II.1.2.a. La pression des hommes sur la terre.
On pourrait penser, au vu de ces milliers de terres agricoles,
qu'elles suffisent aux populations. En réalité, il n'en est rien.
Les meilleures conditions existant dans cette zone par rapport au reste du pays
n'ont cessé d'attirer les populations. À cela s'ajoute un pays en
pleine transition démographique, où l'indice de
fécondité est de 6,1 enfants par femmes en 2015, contre 2,01 en
France. Le milieu rural étant une zone de forte natalité, le taux
de fécondité y est de 6,5 enfants par femme contre 5 en milieu
urbain.
Outre cela, le dérèglement climatique est source
de migrations internes33 ; les conflits qui ont
ébranlé le pays depuis 2012 ont entrainé une vague
importante de migrations vers le sud, venues s'ajouter aux migrants
économiques.
En ce sens, la zone ON doit faire face à une pression
grandissante. Sa population ne fait qu'augmenter : avec les nouveaux arrivants
et les familles qui s'agrandissent, l'aménagement des terres ne suit pas
la même cadence. Depuis la mise en culture de ce périmètre
irrigué en 1947 à l'achèvement du barrage de Markala,
seulement 14 % des objectifs d'aménagement et de mise en valeur ont
été réalisés. Or, ces
33 Rapport de la Banque mondiale, Se préparer aux
migrations climatiques internes.
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exploitants familiaux, faute de moyens, ciblent les CAE
(Contrat Annuel d'Exploitation) et les PE (Permis d'Exploitation), qui
concernent des parcelles aménagées ou réhabilitées.
Ainsi, une pression sur le foncier se dessine. Par ailleurs, l'absence de
statistiques précises ne permet pas de chiffrer véritablement ce
constat. Cependant, entre 1973 et 1974, un colon de la zone de Niono disposait
en moyenne de 8,9 hectares (Morabito, 1977), contre des superficies moyennes de
moins de quatre hectares par colon aujourd'hui34. Ces nombres
rendent compte de la diminution des terres par exploitant.
Ce qui représente une véritable limite, car les
parcelles, dont la transmission est héréditaire, ne cessent de
diminuer, offrant moins d'espace disponible pour la réalisation de la
culture d'hivernage et de contre saison.
Prenons le cas d'un villageois. Bourama Coulibaly est un
riziculteur-maraicher du village de Bagadadji km36. Il est issu d'une famille
monogame, Minianka, originaire de San. La famille compte quatre garçons
et cinq filles.
Bourama cultive une parcelle familiale. Le champ appartient
à son père, toujours vivant. Ce dernier, arrivé d'un
village aux alentours de San au début des années 1980, a
demandé une terre à l'ON. Trois hectares lui ont
été octroyés. Aujourd'hui, le père âgé
est à la charge de ses fils (les filles étant mariées,
elles ont quitté la demeure familiale). Faute de terres disponibles,
deux des quatre frères ont déménagé, l'un dans leur
village d'origine et l'autre à Bamako. À présent, Bourama
et son grand frère sont les deux hommes de la famille à cultiver
leur terre.
Si la riziculture est collective et familiale, il n'en va pas
de même pour le maraichage, qui est individuel.
Lors de la campagne maraichère, la parcelle
maraichère située dans le casier rizicole est donc divisée
en huit. Elle est partagée entre le grand frère, les deux femmes
de ce dernier, Bourama, sa femme et trois proches de la famille sans terre,
dont deux jeunes orphelins et une voisine.
La parcelle est donc morcelée et les exploitants de ce
champ cultivent des parcelles beaucoup plus petites ; dégager un
excédent de production à destination de la commercialisation
devient plus difficile. L'activité semble progressivement tendre vers un
jardinage plutôt que du maraichage à visée commerciale.
34 Source provenant d'un article de geoconfluence en 2011
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Ainsi, les femmes de ce ménage en situation de
vulnérabilité dans le foyer, comme dans de nombreux villages de
l'ON (Lalande, 1996), sont obligées de travailler comme
journalières dans d'autres exploitations, de louer et de se faire
prêter gracieusement des terres, ou encore de mener leur activité
dans des parcelles hors casier, non aménagées le long des canaux
d'irrigation. Cette dernière option implique souvent le
dédommagement du réseau, exacerbant alors le gaspillage
déjà très important de ce réseau, source de perte
par évaporation ou encore par infiltration (Brondeau, 2003).
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