CHAPITRE3 : ANALYSE DES DONNEES
Eu égard aux résultats du terrain
présenté ci-dessus, en nous référant à la
revue de littérature, à nos connaissances personnelles et aux
différentes observations faites sur le terrain, cette partie sera
essentiellement consacrée à la confrontation des
réalités vécues et des informations recueillies avec les
hypothèses de départ en vue de les corroborer ou de les infirmer.
A cet effet, il sera plus pratique de rappeler lesdites
hypothèses :
1- La commune d'Ifangni regorge d'acteurs diversement
impliqués dans son processus de développement ;
2- La conduite du jeu politique par les acteurs n'est pas de
nature à favoriser des actions de développement
local efficaces et efficientes ;
3- Les différents groupes d'acteurs contribuent aux
actions de développement en intégrant dans le processus leurs
intérêts partisans.
Pour les analyses, nous adopterons le modèle
structuro-fonctionnaliste de Talcott PARSONS qui n'est en réalité
que la combinaison du structuralisme de Claude LEVI-STRAUSSet du
fonctionnalisme de Bronislaw MALINOWSKI.
Ainsi, dans un postulat structuro-fonctionnaliste, la commune
d'Ifangni peut être considérée comme un système
composé de plusieurs éléments (les acteurs de
développement) en interaction dynamique dans lequel chacun des
éléments joue un ou des rôle(s) spécifique(s)
[fonction] qui lui permet non seulement de compter pour le système mais
surtout d'influencer le système. Ainsi, comme le stipule Pamphile
SEBAHARA (2000), « Les processus de décentralisation et de
développement à l'échelon communal mobilisent une
série
d'acteurs qui interviennent à des degrés
divers et selon des logiques et des stratégies
propres » ; la commune est animée par
différents acteurs chacun avec ses objectifs et stratégies. Pour
ce qui concerne la gestion proprement dite de la commune, les acteurs du
premier plan sont le Maire et le conseil communal. Elus par les populations,
ces derniers ont l'obligation de définir et mettre en oeuvre, les
stratégies nécessaires pour l'amélioration des conditions
de vie de leurs mandants. Pour la cause, un (01) Maire, deux (02) adjoints au
Maire, six (06) Chefs d'Arrondissement sont responsabilisés par leurs
pairs conseillers pour mener à bien cette mission dans la commune
d'Ifangni. Sachant que la loi ne leur exige aucun « bagage
technique » pour accéder à leur fonction ;compte
tenu de la complexité de leur mission, ils sont assistés par des
agents qui représentent le bras technique du Maire. Et parlant des
agents de la mairie, les informations font état de ce qu'au cours de la
deuxième mandature leur effectif a connu de changement en
quantité et en qualité. En quantité, l'effectif des agents
de la mairie a plus que triplé (un taux d'accroissement de 330,76%) et
en qualité, de zéro (0) cadre de catégorie A, on est
passé à cinq (05) et d'un seul de catégorie B, on est
passé à neuf (09) [voir tableau 4].
De même d'autres acteurs devant accompagner les
élus locaux dans leur mission, sont également présents. Le
gouvernement à travers quatorze (14) services déconcentrés
[voir tableau 5], la société civile représentée par
onze (11) Organisations Non Gouvernementales locales [voir tableau 6] et huit
(08) Partenaires Techniques Financiers [voir tableau 7].
A la vue donc des résultats ci-dessus, nous pouvons
dire que la première hypothèse intitulée : La commune
d'Ifangni regorge des principaux acteurs indispensables pour son processus de
développement est corroborée ; les élus pour
définir et mettre en oeuvre la politique de développement, les
agents de la mairie pour les accompagner techniquement, les services
déconcentrés pour l'appui conseil, les Organisations de la
Société Civile pour la veille citoyenne et les Partenaires
Techniques et Financiers pour l'appui institutionnel, organisationnel et
autres.
Mais ces différents acteurs jouent-ils effectivement
leur(s) rôle(s) ?
En effet, dans un système comportant plusieurs
éléments interdépendants, le dysfonctionnement au niveau
d'un seul élément peut de manière irrévocable
affecter les résultats de tout le système. Dans le cas
d'espèce, le système considéré est la commune
d'Ifangni et le principal élément du système reste le
conseil communal avec à sa tête le Maire. Le bon fonctionnement du
système est alors fortement dépendant de la bonne marche des
rapports au niveau du conseil communal. Cette bonne marche à son tour
est intimement liée à certains facteurs tels la
disponibilité des acteurs, leur aptitude et attitude, la pertinence dans
la prise de décision, l'objectivité....etc. Mais les
résultats de terrain laissent un peu perplexe lorsque 81,03% des
enquêtés pensent que les élus communaux ne sont pas
disponibles (tableau 9) pour servir la cause de l'amélioration de leur
condition de vie. Seulement 47,05% des conseillers vivent en permanence dans la
commune (tableau 10). Le Maire, depuis le début de son mandat
jusqu'à la période du déroulement de cette recherche,
n'aurait passé que deux nuits dans la commune. Ces informations laissent
croire que la gestion de la commune, la participation à
l'émergence de nouvelles pratiques devant conduire au
développement est une priorité de second rang et ne les occupent
pas en plein temps. Alors que le poste de conseiller communal, de par ses
attributions, ne devrait pas être juste une fonction de
représentativité limitée seulement au vote au cours des
sessions de conseil communal. On se demande comment un conseiller qui ne vit
pas dans une commune pourrait apprécier de manière
conséquente les tenants et aboutissants des positions qu'il adopte en
session. Un rapport du Programme des Nations Unies pour le
Développement, (PNUD : 2001) estime que: « la
principale contrainte du développement est La mauvaise
compréhension de lapolitique de décentralisation par une frange
importante des acteurs, notammentles exécutifs locaux ». Alors
Que peut-on attendre d'un élu qui nesait pas pourquoi il est élu
?
En dehors de la disponibilité, il existe un autre
facteur pas le moindre, celui de l'inefficacité des actions
pensées et menées dans la commune d'Ifangni ce qui pose le
problème du niveau intellectuel des conseillers. Certes, nous n'avons
pas pu avoir les détails des diplômes académiques de chacun
des conseillers, mais à travers leur profession (tableau 12), nous
entrevoyons ce qui peut être leur bagage intellectuel. On apprend
même que pour la première mandature, il y avait de conseiller qui
ne savait ni lire ni écrire. S'il est convenu que dans tout
système démocratique, le peuple choisi librement son dirigeant,
il n'en demeure pas moins que tout dirigeant a une mission pas la moindre,
pour laquelle certaines aptitudes et attitudes sont nécessaires. On est
tenté ici de dire que le choix démocratique ne permet pas
toujours au peuple de faire le bon choix. C'est également ce sur quoi
Pamphile SEBAHARA (2000) veut tirer notre attention, lorsqu'il
déclare : « Certes, on peut, sur le terrain de la
démocratie pure défendre l'idée du choix libre des
citoyensélecteurs. Mais le souci d'efficacité et de performance,
indissociable de la bonnegouvernance, commande l'encadrement et la
rationalisation de cette démocratiedans l'intérêt de ces
mêmes citoyens. La démocratie doit s'adapter au réel et
lecontexte de sous-développement appelle l'utilisationd'expertises
avérées capables de relancer la mobilisation des populations pour
undéveloppement local résolument tourné vers le
progrès palpable ». Il ajoute : « Le
sens de la mission de l'élu n'est pas toujours bien compris. Or, c'est
l'interprétationpar l'élu du sens et de la portée de sa
mission qui fonde son état d'esprittout au long de son mandat. Qu'est-ce
qui motive le candidat à l'élection locale ?A quoi cherche-t-il
à accéder ? Qu'est-ce qui expliquent les batailles
électorales localessouvent farouches et impitoyables, occasionnant
parfois des coups et blessureset déchirant des familles ? Le
développement local est une oeuvre citoyenne. C'est cette promptitude
à servir la communauté qui maintient la mobilisation intacte
même lorsque les moyens d'action font défaut. Malheureusement, on
observe dans ce domaine une absence de synergie des élus et le manque
d'esprit d'initiative ».
Ainsi, on constate que la qualité de l'homme, les
valeurs intrinsèques de l'élu, sa capacité à
impacter positivement la condition de vie de ses électeurs comptent pour
très peu dans le choix même des candidats ; il faut choisir
l'homme qui peut faire gagner.
En face de ce tableau, on serait tenté de se demander
qui va alors assurer pour les communes et Ifangni en particulier la route vers
le développement. Les agents de la mairie qui font office de techniciens
du développement local devront être les premiers acteurs pour
travailler à sauver les meubles. Mais le processus de recrutement de ces
agents et l'ambiance socioprofessionnelle autour d'eux ne sont pas de
natureà leur permettre d'impacter positivement le développement
de la commune. Un agent de la mairie reconnait que ce n'est seulement qu'en
2012 que la mairie a commencé par se conformer en matière de
recrutement d'agents ; cet aveu est très évocateur ;
même si après 2012, certains acteurs soutiennent que le
clientélisme et le trafic d'influence ont continué à
régner. En plus de ce que l'effectif des agents à la mairie a
plus que triplé au cours du second mandat (tableau 4), et que le besoin
d'agents s'est brusquement accru en 2013, avec une quinzaine d'agents
recrutés spécialement cette année (le mandat des Maires
s'achevaient en 2013 n'eut été le prolongement voté par
les députés), la productivité de ces agents est largement
en deçà des attentes des populations. Certes, on a pu avoir les
chiffres par rapport à l'évolution du budget au niveau du service
des Affaires financières, mais tous lesenquêtés s'accordent
et sont unanimes sur le fait que le budget de la mairie n'accroît pas et
aurait même connu une baisse pour l'exercice 2014.
Ce résultat pourrait être également
dûau principal redéploiement effectué à la mairie
(tableau 16). Sur dix (10) chefs de service, six (06) sont de nouveaux recrus
sans expérience. En effet, lorsqu'un titulaire de licence est
défait du poste de chef de service et nommé secrétaire
d'arrondissement, un nouveau recru titulaire d'un Brevet de Technicien
Supérieur (BTS) sans expérience professionnelle remplace un
titulaire de Licence avec 5 ans d'expérience au poste ; qu'un
nouveau recru, titulaire de Licence en Comptabilité remplace un
titulaire de Maîtrise (7 ans d'expérience) en aménagement
du territoire, on pourrait penser que ce n'est pas forcément la
compétence, le savoir-faire qui est recherché au niveau des
agents. Donc il n'y a aucune surprise, quand 71,08% de nos
enquêtés (tableau 17) déclarent que les agents de la mairie
ne sont pas efficaces et que 77,33% (tableau 18) trouvent que c'est la
politique qui est la principale raison de cette inefficacité.
Dans l'Etude de la commune de Réo au Burkina, Mahamadou
DIAWARA (2000)aboutità cette conclusion pour laquelle Ifangni ne fait
non plus exception :
« à Réo, on peut diagnostiquer une
situation de surpolitisation dominée par l'usage systématique par
les politiciens des institutions, des ressources matérielles et
symboliques locales pour alimenter leurs stratégies d'accession et de
maintien au pouvoir..... Les institutions elles-mêmes atteignent rarement
un degré raisonnable de fonctionnalité car leurs gestionnaires
sont choisis en fonction de critères d'allégeance et non pas sur
leur capacité techniques ».
A partir de cette conclusion on peut dire sans tomber dans
aucun piège de jugement que les constats de Mahamadou DIAWARA sont ici
valables.Les politiciens sont donc prêts à utiliser les ressources
matérielles et symboliques locales pour alimenter leurs
stratégies et les institutions (les services et le conseil) n'atteignent
jamais un niveau raisonnable de fonctionnalité car leurs gestionnaires
(les agents de mairie et les élus) sont choisis non pas sur leur
capacité technique mais sur des critères d'allégeance,
leur position partisane.
Dans cette situation, les gardiens de temple devraient
être à priori les acteurs de la société civile qui
sont supposés être impartiaux. Mais dans la commune d'Ifangni, la
société civile, par ironie, est qualifiée de
société civilo-politique. 83,78% des enquêtés
(tableau 19) trouvent que les acteurs de la société civile ne
sont pas crédibles et 97,30% de ceux-ci pensent que c'est à cause
de la politique. Et pour illustrer cette position, bon nombre
d'enquêtés citent le cas du Président du cadre de
concertation de la société civile qui est le représentant
communal de l'Alliance pour un Bénin Triomphant (ABT), la cellule
communale du Mécanisme Africain d'Evaluation par les Pairs (MAEP) dont
le Président est un baron du Parti du Renouveau Démocratique
(PRD) et celui du responsable de la Cellule de Participation Citoyenne qui lui
a été au cours des élections de 2008, candidat sur une
liste concurrente à celle du Maire (le MADEP).
Ainsi, notre deuxième hypothèse concernant la
qualité des acteurs est aussi confirmée car, on voit clairement
que dans un système dans lequel les acteurs n'arrivent pas à
respecter les contraintes liées à leur rôle, l'atteinte des
objectifs pourrait être hypothéquée et le fonctionnement du
système mis à rude épreuve.
La troisième hypothèse qui aborde la prise en
compte de manière prioritaire par les acteurs de leurs
intérêts personnelsdans la gestion des affaires de la commune,est
confirmée à travers les faits mis en exergue. En effet, tous les
dysfonctionnements mis en cause à divers niveau de la gestion de la
commune n'existeraient si ce n'est pour satisfaire des intérêts
inavoués.
Ainsi donc, les informations recueillies font état de
ce que les élus ne se préoccupent prioritairement que de comment
faire pour conserver ou conquérir le pouvoir; Mahamadou DIAWARA
(2009) : « les autorités locales, même si
elles s'en défendent, sont paralysées par les contestations
auxquelles elles doivent constamment faire face. Habitées par la hantise
des coups que peuvent leur porter à tout moment leurs adversaires, elles
semblent plus occupées à surveiller ces derniers et à
déjouer d'éventuelles manoeuvres qu'à agir dans
l'intérêt général » ; les agents
de la mairie ne jurent que par leur appartenance à tel ou tel autre
parti et les acteurs de la société civile par leur
incapacité à faire l'effort d'impartialité indispensable
pour bien jouer leur rôle de sentinelles du temple.
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