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Auguste Sérieyw (1865-1949) biographie et approche de son œuvre.

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par Chantal BIGOT-TESTAZ
Lyon II - Maîtrise 1985
  

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CHAPITRE II

1897-1914

LES ENGAGEMENTS

Les trente-deux premières années de la vie de Sérieyx donnent l'impression d'un Prélude plutôt lent pendant lequel il a toujours pris le temps de s'arrêter pour étudier, se reposer, s'attarder sur ses premiers essais de composition. La période qui. s'ouvre est caractérisée par un nouveau tempo, cet accelerando cadrant bien avec la soudaineté du changement de cap déterminé par la rencontre du dix-huit octobre. Nous préférons en livrer aux lecteurs le récit laissé par l'intéressé :

Bien qu'il n'ait jamais été question de suivre ses cours, il me semblait utile de ne pas manquer cette occasion de connaître Vincent d'Indy et je me suis présenté le lundi dix-huit octobre cinq heures. Bordes, par extraordinaire, était présent : il m'attendait et me présenta à d'Indy. L'aspect extrêmement. jeune, arcades sourcilières enfoncées, cheveux renversés noir de corbeau, vêtu d'une longue redingote exagérant sa haute taille, accuei1 froid mais très aimable / . . . / . J'assistai aux premiers cours et les explications générales que donnait d'Indy pour la révision du cours qu'i1 avait déjà commencé depuis 1e dix avri1 précédent jusqu'au dix juillet me donnèrent immédiatement à penser que j'étais en présence du seul musicien que j'aie jamais rencontré ayant une idée nette et intelligente de son art et de 1'enseignement /. . . /.
Les premières leçons étaient consacrées au contrepoint et à la fugue. Je ne tardai pas à prendre assez d ' assurance pour montrer mes travaux avec Gédalge. D'Indy me demanda si je ne faisais pas de fugue et comme je répondis que Gédalge m'avait fait entrevoir que j'avais encore beaucoup de travail avant d'y arriver, le maître renifla à son ordinaire et me donna l'ordre de faire une exposition de fugue pour le cours suivant et comme je lui demandais, comment il fallait m'y prendre, il me dit : « vous n'avez qu'à regarder les fugues de Bach, avec ce que vous savez, ça ira très bien ». Seulement mon séjour à Paris était en contradiction formelle avec les ordres des médecins et les désirs de ma famille ",' ... /.

Une amie parisienne, Jeannine d'Hauterive, fille d'Alexandre Dumas, va aider Sérieyx à prendre la bonne décision en l'envoyant chez un médecin qui autorisa l'hiver à Paris moyennant certaines précautions, avis qui fit dire à Jeannine : « Dans ce cas, écrivez à votre frère qu'il vous envoie du linge et ne rentrez pas. » « Ce fut le meilleur conseil qui m'ait été donné dans ma vie. » " commentera Sérieyx en 1946 et il ajoute : « Je sus plus tard que l'arrivée de la lettre qui notifiait cette décision à mon frère avait fait éclater des orages fâcheux. Les cours de d'Indy ont duré onze ans ; le nombre des leçons est de trois cents et j'en ai manqué huit »21(*)

Peut-être y aura-t-il des anti-d'Indystes , pour jubiler et suggérer : « I1 se libère de la chaîne familiale pour se mettre une entrave plus lourde. » Ne vaut-il pas mieux accepter la leçon de modestie que nous donne cette forte personnalité qui, un demi-siècle plus tard, reconnaît avoir rencontré et accepté son maître ?

Où en était la Schola Cantorum en 1897 ? Charles Bordes avait fondé « Les Chanteurs de Saint-Gervais » en 1892. Leur contribution aux offices attirait une assistance choisie dans laquelle on pouvait remarquer Gounod, Debussy, d'Indy, Chausson « et les musiciens qui n'étaient pas wagnériens et les Wagnériens qui n'étaient pas musiciens » note plaisamment Paul Dukas.22(*) Mais pour lutter contre l'état de décadence où était tombée la musique religieuse en France. Bordes veut étendre son champ d'action. Reprenant les conceptions de Choron et de l'Ecole Niedermayer, il fonde avec Vincent d'Indy et Alexandre Guilmant une « École de chant liturgique et de musique religieuse » ouverte officiellement en 1896, rue Stanislas, qui, très vite, s'agrandit en faisant entrer la musique profane dans ses cours.

L'afflux des élèves (en particulier beaucoup d'étrangers exclus du Conservatoire) est tel que l'École, dès 1900 se transporte au 269 de la rue Saint Jacques, où elle devient une ' »École supérieure de musique ». La vitalité du choeur et de l'orchestre auxquels tous les. élèves participent permet de remettre au jour nombre de grandes oeuvres ignorées ou peu connues qui, publiées au bureau d'édition de la Schola deviennent ainsi accessibles au public.

Lorsque le 19 Janvier 1898, d'Indy commence son cours de deuxième année avec l'ensemble des é1èves arrivés courant 1897, Sérieyx sait déjà que ses recherches et sa formation solitaire vont désormais porter leurs fruits. Très vite, d'Indy distingue en Sérieyx le collaborateur possible et dès la fin de son cours de composition de troisième année, (professé pour la première fois de novembre 1898 à juillet 1899) il lui propose d'assurer le cours de première année aux nouveaux élèves, fonction que Sérieyx remplira régulièrement jusqu'en 1914. Il n'y a pas de temps perdu : la rencontre provoquée par Bordes date d'à peine deux ans ! Pendant l'été 1899, l'élève avait commencé d'envoyer à son professeur, à la demande de celui-ci, une version rédigée des notes prises en classe d'écriture, première esquisse d'un cours de composition rédigé en commun. La théorie harmonique, telle que la présentait d'Indy dans son enseignement corroborait les recherches de Sérieyx sur le cycle des quintes et celui-ci pouvait apporter dans ce domaine un enrichissement indiscutable que d'Indy ne manqua pas de relever dans sa préface, lors de la publication, en 1902, du premier livre du Cours de composition.

En terminant ce préambule, l'auteur tient à remercier son élève et ami Auguste Sérieyx qui enseigne actuellement les matières de ce Premier Livre à la Schola Cantorum, de l'aide précieuse et intelligente qu'il lui a apportée dans la rédaction et la coordination logique du cours de composition. Il tient aussi à lui laisser la paternité, disons même la responsabilité, de certaines démonstrations et de certaines idées qui méritaient, en raison de leur valeur, d'être recueillies dans cet ouvrage23(*).

Dès le début de cette fructueuse collaboration, les renseignements abondent : notes détaillées complétant Le Livre de Raison, tout le courrier conservé, la totalité des articles de Sérieyx, critique musical, sans oublier les notes de cours, textes de conférences etc. Nous essayerons d'en extraire l'essentiel en relatant successivement l'élaboration du Cours de Composition avec ses problèmes, comment Sérieyx et ses amis de la Schola participaient à la vie musicale parisienne et comment ce premier engagement de la Schola en engendra un autre.

Dans ses notes, Sérieyx nous donne beaucoup de précisions tant administratives que musicales sur les premières années de mise en place de cette « grande école buissonnière de la musique » que fut la Schola (selon l'expression de Charles Bordes au moment de la fondation). Parmi tous les détails notés, voici ceux du Livre de Raison concernant le Cours de Composition :

11 janvier 1900 : Reçu la réponse de d'Indy pour la rédaction du Cours envoyée le 9 novembre. Reconnaissance de la propriété du cycle des quintes et de la nécessité de l'expliquer dans l'ouvrage rédigé : " Ce cours sera aussi le vôtre que le mien24(*)
Réponse communiquée à Coindreau .25(*)
Étudié 1'éventualité de continuer seul les cours de d'Indy à la Schola dans quelques années : entretien entre Coindreau et d'Indy du cinq février suivant sur cette question. /.../
Le cinq mai : arrivée de Camille pour présentation à Durand.26(*)

On suppose déjà des difficultés avec l'éditeur. C'est pourquoi le musicien-juriste qu'est Auguste n'hésite pas à faire appel à Camille son aîné, encore notaire à Bayonne à cette époque.

1901. Du 10 au 24 juillet : Achevé la rédaction du manuscrit du premier volume du Cours de Composition à Reims. [où le cousin William est capitaine au cinquième Régiment de Hussards.]
21 au 23 septembre : Voyage de Camille à Bilbao avec Eugène et Jehanne. Paule [ seconde fille de Camille alors âgée de quatorze ans ] reste à Pinatel [propriété de la famille Serieyx à Anglet, près de Biarritz] et copie le manuscrit du premier volume.
25 octobre : Entrevue avec les Durand pour publication du premier volume.
12 décembre . d'Indy transmet les propositions à Durand pour le premier volume.
14 décembre : Remise du manuscrit chez Durand. [et sur la même ligne, on lit : ] le 19 Mariage Pierre Aubry.
22 au 28. Contestation de Durand pour mon nom sur le titre. Démarche de Camille.
30 décembre : Refusé l'argent de d'Indy n'ayant pas satisfaction [...]
1902. 9 janvier : Nouveau refus de recevoir l'argent de d'Indy pour premier volume [...]
12 mars : Nouvelle épreuve du titre premier volume avec texte modifié par Durand. Réponse par défense et menace de procédure (préparée par Bérard )

et... enfin le dénouement prouvant que cela s'est arrangé :

18 octobre : Reçu six exemplaires du Cours de composition premier volume.27(*)

En fait, c'est avec l'éditeur que Sérieyx avait engagé l'épreuve de force. Les deux coauteurs, eux, continuaient à entretenir relations et courrier très cordiaux, se rencontrant souvent dans l'intimité, comme cette fois où d'Indy, passant en train par Bayonne, invita Sérieyx à déjeuner avec lui au wagon-restaurant entre Bayonne et Irun.

Sérieyx n'était pas un homme d'argent et son intégrité l'a conduit jusqu'à en manquer sérieusement. Mais il a utilisé ses compétences juridiques et celles de ses proches à défendre une cause juste. Le Cours de Composition, si critiqué (comme émanation de la Schola et peut-être aussi à cause de son titre), était à l'époque, un ouvrage absolument neuf, promis à un succès considérable. I1 reste une référence probablement plus utilisée de nos jours que ce que les musiciens veulent bien le reconnaître puisqu'il se vendait encore en 1984.

D'un écrit destiné à durer, revenons maintenant au groupe d'hommes qui ont fait la Schola, véritable équipe, avec tout ce que cela représente de heurts internes mais aussi de cohésion pour faire face aux actions des jaloux. Un demi-siècle d'anecdotes antischolistes a contribué à perpétuer l'image d'un lieu austère où l'on ne savait pas faire la fête. Cependant on y savait rire et on s'y prenait beaucoup moins au sérieux qu'ailleurs, ainsi qu'en témoigne l'album de caricatures du FONDS AUGUSTE SÉRIEYX 510 datant de 1903.28(*) Et les souvenirs d'agapes paraissent presque aussi nombreux et importants que ceux des concerts ! Notons celui du dix mai 1900 :

Dîner à l'exposition Universelle avec d' Indy, Bordes, Poujaud, Albeniz, Coindreau et Henri Lerolle (peintre)29(*).

Et quand c'est possible, on joint l'utile à l'agréable

15 décembre : Dîner chez Pierre Aubry, 15 avenue de Villiers avec Jules Combarieu et André Pirro (Gastoué empêché) pour la préparation d'une histoire de la notation dont je devais faire la préface.30(*)

Le nombre de concerts auxquels assistent Sérieyx et ses amis est à peine croyable. Très souvent, on retourne écouter une troisième fois ce que l'on a déjà entendu en répétition et en exécution publique. C'est le cas pour L'Or du Rhin, Fervaal ou L'Etranger de d'Indy mais on lit aussi :

1902, 20 mai : Représentation de Pelléas et Mélisande de Debussy .

ler juin : Nouvelle audition de Pelléas en matinée.31(*)

On sait que Sérieyx rendit visite à Debussy, le vingt-trois février 1904, au 58 de la rue Cardinet, mais aussi qu'aucun courant de sympathie ne passa entre eux deux, ce qui n'empêcha pas l'estime au plan musical !

Le noyau des « professeurs-élèves » de la Schola prenait également une part très active aux concerts et à l'administration de la Société Nationale32(*) (souvent citée dans le Livre de Raison " ) avec par exemple pour le 21 décembre 1902 : « Assemblée de la Société Nationale : nomination au comité de Chevillard avec Cortot et Ravel. »33(*)

Parmi les fortes amitiés de ces années-là, celle avec Albert Roussel sera la plus riche de conséquences. Ensemble, en août 1904, ils découvrent le Tyrol, Prague et surtout Munich et Bayreuth où Sérieyx approfondira sa connaissance de Richard Wagner. Voilà ce que Roussel en écrit à l'une de ses amies, Mademoiselle Jeanne Taravant,34(*), alors en séjour comme chaque été en Suisse, dans la maison Decollogny, .à Apples au dessus de Morges.

Nürenberg, 10 août 1904 /.../ Dimanche et lundi, nous étions à Bayreuth pour entendre Parsifal. (Sérieyx avait pu nous trouver des places). J'aurais regretté toute ma vie de n'avoir pas entendu cela en cet endroit et avec le respect qui convient à l'oeuvre. /.../ Puis-je, sans vous déranger (j'espère que vous ne vous gêneriez pas pour me le dire), arriver à Apples vers le 5 septembre ?35(*)

Dans sa lettre de remerciements après son séjour dans le Pays de Vaud, il glissera à son hôtesse-

Sérieyx me quitte à l'instant; je lui ai consacré tous les détails de mon séjour à Apples, nos charmantes promenades en forêt et au signal de Bougy, à Genève et à Chardonney, les séances pianistiques ou littéraires (vaudoiseries) et j'ai ainsi cruellement éveillé le regret qu'il a eu de ne pouvoir m'accompagner.36(*)

L'été suivant, les deux amis se retrouveront ensemble dans la propriété d'Apples mais depuis le premier mars 1905, « responsabilité » que Roussel évoquera dans cette exquise dédicace au dos d'un portrait faisant partie du FONDS AUGUSTE SÉRIEYX 506

A mes excellents amis Sérieyx-Taravant, avec la joie d'avoir tenu pendant quelques instants, dans la grande Féerie de la vie, le rôle à demi-inconscient du bienheureux génie qui a rapproché-leurs deux existences.

En août 1905, Roussel et Sérieyx assistent ensemble à la fête des Vignerons, à Vevey, après avoir pris le temps, quelques jours auparavant, de lire la partition de Gustave Doret, écrite pour la circonstance. Cette année-là Sérieyx découvre la Suisse, en particulier l'Abbaye de Saint-Maurice avec laquelle il établira plus tard des liens très forts.

Au printemps, Sérieyx avait quitté sa pension de la rue de Constantinople pour s'installer au 108 de la rue de Wagram. Jeanne Taravant, très affranchie des préjugés étroits de son milieu bourgeois y vivait déjà de façon indépendante.

Dès le mariage, le couple prend l'habitude de séjourner plusieurs mois dans l'année en Suisse. Ils y accueilleront à maintes reprises les amis venus de France : Roussel et son 'épouse évidemment, mais aussi Vincent d'Indy, le pianiste Joachim Nin, Joseph Canteloube etc... Ils en retrouveront d'autres qui ont quitté Paris : Francesco de Lacerda, élève, puis professeur à la Schola, qui dirigea l'orchestre du Kursaal de Montreux de 1908 à 1912, ainsi que Henryk Opienski, séjournant en Suisse, lorsqu'il n'était pas en France ou en Pologne.

Le rythme des retours vers Paris est dicté par les cours à assurer à la Schola et par la saison musicale, d'autant plus suivie que les fonctions de critique musical de Sérieyx prennent une importance accrue, ces années-là. Si on note, le 29 novembre 1902, une « Présentation à Diot, du Courrier musical »37(*) par l'éditeur Demets, l'activité journalistique de Sérieyx remonte, en fait, à sa vingtième année. L'ensemble le plus important dans ce domaine est constitué par le FONDS AUGUSTE SÉRIEYX 161 bis : Les Chroniques musicales parues dans le journal L'Action française, sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir. 38(*)

Sérieyx ( qui ne cacha jamais son engagement franchement royaliste ) avait, en effet, adhéré au mouvement " l'Action française " à sa fondation. Lorsque parut, dès le vingt-huit mars 1908, le journal du même nom, il en devint le correspondant musical régulier, ce qui lui valut, quatre ans plus tard, l'une des plus cruelles désillusions de sa vie. Les échanges de lettres précédent la rupture prouvent la mauvaise foi de' certains. Dans l'impossibilité de relater dans le détail l'épisode assez sordide de la démission imposée à Sérieyx (qui relève de la petite histoire), nous nous contenterons de citer ces quelques lignes des notes détaillées conservées pour l'année 1912 :

Comme la question de ma démission à l'A.F. s'était déjà présentée, j'eus l'occasion, au Concours de l'Opéra, de raconter la chose à Pierre Lalo, mon confrère, qui me dit textuellement ceci : « Je ne suis pas surpris que vous ayez des difficultés à l'A.F. : Léon Daudet m'a demandé si je prendrais cette rubrique-là et je lui ai répondu : Certainement non, je ne rentrerai jamais dans ta chiourme. » 39(*)

Par ses activités de critique et de conférencier, il suit déjà de très près tous les problèmes touchant au- chant sacré auxquels il consacrera l'essentiel de son énergie pendant la seconde moitié de son existence.

En 1899, déjà, il s'était rendu une semaine à Solesmes avec les grégorianistes de la Schola, pour y suivre les cours de Dom Mocquereau. En 1904, dans le Courrier musical n° 7, pp. 220-223, il publie un article intitulé : Caractéristiques de la musique sacrée destinée à la célébration du culte d'après l'instruction Motu proprio de Sa Sainteté Pie X. Ce titre situe le souci premier de Sérieyx de préserver la liturgie du « n'importe quoi musical » qui s'y est infiltré par la suite. Sérieyx fera allusion à cet article dans ses notes détaillées de l'année 1910.

C'est le vingt-deux avril que fut prononcée la conférence « La musique à l'église » au cercle catholique, sur la demande de José Mihura. L'article, paru au Courrier musical en avril 1904, est reproduit presque intégralement dans cette conférence et fait connaître le principe de l'utilisation des moyens contemporains aux mélodies grégoriennes que j'ai toujours appliqué depuis.40(*)

Que Sérieyx ait toujours été un homme de contact, extrêmement sociable paraît une évidence. I1 semble que son mariage avec Jeanne Taravant ait rendu plus nombreuses encore et plus riches les rencontres avec tant d'amis et collègues. Nous citerons un dernier extrait de ses notes. datant de 1912, englobant en quelques lignes des échanges avec ses confrères et la suite de son activité de critique que la guerre de 1914-1918 interrompra

Notons également, le 20 novembre, une rencontre avec Eric Satie et Roland Lévy dit Manuel qui devait suivre mes. cours à la Schola, l'année suivante, très probablement sur le conseil d'Eric Satie. Le 22, j'avais la visite d'Eric Satie qui me remettait, avec une dédicace aimable, une fugue pour piano qu'il venait d'écrire, intitulée : Fugue de papier.

A partir du mois de décembre, ma collaboration régulière à la revue Bulletin de la section française de la Société Internationale de Musicologie avait été décidée par l'entremise de mon jeune ami Legrand, cousin du Directeur Ecorcheville qui avait demandé à d'Indy de remplir cette rubrique. D'Indy s'en était naturellement déchargé sur moi et je me trouvais de quinzaine en quinzaine en alternance avec Debussy qui s'occupait des Concerts Colonne tandis que je rendais compte des Concerts Lamoureux. " 41(*) 42(*)

Sérieyx et son épouse se méfiaient des gens intéressés qui ne cherchaient qu'à se faire des connaissances pour arriver plus vite et plus haut. Les trois rencontres que nous évoquerons encore ne relèvent pas de ce type de relations. '

Voici d'abord Jean Cras à propos .duquel Sérieyx fait une notable exception en lui décernant dans son récit de l'année 1912, un compliment de taille : « Le 18 avril 1912, j'ai reçu, malheureusement pour une seule fois, le compositeur Jean Cras, alors lieutenant de vaisseau et mort amiral, en laissant une oeuvre magnifique. Il s'agissait de mélodies de lui que devait chanter sa soeur. Madame de Fourcaud. »43(*)

Sérieyx sut apprécier d'emblée Ernest Ansermet, « alors simplement professeur d'arithmétique au Collège secondaire de Lausanne »44(*) à l'époque où celui-ci profitait de ses instants de liberté pour venir assister à Montreux, aux répétitions de Lacerda qu'il considérait comme son maître. I1 encouragea les occasions de suppléances et se réjouit lorsqu'au départ de Lacerda, Ansermet fut nommé à son poste, le premier juillet 1912 45(*), point de départ de la carrière que l'on connaît.

Nous parlerons enfin de cette délicate amitié, pleine d'enseignement sur ses années helvétiques, avec Henri Duparc, déjà fort malade et ne sortant presque plus. Les Sérieyx se lient profondément avec le couple ; la correspondance en témoigne mais aussi parmi d'autres souvenirs racontés, celui de l'audition des Évocations de Roussel, donnée chez les Duparc, à deux pianos, par Jeanne Taravant et Ernest Ansermet, à Burier .46(*)

La vie de Sérieyx paraît tellement bien remplie que l'on peut se demander quand il trouvait le temps de faire de la musique, lui dont le métier devenait toujours plus d'en parler...

Et pourtant son fidèle journal laisse deviner l'effort que représente la composition de la Sonate pour violon et piano, parue en 1904 chez l'éditeur Demets, sur laquelle nous reviendrons. Dès 1910, il travaille à La voie lactée pour soprano et orchestre, sur un texte de Sully-Prud'homme et il ne s'en tient pas là. I1 est cependant certain que Sérieyx a davantage composé avant et surtout après cette période surchargée.

De nouvelles et graves crises d'asthme, provoquées par le climat rigoureux de Lausanne et de ses environs ont obligé les Sérieyx à chercher, en 1911, un lieu plus clément : ce fut Veytaux où le couple loua le jeudi vingt avril, le second étage d'une jolie maison, la Tourelle, située face au lac Léman et bien abritée par les montagnes. Le dimanche suivant, après la messe, en l'église de Villeneuve, les Sérieyx proposent au curé de la paroisse, l'Abbé Druetti, leurs services pour l'organisation du chant à l'église. Le premier office aura lieu le trente juin, un autre pour la fête de l'Assomption, le quinze août, avec Jeanne Taravant à l'harmonium et un premier groupe choral composé d'une dizaine de fillettes et de quatre garçons auquel se joindra bientôt un ténor aveugle, doué d'une voix magnifique, Theodori Augustale que Sérieyx formera complètement.

C'est de cette manifestation que date en réalité la petite schola de Villeneuve qui, au moment où nous écrivons ces lignes, trente-trois ans après, occupe toujours sa place avec certaines chanteuses qui sont les mères et d'autres appartenant aux générations subséquentes.47(*)

On reste pensifs devant cette modeste fondation par ces deux êtres d'élite, faisant partie du « Tout-Paris musical » qui peut-être ressentaient le besoin de jeter l'ancre en un lieu dont la douceur permettrait de supporter la tempête imminente.

En hommage à l'engagement de 1897, Sérieyx publiait en 1913 son Vincent d'Indy. Duparc avait accepté d'en être le dédicataire, juste avant de quitter brusquement et pour toujours le pays de Vaud, au grand regret des Sérieyx qui espéraient garder longtemps leurs amis près d'eux, lors de leurs séjours helvétiques. Voici le merci de Duparc envoyé le 4 juin 1913 depuis les Pyrénées.: 48(*)

Très reconnaissant et très touché, cher ami, de votre affectueuse pensée, très fier aussi de voir le nom du pauvre vieux raté que je suis, uni par vous au nom du grand musicien qu'est d'Indy. Je suis heureux, en la circonstance d'être le « Burgrave » de la grande famille franckiste, et, quoi que j'aime beaucoup les lentilles, je ne céderais à personne le droit d'aînesse qui me vaut l' honneur que vous me faites. Vous me dites que vous venez de mettre le « point final » à votre travail : voilà quelque chose qui ne m'est jamais arrivé ! Comment fait-on ? "

L'ouvrage Vincent d'Indy est construit en sept chapitres, sur le plan de son oeuvre, Le chant de la cloche (opéra de concert écrit de 1880 à 1883 ) qu'admirait tant Paul Dukas. Le héros en est Maître Wilhelm, fondeur de cloches de son métier, auquel Sérieyx, assimile Vincent d'Indy, dans sa monographie. On y trouve déjà l'anecdote racontée par Paul Landormy dans La musique française de Franck à Debussy . 49(*)

Se souvient-on, par exemple, qu'il y a trois ans, le Maître dirigeait à Rome tout un programme de musique française où figuraient les délicieux « Nocturnes » de Claude Debussy ? Sait-on que le public romain, mal préparé aux subtiles manifestations de cet art si personnel, accueillit tumultueusement Nuages et Fêtes ? Sait-on enfin que notre moderne Maître Wilhelm, prenant littéralement « par l'oreille » les récalcitrants, leur imposa le bis de l'oeuvre incriminée et que ce bis fut un triomphe à la fois pour l'auteur, pour le chef d'orchestre et pour l'art français ?50(*)

Ce livre sort de presse fin 1913. C'est l'époque du dernier retour des Sérieyx vers Paris pour les cours à la Schola et la saison musicale de l'année universitaire 1913-1914. Une première étape s'achève, la plus importante de la collaboration entre l'élève et celui qu'il ne cessera d'appeler « le Maître » même si Sérieyx, désormais, est souvent appelé ainsi à son tour.

* 21 FONDS AUGUSTE SÉRIEYX 520 p. 11

* 22 Dukas (Paul), (11), Les écrits de Paul Dukas p. 676.

* 23 INDY (Vincent d') (1), (Cours de composition musicale) p. 7.

* 24 Lettres à A. S. (4) p. 12. (Lettre très élogieuse sur la rédaction du Cours adressée de Nantes par d'Indy, le 9 janvier 1900).

* 25 Coindreau fait: partie avec Alquier, Castéra, Estienne, Labey, Roussel, Séverac et Sérieyx de la première promotion des élèves de d'Indy qui soutinrent leur thèse en juin 1907

* 26 Livre de Raison I pp. 84-85 et 89.

* 27 L.de R. II pp. 11-14.

* 28 cf. Vol. II, document 4, pp. 9 à 15

* 29 Livre de Raison I p. 89.

* 30 Livre de Raison II pp. 10-13

* 31 Livre de Raison II pp. 10-13

* 32 Surtout depuis l'élection à la présidence de Vincent d'Indy le 16 décernbre 1900. (L . de R. II p. 10)

* 33 Livre de Raison I I p. 14.

* 34 Jeanne Taravant, (1860 -1920), pianiste, élève de Le Couppey et de Stephen Heller, premier prix du Conservatoire de Paris en 1875.

* 35 Lettres à A.S (4) p. 61

* 36 Ibidem pp. 62-63.

* 37 L.de R. II. p. 14.

* 38 cf. Vol. II document n° 5, p. 16

* 39 F. A. S. 160.

* 40 F. A. S. 160.

* 41 FONDS AUGUSTE SÉRIEYX 502. Notes détaillées.

* 42 Autre mission confiée à AUGUSTE SÉRIEYX à la même époque par d'Indy sur la demande de Charles Malherbes, bibliothécaire de l'Opéra : trouver la solution du canon énigmatique Non impedias musicam à huit voix de Cherubini. Ce canon fut décrypté pour la première fois par Sérieyx aidé d'Albert Groz, autre élève de d'Indy. (FONDS AUGUSTE SÉRIEYX 501)

* 43 FONDS AUGUSTE SÉRIEYX 502 Notes détaillées.

* 44 FONDS AUGUSTE SÉRIEYX 502 Notes détaillées.

* 45 Burdet (Jacques) (.), L'Orchestre du Kursaal...,p. 24.

* 46 FONDS AUGUSTE SÉRIEYX 502_. Cf. Vol. II Document n° 6, p. 17

* 47 FONDS AUGUSTE SÉRIEYX 502 Notes détaillées.

* 48 Lettres à A.S (4) p. 43.

* 49 MOUTON (Henri) " Les rapport d'Indy-Debussy ", in Revue musicale suisse, n° 4 Zürich, Ed. Hug et Co, juillet août 1973, p. 210.

* 50 SERIEYX (Auguste) (2), Vincent d'Indy. p. 55.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard