Drapeaux, iconographies et géopolitiquepar Simon GERMAIN-BATISSE Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 1 Géographie 2012 |
Session de Juin 2012 UFR 08 GEOGRAPHIE - UNIVERSITE PARIS 1 DRAPEAUX, ICONOGRAPHIES, ET GEOPOLITIQUE GERMAIN-BATISSE SIMON, sous la direction de Georges Prévélakis. Jury de soutenance : Georges Prévélakis (Université Paris 1) Gilles Palsky (Université Paris 1) 2 Remerciements : Mes remerciements et toute ma gratitude à Cédric de Fougerolles et Patrice de la Condamine pour leurs conseils éclairés. A Cédric de Fougerolles, pour de longues et enrichissantes conversations vexillologiques qui m'ont fait voyager dans le temps et l'espace. A Patrice de la Condamine, pour des correspondances écrites, dans lesquelles il m'a transmis son profond intérêt pour cette si passionnante discipline qu'est la vexillologie. Remerciements particuliers à Georges Prévélakis, directeur de ce présent mémoire, pour son aide précieuse et sa disponibilité, quant à la bonne conduite de cet exposé. Paris, le 17 juin 2012 3 Sommaire Remerciements : 2 SOMMAIRE 3 INTRODUCTION 4 CHAPITRE PREMIER 8 UN DRAPEAU DE PARADOXES 8 I - Paradoxe quantitatif 8 II - Paradoxe qualitatif 9 III - Paradoxe structurel 10 IV - Paradoxe temporel 11 V - Des paradoxes éclairants 12 CHAPITRE SECOND 14 LE DRAPEAU DANS LE CADRE CONCEPTUEL DE JEAN GOTTMANN 14 I - La dialectique circulation/iconographie et sa substitution réseaux/territoires 14 II - La place du drapeau dans ce cadre conceptuel 18 CHAPITRE TROISIEME 21 LES RACINES DE L'ATTACHEMENT AU DRAPEAU 21 I - Territoire et drapeau 21 II - Drapeau et désir territorial 21 III - Drapeau et imaginaire collectif 22 IV - Drapeau et quotidien 23 V - Drapeau et « nationalisme ordinaire » 25 VI - Drapeau et récupération politique 25 CHAPITRE QUATRIEME 27 LA FORMATION D'UN DRAPEAU : UN PROCESSUS GEOPOLITIQUE 27 I - La séparation vexillologique 27 II - L'intégration vexillologique 31 III - Forces vexillologiques résistantes 39 IV - Quels drapeaux pour quels pays ? 43 CHAPITRE CINQUIEME 75 L'AVENIR GEOPOLITIQUE DU DRAPEAU 75 I - Fin des frontières, fin des territoires, fin des drapeaux ? 75 II - L'insatiable besoin d'identité 75 III - Le drapeau : Une carte d'identité internationale 76 IV - Un retour aux sources militaires. 77 V - La fonction dissuasive du drapeau 78 VI - Le drapeau par lui-même, pour lui-même 79 CONCLUSION 82 BIBLIOGRAPHIE 84 ANNEXES 87 TABLE DES MATIERES 101 4 IntroductionT ant d'énergie qu'il insuffle, tant de luttes qu'il porte, tant de courage qu'il force, tant de respect qu'il inspire, tant de combats qu'il anime, tant de haine qu'il suscite, tant d'hommes qu'il rassemble, tant d'idées qu'il diffuse, tant de gloire qu'il procure, tant de convoitises qu'il attise, tant de tragédies qu'il commémore, et pourtant tant de méconnaissance et parfois de désintérêt dont il est la victime. Le drapeau fait partie de ces symboles, d'une caste d'objets qui savent déchainer passions, haines, mais aussi sacrifices et violences en son nom. On ne peut pas appréhender le monde du drapeau, l'étude de ses couleurs et de son histoire (la vexillologie), sans penser à ces images, à ces photographies, à ces clichés célèbres1, à ces tableaux2, et à ces discours dans lesquels le drapeau est cité autant qu'il est présent autour de l'orateur. Et pourtant, celui qui incarne la fierté de tout un peuple peut se retrouver parfois objet de cristallisation de toutes les haines et de tous les maux. Insérons-nous dans ce monde des drapeaux, où rien ne va de soi, où rien n'est ni blanc ni noir. Ce mémoire est directement inspiré par deux événements récents où le drapeau tint le rôle principal. Le premier s'est déroulé le 13 décembre 2011, date à laquelle le drapeau palestinien est hissé parmi l'ensemble des drapeaux des pays qui adhèrent à l'UNESCO, antenne de l'ONU pour la promotion de l'éducation, des sciences et de la culture dans le monde. Cet acte symbolique, faisait figure d'étape décisive dans l'éventuelle reconnaissance de l'Etat de Palestine par la communauté internationale. Evidemment, les réactions qui s'ensuivirent furent nombreuses allant de la simple réponse positive officielle à des oppositions cinglantes (Etat d'Israël et Etats-Unis plus particulièrement3). Surtout, plus encore que le nombre de réactions, c'est ici la diversité des acteurs qui ont fait part de leurs réactions qui nous interpelle. Des acteurs traditionnels comme les Etats, aux Organismes Non-Gouvernementaux (ONG), en passant par de grandes entreprises ou encore la presse et les opinions publiques, chacun possédait son propre avis sur la question. Chacun y calculait ses propres stratégies pour l'avenir. Par exemple, Israël a dès lors durcit son discours sur la Palestine ainsi que sur l'Iran, allié de la Palestine, fragilisant encore plus une région déjà instable. De leurs côtés, les grandes multinationales du pétrole ont calculé les éventuelles répercutions sur l'approvisionnement en hydrocarbures du Proche-Orient, en fonction de cet événement qui risquait de modifier le cours des extractions de pétrole de cette région Ce qui est en jeu derrière cette image du drapeau palestinien à l'Unesco, c'est bien ici l'équilibre politique, économique, et financier d'une région, et dans une plus large mesure du monde. 1 On pense à cette photographie du drapeau des Etats-Unis hissé sur l'île d'Iwo-Jima pendant la Seconde Guerre Mondial, où les lignes de fuites se rassemblent toutes au niveau du drapeau, fière incarnation de la victoire finale américaine. Cliché pris par Joe Rosenthal. 2 On pense évidemment à « La Liberté guidant le peuple » d'Eugène Delacroix, 1830 3 Courrier international, « Un drapeau palestinien flotte à l'Unesco », 14/12/2011 5 Le deuxième événement s'est déroulé en France en mars 2010. Pour un concours de photographies organisé par une grande entreprise française, dans la catégorie « politiquement incorrect, un cliché représentant un homme en train de s'essuyer le postérieur avec le drapeau tricolore, est présenté et récompensé1. Là aussi, le déferlement médiatique qui suivit cet événement fut sans limites. Certains y voyaient une oeuvre d'art, quand d'autres s'insurgeaient contre ce cliché jugé simulacre de la République Française. Notre sujet n'est pas ici de s'insérer dans ce débat complexe, mais de simplement constater que le drapeau tient une place particulière au sein de ces objets quasi sacralisés qui représentent toute une nation. Que nous enseignent ces deux événements ? Simplement qu'il ne faut ni transiger sur les usages du drapeau, ni négliger son pouvoir symbolique, sur n'importe quel sujet qui soit, et à n'importe quelle échelle. Car derrière un étendard se cachent des réflexions et des intérêts bien plus profonds que le caractère dérisoire du drapeau. En effet, les deux affaires précédentes s'intègrent largement au domaine politique. L'une concerne les répercutions à l'échelle internationale de la mise en scène du drapeau palestinien à l'Unesco, l'autre aborde la valeur et le caractère sacré du drapeau dans les fondements d'un Etat (ici la France). Ces deux événements insèrent directement le drapeau dans des considérations géopolitiques. La géopolitique, dans son étude des « rivalités de pouvoir sur un territoire »2, propose l'analyse de l'espace comme terrain d'enjeux de toutes natures. Or le drapeau, dans les exemples précédents, se situe au coeur de cette relation entre espace et pouvoir. A une échelle interne, puisque le drapeau constitue un repère d'identité nationale, il est un outil au service de l'instauration d'une autorité sur un territoire. A l'échelle externe, puisque sa simple vue peut révéler des enjeux politiques et économiques qui dépassent largement son caractère matériellement dérisoire. Trop peu d'ouvrages ou manuels géopolitiques appellent à l'étude des symboles comme source intégrante de l'analyse géopolitique. Pourtant, à l'heure où la mode est à la mondialisation ou autre globalisation, on assiste paradoxalement aux retours des frontières et des érections de murs, et à l'affirmation des identités nationales. Parallèlement à ces mouvements de protection face à la mondialisation, vue comme une machine à broyer les identités et les souverainetés nationales, le drapeau refait son apparition comme l'incarnation de cette identité retrouvée. Néanmoins, on oublie vite que le drapeau fut de toutes les luttes, de tous les combats, de tous les bouleversements politiques de ce monde. On oublie vite que les hommes ont toujours cherché à vivre en communauté et à se doter de symboles pour les représenter. Les drapeaux nous semblent aujourd'hui les plus anciens représentants des hommes. Comment peut-on alors négliger ces représentants matériels des hommes, de ceux qui font l'Histoire, et de ceux qui sont les décideurs des enjeux géopolitiques dans l'espace et dans le temps ? D'ailleurs une question a été formidablement bien posée par Whitney Smith3 à ce sujet : « pourquoi, malgré l'absence de tout règlement ou traités internationaux exigeant 1 L'Express, « Il utilise le drapeau français comme papier toilette pour une photo », 21/04/2010 2 Yves Lacoste, Dictionnaire de Géopolitique, 1993 3 Whitney Smith est considéré comme le « pape » de la vexillologie (étude « scientifique » des drapeaux) moderne. Il a même dessiné le modèle du drapeau du Guyana. Il est l'un des premiers à avoir rapporté le drapeau à la géopolitique. Il dirige actuellement le « Flag Research Center » aux Etats-Unis. 6 l'adoption de drapeaux nationaux, tous les pays sans exception se sont-ils forgés un drapeau ? »1 Certains manuels nous parlerons des « représentations collectives » chères à Yves Lacoste, quand d'autres insisteront sur le rôle des symboles en géopolitique à propos de la souveraineté nationale sur une page sur un ouvrage de cinq cent. Seul un géographe, Jean Gottmann, a réellement doté les symboles, et les drapeaux, d'un rôle de premier ordre en géographie politique et en géopolitique. Dans son triptyque «
cloisonnement du Notre sujet sera donc d'appréhender le monde de la géopolitique à travers le drapeau. En effet, la lecture de celui-ci, non pas seulement l'analyse de ses couleurs et de son histoire, mais également son replacement dans le cadre de l'établissement d'une autorité sur un territoire, son étonnante faculté à rassembler un peuple, sa force symbolique de projection d'autorité, sa sacralité, et sa puissance photographique, sont autant de clés pour saisir la complexité de certaines situations géopolitiques. Il nous faudra ainsi comprendre comment le drapeau peut se retrouver au coeur d'enjeux géopolitiques majeurs, et expliquer comment celui qui n'est à l'origine qu'un simple tissu représentant d'un Etat, puisse se muer en véritable acteur géopolitique à part entière à plusieurs échelles géographiques. Enfin, il faudra analyser ce passage du pouvoir symbolique du drapeau au pouvoir politique et géopolitique, pas toujours évident. Evidemment, ce mémoire déborde du cadre géopolitique. Des disciplines comme la géographie culturelle ou humaine, l'histoire, la philosophie et la psychologie seront convoquées. De plus, il ne sera question pour ce mémoire que du système vexillologique moderne, c'est-à-dire de l'analyse des drapeaux nationaux des Etats actuels. Les cas de certains régionalismes séparatistes, autonomistes, ou indépendantistes seront également incorporés. Par ailleurs, les élans lyriques que le drapeau insuffle, ont tenté d'être évités ou de se faire discrets, il est vrai que la tendance à se laisser bercer par l'enthousiasmante et si intéressante analyse de quelques bouts de tissus peut malencontreusement influer sur l'écriture adoptée. Enfin, une dernière remarque paraît nécessaire. Le drapeau, au même titre que beaucoup d'autres symboles, sont des objets récupérables. Ils sont en quelque sorte sujets à interprétations variables, ce qui nuit au sens originel du drapeau. Ce mémoire s'est donc efforcé de ne faire dire aux drapeaux que ce que les créateurs originels avaient imaginé. Il est vrai que l'inclination à faire dire aux drapeaux ce qu'ils ne disent pas, y compris officieusement, est parfois tentante. 1 WHITNEY SMITH, 1976 : 78 2 JEAN GOTTMANN, 1952 : 220 3 JEAN GOTTMANN, 1952 : 214 7 Le premier chapitre de ce mémoire relève de nombreux paradoxes qui se font jour lorsqu'il est question du drapeau. Ils démontrent simplement que l'étude des drapeaux se réalise dans la nuance et dans le rejet des idées préconçues. Le drapeau est certes un objet de communication extrêmement élémentaire, il n'en demeure pas moins que le message qu'il porte est toujours complexe. Le second chapitre se propose de replacer le drapeau dans le cadre conceptuel « cloisonnement du monde/circulation/iconographie » formulé par Jean Gottmann. Il visera à saisir toute l'importance et l'impact du drapeau dans la stabilisation, ou au contraire dans le renversement d'une autorité sur un territoire. Le troisième chapitre vise à repérer les origines de l'attachement qu'un peuple puisse avoir pour son drapeau national. De la territorialisation par le drapeau à l'expression d'un « nationalisme ordinaire »1, le drapeau dévoilera ici toute sa force fédératrice et créatrice d'unité, parfois utilisée à dessein politique. Le quatrième chapitre, le plus consistant, s'intéresse à l'élaboration et à l'évolution de la structure d'un drapeau (ses couleurs, ses formes, ses symboles...). Cette analyse révélera trois dynamiques géopolitiques qui président à la formation du drapeau. Cette étude sera suivie d'un tableau récapitulatif de l'ensemble des drapeaux des pays du monde, confrontés à ces trois dynamiques structurelles. Par ce jeu des couleurs à résonnance géopolitique, on pourra établir une typologie à teneur géopolitique des pays du monde. Le cinquième et dernier chapitre concerne l'avenir du drapeau en géopolitique. A la théorie de la fin des cloisons mondiales et à l'ouverture généralisée, on opposera le drapeau comme un outil de redéfinition des Etats et de leurs territoires sur la scène mondiale. Enfin, on exprimera que la puissance symbolique du drapeau peut égaler, sinon supplanter, n'importe quel fait géopolitique. En effet, on se souvient plus de l'image du drapeau des Etats-Unis sur la Lune, que du nom du premier homme à avoir marché sur cette Lune (Neil Armstrong). Le drapeau des Etats-Unis sur la Lune, un fait géopolitique de premier ordre Source : maxiscience.com 1 Michael Billig, Banal Nationalism, 1995 8 |
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