WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Auguste Sérieyw (1865-1949) biographie et approche de son œuvre.

( Télécharger le fichier original )
par Chantal BIGOT-TESTAZ
Lyon II - Maîtrise 1985
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CHAPITRE III

1914-1949

A. DE "VENITE AD ME " A "MEMENTO MEI ". (1914-1934)

Le premier août, la Suisse célèbre sa fête nationale. Mais en 1914, tous feux traditionnels et autres réjouissances annulés, la population écoute l'annonce du garde-champêtre décrétant la mobilisation générale.

Arrivés le deux juillet à Veytaux, les Sérieyx, à l'automne ne regagnent pas Paris où plus aucune activité ne les attend. Ils prennent conscience qu'ils seront plus utiles à leur patrie dans ce pays préservé où blessés et internés français ne tardent pas affluer. Ils ont chacun la cinquantaine et la santé de Jeanne Taravant décline. Les compétences musicales et juridiques de Sérieyx seront les bienvenues durant ces quatre années de guerre puisqu'il se voit confier d'importantes missions administratives l'obligeant à de fréquents déplacements à travers les deux pays. Il représente la firme Schneider du Creusot et contrôle les conditions d'internement des militaires français en Suisse.

La guerre avait sonné le glas des deux orchestres de Lausanne et Montreux (les seuls, à l'époque, en Suisse française, leurs membres, venus pour la plupart des pays voisins, étant rappelés sous les drapeaux. Lorsque Sérieyx, en 1916, apprend la présence à Morgins, en Valais, de Marc de Ranse, jusqu'alors professeur d'accompagnement à la Schola et maître de chapelle à l'Église Saint-Louis d'Antin à Paris, il forme le projet, avec l'appui des autorités consulaires et militaires compétentes de lui confier la baguette d'un orchestre symphonique formé d'internés. Ernest Ansermet se joint à eux deux pour procéder, dès novembre 1916, à l'examen de recrutement des candidats. L'hôtel Carlton, à Granchamp, est réquisitionné pour loger les musiciens : quarante-six Français et sept Belges à la fondation, mais l'orchestre comptera jusqu'à soixante-quinze musiciens.

La lettre de l'Ambassade de France attribuant à Sérieyx la fonction officielle d'Administrateur général de l'O.S.I.A. est datée du 5 mars 1917 et ce même mois, une audition privée a déjà eu lieu dans l'hôtel, en présence de l'Ambassadeur de France venu de Berne, prélude au premier concert public donné à Genève le premier avril. Il sera suivi d'une cinquantaine d'autres dans tout le pays pendant ses dix-huit mois d'existence, malgré toutes les difficultés, prévisibles pour un tel ensemble à l'effectif fluctuant et d'un niveau plutôt hétérogène. D'éminents solistes belges, français et suisses ont prêté leur concours pour présenter, en ce bref laps de temps, près de quatre-vingts oeuvres différentes dont les programmes en annexe donnent un aperçu.51(*)

Dès 1a fin de l'été 1918, les rapatriements de plus en plus nombreux compromettent l'existence de l'orchestre, officiellement dissous le 28 novembre. Les musiciens quittèrent Granchamp, ce jour là, en cortège jusqu'à la gare de Montreux. Tous ne partaient pas cependant, car le 14 octobre, Ernest Ansermet s'était présenté au Carlton pour proposer aux volontaires de s'engager dans l'Orchestre de la Suisse Romande, précisément en train de se constituer.52(*)

Pendant toute la guerre, Sérieyx était resté en contact régulier avec ses collègues et amis parisiens (Il assista notamment, en mars 1917, à Genève, à un concert donné sous la direction de Vincent d'Indy par les ensembles de la Schola Cantorum avec au programme Orfeo de Monteverdi et le Jephté de Carissimi) A l'armistice, il aurait dû, en toute logique, reprendre le premier train pour la capitale. Mais l'état de santé de son épouse devient de plus en plus alarmant et l'incite à rester en Suisse. En 1919, le couple ne peut plus envisager l'alternance rue de Wagram - Veytaux. Jeanne Taravant joue encore du piano en février 1920 ; le dix mai, elle se relève pour la dernière fois et elle meurt le 11 juin 1920.

Le 12 juin, d'Indy écrit à Sérieyx

Je sais ce qu'était pour vous cette compagne que vous vous étiez choisie en pleine maturité de votre existence; je sais quelle douce intimité régnait- entre vous deux et combien elle semblait faite pour vous et vous pour elle...
Qu'allez-vous faire ? Resterez-vous en Suisse ou reviendrez-vous vers nous, vos anciens amis qui ne demandent qu'à vous accueillir et à vous entourer, de tout leur coeur53(*) ?

Obligation d'un nouveau choix ... incertitude encore qui durera plusieurs années. Sérieyx, très accablé par ce deuil, ne se résoudra que huit ans plus tard à vider complètement l'appartement parisien occupé depuis 1905 et à ramener en Suisse les caisses de documents qui constituent aujourd'hui l'essentiel du Fonds Auguste Sérieyx. Pourtant, depuis 1915, il a vécu à un rythme plus adapté aux forces de sa chère malade et posé des jalons pour une intégration en terre vaudoise. Il travaille à la suite du Cours de composition musicale ainsi qu'à sa Grammaire parue en 1924, dont la suite, le Cours de syntaxe, synthèse de tout une vie de recherches, restera inédit. Il compose davantage, la proportion d'oeuvres liturgiques croissant, au détriment de celle des profanes. De 1913 date son premier motet Venite ad me dédié à Augustale Theodori, le ténor aveugle de Villeneuve, pour lequel il transcrira en braille, au fil des ans, d'innombrables partitions. C'est le premier motet d'un cycle de vingt-quatre sur des textes tirés de l'Imitation de Jésus-Christ (Le premier, Ego sum puritatis a été composé en 1905 mais Sérieyx l'a incorporé ensuite dans le cycle des vingt-quatre en lui attribuant le numéro quatre).

Des années de guerre datent aussi les Trois pièces d'orgue sur un thème de Robert le Pieux, éditées plus tard chez Lemoine. Pendant cette période d'épreuves, Sérieyx trouvera son plus grand réconfort dans la méditation et la composition. Écrire de la musique sacrée, pour un croyant, constitue un prolongement de la prière allant jusqu'à se confondre avec elle. Il est à cette époque, l'hôte familier de l'abbaye de Saint-Maurice comme son père était jadis celui des Jésuites, à Lyon, et il trouve maintes occasions d'entendre ses oeuvres entre l'abbaye et sa paroisse de Villeneuve où la fidèle petite schola continue à progresser.

Plusieurs pièces de musique de chambre voient également le jour pendant ces années solitaires de l'après-guerre. Solitude toute relative, du reste : à côté de tous les contacts noués grâce à l'O.S.I.A., on avait fait appel à Sérieyx en tant que professeur d'écriture, dès la création du Conservatoire de Montreux, en 1915, par la dynamique famille de Ribeaupierre, dynastie de musiciens qui fondera deux autres écoles (plus un orchestre) à Vevey et à Lausanne, sous le nom d'Institut de Ribeaupierre. Certains élèves déjà formés viennent à lui pour compléter leurs connaissances. Nous nous attarderons sur deux d'entre eux dont Sérieyx parle fréquemment dans ses notes.

Le premier, Carlo Boller, né en 1896, avait commencé une brillante carrière de violoniste. C'est à ce titre qu'il rencontra Sérieyx, en 1914, pour travailler sous sa direction, avec Jeanne Taravant, sa Sonate pour violon et piano. Lorsqu'un rhumatisme à une main obligea Boller à renoncer à son instrument, il partagea sa seconde formation entre Sérieyx qui lui enseignait l'art de la fugue et la Schola Cantorum où il suivait les cours de direction de chorale et d 'orchestre. Carlo Boller est mort prématurément en 1952 mais il a beaucoup contribué entre 1920 et 1950 à donner un éclat durable à la vie chorale romande, à renouveler son répertoire grâce à ses oeuvres parmi lesquelles sa chanson la plus connue, Le vigneron monte à sa vigne fait déjà partie du folklore.

Sérieyx avait rencontré le second, Aloïs Fornerod, à Paris entre 1909 et 1911, lorsque celui-ci était condisciple à la Schola d'Henri Gagnebin, futur directeur du Conservatoire de Genève. Après ce bain de culture française, Fornerod part pour Strasbourg (alors rattachée à l'Allemagne) où il étudie une année au Conservatoire de cette ville. Il paraît avoir vécu cette influence germanique comme une parenthèse et fonde son oeuvre sur « la tradition, le classicisme, la culture française et latine »54(*) Dès 1918, il choisit de retravailler durant plusieurs années avec son maître d'antan qui fut aussi son parrain. Ils partagent également un idéal politique commun, Sérieyx ayant adhéré au mouvement fédéraliste vaudois « Ordre et Tradition » défendant l'indépendance des cantons, en particulier celle du pays de Vaud. Cette régionalisation avant l'heure prend une importance accrue dans un pays comptant trois langues nationales sur un si petit territoire, d'où le commentaire de Jacques Viret, à propos d'un ouvrage de Fornerod La Musique et le Pays paru en 1928 dans la collection « Les Cahiers de la Renaissance Vaudoise » :

Ce n'est donc pas trahir sa patrie que de renoncer à une esthétique "suisse". De même, Ramuz proclame hautement son appartenance à la culture française, et sur le plan musical, cette affinité se manifeste au travers du chant populaire - que la Romandie emprunte à la France - ainsi que dans maintes oeuvres de compositeurs romands évoquant par leur style Gounod, Massenet, Chabrier ou Debussy. D'où la nécessité de maintenir le statut fédéraliste de la Suisse, -le seul compatible avec l'authenticité nationaliste de la musique actuelle. /.../
Toute tentative d'hybridation ou de cosmopolitanisme musical apparaît ainsi vouée à l'échec, et le mot de Cocteau demeure de nos jours vrai comme par le passé. « Un oiseau ne chante jamais si bien que dans son arbre généalogique »55(*)

Sérieyx, dont nous avons déjà dit qu'il n'avait pas de terroir, s'est trouvé, lui, un arbre généalogique supranational puisqu'il s'inspire du trésor inépuisable du chant grégorien. Fornerod a souvent fait de même, entre autres dans les premiers opus qu'il décide de conserver : cinq motets écrits pendant la première guerre mondiale. Gustave Doret les salua en termes enthousiastes dans son ouvrage Pour notre indépendance musicale 56(*) lorsqu'ils furent chantés en 1919 à Berthoud pour la fête annuelle de l'Association des Musiciens Suisses par l'ensemble vocal « Motet et Madrigal » qui fera connaître aussi certains motets de Sérieyx. Ce choeur a été fondé et dirigé par Henryk Opienski

Ce dernier, également ancien élève de la Schola, vivait alors à Morges, non loin du pianiste Ignace Paderewski avec lequel les Sérieyx se lièrent en 1918. On doit à la plume d'Auguste la préface de l'ouvrage d'Opienski sur la musique polonaise 57(*), paru à Lausanne en 1918.

Pendant ces années d'après-guerre, la Riviera vaudoise " continue donc à attirer les musiciens et même si Sérieyx aime retourner à Paris pour des séjours, il peut, sur place, vivre des échanges assez riches pour que la capitale ne paraisse plus trop lui manquer. Notons en particulier les rencontres, autour du Léman, avec Charles Chaix, Guy Ropartz, Paul Le Flem.

A l'automne 1923, il y eut aussi un récital mémorable donné à Montreux par le pianiste Edouard Risler. Sérieyx se retrouvant seul public à l'entracte, le « bénéfice » du concert se convertit en souper fin de l'interprète et de son auditeur. Celui-ci était, à ce moment là, à la recherche d'un éditeur pour son Cours de grammaire musicale et le conseil de Risler de s'adresser à Heugel fut le bon puisqu'en décembre, ce dernier acceptait, à condition qu'une version résumée, Les éléments de grammaire musicale soient prêts pour l'édition, peu de temps après.

D'autres pénibles épreuves attendaient cependant Sérieyx. En 1921, il est contraint d'abandonner son enseignement à l'Institut de Ribeaupierre, source pour lui d'un revenu nécessaire. Il est ensuite privé de sa fonction bénévole de maître de chapelle à Villeneuve, par le nouveau curé « d'avant-garde liturgique » qui, en 1922, écarta Sérieyx. Son successeur, l'abbé Bord, s'empressa de le rappeler dès son arrivée, cinq ans plus tard. De cette nouvelle collaboration naîtra le projet d'un orgue pour la chapelle. Il sera inauguré en 1930, grâce à la générosité d'un immigré polonais fortuné, le comte Dzierbicki. (Il nous souvient que les mauvaises langues racontaient, pendant notre enfance au bord du Léman, qu'il rachetait les fredaines de sa jeunesse par une piété exemplaire et des dons somptueux).

Pour la première répétition de retrouvailles, en 1927, entre le maître de chapelle et sa schola avec son fidèle chantre, c'est Marie-Louise Bouët qui tient l'harmonium. Elle assurera seule la direction de l'office du dimanche suivant, le premier de l'Avent. Sérieyx, en effet, est parti en voyage à Trèves, via Strasbourg, pour donner une conférence sur Vincent d'Indy.

Marie-Louise Bouët est, née à Genève le 22 février 1897. Diplômée en 1918 de l'Institut Jaques-Dalcroze, elle commença sa carrière d'enseignante en France, où elle fit connaître la rythmique à Nantes, à Chalon-sur-Saône et à Paris. Chaque été, de 1920 à 1927, elle se rendait près de Brive où la pianiste Blanche Selva, professeur à la Schola Cantorum, réunissait chez elle, en juillet-août, élèves et professeurs attachés à sa pédagogie. Selva tenait à ce que tous ses « stagiaires » d'alors s'initient au solfège dalcrozien et à la rythmique, compléments qu'elle jugeait indispensables pour des instrumentistes et c'est à Marie-Louise Bouët qu'elle avait confié cet enseignement. On parlait, à ces cours d'été, d'une certaine Grammaire dont Marie-Louise avait eu l'occasion d'apercevoir l'auteur en 1917 lors du concert dirigé par d'Indy à Genève et de le rencontrer vraiment ainsi que Jeanne Taravant, en lui rendant visite à La Tourelle en 1918. Lorsque en 1925, de retour définitivement en Suisse, à Leysin où résidait sa famille, elle apprend qu' Auguste Sérieyx envisage d'y monter chaque semaine pour y donner des cours de contrepoint à deux médecins de la station climatique, elle se joint au groupe et découvre avec enthousiasme l'enseignement oral de celui dont elle admirait les écrits. Marie-Louise Bouët s'efforcera dès lors, de rendre complémentaires le message de son premier maître, Jaques-Dalcroze, et celui de Sérieyx qu'elle approfondira tout à loisir en devenant non seulement son disciple, mais bientôt sa collaboratrice, puis son épouse le 29 juillet 1931. Ensemble, pendant cet été-là, ils vont sur la Côte d'Azur, à Agay, rendre à Vincent d'Indy une visite qui sera la dernière puisque le Maître s'éteindra en décembre, de cette année-là. Plutôt avare en compliments, il avait, lors de cette ultime entrevue vivement encouragé Sérieyx dans la poursuite de son cycle de motets qu'il qualifia de petits chefs-d'oeuvre.

Le numéro 13, Testis es tu mihi, datant de 1922, était écrit à la mémoire de Jeanne Taravant. En 1927, Sérieyx dédicace à Marie-Louise Bouët le vingtième de la série, Deus meus et omnia et lorsqu'en 1934, il met le point final (celui que Duparc enviait...) au numéro vingt-quatre, il défend expressément à quiconque d'en prendre connaissance avant sa mort.

Ce dernier motet, Memento mei, resté malheureusement sans interprète jusqu'à ce jour, réunit les thèmes de Testis es tu mihi et de Deus et omnia.

Il permet la rencontre pour l'Éternité dans la musique de celles qui, successivement, s'appelèrent Madame Auguste Sérieyx.

* 51 cf. Tome II, doc. n° 7 pp. 18 et 19

* 52 BURDET (Jacques), "l'orchestre symphonique des Internés Alliés" in Revue musicale de Suisse Romande, numéro 3 Eté 1978, pp. 146-151, passim.

* 53 Lettres à Auguste Sérieyx (4) F). 27.

* 54 VIRET (Jacques). (9) A. Fornerod p. 73. -A. Fornerod est né à Montet (Vaud) en 1890. Il est mort en 1965, alors qu'il était encore directeur du Conservatoire de Fribourg.

* 55 VIRET (Jacques) (9), A. Fornerod pp. 92-93.

* 56 DORET (Gustave) (6). Pour notre indépendance musicale pp- 109-110

* 57 OPIENSKI (Henryk) et KOECKERT (Gustave) La musique polonaise, essai historique sur le développement de l'art musical en Pologne Lausanne, Imprimerie des hoirs Borgeaud, 1918.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery