CONCLUSION
J'espère avoir pu dans ce mémoire et
dans le précédent apporter quelques précisions
sur les différents registres de discours que l'on peut
rencontrer à propos des ours et sur les implications
sociopolitiques des réintroductions dans le monde local. Et notamment
comment la modification du couvert végétal autour des villages de
montagne peut avoir une certaine influence sur la perception que les habitants
des villages de montagne ont des ours actuellement.
Bien qu'élevé mondialement au
rang d'espèce patrimoniale à protéger, garante de
la bonne santé des espaces naturels, l'espèce
« ours brun » continue à véhiculer des images
différenciées selon les catégories
d'acteurs. Les images associées à son ancien
statut légal restent prégnantes pour une part de la population
qui se trouve précisément être confrontée à
sa présence en montagne. Si pour certains l'ours n'a
peut-être jamais représenté une nuisance,
pour d'autres au contraire il en constitue toujours
une.
L'ours apparait ici comme particulièrement propice
à catalyser différentes dimensions de la vie sociale ; et
en projetant diverses images sur lui les hommes signifient leurs
différences notamment de points de vue concernant la gestion des espaces
naturels de montagne et leur manière spécifique
d'appréhender la nature. Selon la place à laquelle les
personnes assignent les ours mais aussi les autres espèces domestiques,
ils signifient la façon dont ils considèrent que les espaces
naturels doivent être gérés. Et en focalisant
l'attention sur les prédations des ours, le monde agro-pastoral
a soulevé les autres problèmes auxquels il est confronté.
Une sorte de contre-pouvoir face à un mode de gestion s'est
constitué, notamment au sein des associations
anti-ours.
L'analyse des données recueillies telle
que je l'ai menée est largement emprunte de l'opposition
sauvage/domestique. L'évolution du statut des animaux autrefois
considérés nuisibles, comme l'ours, et
à ce titre non admis à vivre et à évoluer sur le
même territoire que les hommes, amène à une
complexification des possibilités de les considérer,
désormais les ours apparaissent comme « réhabilités
» en quelque sorte et à ce titre admis à vivre plus
près des humains. Les activités traditionnelles
d'élevage doivent désormais adapter leurs
pratiques à sa présence et l'on assiste à
l'émergence d'une nouvelle catégorie d'animaux
qu'André Micoud(2009) a nommé la catégorie des
« animaux sauvages naturalisés vivants, au sens d'à
nouveau admis à vivre parmi nous ». Face à
l'émergence de nouvelles catégories d'animaux, cet auteur
propose toutefois de substituer la polarité sauvage /domestique à
la polarité
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« vivant-matière » et «
vivant-personne ». Car selon lui, les catégories «
traditionnelles » du sauvage et du domestique ne suffisent plus pour
rendre compte de la réalité actuelle tant les situations des
animaux se sont différenciées et complexifiées.
André Micoud propose désormais de ne plus se rapporter à
une « polarité spatiale anthropocentrée » mais à
d'autres catégories qui
s'échelonneraient d'un pôle où l'être vivant n'est
plus qu'une matière à un autre où lui serait
reconnu le statut de personne.
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