts consentis par l'Etat et la société civile, le nombre d'enfants et jeunes vivanthors de l'espace familial est toujours préoccupant, même si, à cause de leur grande mobilité, leur effectif n'a jamais pu être cerné avec précision. En 2006, le Centre National de Documentation et d'Information sur la Femme et l'Enfant(CNDIFE) a recensé 1924 enfants des rues comprenant 1320 garçons et 604 filles. Cependant, derrière ces chiffres, se cache une réalité beaucoup plus profonde et beaucoup plus interpellateur. Cette population est victime de marginalisation et d'exclusion sociale, et c'est cet aspect du phénomène qui nous intéresse dans la présente étude. Afin de mieux cerner l'exclusion sociale des enfants et jeunes en situation de rue, nous nous attèlerons à l'analyse de l'expérience d'une structure qui a dédié sa mission à la lutte contre ce fléau dans la ville de Bamako. Il s'agit de l'ONG Samusocial Mali. Pour ce faire, nous partirons des questions principales suivantes : ü Quelle est l'origine du phénomène des enfants et jeunes en situation de rue à Bamako ? ü Comment se manifeste l'exclusion sociale des enfants et jeunes en situation de rue à Bamako ? ü En quoi consiste l'approche du Samusocial Mali dans la lutte contre le phénomène de l'exclusion sociale des enfants et jeunes en situation de rue ? ü Quelles sont les difficultés et les limites de l'intervention du Samusocial Mali ? ü Quelles sont les pistes à explorer en vue d'un renforcement de la lutte contre l'exclusion sociales enfants et jeunes en situation de rue à Bamako ? Les objectifs L'objectif général Ce mémoire veut contribuer à une meilleure compréhension du phénomène de l'exclusion sociale des enfants et jeunes en situation de rue à Bamakoet vise à cerner également le principe et le contenu de l'intervention du Samusocial Mali. Les objectifs spécifiques - Comprendre les facteurs explicatifs du phénomène de l'exclusion sociale des enfants et jeunes en situation de rue à Bamako. - Cerner les dimensions de l'exclusion sociale des enfants et jeunes en situation de rue, - Analyser l'intervention du Samusocial Mali dans la lutte contre le phénomène, - Identifier les difficultés rencontrées par le Samusocial Mali dans son intervention, - Proposer des solutions en vue de l'amélioration de la prise en charge des enfants et jeunes en situation de rue à Bamako. Les hypothèses de recherche ü le phénomène des enfants et jeunes en situation de rue a plusieurs facteurs. Il s'explique autant par des facteurs économiques, démographiques et socio-culturels, ü l'exclusion sociale des enfants et jeunes en situation de rue est multidimensionnelle, touchant plusieurs domaines : santé, éducation, justice, état civil, le sport et les loisirs, la participation à la vie économique et sociale, ü l'intervention du Samusocial Mali consiste à apporter une aide médicale et psychosociale quotidienne afin de répondre à la détresse quotidienne des enfants et jeunes vivant en situation de rue, ü les difficultés rencontrées par le Samusocial Mali dans son intervention sont liées à la population bénéficiaires, à la population et aux familles des enfants et jeunes pris en charge, à la faiblesse du dispositif de protection de l'enfant au Mali et au Samusocial Mali, lui-même, ü le renforcement de la lutte contre l'exclusion sociale des enfants et jeunes vivant en situation de rue passe par une plus grande implication de l'Etat et des collectivités locales, de la société civile et de la population d'une manière générale dans la recherche de solutions au phénomène. Le présent mémoire comprend trois parties. La première partie traite le cadre théorique de l'étude. La seconde porte sur le phénomène des enfants et jeunes des rues à Bamako. Après un bref aperçu sur l'historique de ce phénomène en Afrique, son évolution à Bamako au cours des dernières années est évoquée. Dans cette partie également les principaux domaines d'exclusion sociale des enfants et jeunes des rues sont exposés. Dans la troisième partie du mémoire, les interventions du Samusocial Mali dans le cadre de la lutte contre l'exclusion sociale des enfants et jeunes des rues sont présentées. Cette dernière partie termine par des propositions de solution pour le renforcement de la lutte contre le phénomène des enfants et jeunes des rues à Bamako. * 1 PIROT B., Enfants des rues d'Afrique centrale, Ed. L'Harmattan, 2004, P.17. * 2 Source : Samusocial Mali « Nous venons tous d'une maison », 2010. * 3Source : Magassa H., Soumaré M., Samaké J., Recensement des enfants errants, District de Bamako, Direction nationale de la Promotion de l'enfant et de la famille, SERNES, octobre 2002. * 4Source : SamusocialMali, Rapport d'activités 2013 et 2014. |
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